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31.01.2025 à 06:38

Remboursements, dégrèvements, fraude : la face cachée du système fiscal creuse la dette

Équipe de l'Observatoire

Tout débat sur l'évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d'impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu'elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (…)

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Texte intégral (1407 mots)

Tout débat sur l'évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d'impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu'elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière, il convient également d'analyser l'impact de certaines « dépenses fiscales » (les fameuses « niches fiscales ») et l'évolution de la mécanique de certains impôts. C'est l'objet du présent billet.

De très longue date, de nombreuses mesures, toujours existantes, présentent en effet un coût budgétaire important. Le coût de ce qu'il est convenu de nommer « niches, fiscales ou sociales », a ainsi atteint en effet des niveaux record au cours des dernières années, sans que ces dispositifs aient démontré leur efficacité en termes de relance de l'activité économique et par voie de conséquence, de rentrées fiscales et sociales.

On dénombre plus de 470 « dépenses fiscales » (la dénomination budgétaire officielle des « niches fiscales ») auxquelles il faut ajouter des mesures dites « déclassées » (c'est-à-dire n'étant plus considérées comme des dépenses fiscales mais comme des modalités particulières de calcul de l'impôt) parmi lesquelles le régime « mère-fille », le régime de l'intégration fiscale ou l'exonération de certaines plus values des sociétés (dite « niche Copé » du nom de son instigateur). Le coût global des dépenses fiscales s'élevait à 96,1 milliards d'euros en 2023. Le coût des « modalités particulières de calcul de l'impôt » mentionnées ici était évalué dans le projet de loi de finances pour 2019 à 7 milliards d'euros pour la niche « Copé », 17,6 milliards d'euros pour le régime « mère fille » et 16,4 milliards d'euros pour le régime de l'intégration fiscale. Ils ne font plus l'objet d'évaluation depuis, sans qu'une explication n'ait été apportée par le pouvoir. Le coût des différents allègements de cotisations sociales, également dénommées « niches sociales », avoisine pour sa part les 90 milliards d'euros.

Tous les ans, un rapport spécial des deux commissions des finances (Assemblée nationale et Sénat) est consacré aux « remboursements et dégrèvements », qui constituent des restitutions trouvant leur origine « dans le fonctionnement concret de certaines impositions (remboursement de trop versés), dans la mise en œuvre de politiques publiques (crédits d'impôt) ou encore dans la rectification du montant d'un impôt (correction d'une erreur matérielle, conséquences d'un contentieux fiscal ou application d'une convention internationale par exemple) [1]. Le coût budgétaire de ces « remboursements et dégrèvements » est élevé : il représente un peu moins de 30% des recettes fiscales brutes en 2025. Et il est en constante évolution : il a en effet globalement progressé de 142 % depuis 2001 et de 182 % pour les impôts d'État.

Depuis plusieurs années, ces rapports parlementaires s'inquiètent plus particulièrement de la hausse du coût de deux dispositifs, l'un lié à la mécanique fiscale (les remboursements de crédit de TVA), l'autre découlant d'une dépense fiscale (le crédit d'impôt recherche).

En effet, une entreprise est tenue de déclarer à l'administration fiscale la TVA qu'elle paie sur ses achats et celle qu'elle collecte sur la vente de ses biens ou services. La plupart du temps, l'entreprise reverse la différence. Mais lorsque la TVA qu'elle a payée sur ses achats (la « TVA déductible ») est supérieure à celle qu'elle a encaissée sur ses ventes (la « TVA collectée »), elle peut, sous conditions, demander le remboursement de la différence (qui constitue un crédit de TVA). Or, le Sénat [2] relevait que les remboursements de crédit de TVA, estimés à 80,3 milliards d'euros en 2025, sont en forte hausse tendancielle « de 2014 (exécution) à 2025 (prévisions PLF), la progression des remboursements de TVA s'élève à 68,6 %, représentant 32,7 milliards d'euros ». Le Sénat précise que, si les restitutions de TVA découlent de la mécanique classique de fonctionnement de la TVA ; « le niveau élevé des remboursements ainsi que la hausse continue, dans des proportions plus élevées que l'évolution de la valeur ajoutée elle-même, impose une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux ».

Le Sénat relève par ailleurs que le coût du crédit d'impôt recherche (CIR) est en forte hausse depuis la réforme de 2008 : « en 2009, il s'établissait à 4,5 milliards d'euros pour un peu plus de 14 000 dossiers, il devrait représenter, en 2025, 7,7 milliards d'euros pour près de 15 500 entreprises ». Le CIR est très concentré sur les grandes entreprises : « les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total ». Le Sénat s'interroge sur l'efficacité de ce dispositif, puisque « l'effet du CIR sur l'effort supplémentaire de recherche fourni par les entreprises se limite à un réinvestissement égal au bénéfice du dispositif ». En d'autres termes, un CIR accordé est reconduit sur les dépenses du même type sans effort supplémentaire de la part de l'entreprise. Le Sénat s'inquiète également des difficultés de contrôler le CIR.

Par ailleurs, alors que la fraude fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards d'euros, la baisse des moyens des administrations fiscales et douanières notamment contribue également à affecter le rendement des recettes fiscales, comme cela a été démontré dans un rapport de 2022 consacré à l'évaluation des résultats du contrôle fiscal [3]. Dans leurs multiples annonces, les gouvernements successifs ont en effet omis de préciser qu'année après année, ils sapaient les moyens humains de l'administration fiscale et de ses services de contrôle…

Tout gouvernement sérieusement attaché aux comptes publics devrait tirer des conclusions de la lecture de ces travaux parlementaires. Il devrait également engager une stratégie globale contre l'évitement de l'impôt.


[1] Rapport de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2025, annexe 39, « Remboursements et dégrèvements », 19 octobre 2024.

[2] Rapport de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances 2025, annexe n° 27, « Remboursements et dégrèvements », 21 novembre 2024.

[3] Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible », mars 2022.

07.01.2025 à 08:29

2025 : une année très « fiscale », mais pas très « justice fiscale »...

Équipe de l'Observatoire

L'année 2025 sera largement consacrée aux recettes et aux dépenses publiques. Le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 devraient bientôt être connus et débattus au Parlement. En fin d'année, ce sera au tour des PLF et PLFSS 2026 d'être connus, puis débattus. Les choix de tout gouvernement qui présente ces textes est toujours révélateur de la façon dont sont considérés les enjeux en matière de financement des politiques (…)

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Texte intégral (932 mots)

L'année 2025 sera largement consacrée aux recettes et aux dépenses publiques. Le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 devraient bientôt être connus et débattus au Parlement. En fin d'année, ce sera au tour des PLF et PLFSS 2026 d'être connus, puis débattus. Les choix de tout gouvernement qui présente ces textes est toujours révélateur de la façon dont sont considérés les enjeux en matière de financement des politiques publiques et de répartition des richesses.

