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27.02.2025 à 07:22

Salaire, carrière, retraite : pourquoi la ménopause est une question d'égalité pour les travailleuses

María : « Je souffre de troubles anxieux et d'insomnie. À cela s'ajoutent tachycardie, fatigue, bouffées de chaleur et sueurs. J'ai quitté mon boulot, c'est devenu intenable ».
Caro : « Les maux de tête sont éreintants, parfois j'aimerais rester chez moi à dormir ».
Inés : « Un jour, je n'ai pas pu aller au travail, pas moyen de sortir du lit. J'ai le cœur qui bat très fort, je le sens dans tout mon corps ».
Eva : « J'ai peur, mon travail implique le contact avec le public, je ne sais (…)

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Texte intégral (4106 mots)

María : « Je souffre de troubles anxieux et d'insomnie. À cela s'ajoutent tachycardie, fatigue, bouffées de chaleur et sueurs. J'ai quitté mon boulot, c'est devenu intenable ».

Caro : « Les maux de tête sont éreintants, parfois j'aimerais rester chez moi à dormir ».

Inés : « Un jour, je n'ai pas pu aller au travail, pas moyen de sortir du lit. J'ai le cœur qui bat très fort, je le sens dans tout mon corps ».

Eva : « J'ai peur, mon travail implique le contact avec le public, je ne sais pas combien de temps je vais tenir ».

Tous ces témoignages ont été extraits d'un forum ouvert sur Internet en 2019. Le relevé d'une longue conversation dans laquelle des dizaines de femmes partagent leurs doutes, leurs inquiétudes et leurs expériences autour de la ménopause. Elles partagent ce qu'elles ne savent – ou ne peuvent – pas raconter en public, car jusqu'à récemment, la ménopause – de même que les menstruations – était un sujet tabou, un sujet que l'on cachait, ou dont on ne parlait qu'en messe basse.

La même année, une enquête menée au Royaume-Uni a mis en évidence ce que l'on savait déjà dans les forums, à savoir que la ménopause marque la vie de nombreuses femmes non seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan social et professionnel. L'impact a même été quantifié : près de 900.000 femmes dans le pays avaient quitté leur travail, le jugeant incompatible avec les symptômes ou les changements associés à cette étape de leur vie.

Ce chiffre scandaleux a conduit la Commission de l'égalité du Parlement britannique à lancer une enquête en 2021, dont les résultats ont confirmé qu'il ne s'agissait ni d'une question individuelle ni d'une question privée. Mais qu'il s'agissait d'un facteur qui venait expliquer pourquoi de nombreuses femmes approchant la cinquantaine choisissent de réduire leur temps de travail, demandent des congés plus longs ou quittent tout simplement leur emploi, se dérobant par la porte arrière. La ménopause ne constitue pas uniquement un sujet médical, pas plus qu'elle n'est un enjeu « de femmes » ; en revanche, c'est un enjeu de rupture d'égalité. Un de plus.

Que savons-nous de la ménopause ?

La ménopause est généralement considérée comme la période de la vie d'une femme qui marque la fin de sa vie reproductive. Ce que l'on sait peut-être moins, c'est que le terme fait référence à un moment très précis, à savoir douze mois consécutifs sans menstruation, et que cette période n'est qu'une phase d'un cycle beaucoup plus long et traversé par des changements – appelé climatère – qui s'étend généralement de 45 à 55 ans.

Toutes les femmes passeront par cette étape, mais toutes ne la vivront pas de la même manière. Cela dépendra de leur génétique, de leur environnement, de leurs habitudes et de leurs conditions de vie. Quoi qu'il en soit, huit femmes sur dix seront confrontées, à des degrés divers, à des altérations physiques, mentales et émotionnelles. Des altérations résultant du changement hormonal qui, en plus des bouffées de chaleur bien connues, comprennent l'insomnie, les douleurs articulaires, la fatigue, les migraines, les palpitations, l'irritabilité, le brouillard cérébral, les problèmes de concentration et de mémoire ou les crises d'anxiété, entre autres.

« Un beau jour, vous vous réveillez et vous vous sentez mal. Vous n'êtes plus vous-même. Votre corps change, vous ne vous reconnaissez plus », explique dans un entretien avec Equal Times Marvi Lárez, administratrice d'une communauté WhatsApp où une centaine de femmes parlent de leur ménopause. « Pour beaucoup d'entre nous, l'impact a été très fort. Nous avons pu recenser plus de quarante symptômes au total. »

Spécialiste de la santé communautaire, Carolina Ackermann préfère parler de changements ou de signes plutôt que de symptômes, car la ménopause n'est pas une maladie. Également présidente de l'association La vida en rojo, spécialisée dans la recherche et l'éducation sur les cycles de vie des femmes, Mme Ackermann s'intéresse avant tout à la phase initiale du climatère, à savoir la périménopause, qui précède l'arrêt des règles et marque le début de tous ces changements.

Les femmes arrivent à ce stade sans information – selon une récente enquête internationale, seulement 27 % des femmes de moins de 45 ans en ont entendu parler – et n'en sont pas informées non plus lorsqu'elles consultent leur médecin.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même reconnaît que les professionnels de la santé ne sont pas suffisamment formés dans ce domaine. Ce manque d'information, et de soutien, alimente le seul symptôme que toutes les femmes ménopausées, sans exception, partagent : le silence, le tabou.

« Le tabou part de l'idée que la ménopause est une fin, et non une nouvelle étape. Elle est associée à un processus de finitude, de perte d'utilité. Historiquement, le rôle des femmes a été circonscrit à la reproduction. Lorsque cette étape prend fin, les femmes passent au second plan », explique Clara Selva, professeure d'études en psychologie à l'Universitat Oberta de Catalunya (UOC).

C'est pourquoi les femmes elles-mêmes ne parlent pas de ce qui leur arrive, elles le cachent, elles dissimulent leurs symptômes, elles vivent cela dans la honte, elles endurent la douleur et, quand celle-ci devient insupportable, elles partent. L'image culturelle construite autour de la ménopause – le fait même d'attribuer une connotation péjorative au terme « ménopausée » – est aussi pesante que la pire des bouffées de chaleur, elle exacerbe les symptômes et détermine la façon dont cette étape est vécue.

