22.10.2024 à 08:33
Les prescriptions orthodoxes pour la reprise économique, la croissance et la création d'emplois nous ont, dans bien des cas, desservis, a fortiori en Afrique. Nous assistons à une polycrise mondiale – du changement climatique aux inégalités, en passant par les déplacements de main-d'œuvre dus à l'automatisation et à l'intelligence artificielle. Il est nécessaire donc de repenser radicalement nos structures économiques.
La croissance ne doit pas se limiter à l'augmentation du produit (…)
Les prescriptions orthodoxes pour la reprise économique, la croissance et la création d'emplois nous ont, dans bien des cas, desservis, a fortiori en Afrique. Nous assistons à une polycrise mondiale – du changement climatique aux inégalités, en passant par les déplacements de main-d'œuvre dus à l'automatisation et à l'intelligence artificielle. Il est nécessaire donc de repenser radicalement nos structures économiques.
La croissance ne doit pas se limiter à l'augmentation du produit intérieur brut (PIB) d'une nation ; elle doit garantir que tous les segments de la population, en particulier les personnes marginalisées, participent activement au progrès économique et en bénéficient. Elles incluent les femmes, les jeunes, les personnes en situation de handicap, les communautés rurales et les travailleurs de l'économie informelle. Pour l'Afrique, un continent confronté à de nombreux défis économiques, sociaux et environnementaux mais qui regorge également de potentiel, la croissance inclusive constitue un impératif.
La clé de la réussite pour l'avenir de l'Afrique ne réside pas dans la poursuite de modèles économiques axés sur le profit, mais dans la promotion d'un système qui englobe la justice sociale, la distribution équitable des ressources et un développement centré sur l'être humain.
D'un point de vue historique, la dépendance conventionnelle à l'égard de la croissance économique comme principale mesure du progrès a conduit à une interprétation étroite et incomplète du développement en Afrique. La croissance du PIB, en tant qu'étalon de succès, n'a jamais suffi à rendre compte de toute la complexité de ce qui constitue un développement global. Si la croissance du PIB peut refléter l'augmentation de la production et de la richesse nationales, elle offre un instantané superficiel qui fait abstraction d'enjeux plus fondamentaux tels que l'inégalité, la justice sociale et la durabilité environnementale. Une telle approche orthodoxe, héritée des structures économiques coloniales et soutenue par les politiques néolibérales, privilégie la croissance extractive et la maximisation des profits au détriment du bien-être d'une majorité de la population. Et c'est aussi pourquoi les cadres économiques en Afrique n'ont pas réussi à répondre aux besoins réels des populations.
La dépendance du continent africain à l'égard de la seule croissance du PIB a produit une vision faussée du progrès. Au fil des ans, si certaines économies africaines ont affiché des taux de croissance impressionnants, cela ne s'est pas traduit par des améliorations significatives dans la vie des citoyens ordinaires.
Les fruits de la croissance sont restés concentrés entre les mains d'un petit nombre, tandis que de larges pans de la population continuent de vivoter sous le seuil de la pauvreté. En Afrique subsaharienne, 433 millions de personnes vivent encore dans l'extrême pauvreté, malgré des périodes de croissance du PIB. Les élites urbaines, les entreprises étrangères et les industries extractives ont, de fait, souvent été les principaux bénéficiaires, laissant à la traîne les communautés rurales, les travailleurs informels, les femmes et les jeunes, notamment. Cette répartition inégale des richesses est une conséquence directe de la focalisation étroite sur le PIB en tant que mesure du développement.
