27.10.2025 à 10:31
Thibault Roques
« La retraite, j'y songe depuis plusieurs années » (RTL, 3 janv. 2022) lâcha bien imprudemment Alain Duhamel un beau jour de janvier 2022. Trois ans plus tard, c'est chose faite. À moins que…
Ce 2 septembre 2024, coup de tonnerre dans le landerneau médiatique : après 60 ans de bons et loyaux services, Alain Duhamel confirme à Alain Marschall et Olivier Truchot que sa retraite est imminente. Quelques jours plus tard, c'est au tour de leur consœur Aurélie Casse de revenir sur ce tremblement de terre : « Vous l'avez annoncé ce lundi, il était 17h40 » (« C l'hebdo », 7 sept. 2024). Qui s'empresse donc d'aller recueillir les confidences de son épouse, le tout accompagné d'un bandeau émouvant : « Le message de France Duhamel à son mari ». S'ensuivent quelques confessions intimes de notre éditorialiste sur sa rencontre avec sa future femme, « capable de plaisanteries incroyables » et pas avare de révélations : « Avec nos enfants, il y a 3 ans, on a quand même été au Maroc, c'était pas si mal que ça, à Noël. » Sans oublier l'essentiel : « Il est perfectionniste, alors il faut que la cravate soit bien repassée, que le pantalon… » La présentatrice, visiblement attendrie, ne peut contenir son émotion face aux épanchements de notre couple : « C'est beau de vous voir amoureux. J'aime bien vous entendre parler d'amour. »
Reste qu'Alain Duhamel est d'abord le modèle ultime de l'éditocrate accompli : omniprésent, omniscient… et toujours impeccablement neutre. C'est un fait, le roi du commentariat n'a jamais été avare de son temps (de parole) ni de sa plume (féroce). S'il débute dans la presse écrite au journal Le Monde, il se diversifie rapidement en intervenant sur la première chaîne de l'ORTF puis sur Antenne 2. Se démultipliant de façon étourdissante au fil du temps, on peut le voir, l'entendre ou le lire à peu près partout au gré des saisons, de RTL à France Télévisions, de Libération à Nice Matin, de L'Express à Témoignage Chrétien en passant par Le Point, BFM-TV ou encore Europe 1. La presse régionale n'est pas en reste puisqu'il gratifie aussi les lecteurs du Courrier de l'Ouest, des Dernières Nouvelles d'Alsace, de Presse-Océan, de L'Éclair, du Maine libre mais aussi de Vendée-Matin (liste non exhaustive) de ses analyses fulgurantes.
Comment expliquer cette omniprésence ? Duhamel s'appuie sur une connaissance fine de tous les sujets ou presque, de l'Iran à la sociologie, de la politique (politicienne de préférence) à la justice et aux otages. Frotté de culture Sciences Po, il ne rechigne pas, en effet, à s'aventurer sur des terrains plus escarpés, ni même à répondre à des questions ineptes.
Le centrisme acharné d'Alain Duhamel n'est sans doute pas sans rapport avec sa surface médiatique. Apparu sur les écrans aux temps bénis de l'ORTF, épousant la ligne officielle des médias d'État de l'époque et représentant depuis toujours le cercle de la raison, il sait en toutes circonstances être « radicalement modéré » dixit (la moins modérée) Eugénie Bastié. Sa pensée parfaitement équilibrée, d'une neutralité et d'une tiédeur à toute épreuve, est certainement la meilleure explication de sa longévité dans les médias dominants. Rare imprudence, notre observateur avisé commit l'irréparable un jour de 2007, lors d'un débat à Sciences Po avec Marielle de Sarnez (alors leader du Modem, parti centriste), incapable qu'il fut de taire son intention de voter pour François Bayrou – il sera suspendu d'antenne par France 2 et RTL qui ne lui en tiendront pas rigueur puisqu'il reprendra du service seulement quelques mois plus tard.
