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06.09.2024 à 11:05

Un peu d'été en plus, à Bamako et ici, avec Amadou et Mariam

L'Autre Quotidien

Cela fait 20 ans qu'Amadou et Mariam sont entrés dans la cour des grands avec Dimanche à Bamako, l'album produit par Manu Chao qui s'est vendu à un demi-million d'exemplaires dans le monde entier. Leur dernier album de nouvelles chansons remonte à sept ans. Mais voici une compilation de 18 titres qui prouve que le couple malien aime collaborer.
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Alors que Michel Barnier vient d’être nommé Premier ministre, envoyons un peu de son du côté des malvoyants pour faire bonne mesure. A la différence près que le couple de Bamako apporte la joie. La Vie Est Belle est le premier album Best-Of d'Amadou et Mariam, mais il va plus loin : cette collection contient trois nouveaux singles et des titres inédits. Ce que le susnommé ne peut affirmer à ce jour … 

Cela fait 20 ans qu'Amadou et Mariam sont entrés dans la cour des grands avec Dimanche à Bamako, l'album produit par Manu Chao qui s'est vendu à un demi-million d'exemplaires dans le monde entier. Leur dernier album de nouvelles chansons remonte à sept ans. Mais voici une compilation de 18 titres qui prouve que le couple malien aime collaborer.

On y trouve bien sûr leur nouveau single "Mogolu", à la fois élégant et charmant, ainsi que des rappels de leurs gloires passées et des remixes. Le set démarre avec "Sabali", produit par Damon Albarn, qui passe d'un début lancinant à un final tourbillonnant et glorieux. On retrouve également sur Welcome to Mali (2008) "Ce N'est Pas Bon", "Africa", avec l'excellent K'Naan, et "Masiteladi (feat M)". Le set comprend également le glorieux rocker à la guitare "Dougou Badia (feat Santigold)", extrait de Folila (2012). Et bien sûr, il y a un lot de vieux favoris de Dimanche à Bamako. Enjoy, la rentrée risque de se refroidir assez vite.

Jean-Pierre Simard le 9/09/2024
Amadou & Mariam - Best of - La Vie est belle - Because

05.09.2024 à 17:24

Les chemins du savoir générationnel de Stéphanie Santana

L'Autre Quotidien

S'appuyant sur différents supports pour tisser son propre langage visuel, le travail de Stephanie Santana pose la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer du passé pour préparer l'avenir ? Commencé en 2022, son projet en cours, The Wayfinding Series, rend hommage aux femmes noires en tant que "montreuses de chemin, planificatrices, stratèges, sauteuses de lignes temporelles et archivistes".
Texte intégral (4590 mots)

S'appuyant sur différents supports pour tisser son propre langage visuel, le travail de Stephanie Santana pose la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer du passé pour préparer l'avenir ? Commencé en 2022, son projet en cours, The Wayfinding Series, rend hommage aux femmes noires en tant que "montreuses de chemin, planificatrices, stratèges, sauteuses de lignes temporelles et archivistes".

Wavelength,” screenprint, wax pastel and hand-painted flashe on appliquéd and pieced cotton textile, machine quilting, 36 x 49.5 inches / 91.4 x 125.7 cm, unique, 2024 © Stephanie Santana

Commencé en 2022, le projet en cours de Stephanie Santana, The Wayfinding Series, rend hommage aux femmes noires en tant que "montreuses de chemin, planificatrices, stratèges, sauteuses de lignes temporelles et archivistes". Il incorpore des images photographiques, de la gravure improvisée, du quilting et de la broderie dans des imprimés et des œuvres textiles qui honorent les rôles et les expériences des femmes noires, reflétant la richesse et la complexité de leurs vies et de leurs identités.

Le processus de Santana est plus qu'un moyen de production visuelle ; l'artiste utilise des techniques tactiles et méditatives qui l'aident à se reconnecter à la sagesse ancestrale. Créant un dialogue évocateur et ouvert entre le passé, le présent et l'avenir, l'œuvre invite les spectateurs à voir les liens entre les expériences historiques et les réalités actuelles, ce qui favorise une compréhension plus profonde des récits qu'elle présente.

Dans cet entretien, Santana parle à Liz Sales des processus créatifs en tant que mode de connaissance, de l'exploration thématique et de l'évolution de son travail, ainsi que des techniques matérielles et conceptuelles qu'elle emploie pour évaluer les connaissances intergénérationnelles et encourager des compréhensions historiques plus larges.

Installation view of "Ways of Knowing," The Print Center, Philadelphia, PA. 2024. Photo: Jaime Alvarez © Stephanie Santana

Liz Sales : Votre récente exposition personnelle au Print Center de Philadelphie s'intitulait Ways of Knowing. Comment en êtes-vous venue à ce titre ?

Stephanie Santana : J'ai été profondément intéressée par la compréhension des ancêtres matriarcales réelles et imaginaires, en particulier par la façon dont elles ont navigué et survécu à des situations d'oppression ou de minorisation. En faisant ce travail, j'ai réalisé que je créais un processus qui me permettait d'accéder à la connaissance. Le titre Ways of Knowing reflète donc les diverses méthodes que j'ai explorées et découvertes pour comprendre qui nous sommes et ce que nous savons.

LS : Diriez-vous que votre processus de création est en soi une manière de savoir ?

SS : Oui. Lorsque je couds un tissu ou que je m'engage dans un processus physique, je ressens un lien avec mes ancêtres, imaginant qu'ils s'adonnaient à des activités similaires. Ce sentiment de continuité avec le passé me donne l'impression de voyager dans le temps. La fabrication incarnée me permet d'acquérir le type de connaissances qui se transmettent de génération en génération et qui sont ancrées dans la pratique elle-même.

“Until You Rest,” screenprint on pieced cotton textile, batting, thread 40 x 58 inches / 101.6 x 147.32, unique, 2024 © Stephanie Santana

LS : Cette série fait partie d'un projet plus vaste intitulé "The Wayfinding Series". Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

SS : Avant cette série, je travaillais principalement avec des photos de famille, en me concentrant sur la commémoration de personnes ou d'événements spécifiques. En 2020, j'ai créé une œuvre textile matelassée intitulée She Sent Him Back to His Mother (Elle l'a renvoyé à sa mère), qui présente une photo d'un parent peu après son décès. Cette œuvre a été réalisée pendant une période de deuil et se voulait commémorative.

Avec The Wayfinding Series, mon travail a évolué pour intégrer davantage d'éléments narratifs, de construction de mondes et de récits. Une grande partie du travail traite des limites sociales imposées aux femmes noires et explore la manière dont nous nous libérons de ces attentes. Il nous honore en tant que personnes qui savent comment trouver un chemin vers l'avant lorsqu'il ne semble pas en exister un.

LS : Pouvez-vous me parler de votre processus de recherche ? Comment sélectionnez-vous les photographies personnelles et historiques de votre travail ?

SS : De nombreuses photographies de la série proviennent du travail de mon grand-père. Il était photographe et éducateur à Dallas, au Texas, et photographiait souvent les membres de sa famille et de sa communauté, et développait les films dans une chambre noire située à l'arrière de sa maison. J'ai également travaillé avec des photographies provenant des archives de ma grand-tante. Je sélectionne des photographies qui m'intriguent, que je pense qu'il y a quelque chose à approfondir dans le sujet de la photographie ou que je suis intéressée par la façon dont le regard du sujet rencontre ou s'éloigne de l'objectif de l'appareil photo.

Installation view “Ways of Knowing (Until You Rest, Through Shadows, Vantage Point),” The Print Center, Philadelphia, PA. 2024. Photo: Jaime Alvarez © Stephanie Santana

LS : J'apprécie la manière dont certaines images se répètent dans l'œuvre, à la fois au sein d'une même pièce et d'une pièce à l'autre. Pourriez-vous nous parler de cette répétition ?

SS : J'espère inviter les gens à s'engager dans un processus d'observation plus lent et plus intime. Je vois quelque chose de différent chaque fois que je regarde les photographies avec lesquelles je travaille. Je m'intéresse beaucoup à l'exploration de la vérité d'une image et à la manière dont elle peut être modifiée ou ouverte pour créer de multiples lignes temporelles et narratives. Chaque fois que je travaille avec une photographie, la narration change. Cela dépend souvent de la manière dont la photographie est utilisée en relation avec d'autres éléments visuels de l'œuvre, les annotations faites avec la broderie, la couleur et l'application, etc.

Dans une pièce, Vantage Point, je fais référence au travail domestique, un thème récurrent dans mon travail. En tant que mère et artiste travaillant constamment avec mes mains, j'ai souvent l'impression d'être dans un état continu de travail physique. Cette œuvre montre une petite fille qui regarde au-delà du cadre, loin des images de femmes qui représentent les attentes sociétales placées sur elle pour effectuer un travail ou se présenter d'une manière jugée "respectable". Dans une autre pièce sur laquelle je travaille, la même image de la petite fille est présentée, mais une plus grande partie de l'arrière-plan est visible, ce qui donne au spectateur plus d'informations sur un lieu et un moment particuliers de l'histoire. C'est une façon de travailler en multiples en tant que graveur, mais en explorant les possibilités du médium d'une manière qui vise davantage à voir une image ou une idée d'un œil nouveau à chaque fois, plutôt qu'à créer une reproduction.

“Communion,” screenprint and hand-painted flashe on appliquéd cotton textile, machine quilting, 30 x 52 inches / 76.2 x 132 cm, unique, 2024 © Stephanie Santana

LS : Pourriez-vous détailler votre approche de l'utilisation de la couleur ?

SS : Dans une partie de l'œuvre textile Safe Passage, on voit une figure maternelle qui se tient dans une position protectrice avec deux enfants. L'image d'elle et des enfants est répétée et se transforme en une sorte de "bleu nuit" lorsqu'ils traversent un portail ou un passage. J'ai choisi cette couleur bleue en hommage à son utilisation historique dans le sud des États-Unis par les personnes d'origine africaine pour éloigner les mauvais esprits, en imitant la couleur du ciel ou de l'eau. Mon utilisation de la couleur renvoie souvent à des significations historiques et/ou symboliques, ou sert d'annotation.

LS : Y a-t-il d'autres points de contact qui nous aident à comprendre votre pratique ?

SS : Une grande partie de mon travail est influencée par nos sommités culturelles et littéraires, telles que bell hooks, Toni Morrison, Christina Sharpe et Tina Campt. Le concept de "regard oppositionnel" est au cœur de mon travail : il s'agit d'une idée et d'un terme inventés par bell hooks pour décrire le regard comme un acte de rébellion et un lieu de résistance ; un moyen pour les Noirs de rejeter les structures de domination et de maintenir leur pouvoir. Certaines images de mon travail montrent des sujets qui regardent de côté, traduisant un manque d'intérêt pour la perception du spectateur, tandis que d'autres présentent un regard direct, invitant à l'interaction. J'espère toujours encourager les gens à s'engager dans mon travail, afin qu'ils puissent y trouver un élément qui résonne avec leurs expériences ou qui remette en question leurs perceptions.

Vantage Point,” screenprint, monotype on appliquéd and pieced textiles, hand embroidery, 33.75 x 34.5 inches / 85.7 x 87.6 cm, unique, 2022 © Stephanie Santana

LS : Pourriez-vous nous parler de votre processus concernant vos matériaux et techniques, y compris la gravure, la couture et la broderie ?

SS : Je sérigraphie souvent un certain nombre d'images à la main et j'attends de les utiliser jusqu'à ce que quelque chose me parle. J'ai tendance à travailler avec un ensemble d'images à la fois, et les pièces s'assemblent en discutant les unes avec les autres. La peinture à la main, la broderie et l'appliqué sont des moyens d'ajouter des couches de temps et de mémoire. Toutes les pièces matelassées que je réalise sont des œuvres uniques construites avec des techniques à la main et à la machine, et je commence généralement avec du coton de matelassier de couleur unie pour laisser de la place à l'ajout de motifs et de textures qui semblent spécifiques à une pièce particulière.

LS : Quel impact espérez-vous avoir sur la compréhension par votre public des thèmes que vous explorez dans votre travail ?

SS : Je souhaite inviter à un processus plus lent, en encourageant les spectateurs à prendre leur temps plutôt que de passer rapidement à autre chose. Je reviendrai sur Safe Passage, qui fait référence à la fuite ou à la recherche d'un itinéraire sûr, et évoque des moments historiques comme le passage par le chemin de fer clandestin, ou la situation actuelle en Palestine, où des personnes ont été attaquées sans relâche alors qu'elles tentaient d'échapper à un génocide en empruntant des routes désignées comme étant "sûres". Je pense beaucoup à notre moi fugitif et à la manière dont nous nous éloignons des structures de domination et trouvons des espaces de récupération. Il s'agit d'une préoccupation constante qui s'étend à de nombreuses générations et à de nombreuses cultures. En réalisant ce travail, je pose la question suivante : quelles leçons pouvons-nous tirer du passé pour préparer l'avenir ?

En savoir plus sur Stephanie Santana ici et là.

Interview de Liz Sales pour Lens Culture, adapté par la rédaction le 9/09/2024
Stephanie Santana - Les chemins du savoir générationnel

"Safe Passage," screenprint, monotype and hand-painted flashe on pieced, appliquéd and cotton textile, hand embroidery, machine quilting, 49 x 51.5 inches / 124.5 x 130.8 cm, unique, 2024 © Stephanie Santana

05.09.2024 à 16:31

Le dérèglement de tous les temps avec Stéphane Beauverger

L'Autre Quotidien

Publié en 2009 à La Volte, devenu depuis, de manière ô combien méritée, un véritable classique de la science-fiction française contemporaine, le quatrième roman de Stéphane Beauverger nous entraîne entre Caraïbes flibustières et déferlements de dérèglements temporels dans une langue somptueuse. Relu aujourd'hui, c'est toujours aussi bluffant.
Texte intégral (4278 mots)

Caraïbes flibustières et déferlements de dérèglements temporels : un classique instantané de la SF française contemporaine, dans une langue somptueuse.

À bord du Déchronologue après la débâcle (circa 1653)
Je suis le capitaine Henri Villon et je mourrai bientôt.
Non, ne ricanez pas en lisant cette sentencieuse présentation. N’est-ce pas l’ultime privilège d’un condamné d’annoncer son trépas comme il l’entend ? C’est mon droit. Et si vous ne me l’accordez pas, alors disons que je le prends. Quant à celles et ceux qui liront mon récit jusqu’au bout, j’espère qu’ils sauront pardonner un peu de mon impertinence et, à l’instant de refermer ces chroniques, m’accorder leur indulgence.
D’ici quelques minutes, une poignée d’heures tout au plus, les forces contre lesquelles je me suis battu en auront définitivement terminé avec moi et ceux qui m’ont suivi dans cette folle aventure. j’ai échoué et je vais mourir. Ma frégate n’est plus qu’une épave percée de part en part, aux ponts encombrés par les cris des mourants, aux coursives déjà noircies par les flammes. Ce n’est ni le premier bâtiment que je perds ni le premier naufrage que j’affronte, mais je sais que nul ne saurait survivre à la dévastation qui s’approche. Bientôt, pour témoigner de l’épopée de ce navire et de son équipage ne resteront que les pages de ce journal. Permettez donc que je prenne un peu du temps qu’il me reste pour les présenter comme je l’entends.
Je me nomme Henri Villon et suis l’unique capitaine de la merveille baptisée Déchronologue. Il s’agit de mon véritable patronyme. Je me dois de le préciser, tant il est courant d’en changer parmi les gens qui embrassent ma profession de coureur d’océans et de fortune. Français, je fus, davantage par défaut que par désir, et cette nationalité que je n’ai pas choisie ne m’a guère été d’un grand secours sur une mer caraïbe où les drapeaux feront toujours office de linceuls pour les crédules et les exaltés.
Pour des raisons d’honnêteté et de circonstances qui se révèleront ultérieurement, je ne saurais donner mon âge avec certitude, mais je peux dire que je suis né en la belle et éruptive terre de Saintonge au printemps de l’an 1599. Si j’en crois le décompte des jours notés dans le carnet qui ne quitte jamais ma poche, il semblerait que j’aie vécu environ un demi-siècle. Disons que c’est un nombre qui me convient. À propos de mes parents et de mon enfance, je ne dirai pas grand-chose, tant le sujet serait vite tari ; mais je préciserai tout de même que je grandis dans une famille suffisamment aisée pour qu’elle m’espérât une belle carrière de négociant ou d’officier, au terme d’une éducation solide qui sut – peut-être pour mon plus grand malheur – m’éveiller à la lecture des beaux textes et des grands esprits. En cette province instable, enfiévrée par les querelles de la foi, je crois que je n’avais été ni plus ni moins qu’un enfant de mon siècle, modelé à l’image de mes proches, pieux réformés et vaillants défenseurs du parti protestant. Si j’étais né plus tôt, lorsque l’Aquitaine constituait encore un des plus beaux joyaux de la couronne d’Outre-Manche, j’aurais aussi bien pu me découvrir anglais, et me faire mieux accueillir dans les ports fidèles à Charles Ier que dans ceux se réclamant de Louis XIII. Mais les hoquets de l’histoire et le courroux des rois m’avaient fait naître sujet de la couronne de France. je peux avouer aujourd’hui que je n’ai jamais, au gré de mes rencontres, accordé à ces questions de frontières plus d’importance que ne me le dicta la prudence.
Par mes précepteurs, j’ai autrefois appris le latin, mais je n’en fis guère d’autre usage que pour briller auprès des cervelles épaisses et des gredins en souliers vernis ; je parle suffisamment l’anglais pour savoir que ces gens-là ne sont pas pires que d’autres, et pas moins honnêtes qu’un négociant de Bordeaux ou de Nantes ; j’ai assez voyagé pour ne pas ignorer que mon métier de flibustier vient du néerlandais vrij buiter, qui pourrait se traduire par « libre butineur » ou « libre pilleur » ; je possède même quelques rudiments d’espagnol, car il est toujours préférable de comprendre ce que vous ordonne un adversaire. bref, pour tracer ma route en ce monde, j’ai su faire autant usage de mon verbe que de ma lame – que je manie cependant très correctement – et j’aime à penser que je n’ai jamais occis que ceux qui ne m’en ont pas laissé le choix.
Sur les raisons qui me firent embrasser la carrière de capitaine caraïbe, je ne me pencherai pas non plus outre mesure. De peur, peut-être, de tomber par-dessus bord à trop vouloir en discerner le fond ; par mésestime avouée, sûrement, des aumôniers, des juges et de tous ces gens tant désireux d’écosser autrui pour en sucer la fibre. Je crains de n’accorder que maigre valeur aux vertus de la confession, mais je dirai tout de même ceci : je fus, en mes lointaines années d’une foi moins avariée, parmi les insoumis de La Rochelle qui s’arc-boutèrent contre la crapulerie royale et catholique. Jusqu’à devenir plus infâmes que l’assiégeant, pour ne pas lui céder trop vite, en chassant de la cité femmes, enfants, vieillards au profit des seuls combattants. Pour gagner un peu de temps. Oui, du haut de ces remparts qui allaient bientôt être rasés par monsieur de Richelieu, je pris suffisamment part à l’avilissement et à la barbarie des hommes pour m’en aller chercher l’oubli à l’autre bout du monde. Et ne plus avoir envie d’en parler.