Que la croissance du PIB ne soit pas parvenue à combler le gouffre des inégalités est particulièrement évident dans l'économie informelle, qui occupe une part importante de la main-d'œuvre africaine. Cette économie informelle, où travaillent la plupart des groupes marginalisés, n'est guère prise en compte dans les modèles de croissance traditionnels. Les politiques économiques qui donnent la priorité aux secteurs formels – tels que l'exploitation minière, les infrastructures et l'agriculture à grande échelle – manquent l'occasion de développer et de soutenir l'économie informelle, où travaille la majorité des Africains, en particulier les femmes et les jeunes. La croissance enregistrée dans les secteurs formels ne ruisselle pas jusqu'à ces travailleurs informels, qui restent exclus des protections sociales, des services financiers et des avantages de l'emploi formel. Par conséquent, même si le PIB croît, la réalité sur le terrain pour la majorité de la population reste inchangée.
Qui plus est, à se focaliser sur la seule croissance économique, on tend à ignorer les dimensions sociales et environnementales du développement. En Afrique, les industries extractives, minières et pétrolières notamment, ont stimulé la croissance du PIB, mais ont aussi provoqué une dégradation environnementale importante, entraînant le déplacement de communautés et la destruction d'écosystèmes et compromettant la durabilité à long terme. Cette situation crée un paradoxe, à savoir que la croissance économique est atteinte, mais au détriment de l'environnement et des générations futures. La dégradation environnementale causée par ces industries est de fait rarement reflétée dans les indicateurs du PIB, qui ne mesurent que la production sans tenir compte de l'épuisement des ressources naturelles ou des coûts sociaux encourus.
Par ailleurs, les modèles axés sur le PIB tendent à ne pas tenir compte de la dimension sociale. Les femmes, les jeunes et les personnes en situation de handicap contribuent souvent de manière significative à leurs communautés et à leurs économies, en particulier dans le secteur informel. Or, leur travail reste sous-évalué et peu visible dans les indicateurs traditionnels. Ainsi, les femmes représentent une grande partie de la main-d'œuvre agricole, mais se voient souvent refuser la propriété foncière, l'accès au financement et une rémunération équitable. Les jeunes, bien qu'ils constituent le groupe démographique le plus important en Afrique, sont confrontés à des niveaux élevés de chômage et de sous-emploi, même dans les pays qui enregistrent une croissance économique. Ces réalités mettent en évidence le décalage qui existe entre la croissance du PIB et tout progrès social tangible. L'augmentation du PIB n'est pas forcément synonyme d'amélioration du niveau de vie, de réduction des inégalités ou d'une plus grande inclusion sociale.
« Lorsque la croissance est véritablement inclusive, le développement en est l'aboutissement naturel »
La croissance inclusive, en revanche, nécessite une approche multidimensionnelle qui tienne compte de la corrélation entre les facteurs économiques, sociaux et environnementaux. Elle exige des politiques qui non seulement stimulent la croissance économique, mais s'attaquent en même temps aux enjeux de l'équité, de l'inclusion et de la durabilité. Lorsque le PIB par habitant augmente mais que les inégalités se creusent considérablement, l'on assiste à une régression pour toutes les communautés, ce qui n'est pas soutenable.
La croissance inclusive n'est pas juste une autre façon de désigner le développement économique. Il s'agit d'une croissance qui conduit réellement au développement. La croissance inclusive est davantage axée sur le processus de croissance et ses résultats (avantages partagés) plutôt que sur la seule production. La croissance inclusive, telle que définie dans les objectifs de développement durable (ODD), associe croissance et aspects sociaux, où l'accent est mis sur la nécessité de partager la croissance économique avec les plus pauvres. Lorsque la croissance est véritablement inclusive, le développement en est l'aboutissement naturel. De ce fait, les indices de développement humain qui prennent en compte l'éducation, la santé et la qualité de vie offrent une mesure plus holistique du progrès.