« Il s'agit d'un récit dénigrant, teinté de peurs et d'incertitudes, et c'est pourquoi l'impact psychosocial est encore plus important que l'impact physique. L'anxiété, la dépression, la baisse de l'estime de soi sont liées aux fluctuations hormonales, mais aussi à la pression sociale. Le tabou éloigne les femmes de la sphère publique. »

Deuxième plafond de verre

Les femmes quittent le marché du travail avant les hommes. Il s'agit d'une réalité sur laquelle différentes études attirent l'attention depuis longtemps. Ce phénomène porte un nom : le « deuxième plafond de verre ». Il est ainsi nommé, car après avoir traversé le premier, lié à la maternité et aux difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie privée, les femmes se heurtent à un nouvel obstacle qui les empêche de continuer à progresser à un moment charnière dans leur carrière.

Un sondage réalisé en 2023 auprès de femmes des quatre continents cite parmi les causes principales les soins aux parents ou aux enfants, les préjugés de genre et le manque d'opportunités. Selon 21 % des femmes interrogées, le plafond est imposé par leur propre corps. Les perturbations telles que l'insomnie, les bouffées de chaleur, la fatigue ou le manque de concentration qui affectent leurs performances quotidiennes, entraînent une baisse de rendement, faisant d'elles des femmes qui travaillent dans un état de malaise.

Des études montrent que pour gérer leurs symptômes, certaines – jusqu'à 30 % d'entre elles – envisagent de réduire leur temps de travail. « Cela entraîne une perte économique à court terme, mais aussi à moyen et à long terme, car vous cessez d'occuper certains postes et de postuler à certaines promotions », avertit la députée européenne et sociologue Lina Gálvez, la première à soulever cette question auprès des institutions européennes.

« Nous nous trouvons face à un problème à la fois social et politique » : Dans une société où seules 9 % des entreprises sont dotées d'un conseil d'administration paritaire, c'est-à-dire où les femmes ont plus de mal à accéder à des postes de pouvoir, le plafond de la ménopause ne fait qu'aggraver les disparités existantes, telles que les écarts de salaire, particulièrement importants chez les femmes âgées, ou les écarts de pension, où la différence de revenus entre les hommes et les femmes atteint 40 %.

De nombreuses autres travailleuses ne modifient pas leurs horaires, mais contournent leurs symptômes en prenant des congés maladie (les absences peuvent varier en moyenne entre 15 et 20 jours par an). C'est le cas d'Adriana, employée dans le secteur immobilier. « J'ai vécu une transition très difficile, j'avais des bouffées de chaleur, des migraines, de l'anxiété. J'ai dû m'absenter du travail pendant plusieurs jours. » Elle a cependant cherché, comme la majorité de ses consœurs, à cacher le vrai motif.

« Je n'osais pas dire ce qui m'arrivait. Mon chef était un jeune homme, j'étais gênée, je pensais qu'il ne comprendrait pas. J'ai été tentée de démissionner », confie-t-elle à Equal Times.

Une travailleuse ménopausée sur six envisage, comme Adriana, d'arrêter de travailler. « Elles quittent leur poste parce qu'elles ne se sentent pas comprises », explique Marvi Lárez. « Souvent, au travail, on vous colle une étiquette. Si vous prenez un congé de maladie, à votre retour, on vous change de poste. Cela est arrivé à des filles de notre groupe. » Face à ce constat, « la ménopause peut-elle être considérée comme un enjeu professionnel ? », commence à se demander l'Organisation internationale du travail (OIT), non seulement en raison de ses effets qu'elle a en termes d'appauvrissement des femmes, mais aussi en raison de la perte de talents qu'elle implique pour les entreprises et la société en général. Cela dit, la question n'est peut-être pas bien formulée. Ce n'est pas tant la ménopause qui pose problème, mais la manière dont elle est gérée.

Comme explique Marvi Lárez : « Les femmes ne partent pas, on les pousse à partir parce qu'elles n'ont pas le soutien nécessaire pour pouvoir continuer ».

Aménagements raisonnables

En 2022, encouragée par les études menées au Royaume-Uni, Lina Gálvez a soumis au Parlement européen une question inédite : de quelles données disposait-on sur l'impact de la ménopause sur le lieu de travail et quelles mesures étaient prévues pour l'atténuer ? La réponse ne l'a guère surprise. « Personne ne s'y attendait. Il n'y avait rien de prévu, pas même la moindre information à ce sujet. »

Cela fait des années que les femmes ont massivement intégré le monde du travail, mais celui-ci ne s'est pas soucié de répondre à leurs besoins. « Un voile d'invisibilité entoure la biologie féminine. Même la taille des uniformes ou des outils est adaptée aux hommes », souligne Monica Ricou, professeure en droit du travail à l'UOC. Les syndicats et les institutions telles que l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail réclament depuis longtemps la prise en compte de la dimension de genre dans la prévention des risques professionnels. Mme Ricou abonde en ce sens :

« On ne peut plus ignorer le fait que les entreprises emploient des hommes et des femmes. On sait qu'un même facteur de risque peut avoir des effets différents sur les femmes et les hommes. Qui plus est, du fait de leur fonction reproductive, les femmes connaissent des changements pendant la menstruation, la grossesse et la ménopause. Tout cela devrait être pris en compte dans les évaluations. »

Jusqu'à présent, le Royaume-Uni a été le premier pays à adopter des mesures. Après que l'enquête parlementaire a été rendue publique, une norme a été établie en 2023 – la norme BS 30416 – avec des recommandations à l'intention des responsables et des spécialistes des ressources humaines. Les syndicats britanniques ont élaboré leur propre guide, tandis que certaines entreprises ont pris un engagement public et ont même mis en place un label « menopause friendly ». Dans tous ces cas de figure, la réponse au problème repose essentiellement sur des « aménagements raisonnables » pour améliorer la qualité de vie des travailleuses, comme par exemple en révisant le contrôle de la température et de la ventilation, en fournissant un accès à l'eau potable et à des espaces de repos, en modifiant les uniformes, en accordant des horaires plus flexibles, en facilitant le télétravail lorsque cela est possible et surtout en formant les managers et les autres membres de l'équipe, afin de créer un climat qui permette aux femmes de parler et de demander de l'aide si elles en ont besoin.