Journal intime du capitaine de flibuste Henri Villon, couvrant une période apparemment comprise entre 1640 et 1653 (avec deux incursions décisives à la « fin du temps connu » et en 1655), en 27 chapitres à la chronologie soigneusement chahutée, aux quatre coins des Caraïbes comme des terres continentales et de l’Atlantique qui les bordent immédiatement, « Le Déchronologue » nous propose une narration formidable, à la fois imagée, guerrière, gouailleuse et… élusive en diable, tant les repères chronologiques y sont vite frappés de péremption accélérée. C’est que dans cet univers qui aurait peut-être pu être le nôtre, quelque chose ou quelqu’un a détraqué la trame du temps dans le futur, et des bouffées de cet avenir proche ou lointain – ou parfois de passés incertains – font désormais irruption dans le réel d’Henri Villon et de ses contemporains, sous forme d’artefacts industriels, d’instruments indéchiffrables, mais plus grave, et de loin, d’unités navales entières (on croisera ainsi par exemple des quadrirèmes dignes d’« Agora zéro » mais surtout un fantomatique et immense vaisseau gris que l’on jurerait issu du film « The Final Countdown » (1980), ou « Nimitz – Retour vers l’enfer » en français), de voyageurs d’outre-temps pas nécessairement exempts de tout reproche, voire – pour peu que l’on manipule sans les comprendre certaines maravillas « technologiques » – d’improbables fusions contre nature de bribes temporelles normalement disjointes.

Publié en 2009 à La Volte, devenu depuis, de manière ô combien méritée, un véritable classique de la science-fiction française contemporaine, le quatrième roman de Stéphane Beauverger, après la trilogie « Chromozone », entrechoque avec un extrême brio le récit flibustier irrigué de bizarre, à la manière du Tim Powers de « Sur des mers plus ignorées » (1987) ou du Valerio Evangelisti de la trilogie « Tortuga » / « Veracruz » / « Cartagena » (2008-2012) – dont hélas seul le premier volume a été traduit en français – sachant que les épopées navales de Patrick O’Brian (dont on finira bien, enfin, par vous parler sur ce blog) ou de Gilberto Villaroel ne sont sans doute pas si loin, avec les guerres temporelles familières aux lectrices et lecteurs de Poul Anderson (« La patrouille du temps », 1960), de Fritz Leiber (« Le grand jeu du temps », 1958), ou même de la si surprenante Amal El-Mohtar (« Les oiseaux du temps », 2019) – familiarité qu’il parvient toutefois ici à détourner et renouveler d’une manière magnifique.

La nuit était longue et bleue comme une lame de Tolède. Nos trois torches griffaient ses ténèbres, leurs grésillements accrochant des reflets sauvages aux bijoux et médailles de mes matelots pour conjurer les ombres. D’un pas lent, doigts serrés sur son poignard, le gros Perric ouvrait la marche pour notre cortège. Je voyais ses longs cheveux sales dégouliner de sa lourde tête de cheval de labour. Derrière moi, le Cierge et la Crevette suivaient sans bruit. L’obscurité qui avait englouti Port-Margot aurait pu receler cent périls, mais je n’en marchais pas moins au centre du triangle flamboyant de mon escorte : ce soir, le capitaine Villon souhaitait que son équipée fût aussi remarquable que remarquée. Avant notre descente à terre, tandis que les premières étoiles taquinaient le ciel, j’avais fait porter le Chronos au mouillage à l’écart du reste de notre petite escadre et ordonné la mise en perce d’un de mes précieux tonneaux de vin de Bourgogne, avant d’interdire à l’équipage de descendre à terre. J’étais certain d’être obéi : la nuit sucrée de Port-Margot exhalait le printemps caraïbe, le fer et le sang.
À la manière des autres colonies mal établies sur ce rivage hostile, les autochtones n’ignoraient point qu’ils ne tenaient ainsi, accrochés aux bourses trop pleines de l’empire espagnol, qu’à la faveur de cette indolence propre aux géants jamais trop prompts à se gratter le cul. Planté sur la côte nord-ouest de la grande île d’Hispaniola, fondé moins de dix ans plus tôt par quelques intrépides Français venus comme nous des rivages plus cléments de Saint-Christophe, le petit domaine de Port-Margot s’acharnait à exister. Il abritait plusieurs poignées de ruffians, trafiquants et négociants de mauvaise mine, cherche-fortune et traîne-misère, tous entassés à l’écart des regards catholiques, sous les toits glaiseux d’une vingtaine de masures jetées là à la manière de dés pipés. Parfois, quelques navires y faisaient aiguade. Rarement, leur nom méritait d’être retenu. Dans un sabir mal mélangé de gens de mer aux accents portugais, anglais, français, hollandais ou bretons, on y échangeait de la poudre contre des peaux, de l’indigo ou des bois précieux. Port-Margot : comptoir huguenot âgé de moins d’une décennie, puant l’impatience et la faim, incrusté dans l’échine hérissée de l’Espagnol haï, où des affaires complexes de politique et d’argent m’avaient amené à faire escale en compagnie de meilleurs patriotes que moi-même. Cette nuit, couteaux et complots y fredonnaient des refrains dont j’étais le chef de chœur. Cette nuit, les clairvoyants comme les circonspects avaient mouché leur chandelle et s’étaient faits tout petits.

Comme il le montrera à nouveau avec un éclat singulier dans « Collisions par temps calme », en 2021, Stéphane Beauverger a toujours développé un intérêt spécifique pour le questionnement et l’exploration de l’utopie, de ce principe Espérance cher à Ernst Bloch. Dans « Le Déchronologue », le roman d’aventures géographiques et temporelles ne se fait donc pas faute d’aborder, un peu plus qu’incidemment mais avec toujours beaucoup de ruse et de subtilité, la réalité anarchiste qui peut se dissimuler derrière la fable flibustière. Rejoignant ici discrètement le travail littéraire et politique du si regretté Michel Le Bris (dont les « D’or, de rêves et de sang : l’épopée de la flibuste » et « Pirates et flibustiers des Caraïbes », tous deux de 2001, sont logiquement cités parmi les sources indiquées en annexe), se gardant (comme d’ailleurs le fait aussi Valerio Evangelisti) de l’idéalisme un peu trop béat qui a longtemps marqué certaines lectures contemporaines de la piraterie réputée libertaire (que l’on songe ainsi au célèbre « Zone Autonome Temporaire » d’Hakim Bey), « Le Déchronologue », avec son inventivité langagière forcenée et sa géopolitique trafiquée, à la fois familière et joliment incongrue, est sans doute, au fond,  plus proche du nouvel épique italien des Wu Ming (et, à nouveau, de Valerio Evangelisti) que de tout autre projet informel associant littérature, imaginaire et politique. Imaginant cette extraordinaire pré-apocalypse au XVIIème siècle dans toutes ses composantes romanesques et sociétales, Stéphane Beauverger peut ainsi malicieusement clamer ici, par la voix de l’un de ses nombreux personnages : « La révolution n’est pas un dîner de gala ! Ni un sujet de farce ! ».

Maintenant, à l’instant d’écrire ces lignes, tandis que l’ennemi victorieux braque une dernière fois ses canons vers mon bâtiment, l’oscille entre l’envie d’en dire davantage et la crainte de trop me répandre. J’ai réuni en ces pages éparses le récit véritable de ma vie de capitaine sans attache. Je veux croire que je n’en ai rien caché de honteux ou de méprisable. Si j’ai menti, triché, trahi parfois, ma loyauté ne fut ni plus ni moins décousue que celle des autres marins de grand large, qui n’ont jamais trop voulu croire les mensonges des puissants aux intérêts plus discrètement égoïstes.
Des événements auxquels je pris part, et dont il sera question dans ce récit, j’espère que chacun saura prendre la mesure avec clémence. Que le lecteur ose pardonner les effronteries et le grand désordre régnant dans ces cahiers, mais ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, ni le temps ce qu’il paraît. « Fugit irreparabile tempus », écrivit le poète Virgile… Comme il avait tort ! Je sais, moi, que les voiles du temps se sont déchirées, pour porter jusqu’à mon siècle des choses qui n’auraient pas dû s’y échouer. À mes yeux, les calendriers n’ont plus aucun sens, et les dates comme les anniversaires ont pris des airs de garces mal maquillées. Dans mon obsession à découvrir l’origine de ces plaies ouvertes, j’ai approché les grands secrets de mon époque et œuvré pour les recoudre. Quelles chances avais-je donc d’y parvenir ? Aucune, sans doute… Que suis-je, sinon un marin un peu trop amoureux du tafia et de la guildive, un peu trop hâbleur et hardi pour avoir admis ses erreurs à temps, si vous me pardonnez ce déplaisant calembour ? Mort de moi, comme j’ai lutté pourtant, au nom de ce qui me paraissait juste !
Des regrets ? Trop pour m’épancher plus longtemps et pas assez pour ne pas accepter le sort qui m’attend. La seule femme que j’aie jamais aimée n’a pas voulu de mon amour. Tous mes amis les plus chers sont morts, et je fus souvent responsable de leur trépas. Puisque mes rêves ont révélé un goût de cendre, pourquoi craindre de disparaître ? Adieu donc, mon navire et ceux qui sont encore à bord. Adieu aussi au capitaine Brieuc, mon frère d’escales si plein d’idéal et mort avant de voir tous les trésors du Yucatan. Adieu, Féfé de Dieppe, fol enfant caraïbe assoiffé de liberté. Adieu, aussi, le Cierge, la Crevette, les frères Mayenne et Patte-de-Chien, adieu mes gorets crevés sur la route de Carthagène. Adieu surtout à toi Arcadio, qui m’en arracha pour faire de moi ton instrument de vengeance contre l’Espagnol honni. Adieu, enfin, vous tous, qui avez un peu connu, haï ou apprécié le capitaine Henri Villon, dont il fut dit pis que pendre quand il ne le méritait pas toujours.
Debout j’ai vécu, debout je m’en vais mourir. Que dire de plus qui ne sonnerait pas moins sincère ? Mon Déchronologue brûle et se consume d’un inextinguible feu, mon équipage se meurt, et l’ennemi passera bientôt pour nous achever tous. Adieu, mon aimée, adieu ma vie, adieu, puisque nous n’étions que des ombres glissant sur l’écume du temps.

Hugues Charybde, le 9/09/2024
Stéphane Beauverger - Le Déchronologue - La Volte

L’acheter chez Charybde, ici

05.09.2024 à 16:18

Connexion : stay tuned avec Kae Tempest !

L'Autre Quotidien

Riche de son intensité et de sa sincérité, un poétique anti-manuel de développement personnel qui magnifie la connexion, l’empathie et la créativité collective.
Texte intégral (3447 mots)

Riche de son intensité et de sa sincérité, un poétique anti-manuel de développement personnel qui magnifie la connexion, l’empathie et la créativité collective.

Dans les chapitres qui suivent, je vais me lancer dans l’éloge de la créativité, l’éloge de la musique et du théâtre, l’éloge des rassemblements humains et du partage des émotions. Je sais bien qu’assister à un concert ou jouer sur les planches n’occupe pas la même place, dans l’ordre des priorités, que l’accès à un logement décent et abordable, à des conditions de travail où l’équité et les normes de sécurité sont respectées, à des soins médicaux, à des produits alimentaires sains et frais, à une eau potable qu’on se procure aisément et à un environnement où les enfants peuvent grandir sans être victimes de violence, de menaces, de traumatismes. Mais on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’à côté de ces besoins fondamentaux, l’être humain ne peut et ne pourra jamais se priver de jeu, de créativité, d’introspection et d’expression personnelle.
Voici les mots que je compte employer pour explorer mes idées : créativité, connexion, connexion créative.
La créativité désigne l’aptitude à s’émerveiller, l’envie de réagir à ce qui nous bouscule. Ou, plus simplement, c’est un acte d’amour, quelle qu’en soit la nature. Quelque chose qu’on produit. D’ordinaire on réserve ce terme au domaine artistique, mais il s’applique aussi à toute activité réclamant de la concentration, de la technique et de l’ingéniosité. Il faut de la créativité pour s’habiller avec style, par exemple. Pour élever un enfant. Peindre un châssis de fenêtre. Accorder à la personne qu’on aime son attention pleine et entière.
La connexion, c’est la sensation de s’arrimer à l’instant présent. De s’absorber totalement dans l’expérience au moment où elle est vécue, l’esprit tout entier tendu vers chaque détail. C’est avoir conscience de la place négligeable qu’on occupe dans l’ordre de l’univers. Éprouver le sentiment d’avoir pris racine. Ici, et pas ailleurs. Peu importe que cet « ici » soit une zone de turbulences ou un havre de paix, un lieu de joie ou de souffrance.
La connexion créative, c’est l’emploi de la créativité au service de cette connexion, dans le but de la ressentir et d’investir une zone où des liens se nouent entre toi et les personnes qui t’accompagnent à cet instant.
Les artistes sont sans doute ceux qui empruntent le plus facilement cette passerelle vers un autre monde, un monde plus intime. À vrai dire, quiconque s’est livré à la méditation ou à la prière, quiconque a observé les étoiles, préparé un repas important pour ses proches, balancé son poing à la figure de quelqu’un, vu trente-six chandelles, fabriqué un objet de ses propres mains, développé une compétence parce qu’il n’avait pas d’autre solution, rendu un service, fait don de son temps, vacillé au bord de la folie ou du précipice, digéré une vérité douloureuse, fait passer les autres avant soi, bref, quiconque s’est véritablement mis en quatre pour son prochain a emprunté cette passerelle. La connexion n’est pas l’apanage exclusif des artistes mais l’art est un moyen avéré de comprendre ce qui jaillit de cet ailleurs, là où commence le collectif.
Quand je mentionne « le lecteur », je peux faire référence à la personne, je peux faire référence à la personne qui entame un dialogue avec un texte écrit, un morceau de musique ou une œuvre d’art, mais aussi à la personne qui engage une conversation avec des amis, des inconnus, l’être aimé, le monde en général. Je vois le lecteur comme une porte qui s’ouvre pour laisser entrer le sens.
Quand je mentionne « l’écrivain », je fais référence à la personne qui signe un texte ou compose une musique, mais aussi à la personne qui produit du vécu. Cette part en soi qui construit le récit de sa propre existence et qui cherche sans relâche un fil assez solide pour traverser les pages blanches de l’enchaînement des jours.

En sept chapitres aux intitulés rusés et fort à propos, filant la métaphore de la performance issue jadis de l’open mike (« Installer le matos », « Balances », « Portes », « Première partie », « S’échauffer », « Se lancer », « Sentir que ça prend »), Kae Tempest nous offre une plongée dans un exercice plutôt inhabituel, à l’aune de qui connaît sa poésie, son théâtre ou sa prose, dans les excellents « Les nouveaux anciens », « Inconditionnelles » ou encore « Écoute la ville tomber » (dont on finira bien par trouver le temps de vous parler sur ce blog). En compagnie de James Joyce, de James Baldwin, de Carl Jung (et tout particulièrement de son « Livre rouge »), de William Blake (qui est largement convoqué pour les rusés exergues de chaque chapitre), de Barbara Ehrenreich (« Le Sacre de la guerre »), de Killer Mike, de El-P ou encore de Czesław Miłosz, tous passés discrètement mais intensément au crible de l’expérience personnelle de Kae, qui use des meilleurs comme des pires moments de sa vie ou de sa carrière à date comme d’un puissant mix de liquides révélateurs, il s’agit bien ici, à plus d’un titre, de nous proposer une forme redoutable d’anti-manuel de développement personnel (comme l’aurait sûrement et joliment décrit Thierry Jobard), sous le signe de la connexion, de l’empathie et du pouvoir créatif du collectif.

Un jour James Joyce m’a dit : « Le particulier renferme l’universel. » Merci du conseil. Il m’a appris que plus j’accorde d’attention à mon « particulier », plus j’ai de chances de t’atteindre dans ton particulier à toi.
Depuis vingt ans maintenant, je saute sur chaque micro qu’on me tend, chaque occasion qui m’est offerte de parler et d’être entendu.e. Tout au long de ces vingt années, je ne compte plus les fois où j’ai franchi le seuil d’une salle de concert en me disant : Sérieux, je ne sais pas si ça va le faire ce soir. Je me suis senti•e jugée•e. Pas à ma place. J’ai regardé le public et, à mon tour, je l’ai jugé. Je me suis retrouvé•e devant des gens avec qui je n’avais rien en commun et je me suis dit : Pas moyen que vous et moi, on y arrive ensemble. Et je ne compte plus les fois où la suite m’a donné tort.
J’ai passé vingt ans un stylo à la main. Vingt ans à étudier l’art des mots qu’on prononce quelque part face à des gens. Ce que j’ai vu, je l’ai observé à travers le filtre de ma créativité : la fonction première de ma vie.
Ces pages contiennent mes réflexions sur l’écriture, la lecture et la scène, parce que c’est ce qui est vrai à mes yeux. J’aborderai spécifiquement ces thèmes et, par ricochet, d’autres plus vastes – l’identité, le mode de vie, l’altérité.
L’empathie, c’est se souvenir que chacun a une histoire. Une multiplicité d’histoires. Et se souvenir aussi de laisser assez de place aux autres pour qu’ils puissent raconter leur histoire avant de raconter la sienne.
Je suis quelqu’un qui aime profondément les gens. Dès que je suis sur le point de craquer, je me ressaisis en prêtant la plus grande attention à ceux que je croise dans mon quotidien.
Oui, j’écris pour ces autres qui me ressemblent. Ces autres qui n’ont pas trouvé leur place, et qui ne l’ont jamais trouvée. Des gouines, comme moi. Qui ont compris qu’il n’y a rien à gagner à rentrer dans le moule, que ce n’est même pas la peine d’essayer, et qui se retrouvent contraintes de tracer leur propre voie.
Ces autres qui n’ont pas encore jeté le monde aux chiottes.
Ces autres qui voient le beau avant le reste et qui assistent malgré eux au carnage.
Ces autres qui voient le carnage avant le reste et qui assistent malgré eux au spectacle du beau.
Et, à côté de ça, ceux qui ont trouvé leur place depuis le début.
Ceux qui se contrefoutent de tout.
Ceux qui n’ont vu le beau nulle part, jamais. Et le carnage encore moins. Simplement les grandes lignes et le temps qui passe.
Ceux qui partagent mes convictions et ceux qui les tournent en ridicule.
Tout le monde. Tout le temps. Quoi qu’il arrive.

Publié en 2020 et traduit en 2021 par Madeleine Nasalik chez L’Olivier, récit aussi émouvant que celui d’Amanda Palmer (« L’art de demander », dont on vous parlera prochainement sur ce blog, et dont le fil conducteur, sans être identique à celui de Kae Tempest ici, retravaille aussi en profondeur la forme de l’échange-don chère à Marcel Mauss), « Connexion » fait bien de l’échange et de l’empathie ainsi saisie et comprise une affaire authentiquement politique, comme chez la chanteuse jadis révélée au sein du duo des Dresden Dolls. Une lecture tonique, captivante, et qui répond en toute humilité à bien des interrogations secrètes rarement affirmées de la part de chacune et chacun, me semble-t-il.