Ces indicateurs reflètent mieux les réalités vécues par les personnes, en particulier les personnes marginalisées, et donnent une image plus claire de la manière dont le développement progresse au niveau de la société. En se basant sur ces indicateurs plus larges, les gouvernements africains seront à même d'élaborer des politiques qui favorisent non seulement la production économique, mais aussi le bien-être social et la durabilité environnementale. Par ailleurs, l'accent mis sur la croissance du PIB comme étalon de la réussite a souvent empêché les gouvernements africains de prendre la pleine mesure du potentiel des modèles de croissance alternatifs, axés sur un développement inclusif et équitable. Des initiatives populaires menées à l'échelle locale dans les domaines de l'agriculture, des énergies renouvelables et du secteur informel, par exemple, ont démontré un réel potentiel de création d'emplois et de développement durable. Pourtant, ces secteurs restent sous-financés et sont insuffisamment valorisés dans le cadre des politiques économiques qui donnent la priorité aux industries formelles à forte intensité de capital. Faute d'investissements dans ces secteurs, des opportunités de croissance inclusive sont manquées, ce qui ne fait que perpétuer le cycle de l'inégalité.
Une partie essentielle de la solution consiste à repenser la manière dont nous évaluons les diverses économies de l'Afrique et dont nous y investissons. Pour que la croissance soit inclusive, il faut dépasser l'objectif traditionnel du PIB au profit de politiques qui favorisent la justice sociale, une répartition équitable des ressources et le développement durable.
Cela signifie qu'il faille investir dans l'économie informelle, où travaille la majorité de la population, et créer des systèmes financiers accessibles aux groupes marginalisés, tels que banques coopératives et systèmes de prêts communautaires. Ces investissements devront faire passer les bénéfices sociaux avant les gains financiers à court terme, afin de garantir que les avantages de la croissance soient largement partagés. Les gouvernements africains devront en outre adopter des modèles de croissance verte qui concilient le progrès économique et la durabilité environnementale. L'investissement dans les énergies et les procédés agricoles renouvelables ainsi que dans d'autres industries durables est susceptible de contribuer à la création d'emplois tout en protégeant les ressources naturelles et en s'attaquant aux problèmes environnementaux du continent. Les stratégies de croissance verte, conjuguées à des politiques de soutien à l'économie informelle, peuvent ouvrir la voie à un développement inclusif qui profite à tous les Africains, et pas seulement à une minorité nantie.
La dépendance traditionnelle à la croissance du PIB comme principal indicateur de mesure du développement a freiné les gouvernements africains dans leur quête d'un véritable progrès. En se focalisant étroitement sur la production économique, cette approche orthodoxe n'a pas tenu compte des dimensions sociales, économiques et environnementales plus profondes qui sont cruciales pour un développement global. Trois indicateurs de santé économique, au-delà du PIB, doivent être pris en considération dans la formulation des politiques et le plaidoyer. L'indice de développement humain, qui se concentre sur les personnes et les capacités, l'indice du vivre mieux, qui se concentre sur le bien-être des personnes, et l'indicateur de progrès véritable, qui concerne les compromis coûts-avantages de la croissance économique.
Une approche plus inclusive et plus équitable de la croissance est donc nécessaire – qui reconnaisse les contributions de tous les segments de la société, valorise la durabilité et donne la priorité au bien-être humain. Ce n'est qu'en dépassant le cadre du PIB que les gouvernements africains pourront commencer à mettre en place des politiques conduisant à un développement véritable et durable, où chaque citoyen, indépendamment de ses origines ou de son statut, aura la possibilité de s'épanouir. Nous devons rejeter le modèle de « croissance à tout prix » qui a échoué sur notre continent. Au lieu de cela, nous devons donner la priorité à une économie centrée sur les personnes, qui favorise un développement régénérateur – en créant des emplois dans des industries qui restaurent plutôt qu'elles n'épuisent nos ressources naturelles et humaines.
18.10.2024 à 06:58
Alors que les températures autour du centre de distribution d'Amazon à Manesar, dans le nord de l'Inde, frôlaient les 45 degrés au début de l'été, Priyanka [nom d'emprunt] se souvient comment les responsables de la société ont réuni les travailleurs pour leur faire prêter serment de ne pas interrompre leur travail pour aller aux toilettes ou boire de l'eau, et ce, afin d'atteindre un objectif donné de production.