« Si pendant la grossesse, le poste est adapté en réponse aux changements physiques, à la ménopause, les conditions physiques changent également. Les femmes devraient avoir la liberté d'expliquer leur situation et de demander que leur poste soit adapté », insiste Monica Ricou.

L'exemple britannique a inspiré des pays comme l'Australie, les États-Unis ou la Norvège, toujours dans l'optique des recommandations. Sur le plan politique, toutefois, aucun progrès n'a encore été accompli. De fait, le Parlement britannique lui-même a refusé d'inclure la ménopause dans sa loi sur l'égalité. « C'est extrêmement important d'un point de vue politique », s'insurge Lina Gálvez, avant d'ajouter que son groupe inclura cette question dans une prochaine initiative non législative sur la santé des femmes.

« Les solutions doivent être abordées sur tous les fronts, que les entreprises prennent des engagements, que la perspective de genre soit prise en compte dans les négociations collectives. Cependant, l'État doit, lui aussi, imposer des obligations par le biais de la législation », déclare dans le même sens Alicia Ruiz, spécialiste du département des femmes du syndicat UGT. À cette fin, les syndicats eux-mêmes devront également inclure la ménopause dans leurs programmes, une question qui, comme l'admet Mme Ruiz, « demande à être développée plus avant ».

Le dilemme des congés

Parmi les mesures envisagées pour faire face à la ménopause au travail figurent les congés payés, des congés de plusieurs jours par an ou par mois destinés spécifiquement aux femmes dont les symptômes les empêchent de travailler. La Bank of Ireland a été l'une des premières à appliquer cette mesure – dans son cas, dix jours par an – à l'instar de ce qui existe déjà dans d'autres pays comme le Japon, la Corée du Sud, Taïwan ou l'Espagne s'agissant des menstruations douloureuses.

Les résultats, encore mitigés, de cette disposition suscitent une certaine controverse. Tout d'abord, parce que très peu de femmes y ont recours. En Espagne, par exemple, moins de 1.500 congés de ce type ont été traités au cours de la première année d'application de la loi. Avocate spécialisée en droit du travail, Lidia de la Iglesia Aza souligne dans une enquête les causes : si les femmes ne demandent pas de congé, c'est parce qu'elles ont honte, qu'elles ont peur d'être pointées du doigt, peur d'être discriminées au travail.

De la même manière que ces congés contribuent à rendre la menstruation visible, ils perpétuent également le stéréotype du « sexe faible ». Quelque chose de similaire pourrait survenir dans le cas de la ménopause.

« Il est difficile de savoir exactement où se situe le point de bascule entre protection et paternalisme. Il existe un risque d'effet boomerang, à savoir qu'en voulant protéger les femmes, nous engendrions chez les employeurs le sentiment qu'elles constituent une charge. Il est plus facile de discriminer un groupe qui est déjà discriminé. D'autres options pourraient éventuellement être envisagées, comme permettre à celles qui le peuvent de travailler à domicile ou de prévoir des pauses de repos convenues. »

En Catalogne, le gouvernement de la Generalitat (communauté autonome) a opté en 2023 pour une solution intermédiaire, à savoir la possibilité de demander huit heures de congé par mois pour cause de menstruation ou de ménopause, à récupérer dans les mois suivants. Pour l'instant, la mesure a eu « un effet limité », admettent les membres du syndicat CCOO qui ont négocié l'accord. Ils n'ont pas encore analysé pourquoi, mais ils soulignent déjà combien il est important de commencer à travailler sur cette question « dans une perspective culturelle », de s'attaquer au tabou et aux préjugés avant toute autre mesure.

« Il est nécessaire de réaliser une étude approfondie et la première chose à faire est d'interroger les femmes concernées, d'identifier leurs besoins », suggère Mme De la Iglesia. « Les expériences personnelles évoluent elle aussi avec le temps. Dans certains cas, les symptômes les plus graves se manifestent uniquement au cours des premières années, toutefois, si les travailleuses concernées ne peuvent pas s'adapter durant cette période, elles quitteront le marché et il sera alors très difficile de revenir. »

« Dites-le haut et fort »


Poser la question aux femmes concernées, c'est précisément ce qu'a fait la professeure Clara Selva. Elle a réuni des femmes de différents secteurs d'activité, toutes ménopausées. « La première chose que j'ai découverte, c'est qu'il n'y a pas deux ménopauses identiques. Le contexte socioéconomique joue également un rôle déterminant. Les femmes occupant des emplois précaires ont moins accès aux ressources médicales, aux modalités de travail flexibles et aux traitements pour gérer les symptômes. Tous ces éléments doivent être pris en compte à l'heure de proposer des mesures. »

Interrogée à propos des demandes formulées par les femmes, la professeure répond : « Tout d'abord, des informations contrastées. Nous ne pouvons pas atteindre la ménopause sans savoir de quoi il s'agit. Ensuite, pouvoir en parler ouvertement avec les proches, les amis, les collègues, les professionnels de la santé. Prévoir de petits ajustements – dans le tissu de l'uniforme, l'accès à des sources d'eau, une meilleure aération –, faire en sorte que les dirigeants d'entreprise soient davantage sensibilisés, que la ménopause soit acceptée comme une étape de plus dans la vie. » Tout cela implique de « déconstruire » le récit teinté qui, jusqu'à présent, entourait ce moment vital.

« Le combat consiste à ce que ces sujets soient débattus, à ce qu'il soit possible d'en parler sur le lieu de travail, d'en parler avec compréhension, dans le but de retenir les talents, de créer des espaces où les femmes se sentent accompagnées et écoutées », insiste Carolina Ackermann.

