07.04.2025 à 20:29
Human Rights Watch
Une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux le 2 avril 2025 montrant trois journalistes burkinabè en uniforme militaire. Guezouma Sanogo, Boukari Ouoba et Luc Pagbelguem avaient été soumis à une disparition forcée pendant 10 jours, et leur réapparition a suscité des inquiétudes quant à leur enrôlement potentiellement illégal par la junte militaire du pays.
Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier la vidéo, mais des collègues des journalistes, des organisations non gouvernementales et des médias ont déclaré avoir reconnu les trois hommes. Dans la vidéo, ils sont interviewés près de ce qui semble être une base militaire. « Ce que vous faites est merveilleux », dit Luc Pagbelguem dans la vidéo, faisant référence à une opération militaire apparemment réussie.
Le 24 mars, les autorités ont arrêté Guezouma Sanogo et Boukari Ouoba, respectivement le président et vice-président de l'Association des journalistes du Burkina (AJB), ainsi que Luc Pagbelguem, journaliste travaillant pour la chaîne de télévision privée BF1, pour avoir prétendument dénoncé les restrictions à la liberté d'expression imposées par la junte. Les demandes d'information des avocats et des familles des journalistes sont restées sans réponse.
« Au moins, ils sont encore en vie », a déclaré un journaliste burkinabè en exil. « Mais cela ne nous libère pas de la crainte qu'ils aient été torturés et qu'ils participent activement à des opérations de sécurité risquées. »
Ce n'est pas la première fois que des vidéos montrant des individus enrôlés illégalement surgissent au Burkina Faso. Le 18 février 2024, l’opposant politique Ablassé Ouédraogo et l'éminent activiste des droits humains Daouda Diallo, tous deux enlevés en décembre 2023, sont apparus sur des images vidéos, portant des uniformes de camouflage, tenant des fusils d'assaut de type kalachnikov et participant à des exercices militaires, vraisemblablement dans une zone de conflit. Ils ont été libérés depuis.
Human Rights Watch a documenté le fait que les autorités du Burkina Faso ont utilisé une loi d'urgence de vaste portée et un décret de « mobilisation générale » dans le cadre de leur stratégie de lutte contre les groupes armés islamistes pour enrôler dans l'armée des détracteurs de la junte, des journalistes, des activistes de la société civile et des magistrats et les a réduit au silence.
Si les gouvernements sont habilités à enrôler des civils adultes pour la défense nationale, la conscription ne devrait pas avoir lieu si elle n'a pas été autorisée et si elle n'est pas conforme au droit national. La conscription doit être effectuée de manière à ce que le conscrit potentiel soit informé de la durée du service militaire et qu'il ait la possibilité de contester l'obligation de servir à ce moment-là.
Les autorités burkinabè devraient libérer immédiatement les trois journalistes et cesser d'utiliser la conscription pour réprimer les médias et la dissidence.
07.04.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Beyrouth, 7 avril 2025) – Les autorités saoudiennes ont libéré des dizaines de personnes qui avaient été condamnées à de longues peines de prison pour avoir exercé pacifiquement leurs droits, mais continuent d'emprisonner et de détenir arbitrairement de nombreuses autres personnes, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Entre décembre 2024 et février 2025, les autorités saoudiennes ont libéré au moins 44 prisonniers, selon des proches et des organisations de défense des droits humains. Parmi ces personnes figurent Mohammed al-Qahtani, un militant des droits humains âgé de 59 ans ; Salma al-Chehab, doctorante à l'Université de Leeds, au Royaume-Uni ; et Asaad al-Ghamdi, frère d'un militant des droits humains bien connu vivant en exil. Le gouvernement saoudien devrait mettre fin à sa répression généralisée de la liberté d'association, d'expression et de croyance.