« Personne n'a refusé de prêter serment », explique-t-elle à Equal Times par (…)
Alors que les températures autour du centre de distribution d'Amazon à Manesar, dans le nord de l'Inde, frôlaient les 45 degrés au début de l'été, Priyanka [nom d'emprunt] se souvient comment les responsables de la société ont réuni les travailleurs pour leur faire prêter serment de ne pas interrompre leur travail pour aller aux toilettes ou boire de l'eau, et ce, afin d'atteindre un objectif donné de production.
« Personne n'a refusé de prêter serment », explique-t-elle à Equal Times par téléphone depuis Manesar. « Les travailleurs avaient peur de perdre leur emploi s'ils ne suivaient pas les injonctions des responsables. Ils sont soumis à une forte pression financière et ne comprennent pas que la société n'a pas le droit d'agir de la sorte ».
Priyanka explique qu'elle est tenue de déplacer et ranger 150 articles par heure, 10 heures par jour, sous peine d'être licenciée si elle baisse le rythme. Certains articles étant très lourds, le travail en est non seulement douloureux, mais aussi éreintant.
Ce jour-là, le 16 mai 2024, les températures locales étaient tellement élevées que des oiseaux tombaient littéralement du ciel. Et pourtant, « des responsables nous suivaient, surveillaient la liste [des articles à trier], alors nous nous sommes juste concentrés sur notre travail », déclare-t-elle. « Ils nous criaient dessus en nous poussant à en faire toujours plus, mais il faisait tellement chaud qu'il nous était difficile de faire quoi que ce soit ».
Sunniye, une employée de la zone de chargement de l'usine, explique que la chaleur était « si forte qu'il fallait se couvrir de vêtements pour éviter de brûler au soleil, mais cela voulait dire que les travailleurs transpiraient, étaient déshydratés et souffraient d'épuisement ».
Priyanka raconte qu'au cours des deux années qu'elle a passées dans l'entrepôt, une vingtaine de travailleurs se sont effondrés sur le sol et ont été envoyés à l'hôpital du fait qu'ils travaillaient dans une telle chaleur. Ces travailleurs (et les collègues qui les accompagnent à l'hôpital) voient leur salaire être réduit de façon régulière.
Un porte-parole d'Amazon India, qui a demandé à ne pas être nommé, a déclaré à Equal Times que l'entreprise se conformait à toutes les lois et réglementations et offrait à ses employés « un salaire compétitif, des conditions de travail confortables et une infrastructure spécialement conçue ». D'après lui, Amazon avait mis en place des mesures de refroidissement et de surveillance de la chaleur dans tous ses bâtiments, et avait également assuré « un approvisionnement plus que suffisant en eau froide et en boissons hydratantes, ainsi que des pauses régulières dans un environnement plus frais ».
Interrogé sur les événements du 16 mai, le représentant de l'entreprise a déclaré qu'Amazon avait « mené une enquête détaillée, trouvé un incident isolé de mauvais jugement de la part d'un individu qui était totalement inacceptable et contraire à [leurs] politiques, et pris des mesures disciplinaires ».
Cependant, le responsable n'a pas répondu à des questions spécifiques sur l'usine de Manesar – comme le serment que les travailleurs disent avoir été forcés de prêter ou les 20 travailleurs qui y auraient été hospitalisés depuis 2022 – et a également refusé de répondre aux questions sur la politique de l'entreprise telles que les contrats de travail à court terme, le contournement des limites du salaire minimum ou la question de savoir si l'entreprise met les syndicalistes sur liste noire.
Les deux travailleuses, âgées d'une vingtaine d'années, ont accepté de parler à Equal Times sous couvert d'anonymat, car elles craignaient de subir des représailles. Leur travail et celui de milliers de personnes a contribué à faire de Jeff Bezos, le PDG d'Amazon, le deuxième homme le plus riche du monde, avec une fortune estimée à plus de 200 milliards de dollars (183,78 milliards d'euros).