En la matière, il y a beaucoup à dire…
Pour l'heure, la justice fiscale n'est en effet manifestement pas la priorité du gouvernement Bayrou.
- Sa composition parle d'elle-même . Ses membres sont en effet issus de mouvements qui ont par exemple refusé l'instauration d'une contribution symbolique sur les plus riches proposée par le précédent gouvernement et qui, plus largement, ne cessent de plaider pour la baisse des impôts, notamment au profit des plus riches et des grandes entreprises.
- Ses premières annonces confirment ce diagnostic . Dans un communiqué du 31 décembre, le gouvernement affiche ses intentions. Il déclare ainsi qu'il soutiendra la reconduction du crédit d'impôt innovation (CII), « mais avec un taux d'aide ramené de 30 % à 20 % ». On est bien loin de répondre aux enjeux en matière d'aides aux entreprises… Extension du crédit d'impôt recherche, mais d'un montant très inférieur, le CII s'applique aux dépenses concernant la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou d'installations pilotes d'un nouveau produit. Il représente un manque à gagner pour le budget de l'État de 344 millions d'euros pour 10 636 entreprises bénéficiaires, à comparer avec le crédit d'impôt recherche (7,8 milliards d'euros pour 15 507 entreprises bénéficiaires) dont le coût et la faible efficacité ont pourtant été régulièrement critiqués dans des rapports officiels. Il y avait là l'occasion de remettre en question le CIR pour dégager des recettes supplémentaires et éviter une optimisation agressive du CIR voire des mécanismes de fraudes, mais le gouvernement a choisi de laisser faire. Parmi les autres mesures envisagées figurent des mesures incitatives permettant de soutenir les exploitations agricoles et la poursuite de la déclinaison en droit national des instructions de l'OCDE en matière d'application du « pilier 2 » (imposition minimale du bénéfice des multinationales), comme cela était prévu dans le PLF initial.
- Les déclarations du nouveau ministre de l'économie et des finances (interview à la Tribune du 29 décembre 2024) le confirment .
S'il annonce que le barème de l'impôt sur le revenu devrait être revalorisé comme cela est le cas tous les ans, il ne fixe qu'un objectif prioritaire : la réduction des déficits publics, tant pour l'Etat que pour la Sécurité sociale. Les priorités ne sont donc ni sociales ni climatiques. Or, sans réforme fiscale de fond introduisant une véritable justice fiscale, il ne pourra y avoir une réduction des déficits publics, ni une amélioration du consentement à l'impôt, ni encore des marges de manœuvres budgétaires pour faire face aux enjeux climatiques par exemple. Certes, M. Lombard a déclaré le 6 janvier qu'il était « pour la justice fiscale » et a dit qu'il souhaitai que « chacun paie sa juste part de l'impôt et contribue à l'action de l'Etat et la sécurité sociale ». Chiche, serait-on tenté de dire… Il a toutefois précisé qu'il n'était pas favorable à de nouveaux impôts, ce qui pourrait condamner tout projet d'impôt sur la fortune.
La nouvelle ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a pour sa part déclaré vouloir davantage lutter contre la fraude et la "suroptimisation fiscale". On aurait préféré entendre des annonces en matière de réduction du nombre et du coût de certaines niches fiscales qui, comme le CIR que le gouvernement entend hélas préserver, sont « suroptimisées » et de renforcement des moyens contre l'évasion et la fraude fiscales.

Ces déclarations ne changeront pas la réalité. Un pouvoir (le président de la République, le gouvernement et de nombreux parlementaires) néolibéral et conservateur est historiquement opposé à la justice fiscale, sociale et écologique : cela se vérifie encore actuellement.

Pour Attac, il faut tout faire pour éviter une austérité dévastatrice vers laquelle le gouvernement nous dirige. Ceci suppose de définir 3 priorités :
1/ un profond rééquilibrage du système de « prélèvements » fiscaux et sociaux,
2/ le renforcement des services publics et de la protection sociale et son extension aux nouveaux besoins, environnementaux notamment,
3/ des investissements publics massifs pour financer la bifurcation sociale et écologique.

L'association Attac a mené une campagne en faveur de la justice fiscale en 2024. Elle poursuivra ses travaux et ses actions pour défendre ces 3 priorités essentielles en 2025.

16.12.2024 à 08:55

Comprendre les enjeux sur la dette publique

Équipe de l'Observatoire

La bonne vieille recette de la dramatisation du niveau de la dette publique est bien souvent employée depuis près de 20 ans. Le discours est connu : la dette publique n'est plus supportable et doit être rapidement réduite, si possible sans augmenter les impôts mais en baissant la dépense publique. Cette approche de la dette est historiquement chargée d'une certaine culpabilisation morale. Un rapport du Sénat de 2021 rappelle ainsi que « l'endettement, tant individuel que public, est le plus (…)

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Texte intégral (2966 mots)

La bonne vieille recette de la dramatisation du niveau de la dette publique est bien souvent employée depuis près de 20 ans. Le discours est connu : la dette publique n'est plus supportable et doit être rapidement réduite, si possible sans augmenter les impôts mais en baissant la dépense publique. Cette approche de la dette est historiquement chargée d'une certaine culpabilisation morale. Un rapport du Sénat de 2021 rappelle ainsi que « l'endettement, tant individuel que public, est le plus souvent considéré de manière négative » d'un point de vue religieux, moral ou philosophique. C'est cette culpabilisation que les partisans des politiques néolibérales entretiennent en sermonnant les populations : nous aurions vécu au-dessus de nos moyens, il faudrait donc faire des efforts, travailler davantage, etc. Et tout cela bien entendu pour imposer leurs vues.
Un retour sur la question de la dette publique en quelques questions/réponses est nécessaire pour appréhender les enjeux.

Voici donc la dette publique une nouvelle fois instrumentalisée pour tenter de justifier de nouvelles coupes budgétaires. Mais si un certain discours, plutôt dominant, défend cette orientation, pour autant, l'idée selon laquelle le niveau de la dette publique nécessiterait une politique austéritaire demeure illégitime aux yeux du plus grand nombre qui n'a pas eu le sentiment de « vivre au dessus de ses moyens » et qui a déjà fait des « efforts ». Mieux, la justice fiscale s'est imposée comme une quadruple urgence ; économique, sociale, écologique et démocratique.

N'en doutons toutefois pas : la dette restera un sujet qui continuera de faire débat. Et les arguments de demain seront peu ou prou les mêmes que ceux d'aujourd'hui et d'hier. Nous pouvons le résumer ainsi : « nous n'avons pas le choix, il faut nous désendetter sans augmenter notre taux de prélèvements obligatoires rapporté au produit intérieur brut. Par conséquent, pour sauver notre modèle social, il faudra faire des efforts pour se désendetter, c'est une question de souveraineté ».

Le sujet est complexe et peut rebuter, au point de céder aux injonctions néolibérales, de guerre lasse. En réalité, tout comme en matière de fiscalité, la question de l'analyse et du traitement de la dette publique est très politique. S'engager dans une politique d'austérité n'a en effet absolument rien d'évident ni de nécessaire. Dans la période, un retour sur la question de la dette publique en quelques questions/réponses est nécessaire pour appréhender les enjeux.

La dette publique, c'est quoi ?

La dette publique est la somme des déficits publics (de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale) passés non remboursés. La dette est donc un stock alors que le déficit budgétaire, exprimé sur une année, est un flux. À la fin du deuxième trimestre 2024, la dette publique s'établit à 3 228,4 milliards d'euros, soit 112,0 % du produit intérieur brut (PIB) tandis que le déficit budgétaire devrait s'établir à un peu plus de 6 % du PIB (6,1 voire 6,2 %) fin 2024.

L'Agence France Trésor [1], qui ne gère que la dette de l'État, précise que « La dette des administrations publiques au sens du Traité de Maastricht mesure l'ensemble des engagements financiers bruts des administrations publiques (...). La dette Maastricht est mesurée en valeur nominale et non en valeur de marché. Elle est consolidée (...). Il existe une dette négociable, c'est-à-dire contractée sous forme d'instruments financiers échangeables sur les marchés financiers (obligations et bons du Trésor) et une dette non négociable, correspondant aux dépôts de certains organismes (collectivités territoriales, établissements publics, etc.) sur le compte du Trésor et qui constitue, elle aussi, un moyen de financement de l'État 1 ». Précisons enfin qu'au 20 septembre 2024, la durée de vie moyenne de la dette négociable était de 8 ans et 161 jours (soit 8 ans et demi).

D'où vient la dette publique ?