Ne brillant certes pas par sa pugnacité ou son impertinence, il est passé à la postérité comme « l'intervieweur de présidents ». Si les chefs d'État successifs l'ont adoubé, c'est vraisemblablement qu'ils ne craignaient pas d'être malmenés par notre éditorialiste vedette – qu'ils décorèrent d'ailleurs de la Légion d'honneur en 2005. Quand on lorgne de telles médailles, mieux vaut en effet être du côté du manche, laisser parler ses intérêts de classe et se mettre ainsi au service des puissants. Voici par exemple ce qu'il disait sur les retraites : « L'opinion publique a évolué, on a pris conscience du fait que malheureusement, il était inéluctable d'allonger la durée de cotisations. » (RTL, 6 nov. 2007), martelant sur les mêmes ondes que « la réforme des retraites, c'est la plus urgente, la plus nécessaire » (RTL, 23 mars 2010). Comme le soulignait le regretté Michel Naudy, « vous ne restez jamais à l'antenne impunément, jamais ». Imaginez-donc 60 ans durant... Alain Duhamel peut également compter sur un club de collègues admiratifs qui voient en lui « le prince des chroniqueurs politiques » ; Sonia Devillers n'hésite pas à mordre dès l'entame de l'entretien qu'elle mène le 2 juillet dernier sur France Inter : « Vous qui êtes un grand éditorialiste... ». Même ses activités extra-médiatiques sont saluées à l'antenne : « Je peux le dire, je vous ai vu jouer au tennis et je vous ai trouvé remarquable » (Apolline de Malherbe, RMC, 3 sept. 2024). Mais Alain Duhamel sait aussi renvoyer l'ascenseur, notamment à son compère Jean-Pierre Elkabbach : « J'admire le virtuose inégalable ». On a les admirations qu'on mérite…
Après 60 ans de bons et loyaux services médiatiques, on aurait pu croire qu'Alain Duhamel allait enfin passer la main, comme il l'avait annoncé et comme sa femme l'avait exigé. Las… alors qu'il était théoriquement retraité depuis 2 mois déjà, il eut droit à une interview en pleine page dans le journal vespéral de référence (Le Monde, 7 sept. 2025). Mieux – ou pire – l'AFP (4 juil. 2025) nous informait au lendemain de sa retraite supposée que « dès la rentrée fin août, l'oncle de Benjamin Duhamel sera à l'antenne de la matinale de RTL tous les lundis à 09h10 pour commenter de grands thèmes d'actualité. Sur BFMTV, où il avait jusqu'à présent une émission quotidienne, il devrait intervenir le vendredi en fin d'après-midi ». Et les secousses politiques du moment ne sont pas de nature à nous rassurer puisque l'invité permanent des plateaux affirmait il y a quelques jours, un brin flagorneur, que « s'il se passe des choses importantes et qu'on me demande mon avis, surtout si c'est quelqu'un qui interroge bien… je vous dirai oui ». Tout récemment encore, il a élargi sa palette en intervenant dans l'émission « Quotidien » de Yann Barthès et semble donc plus que jamais parti pour rester. Laissons à France Duhamel le mot de la fin : « Ah oui, il a du mal à décrocher, c'est sûr… mais enfin il faudra que ça se termine, hein, vous êtes bien d'accord ? »
Thibault Roques
22.10.2025 à 20:02
Une revue de presse si ce n'est exhaustive, du moins indicative.
Semaine du 3 novembre 2025
Libération, 7/11 — France Info fait-elle du CNews avec sa nouvelle émission « le Pour et le Contre » ? Arrêt sur images, 7/11 — Taxe Zucman : la grande désinformation Le Monde, 7/11 — Chez Prisma Media, la reprise en main éditoriale touche aussi les magazines télé : « Depuis la fin de l'été, c'est comme si le rachat par Vivendi venait de devenir effectif » Blast, 7/11 — Sanction de CNews validée (…)
Une revue de presse si ce n'est exhaustive, du moins indicative [1].
[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.
22.10.2025 à 11:55
Jérémie Younes, Mathias Reymond
Un interrogatoire habituel sur France Inter… qui vire à la polémique politico-médiatique.
Lundi 13 octobre, Jean-Luc Mélenchon est l'invité de la « Grande Matinale » de France Inter. Le jour est spécial : les derniers Israéliens détenus par le Hamas ont été libérés le matin même, des Palestiniens sont relâchés par Israël et Donald Trump est à la Knesset pour présenter son dit « plan de paix ».