James Baldwin décrit ainsi l’étau de l’amour obsessionnel dans La Chambre de Giovanni : « Dans cette chambre, j’avais l’impression de vivre sous la mer ; le temps passait au-dessus de nous, indifférent, les heures et les jours ne voulaient rien dire. » On patauge dans un marécage de même nature où rien n’est accessible, où le temps s’étire à l’infini, où tout est remis à plus tard. Un peu comme lorsqu’on se noie dans une relation toxique. Ça, je sais que je n’en veux pas. Mais je ne sais pas comment y échapper.
L’ordre établi compte sur ton apathie. Tu es là pour consommer. Tu n’as aucune autre utilité aux yeux de ceux qui gouvernent. Tu n’es rien. Tu graisses les rouages d’une machine qui s’appuie sur ta complicité et ta malléabilité fervente. On t’a martelé que tu étais une graine qui portait en elle un avenir radieux, absolument splendide, que pour vivre ta vie à fond, il te suffisait de prendre part à la compétition. D’être un winner. De consommer. Tu consommes, tes parents consommaient et tes grands-parents avant eux, et tes enfants consommeront. Voilà ton héritage. Depuis les Lumières, ce siècle sanctifié qui a vu l’Europe se vautrer dans le sang, qui a édifié son propre piédestal et diffusé sa propagande dans nos écoles, dans nos manuels pédagogiques et sur nos écrans de télévision, proclamant le mythe d’une ère d’excellence artistique et philosophique sans pareille, une ère de fraternité et d’esprit libertaire alors qu’elle était en réalité marquée par la violence, les guerres civiles et les conflits inter-États, les inégalités, la répression et la cruauté barbare. Arrosée de sang. Le sang des travailleurs. Le sang des humains à la peau brune ou noire, ces corps exploités, monnayés, tués au nom du progrès. Ensanglantés, avilis, debout sur des colonnes dans toutes ces villes épouvantables qui sont les nôtres, d’orgueilleux temples en pierre commémorant un siècle de ténèbres qu’on nous a vendu comme un siècle éblouissant. On vit encore à cette époque. Son chaos est toujours d’actualité. L’industrialisation des inégalités n’a jamais cessé. Ton apathie est nécessaire. Mon apathie l’est tout autant.
Et pourtant.

Hugues Charybde, le 9/09/2024
Kae Tempest - Connexion - Points Seuil
l’acheter chez Charybde, ici

09.07.2024 à 10:51

"Ultime écho" par Anne Masse, la nouvelle création originale de Bubble éditions s’attaque aux multivers (et à la fin du monde)

L'Autre Quotidien

Quand Ari, une chercheuse en astrophysique, découvre l’existence des univers parallèles, elle provoque l’effondrement de son monde et de tous les autres.
Texte intégral (2735 mots)

Quand Ari, une chercheuse en astrophysique, découvre l’existence des univers parallèles, elle provoque l’effondrement de son monde et de tous les autres.

lors que les mondes semblent se synchroniser de plus en plus vite, elle cherche sa place dans une histoire d’amour qui se répercute dans les multivers. 

À travers cette comédie dramatique, Ultime écho interroge sérieusement notre époque et ses obsessions à travers cette catastrophe à l’échelle des multivers. Anne Masse propose une nouvelle approche des univers parallèles avec un sens de l’humour qui tranche avec les codes habituels de la science-fiction. 

Avec ses variations graphiques et narratives sur un même personnage et ses designs attachants, le style très vivant d’Anne Masse est au carrefour de plusieurs influences et sur Ultime écho elle ajoute une touche plus poétique, dans son dessin, que dans ses travaux précédents.

👀 Lire les 2 premiers chapitres ici

👤 Anne Masse commence à écrire et dessiner dans le fanzine et participe à de nombreuses conventions comme la Japan Expo ou la Y/CON avec son collectif les Ziggys. Avec une expérience dans le jeu vidéo, l’animation et l’UI design, elle se lance dans la bande dessinée en étant coloriste pour l’auteur de comics Jim Mahfood. Puis entame un premier webcomic traduit par un fan coréen qui lui permettra d’être repérée par la plateforme WEBTOON.

Elle réalise plusieurs séries au format webtoon, le road trip médiéval Azalaïs chez webtoon factory puis les séries fantastiques décalées Les Vampires Anonymes et Extra-Coloc qui vont rassembler plus de 19 000 abonnés.

Depuis la fin d’Extra-Coloc, elle consacre tout son temps à son nouveau projet Ultime écho. 

« C’est donc ça ce qu’on appelle le multiverse ? »

Il reste quelques jours pour la campagne de financement participatif qui met en avant le livre de Anne avec plusieurs belles surprises pour les fans de science-fiction : 

🎨 Une couverture alternative par Guillaume Singelin

👤 Après deux années en école de graphisme à l’EPSAA, Guillaume Singelinest remarqué par RUN, qui lui propose d’intégrer l’équipe de préproduction du long métrage Mutafukaz. Reconnu pour ses qualités de dessinateur, il est également passé maitre dans l’art de la narration, domaine où l’influence du cinéma est chez lui omniprésente.

Il travaille également pour divers projets de jeux vidéo en tant que designer. Pour le Label 619, dont il est l’un des membres permanents, Il est l’auteur de Loba Loca (spin-off de Mutafukaz), The Grocery, P.T.S.D. et d’histoires courtes dans Doggybags et LowReader.  Il signe avec son dernier album Frontier un récit puissant et moderne de science-fiction.

Roland Lehoucq

✍️ Une préface signée par l’astrophysicien Roland Lehoucq

👤 Roland Lehoucq est astrophysicien et enseignant, très impliqué dans la diffusion des connaissances scientifiques. Il est l’auteur de nombreux livres donnant au grand public un aperçu des dernières connaissances scientifiques et a été commissaire de plusieurs expositions. Il aussi conçu, avec Denis Savoie, le plus grand cadran solaire du monde sur la voûte du barrage de Castillon.

Mais il s’illustre aussi dans le domaine de la science-fiction à travers ses œuvres de vulgarisation ou chroniques dans la presse où il utilise les sciences pour décrypter la pop culture. Il décortique avec humour nos licences préférées : D’où viennent les pouvoirs de Superman ?, l’incontournable Faire de la science avec Star Wars ou encore Mais où est le Temple du Soleil, enquête scientifique au pays d’Hergé, écrit avec Robert Mochkovitch.

Récompensé par de nombreux prix et distinctions, les fans de SF le connaissent surtout pour son engagement envers ce genre depuis près de 25 ans, Roland Lehoucq est aujourd’hui président du festival les Utopiales depuis 2012 et l’un des rares êtres humains vivants au 21e siècle à ne jamais avoir eu de téléphone mobile.

Pourtant il a répondu à l’appel d’Ultime écho et vous invite à réfléchir à la beauté d’une hypothèse…

💡 Sur la page de la campagne, vous retrouverez également des planches originales, des goodies collector, et d’autres surprises. Pour tout savoir sur la campagne, découvrir l’avancée du projet et les news ça se passe par ici.

Thomas Mourier, le 10/07/2024
Anne Masse - Ultime écho - Bubble éditions

-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous trouverez plus d’informations sur les œuvres évoquées

09.07.2024 à 10:25

Mais qu'est-ce donc que la Zzyzx Road ? Histoire heurtée d'un spa au désert californien

L'Autre Quotidien

En 1944, Curtis Howe Springer, un prédicateur évangélique qui vivait à Los Angeles, a entendu parler d’une source naturelle nommée Soda Springs dans le désert de Mojave, dont la rumeur disait qu’elle avait des propriétés curatives. S’il avait toute d’abord appelé son centre Soda Springs Cam, Springer a finalement choisi le nom inhabituel de Zzyzx Mineral Springs and Health Resort pour son oasis de bien-être, car le fait d’avoir une liste avec deux z dans le nom garantissait que son complexe était « le dernier mot » en matière de bien-être.
Texte intégral (1819 mots)

Sur l’interstate 15, dans le désert Mojave en Californie, se trouve une sortie pour la route Zzyzx (Zzyzx Road), une sortie au nom étrange. Cette petite route partiellement bitumée de 7,2 km amène à un complexe abandonné du même nom, qui se prononce d’ailleurs « zi-zex », qui utilisait la source Soda Springs.

En 1944, Curtis Howe Springer, un prédicateur évangélique qui vivait à Los Angeles, a entendu parler d’une source naturelle nommée Soda Springs dans le désert de Mojave, dont la rumeur disait qu’elle avait des propriétés curatives.

Springer est alors parti en expédition pour localiser Soda Springs. Il a été tellement impressionné par ce qu’il a découvert qu’il a immédiatement déposé une demande de concession minière afin de pouvoir construire un centre de bien-être où il pourrait inciter les voyageurs à se baigner dans les eaux curatives de Soda Springs.

S’il avait toute d’abord appelé son centre Soda Springs Cam, Springer a finalement choisi le nom inhabituel de Zzyzx Mineral Springs and Health Resort pour son oasis de bien-être, car le fait d’avoir une liste avec deux z dans le nom garantissait que son complexe était « le dernier mot » en matière de bien-être.

Zzyzx Mineral Springs and Health Spa par el-toro (CC BY-NC 2.0).

Zzyzx Mineral Springs and Health Resort, qui offrait un hébergement pour la nuit, un restaurant servant des fruits et légumes cultivés sur place et une salle de conférence où les visiteurs pouvaient entendre les sermons passionnés de Springer, a prospéré jusqu’en 1974, lorsque le Bureau of Land Management a saisi la propriété de Springer. parce que sa concession minière ne lui accordait pas le droit de construire une station balnéaire. Arnaque première, mais pas la seule. La suite est aussi croquignolesque…

Même si le centre comptait de nombreux fans à son apogée, Curtis Howe Springer avait aussi de nombreux détracteurs virulents. Ses opposants affirmaient que les « toniques santé » de Springer, comme le Hollywood Pep Cocktail, étaient principalement composés de sel d’Epsom commun et n’avaient pratiquement aucune propriété curative.

Springer avait également affirmé que Soda Springs était une source chaude naturelle. Il avait secrètement installé une série de tuyaux pour chauffer l’eau naturellement froide, afin de pouvoir vanter les propriétés curatives des sources et inciter les clients à rester plus longtemps et à dépenser plus d’argent. Le site a donc été momentanément abandonné.

Le complexe Zzyzx abandonné et récupéré

En 1976, l’Université d’État de Californie a repris la station thermale Zzyzx et a transformé la zone en un centre d’études sur le désert.

Les vestiges de plusieurs structures, comme l’ancien pool house du complexe, sont encore visibles. Les visiteurs peuvent admirer les ruines des sources minérales et du centre de santé de depuis les rives du paisible lac Tuendae, adjacent au centre d’études sur le désert. Le lac Tuendae, situé dans la réserve nationale de Mojave, est entouré d’un court sentier et d’une aire de pique-nique pittoresque qui constitue un excellent endroit pour observer les oiseaux. Ce site a servi de lieu de tournage pour certains scènes de Dune par David Lynch.

Bien que les vestiges de Zzyzx Mineral Springs and Health Resort soient situés sur un terrain appartenant à l’Université d’État de Californie, les rives du lac Tuendae offrent toujours une vue rapprochée de l’un des spas de bien-être ratés les plus notoires de Californie .

Avoir la chance d’observer le reflet d’une rangée de palmiers scintillant dans les eaux calmes du lac Tuendae, dans le désert aride de Mojave, vaut certainement la peine de cliquer sur votre clignotant lorsque vous apercevez le panneau indiquant Zzyzx Road. Les lieux permettent aussi évidemment d’apprécier la beauté du ciel de nuit dans le désert Mojave. Let’s go !

La route se trouve entre San Bernardino et Las Vegas à l’adresse suivante: Zzyzx Road, San Bernardino, Californie, États-Unis.

Ses coordonnées GPS sont: 35° 08′ 35″ N, 116° 06′ 15″ O.

Bill Burou, le 10/07/2024
Zzyzx Road


02.07.2024 à 13:18

Comment fabriquer des crayons de couleurs pour la forêt ? Réponse nippone

L'Autre Quotidien

La société Playfool profite du fait que le Japon soit recouvert de près de 70 % de forêts, une statistique remarquable à une époque où la demande de bois ne cesse d'augmenter et où les développements urbains s'étendent. Et pour éviter le gâchis et les coûts de transport abusifs en terme de bilan carbone, elle a trouvé une solution.
Texte intégral (1368 mots)

La société Playfool profite du fait que le Japon soit recouvert de près de 70 % de forêts, une statistique remarquable à une époque où la demande de bois ne cesse d'augmenter et où les développements urbains s'étendent. Et pour éviter le gâchis et les coûts de transport abusifs en terme de bilan carbone, elle a trouvé une solution.

A l'ère du commerce mondial, il est possible de faire traverser des océans à des forêts entières, ce qui a un impact sur les chaînes d'approvisionnement et modifie la façon dont les ressources locales sont utilisées. Et comme il est souvent plus abordable d'importer du bois d'ailleurs, les arbres coupés localement peuvent rester inutilisés. "Le Japon a trop de bois", déclare Daniel Coppen, qui a cofondé le studio de design Playfool avec Saki Maruyama.

En 2021, Daniel Coppen et Saki Maruyama ont participé à une résidence parrainée par le ministère japonais de l'agriculture, des forêts et de la pêche, au cours de laquelle ils se sont familiarisés avec le surplus unique du pays. Des entretiens avec une myriade de personnes liées à l'industrie des produits forestiers, des ouvriers des parcs à bois aux fabricants de meubles, leur ont permis de mieux comprendre les écosystèmes naturels, industriels et commerciaux des arbres du pays.

Au cours de leurs recherches, le duo a collecté des branches, des feuilles et des rondins qu'il a ramenés à l'atelier pour expérimenter le rasage, l'ébullition, le mélange et même la dégustation. Ils ont également réduit les matériaux en poudre très fine, ce qui a attiré leur attention sur la variété inhérente des teintes. Les poudres ont donné naissance à une sélection de pigments. Les "Forest Crayons" étaient nés.

Mélangés à de la cire fondue, les pigments sont coulés dans des moules pour créer des bâtons faciles à manipuler. Les couleurs reflètent le type d'arbre qui crée chaque nuance distinctive, du bogwood au cèdre en passant par le magnolia et le cyprès. Vous pouvez découvrir le processus méticuleux de fabrication de chacun d'entre eux dans une vidéo produite par V&A.

Bill Chapô, le 3/07/2024
Les crayons Playfool

26.06.2024 à 13:18

Écrits sur l'avenir. Le traité futuriste de Stanislaw Lem

L'Autre Quotidien

Un autre livre sur l'intelligence artificielle, les civilisations extraterrestres, le métaverse et le posthumain ? Ah non ! Encore ! Mais… attendez, il doit y avoir une erreur : l’édition originale de ce livre est parue en polonais en 1964, il y a soixante ans ! Mais comment est-ce possible, si l’auteur parle de simulations virtuelles, de chômage technologique, d’algorithmes intelligents ? C'est possible, car l'auteur de ce livre fantastique est Stanislaw Lem , qui n'a besoin d'aucune introduction, si ce n'est celle de "l'un des plus grands écrivains de science-fiction de tous les temps".
Texte intégral (3542 mots)

Un autre livre sur l'intelligence artificielle, les civilisations extraterrestres, le métaverse et le posthumain ? Ah non ! Encore ! Mais… attendez, il doit y avoir une erreur : l’édition originale de ce livre est parue en polonais en 1964, il y a soixante ans ! Mais comment est-ce possible, si l’auteur parle de simulations virtuelles, de chômage technologique, d’algorithmes intelligents ? C'est possible, car l'auteur de ce livre fantastique est Stanislaw Lem, l'un des plus grands écrivains de science-fiction de tous les temps.

La Summa Technologiae est depuis des années un obscur objet de désir pour les amateurs de science-fiction, de futurologie et de philosophie scientifique. Il a finalement attiré l'attention du monde entier avec la traduction anglaise réalisée par l'University of Minnesota Press en 2013, et depuis lors, nous avons travaillé pour le porter en Italie, surmontant la résistance de ceux qui réduisaient Lem au seul auteur de Solaris. En 2017 , un premier extrait en italien a été publié dans ce magazine, traduit par Marco Bertoli et édité par moi-même. Un premier contact avec les ayants droit semblait prometteur, mais aucun éditeur ne s'est montré intéressé à entreprendre la tâche d'une traduction qui, philologiquement, devait avoir lieu sur l'original polonais et non sur la version anglaise. Un exemplaire piraté, mal traduit avec un logiciel automatique, est apparu à des prix improbables sur les boutiques en ligne en 2022. Et puis, enfin, le voici : la somptueuse édition italienne créée par Luiss University Press, grâce à la longue vague du centenaire, qui en L'Italie a connu une floraison de nouvelles éditions, de réimpressions, de traductions, favorisées également par le fait que les thèmes de Lem, trop en avance sur leur temps au cours des années où parurent ses œuvres, sont aujourd'hui extrêmement actuels.

Le Lucrèce de Lviv 

La Summa Technologiae n’est pas en réalité, malgré son titre, un traité systématique. On ne pouvait pas non plus s'attendre à autre chose de la part d'un penseur comme Lem, dont le fil conducteur de toute sa production littéraire a toujours été la remise en question de l'ambition humaine de connaître « tout ». Plus systématique est peut-être son ouvrage suivant, cette Philosophie du hasard (1968) que l'on ne désespère plus de pouvoir un jour lire en italien (rappelons qu'elle est également inédite en anglais), et que Lem définit ironiquement dans la préface comme une « théorie complètement générale ». Il y a des passages où l'auteur se contredit clairement, et nous en verrons un en particulier plus tard ; mais c'est le résultat normal d'un travail qui était censé représenter pour Lem un travail continu de réflexion et, surtout, une sorte de bloc-notes sur lequel noter les idées les plus farfelues et extravagantes pour être explorées plus tard dans des nouvelles. et des romans, comme cela arrivera souvent. Et pourtant il est néanmoins possible d'identifier dans ces quatre cents pages très denses les pierres angulaires de sa réflexion, presque une sorte de « théorie du futur ». Peut-être s'agit-il simplement d'une erreur, car Lem nous rappelle à quel point il est typique des êtres humains - ou plutôt des "homéostats", c'est-à-dire des organismes qui tentent de trouver un équilibre dans l'environnement dans lequel ils vivent - de rechercher des structures et des régularités même là où il y en a. ne le sont pas, ils le sont, condition sine qua non pour développer une métaphysique (et par là il nous met en garde, en passant , contre l'inévitable métaphysique des machines intelligentes, qui par nature recherchent des schémas récursifs dans les données…). Mais essayons quand même.