Plusieurs facteurs expliquent le niveau de la dette publique ainsi définie. L'État et/ou les collectivités locales notamment s'endettent en effet pour investir (infrastructures, bâtiments, recherche publique, etc) et/ou pour faire face à des crises (crise systémique de 2007-2008 ou crise sanitaire), lesquelles se traduisent par une baisse de recettes et à une hausse des dépenses (plans de relance, indemnisation du chômage partiel durant la crise Covid, etc). Il est également arrivé, dans les années 1980 et 1990, que l'État emprunte pour rembourser des dépenses de fonctionnement et les taux d'intérêt. Les charges d'intérêt supportées par le budget de l'État qui absorbaient 5 % des recettes fiscales nettes en 1980 ont en effet atteint 19,6 % des recettes fiscales en 1996. Un alourdissement considérable des contraintes budgétaires s'en est suivi. Le coût de la dette s'est ainsi accru sous l'influence de la désinflation et de la hausse des taux d'intérêt. Il a même dépassé le taux de croissance à partir de 1983, ce qui a accru les contraintes pesant sur la politique budgétaire. Il s'en est suivi ce que l'on nomme un effet " boule de neige " de la dette qui s'est amplifié. À tel point que, si le niveau des taux d'intérêt avait été égal à celui du taux de croissance, la hausse de l'endettement public aurait été réduite de moitié.

Le poids des baisses d'impôt nourrit également la dette publique
. En 2017, Emmanuel Macron estimait que ces baisses allaient se traduire par un « ruissellement ». Concrètement, son idée était de favoriser l'investissement des entreprises pour, selon lui aurait permis de réduire le chômage et d'alimenter l'activité économique, ce qui en bout de course, aurait dégagé des recettes fiscales. Mais cela ne s'est pas passé ainsi. Ces baisses d'impôt, déjà actionnées auparavant, n'ont en effet pas eu les effets escomptés, ni depuis 2017, ni avant. En 2014, un rapport avait déjà démontré que le coût budgétaire de ces baisses expliquait 59 % de la dette publique de l'époque. Les baisses d'impôt décidées par Emmanuel Macron, principalement ciblées sur les plus riches et les plus grandes entreprises, ont donc incontestablement alimenté la dette publique. Entre 2017 et 2021, le manque à gagner provenant de ces baisses, estimé à 50 milliards d'euros sur la période 2017 à 2021, s'est progressivement creusé pour atteindre un coût annuel de 60 milliards d'euros environ en 2022. Les mesures fiscales n'ayant pas été remises en cause depuis, on peut raisonnablement estimer que, entre 2017 et 2024, la dette s'est alourdie d'environ 230 milliards d'euros. Davantage si l'on prend en compte les mesures antérieures comme le « pacte de responsabilité » (qui a notamment créé le crédit d'impôt compétitivité emploi) décidé par François Hollande par exemple, les allègements de cotisations sociales au coût croissant depuis le début des années 1990, le coût élevé des dépenses fiscales (les "niches fiscales"), etc.

Y a t il un dérapage des dépenses publiques ?

Le terme « dérapage » si souvent employé dans le débat public signifie clairement que les dépenses publiques sont hors de contrôle. Pourtant, rien ne permet de l'affirmer. L'argument du dérapage est en effet porté par celles et ceux qui veulent réduire tout à la fois les dépenses publiques et les « prélèvements obligatoires » (soit le total des ressources sociales et des impôts, d'État et locaux). Sur la base de l'argument trompeur selon lequel réduire les dépenses et les recettes publiques permettrait de redonner du pouvoir d'achat, ils défendent en réalité un modèle de société largement privatisé, c'est-à-dire un modèle qui ne serait plus financé par les « prélèvements obligatoires publics », mais par des prélèvements privés (car en bout de course, il faut bien financer l'éducation, la santé, etc).

En réalité, le déficit (et par suite, la dette) ne s'aggravent pas du fait d'un dérapage des dépenses, mais parce que les recettes diminuent. Les chiffres parlent. L'INSEE relève un ralentissement de l'évolution des dépenses publiques : leur poids recule de 1,5 % dans le PIB entre 2022 et 2023. Sur une plus longue période, la part des dépenses publiques dans le PIB stagne depuis 2009. Dans le même temps, les recettes de l'État et des administrations publiques baissent sensiblement : leur poids baisse de 2,1 % dans le PIB entre 2022 et 2023. Le creusement du déficit public s'explique donc par la chute des recettes publiques. L'argument selon lequel nous vivons au-dessus de nos moyens est donc faux.

Sommes nous trop endettés ?

Entre 2017 et la fin de l'année 2024, la dette publique française, passée de 2 218 à environ 3 200 milliards d'euros (soit de 97 % à 112 % du PIB), aura augmenté de près de 45 %. Ce niveau de dette publique mérite d'être comparé à celui de la dette « privée » (soit l'endettement des entreprises et des ménages), qui est nettement supérieure : elle avoisine désormais les 140 % du PIB.

L'endettement des entreprises en France est d'ailleurs nettement plus élevé qu'en Italie, qu'en Allemagne et qu'en Europe. Les pays européens où l'endettement des entreprises est le plus élevé sont l'Irlande, le Luxembourg ou encore les Pays-Bas avec respectivement 138 % du PIB, 274 % et 128 % en 2021 : ils abritent les sièges sociaux de grandes entreprises dont la croissance est fondée sur la dette. Le financement par la dette ne peut pas remplacer les fonds propres, mais pour certaines entreprises, il peut être plus rapide, plus souple et moins coûteux. Et ce d'autant que certains groupes s'endettent au nom et auprès d'eux-mêmes, via des entités logées dans des paradis fiscaux par exemple.

Lorsqu'on élargit la comparaison du total de la dette privée (entreprises et ménages) à des pays comme le Japon, les États-Unis et le Royaume-Uni, la situation française n'est pas singulière. Aux États-Unis, la dette privée (151 % en 2022 par rapport à 117 % pour la zone Euro) est depuis plusieurs décennies utilisée comme un palliatif à une faible croissance du pouvoir d'achat des ménages ou encore à la hausse du coût des études supérieures. En d'autres termes, dramatiser la question de la dette publique en omettant d'évoquer la dette privée et ses risques

S'endetter au lieu de gérer l'argent public en « bon père de famille » ?

La question est régulièrement posée en ces termes un brin patriarcaux… Sur le fond, il faut rappeler qu'un « bon père de famille » s'endette pour acheter un logement ou une voiture par exemple. Procéder ainsi permet de disposer immédiatement d'un bien alors que ne pas s'endetter supposerait d'épargner, si on en a les moyens, de longues années pour acquérir un bien. La comparaison s'arrête là : à la différence de l'État ; un « bon père de famille » meurt et peut difficilement envisager le long et le très long terme, et il peut difficilement jouer sur le niveau de ses revenus.

On laisse un fardeau aux générations futures ?

C'est l'un des arguments "préférés" des néolibéraux. Mais il est pour le moins discutable. L'équité intergénérationnelle exige des investissements qu'il est légitime de financer par la dette. Le coût de ces investissements sera ensuite réparti sur les générations actuelles et futures de ces investissements et sera moins élevé que l'absence d'investissement. En attestent par exemple les projections des dépenses nécessaires pour faire face au changement climatique : le coût de l'inaction est supérieur au coût de la prévention : 5 % à 20 % du PIB mondial, contre 1 % pour celui de l'action.

Rappelons également que le patrimoine des administrations publiques (bâtiments, actifs financiers, etc), soit la différence entre le total des actifs et le total des passifs, est positif. Un nouveau né hérite donc d'un actif : le patrimoine net des administrations publiques, soit la différence entre le total des actifs et le total des passifs, s'élevait fin 2022 à 864 milliards d'euros, soit 32,7 % du PIB et, fin 2023, malgré une baisse, il s'élevait à 735 milliards d'euros soit 26,1 % du PIB.