Lancé par Nicolas Demorand sur le gouvernement « Lecornu II », Mélenchon préfère commencer par un mot de « bonheur » en solidarité avec les familles des Israéliens et des Palestiniens libérés. Mais Benjamin Duhamel ne semble pas trop croire à son émotion : « […] Sauf que quand on a lu et vu un certain nombre de vos réactions […]. Vous avez par exemple écrit sur X, Jean-Luc Mélenchon : "Une fois de plus les Palestiniens devront subir un nouvel ordre politique étranger" », le tance l'intervieweur, en citant (à moitié) un tweet posté quatre jours plus tôt [1]. « L'eurodéputée insoumise Rima Hassan a parlé d'un plan de paix à la dimension "néocoloniale" et "néolibérale" ! », poursuit Duhamel, qui semble découvrir l'existence de ces mots à l'antenne. Avant la banderille finale : « On entend ce que vous dites ce matin sur ce bonheur de voir les otages israéliens libérés… Est-ce pour autant difficile de reconnaître le succès diplomatique qui permet cette libération des otages ? » Au fur et à mesure de sa très longue question, on voit l'angle de Benjamin Duhamel se resserrer sur ce qui l'intéresse vraiment, qui n'est ni le cessez-le-feu, ni les otages israéliens… et encore moins les Palestiniens : faire avouer à Mélenchon que Trump avait raison ! « Pour les congratulations, on compte sur vous », le rabroue son invité.
L'échange se tend et Duhamel embraye sur son second angle : « Jean-Luc Mélenchon, une question très précise… [...] C'est une question qu'on a souvent posée aux insoumis, avec parfois des réponses assez floues : est-ce que vous êtes favorable à la démilitarisation du Hamas ? » La question est en effet souvent adressée aux responsables de gauche, et fait en cela figure d'exception au regard d'une longue liste de questions qui, elles, ne se posent jamais. Pas satisfait par la première réponse, Duhamel reprend : « [...] La dernière fois qu'il y a eu des élections, c'était en 2006, le Hamas a été élu à Gaza. » « Je viens de vous répondre », répète Jean-Luc Mélenchon. Mais Duhamel n'est toujours pas rassasié : « Donc le Hamas n'est pas disqualifié ? Puisque vous dites "ça dépendra du résultat des élections"… » Avant d'y revenir une quatrième et dernière fois : « Je constate qu'à la question "Le Hamas doit-il déposer les armes", qui est une question assez simple, vous n'y répondez pas. »
À la fin de l'interrogatoire, qui s'est prolongé autour de la question des retraites et de la censure du gouvernement Lecornu, Jean-Luc Mélenchon se lève en adressant un geste d'humeur de la main aux intervieweurs. Le soir-même, « Quotidien » (TMC) s'empare de la séquence comme d'une bombe. Le magazine de Yann Barthès diffuse des rushs de France Inter, sur lesquels on voit Mélenchon quitter le studio : « Et voici la fin de l'interview, décrit Barthès. Et la classe LFI, c'est des doigts menaçants [sic] et… un doigt ! Un doigt d'honneur aux journalistes du service public, c'est ça la classe LFI […] ! » Les images montrées par « Quotidien » ne sont pas très convaincantes, aussi l'animateur insiste-t-il – « Alors, après vérification, ceci est bien un doigt. » – en les rediffusant zoomées et ralenties… sans toutefois que les images ne soient plus concluantes.
Peu importe ! « Quotidien » semble sûr de son coup, et la séquence devient virale avec les tweets (simultanés et identiques) des chroniqueurs Jean-Michel Aphatie et Julien Bellver : « Avez-vous vu ce doigt d'honneur ? ».
La machine est lancée. Le lendemain, sur France Inter, Sophia Aram revient sur l'émission et assure, en présence de Benjamin Duhamel, que l'échange s'est « terminé par un doigt d'honneur ». Sur RMC, dans les « Grandes Gueules », on s'interroge : « Le doigt d'honneur de Jean-Luc Mélenchon au journaliste Benjamin Duhamel : honteux ? » Les chroniqueurs s'indignent et comparent cela à une « menace contre la presse ».