« La libération de dizaines de prisonniers est une évolution positive, mais le gouvernement saoudien devrait aussi libérer toutes les autres personnes détenues arbitrairement », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l'Arabie saoudite à Human Rights Watch. « Ce geste positif ne saurait se substituer à la cessation des politiques répressives dans le pays. »
Les prisonniers libérés continuent de faire l'objet de restrictions, telles que des interdictions arbitraires de voyager et le port obligatoire d'un bracelet électronique. Ceux qui sont toujours détenus pour avoir exercé leurs droits fondamentaux continuent de subir des violations systématiques de leur droit à une procédure régulière et à un procès équitable, selon les témoignages de leurs familles et de leurs avocats. Les autorités saoudiennes continuent de détenir et d'emprisonner des individus au motif de la liberté d'expression, de réunion, d'association et de croyance. Parmi les détenus de renom qui sont toujours emprisonnés figurent Salman al-Odah, un éminent dignitaire et érudit religieux ; Waleed Abu al-Khair, un avocat et défenseur des droits humains saoudien dont le travail a été récompensé par plusieurs prix ; et Abdulrahman al-Sadhan, un travailleur humanitaire,
Il y a donc peu d'indications que les récentes libérations signalent un changement politique fondamental, a déclaré Human Rights Watch, uisque de nombreuses autres personnes restent emprisonnées pour avoir exercé pacifiquement leurs droits.
Mohammed Al-Qahtani, cofondateur de l'Association saoudienne des droits civils et politiques, a été libéré le 7 janvier. Le 9 mars 2013, les autorités saoudiennes l'avaient reconnu coupable de « création d'une organisation non autorisée » et de « diffusion de fausses informations à des groupes étrangers », et l'avaient condamné à une peine de dix ans de prison, assortie d'une interdiction de voyager de dix ans. Al-Qahtani, qui avait été arrêté en 2012, devait être libéré en 2022, mais il a été détenu au-delà de sa date de libération prévue pendant deux ans et dix jours, a rapporté ALQST, une organisation saoudienne de défense des droits humains ; il s’est agi d’une forme de disparition forcée.
Les autorités saoudiennes ont arrêté Salma al-Chehab en 2021 et l'ont condamnée en 2022 à 34 ans de prison, uniquement en raison de son activité pacifique sur les réseaux sociaux en lien avec les droits des femmes dans le pays. En 2023, un tribunal saoudien a réduit sa peine de prison à 27 ans en 2023, puis à 4 ans en septembre 2024. Les autorités saoudiennes ont libéré Salma al-Chehab en février 2025.
En mai 2024, le Tribunal pénal spécialisé, chargé de juger des affaires liées au terrorisme et tristement célèbre en Arabie saoudite, avait condamné Asaad al-Ghamdi à 20 ans de prison pour terrorisme, en raison de ses activités pacifiques sur les réseaux sociaux. Des proches ont indiqué qu'il a été libéré en février.
Les autorités saoudiennes n'ont pas publié la liste des prisonniers libérés ni précisé leurs conditions de libération.
Le 2 mars, Abdulaziz al-Howairini, chef de la Présidence de la Sûreté de l'État saoudienne, une agence de sécurité responsable de violations répétées des droits humains, a invité les dissidents en exil à rentrer en Arabie saoudite sans crainte de conséquences, dans le cadre d'une offre d'amnistie proposée par le prince héritier Mohammed ben Salmane.
Abdulaziz Al-Howairini a déclaré aux médias d'État que « le royaume accueille favorablement le retour de ceux qui se disent opposants à l'étranger ». Cependant, il a adressé cette invitation « à ceux qui ont été trompés et manipulés pour des motifs inavoués », au lieu d'indiquer un changement de politique gouvernementale vers la tolérance à l'égard des libertés d'expression, de réunion, d'association et de croyance.
De nombreuses personnes sont toujours emprisonnées en Arabie saoudite sur la base d'accusations qui ne constituent pas des crimes reconnus par le droit international. Parmi elles figurent des personnes comme Sabri Shalabi, un psychiatre faussement accusé de terrorisme, des défenseurs des droits humains de renom comme Waleed Abu al-Khair et Manahel al-Otaibi, et des proches de dissidents politiques comme al-Ghamdi.