Quel est le sens des « réformes structurelles » vantées par les néolibéraux ?

Voici donc le but de la stratégie de diabolisation de la dette publique et de l'enfermement idéologique consistant à dire qu'il ne faut surtout pas augmenter les impôts. Car, pour faire face aux besoins, baisser les dépenses et les recettes revient mécaniquement à abandonner des pans entiers relevant des services publics et de la protection sociale. Ajoutons que ces "réformes" visent également, sous couvert de "simplification" et de "libération des énergies", à détricoter la législation sociale et le droit du travail et à n'envisager les enjeux climatiques que sous l'angle de la croissance et de la finance verte.

Les « réformes structurelles » consistent en réalité à offrir au secteur marchand des pans qui lui échappent et à lui opposer le moins de « contraintes », fiscales, sociales et environnementales. Concrètement, cela veut dire augmenter la part des assurances privées dans la santé, favoriser un système de retraite par capitalisation, laisser l'enseignement privé gagner sur le système éducatif public, stopper le mouvement séculaire de la baisse de la durée du temps de travail pour l'augmenter, rendre possible l'utilisation massive de pesticides, etc.

Quelle alternative aux politiques austéritaires ?

Évoquer une alternative ne peut plus être qualifiée d'utopique : elle existe et fait même peur aux intérêts dominants qui, entre les deux tours des dernières élections législatives, ont déjà manifesté leur intention de préférer s'entendre avec l'extrême droite plutôt qu'avec le Nouveau Front Populaire (NFP, même si, pour Attac, celui-ci ne saurait incarner à lui seul une alternative).

Les tenants des politiques néolibérales s'obstinent à refuser un meilleur partage des richesses et prônent l'austérité, ce qui en dit long sur leur idéologie et la puissance de certains intérêts privés. Il existe également des responsables politiques sincèrement attachés au fameux « rétablissement des comptes publics ». Ceux-ci ne devraient pas prôner une politique d'austérité dont il est avéré qu'elle plomberait l'activité économique et aurait des effets sociaux et environnementaux dévastateurs. Il est en effet possible et nécessaire d'utiliser la politique fiscale.

Pour Attac, l'alternative sociale et écologique est possible et nécessaire. Car les enjeux, immenses, dépassent de loin la question d'un retour des déficits publics sous les 3 % de PIB…

Dans ses notes « Reprendre la main, pour financer la bifurcation sociale et écologique »d'octobre 2022 et « Quel est le sens du débat sur la dette publique ? » de juin 2023, Attac livre ainsi des propositions touchant à un juste partage des richesses, à un changement profond des règles budgétaires et monétaires et à une réorientation des finances publiques.

Les principaux axes de nos propositions consistent notamment à :
• procéder à une réforme fiscale qui mettrait davantage à contribution les plus riches (par un relèvement des impositions sur les revenus, la détention de patrimoine et les donations et successions) et les grandes entreprises et renforcerait l'ensemble des moyens des administrations au plan international et national (juridiques, humains et matériels) pour lutter efficacement contre l'évasion fiscale,
• orienter les finances publiques vers les enjeux sociaux (réduction des inégalités, santé, éducation, etc) et écologique (décarbonation, rénovation énergétique, lutte contre l'artificialisation des sols, préservation de la biodiversité, etc),
• au niveau européen, sortir de la dépendance aux marchés financiers et changer le statut et le rôle de la Banque centrale européenne et orienter sa politique monétaire et budgétaire...


[1] Voir le site de l'Agence France Trésor : Définition et périmètre

24.11.2024 à 20:02

Évasion fiscale : la commission des finances de l'Assemblée nationale sonne l'alerte

Équipe de l'Observatoire

La commission des finances vient de publier un nouveau rapport spécial sur l'évasion fiscale. Ce rapport spécial, annexé au projet de loi de finances 2025, le troisième du genre, sonne l'alerte. Il appelle à faire de la lutte contre l'évasion fiscale un enjeu politique prioritaire.
Rappelons tout d'abord la genèse d'un tel rapport. En 2022, la nouveau président de la Commission des finances, Eric Coquerel, a souhaité mettre un coup de projecteur sur le sujet. Il a ainsi souhaité qu'un (…)

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Texte intégral (1899 mots)

La commission des finances vient de publier un nouveau rapport spécial sur l'évasion fiscale. Ce rapport spécial, annexé au projet de loi de finances 2025, le troisième du genre, sonne l'alerte. Il appelle à faire de la lutte contre l'évasion fiscale un enjeu politique prioritaire.

Rappelons tout d'abord la genèse d'un tel rapport. En 2022, la nouveau président de la Commission des finances, Eric Coquerel, a souhaité mettre un coup de projecteur sur le sujet. Il a ainsi souhaité qu'un rapport spécial annuel sur l'évasion fiscale soit en quelque sorte dissocié du rapport spécial portant sur le programme « Gestion des finances publiques », celui-ci portant sur l'ensemble des moyens et des missions, au-delà du seul contrôle, des administrations fiscales et douanières. En 2022 et 2023, Charlotte Leduc, alors députée de la Moselle, était chargée de ce rapport. Depuis les dernières élections législatives, ce sont désormais Nicolas Sansu et Mathilde Feld qui en ont la charge. Cette troisième livraison confirme les deux premières. Elle comporte plusieurs volets.

L'estimation du phénomène, un enjeu politique !

S'agissant de l'estimation de ce fléau, le rapport rappelle l'évaluation de l'évitement illégal de l'impôt de 80 à 100 milliards d'euros, dont l'ordre de grandeur est confirmé par d'autres travaux. Il déplore cependant qu'à la différence de plusieurs autres pays, les tentatives des pouvoirs publics de disposer d'un travail sur l'estimation de l'évasion fiscale et sur son évolution n'aient pas abouti. Le rapport souligne à juste titre que l'évasion fiscale regroupe tout à la fois l'optimisation fiscale dite agressive et la fraude fiscale, entendue ici au sens pur du terme, sans pour autant compter les irrégularités provenant de simples erreurs. Le rapport prend d'ailleurs l'exemple des Cumcum et Cum Ex pour rappeler qu'entre optimisation agressive et fraude, la frontière est parfois peu étanche… Il appelle à un travail sérieux de mesure du phénomène.

La nécessité de combattre l'évasion fiscale se justifie en raison des multiples conséquences qu'elle entraîne : hausse des inégalités alimentée par l'évasion fiscale, pertes budgétaires et dégradation du consentement à l'impôt. Attac, qui a déjà dénoncé les effets de l'évitement fiscal dans son ensemble, souscrit aux termes du rapport.

  • Qui estime l'évasion et la fraude fiscales et comment ?
    Deux méthodes sont utilisées, parfois combinées, pour évaluer le manque à gagner de l'évitement fiscal. La première, dite ascendante, consiste à extrapoler les résultats du contrôle fiscal et à évaluer ce qu'il rapporterait s'il était mené sur toute la population et toutes les entreprises. Pour ce faire, il faut toutefois éviter certains biais, dont, le biais de sélection et le biais de détection. Concernant le biais de sélection, il faut en effet préciser que le contrôle fiscal n'est pas mené au hasard. Il fait l'objet d'un travail de programmation : en gros, les contrôles résultats d'une sélection qui fait apparaître des anomalies. On ne peut donc calculer une moyenne des résultats du contrôle fiscal et l'applique à l'ensemble des contribuables puisque de nombreux dossiers ne présentent aucune anomalie. Ne pas tenir compte de ce biais aboutirait à une estimation largement surévaluée. Inversement, le biais de détection consiste à estimer que tous les mécanismes d'évitement fiscal sont connus. Or, tel n'est évidemment pas le cas. Il faut donc analyser finement les effets du manque de coopération internationale ou encore la complexité et la sophistication de l'évitement fiscal, faute de quoi on peut aboutir à une estimation du manque à gagner largement sous-évaluées. Ces méthodes sont utilisées notamment par des chercheurs. La méthode descendante a été employée par l'Université de Londres (dans le cadre de l'estimation du manque à gagner de l'Union européenne en matière de recettes publiques), du réseau Tax Justice Network ou encore de l'Observatoire européen de la fiscalité. La seconde a été employée par le syndicat national Solidaires finances publiques.