La présidente de l'association La vida en rojo parle de « socialiser la ménopause » et de le faire par le biais de la recherche, de l'éducation et d'une attention médicale adéquate.

« Il faut faire une révolution », déclare Marvi Lárez. Au nom de la centaine de femmes qui composent sa communauté WhatsApp et qui ont encore peur de raconter ce qui leur arrive, Mme Lárez demande à ce que « l'on commence par les médecins, puis par les entreprises », et surtout par elles-mêmes. « Je ne cesse de les encourager : dites-le haut et fort, je suis ménopausée. Il n'y a pas de quoi avoir honte, c'est une chose naturelle. »


Ce reportage a pu être réalisé grâce au financement de LO Norway.

25.02.2025 à 05:00

Boranas : la brûlure du ciel

Lucien Migné

Au sud de l'Éthiopie, dans un territoire de 45.435 km², frontalier du Kenya et composé à 75 % de plaines arides, vivent les Boranas. Estimés à 1,1 million, ces semi-nomades pastoraux, dont le troupeau est source de fierté et de statut social, vivent traditionnellement de l'élevage bovin. Alors que leur empreinte carbone a toujours été presque inexistante, ils sont, à l'heure actuelle, directement victimes du réchauffement climatique.
2024 a été la cinquième année de sécheresses (…)

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Texte intégral (1757 mots)

Au sud de l'Éthiopie, dans un territoire de 45.435 km², frontalier du Kenya et composé à 75 % de plaines arides, vivent les Boranas. Estimés à 1,1 million, ces semi-nomades pastoraux, dont le troupeau est source de fierté et de statut social, vivent traditionnellement de l'élevage bovin. Alors que leur empreinte carbone a toujours été presque inexistante, ils sont, à l'heure actuelle, directement victimes du réchauffement climatique.

2024 a été la cinquième année de sécheresses consécutives dans la Corne de l'Afrique, du jamais-vu depuis le début des premiers relevés pluviométriques en Éthiopie. Depuis 2020, 3,5 millions de bovins sont morts de faim et de soif, soit 90 % du cheptel de la zone de Borana, provoquant une véritable catastrophe humanitaire. La grande saison des pluies, ganaa, entre mars et mai et la petite saison des pluies, hagayya, entre septembre et octobre, ont disparu. Partout dans la région, de nombreux habitants ruinés, dont les troupeaux ont été décimés par la soif, ont dû quitter leurs villages pour rejoindre les camps aux abords des villes, où vivent près de 240.000 personnes.

Aujourd'hui, ces agriculteurs se tournent vers les mines d'or et l'extraction du sel, deux activités dangereuses qui ternissent leur avenir. Pour regagner une vie pastorale, il ne leur manque pourtant que la pluie. Equal Times publie le reportage du photojournaliste français Lucien Migné, qui s'est rendu en Éthiopie, en août 2023, à la rencontre de ce peuple.

À Dembalabuyo, la sécheresse a tué les 580 bovins du village. Août 2023.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Des 150 Boranas qui habitaient le village de Dembalabuyo, il n'en reste plus qu'une vingtaine. La plupart sont partis en 2021 et se sont installés dans le camp pour personnes déplacées d'El Soda.

Jarso Tatatche, 80 ans, est aveugle. Il a abandonné son village Ana Liban, à 70 kilomètres de Dubuluk, lorsque la dernière de ses 42 vaches a succombé à la sécheresse en mai 2021.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Inédite par son ampleur, cette sécheresse à répétition est à l'origine d'un violent choc social et culturel chez les Boranas. Leur mode de vie traditionnel, qui perdurait depuis des siècles, est aujourd'hui menacé.

Il ne reste à Guyo Catelo, 30 ans, plus que 30 des 140 vaches qu'il possédait.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Pour que ses vaches puissent survivre pendant la sécheresse, Guyo Catelo, a dû faire venir de l'herbe d'Addis-Abeba. Ne possédant plus de taureaux pour déclencher le cycle des lactations, une seule de ses vaches donne à présent du lait, destiné à sa consommation personnelle.

En août 2023, le camp pour personnes déplacées de Dubuluk, situé à côté de la route nationale, abritait environ 28.000 réfugiés climatiques boranas.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Le camp pour personnes déplacées de Dubuluk est financé par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). En 2023, on estimait à environ 260.000 le nombre de réfugiés climatiques dans la zone de Borana vivant dans des camps pour personnes déplacées.

Faute d'ambulance pour venir la chercher, Godana Kenshora, 40 ans, amène sur sa moto Tio Babo, 18 ans, à l'hôpital de la ville de Dubuluk. Elle est atteinte de malnutrition aigüe.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Les conditions de vie dans les camps pour personnes déplacées sont extrêmement précaires. Alors que leur troupeau leur assurait une épargne et un moyen de subsistance, une grande partie de la communauté borana vit à l'heure actuelle dans une grande pauvreté, et ce, malgré l'aide humanitaire de l'OIM et de l'USAID.

Dama Boru Dabasso, 53 ans, est venue en minibus depuis la ville de Madaccio pour acheter du bétail au marché aux bestiaux de Dubuluk. Elle le revendra plus cher par la suite.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Lors de la dernière sécheresse, 75 des vaches que Dama Boru Dabasso venait d'acheter (d'une valeur d'environ 300 euros chacune) sont mortes de soif. Elle explique : « J'ai peur de la prochaine sécheresse, mais je vais cette fois changer ma méthode et vendre mon bétail rapidement avant la saison sèche ».

Didwardy, 16 ans, Elguda Guyo, 56 ans et Tume Belisso, 30 ans, sont employés par un agriculteur de la ville de Dubuluk pour gérer les réserves de foin pour le bétail en prévision de la prochaine saison sèche. Ils sont chacun payés 300 birrs par jour, soit environ 5 euros.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

En alternative à l'élevage, beaucoup d'entre eux ont été forcés à développer rapidement une autre activité. Certains se sont tournés vers l'agriculture, aux rendements très incertains en raison du manque d'eau et de la pénurie de fertilisants.