Dans certains cas, les autorités saoudiennes ont redoublé d'efforts et multiplié les violations contre les défenseurs des droits humains. Parmi les personnes toujours détenues figure al-Otaibi, une monitrice de fitness saoudienne, victime d'une disparition forcée le 15 décembre. Elle a été autorisée à appeler sa sœur le 16 mars, a déclaré un proche à Human Rights Watch. Elle avait été arrêtée à Riyad en novembre 2022 en vertu de la loi saoudienne contre la cybercriminalité pour avoir soutenu les droits des femmes sur X, anciennement Twitter, et publié des photos d'elle sans abaya, une longue robe ample portée par les femmes musulmanes, sur Snapchat, a précisé ce proche.
L’un des frères d'Asaad al-Ghamdi, Mohammed al-Ghamdi, est un enseignant à la retraite qui a été arrêté en juin 2022 et accusé de terrorisme en raison de ses activités pacifiques sur X et YouTube ; il a été condamné à mort en juillet 2023, et est toujours en prison.
Un autre frère d'Asaad al-Ghamdi, Saïd ben Nasser al-Ghamdi, est un érudit musulman qui vit en exil au Royaume-Uni, et qui est connu pour avoir ouvertement critiqué le gouvernement saoudien. Afin de contraindre des dissidents qui vivent à l'étranger de rentrer en Arabie saoudite, le gouvernement saoudien exerce souvent des représailles contre leurs familles qui vivent au royaume, en tant que moyen de pression.
En août 2022, Sabri Shalabi a été initialement condamné à 20 ans de prison, sur la base de fausses accusations de terrorisme ; en décembre 2022, cette peine a été réduite à 10 ans de prison. Son état de santé s'est détérioré et il s'est vu refuser à plusieurs reprises des soins médicaux spécialisés.
Les autorités saoudiennes continuent de cibler et d'arrêter arbitrairement les personnes perçues comme critiques du gouvernement ou celles ayant des liens présumés avec des détracteurs du gouvernement.
Le 31 août 2024, les autorités saoudiennes ont arrêté Ahmed al-Doush, ressortissant britannique et père de quatre enfants, à l'aéroport de Riyad alors qu'il rentrait au Royaume-Uni ; c’est ce qu’a expliqué un membre de sa famille à Human Rights Watch. Son arrestation semble avoir été liée à ses activités sur les réseaux sociaux. Le consulat britannique a indiqué à la famille d'Ahmed al-Doush qu'il avait été interrogé au sujet de ses publications sur X.
Ahmed al-Doush a été détenu à l'isolement pendant deux semaines avant d'être autorisé à appeler son beau-frère en Arabie saoudite pour lui annoncer sa détention, mais sans être autorisé à préciser le lieu de sa détention ni le motif, a indiqué le membre de sa famille. Ahmed al-Doush n'a pu téléphoner plus longuement à sa femme que deux mois plus tard, le 17 novembre.
Les autorités saoudiennes ont détenu Ahmed al-Doush sans inculpation pendant plus de cinq mois, au cours desquels il a été interrogé à plusieurs reprises sans avocat. Le 27 janvier, le juge a informé al-Doush des accusations portées contre lui lors de sa première audience. Toutefois, cette audience a été fixée sans préavis et Ahmed al-Doush n'était pas représenté par un avocat, a déclaré un membre de sa famille. Ahmed al-Doush a alors appris que les accusations reposaient en partie sur des posts qu’il avait publiés sur son compte X six ans auparavant, avant de les supprimer par la suite ; les accusations visant al-Doush étaient aussi liées à son association présumée avec un individu non identifié au Royaume-Uni qui critiquait l'Arabie saoudite, a déclaré son avocat britannique à Human Rights Watch.