L'insuffisance des moyens et de l'information du Parlement

Pour rappeler l'importance majeure de combattre l'évasion fiscale et permettre une meilleure coordination entre les services, le rapport propose de nommer un haut commissaire à la lutte contre l'évasion fiscale. Une proposition soutenue par Attac. Entrant dans le détail des procédures, des résultats et des moyens alloués au contrôle, le rapport préconise par ailleurs une plus grande transparence et une meilleure information du Parlement.

S'agissant des moyens, le rapport dénonce leur baisse tendancielle et rappelle que les récentes mesures (prises notamment dans le cadre du « plan Attal » qui tarde à se mettre en place et n'a toujours pas produit les effets escomptés par le pouvoir) n'ont hélas pas corrigé le tir. Le rapport s'appuie notamment sur le rapport publié par Attac et l'Union syndicale Solidaires en mars 2022 dans lequel il était démontré que la baisse des moyens humains se traduisait par une baisse du nombre de contrôles et par une baisse des résultats du contrôle fiscal. Et cela, alors que le nombre de contribuables et d'entreprises augmentait. Il résulte de ce « croisement des courbes » une baisse importante de ce que l'on nomme la « couverture du tissu fiscal », soit la proportion de contribuables et d'entreprises contrôlés.

Le rapport dénonce plus largement l'ampleur des suppressions d'emplois intervenus depuis 20 ans au sein de l'administration fiscale (plus de 40.000 dont 3.000 à 4.000 depuis le milieu des années 2000) et remarque que l « intelligence artificielle » (IA), à l'origine de plus de la moitié des contrôles fiscaux mais de 13,6 % des résultats financiers, ne saurait être présentée comme une alternative crédible, même si elle mérite d'être déployée et améliorée. Le rapport appelle donc a minima à stabiliser les effectifs de l'administration fiscale. Précisons toutefois que, en proportion de ses effectifs, aucune autre administration de la fonction publique d'État n'a connu une telle diminution, alors même que cette dernière est pourtant au service de toutes les autres, en permettant de récupérer des recettes indispensables au financement des services publics.

Pacte Dutreil, règlements d'ensemble, des coups de projecteurs bienvenus

Le rapport met en lumière certains dispositifs peu connus mais très utilisés dans les stratégies d'évitement fiscal, comme le « Pacte Dutreil », une exonération de 75 % de la valeurs des titres financiers qui profitent très largement aux plus aisés qui transmettent tout ou partie de leur entreprise. Le rapport appelle à une véritable évaluation des pertes générées par ce dispositif et propose de le limiter. Rappelons que la Cour des comptes déplorait le manque de travaux sur le coût du pacte Dutreil mais relevait que, selon le Conseil d'analyse économique, il pourrait atteindre 2 à 3 milliards d'euros par an.

Il pointe également certains dispositifs contractuels qui permettent de régler des litiges opposant l'administration à une entreprise. Le rapport relève la hausse du nombre de « règlements d'ensemble », passé de 116 n 2019 à 320 en 2022, qui désigne selon l'administration « la situation où, en présence de sujets complexes marqués par une forte incertitude juridique, l'administration conclut avec l'usager un accord global qui inclut une atténuation des droits par rapport à la lecture initialement retenue par l'administration de contrôle dans sa proposition. » Le rapport précise que cette « atténuation » a représenté un manque à gagner de 1,25 milliard d'euros. Là aussi, le rapport préconise une meilleure information du Parlement et qu'un contrôle soit mené par la Cour des comptes sur les règlements conclus.

Des recommandations nécessaires à tous les plans

Le rapport livre enfin des recommandations à mettre en œuvre au plan supranational qui ont un réel écho dans le débat public parmi lesquels un impôt minimum sur les grandes fortunes mondiales, un registre mondial des actifs (inspiré du cadastre financier mondial porté par Gabriel Zucman et soutenu par Attac), un impôt mondial sur les bénéfices, également dénommé « taxation unitaire » (une priorité pour Attac), l'élargissement des assiettes en réduisant les exonérations et exceptions en tous genres notamment, etc.

De manière générale, il appelle le législateur à anticiper, dans les mesures qu'il prend, les risques potentiels d'évitement fiscal. Il prend ainsi l'exemple du crédit d'impôt recherche, souvent plus utilisé pour réduire l'impôt sur les sociétés que pour financer de réels projets de recherche. Il plaide également pour élargir la liste française des territoires non coopératifs afin d'y inclure des pays que l'on peut véritablement qualifier de « paradis fiscaux » mais qui n'y figurent pas. Cette liste reste en effet intéressante puisqu'elle prévoit un « renversement de la charge de la preuve ». En d'autres termes, lors d'un contrôle faisant apparaît une transaction avec une entité établie dans l'un de ces pays, la présomption de fraude fiscale s'applique. Il propose enfin une meilleure reconnaissance et protection des lanceurs d'alerte.

Que faire, désormais ?

L'association Attac se reconnaît dans la plupart des constats et propositions du rapport. Elle appelle les Parlementaires, les élus, les mouvements politiques, associatifs et syndicaux à les porter afin de faire de la lutte contre l'évasion fiscale un enjeu de premier plan. Les propositions existent, seule manque la volonté politique.

Face aux enjeux de la période, combattre résolument l'évasion fiscale grâce d'une part, à une réforme fiscale limitant les possibilités de contourner la législation et d'autre part, à des moyens de contrôle à la hauteur n'est plus une option, c'est une nécessité tout à la fois,
démocratique : il faut renforcer le consentement à l'impôt par la justice fiscale dont la lutte contre l'évasion fiscale est un pilier
sociale : il faut renforcer les services publics et plus largement, ce que l'on qualifie de « modèle social » dans son ensemble,
écologique : combattre l'évasion fiscale réduit la capacité des plus aisés à polluer et permet de dégager des ressources pour investir dans la « bifurcation sociale et écologique » qu'Attac appelle de ses vœux,
budgétaire, puisque d'évidence, cela permet de dégager des recettes supplémentaires,
économique, car cela bénéficiera aux acteurs économiques qui ne « trichent » pas.

10.11.2024 à 17:37

Fiscalité et construction européenne, quels enjeux ?

Équipe de l'Observatoire

À l'occasion du conseil européen « Affaires économiques et financières » qui se tient le 15 novembre sur le sujet du budget de l'Union européenne, nous reproduisons ici un texte d'Attac publié dans la Revue de l'Union européenne (éditions Dalloz) n° 679 de juin 2024.
L'évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l'Empire Romain en (…)

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Texte intégral (3482 mots)

À l'occasion du conseil européen « Affaires économiques et financières » qui se tient le 15 novembre sur le sujet du budget de l'Union européenne, nous reproduisons ici un texte d'Attac publié dans la Revue de l'Union européenne (éditions Dalloz) n° 679 de juin 2024.