Gargalo Gababa et Jarso Gofu ramènent sur la berge la boue de sel noir récupérée par Adissou au fond du lac du cratère d'El Soda. Pour ce travail, ils sont rémunérés 250 birrs (4 euros) par jour.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

D'autres Boranas en sont réduits à la coupe d'arbustes et à la vente de fagots de bois ou de charbon au bord des routes. Alors qu'une grande partie des hommes vont travailler dans les mines d'or de Dambi ou Dabel, quelques-uns se consacrent à l'extraction du sel dans le cratère d'El Soda, deux activités pénibles et dangereuses.

Karu Ulufa, 46 ans, se rend à pied depuis la ville de Moyale, frontalière avec le Kenya, jusqu'à la petite mine d'or de Dambi, où elle compte rester travailler une semaine pour nourrir ses 6 enfants qui l'attendent chez elle. C'est la seule femme de la mine.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

Les Boranas n'ont pourtant pas perdu espoir de racheter un jour du bétail et d'aller repeupler leurs villages abandonnés.

Elema Dulatcha Libano, 70 ans, implore des mains Waaqa, le Dieu suprême de la religion Waaqeffanna, pour qu'il mette un terme à la sécheresse qui sévit dans la zone de Borana depuis l'année 2020. « J'avais une belle maison avant de venir ici, et une belle vie. Tout mon troupeau est mort à présent », explique-t-elle.
Photo: Lucien Migné/Agence Zeppelin

En oromo, la langue parlée par les Boranas, il existe deux termes pour désigner la pluie : robha, qui signifie « la pluie à venir » et boqa, qui signifie « la pluie tombée ». Régulièrement, lors de cérémonies religieuses, les Boranas font appel à Waaqa, leur Dieu suprême, pour qu'enfin ils puissent employer à nouveau le mot boqa.

20.02.2025 à 05:00

En Allemagne, la lutte du mouvement syndical contre l'extrême droite et pour la solidarité

Guillaume Amouret

Il est six heures du matin à Riesa (Saxe), lorsque déjà, des trains bondés affluent depuis les villes voisines de Leipzig et de Dresde. Plusieurs milliers de manifestants se rassemblent devant la gare de la petite ville est-allemande. Ils sont venus en ce samedi 11 janvier pour perturber la tenue du congrès du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD, « Alternative pour l'Allemagne », en français). Aux voyageurs en train s'ajoutent plus de 200 bus venus de tout le pays pour (…)

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Il est six heures du matin à Riesa (Saxe), lorsque déjà, des trains bondés affluent depuis les villes voisines de Leipzig et de Dresde. Plusieurs milliers de manifestants se rassemblent devant la gare de la petite ville est-allemande. Ils sont venus en ce samedi 11 janvier pour perturber la tenue du congrès du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD, « Alternative pour l'Allemagne », en français). Aux voyageurs en train s'ajoutent plus de 200 bus venus de tout le pays pour l'occasion. Sur le parking du Palais des Congrès, une grande scène, digne des meilleurs festivals, accueille les participants.

Parmi eux, plusieurs arborent les couleurs des syndicats allemands. En aval de la manifestation, la deutscher Gewerkschaftsbund (DGB), la fédération des organisations syndicales, a réservé les espaces publicitaires de Riesa pour y afficher l'appel à la lutte contre la menace fasciste.

« ‘Le fascisme, plus jamais', ça a toujours été un devoir pour nous, les syndicats ! » […] « Les populistes de droite et les racistes ne représentent pas les intérêts des salariés », écrit l'union syndicale dans son appel à la manifestation. L'enjeu est palpable, car le 23 février prochain, l'Allemagne doit élire son nouveau Parlement et par conséquent son futur gouvernement [le chancelier étant proposé par la coalition victorieuse, ndlr].

Dans les derniers sondages, l'AfD est donnée deuxième, derrière les conservateurs de la CDU et avec une augmentation de 13 points des intentions de vote, en comparaison à 2021. Mesures islamophobes, politique nataliste « contre l'immigration », projet de déportation des immigrés dans leurs pays d'origine, défense du modèle familial patriarcal, suppressions de mesures de protection du climat, référendum sur la sortie de l'euro… Le programme du parti est résolument ancré à l'extrême droite du spectre politique.

« Remettre la lutte des classes au goût du jour »

Carsten, employé d'un équipementier automobile dans la région de Dresde, est venu à Riesa avec le drapeau d'IG Metall sur l'épaule. Pour lui, le problème est profondément politique : « Ces trente dernières années, le socialisme a été diabolisé ». Pour le quinquagénaire, l'action syndicale est nécessaire pour retrouver l'idéal de solidarité, valeur cardinale des mouvements de gauche.

Son entreprise a récemment accordé une augmentation de 16 % des salaires sur deux ans et demi à la suite de négociations au sein du conseil d'entreprise. « Aujourd'hui, le combat contre le fascisme doit aller de pair avec les revendications économiques et politiques de la classe ouvrière », explique Carsten. Pour lui, IG Metall doit être en première ligne de ce combat.

« Le meilleur moyen de soutenir la démocratie pour un syndicat, c'est de lutter pour de meilleures conventions collectives », ajoute Orry Mittenmayer.

Livreur de repas à vélo à partir de 2016, il participe un an plus tard à la création du premier conseil d'entreprise au sein de l'entreprise de portage Deliveroo. Aujourd'hui, il s'occupe – à titre bénévole – des questions relatives au secteur des bas salaires pour la DGB (« Niedriglohnsektor »).

Dans son récent livre, Ausgeliefert (terme à double sens signifiant « livré » et « être à la merci »), Orry Mittenmayer revient sur son expérience de livreur syndiqué. Comme personne de couleur et malentendante, il y souligne les pendants classicistes, racistes de la société allemande et, plus encore, son paternalisme envers les personnes handicapées. En revanche, il déplore que l'on ne se tourne plus vers les syndicats pour lutter contre ces problèmes.