Luigi Marinelli, l'éminent érudit slave à qui l'on doit non seulement la traduction italienne de la Somme mais aussi une introduction très érudite, définit à juste titre Lem comme le « Lucrèce de Léopold ». Car, comme le grand épicurien, l'écrivain polonais fonde sa conception de l'univers sur l'absence de téléologie, d'un but qui fait bouger les choses, et considère la réalité comme le fruit d'un simple jeu de hasard. Ce n’est pas une conception strictement matérialiste, remarquez, car le matérialiste accepte que toute réalité puisse être réduite à des principes premiers, à des éléments de base fondamentaux, et par conséquent parfaitement connus, une hypothèse que Lem nie catégoriquement ; plutôt une acceptation des principes darwiniens de l'évolution par sélection naturelle, « l'horloger aveugle » de Richard Dawkins, mais sans tout le corollaire du darwinisme social et des conceptions utilitaristes. L’univers n’a aucun but et ses homéostats sont le résultat du pur hasard. À partir de là, que peut-on spéculer sur l’avenir de la civilisation humaine et, par conséquent, sur l’existence d’autres civilisations intelligentes ? Est-il possible de faire des hypothèses ? On ne peut certainement pas imaginer une sorte de « théorie de la modernisation » appliquée à l’échelle cosmique, selon laquelle toutes les espèces intelligentes seraient destinées à suivre un chemin de développement similaire, comme le pensent des futurologues comme Ray Kurzweil avec ses conceptions téléologiques sur la « singularité technologique ». . Kurzweil est aussi un darwiniste, mais contrairement à Lem, il appartient à cette vaste catégorie de « malentendus » qui n'ont pas compris l'aspect aveugle et aléatoire du processus évolutif ; et bien que tous deux croient que l'évolution technologique suit les mêmes lois que l'évolution biologique, cela signifie pour Lem que les futurs développements technologiques seront également le résultat de processus aléatoires, tandis que Kurzweil les croit régis par des lois tendant inexorablement vers la complexité et l'intelligence. En effet, Lem part de l'hypothèse que l'évolution technique "a jusqu'à présent évolué dans une direction plus ou moins opposée à celle de l'évolution biologique, produisant exclusivement des systèmes à spécialisation limitée".

La seule façon d'obtenir des machines universelles sur le modèle de Turing consiste à « poursuivre le développement de la théorie de l'auto-organisation des systèmes capables de s'auto-programmer et de s'adapter » ; mais, comme nous le savons grâce aux œuvres narratives de Lem, cela ne signifie pas arriver automatiquement à une sorte de superintelligence divine, comme le prédit la théorie de la singularité. Pensez à Eden, le monde du roman éponyme (1959) où d'étranges et énormes machines ont continué pendant des millénaires à produire obtus et aveuglément des formes de vie intelligente si désespérées qu'elles préfèrent la mort violente à la vie insipide « donnée » par l'usine idiote. ; ou encore aux formes de vie technologiques produites par l'évolution sur Régis III, la planète de L'Invincible (1964), qui échappaient à tout contrôle de leurs géniteurs comme les cellules cancéreuses, à tel point que les protagonistes parleront de « nécrosphère ».

Les limites de la connaissance 

Mais le vrai problème est un autre. Si l'on accepte les théories de la cybernétique, qui effacent les frontières entre êtres humains et machines, il faut aussi accepter la théorie de l'information, qui fut l'ancêtre de la cybernétique : Lem précise, en bon antiréductionniste, qu'il ne croit pas que tout est information ; mais accepte la thèse de Claude Shannon qui compare la théorie de l'information à la deuxième loi de la thermodynamique et voit en elle la limite la plus sérieuse contre laquelle toute civilisation intelligente – humaine ou machine – se trouvera inexorablement confrontée : le « pic d'information ».

« Ainsi, la clé de toutes les sources d’énergie, ainsi que de l’accumulation de connaissances, est l’information. […]. La quantité d'informations pouvant être transmises via l'un de ses canaux est limitée. La science est l'un de ces canaux qui unissent la civilisation au monde extérieur [...]. Mais à terme, nous atteindrons un état où il sera impossible d’augmenter la capacité de transmission scientifique au rythme dicté par l’augmentation de la quantité d’informations. […]. La science ne pourra pas surmonter cette barrière, elle ne pourra pas absorber l’avalanche d’informations qu’elle a provoquée. »

C'est une préoccupation constante de la pensée de Lem. C'est évidemment autour de ce thème que s'articulent Solaris (1961), tout comme La Voix du Maître (1968) : à l'idée de bon sens selon laquelle plus on acquiert d'informations sur une question, plus on pourra la saisir, Lem oppose une inexorable barrière, une loi de la nature. Toutes les civilisations intelligentes sont probablement destinées à le rencontrer à un moment donné de leur développement, et Lem anticipe ici un concept qui n'arrivera que plus de trente ans plus tard : la théorie du Grand Filtre, selon laquelle la solution au paradoxe de Fermi sur la raison pour laquelle nous n'avons pas encore rencontré de civilisations extraterrestres consiste en « des causes qui nous sont totalement incompréhensibles, qui commencent à agir à un certain stade de développement ». Lem imagine que la cause en question consiste précisément dans une barrière d'information. La science repose sur le principe de l’induction, « la tentative forcée de transformer une information incomplète en information complète ». Et pourtant, la théorie de l’information « affirme que, dans un système isolé, l’information peut réduire ou maintenir une quantité fixe, mais pas augmenter ». Par conséquent, notre croyance innée, illustrée par l’impératif hilbertien « nous devons savoir, nous saurons », est vouée à être contredite par les mêmes lois de la nature par lesquelles nous croyions naïvement qu’un jour nous serions capables de tout savoir .

Sommes-nous déjà à ce stade ? Si l'on comprend les propos de Lem sur le fait que, parvenu à ce stade, la solution la plus naturelle mais aussi inutile consiste à se tourner vers l'intelligence artificielle, comme description de notre époque actuelle, dans laquelle nous avons renoncé à développer des théories pour laisser la tâche aux algorithmes de trouver des liens de causalité, alors peut-être que la réponse est oui. Même sans s'inquiéter des signaux qui parlent d'une crise de la physique , d'une difficulté croissante de la biologie et de la génétique à comprendre les mécanismes les plus profonds de la nature humaine, sans parler des fameux et abusés théorèmes d'incomplétude , il est de fait que notre recours à l'apprentissage automatique représente une abdication de la capacité d'inférence de la logique humaine : nous ne sommes pas capables d'imiter électroniquement le processus d'acquisition d'informations par l'intelligence humaine, nous en créons donc un complètement nouveau, statistique et basé sur la force brute de calcul, plus réactif à la logique de la machine. Mais Lem est prêt à démentir les espoirs des prêtres des algorithmes “L'utilisation de la cybernétique pour créer une « armée de scientifiques artificiels », bien qu'elle semble prometteuse, est essentiellement une continuation de la phase précédente; la structure de la science reste fondamentalement la même, sauf que des renforts issus du renseignement électronique arrivent sur le front de la recherche".

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Que faire alors ? Lem répond à cette question en suggérant une possible « issue de secours » que les civilisations technologiquement matures pourraient mettre en œuvre. C'est celle de la fantomatique , la technique de construction de mondes simulés, de métavers indiscernables de la réalité dans lesquels migrer. Ces « enkystements » - dans le sens où ils émergent comme des kystes sur la réalité de premier niveau - servent de tampon contre l'excès d'information et produisent en même temps une information d'un type nouveau, pourrait-on dire synthétique . Il s'agit en fait d'une version extrême du phénomène des « bulles » sociales produites par la surcharge informationnelle de l'écosystème médiatique contemporain : face à l'impossibilité de gérer l'énorme quantité d'informations qui nous arrivent, on réagit en se réfugiant dans une bulle où les informations sont soigneusement filtrées afin de ne pas entrer en dissonance cognitive avec les croyances et convictions personnelles ; des bulles qui finissent par devenir des mondes à part, imperméables à la réalité extérieure et où des récits alternatifs sont créés et consommés. De là, il n'y a qu'un pas vers la construction de mondes réels simulés, et ces dernières années l'écart avec le futur imaginé par Lem s'est encore réduit grâce aux développements de la réalité virtuelle, ce que l'écrivain polonais a défini avec le terme « fantasmatique ». . Le cosmos pourrait regorger de civilisations « enkystées », qui ne communiquent plus avec le monde extérieur ; d'où l' universi Silentium . Nous entrons ici dans la partie la plus visionnaire de la discussion, des années en avance sur l’hypothèse moderne de la simulation. Lem ne pense pas, comme son collègue Philip K. Dick , que notre monde pourrait lui-même être une simulation ; et en effet il déclare à un moment donné qu'il ne croit pas que la tendance des civilisations technologiques aille volontairement dans cette direction, car ce serait un suicide. Puis, cependant, il change d’avis ; probablement aussi parce qu'à un moment donné, il rencontre l'idée - bien connue de ceux qui fréquentent les pensées de Dick - que les êtres qui vivent dans ces simulations pourraient finir par être piégés malgré eux , parce qu'ils ont oublié la porte de sortie.

On a déjà observé, en commentant certaines des histoires de Lem traduites pour la première fois en italien il y a seulement quelques années, que parmi les nombreuses préfigurations inquiétantes des œuvres ultérieures de science-fiction (il n'échappe pas à l'attention de Marinelli qu'à un moment donné, Lem parle pratiquement de Matrix ), il y en a un en particulier, qui anticipe de manière choquante l'intrigue d' Inception de Christopher Nolan . Eh bien, quelque chose de très similaire se produit ici. Dans ce film, le protagoniste et sa femme ont créé un monde onirique si convaincant qu’ils ont perdu la trace du monde réel ; Cobb – le personnage incarné par Leonardo Di Caprio – a cependant trouvé une astuce : créer un totem, un objet dont lui seul connaît les propriétés et qui soit capable de lui rappeler, chaque fois qu'il le voit et le touche, que c'est son monde. pas vrai. Lem a eu cette idée cinquante ans plus tôt. En fait, imaginez que, puisqu'une simulation informatique ne peut pas lire les pensées d'une personne, il est donc possible que la personne qui se trouve dans la simulation et elle seule sache "qu'un certain tiroir de notre bureau est bloqué". Alors, pour vérifier s'il est ou non dans une simulation (ou dans un rêve), il rentre chez lui en courant pour faire un test. Le tiroir n'est pas bloqué ! C'est une illusion. Ici aussi, comme dans Inception , Lem imagine que la femme de notre protagoniste ne croit pas à ses déclarations :

« Notre femme se met à rire avec compassion et explique que le tiroir a été raboté le matin même par le menuisier qu'elle avait appelé. Donc, nous ne savons toujours rien avec certitude. Soit c'est le monde réel, soit la machine a fait une manœuvre intelligente, invalidant la nôtre. »

Dans l'histoire beaucoup plus tardive du Matelas , ce problème n'est résolu que d'une seule manière : par un suicide qui, s'il est réalisé dans le monde illusoire, aura pour effet de nous ramener à la réalité, comme cela arrive lorsque nous tombons d'une échelle dans un monde illusoire. un rêve. Une solution extrême que Nolan utilisera également dans son film, mais probablement sans avoir connaissance des deux textes de Lem, alors disponibles uniquement en polonais. Comme c'est le cas des romans de Dick, qui semblent de plus en plus proches de la réalité dans laquelle nous vivons - ce qui n'aurait pas surpris l'écrivain californien, convaincu du lien étroit entre sa fiction et des vérités d'ordre supérieur - on pourrait donc dire que même notre avenir et l'imagination du futur commencent à ressembler de plus en plus à l'œuvre de Stanislaw Lem. Mais si cela se produit, c'est probablement pour des raisons plus prosaïques que celles imaginées par Dick : c'est le fruit de sa capacité à anticiper les conséquences extrêmes de ces tendances qu'il voyait déjà à l'œuvre au moment où il écrivait, à partir desquelles il destiné à nous avertir. Non pas qu’il faille lire la Summa Technologiae avec une attitude oraculaire, comme pour s’attendre à on ne sait quelle prophétie ; Lem lui-même a rejeté à plusieurs reprises bon nombre de ses élucubrations comme étant absurdes, ne voulant pas se prendre trop au sérieux, peut-être de peur de finir par croire tellement en ces inventions qu'il ne serait plus capable de les distinguer de la réalité, comme ce fut le cas de son collègue américain. . C'est précisément de là que son caractère antisystématique, qui d'une part l'éloigne grandement du modèle d'Aquin auquel fait référence le titre de l'ouvrage, d'autre part le rappelle à sa manière, presque en se moquant de lui, car, comme dans le cas de l'ambition de la théologie scolastique était de classer Dieu dans les définitions comptables, ce qui a évidemment entraîné un fiasco retentissant ; l'ambition de la scolastique contemporaine de comprendre la nature de la réalité et son avenir est vouée à un fiasco similaire.

Roberto Paura
(lire l’article original dans la revue italienne Quaderni d’altri tempi)

Stanislaw Lem: Summa Technologiae. Scritti sul futuro, Traduzione e cura di Luigi Marinelli, Luiss University Press, Roma, 2023, pp. 425, € 35,00

26.06.2024 à 11:26

Martin Parr : objectif mode !

L'Autre Quotidien

Le regard amusé de Martin Parr sur la mode s’intitule Fashion Faux Parr. Tout un programme reflétant 30 ans d’un style très original et d’un sens de l'humour assez particulier/ parr-ticulier … 
Texte intégral (1603 mots)

Cannes, France, 2018. Commissioned by Gucci. Picture credit: © Martin Parr / Magnum Photos

Le regard amusé de Martin Parr sur la mode s’intitule Fashion Faux Parr. Tout un programme reflétant 30 ans d’un style très original et d’un sens de l'humour assez particulier/ parr-ticulier … 

Martin Parr, le toujours prolifique photographe de l'agence Magnum, a apparemment tout documenté, de l'exotique au banal, au cours de décennies d'activité. Ses photos regorgent souvent de détails et de couleurs saturées, toujours avec un œil ironique et un sens aigu de l'observation. On reconnaît le "look" de Martin Parr au premier coup d'œil, et on sait que plus on regarde une de ses photos, plus elle révèle de choses, et qu'elle nous fera probablement sourire.

Il n'est donc pas étonnant qu'au fil des ans, Martin Parr ait été sollicité par de nombreux créateurs parmi les plus importants au monde - Vogue, Balenciaga, Gucci et d'autres - pour apporter au monde de la mode son style unique, candide et inspiré de la photographie de rue.

Son nouveau livre amusant, Fashion Faux Parr, présente ce travail rarement vu sur plus de trois décennies, avec des photographies de mode éditoriales, commerciales, publicitaires et de rue. Dès les années 1990, des marques de renommée mondiale ont été intriguées par l'approche particulière de Parr en matière d'images et ont voulu utiliser son sens de l'humour pour leurs campagnes. Outre les mises en scène brillantes, le livre présente également les photographies prises par Parr dans les coulisses des semaines de la mode internationales et des moments de spontanéité dans les rues, soit 250 images au total.

New York, USA, 2019. Commissioned by Vogue USA. Picture credit: © Martin Parr / Magnum Photos

Une énergie débordante parcourt l'ouvrage et l'on est impatient de découvrir ce qui va se présenter à notre regard en tournant la page. Le titre reflète l'aspect ludique des images, et l'ensemble de la collection ressemble à une exploration de la photographie elle-même autant qu'à une analyse de la mode.

Deux essais de Patrick Grant et Tabitha Simmons, personnalités influentes de l'industrie de la mode, commentent le point de vue unique de Martin Parr sur le monde de la mode et le replacent dans un contexte plus large. Il s'agit du seul ouvrage consacré à la vision très originale de Martin Parr sur la mode. Il comprend des photographies personnelles et de commande, ainsi que des fac-similés de ses articles publiés dans Vogue et d'autres magazines de mode internationaux.

Alyssa Monte pour Lens Culture, édité par la rédaction le 26/06/2024
Martin Parr - Fashion Faux Parr - Phaidon

Format : Livre relié Taille : 280 × 200 mm (11 × 7 7/8 in) Pages : 304 pages Illustrations : 250 illustrations

18.06.2024 à 19:21

La vie fastoche aux bons soins du Pulpbrother Javier Mayoral

L'Autre Quotidien

Arts Factory programme tout l'été le premier solo show français du peintre Javier Mayoral, plus connu par les nombreux aficionados de son compte Instagram sous le pseudonyme Pulpbrother ! L’exposition déployée sur les quatre niveaux de la galerie, coïncide avec la sortie chez Serious Publishing d'une imposante monographie consacrée à son travail, toujours réalisé en acrylique sur bois.
Texte intégral (2215 mots)

Arts Factory programme tout l'été le premier solo show français du peintre Javier Mayoral, plus connu par les nombreux aficionados de son compte Instagram sous le pseudonyme Pulpbrother ! L’exposition déployée sur les quatre niveaux de la galerie, coïncide avec la sortie chez Serious Publishing d'une imposante monographie consacrée à son travail, toujours réalisé en acrylique sur bois.

Né en Espagne en 1961, Javier Mayoral émigre aux États-Unis à 28 ans, puis s'installe à Miami en 2004, où il vit et travaille aujourd’hui. Chantre d'une coolitude absolue, ce peintre autodidacte va cumuler différents métiers tels que chef cuisinier, illustrateur publicitaire ou brocanteur en photographies érotiques, avant de propager son art de vivre via des petites acryliques sur bois, inspirées par la tradition des ex-voto mexicains et la culture populaire du XXe siècle. En refilant la pêche à une culture pop qui avait perdu ses couleurs et ses délires.

On y croise aussi bien les soirées ultra-lounge, les barbecues surréalistes, les rencontres torrides que les road trips improbables. C'est toute une galerie d'inénarrables personnages qui va ainsi défiler, le plus souvent flanqués de leurs animaux de compagnie - tout aussi impayables. Au détour de saynètes cocasses, l'américain moyen s'extasie devant les joies du confort moderne, les desperate housewives conversent avec Jean-Paul Sartre ou David Lynch, et le King, lui-même, vient bénir les pavillons de banlieue, vêtu de son plus beau costume à paillettes. Depuis l’imagerie rock psycho des Cramps, on avait rarement vu mieux et la réactualisation du propos fait froid dans le dos., un genre de Strip Tease 2024 … 

Le livre Easy Living with Pulpbrother propose avec ses 250 œuvres, reproduites au format original, un large panorama de la production de l'artiste en une dizaine de chapitres thématiques :  Fooding, Drinking, Playing, Learning, Listening, Travelling, Dressing, Sexting, comme autant d'invitations à partager les préceptes d'une certaine forme d'hédonisme, tout en dégustant votre cocktail favori ; confortablement lové dans un fauteuil club ! Mais ne vous y trompez pas, c’est du côté de Mandico et de Wes Anderson que cela joue, pas vraiment de celui de Téchiné ou Sautet. De la bonne pop culture, celle qui s’attache à monter des instants décalés. Foncez, c’est du brutal !

Jean-Pierre Simard, le 19/06/2024
Javier Mayoral - Easy Living with Pulpbrother- ed Serious Publishing
Exposition - Pulpbrother -> 31/08/2024

Arts Factory  27 rue de Charonne · Paris 75011 

04.06.2024 à 10:33

Présences (du passé) à la Maison Caillebotte

L'Autre Quotidien

La Maison Caillebotte à Yerres présente Présences, une exposition des Trésors photographiques de la Collection Gilman et Gonzalez-Falla, jusqu’au 22 Septembre 2024, comptant cent quarante tirages photographiques glanés par le fameux couple de collectionneurs sur toute une vie, présentant aux publics des chefs d’œuvres bien connus, photographies souvent iconiques, appartenant à l’histoire de nos cultures occidentales et à cet imaginaire collectif actuel.
Texte intégral (5319 mots)

La Maison Caillebotte à Yerres présente Présences, une exposition des Trésors photographiques de la Collection Gilman et Gonzalez-Falla, jusqu’au 22 Septembre 2024, comptant cent quarante tirages photographiques glanés par le fameux couple de collectionneurs sur toute une vie, présentant aux publics des chefs d’œuvres bien connus, photographies souvent iconiques, appartenant à l’histoire de nos cultures occidentales et à cet imaginaire collectif actuel.