L'évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l'Empire Romain en passant par le Moyen Âge jusqu'à la période actuelle

Les « finances publiques » ont accompagné, parfois impulsé ces évolutions. Elles se sont progressivement centralisées avec le passage de l'État féodal à l'État monarchique et à l'État moderne. Cette évolution s'est effectuée en raison de la nécessité de financer les guerres, elle a vu émerger la question de la représentation nationale, elle-même intimement liée au consentement à l'impôt. Ce dernier eut du mal à devenir ce qu'il est aujourd'hui : le pilier d'une société démocratique. En effet, la nécessité de lever l'impôt a abouti à la création de « Parlements » dés 1215 en Angleterre et 1302 en France, avec la création des États généraux par Philippe le Bel. En 1435, avec la création d'impôts permanents, les États généraux se sont toutefois privés de leur pouvoir. Ils ne seront plus convoqués par le roi de France. La théorie du consentement est réapparue à la fin du XVII ème siècle. Pour John Locke notamment [1], il n'y a pas d'autorité légitime sans consentement. Le droit des citoyens à consentir l'impôt est d'ailleurs au fondement des révolutions américaine et française de la fin du XVIII ème siècle [2]. Le consentement à la fiscalité européenne et au transfert d'une part plus ou moins importante de souveraineté est l'un des enjeux majeurs de la construction de l'Union européenne.

Les États modernes se sont construits sur deux attributs de souveraineté : battre monnaie et lever l'impôt. Le premier échappe désormais largement aux États membres de la zone euro. Le second est de plus en plus partagé entre l'Union européenne et ses États membres. Il est également fortement impacté par la concurrence fiscale et sociale. Dans un contexte troublé marqué par un affaiblissement du consentement à l'impôt aux raisons multiples, il est essentiel de revenir sur la façon dont les politiques fiscales évoluent au sein de l'Union européenne, avant d'envisager comment elles peuvent aider l'Union européenne à se réorienter pour faire face aux défis de la période.

Un cadre communautaire de la fiscalité orienté pour favoriser le marché intérieur

En matière de fiscalité, la construction et les politiques européennes ont profondément impacté les systèmes fiscaux et sociaux nationaux. Rappelons que la stratégie de l'Union européenne consiste à orienter les politiques fiscales pour promouvoir le marché unique et la croissance économique [3]. Ses objectifs sont notamment d'éliminer les obstacles fiscaux qui pénaliseraient les activités économiques transfrontalières mais aussi de lutter contre les aspects délétères de la concurrence fiscale et de l'évasion fiscale, sans pour autant en remettre en cause le principe.

Plusieurs éléments contribuent à influencer le niveau et la structure des recettes et des dépenses publiques, et donc le niveau et l'efficacité des politiques publiques. Il en va évidemment ainsi, au sein de la zone euro, de la gouvernance budgétaire et du cadre visant à limiter les déficits et la dette publics. D'autres évolutions concernent très directement les politiques fiscales nationales, même s'il faut ici distinguer les prérogatives de l'Union de celles des États membres.

La fiscalité est en principe une prérogative des États membres, les compétences de l'Union européenne étant officiellement limitées en la matière. Celles-ci s'inscrivent dans des politiques dont le but principal est de garantir le bon fonctionnement du marché unique. C'est ce qui explique que les premières règles fiscales communes aient surtout concerné la fiscalité indirecte, puisque celle-ci affecte directement le prix des marchandises et des services et, par conséquent, le fonctionnement du marché unique.

Les textes le stipulent assez clairement. Dans le chapitre sur les dispositions fiscales (articles 110 à 113), le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne porte sur l'harmonisation de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, les droits d'accises et les autres formes de fiscalité indirecte tandis que le chapitre relatif au rapprochement des législations (articles 114 à 118 du traité FUE) couvre les taxes ayant un effet indirect sur la mise en place du marché unique.

Le cas de la TVA, impôt le plus rentable des États membres, est emblématique. Pour éviter des différences trop importantes dans les taux de TVA, ce qui pourrait fausser les échanges au sein du marché européen, un seuil minimal de 15 % pour le taux normal a été instauré en 1993 (directive d'octobre 1992). Au-delà de ce niveau, les États membres peuvent fixer le taux de TVA de leur choix. Ils peuvent également prévoir des taux réduits pour certaines activités ou certains produits et services (culture, presse, vélos électriques…) dans certaines limites déterminées par l'Union européenne. La directive TVA du 28 novembre 2006 dresse ainsi la liste les produits ou activités sur lesquels les États membres peuvent appliquer un taux réduit.

Quant aux impôts directs, si l'Union européenne n'a pas de compétence particulière dans le domaine, ils sont toutefois soumis à la jurisprudence européenne. Celle-ci veille à éviter un traitement fiscal différencié entre les résidents d'un pays et les autres ressortissants européens. Cette jurisprudence européenne s'invite également dans l'application de dispositifs particuliers. Dans son arrêt Waldner contre France du 7 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l'homme juge que l'ancien taux de la majoration de 25 % automatiquement applicable à un avocat non-adhérent d'un organisme de gestion agréé entraînait une surcharge financière disproportionnée à l'encontre du requérant ayant introduit le recours. Il s'en est d'ailleurs suivi une série de contentieux que l'administration fiscale doit désormais traiter sur l'application de cette majoration. Cette construction jurisprudentielle peut donc conduire les États à revoir certaines de leurs dispositions fiscales nationales, de sorte que l'Union européenne, sans en avoir les compétences, influe aussi la fiscalité directe. Et ce, alors que celle-ci est en principe une prérogative des États membres.

La concurrence fiscale et ses dérives, autre marqueur de la construction européenne

Au-delà de cette construction fiscale européenne complexe, le choix historique de l'Union européenne a consisté à faire de la concurrence fiscale entre les États membres (et au-delà des frontières européennes) un mode de régulation, à la condition qu'elle ne soit pas faussée ni dommageable au bon fonctionnement du marché unique. Or, cette concurrence fiscale pèse sur les politiques fiscales et la capacité des États membres à « lever l'impôt ». Elle se traduit en effet, de longue date, par un double transfert. Le premier consiste à alléger les impôts des « bases mobiles » (les plus riches et les multinationales, dont les déplacements de richesses enjambent les frontières) vers les « bases immobiles » (l'immense majorité de la population et les PME, qui n'ont pas les mêmes possibilités), ce qui modifie profondément la répartition de la charge fiscale, donc des richesses. Le second consiste à baisser les moyens financiers alloués aux services publics et à la protection sociale, ce qui se traduit par une baisse de la qualité de l'éducation, un accès plus difficile au soin, une baisse de la couverture sociale, etc.

Si la question de la justice fiscale et sociale se pose légitimement, on peut également considérer que ce double transfert a un impact sur le marché unique lui-même. Certes, pour garantir son bon fonctionnement, l'Union européenne s'est intéressée à la question de la fraude et de l'évasion fiscales, aux effets délétères tant pour les populations, les budgets publics (suivis de près par la Commission européenne) que pour le fonctionnement du marché unique, puisque ces pratiques faussent l'allocation des ressources. Reste que les progrès sont minces et lents à mettre en œuvre, les décisions en matière de fiscalité devant être prises à l'unanimité par les États membres. Il suffit ainsi que l'un d'eux, qui se juge plus attractif fiscalement que ses voisins, pour bloquer un projet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet d'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés par exemple reste en suspend depuis plus de 20 ans…

L'Union européenne s'est largement inspiré des travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui, dans son plan « BEPS » visant l'érosion des bases fiscales, a par exemple favorisé la mise en œuvre d'un système d'échanges automatiques d'informations et d'une imposition mondiale minimale au taux de 15 % des bénéfices des multinationales. Mais outre que ce dispositif peut être contourné via les territoires qui ne l'appliqueront pas, il fait déjà l'objet d'un détricotage qui l'éloignera de son but initial, au demeurant déjà bien modeste.