« Il est toujours plus difficile de mobiliser dans les entreprises, à l'exception des situations de crises extrêmes, il y a un repli sur soi général », remarque le sociologue et spécialiste des syndicats et de l'extrême droite, Klaus Dörre. Il y a, selon lui, une tendance à la désolidarisation entre travailleurs et travailleuses.

« L'évolution est tellement avancée, notamment à l'est, que les syndicats perdent le pouvoir de définition sur les questions sociales », déplore M. Dörre. En l'espace de 30 ans, la confédération des syndicats, la DGB, a perdu la moitié de ses adhérents. Forte de 11,8 millions d'adhérents à la réunification de l'Allemagne, elle n'en compte aujourd'hui que 5,6 millions.

Pour les syndicats, la conjoncture est difficile

Mais, au sein de l'entreprise, les souffrances n'ont pas disparu pour autant. Chez les salariés, les électeurs de l'AfD se plaignent plus de mauvaises conditions de travail et de manque de reconnaissance que la moyenne, selon une étude de l'institut des études économiques et sociales (Wirtschafts-und Sozialwissenschaftliche Institut, WSI) de la fondation Hans Böckler. Et pour la directrice de la WSI, Bettina Kohlrausch, ce mal-être est concomitant du vote à l'extrême droite :

« L'expérience du manque de participation sociale et démocratique, tout particulièrement dans le contexte du salariat, ainsi que les préoccupations matérielles sont étroitement liées au vote pour l'AfD ».

Aux dernières élections européennes en juin 2024, les travailleurs et travailleuses syndiqués étaient plus de 18 % à voter pour le parti nationaliste. Environ 4 % de plus que l'ensemble des électeurs et 6 % de plus qu'aux dernières élections fédérales. Selon M. Dörre, la lutte se mène pour certains « avec le syndicat dans l'entreprise et avec l'AfD dans la société ».

Le syndicat industriel, IG Metall, a certes voulu réagir à cette tendance. « Ceux qui prônent l'exclusion seront exclus » [« Wer hetzt, der fliegt », selon la formule en allemand] avait annoncé en 2015, le secrétaire général d'alors, Jörg Hoffmann. « Mais cette annonce est restée sans grandes conséquences », remarque Klaus Dörre.

La tâche n'est pas simple, comme l'a encore tout récemment montré le cas Jens Keller. À la fois délégué syndical chez Ver.di au sein du service communal de ramassage des déchets à Hanovre et cadre local de l'AfD, Jens Keller a fait l'objet d'une demande d'exclusion de la part du conseil syndical régional. En cause, son activité au sein d'un parti considéré « antidémocratique » par le syndicat. Contestant la décision devant le tribunal, M. Keller a finalement eu gain de cause. Il reste membre Ver.di, bien qu'il ait dû quitter son poste de délégué syndical.

En 2023, l'élection de Christiane Benner à la tête d'IG Metall marque cependant un tournant. Très tôt, elle a affiché un engagement clair contre l'AfD, annonçant « IG Metall est ouvert à tous, sauf aux fascistes, racistes et autres réactionnaires », et a appelé à en faire de même dans les conseils d'entreprise. Une nouvelle affirmation que M. Dörre accueille volontiers, même si, pour lui, il s'agirait de remettre surtout la lutte des classes au goût du jour.

Pour Hans-Jürgen Urban, membre du comité directeur d'IG Metall, il est d'autant plus urgent d'organiser les travailleurs et les travailleuses qu'il leur faut accompagner la transformation écologique de la société. « Nous ne pouvons faire comme si rien allait changer, mais nous devons [en tant que société] leur donner une perspective, des emplois et des compétences », défendait-il au micro de la radio publique WDR, le 4 février 2025 . La transition écologique nécessite d'être accompagnée d'une transition sociale.

Et la lutte en vaut la peine. De 2023 à 2024, les syndicats de cheminots et l'union syndicale Ver.di ont lutté, avec succès, pour de meilleurs salaires. En conséquence, Ver.di a, pour la première fois depuis sa fondation en 2001, gagné de nouveaux membres. « Les syndicats gagnent de nouveaux membres lorsqu'ils sont visibles et en lutte », résume le sociologue.

Pour Orry Mittenmayer, il est aujourd'hui urgent d'intégrer les étrangers à l'action syndicale. S'ils représentent, selon l'agence allemande des statistiques, 15 % des actifs en Allemagne, leur part atteint les 32,2 % dans le secteur des bas salaires.

Le plus difficile reste de les convaincre : « La classe ouvrière est aujourd'hui bien plus diverse qu'autrefois, beaucoup de travailleurs viennent de pays où les conditions de travail sont plus dures qu'ici », dit-il. Dans bien des cas, le salaire minimum est en Allemagne bien plus rémunérateur que dans les pays d'origine des travailleurs immigrés.

Syndicalisme à l'ère TikTok

Pour atteindre un public plus divers, IG Metall mise sur les réseaux sociaux. À l'automne 2023, le syndicat industriel crée le canal @IGMetaller_innen sur TikTok. « Notre objectif est de parler à un public plus jeune et féminin », explique la responsable du projet, Mariya Vyalykh. Tout en surfant sur les tendances du réseau social aux courtes vidéos, Mme Vyalykh et son équipe sensibilisent à l'action syndicale et mettent en avant les combats féministes et antiracistes.

Dans un TikTok publié l'été dernier, @IGMetaller_innen faisait, par exemple, la promotion d'une campagne contre le racisme lancée par plusieurs organisations syndicales et antiracistes à l'occasion de la coupe d'Europe de football, respekt.tv. « Personne ne fuit son pays de plein gré », explique un des influenceurs dans une autre vidéo, avant de lister les revendications d'IG Metall sur le droit à l'asile et la nécessité de protéger les réfugiés.

À ce jour, @IGMetaller_innen comptabilise près de 14.000 followers et certaines vidéos comptabilisent plusieurs millions de vues. Là aussi, la lutte politique prend un tournant concret. « Nous sommes conscients qu'il faut construire un contre-discours sur TikTok », explique Mariya Vyalykh, face aux comptes qui multiplient les récits d'extrême droite. Le terrain de lutte est également virtuel.