Ce n'est pas la première fois que ce mastodonte de la technologie se heurte au droit du travail indien en utilisant un modèle de travail très critiqué d'extraction et d'exploitation qu'il reproduit dans le monde entier.
En Inde, les travailleurs d'Amazon sont fréquemment embauchés sur la base de contrats à court terme — d'un, trois ou onze mois — soit moins que le délai d'un an nécessaire pour bénéficier des avantages sociaux prévus par la loi, indique Dharmendra Kumar, président de l'Association des travailleurs d'Amazon Inde, membre d'UNI Global Union. À la fin d'un contrat de 11 mois, « ils vous licencient puis vous réembauchent », explique-t-il.
Amazon exploite également certaines « zones grises » juridiques pour obliger les employés à travailler 50 heures au lieu de 48, en comptabilisant les pauses déjeuner comme du temps non travaillé.
Par ailleurs, « pour éviter de payer plus que des salaires de misère, ils choisissent des emplacements [pour leurs entrepôts] où le salaire minimum est très bas », poursuit-il. « À Delhi, le salaire minimum des travailleurs avoisine les 200 euros par mois (217,62 dollars US). Mais à 10 minutes en voiture de Delhi, il n'est que de 100 à 110 euros (108,81 à 119,69 dollars US), et c'est donc là qu'ils s'installent. Le travailleur moyen n'a pas les moyens de vivre à Delhi ».
Presque tous les employés d'Amazon sont embauchés par l'intermédiaire de ce que M. Kumar appelle des « fournisseurs tiers », une manœuvre qui permet d'externaliser les coûts de mise en conformité et les responsabilités juridiques. Et quand l'entreprise découvre qu'un travailleur a adhéré à un syndicat, « elle trouve toujours un moyen de l'inscrire sur une liste noire afin qu'il ne puisse plus continuer à travailler pour eux », explique M. Kumar à Equal Times.
Pourtant, Priyanka soutient qu'environ 200 travailleurs de l'usine de Manesar (sur un effectif compris entre 1.300 et 1.800 personnes) ont désormais rejoint le syndicat.
Leur lutte a été mise en lumière le mois dernier avec le lancement d'un nouveau projet de recherche dirigé par la Confédération syndicale internationale [voir Ces entreprises qui menacent la démocratie), qui analyse les pratiques antidémocratiques employées par Amazon et six autres sociétés transnationales : Tesla, Meta, ExxonMobil, Blackstone, Vanguard et Glencore.
« Leur combat est une lutte pour l'argent et le pouvoir », déclare Atle Høie, secrétaire général d'IndustriAll Global Union. « Bon nombre des plus grandes multinationales sont aujourd'hui plus puissantes financièrement que de nombreux gouvernements et elles usent de leur influence pour obtenir des lois qui favorisent leur quête de contrôle. Virtuellement aucun pays n'a mis en place de politiques susceptibles de modifier cette tendance et la réaction des syndicats et de la société civile demeure insuffisante jusqu'à présent. »
Outre les tactiques traditionnelles visant à écraser les syndicats et à priver les travailleurs du droit à la syndicalisation et à la négociation collective, ces sept entreprises « dépensent des sommes considérables et exercent une pression intense sur les gouvernements par le biais du lobbying en vue de faire adopter des politiques impopulaires auprès de la majorité des électeurs », déclare Todd Brogan, directeur des campagnes de la CSI.
Le rapport révèle que les efforts d'influence des entreprises ne se bornent pas à établir des contacts officieux avec des fonctionnaires, mais qu'elles vont jusqu'à financer des mouvements politiques d'extrême droite et des groupes qui tentent de ralentir ou d'empêcher l'adoption de mesures climatiques.
À ce titre, le combat des travailleurs indiens d'Amazon était « au cœur du débat », explique M. Brogan. « En général, les politiciens et les institutions mondiales se contentent de belles paroles à l'égard de personnes comme ces travailleurs d'Amazon, tout en donnant le pouvoir aux sociétés transnationales. Nous estimons qu'il faudrait inverser les rôles ».