Frederic Sommer Bather Mexico

« Le pouvoir de la photographie réside d’abord dans l’œil du photographe puis dans la réponse émotionnelle et viscérale du spectateur. »

“The power of photography dwells first in the eye of the photographer, then in the emotional and visceral response of the viewer.

Sondra Gilman

« L’exposition majeure du printemps sera consacrée aux portraits et aux regards les plus marquants de la collection Gilman et Gonzalez-Falla. Cette année 140 photographies, presque toujours des tirages argentiques d’époque, seront présentées autour d’une thématique nouvelle de portraits. Ces « Présences » qui côtoient leurs collectionneurs nous accompagneront à travers une histoire de la photographie car la plupart des artistes sont des photographes majeurs de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, en Europe et aux Etats-Unis.. » extrait du site institutionnel de la maison Caillebotte

« Débutée en 1975 et forte aujourd’hui de quelque 7 000 images allant du XIXe siècle aux années soixante, la collection Gilman est l’une des plus remarquables au monde. Un choix de 140 photographies de la collection photo de Sondra Gilman et de son mari Celso Gonzalez-Falla, presque toujours des tirages argentiques d’époque, sont présentées autour d’une thématique de portraits. Une exposition à ne pas manquer, qui voyagera ensuite dans plusieurs musées européens et américains. » est-il mentionné en exergue de la présentation du catalogue de l’exposition.

La Maison Caillebotte à Yerres présente Présences, une exposition des Trésors photographiques de la Collection Gilman et Gonzalez-Falla, jusqu’au 22 Septembre 2024, comptant cent quarante tirages photographiques glanés par le fameux couple de collectionneurs sur toute une vie, présentant aux publics des chefs d’œuvres bien connus, photographies souvent iconiques, appartenant à l’histoire de nos cultures occidentales et à cet imaginaire collectif actuel. L’exposition est organisée par la ville de Yerres sous le commissariat de Valérie Dupont-Aignan, directrice de la Maison, Caillebotte, qui propose ici, non seulement une pérégrination à travers l’histoire de la photographie, de nombre de ses icônes, mais aussi une lecture en quelques 14 chapitres de l’aventure que fut pour Sondra Gilman, et Celso Gonzalez-Falla, une histoire ayant porté beaucoup de joies et de contentements…

Julia Margareth Cameron

C’est dire que, parisiens, nous avons la possibilité de pouvoir échapper le temps de quelques heures, le temps d’un week-end à la folie de la ville pour se rendre à Yerres, à la Maison Caillebotte, afin de découvrir ces trésors photographiques exposés dans la plus pure tradition muséographique, pour avant tout, y retrouver une respiration, s’accorder à la visite du parc, magnifique dans sa luxuriance printanière, prendre un café ou une table à l’excellent restaurant qui jouxte l’exposition, visiter la maison Caillebotte, l’Orangerie, l’exposition des grandes photographies de Béatrice Helg  (jusqu’au 23 Juin,  – voir mon article à ce sujet),  retrouver en ce lieu tout un art de la flânerie, un temps pour soi, un temps secret, assez proustien, quand la limite des heures est franchie, que l’activité se retire et que l’action se concentre, dans une sorte d’intimité secrète, ce lieu où l’on se repose des tensions, des tracas, pour qu’à nouveau, la respiration se faisant plus douce, la proposition de plus hautes joies se fasse claire.

Louis Stettner, Brooklynn promenade, 1954. tirage argentique d’époque, Estate of Sondra Gilman, ©Louis Stettner estate, 2024

Ici, tout s’allège, le beau temps revient en soi, nous sommes alors prêts à recevoir le cadeau qui nous est fait, si, bien sur, on aime la photographie, son histoire, ses Maîtres. Valérie Dupon-Aignan a l’œil très sur, fait preuve d’une vraie liberté de penser; ses choix en matière de classement et d’approche de la présentation de cette collection sont un outil formidable pour pouvoir nous laisser improviser un voyage augural au sein de ces cent quarante images et d’entamer cette conversation secrète , à travers son travail, en relais de celui du couple de collectionneurs, dont, on imagine les coups de foudre, dans une autre aventure, la leur, une autre joie, une autre ambition.

Sur les cimaises de l’exposition, tout s’assemble, l’humeur première de cette lecture d’un film, fait de moments éloignés en apparence, mais, de fait, immédiatement présents, éclaire ces deux siècles d’histoire, traversés par tous les personnages de la Condition Humaine, dans une universalité de ce que fut la vie, ici et là, en 1867, comme en 2018.

Je trouve , pour ma part que tous, sont assez actuels, contemporains de ce que nous sommes aujourd’hui, finalement, peu lointains de nos fragilités, de nos peurs, de nos ambitions, de ce sang qui coule, alors que l’Histoire se fait au devant de ce qui nous apparait comme un retour du destin et de l’implacable obscurcissement des temps. Nos question restent semblables, même si les questionnements qui les formulent à un moment ou à un autre ne semblent pas se recouvrir tout à fait, c’est de fait le privilège du temps qui façonne et qui passe, comme, bien sur, le flux de l’Histoire dans son cours.

Panoramique salle bleue, thématique JOIE_JOY ©PascalTherme2024

Il y a, au sein de ce mouvement, trois aventures qui se se lisent dans une mise en liens et dont le spectateur est le dernier interprète:  tout a été fait pour son plaisir,  pour faciliter son aptitude à la réception de la Collection, en dons et au Travail…. Voilà pourquoi, tout est si simple pour ce promeneur solitaire, tout est juste; aucune escarbille ne peut envahir cet œil complice, qui, penché, comme chez Truffault, à la fenêtre de ce train lancé en pleine nuit, cet œil complice ne peut souffrir aucune gêne; la nuit est claire et défile à pleine vitesse, lentement, délicatement, rapide, intense, comme si ce temps de la Collection était paradoxal, temps du miroir, spéculaire, temps de l’Histoire, Présent  d’éternités, en mouvements sur lui même, échos des voix chères qui se sont tues, passages secrets, jeux de l’ombre et de la clarté,  animations, souffles, récits, voyages, anamnèses, respirations, parfums, eaux mercurielles, sagesse et drames….présences.

…  tout a été conçu, magiquement, c’est à dire très rationnellement pour que la liberté du lecteur, vous, moi, tous, nous puissions encore, déjà, rêver, être, sentir, s’éblouir, se questionner car, à travers cette collection, il y a la matière de tous les scenarii, et de bien des personnages qui hantent encore, parfois, cette mémoire du temps, poreux, insaisissable, directement, et, dont ici, nous avons la ferveur de la trace, la signification sage et brulante, l’envers de cette physique des passions et de leurs trajectoires, dans leur être là, hic et nunc, fixées par tous les magiciens, que sont les grands photographes, ces âmes généreuses à l’œil certain, à la main sure, au cœur prodigue, dans ce don généreux qu’ils nous font constamment, et qui s’appelle la photographie, ce temps retenu dans son grain, sur la peau, élogieux des psychés, manifestant magistralement l’essence de toute temporalité dans l’inscription des sels d’argent insolés aux rythmes de la passion et de l’amour…

…et nous sommes, dans ce sage maelström, ce ralenti, qui, convié aux chocs de ces présences, le magnifique portrait qui fait l’affiche et la couverture du catalogue nous regarde intensément présent, nous invite à ces réjouissances, au plus profond de ce temps consacré,  plongé en lui même, droit dans les yeux, avec fierté, sans se départir de cette beauté du scandale et de l’Éros, merveilleusement incantatoire, solidaire et provoquant, intime audace des temps, avec a-tension et joies… le temps est alors cette matière solaire, éblouissante, cette clarté qui tient lieu de fanal et de phare, ce guide du secret de ce que le temps est en soi et pour tout humain, un voyage qui nous transforme, qui nous hèle, qui témoigne de notre trop humaine condition, nous élève et nous chavire, nous accuse, nous émeut, dans ces mouvements de l’âme cherchant au delà d’elle même ce qui les a traversées, émues, aimées, adoptées, rejetées, élues, puis oubliées…..

C’est alors que ces voyages font l’histoire de la photographie, rendant contemporain, aussi bien les personnes photographiées par Julia Margareth Cameron que ce portrait de Rania Matar, Léa, La maison rose, Beyrouth, 2019, en passant toute cette photographie Sud américaine, européenne, nord américaine des Edward Steichen, Diane Arbus,  Jacques Léonard, Willy Ronis, Luis Gonzalvez-Palma, David Hilliard, Robert Mappplethorpe, Andy Wharol, Edward Curtis, Sally Man, Helen Levit, Frederik Sommer, Joël Meyerovitz, William Klein, August Sander, Paul Strand, Walker Evans, Nan Goldin, Diane Arbus, Leon Levinstein, Louis Stettner, Joseph Szabo, Arthur Fellig Weegee, Lewiw W.Hine, Dorothea Lange, Berenice Abbott, Cameron, Man Ray, Henri Cartier-Bresson, Ray K Metzker, Bill Brandt, Joseph Sudek, Nick Brandt, pas moins de 94 auteurs, des images naissent de ces passions, traversent les temps, ré-habilitent en retour ces temps oubliés, oublieux, pour clamer dans un silence général, par delà le brouhaha de l’époque, le cri dont la vibration gravite, et pour longtemps, sur toute face du monde, claire, victorieuse de la peine et de l’ombre, joyeuse de sa vérité, légère comme un songe et forte d’elle même.

C’est alors que nous comprenons l’envie physique du collectionneur, du couple de passionnés, de conjuguer toute cette lumière en noir et blanc, majoritairement, tous ces tirages vintages, preuves qu’une existence est un soleil qui nait, monte jusqu’à son midi, éblouit puis redescend vers l’horizon, accordant dans ses rayons toute la nuance de la saison et de l’heure en son voyage, plumeuse et de chair de bois sidéral déployée, comme en son roman, toute la vie pour aborder sa nuit, ou, luit encore, dans la fraicheur, sous les étoiles, le grand rayon des jours, la preuve tangible et fragile de son passage, la preuve de ses présences, la belle mutation de ce cri à son chant, de cette énergie primaire, à cette poétique magistrale, de feu le plus souvent, ayant inscrit son texte dans l’écriture des formes et des corps, de ce qui échappe, pour la plupart du temps à la vue, et, qui est ici, le regard aigu qui raconte et qui parle.

dialogue entre deux jeunes-femmes ©PascalTherme2024

L’exposition MAISON CAILLEBOTTE, PRÉSENCES est à ce titre déjà toute une réussite, dans sa mise en situation, sa mise en scène, la présentation des œuvres induit tout une intimité dans une valeur partagée, celle d’un immense amour pour le regrès de ce qui s’accomplit, dans l’irréversible de nos jours et dans ce chant mémorable de ce qui établit, à jamais, la preuve que nous avons été là…..pratique de cette photographie, dans le champ de l’intimité, largement socialisée aujourd’hui et dont l’action, dans la production d’images, est, dans ce différentiel entre l’art et la pratique sociale de l’image pour chacun, affirme une distinction, un changement de plan, de paradigme, plaçant le travail des Maîtres de la photographie, sur le plan général de l’époque, de l’Histoire, de l’Universel.

Un partage se fait donc quasi « naturellement » dans cette circulation du sens, à travers les trois acteurs qui sont ici assemblés, la collection et le couple des collectionneurs, matrice du don, les choix de son commissaire et de ses équipes, dans la pertinence du travail, comme dans cette proposition de relais si juste et si parfait, et dans celui des visiteurs, a qui s’adresse, évidemment, la royale proposition dans son corps et son esprit…

Cet effet est une aventure, celui de re-situer en soi, les souvenirs qui affluent de sa propre histoire et de ses rencontres précédentes avec ce Bruce Davidson, Brooklynn gang, Coney Island, NY, 1959  pour exemple – mais où l’ai-je vu pour la première fois, dans quelle revue exactement, à quelle occasion., à quel âge,  ou cette autre, 1963, Dwarf holding Flowers, ou ce Larry Fink, ce Paul Strand,  ce Frederik Sommer, ce Little man de Lisette Model, cet auto-portarit de Man Ray,  1924. Il est curieux de constater qu’ainsi s’égraine en soi, une sorte de recherche des premières fois où le cœur a reçu cette lumière, le plus souvent, lumière qui fait naître une autre lumière, par ce petit miroir orienté vers le monde et dont le reflet a voyagé, sur la surface du monde, pendant tout ce temps, qu’il fut conservé, gardé, secret, ou qu’il se fut mis à courir le monde de New-York, à Paris, du Texas à Yerres.

C’est pourquoi, en ces temps de saturation, n’hésitez pas à porter vos pas au devant de ce film qui n’ attend pas, en ce lieu retiré et actif, vers cette lanterne magique aux mille feux, au rêve prométhéen prodigieux. C’est là que se trouve une jouvence et son eau claire, dans le souffle de cette photographie, humaniste, sensible, qui raconte toujours différemment, toujours précisément son histoire dans ses récits, et qui n’a cessé finalement d’être cette épreuve de Vérité qui nous séduit tant pour nous délier de nos faux-semblants. Cette poétique de la lumière, des êtres qui bruissent en cet autre côté du miroir, afin d’éclaircir cette Présence de l’Universel au sein de toutes ces Présences, dont la nôtre aujourd’hui, reste, pour moi, un fanal précieux dans la tempête qui s’annonce et l’opportunité de revivre le chemin, si personnel et si privé qui m’a lié à l’image et à cette photographie, dont l’Histoire gardera précieusement la mémoire.

N’hésitez pas, allez vous exposer aux feux de cette collection, il y a là, un miroir qui parle.

MAISON CAILLEBOTE, PRÉSENCES est un relais actif de la conscience plastique actuelle.

Le Catalogue de l’exposition, excellent ouvrage, est en vente sur place.

Pascal Therme, le 5/06/2024
V.A. - Présences -> 22/09/2024

Maison Caillebotte 8, rue de Concy 91330 Yerres

Catalogue de l’exposition Co-édition Maison Caillebotte, Yerres / In Fine éditions d’ar

Sommaire

CE QUE NOUS AIMIONS / WHAT WE LOVED

LE FILS PRODIGUE / THE PRODIGAL SON

HYMNE À LA VIE / ODE TO JOY

LE RENARD PHILOSOPHE / THE PHILOSOPHER FOX

LE FOL AMOUR / LE FOL AMOUR

SONDRA ET CELSO / SONDRA AND CELSO
ARTISTES ET MODÈLES / ARTISTS AND MODELS
COMPOSITIONS / COMPOSITIONS
C’EST L’AMÉRIQUE ! / THAT’S AMERICA!
ENFANCES / CHILDHOOD
DANS LES RUES / IN THE STREETS
SOLITUDES / SOLITUDE
JOIES / JOY
MIROIR DU MONDE / MIRROR OF THE WORLD

24.04.2024 à 11:37

La regrettable/inopinée disparition de Serge Hesse

L'Autre Quotidien

Serge Hesse et son image au noir. Suite à la disparition du photographe Serge Hesse, survenue dramatiquement, dans l’invisibilité de tout un milieu très parisien de la photographie,  d’une certaine photographie, il y avait celui qui archivait, déplaçait cette invisibilité d’un réel qui échappe toujours aux représentations reconnues et publiées, parce que non photographiables soi-disant, dans l’investissement et l’actualité d’un autre visage de nos sociétés, en le confrontant à ce qui le déterminait dans sa fonction politique et sociale, dans l’urgence du masque des solitudes « modernes », de l’aberration de ce qui fait faussement société, dans la mise au jour de tous ses artefacts.
Texte intégral (2454 mots)

Serge Hesse et son image au noir. Suite à la disparition du photographe Serge Hesse, survenue dramatiquement, dans l’invisibilité de tout un milieu très parisien de la photographie, d’une certaine photographie, il y avait celui qui archivait, déplaçait cette invisibilité d’un réel qui échappe toujours aux représentations reconnues et publiées, parce que non photographiables soi-disant, dans l’investissement et l’actualité d’un autre visage de nos sociétés, en le confrontant à ce qui le déterminait dans sa fonction politique et sociale, dans l’urgence du masque des solitudes « modernes », de l’aberration de ce qui fait faussement société, dans la mise au jour de tous ses artefacts. On peut considérer que ce travail au NOIR était une sorte d’épreuve de vérité et d’anthropologie sociale, rappelant l’inscription des Situationnistes et de leur énergie révolutionnaire, reprise dans un exercice quotidien du Voir contre la clôture du regard.

Serge Hesse – Boltanski

L’image est lente, sombre, mettant en avant, dans l’infra seconde de  la prise de vue, cette prise de vies, à la multiplicité égrenante,  redoublant, par sa fixité, la portée du fascinum, faisant parler tout le corps de l’image par le retentissement sombre des voix chères qui se  sont tues, mémorial qui hante, en fantôme, le regard de Serge Hesse, pour en redoubler l’effroi, la beauté funèbre, la puissance d’évocation.  L’image est faite par celui qui regarde, donnant une mesure à la  proposition boltanskiene et à sa réception.

Un passage de témoins s’opère alors que, dédié au vent, à la mémoire,  à l’histoire, à toutes les fragilités qui sont, de fait, l’histoire  d’un trait, dans sa vibration somnolente, son impermanence, à l’érosion  certaine, la voix devient comme Une, entre le plasticien et le  photographe, passe le silence, pour évoquer les disparitions, mailles  constitutives de tout une conscience funèbre, au travail, hier,  aujourd’hui, demain, encore et encore dans le travail du deuil.

Voilà ce que je vois de cette photographie, ce qu’elle m’évoque,  double objet du voir et de l’entendre, au silence répond le cri enfui,  indicible. Reste l’image et la fascination qu’elle exerce sur ma  perception, dans un interdit, un dédoublement, un voyage intérieur, un  piège au regard, une fascination.

L’apparition d’une perspective à l’intérieur d’un visage doublé de sa  propre perspective intérieure, sur fond de mer, dans un soleil de  minuit, réfracte ce regard qui voit, et dont l’intensité ne peut qu’être méta-physique, mémorielle; évocation des forces qui paraissent  parfois dans l’image et l’imaginaire, ici, afin d’emprisonner le  regardant … déjà dans une forme que la photographie de Serge Hesse  conçoit, dans une attitude surréalisante, pour garder, regarder comment  l’installation use de l’image et l’utilise.  ( la photographie est un  plan à deux dimensions, alors que l’espace de l’installation se fait  dans un co-présent et dans l’espace partagé du Musée, par le spectateur,  qui vit en même temps l’installation et son mouvement. )

Ceci est d’une importance majeure, cette image est aussi  référentielle au « système » de représentation du photographe…. Et si on  la prend comme telle, sans avoir à se référer à l’œuvre source, elle  apparaît alors, dans cette autre mesure, comme une image à la charge  symbolique lourde, mobilisant un regard, qui, s’enfonçant dans l’image,  ne peut se détacher du mouvement qui revient au point de départ, dans  une boucle sans fin. Le regard semble pris au piège, fasciné.