L'évitement de l'impôt a fait l'objet de plusieurs directives. Sans prétendre ici à l'exhaustivité, on citera quelques exemples. La Directive relative à l'évasion fiscale adoptée en juin 2016 et appliquée depuis janvier 2019 vise à empêcher les entreprises de développer des dispositifs hybrides leur permettant de diminuer leurs charges fiscales en profitant des écarts de législation entre les pays (membres ou tiers). En juillet 2020, la Commission européenne a adopté un paquet de mesures. Celui-ci comporte un plan d'action de 25 initiatives, une révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 7, visant à garantir l'échange automatique d'informations entre les États membres sur les recettes générées par les vendeurs sur les plateformes numériques, qu'elles soient situées ou non dans l'Union), une proposition de nouvelle révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 8, sur l'échange d'informations sur les crypto-actifs et la monnaie électronique) et une communication relative à la bonne gouvernance fiscale dans l'Union et au-delà. En 2021, l'Union européenne a adopté après de longues négociations (le texte avait été proposé par Commission européenne en 2016) une directive rendant obligatoire, pour les entreprises réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, de publier leurs revenus, bénéfices, effectifs et impôts payés dans chaque pays où elles sont présentes. Souvent dénommé « reporting pays par pays », ce dispositif doit s'appliquer aux exercices ouverts à compter du 1er juillet 2024. Il devrait permettre davantage de transparence et d'identifier si les impôts que ces grands groupes paient dans un État correspondent à l'activité économique qu'elles y exercent. En matière de fiscalité, l'Union européenne a donc évolué, elle ne peut plus se contenter du « code de bonne conduite » non contraignant adopté en 1997 qui visait certains régimes préférentiels. Le cadre européen est donc beaucoup plus prégnant qu'auparavant.

Continuer ou réorienter ?

Le mouvement d'européanisation de la fiscalité devrait se poursuivre. Plusieurs projets montrent par ailleurs que les compétences fiscales de l'Union européenne devraient sensiblement s'accroître à l'avenir, au point d'interroger sur la nature même de la construction européenne. Certes, l'harmonisation fiscale est bien loin d'être achevée et n'a d'ailleurs jamais été un objectif, la stratégie fiscale de l'Union européenne prenant davantage les allures d'une coordination dont le but reste inchangé : favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur. Il n'empêche, la tendance est nette.

L'extension de la compétence fiscale de l'Union européenne pourrait provenir de l'évolution des ressources fiscales propres de l'Union et de la création d'impôts européens. Le premier du genre pourrait être le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF ou Carbon Border Ajustement Mecanism, CBAM) proposé dans le paquet climat présenté le 14 juillet 2014 par la Commission européenne dans le but d'atteindre les objectifs du Green Deal et finalement adopté en décembre 2022. Le mécanisme devrait entre en vigueur en 2032, il a pour objectif la réduction du bilan carbone lié aux entreprises qui exportent vers l'Union. Les biens importés se verront donc taxés lorsque le « prix carbone » sera faible ou nul. L'Union européenne se retrouverait ainsi de facto à « lever l'impôt » et, par conséquent, à accélérer potentiellement l'intégration européenne.

Le 12 septembre dernier, elle a en effet proposé une directive destinée à remplacer celles proposées en 2016 relative à l'ACIS (assiette commune pour l'IS) et à l'ACCIS (assiette commune consolidée pour l'IS), laquelle visait à harmoniser l'imposition des sociétés en Europe. L'initiative datait du début des années 2000 mais s'était heurtée aux désaccords entre États membres. L'objectif de cette nouvelle directive baptisée « BEFIT » (Business in Europe : Framework for Income Taxation ou « Entreprises en Europe : cadre pour l'imposition des revenus ») demeure la mise en place un nouvel ensemble unique de règles pour déterminer la base d'imposition des groupes d'entreprises. La Commission européenne justifiait sa proposition en estimant qu'il fallait « instaurer un ensemble commun de règles qui permettent aux entreprises de l'UE de calculer, à partir d'une formule, leur base imposable tout en garantissant une répartition plus efficace des bénéfices entre les pays ». Cette directive, une fois adoptée par le Conseil, pourrait entrer en vigueur le 1er juillet 2028. Au sein de l'Union européenne, au sein de laquelle cohabitent 27 régimes fiscaux nationaux différents, l'idée d'un cadre commun qui compléterait le taux d'imposition minimal est intéressante, quels que soient les objectifs qu'on lui assigne, qu'il s'agisse de permettre une répartition plus équitable des droits d'imposition entre les États membres, de réduire les charges administratives, de supprimer les obstacles fiscaux ou encore de limiter l'évasion fiscale.

D'autres projets ont vu le jour. Le 19 juin 2023, la Commission européenne publiait sa proposition de directive dite FASTER (« Faster and Safer Relief of Excess Withholding Taxes ») dont l'objectif est d'améliorer les procédures de remboursement de retenue à la source au sein de l'UE. Elle a également publié, le 12 septembre 2023, une proposition de directive visant à harmoniser les règles en matière de fixation des prix de transfert au sein de l'UE et à garantir une approche commune des prix de transfert.

Les multiples affaires révélant l'ampleur de l'évitement fiscal a incontestablement poussé les instances européennes et nombre d'États membres à prendre des mesures. LuxLeaks, des Panama Papers, Paradise Papers, etc, les révélations ont mis en cause des États comme le Luxembourg, l'Irlande, ou encore les Pays-Bas.

Si les débats sont nourris sur l'efficacité et la pertinence de ces projets, ils portent toutefois rarement sur l'évolution de l'Union européenne. La souveraineté fiscale nationale est le pendant de la souveraineté en matière de dépenses en matière de protection sociale, d'éducation nationale, de sécurité, etc. De plus, avec l'euro et la politique monétaire européenne, les États-nations de la zone euro sont privés de l'outil monétaire (ils ne peuvent plus jouer sur les taux d'intérêt ni dévaluer). Il leur reste donc la fiscalité et les cotisations sociales pour agir sur le pouvoir d'achat notamment, même si tout cela est encadré par des règles sur les déficits excessifs qui limitent leur autonomie. Le débat devrait logiquement porter non seulement sur l'orientation des politiques européennes, mais également sur la construction de l'Union européenne. A l'image de l'évolution des finances publiques des États du Moyen-âge jusqu'au XX ème siècle, va-t-on vers une européanisation des finances publiques basée sur une accélération de la coordination en matière d'impôts de toute nature, directs et indirects ? La question est d'importance, elle mérite d'être posée.

En matière de fiscalité, si des mesures ont été prises et que d'autres se profilent, l'absence de remise en cause du modèle de la concurrence fiscale et sociale empêche de prendre des mesures à la hauteur des enjeux de la période. Les inégalités augmentent, les moyens manquent pour faire face au réchauffement climatique, le mécontentement social capté par les mouvements d'extrême droite, etc. L'Union européenne est devant un choix historique. Le premier consiste à poursuivre sur la même lancée, ce qui empêchera de relever les défis de la période et favorisera une extrême droite climato-sceptique, nationaliste et profondément réactionnaire. Cela signifierait le début de la fin de la construction européenne. Le second consiste à réorienter l'Union européenne et à faire des questions sociales et écologiques une priorité.

Pour ce faire, il est tout à fait possible d'améliorer les projets ou dispositifs existants. L'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés pourrait être assorti de l'instauration d'un impôt européen sur les bénéfices et d'un « taux plancher » tandis qu'une taxation unitaire des multinationales compléterait le dispositif (chaque État prélèverait une quote-part du bénéfice consolidé sur la base de critères objectifs : chiffre d'affaires, immobilisations, nombre de salariés). Une véritable harmonisation du système de TVA intracommunautaire permettrait de neutraliser la fraude carrousel et pourrait s'accompagner d'un taux plafond à ne pas dépasser. Un impôt européen sur la fortune et une taxe sur l'ensemble des transactions financières permettraient d'instaurer davantage de progressivité et de dégager des ressources utiles pour les investissements publics. Un renforcement de la coopération en matière de lutte contre l'évitement fiscal pourrait prévoir des procédures de contrôle harmonisées et la capacité pour le procureur européen de prononcer des sanctions. Le tout prendrait la forme d'un « serpent fiscal européen » qui, à l'instar du « serpent monétaire européen » destiné à limiter les écarts dans les fluctuations monétaires, limiterait les écarts de fiscalité.
En réorientant son action vers la justice fiscale, sociale et écologique, la légitimité de l'Union européenne en sortirait renforcée. Et le consentement à une politique fiscale européenne également.