Plusieurs vidéos ont été enregistrées en polonais ou en ukrainien pour médiatiser le syndicat auprès de communautés non germanophones. « À la suite de ces TikTok, nous avons reçu des retours par messages privés de personnes qui souhaitaient s'informer sur IG Metall », dit Mariya Vyalykh, qui se félicite que les vidéos aient été partagées dans les communautés concernées.

La convergence des luttes est nécessaire

Retour au réel. Riesa était la première d'une longue série de manifestations jusqu'au jour du vote. Chaque weekend, la population se retrouve à plusieurs dizaines de milliers pour manifester contre l'extrême droite dans toutes les villes allemandes. Entre le 2 et le 3 février, des rassemblements dans toute l'Allemagne ont réuni au total près de 300.000 participants. Dans bien des cas, la branche locale de la DGB s'associe aux organisations environnementales à l'instar de Fridays for Future ou Letzte Generation pour organiser les rassemblements, prolongeant l'expérience de l'année dernière.

Après les révélations du média Correctiv sur la participation de l'AfD à l'élaboration d'un « plan de rémigration », en janvier 2024, syndicats, écologistes et associations antiracistes et antifascistes avaient coordonné leurs efforts pour organiser des manifestations très populaires. Malgré les élections à la fin du mois, l'ampleur des manifestations a toutefois largement diminué par rapport à 2024, où les Allemands sont descendus dans la rue par millions pour protester contre l'AfD.

« Les syndicats sont bien avisés de collaborer avec les organisations écologistes », remarque le sociologue Klaus Dörre. « Les syndicats remarquent alors que les combats des écologistes ne leur sont pas si éloignés et les écologistes adoptent un discours plus pragmatique », analyse-t-il. La lutte commune rapproche les mouvements sociaux. C'est peut-être là le meilleur moyen de combattre l'extrême droite.

19.02.2025 à 06:30

En Asie du Sud, la politique étrangère interventionniste de Modi provoque le rejet de l'Inde par ses voisins

Aurélie Leroy

La « super année électorale » 2024 a marqué un tournant pour l'Asie du Sud, avec des élections dans tous les pays de la région : Bhoutan, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka, Népal, Maldives et bien sûr, Inde. Deux tendances communes sont à souligner. Tout d'abord, une exaspération généralisée envers les régimes autoritaires en place. Les manifestations massives des derniers mois et le vent de révolte qui a soufflé au Bangladesh, au Sri Lanka et au Pakistan ont été qualifiés par certains (…)

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Texte intégral (1834 mots)

La « super année électorale » 2024 a marqué un tournant pour l'Asie du Sud, avec des élections dans tous les pays de la région : Bhoutan, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka, Népal, Maldives et bien sûr, Inde. Deux tendances communes sont à souligner. Tout d'abord, une exaspération généralisée envers les régimes autoritaires en place. Les manifestations massives des derniers mois et le vent de révolte qui a soufflé au Bangladesh, au Sri Lanka et au Pakistan ont été qualifiés par certains observateurs locaux de « printemps sud-asiatiques ». Les revendications démocratiques et de justice sociale, ainsi que la lutte contre la corruption ont aussi été au cœur des soulèvements, qui visaient à bousculer un statu quo devenu intolérable.

Mais des slogans tels que « India Out » ont également résonné lors de ces contestations, témoignant de l'échec de la politique interventionniste de Narendra Modi. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le Premier ministre indien a orienté sa stratégie diplomatique sur le « voisinage d'abord » et cherché à positionner son pays comme la puissance dominante d'Asie du Sud. Néanmoins, malgré ces efforts, la région est devenue le théâtre de la rivalité entre la Chine et l'Inde.

Si les ouvertures de la Chine, telles que les initiatives économiques et stratégiques, expliquent en partie la prise de distance de plusieurs pays vis-à-vis de l'Inde, l'arrogance perçue de New Delhi, qui s'affirme comme l'« allié naturel » et le « grand frère » autoritaire, a nourri un sentiment anti-indien répandu dans la région. Ce rejet découle des ingérences et des pressions exercées de longue date dans les affaires internes de ses voisins, notamment lors de la signature d'un accord énergétique déséquilibré entre Dacca et le groupe Adani, un consortium proche du régime de Modi, ou encore quand le gouvernement indien a émis des objections concernant l'escale d'un navire de recherche chinois dans un port sri-lankais.

Cette méfiance à l'égard de l'Inde ne trouve toutefois pas son explication dans la seule histoire récente. Le conflit indo-pakistanais autour du Cachemire est un point de friction qui remonte à la Partition de 1947 et qui persiste dans la politique étrangère indienne. La révocation de l'autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire en 2019 a exacerbé les tensions et terni l'image de l'Inde, perçue davantage après cet épisode, comme une puissance dominatrice imposant sa volonté et ses intérêts.

Bangladesh : soulèvements et reconstruction démocratique à distance de l'Inde

Épisode emblématique exposant les failles d'une telle approche : l'effondrement du régime autoritaire de Sheikh Hasina, au Bangladesh. En janvier 2024, celle que l'on appelait « la dame de fer », remportait sans surprise un quatrième mandat consécutif après un simulacre d'élection. Son parti, la Ligue Awami, contrôlait le pays, réprimant systématiquement les oppositions, notamment les travailleurs et leurs représentants.

La corruption gangrenait le gouvernement et les rouages de l'administration, favorisant un capitalisme de connivence au profit des élites, tandis que la population – en particulier les jeunes – souffrait de l'inflation, d'une croissance sans emploi et de l'accaparement des opportunités économiques par l'entourage du régime.

En juillet 2024, le rétablissement d'un système de quotas dans la fonction publique, favorisant les proches du pouvoir, déclencha un soulèvement massif, nourri par des années de frustration. La réponse fut brutale : couvre-feu, coupure d'internet et répression sanglante. Alors que les affrontements atteignaient leur paroxysme, Sheikh Hasina, lâchée par l'armée, s'enfuyait du pays. Quelques jours plus tard, un gouvernement intérimaire dirigé par Muhammad Yunnus, prix Nobel de la paix en 2006, prêtait serment.