Un voile s’entre-ouvre sur une perte instantanée des repaires, icône  plus qu’image, où se concentre le fantôme, l’apparition, le visage d’un  féminin, pur, intact, dans une concentration idéale, idéelle, comme un sable mémoriel, propre à engloutir dans ce mouvement intérieur, tout regard. S’agit-il d’un cérémonial sacrificiel, par ce qui n’est plus et est toujours, malgré tout, permanent, arrêté, bloqué, signifiant  l’impossibilité du deuil?

Cette photographie est un voyage impassible vers l’impossible oubli, un mouvement qui ne peut trouver de résolution, une nécessité vitale,  entre ce qui est tombé et ce qui relèverait l’espoir, entre un ciel et une terre qui s’engloutissent dans un épuisement du regard, et reviennent au point de départ, comme une programmation d’un non sens.

Ce voyage s’assume comme un  rêt, (ret*) qui tient éveillé et qui  emprisonne, c’est une sorte de Fascinum, fascination, à la part  invisible, devant ce qui a été nié, détruit, sacrifié dans l’abject,  (l’installation source) et la fusion des plans de l’image  photographique, rendant impossible le mouvement physique de traversée de  l’installation, le passer à travers, dans une liberté qui assume la  part du devoir de mémoire.

Tout se tient ensuite dans l’œil. On y retrouve la fascination  ostentatoire de ce qui en disparaissant s’affirme encore plus  réellement, dans ce qui flue, flux, de l’autre côté du miroir, comme  dans un crépuscule, quand le soleil s’embrase et descend à l’horizon,  laissant le jour disparaître; un entre deux mondes arrêté au crépuscule  d’un passage qui disparaît graduellement, en ne cessant de signifier qu’il disparaît et qu’il émet toujours, même après sa disparition,  toujours plus intensément, le point silencieux qui l’a porté à être, et  qui ne peut se résoudre à disparaître, tenant dans ses rais ce qui fait  humanité.

Pour autant un visage féminin s’impose dans un regret de ce qui  attire et repousse le regard, revient sans cesse à la conscience,  semblant y trouver une sorte de pacification tutélaire; un visage  féminin à la beauté sourde et secrète, familière, dont le regard ne  cesse de flotter, puis de s’agrandir, devient une sorte d’interrogation  métaphysique devant ce qui a été sacrifié, hors de ce qui fit  jusqu’alors Humanité…travail d’un deuil impossible à faire, confronté à  ce mutisme de l’impossibilité d’un Dire…

D’où, vient, notre perception d’une disparition? …. dans la morsure  et la trace qu’elle laisse en nous et qui survient ensuite comme réalité perceptible de ce qui a été. Une interrogation profonde se fait. Tout est devenu ambivalent, au point de faire mentir ce qui se dit dans la douceur apparente du visage; l’Histoire confronte l’abject à un certain  point d’incandescence pour devenir trou noir, impossibilité de la  représentation, conséquemment impossibilité de comprendre. La raison se trouve engloutie; se réfractent les soleils anciens dans une figure du  sacrifice, dans un au delà, après le voile, où curieusement une  proposition apaisante se fait par une évocation du sublime, du  subliminal.

Ici, Serge Hesse touche à l’immémorial de la mer et du soleil, en  arrière plan, résonances magnétiques, passage du voile, contamination à  rebours de la Paix impossible, but avéré d’une traversée, d’un voyage, d’un rappel à l’enfer de Dante.

Est ce bien là le point ultime du plan, répondant à ces vers de  Rimbaud qui me viennent “c’est quoi l’éternité, c’est la mer allée avec  le soleil” dans une analogie,  ou une métaphore, ici implicite.

On imagine que le photographe, grand lecteur de poésie vit ces vers  dans leurs réalités plurielles et que ceux ci ont toujours une action secrète, quand le faiseur d’images se nourrit de l’expérience et des héritages qui font en particulier et en singularité,  actes de  création, évocations, passages, retours sur soi, retours à l’Histoire,  ici vécue dans son impossibilité rationnelle.

Dans ce voyage de l’Ultime, de l’Absurde, de l’indicible, toute  parole, semble devenue vaine, ne s’étend, comme un paysage brulé que  l’étendue de ce regard de femme, dans son incertaine proposition, femme  d’ici et d’ailleurs, ou vierge sacrificielle consacrée ?

Un ici et maintenant opère, également une certaine lecture des figures mythologiques, vécues intérieurement, approchées dans leurs  forces à imposer des liens subtils dans une création, qui vit en dedans  de soi et qui tourne son regard vers cette unité fragile, hypnotique, aux sources indicibles, dans une sorte d’inconscience qui parle, tout de  même, au delà du voile, dans cette division du plan, pour évoquer un  visage qui s’éclaire intérieurement et qui appelle toute la magie  ancienne de Circé à Pluton. Les temps de l’apocalypse sont une  concrétion et se déplacent, se répondent.

Voyage au pays de Cérès aussi, puisque l’espoir luit doublement par  l’étoile (le soleil est une étoile) mais voilé. Comment retrouver ce qui  est vivant en soi, sans passer par la décomposition du visage même de  la mort. Ce Travail au Noir, remarquable, trouve dans cette image une  part de ce qu’il est, entre inconscient et conscient, entre visible et  invisible, entre connu et inconnu, dans une sidération.

Serge Hesse parvient par cette image à pousser les portes d’une  conversation secrète avec lui même, dans une objectivation sensible  versée à la perte et au recouvrement de l’obscur; travail des  profondeurs et de l’intensité dramatique dont il se charge, aux portes du conscient d’où il parle silencieusement, en fabriquant une poétique conjointe de l’enfouissement et du surgissement, du domaine des ombres à  la figure miraculeuse de la mère divine, ici funèbre et sacrée,  interdite, impénétrable en vérité, évoquant la Mère divine, Isis, Marie,  Mère, Épouse, Vierge douloureuse, figures irréductibles, ouvrant sur  une proposition plus actualisante que déréalisante, plus englobante,  dans son rapport au numineux et à la vie, car ce « touché » est le signe  funèbre d’une grâce qui délie et lie en même temps, provoquant le  Souffle dans sa Raison au point de surgissement  d’un espoir de rédemption. Tout voyage est amer, aurait écrit le poète.

Le photographe marche en lui et dans le monde, sans séparation,   quand une inquiétante étrangeté advient, en commuant le deuil impossible  par une réfraction de ce fascinum, propre à établir, dans l’intimité  profonde de l’être, un bord du dire, ce dont l’indicible, l’innommable,  l’absurde, serviraient ici  à imposer déréliction et forclusion .

Au delà, en deçà, est et reste cette photographie, autonome, à  l’imparité de la raison impossible à rendre, dont le fascinum reste un  envoutement funèbre qui ne cesse d’osciller entre l’ici et maintenant et  l’ailleurs, un autre temps sans fond, sans âge, pourtant datable  historiquement par le passage du miroir menant à cette paix impossible,  dont tout le mérite est déjà d’avoir mené le retour de cette femme  impassible, Joconde interdite, beauté énigmatique et mystérieuse, aux  limbes d’une possibilité d’un Dire et dont le secret est déjà celui de  regarder intensément ce regardant, ce récipiendaire du temps présent.

Reste cette photographie qui situe le mouvement incessant d’une   Fascination, dans un flux permanent, s’attache au constat  de notre  actualité en cette guerre contre l’Ukraine, et si Poutine osait l’enfer  pour nous occidentaux, ne seraient on pas plongés en pleine stupeur, en  plein interdit, au cœur du Drame?

Pascal Therme, le 2 Mars 2022.
Serge Hesse et son image au noir

** aussi, Ret est une abréviation, qui signifie : Reticulum, Reticuli, le nom latin et son génitif de la constellation du Réticule

Reticuli est une étoile double qui peut être résolue à l’œil nu à  condition d’avoir une excellente vue et de disposer de bonnes conditions  d’observation car les deux étoiles qui la composent sont à la limite de  la visibilité

23.04.2024 à 17:35

Rosebud. De Citizen Kane au porno gonzo de Guillaume Richard

L'Autre Quotidien

La cinéphilie a deux versants, ce n’est pas un dualisme équilibré, c’est une schizophrénie qui essaie de soigner ses fêlures avec les médocs de la pharmacie pop-gnostique et toc avant d’avoir la beauté, tragique, d’en assumer les poisons qui font vivre ceux qui en dépendent. Se faire lecteur de Rosebud le livre, c’est dès lors sceller l’alliance avec l’ami qui, un jour, a découvert que la rose cinéphile est un trou qui a deux côtés, face et dos, devant et derrière, avers, envers et revers – versos et rectaux.
Texte intégral (6413 mots)

Des deux côtés de la rose

Un livre peut être comme la rose dont la valeur emblématique rayonne pour tout cinéphile marqué par Citizen Kane et son fameux sésame : Rosebud. Le livre est une fleur qui s’ouvre en béant de fièvre. La rose comme le livre qui s’y dédie offrent deux côtés, comme deux lèvres : un côté pile qui tombe un peu trop pile poil et un côté face qui fait tomber le masque, l’auteur à poil en révélant que sa cinéphilie est un jardin intranquille où ont poussé des fleurs du mal. La cinéphilie est une manière de prendre soin de soi en prenant soin des films qui prennent soin du cinéma, cela on le sait bien. Mais on n’y comprendrait rien si l’on ne voyait pas que le remède est un poison, le pharmakon d’un pharmacien qui un jour a découvert que les images ne sont pas inoffensives. Les images mordent, elles infectent et les blessures qu’elles infligent sont le destin des cinéphiles, ces jardiniers qui cultivent les roses maléfiques de leur addiction.

Bouche bée et bouton de fièvre

Rosebud est le sésame fétiche de nombreux cinéphiles. Le mot magique pour entrer en cinéphilie par l’une de ses voies privilégiées, Citizen Kane (1941), premier long-métrage d’Orson Welles et canon de l’histoire du cinéma, marque un hiatus à ressaisir autant comme ouverture que comme béance. Ce qui s’ouvre est une question haussée à la valeur d’un paradigme, l’exemple qui vaudrait pour tous les exemples : ce qui s’ouvre laisserait bouche bée. On dirait avec Jean-Luc Nancy qu’il en va du sens même, non pas de quelque chose mais per se, en soi et pour lui-même, ici la question d’une énigme (l’existence de Charles Foster Kane) qui à la fin délivre un mystère (le sens même du film d’Orson Welles). Le sens est la pesée de son opacité, il est inappropriable, incommensurable, impénétrable (Le Poids d’une pensée, l’approche, l’approche, éd. La Phocide, 2008, p. 21).

 Entre le sésame (« bouton de rose » en français) et l’objet à quoi il se rapporte (une luge du temps de l’enfance), il y a un film qui repose sur l’écart glissant entre les choses et les mots, le bâillement qui accueille d’autres choses (par exemple une boule à neige) et d’autres noms (ainsi le château de réclusion de Kane, Xanadu, dont le nom vient de Samuel Taylor Coleridge), et puis des narrations fragmentaires, de la profondeur de champ et des perspectives hypothétiques. Tout un néo-baroquisme qui a rayonné bien au-delà de son champ d’exercice, par exemple avec Watchmen.

 Rosebud se rapporte à la bouche qui le prononce, une bouche rendue monstrueuse avec le gros plan, parce que le sens est monstrueux. Le sens ? Un excès qui pèse sur toute existence et qu’aucune narration, enquête journalistique et roman biographique, ne saurait contenir. Le bouton de rose engage à l’excroissance, bouton de fièvre (comme sur la lèvre de la Nahla de Farouk Beloufa), une inquiétante efflorescence – une fleur du mal peut-être.

 Ou une fleur de paradis que le dormeur aurait ramenée de son rêve en la retrouvant dans sa main au moment du réveil : La Fleur de Coleridge de Jorge Luis Borges (l’écrivain argentin s’est inspiré du poème Kubla Khan de Samuel Coleridge où l’on trouve d’ailleurs mention de Xanadu), devenue depuis la rose blanche dans la bouche de Jean-Luc Godard à la toute fin des Histoire(s) du cinéma.

 Si Rosebud est un sésame qui donne la fièvre, il est d’abord celui-là : un mot, un seul, suffit pour dire que suffire ne saurait jamais suffire. Le sésame ouvre au sens comme une bouche souffle un dissémination de signes, une floconneuse pulvérulence qui fait sens en assurant que le sens excède tous les signifiants dont il est la condition et qu’il autorise. L’objet auquel se rapporte le sésame et que l’on découvre enfin, loin d’enclore le sens, brûle alors le cercle en ouvrant aux boucles, aux tourbillons dans le devenir d’une vie qui continue après son arrêt, mort d’un homme et fin du film – une survie. Si Rosebud est un mot magique, c’est précisément pour sauver une vie de son incorporation dans le capitalisme. Sauver l’enfance d’un garçon qui a été la première marchandise de son empire, son tombeau monumental. Sauver l’objet métonymique de cette enfance en le sauvant des équivalences marchandes dont les ruines s’accumulent sans suffire, pierres pour pyramides. Sauver le film avant que les flammes ne le consument, comme la luge. Parce que le secret est perdu pour tout le monde, sauf pour le spectateur à qui le secret est confié, secret du film et du cinéma compris.

 Si Orson Welles s’est imposé à Hollywood en premier des modernes, c’est en concevant avec Herman Mankiewicz le dispositif horloger protégeant son film de la tyrannie de la marchandise, ajointé au récit morcelé du capitaliste en nouveau Roi pêcheur, triste souverain de terres vaines où s’amoncellent les marchandises répétant la violence première – un enfant a été vendu par sa mère.

 L’un des sésames de la cinéphilie qui les vaudrait tous propose donc un mot magique susceptible de sauver l’art du cinéma du commerce des films. Si ceux-ci peuvent survivre, c’est dans l’irréductible opacité du sens. Cette fièvre qui fait venir des boutons aux lèvres et fait éclater une boule à neige en voyant dans ses flocons un poudroiement de spores. Ce vertige dont les effets de parallaxe sont des écarts parallactiques déliant les paroles et les images, déboîtant les rails du faux et du vrai, entrelaçant des archives de fiction à la manière des bandes d’actualité et un perspectivisme narratif raccord avec les expérimentations romanesques courant alors de Henry James à John Dos Passos.

 Rosebud est un mot de passe qui nous laisserait ainsi bouche bée, la passe du sens au risque de l’aporie, la fièvre herméneutique qui invite à interpréter et, partant, donne à délirer. Un schibboleth.

 Fente labiale et blessure à déchiffrer

Rosebud est un schibboleth, son paradigme en cinéma depuis Citizen Kane. Le mot de passe est fort d’une polysémie sporagineuse (le terme hébreu peut signifier la rivière ou l’épi, le fleuve que l’on passe muni du rameau en signe de reconnaissance). Ce mot scelle une alliance « sur le seuil de l’imprononçable » pour citer Jacques Derrida en souvenir de l’épisode biblique des Ephraïmites soumis à l’épreuve de franchir le Jourdain (Schibboleth. Pour Paul Celan, éd. Galilée, 1986, p. 45).

Une blessure à déchiffrer et le poème en est une. Une blessure à déchiffrer et un film aussi. Un livre, enfin, celui qui oserait y revenir alors même que tant semblerait avoir été dit, sachant aussi bien que tant resterait encore à dire dès lors que le sens est effectivement « restance », toujours à venir (Jacques Derrida, Béliers. Le dialogue ininterrompu : entre deux infinis, le poème, éd. Galilée, 2003, p. 47). Guillaume Richard nous invite à lire son premier essai en engageant son lecteur à nouer une alliance avec lui, sans jamais la prononcer. C’est dire la difficulté de lire son Rosebud qui est pourtant un livre très simple, mais dont l’apparente modestie coiffe cependant un ensorcelant exercice de dénudement. On en sortira désœuvré, pénétré des effets d’une mise à nu qui est une histoire de cinéphilie, l’aventure singulière de l’auteur qui se raconte des deux côtés de sa cinéphilie.

On pourrait dire que Rosebud. De Citizen Kane au porno gonzo se compose de deux parties, mais le formuler ainsi en réduirait d’emblée la portée, imprévisiblement insidieuse. On préfère avancer qu’une fente en ouvre le corps par le milieu. Son hiatus témoigne alors que le livre est ouvert comme on peut s’exposer en parlant à cœur ouvert. Le livre bée au sens d’une béance qui en indiquerait la fente labiale, les lèvres de la blessure à déchiffrer tout en résistant à l’être. La première partie se propose déjà de comprendre le sens du Rosebud issu de la bouche de Citizen Kane pour en évaluer ensuite les effets de sens, qui peuvent tenir de la résonance involontaire ou de la correspondance assumée, dans des films postérieurs (à l’exception d’un seul). Un corpus de films élus est mis ainsi à l’épreuve de la validité heuristique du Rosebud comme une image de la pensée créée par le cinéma.

On en résumerait ainsi l’idée : Rosebud est le nom d’une image qui a la rose pour emblème, la blessure pour secret et le risque de l’affection comme infection pour qui en devient le sujet par-delà l’écran. Rosebud est alors le nom d’une variété d’images qui affectent comme les roses et qui infectent comme des fleurs du mal, et dont Guillaume Richard propose d’en composer le bouquet.

L’auteur y insiste d’entrée de jeu en marquant la valeur négative de l’événement associé à sa proposition de rosebud qui se différencie ainsi d’une poétique romantique de la rose (p. 11-12). S’il y a un secret au sens où Jacques Rivette en a parlé, le secret est l’enjeu d’un partage entre les films et le livre qui les a élus. Le secret partagé est vrillé d’obsessions, pigmenté de symptômes, avec ses aveux de face et, de dos, leur part d’inavouable. « Cet essai est un livre noir et maléfique : les lecteurs sont prévenus » (p. 13). Noir et maléfique,e Rosebud l’est en étant aussi un livre malade comme François Truffaut a pu parler, devant Marnie (1964) d’Alfred Hitchcock, de « film malade ».

D’un aveu l’autre. Pour notre part, on voudrait commencer par avouer notre relative déception à l’égard de ce premier moment, un premier mouvement qui se déroule très classiquement et que l’on soupçonne d’être un poil trop convenu. On va tatillonner mais c’est exprès, une ruse sûrement, on le comprendra bientôt. On pourrait ainsi relever que l’auteur ne mobilise pas le travail titanesque accompli par Youssef Ishaghpour au sujet du cinéma d’Orson Welles. C’est pourquoi on peut s’étonner que l’auteur cite quand même ce dernier, mais uniquement à partir d’une note dédiée au travail d’Abbas Kiarostami. On songe alors à la fleur glissée dans les pages du cahier à la fin d’Où est la maison de mon ami ? (1987) mais ce film n’est pas évoqué (p. 21).