Human Rights Watch continue de documenter les abus généralisés au sein du système de justice pénale saoudien, notamment les longues périodes de détention sans inculpation ni procès, le refus d'assistance juridique, le recours à des aveux entachés par la torture comme base unique d’une condamnation, et d'autres violations systématiques des droits à une procédure régulière et à un procès équitable.
L'Arabie saoudite ne dispose pas d'un code pénal officiel ; le projet de code pénal qui serait en cours d’élaboration devrait être pleinement conforme aux normes internationales en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités saoudiennes utilisent des dispositions trop générales et vagues de la loi antiterroriste pour museler la dissidence et persécuter les minorités religieuses. Cette loi viole les droits à une procédure régulière et à un procès équitable, en accordant aux autorités de larges pouvoirs pour arrêter et détenir des personnes sans contrôle judiciaire.
« Les pays alliés de l'Arabie saoudite et la communauté internationale ne devraient pas se faire de fausses idées sur la base des récentes libérations de détenus », a conclu Joey Shea. « Les autorités saoudiennes devraient s'engager véritablement à réformer leur système judiciaire en mettant fin aux abus systématiques et en libérant toutes les personnes emprisonnées pour avoir simplement tenté d’exercer leurs droits. »
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04.04.2025 à 23:47
Human Rights Watch
Le général de brigade retraité Frank Rusagara est décédé la semaine dernière au Rwanda. Il avait passé 11 ans en prison, sans être autorisé à parler à sa femme, décédée au Royaume-Uni en 2016. Sa famille a entendu sa voix pour la dernière fois en 2014, dans les jours qui ont précédé son arrestation. Après sa mort, sa famille a appris qu'il était atteint d'un cancer.
Frank Rusagara a été contraint de prendre sa retraite en 2013, dans un contexte de répression croissante de la part du parti au pouvoir au Rwanda. Il a été arrêté en août 2014 avec son beau-frère, le colonel Tom Byabagamba, ancien chef de la garde présidentielle. Leurs arrestations s'inscrivaient dans un schéma de répression gouvernementale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, à l'encontre de personnes critiques du gouvernement rwandais ou soupçonnées d'avoir des liens avec des groupes d'opposition.
Quelques jours avant l'arrestation de Frank Rusagara, un responsable militaire de haut rang l'a accusé, lors d'une réunion privée, d'avoir des liens avec un groupe d'opposition en exil et d'inciter à l'insurrection. Au cours de son procès, l'accusation a soutenu qu'il avait critiqué le président Paul Kagame et qu’il s'était plaint de l'absence de liberté d'expression et de progrès économique au Rwanda, ayant prétendument qualifié le pays d'« État policier » et de « république bananière ».
Dans une correspondance privée avec des amis et des membres de sa famille, Frank Rusagara a affirmé que son arrestation découlait également d'autres fois où il avait critiqué les politiques de l'État, notamment lorsqu'il avait déclaré que la rébellion du M23 en République démocratique du Congo en 2012 et 2013 était en fait coordonnée par l'armée rwandaise.
Frank Rusagara et Tom Byabagamba ont été condamnés à l'issue d'un procès entaché d'irrégularités en 2016, malgré de graves allégations de torture et de subornation de témoins. Tom Byabagamba est toujours en détention. En 2017, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu que la détention des deux hommes était arbitraire.
Le groupe rebelle dont Frank Rusagara a osé parler il y a plus de 10 ans, le M23, a de nouveau fait des ravages dans l'est de la RD Congo, une fois de plus avec le soutien logistique et armé du Rwanda, provoquant une crise humanitaire. Selon les recherches de l'ONU et de Human Rights Watch, des milliers de soldats rwandais aident le M23 à s'emparer de territoires, y compris de grandes villes.
La mort de Frank Rusagara devrait rappeler le lourd tribut payé par ceux qui, à l'intérieur du système, osent contester les actions du gouvernement. Alors que les partenaires réévaluent l'aide bilatérale au Rwanda à la lumière de son soutien au M23, ils ne doivent pas oublier ceux qui ont tenté de contester les actions de l'État et qui en ont payé le prix.