Pendant quinze ans, l'Inde a soutenu indéfectiblement Hasina, fermant les yeux sur les abus et les dérives autoritaires.

Cet appui s'est encore manifesté par l'invitation du Bangladesh au G20, présidé par l'Inde, en 2023 – une première historique pour le pays et un gage de légitimité internationale, et ce soutien a encore perduré jusqu'à l'approche du scrutin de 2024, malgré les critiques internationales.

En retour, le Bangladesh a concédé à son grand voisin des avantages commerciaux illustrant un rapport d'exploitation et de soumission. Ces ententes ont porté notamment sur le « partage » de ressources hydrauliques, des facilités pour le transport de marchandises, ou la coopération dans la lutte contre le militantisme islamique. Cette relation asymétrique a nourri un sentiment d'hostilité.

En misant exclusivement sur son alliance avec Sheikh Hasina, le gouvernement Modi a négligé les dynamiques internes du Bangladesh et fragilisé sa propre influence régionale, après le changement de régime.

Par ailleurs, les discours haineux des nationalistes hindous qualifiant les Bangladais de « termites » et d' « immigrants illégaux », ont attisé le rejet et la défiance. Ces déclarations, associées à des politiques discriminatoires contre des musulmans indiens et à l'ingérence dans les affaires internes du Bangladesh, ont exacerbé l'hostilité envers l'Inde. Ce climat de suspicion a non seulement affaibli l'influence de l'Inde, mais aussi entaché sa réputation, marquant un revers stratégique majeur.

Reconfiguration des équilibres politiques en Asie du Sud

Le Sri Lanka et le Pakistan ont également été secoués par de vastes mouvements de protestation exigeant le départ de leurs dirigeants, jugés incapables de gouverner de manière juste, transparente et efficace.

Au Sri Lanka, la crise économique a été marquée par une dette insoutenable, des pénuries généralisées et une hausse du coût de la vie. Le taux de pauvreté a presque doublé entre 2021 et 2022, dépassant les 25% et un demi-million de travailleurs ont perdu leur emploi en 2022, provoquant une émigration massive de travailleurs. L'effondrement économique, couplé à des années de mauvaise gestion, a attisé le mécontentement, conduisant à la démission du président Gotabaya Rajapaksa. En 2024, Anura Kumara Dissanayake (« AKD ») a été élu à la tête d'une coalition de gauche. Porté par un élan populaire en faveur d'un « changement de système », AKD a incarné l'espoir d'un renouveau, dans un pays rongé par la corruption et la mauvaise gestion.

Au Pakistan, c'est la gouvernance désastreuse du pays et la destitution d'Imran Khan, l'ex-Premier ministre aujourd'hui emprisonné, qui ont été le catalyseur des mobilisations.

Dans les deux cas, les citoyens ont dénoncé un système politique oligarchique déconnecté des réalités, ainsi que l'influence démesurée de l'armée dans les affaires civiles. Ces mouvements ont exprimé un désir de réformes démocratiques et de justice sociale.

Bien que les soulèvements populaires au Sri Lanka et au Pakistan trouvent leurs origines dans des dynamiques internes, ils s'inscrivent dans un contexte de contestation du leadership de l'Inde. Fort de sa taille géographique et de son poids politique, New Delhi a cherché à imposer sa domination sur la région, en adoptant une « diplomatie coercitive », reposant sur des stratégies de l'influence et de la menace, et en s'érigeant en arbitre des relations internationales de ses voisins.

La montée au pouvoir de dirigeants moins alignés sur les intérêts indiens, comme AKD au Sri Lanka ou le gouvernement intérimaire de Muhammad Yunus au Bangladesh ; ou encore l'ascension de Mohammed Muizzu à la présidence des Maldives, qui a fait campagne sur le thème « India Out », ou le retour du Premier ministre népalais KP Sharma Oli, dont les relations avec New Delhi ont été houleuses par le passé, ont marqué un tournant dans les relations régionales.

Sans faire table rase du passé, ces nouveaux acteurs ont affiché leur volonté de tempérer les prétentions indiennes, pour préserver leur souveraineté nationale et maintenir un équilibre délicat entre l'Inde et la Chine. La stratégie de contrôle et l'ambition hégémonique de Modi ont incité les « petits » États du Sud asiatique à diversifier leurs partenariats et à exploiter les opportunités offertes par la rivalité sino-indienne, en évitant de tomber dans l'orbite de l'une des deux puissances.

Le rapport de force avec la Chine

L'Inde fait face à un double problème d'asymétrie en Asie du Sud. Le premier tient à la taille, la démographie, l'économie, la politique étrangère de l'Inde, qui en font un géant en comparaison de ses voisins. Le second réside dans le rapport de force déséquilibré qui existe entre la Chine et l'Inde. Dans de nombreux domaines – économique, industriel, technologique, diplomatique, militaire, en matière de développement humain, etc. – Pékin surpasse son rival. L'Inde est aussi dépendante de la Chine pour une part importante de ses importations.

Dans ce contexte, l'expansionnisme chinois dans la zone d'influence traditionnelle indienne, à travers des investissements dans des infrastructures via la Belt and Road Initiative (BRI) et des alliances stratégiques avec des pays riverains de l'océan indien, a été perçu par New Delhi comme une menace directe à sa prééminence régionale.

À l'entame de son troisième mandat, Narendra Modi est confronté à des défis majeurs. Pour surmonter sa « débâcle diplomatique » en Asie du Sud, New Delhi doit repenser son approche. Elle doit s'extraire d'une logique fondée sur la seule obsession de refoulement de la Chine et sur ses seuls intérêts hégémoniques pour envisager un développement commun et prendre en compte les intérêts et les besoins des autres pays de la région. La région ne pourra s'élever qu'ensemble. Nombre d'enjeux dépassent les frontières : pollution de l'air, pénurie de l'eau, migrations, inégalités économiques, infrastructures, connectivité, etc. L'avenir d'un quart de la population mondiale en dépend.

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