Ce qui induit la remarque suivante : l’élection des films retenus par l’analyse témoigne d’une sur-focalisation nord-américaine (y dominent Francis Ford Coppola, Christopher Nolan et David Lynch) ou de cinéastes étrangers ayant travaillé à Hollywood (Miloš Forman et Roman Polanski), à peine tempérée par quelques films français ou belges (significativement, le premier film extra-hollywoodien est un film français cité comme contre-exemple, Une liaison pornographique), le Nosferatu de Friedrich Murnau associé à son remake par Werner Herzog, ainsi que l’évocation du séminal Chien andalou de Luis Buñuel.

Même si la référence, tardive, au cinéma de Douglas Sirk, qui aurait mérité toutefois quelques développements, délivre une belle citation du cinéaste dont l’éclosion marque le seuil du passage à la seconde partie du livre : « On me demande pourquoi il y a tant de fleurs dans mes films. C’est parce que les maisons y sont des tombes, des mausolées » (p. 83).

La cinéphilie est un jardin de rayonnements verdoyants, c’est également un temple, une maison des morts, une chambre verte.

Pourtant, des roses, il y en a, tant et tant dont les poussées ponctuent le cinéma, par exemple chez Pier Paolo Pasolini et Jean-Luc Godard, deux auteurs certes consacrés mais qui auraient pu un peu aider à contrebalancer un fort tropisme hollywoodien. Sans compter des cinéastes issus d’autres régions, comme Ghassan Salhab qui, porté par la poésie de Paul Celan et sa Rose de personne, a dédié un essai à Rosa Luxemburg : Warda. Une rose ouverte (2019). Les linguistes s’accordent à poser que warda, la rose en arabe, est à l’origine du terme latin rosa qui a donné la rose en français.

 La toile d’araignée tissée entre les branches du rosier

Guillaume Richard a beau s’armer de toutes les précautions rhétoriques nécessaires, il assume aussi de faire l’économie de toute une tradition culturelle, littéraire en particulier, liée à la rose dont les boutons se sont historiquement disséminés dans les films, en occident (de la rose d’Aphrodite à celle associée à la Vierge) et en orient (Le Jardin de roses de Saadi). Dante évidemment (l’auteur de La Divine Comédie est pourtant cité page 53 mais sans faire mention de la rose finale) et tant d’autres, Le Roman de la rose et les Rubaiyat d’Omar Khayyam, Ronsard et Silesius, Keats et Celan, Gertrude Stein et Jean Genet. Ce dernier a d’ailleurs parlé d'un « miracle de la rose » et Jacques Derrida y est revenu en marquant la double opération accomplie par la fleur pour l’écrivain, figure de rhétorique et motif résistant à sa symbolisation, castration par l’écriture et hymen sans déchirure, l’objet qui est lisible tout en restant indéchiffrable – un pharmakon (Glas, éd. Galilée, 1974, p. 67).

Rosebud serait-il remède et poison pour son pharmacien qui s’avouerait drogué ? L’aveu mériterait d’avoir les yeux tranchés, mais au risque de la surdité quand le rosebud inaugural est une parole contrevenant en effet à l’idée qu’« au commencement, tout se joue donc dans la vision » (p. 55).

En vérité, notre déception est un leurre immunisé contre toutes les preuves qui trancheraient nettement en faveur de sa décidabilité. Elle a en tous les cas fonctionné en se révélant, avec la lecture de la seconde partie du livre, un piège pour le lecteur, l’indice peut-être fantasmé d’une forme de duplicité, voire de réjouissante perversité. La déception se retourne alors en « déceptivité » capable de fendre nos écorces culturelles. L’orchidée aura ainsi attiré la guêpe et nous qui croyions tranquillement butiner participions à faire fonctionner la machine à pollinisation. On croyait la rose paradoxalement manquer à l’endroit de sa nécessité et nous étions en fait toujours à l’intérieur, c’est après coup que nous le comprenons.

C’est que la rose du cinéphile qui, dans son jardin, en cultive les efflorescences a un autre côté, un dos comme l’enfer est le double négatif ou inversé du paradis.

Rosebud de Guillaume Richard avance en fait masqué en marquant au détour d’une page la vérité du masque, par exemple quand une phrase pèse d’un sens plus grand qu’elle : « une toile d’araignée tissée entre les branches d’un rosier qui se déploie sur des proies qu’elle met à l’épreuve » (p. 31).

Le vin cinéphile, la rose et les épines (pharmacopée, pharmacologie)

La cinéphilie canonique a sur la lèvre un bouton de fièvre en ayant dans le dos une fleur plantée par l’amateur de pornographie gonzo. Passer d’une partie à l’autre est un grand moment, l’œil tranché du lecteur qui se découvre alors chien andalou. D’un côté parce que l’on expérimente avec l’avertissement une variation impromptue du panneau mythique « No Trespassing » ouvrant Citizen Kane (p. 86). Mais comment faire autrement que transgresser le liminaire préventif ? De l’autre parce que le passage est une fente à forte dimension schizoïde, comme dans un film de David Lynch, abondamment cité en fin de première partie, voilà que l’on ne s’en étonnera pas. Pour le lecteur, passer de la première à la seconde partie, c’est comme entrer dans le cercle des douze sycomores de Twin Peaks, c’est comme ouvrir au cœur de la forêt sombre les rideaux rouges permettant d’accéder à la Loge. On ne se répétera jamais assez combien ces images sont saturées de sexualité en ayant le pouvoir de rappeler à toutes les images qu’elles sont des membranes qui ont des plis, ventres, fentes et orifices. Et non moins les pages d’un livre, qui sont d’autres lèvres, des pétales encore.

Le cinéphile aux goûts cultivés, très classiques, dévoile alors un autre visage – de dos. Le dos de qui ne craint pas de se mettre à poil pour avérer que la cinéphilie tient de l’armoire à pharmacie, avec ses remèdes et ses poisons. Son livre est comme un manuel de pharmacopée obsessionnelle, avec ses roses d’un genre unique qui sont les emblèmes de blessures secrètes dont les images sont les gardiennes et les relais, pollinisation et addiction, affection et infection. Le cinéphile est comme un autre Roi pêcheur, avec au flanc la blessure des roses qui sont des fleurs du mal, ces images brutales et fatales de prolapsus rectal, ces roses du désert que ses amateurs ensorcelés nomment rosebud.

Le gonzo ne qualifie plus seulement une pratique journalistique, rock et ultra-subjective popularisée en 1970 par Hunter S. Thompson à qui Las Vegas Parano (1998) de Terry Gilliam est dédié. Gonzo n’est pas qu’une marionnette du Muppet Show, le casse-cou muni d’une trompette mal embouchée. Gonzo, ce terme aux origines imprécises et créoles, qui serait issu de l’italien signifiant bizarre ou excentrique ou de l’irlandais parlé à Boston afin de décrire le dernier homme debout après une longue nuit d’alcool, qualifie désormais la production dominante de l’industrie pornographique réduite à son os : des scènes de sexe sans narration filmées en caméra subjective. Dans ce désert qui représente un bord extrême de l’industrie des images en mouvement, d’étranges roses morganatiques sont apparues dans le courant des années 2010. « Dans ces films, les pornstars pratiquent ce qui a été appelé par les actrices elles-mêmes, non sans une certaine poésie, un rosebud, qui est en réalité "un prolapsus rectal – pour résumer, la paroi interne du rectum sort de votre anus, ce qui donne l’impression que votre trou du cul ressemble à une rose du désert" » (p. 93).

Rosebud est le schibboleth des images quand elles se disent des deux côtés, images schizo, versos et rectaux (on aurait dû écrire recto mais le prolapsus invite au lapsus, cet autre bouton de fièvre).

Un schibboleth qui, pour nous inspirer de Julia Kristeva, objecte contre la correction cinéphile l’abjection qui réintroduirait dans le rapport supposé apollinien aux images le fait qu’elles balancent entre répulsion et fascination (cf. Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection, éd. Fayard, 1983).

Rosebud ouvre la bouche en exposant son bouton de fièvre, la bouche en cœur avant de l’avoir en cul. Les roses de la cinéphilie ont deux versants et l’un servirait non pas à se soigner de l’autre mais à supporter la blessure qui est vertige, percée du fantasme logée dans l’œil et qui en jaillit comme une giclée, un court-circuit lynchien entre Un chien andalou et Vertigo. On évoquera ici un étonnant montage proposé par Jacques Demy, avec la rose dont le cœur accueille tantôt un œil, tantôt une bouche, la fleur associée à la Fée des Lilas dans Peau d’âne (1970). La rose est une bouche qui a son derrière, une fleur qui de face sent bon en ayant un sombre fondement. Fond et fonds (au sens de l’archive), fondation et fondement ont des résonances godardiennes qui rebondissent entre les pages du livre de Guillaume Richard et les expliciter marque l’alliance avec l’auteur de la phrase suivante : « Chacun a le pouvoir de faire pousser une rose à l’extrémité de son corps dont c’est peut-être le secret le plus étonnant et le plus dangereux. Faut-il pour autant s’en effrayer ? » (p. 96).

On repense alors au nain qui déclare dans Fire Walk With Me : « Par cet anneau, je t’épouse ». Et puis, forcément, à la fleur bleue d'Henri Ofterdingen de Novalis qui a inspiré un documentaire brésilien projeté au Cinéma du Réel en 2019, A rosa azul de Novalis de Gustavo Vinagre et Rodrigo Carneiro. La fleur bleue y devenait rose poussant dans un cul.

Tout cela ne va pas sans humour également. On se régale ainsi du ton expert et érudit à l’œuvre dans cette seconde partie, plus technicien qu’avec la partie précédente. On rit aussi à la lecture de cette précaution : « Toutes ces correspondances ne sont certainement pas le fruit du hasard » (p. 98). Il n’empêche : l’aveu s’assume (« Notre première rencontre avec un rosebud pornographique... », p. 99) en racontant comment le cinéphile propre sur lui est devenu le captif amoureux des « déesses et démons » qu’il aura rencontrés dans son trajet de spectateur, troublé par la vérité longtemps cachée, à savoir que « la pornographie est le plus cinématographique de tous les cinémas » (p. 106). Les ultimes références à David Cronenberg comme à Une sale histoire (1977) de Jean Eustache relèvent moins de replâtrages repentants que des liaisons souterraines d’une cinéphilie qui sait avoir deux côtés. Une cinéphilie deux fois trouée, devant et derrière, par le « court-circuit œil-sexe » (p. 110).

La cinéphilie a deux versants, ce n’est pas un dualisme équilibré, c’est une schizophrénie qui essaie de soigner ses fêlures avec les médocs de la pharmacie pop-gnostique et toc avant d’avoir la beauté, tragique, d’en assumer les poisons qui font vivre ceux qui en dépendent. Se faire lecteur de Rosebud le livre, c’est dès lors sceller l’alliance avec l’ami qui, un jour, a découvert que la rose cinéphile est un trou qui a deux côtés, face et dos, devant et derrière, avers, envers et revers – versos et rectaux.

On aime les pages consacrées par Guillaume Richard au Jour du vin et des roses (1962) de Blake Edwards, envers occidental et enténébré des Rubaiyat solaires du poète perse Omar Khayyam. Le vin cinéphile est tiré d’un jardin de roses et d’épines – une pharmacologie, horticole et viticole. Parmi les épines, la plus troublante est aussi la plus longue en reliant la dédicace inaugurale au père disparu à l’une des toutes dernières phrases du livre : « les rosebuds existent, ce n’est pas que du cinéma. Et combien l’emportent avec eux dans leur tombe, par fierté, honte ou refus de se dévoiler et de se soigner ? » (p. 119). Pour notre part on y tient : on n’interprète rien, on expérimente toujours. À qui voudrait en savoir plus, on répondra avec un autre schibboleth partagé par les fins du Mépris (1963) de Jean-Luc Godard et de Mulholland Drive (2001) de David Lynch  : « Silencio ».

La perle à deux trous, la rose dans la croix du présent

Si le premier ouvrage de Guillaume Richard a tout du petit bijou, c’est en ressemblant à Séverine (Catherine Deneuve) décrite ainsi dans Belle de jour (1967) de Luis Buñuel : une perle à deux trous. Le bijou à deux trous, Hegel en aurait énoncé la raison en pensant à l’ordre secret de la Rose-Croix : « Reconnaître la raison comme la rose dans la croix du présent et s’en réjouir, ce discernement de la raison, c’est la conciliation avec la réalité » (préface aux Principes de la philosophie du droit, 1820).

Des nouvelles du front cinématographique

ROSEBUD
De Citizen Kane au porno gonzo
Guillaume Richard
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L'Autre Quotidien collabore avec la revue en ligne Des Nouvelles du front autour du cinéma, mais pas que, puisque nous partageons avec elle d'autres passions et prises de position.

13.03.2024 à 14:30

Ce que défend L'Autre Quotidien

L'Autre Quotidien

Tout journal est politique. Celui que nous faisons ne se cache pas cette évidence. Son existence, qui n'était pas donnée, car personne ne nous a invités, est déjà en elle-même un fait politique. Nous faisons irruption. Nous entrons par effraction dans le champ bien gardé des opinions bonnes à entendre. Sachant qu'exister, c'est résister, nous avons fait le choix d'exister. Or choisir est l'acte politique même. Choisir avec qui on vit et travaille est politique. Choisir l'égalité des salaires est politique. Dénoncer l'injustice est politique. Accepter (et accepter réellement) de donner la parole aux autres est politique. Proposer des haïkus dans nos  éphémérides est politique. Mettre le sort d'un journal dans les mains de ses lecteurs est politique. Ce qui implique à nos yeux de répondre avant toute chose à des questions légitimes sur l'origine de ce projet, notre financement, nos objectifs, l'idée que nous faisons de notre travail.
Texte intégral (712 mots)

Tout journal est politique. Celui que nous faisons ne se cache pas cette évidence. Son existence, qui n'était pas donnée, car personne ne nous a invités, est déjà en elle-même un fait politique. Nous faisons irruption. Nous entrons par effraction dans le champ bien gardé des opinions bonnes à entendre. Sachant qu'exister, c'est résister, nous avons fait le choix d'exister. Or choisir est l'acte politique même. Choisir avec qui on vit et travaille est politique. Choisir l'égalité des salaires est politique. Dénoncer l'injustice est politique. Accepter (et accepter réellement) de donner la parole aux autres est politique. Proposer des haïkus dans nos éphémérides est politique. Mettre le sort d'un journal dans les mains de ses lecteurs est politique. Ce qui implique à nos yeux de répondre avant toute chose à des questions légitimes sur l'origine de ce projet, notre financement, nos objectifs, l'idée que nous faisons de notre travail.

  1. L'Autre Quotidien est parfaitement indépendant. Créé par des journalistes et géré par une association 1901 : Nuit & Jour, il n'a ni capital de départ, ni capital d'arrivée. Qui le finance ? Jusqu'à présent, ses abonnés. Est-il riche ? Non, il est pauvre. Il fait donc avec de pauvres moyens. Cela aussi, il est juste d'en prévenir.

  2. L'Autre Quotidien n'est le cache-sexe ou le compagnon de route d'aucun parti ou réseau d'influence. Il n'en est ni membre, ni évidemment porte-parole.

  3. L'Autre Quotidien ne prétend pas pour autant à la neutralité en politique. Dans le combat contre toutes les formes d'oppression, nous ne sommes pas neutres, nous sommes du côté de ceux qui s'organisent et résistent.

  4. L'Autre Quotidien n'a pas le goût de la propagande. Quant à la communication, sa sœur jumelle dopée aux méthodes du marketing, nous n'oublions pas que c'est la Préfecture de police qui a inventé le communiqué. Les gens d'en bas ne "communiquent" pas, ils s'expriment. De leur bouche une parole naît, libre des pitoyables "éléments de langage". La communication et la propagande ne sont donc pas notre affaire. La recherche de l'expression juste est notre affaire.

06.02.2024 à 10:43

Saint-Vincent 2024 en Chambolle-Musigny et Morey Saint-Denis

L'Autre Quotidien

Cette quatre vingtième édition de la Saint Vincent se tenait ce dernier week-end de Janvier à Morey Saint Denis et Chambolle- Musigny. Les deux villages à la belle réputation œnophile sont voisins  de quelques kilomètres, c’est pourquoi ils ont pensé partagé les dizaines de milliers de visiteurs venus déguster huit vins spécialement préparés pour cette fête mémorable, dont, à en croire les experts deux cuvées, la Cuvée Morey-Saint-Denis, et la Cuvée Chambolle-Musigny, toutes deux issues de la vendange des raisins de plusieurs vignerons du millésime 2022, spécialement élevées pour la Saint-Vincent 2024.
Texte intégral (4470 mots)

Cette quatre vingtième édition de la Saint Vincent se tenait ce dernier week-end de Janvier à Morey Saint Denis et Chambolle- Musigny. Les deux villages à la belle réputation œnophile sont voisins  de quelques kilomètres, c’est pourquoi ils ont pensé partagé les dizaines de milliers de visiteurs venus déguster huit vins spécialement préparés pour cette fête mémorable, dont, à en croire les experts deux cuvées, la Cuvée Morey-Saint-Denis, et la Cuvée Chambolle-Musigny, toutes deux issues de la vendange des raisins de plusieurs vignerons du millésime 2022, spécialement élevées pour la Saint-Vincent 2024.

Promu à la dégustation et assez confidentiellement un Premier cru de Chambolle-Musigny ou de Morey-Saint-Denis, deux appellations village, deux cuvées spéciales Saint-Vincent et deux bourgogne Pinot Noir ont fait l’objet de bien des convoitises et de bien des attentes.

La manifestation s’est tenue sur le week-end des 27 et 28 Janvier dans deux ambiances climatiques bien différentes. Samedi, grâce à une journée magnifique, ensoleillée, les températures avoisinaient les douze degrés, presque autant que celle des rouges promus à la dégustation, Dimanche, beaucoup plus fraiche était un jour de brouillard à l’humidité pénétrante.

Les deux villages ont été vite saturés, victimes de leur succès, les dégustateurs  bloquaient les rues pour entrer dans les caveaux qui dispensaient  le divin breuvage à ce public impatient, tout en joie et en sourire. Le ciel était bleu, la lumière, enchanteresse, la convivialité, de circonstance,  la surveillance, de bon aloi…. Saint Vincent, dans sa présence exerçait toute sa bienveillance à ces pécheurs repentis et tout de même assez en joie, en bonne maîtrise de leurs passions funestes, leur soufflant de préférer le mystère de l’eucharistie, celui de l’ivresse et de la poésie de l’incarnation dans ses joies divines, plutôt que de succomber trop souvent aux sacrifices de cette plénitude, qui donne aux pénitents l’absolution et le chemin du ciel…

Bref, ce fut une journée haute en couleur.