Au cours des trois prochains mois, une occasion de réécrire ces rôles s'ouvrira grâce à une série de réunions institutionnelles de haut niveau et de conférences mondiales qui se tiendront à travers le monde.
Les acteurs en présence iront du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale au sommet sur le climat COP29 en Azerbaïdjan et, peut-être plus important encore, aux négociations de la mi-décembre au sein du groupe de travail intergouvernemental des Nations unies en vue d'un traité contraignant obligeant les sociétés transnationales à respecter les droits humains.
À ce jour, les négociations « traînent depuis 2014, car les États n'en font pas une priorité et ne les prennent pas au sérieux », estime M. Brogan. Mais la pression monte à mesure que les prochaines élections américaines focalisent les esprits.
M. Høie déclare à Equal Times : « Nous avons besoin d'une prise de conscience de la part des gouvernements importants au niveau mondial. Si Donald Trump est élu aux États-Unis, c'est un signal clair que le pouvoir des entreprises va s'accroître et que la spirale va se poursuivre. Les syndicats devront trouver un moyen d'inciter les travailleurs à adhérer et à recréer une force positive suffisamment puissante pour infléchir la tendance. »
Il poursuit : « Il y a des signes indiquant que cela se produit même aux États-Unis, mais c'est loin d'être suffisant. Les syndicats devront se concentrer sur l'organisation, sur la conclusion d'accords juridiquement contraignants avec les grandes entreprises et sur l'inclusion de droits syndicaux exécutoires dans les accords commerciaux internationaux. »
Les nouvelles initiatives législatives de la Commission européenne sur la durabilité des entreprises et le devoir de vigilance et sur les travailleurs des plateformes pourraient, si elles sont utilisées de manière constructive, « ouvrir la voie à une meilleure mise en œuvre des droits syndicaux fondamentaux », déclare M. Høie. Autrement, « il ne s'agira que d'une nouvelle vague de rapports d'entreprise sans effet ».
La directive de l'UE sur le devoir de vigilance des entreprises oblige celles-ci à vérifier que leurs chaînes d'approvisionnement ne sont pas entachées de violations des droits humains et de l'environnement, tandis que la directive sur les travailleurs des plateformes interdit que ces travailleurs soient classés comme « indépendants » ou licenciés par des algorithmes informatiques.
M. Brogan considère que ces lois sont « un pas dans la bonne direction », mais il estime néanmoins qu'elles sont insuffisantes pour permettre la transformation globale qui s'impose et qui n'a actuellement « pas de véritable champion ». Il en identifie la raison (à l'échelle mondiale) comme étant « l'influence indue et non démocratique des entreprises. »
L'UE n'a pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires sur sa position dans les négociations de l'ONU en vue d'un accord exécutoire pour lutter contre l'injustice des entreprises. Mais le désir ardent de disposer d'un traité juridiquement contraignant s'est clairement manifesté lors d'un séminaire en ligne organisé à l'occasion de la publication du rapport de la CSI le mois dernier, au cours duquel les intervenants ont tous réclamé des mesures.
David Adler, coordinateur de l'Internationale Progressiste et ancien conseiller du sénateur démocrate des États-Unis Bernie Sanders et de l'ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, a appelé à une réflexion stratégique afin de transformer en campagnes les articles de presse sur les pratiques d'entreprise douteuses.
« Ne rejetez pas la faute sur les décideurs politiques », a-t-il déclaré lors du webinaire. « Ils échouent encore et encore et tout ce qu'ils peuvent faire, c'est nous décevoir, mais nous devons veiller à être tactiques et lucides quant aux violations spécifiques [des droits humains par les entreprises] d'un point de vue juridique et établir que cela doit être la base d'une riposte commune et coordonnée de la part de nos membres. »