Sur Europe 1, c'est un festival, et Christine Kelly s'émeut : « Quel exemple pour nos jeunes, quel exemple pour la France ! » Dans le même studio, Erik Tegnér va plus loin : « Le service public a créé un monstre et ne le contrôle plus. » Le soir-même sur BFM-TV, c'est Marc Fauvelle qui affirme que « Jean-Luc Mélenchon est ressorti extrêmement fâché, hier, du studio de la matinale de France Inter [...] en faisant un doigt d'honneur ». « Mélenchon fait un doigt d'honneur », titrent deux journaux d'extrême droite, Valeurs Actuelles et le JDD. Sud Radio se délecte aussi de la séquence et titre une chronique de Périco Légasse : « Jean-Luc Mélenchon quitte le plateau en faisant un doigt d'honneur » – le titre ne reflète en rien la chronique, qui ne porte pas spécialement sur le doigt d'honneur… mais c'était le mot-clef du jour ! L'info intéresse aussi la presse people : « Jean-Luc Mélenchon exaspéré par Benjamin Duhamel : son doigt d'honneur n'est pas passé inaperçu… » (Gala, 14/10). Sur TF1, face à Manuel Bompard, Bruce Toussaint rebondit aussi à sa manière sur l'actualité du jour : « Vous allez me faire un doigt d'honneur en sortant du studio ? » Et la polémique ne pouvait échapper à « C à vous » (France 5, 16/10). Un « geste dont tout le monde parle », résume Anne-Élisabeth Lemoine, et qui a beaucoup choqué Bruce Toussaint, invité à commenter une scène « inadmissible ». Bref, la quasi-totalité de la presse a vu la même chose et le conditionnel n'est pas de rigueur. Il n'y a guère que Le Figaro – une fois n'est pas coutume – pour prendre à revers le torrent éditorial, y voyant « une polémique ridicule sur un supposé doigt d'honneur (qui n'en était pas un) » (16/10).
Comme souvent, le ridicule va culminer dans l'émission « Quelle Époque ! » de Léa Salamé sur France 2. La présentatrice du 20h a invité ses anciens collègues de France Inter, Nicolas Demorand, Benjamin Duhamel et Sonia Devillers à refaire le film. Ensemble, la petite bande de copains débriefe notamment « l'altercation » avec Jean-Luc Mélenchon. Le chroniqueur (et co-producteur de l'émission) Hugo Clément demande alors aux principaux intéressés, Demorand et Duhamel : « Vous, vous l'avez vu, ce doigt d'honneur ? » La séquence tourne en boucle depuis une semaine et c'est la première fois que la question leur est directement posée : « Non ! Non, non, non, répond sans hésitation Benjamin Duhamel, ni Nicolas ni moi ne voyons ce qui se passe en sortant du studio ». De son côté, Jean-Luc Mélenchon réagit le 18 octobre, dans son émission « Allo Mélenchon », sur sa propre chaîne Youtube : « Je vais décevoir tout le monde ce soir, non, ce n'était pas un doigt d'honneur… »
Résumons : l'image utilisée par « Quotidien » n'est pas concluante, les témoins de la scène disent n'avoir rien vu, et le principal intéressé dément. Le faisceau d'éléments est bien faible, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais saturer l'espace médiatique d'une nouvelle polémique absurde contre la gauche ne se refuse sous aucun prétexte : pas même celui du journalisme.
Jérémie Younes et Mathias Reymond
[1] « Après tant de morts et de mois de génocide, un cessez-le-feu est à l'ordre du jour à Gaza. Comment ne pas s'en réjouir. Comment ne pas s'associer à la joie et à l'espérance des familles de tous les otages et prisonniers. Mais une fois de plus, les Palestiniens devront subir un nouvel ordre politique étranger. Et qui peut croire à la parole de Trump ? Depuis notre continent, venons en appui lucide et vigilant au cessez-le-feu en restant attentifs et mobilisés. » (X, 9/10).