Le reste en musique, ici, en images, le reportage, in extenso ici

La Commune de Chambolle-Musigny : https://chambollemusigny.fr/
La Commune de Morey-Saint-Denis : https://lapagelocale.fr/21220-morey-saint-denis
La Confrérie des Chevaliers du Tastevin : https://www.tastevin-bourgogne.com/
Le Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB) : https://www.vins-bourgogne.fr/
L’Association des Climats de Bourgogne : https://www.climats-bourgogne.com/
Office de Tourisme du Pays de Nuits-Saint-Georges : : https://www.gevreynuitstourisme.com/

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Pascal Therme, le 7/02/2024
Saint-Vincent 2024 en Chambolle-Musigny et Morey Saint-Denis

24.01.2024 à 15:09

Double bang pour Stéphane Duroy avec expo chez VU et sortie en Poche

L'Autre Quotidien

A l’occasion de la signature de l’excellent photo poche  (Actes-Sud) qui lui est dédié, préfacé par Hervé Le Goff, Stéphane Duroy est exposé à la galerie Vu, du 11 janvier au 24 Février, dans une exposition rétrospective qui embrasse 50 ans de photographies. et une bonne soixantaine de ses tirages, petits et moyens formats.
Texte intégral (5536 mots)

A l’occasion de la signature de l’excellent photo poche  (Actes-Sud) qui lui est dédié, préfacé par Hervé Le Goff, Stéphane Duroy est exposé à la galerie Vu, du 11 janvier au 24 Février, dans une exposition rétrospective qui embrasse 50 ans de photographies. et une bonne soixantaine de ses tirages, petits et moyens formats.

©Stéphane Duroy, Glasgow 1980

La  galerie Vu se prête merveilleusement en la circonstance à cet exercice de la déambulation devant un accrochage parfait, rythmé, qui fait voyage, au sein de la production du photographe, membre de l’Agence depuis 1987. Grâce à ses quatre espaces, trois salles et un couloir assez long, on peut prendre le temps de re-nouer le dialogue avec la photographie de Stéphane Duroy, en recueillir la nervure, de s’y aventurer encore et toujours, tant elle surprend le regard, investit l’Histoire, fait document, œuvre, écriture; car c’est bien là, la particularité du photographe que d’être à la fois précis et juste dans ce qui s’affiche de l’ Histoire au sein de ces scènes de vie quotidienne qui en deviennent emblématiques, sans rien oublier de ce qui échappe toujours à la conscience du drame toujours à l’œuvre en cette Europe, territoires de l’holocauste et des migrations intérieures de l’Amérique du Nord dans la relégation de ses invisibles.

La photographie de Stéphane Duroy est essentielle à une compréhension de l’Histoire, du temps présent, tant elle est faite d’intensités, de mouvements, de présences, de ce regard précieux qui fixe en ses arcanes à la fois l’Histoire et l’histoire dans un a-perçu qui échappe au constat, qui se résout à mon sens en ce drama, toujours actif, dans sa théâtralité: les corps sont perturbés, visages fermés, étrangement calmes, corps à l’épreuve de leur énergie dans ce qui les oblitère, les occupe. Ils marchent, traversent le champ photographique, en courant pour exemple dans un décor de désolation, ici, cette rue aux immeubles de briques noircies, glissent vers un hors champ funèbre; l’énergie de leur passage a fait photographie, comètes en feu, point fuyant dans la nuit sociale, intensités brèves de leur inscription dans l’espace, marche lente, comme ces voitures qui passent dans une même corrélation et une énergie semblables. Chez Duroy rien n’est n’est vraiment montré, tout apparait, tout est question, interrogation, fuite en avant, même dans ces paysages glacés, immobiles, comme morts; le temps physique n’est plus ce temps cyclique qui établit les saisons, mais cet hiver gelé où tout repose, défait.

A l’épreuve du Réel, sa photographie, instinctivement fulgurante, demeure une abrasive et silencieuse question sur la société actuelle et ses inerties sur cinquante ans. Tout cela est partie vivante de cette écriture photographique qui s’empare de situations ou les corps, les villes, Liverpool, Dublin, Berlin, Katowice, Auschwitz-Birkenau, Lodz, Lisbone, Paris, Manhattan, le Montana situent très physiquement ce réel qui se recompose autour des paysages souvent urbains, à travers une banalité des situations issues d’ une photographie sociale, où ces damnés de la terre semblent n’être que les personnages falots d’une Comédie Humaine jouant dans un théâtre d’ombres et de glissements silencieux, de disparitions. Il semblerait qu’une contamination majeure, une irradiation, celle des camps, ait opéré un tel changement de paradigmes, que le monde ne peut plus être le monde d’avant mais  son ombre artificielle, agi par un abandon complet, dans sa dereliction.

C’est bien cet héritage que Stéphane Duroy ne cesse de photographier, toutes ces années où il se déplace dans cette Europe contaminée, devenue une terre faussée, mal dite.

©Stéphane Duroy, Dublin 1981.

Il est ici question de ces oiseaux de solitudes, de ces êtres en plein désarroi sous l’emprise de la misère, de cette condamnation de l’Histoire, que Stéphane Duroy regarde, sans jugement, avec distance et douleur.  Le photographe scrute ces corps à l’impassible message pour composer un portrait métaphorique d’une humanité vouée à la disparition. Son théâtre est un lieu de froissements, de situations au demeurant banales, mais chargées du drame encore à venir, de territoires iabandonnés, de lieux hantés par la folie destructrice des hommes, vidés de toute vie possiblement rédemptrice. Le gouffre et l’abîme semblent imposer à rebours la mécanique inéluctable de la solution finale, dans sa résonance. Le poison d’hier continue d’infiltrer le corps social, de contaminer la vie, de corrompre ce qui fait humanité, ville, pays, société.

Un drame invisible court sous l’image qui, de disparition en sacrifices, en relève la sidération , en note l’inertie, les mouvements, dans un univers ou tout est signifiant, ou tout détail juste prend place dans l’image, ouverte à tout ce qui la fonde sensiblement pour en faire une balise émettrice à travers la nuit du temps, dans un avertissement qui n’a jamais cessé. C’est là toute la résilience du photographe.

Duroy fait critique de nos sociétés après l’holocauste dans un renversement de l’Histoire, il n’y a plus de civilisation qui tienne, un immense chaos survient pour emporter ce monde vers la destruction et l’anéantissement, mais il le fait en peintre, en romancier, en écrivain, en song writer, en artiste insurgé.  Il peint dans sa discontinué les images qui lui arrivent dans un théâtre de l’ absurde, surréel et poétique, quand, cette revanche impossible sur le réel ne semble plus pouvoir faire basculer l’Histoire du bon côté… Nous sommes irrémédiablement perdus, tel est le message sombre, le constat porté par sa photographie.

En quoi pourrait-on le nier, au vu de l’actualité de ces derniers mois, de ces dernières années, … quel sera notre avenir si aucune insurrection n’a lieu prochainement. C’est aussi la question sous-jacente que ne cesse de poser sa photographie, dans l’interrogation de ce regard habitué à faire parler les apparences en dehors de leur fausse banalité.

©Stéphane Duroy Halle, 1986

Si la révolte du photographe est une prise de position dans et par sa photographie sur le monde, il l’exerce également envers lui même par une forme absolue d’exigence dans son travail: sélection drastique de sa production d’images sur cinquante ans dans une volonté tendue. Stéphane Duroy ne fait aucune concession dans ce qu’il voit, dans ce qu’il montre. C’est un travail incorruptible, d’une exigence rare, sans complaisance aucune, au couteau. C’est pourquoi sa photographie induit une réflexion d’ordre politique, qu’avons nous fait du monde, qu’est-il devenu, qu’est-il en train d’advenir, en quoi la résonance de sa photographie est-elle un constat, une mise en garde contre l’obscurité et l’impossibilité du relèvement, d’une renaissance.

Ses photographies, petits « miraculums »,  narguent nos déterminations plus politiques, plus humanistes, plus heureuses, dans une dénégation qui fait provocations et nous oblige à réfléchir, à voir ce qu’il y a dorénavant de plus funèbre, voire de funéraire dans cette Europe, aujourd’hui emportée par le politiquement correct de l’abjection dans son cauchemar, moment où, curieusement l’histoire repositionne le grotesque et l’absurde du néant et du mal. 

C’est pourquoi tout fait sens dans ce travail sur l’Histoire (une image juste), tant dans ces scènes de la vie sociale qui croisent objectivement le spectacle nu et froid de l’hiver, saison élue du photographe, que dans les paysages urbains qui établissent les villes aux points de rupture des régimes politiques de l’Europe de l’Est, là, où sont encore présentes les traces du meurtre du temps, de la Raison.

©Stéphane Duroy, rue Potnocna, Lodz, 1992.

Stéphane Duroy revient aussi bien sur ce que nous n’avons pas vu, ce qui nous a échappé et qu’il a si bien photographié, l’abandon progressif de toute contestation dans une attaque en règle des années Thatcher contre la classe ouvrière anglaise qui fait ici signes, dans ce commun qui éclaire la relation dialectique entre ce présent des vies et ce qui les a contraintes à être déterminées, en ces lieux, dans cette distribution des rôles.

Quatre personnages semblent seuls en eux mêmes, temps suspendu d’un infra-moment, comme si cette milli-seconde ouvrait une béance dans la permanence des choses, qu’une porte ait été ouverte sur l’intime, en chacun, en même temps; elle met en scène ce hors temps, ce hors champ, sans que la présence du photographe, qui saisit cette scène, l’extrait du visible, physiquement placé, à un ou deux mètres de ces personnages, ne soit notable ou interfère avec  son sujet… on peut lire ce à quoi chacun pense, par quoi il est occupé, cette solitude lourde des réflexions sur la vie, les problèmes, le travail, les enfants, la famille, la fin du mois, le pub où s’échangent, autour d’une pinte ces solitudes; une solidarité est encore possible.

….Il y a aussi ce pardessus (Butte, MT 2014) qui apparait dans une vitrine, comme un rappel surréaliste, une évocation à la Breton de l’étrange, sorte de fantôme qui évoque l’empreinte et sa persistance, convoque la photographie sociale de la FSA, à un moment de l’Histoire qui semble faire de ce pardessus un cadeau issu de la mémoire des camps, dans l’ambivalent travail d’identification que porte toute photographie sans légende, dans ses renvois à une iconographie plus large, à ce que, pour exemple, Boltanski a mis en scène lors de sa dernière exposition à Beaubourg, il y a 4 ans, et qui semble toujours « raccord » avec certaines des photographies de Stéphane, un hors monde issu de la corruption des temps est versé à l’apocalypse et au funèbre.

©Stéphane Duroy, Berlin, décembre 1988.

Il y a aussi cette vue par dessus le Mur de Berlin de 1980 : lumière froide, sous la neige, l’image est centrée sur une perspective, une avenue qui file devant soi, large séparant deux villes, deux quartiers, par ce mur sombre, une voiture, une trabant dirait-on, sort du cadre sur la gauche, le paysage urbain, presque léger, semble a priori calme, sans aucune dramatisation. Ce pourrait être juste une photographie, un moment extrait du flux du temps, ce jour d’hiver ou personne ne marche dans cette rue, où tout parait tranquille et simple, ou tout est silencieux et vide…. Est ce une métaphore apaisée de la vie, de l’absence, voire de la mort au contraire, de la glaciation, une proposition de silence et de recueillement où une vacuité hante le référent historique de ce Berlin sous la neige…? Comment appréhender avec certitude ce qui fait photographie, sans ce référentiel de l’appartenance à l’Est ou à l’Ouest, dans leur opposition de système et de société, quand joue cette opposition de la partie sombre et de la partie claire, dans le jeu des ambivalences, là, où l’image n’affirme rien de si tangible que la permanence de ces interrogations, que voit-on au juste, qu’enregistre la photographie des réalités qui la composent?

Où sommes nous exactement? Tourne ainsi le mystère qui questionne et qui ouvre sur la fiction, le roman, qui glisse sur un film noir, tant la portée du regard de Stephane Duroy, est une partition où s’assemblent le rêve et son double, ombre invisible mais présente,  quand une forme d’angoisse à peine perceptible domine la scène, s’ancre dans l’image, que celle ci se charge ou s’en libère par la seule perception de l’air, de la neige, de l’a-ttention qui en résulte, pour que se formule une sorte de proposition libre qui séduit, déplaçant le Réel vers d’autres champs ou un contre-rêve semble établir dans cette matière photographique subtile, un corps subtil, une image latente, voire rémanente  qui circule en fond de tache, dans une autre couche de l’image, invisible mais prégnante, lorsque cette fausse réalité d’une avenue paisible en hiver, est à Berlin Est, où ce fantôme de la Liberté hante encore ce décor, en cette heure où tout repose.

Que comprendre alors du jeu de l’image et de son référent, de leur adéquation, comme de leur non adéquation… au moins la question se pose, même si la réponse n’est pas si évidente, l’important est cet effort de décryptage et de lecture des signes au delà de leurs apparences, s’attachant au corps de l’image (on pense à Antonioni, Blow Up, Profession Reporter) dans ce u’il livre à notre perception de l’invisible, à ce qui se dit du couple d’oppositions vrai/faux pour admettre qu’une image peut en cacher une autre, dont un double négatif. Il est question ici de palimpsestes, de ce qui circule comme forces de corruption dans le réel, du pouvoir d’hallucination, de voyance du photographe par sa photographie, de son système d’enregistrement du réel et de la puissance de la psyché de son auteur,  Eyes Wide Open, qui ouvre ce regard lucide au monde environnant, comme un contre- regard éluardien qui transcende les apparences dans l’Amour. Duroy, lui, est aux prises avec cette sidération de l’absurde et de la disparition.

©Stéphane Duroy, Unknown, tentative d’épuisement d’un livre, 2017

Pour le regardant, tout d’un coup se sont constitués, sous ses yeux, un cadre, un décor, une action, des sensations, et surtout, un après et un ailleurs…. l’image est hantée, elle aussi, bien que camera clara, elle se trouve chargée, intensément du « climat froid, nocturne, physique, de son double, de son prolongement dans l’imaginaire, dans une forme de sur-réalité froide… à la portée de ces fantômes qui ne cessent d’y être chez eux, parlant, vaquant à leurs occupations quotidiennes, comme si, au fond en tout espace, en tout temps, le photographe ne pouvait faire l’ablation de cette mémoire dramatique, qui s’épanouit dans la part invisible de sa photographie, cachée sous la peau sensible de l’image, chuchotant les formules de conjuration et de renoncement.

La question toujours ouverte de l’Histoire sur ses territoires de l’Europe de l’Est et les enjeux de l’Histoire, la fin du bloc soviétique, le capitalisme en crise, se construit, pour Duroy, au présent de ce qu’il  traverse par lui même, ce qui se produit devant lui, de ce qu’il photographie: le statut du réel et de ses enjeux, l’émergence après les faits et les évènements d’une volonté de savoir, d’estimer la justesse d’une image, sa pertinence historique, d’autant qu’elle n’est pas seulement document ou témoignage, mais écriture, mise à distance, énigme, passage secret de l’évidence de ces  « ments le songe  » pour s’extraire des apparences, se laisser approcher par ce qui interpelle au plus profond de soi, se déprendre des apparences dans la nécessité de cette double vue, de traverser le visible…..de retrouver et d’entendre au plus profond de soi ces voies chères qui se sont tues. Tout bouge sous la glace, la mémoire et l’amour, le temps de l’amère beauté et de l’enfance, la beauté qui apaise, l’insurrection qui augmente…la révolution d’un temps qui accomplit et qui honore, le succès et la certitude de la mort et de la disparition, un monde hanté par le chant…

Dans sa dé-couverte et son énonciation, faire énoncer par le signifiant, (la photographie dans sa forme), tout le signifié qui échappe en partie au photographe, mais dont il est à la fois le dépositaire et l’agent actif, le révélateur, le sujet, est un processus secret…. Duroy est un Vitriol qui agit sur la matière sensible de l’image et en fait un passage de témoin pour qui sait voir et entendre… c’est le challenge de l’œuvre dans ce qui se découvre alors à nos yeux, comme aux siens dans l’objectivation des preuves de l’Histoire et de son obscurcissement. Que dire de tous ces politiques et de ces gouvernants, qui, après cinquante ans, n’accouchent que de l’illusion suprême, en sacrifiant la vie du plus grand nombre à leurs profits et à leurs mensonges. Ment le songe dans sa réverbération hypnotique, où nous apparaissons comme des témoins à l’impassible sacrifice, mais au combat majeur.

Il est heureux que ce constat n’altère pas définitivement notre capacité à être et à refuser l’enfermement que proposent toutes ces formes de domination, pour autant que le retour du signifié ne peut altérer le champ symbolique qui fonde cette aptitude à être et à créer dans un jeu ouvert et partagé. Par son contenu manifeste, la photographie et son signifié interpolent le contenu latent dans une sorte de rêve éveillé contre-transférentiel….c’est pourquoi le fantôme de la Liberté, très bunuélien, semble également à l’œuvre, chez Stéphane Duroy, comme l’ombre d’un objet éclairé souligne un volume supérieur, en lui donnant sa dynamique. Il s’agit ici, entre espoir individuel et drame collectif, d’un redressement de la conscience devant l’inacceptable, d’une insurrection de soi dans le partage des signes avérés dans leur déploiement de la fin de l’Histoire et de la civilisation, du règne de la violence sans nom, de l’apothéose de la marchandise en tant que système décadent, mortifère, (le fétichisme de la marchandise) proposant l’ aliénation de tout sujet, alors que le projet d’une domination totale en acte est en cours.

La preuve en est cette édition et cette exposition qui parlent si clairement des ombres et de cette vérité qui tangue sous les travestissements de l’Histoire. C’est pourquoi le travail de Stéphane Duroy est si précieux dans ce champ de l’image et de l’imaginaire, pour nous aider à nous déprendre des ombres noires de l’illusion et regarder, en face, ces présents à l’altérité à conquérir.

Il faut sortir des paradigmes actuels si nous voulons nous hisser hors de la programmation de l’abject et du mal, pour retrouver ce qui nous fonde, dans un projet de l’Universel et de la Vie.

Pascal Therme, le 24 Janvier 2024
Stéphane Duroy - exposition -> 23/02/2024
Galerie VU - Hôtel Paul Delaroche, 58, rue Saint-Lazare 75009 Paris
Stéphane Duroy - Photo Poche - éditions Actes Sud

09.01.2024 à 20:16

Pourquoi ce journal ?

L'Autre Quotidien

A quoi bon un journal culturel en temps de détresse ? .............et nous y sommes, ou pas loin........................ ..............certains déjà en plein dedans......................... C'est la question à laquelle nous essayons d'apporter une réponse positive dans chaque numéro.
Texte intégral (582 mots)

Chris Marker La Jetée

A quoi bon un journal culturel en temps de détresse ?
.............et nous y sommes, ou pas loin........................
..............certains déjà en plein dedans.........................


Notre projet est celui d'une presse qui mène le combat culturel pour résister à la laideur, et s'engage dans la bataille des idées au côté de ceux qui souhaitent vivre dans un monde plus libertaire, plus égalitaire et plus fraternel, contre les tenants d'une société plus autoritaire, se moquant de l'égalité, et carrément pas fraternelle. Par amour (toujours) du réseau, nous avons fait le choix d'un digital artisanal et de qualité, convaincus qu'un site web peut être une belle œuvre, comme il y a de beaux livres, de beaux objets. Des chroniqueurs nous ont rejoint. Des sites convaincus par le projet nous ont apporté leur aide et leur talent pour faire vivre les rubriques. Nous sommes toujours en chemin, mais nous pouvons grâce à eux aujourd'hui affirmer sans rougir que nous offrons déjà un journal culturel engagé sans pareil. Vous pourrez vous en rendre compte en découvrant les centaines d'articles de nos rubriques Photo, BD, Livres, Musique, Art, Science Fiction, Cinéma, Architecture, Images, Idées, Style.

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