[1] John LOCKE, Le second traité du gouvernement. Un essai sur l'origine véritable, l'étendue et la fin du Gouvernement Civil, Paris, PUF,1994

[2] L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise la nécessité du consentement.

[3] Voir notamment sur le site du Parlement européen la fiche thématique consacrée à la politique fiscale.

13.10.2024 à 08:05

Taux minimum d'imposition des revenus de 20 % : un aveu, intéressant mais très insuffisant

Équipe de l'Observatoire

Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur (…)

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Texte intégral (756 mots)

Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur l'instauration d'une imposition mondiale minimum sur les plus riches dont on ne peut que souhaiter qu'elle débouche sur un système véritablement juste et redistributif.

Combien de foyers fiscaux concernés ?

Le seuil au-delà duquel s'applique cette contribution temporaire est fixé à 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple. Les données publiques disponibles portent sur les revenus de l'année 2022 imposés en 2023. Elles ne distinguent pas la composition des foyers fiscaux par part du quotient familial. Elles sont toutefois intéressantes car elles montrent que :
• 105 000 foyers environ perçoivent un revenu fiscal de référence (RFR) supérieur à 300 000 euros,
• près de 63 000 foyers perçoivent un RFR de plus de 400 000 euros,
• près de 42 500 perçoivent un RFR de plus de 500 000 euros.

Quel rendement ?

En France, cette mesure aurait un impact que l'on peut mesurer ainsi. En matière d'IR, les données de l'administration fiscale montrent en effet que, ramené au revenu fiscal de référence (RFR), le taux effectif moyen d'imposition des plus aisés atteint 22 % pour les foyers ayant un RFR compris entre 500 000 et 700 000 euros. Mais contrairement au principe de progressivité, ce taux baisse ensuite progressivement, pour passer sous les 20 % pour les foyers au RFR compris entre 4 et 6 millions d'euros et s'abaisse même à 16,9 % pour les foyers au RFR au-delà de 9 millions d'euros.

En 2023, près de 1 900 foyers, dont le revenu est supérieur à 4 millions d'euros, présentaient un taux effectif réel d'imposition inférieur à 20 %. Appliqué en 2023, un taux minimum d'imposition de 20 % aurait ainsi dégagé un peu plus de 400 millions d'euros. Le rendement annoncé de 2 milliards d'euros a donc de quoi interroger : il paraît largement surévalué.

L'impôt sur le revenu est et restera dégressif

Il est intéressant de préciser que cette dégressivité de l'IR n'est pas nouvelle. Au surplus, bion que dégressifs, les taux réels d'imposition étaient supérieurs avant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat tax, constituée de 12,8 % d'impôt sur le revenu et de 17,2 % de CSG), qui a tiré les taux vers le bas.

La chute est même spectaculaire. A titre d'exmples :
pour les foyers fiscaux dont le RFR se situait entre 600 000 et 700 000 euros en 2017, le taux effectif moyen d'imposition atteignait 27 %. Il s'abaissait à 26,42 % en 2018, 24,0 % en 2019 et 22 % en 2023.
pour les foyers dont le RFR dépassait 9 millions d'euros en 2017, le taux effectif moyen était légèrement supérieur à 20 % en 2017, il était inférieur à 17 % en 2023.

Plus largement, au-dessus de 100 000 euros de revenus (777 899 foyers fiscaux en 2017, plus de 1,1 million en 2023), les taux réels sont sensiblement inférieurs en 2023 à ce qu'ils étaient en 2017, avant la mise en place du PFU (applicable en 2018). De manière générale, l'ensemble des foyers fiscaux dont le RFR se situe au-delà de 500 000 euros, la baisse des taux effectifs moyen est nette. Elle peut atteindre dépasser 5 points.

Ce taux minimum d'imposition constitue en quelque sorte un aveu quant à la dégressivité de l'IR. Elle limite certes l'effet régressif du PFU, sans toutefois le remettre en cause. Il eut en effet été plus rentable, plus juste et plus simple d'imposer l'ensemble des revenus au barème progressif de l'impôt sur le revenu au lieu d'instaurer un tel mécanisme. Avec cette contribution temporaire, le taux effectif minimum ne pourra plus être inférieur à 20 % pendant 3 ans mais, en l'absence de réforme d'ensemble, l'impôt sur le revenu restera dégressif.

26.09.2024 à 08:31

L'étude de Tax Justice Network révèle que les pays peuvent collecter 2 000 milliards de dollars en imitant l'impôt sur la fortune espagnol

Équipe de l'Observatoire

Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.
La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de (…)

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Texte intégral (1274 mots)

Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.

La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de l'impôt sur la fortune de l'Espagne, qui frappe les 0,5 % des ménages les plus riches, les pays récolteraient 2000 milliards de dollars par an au niveau mondial.

Pour TJN, il est démontré que les réformes fiscales ciblant les richesses extrêmes n'ont pas entraîné la délocalisation des super-riches vers d'autres pays.
En moyenne, la moitié de la population d'un pays ne possède que 3 % de sa richesse, tandis que les 0,5 % les plus riches en possèdent un quart.
L'extrême richesse insécurise les économies et est directement liée au fait que les personnes doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent. Le traitement à deux vitesses de la richesse (impôts moins élevés sur la richesse perçue, c'est-à-dire les dividendes, les loyers, les gains en capital ; impôts plus élevés sur la richesse gagnée, comme les salaires) alimente l'extrême richesse et rend les économies plus pauvres.

Les pays peuvent collecter la somme de 2000 milliards de dollars par an en suivant l'exemple de l'Espagne qui a réussi à imposer la richesse des 0,5 % des ménages les plus riches. C'est le double du montant nécessaire chaque année pour le financement externe des pays en développement pour le climat, qui devrait être au centre des négociations de la COP29 cette année.

La dernière étude du Tax Justice Network estime le montant des recettes que chaque pays peut individuellement générer en taxant la richesse des seuls 0,5 % des ménages les plus riches à un taux léger de 1,7 % à 3,5 %. L'impôt sur la fortune ne s'appliquerait qu'à la partie supérieure du patrimoine des ménages, et non à l'ensemble de leur patrimoine.

Bien que l'étude reproduise l'approche de l'impôt espagnol sur la fortune pour chaque pays, elle constate qu'en moyenne, chaque pays pourrait collecter l'équivalent de 7 % de son budget de dépenses. Elle montre également que les réformes fiscales précédentes visant les super-riches n'ont pas entraîné leur délocalisation vers d'autres pays, malgré les titres des médias affirmant le contraire. Seuls 0,01 % des ménages les plus riches ont déménagé après la mise en œuvre des réformes de l'impôt sur la fortune visant les ménages les plus riches en Norvège, en Suède et au Danemark. Une étude britannique prévoit que les réformes relatives au statut de personne non domiciliée entraîneraient un taux de migration compris entre 0,02 % et 3,2 % au maximum. Les estimations de l'étude sur le montant des impôts que les pays peuvent percevoir grâce à l'impôt sur la fortune reposent par conséquent sur l'hypothèse très prudente qu'un tel taux de migration de 3,2 % se produirait.

Le traitement à deux vitesses de la richesse insécurise les économies. Les sommes considérables que pourrait rapporter un modeste impôt sur la fortune sont possibles en raison des niveaux extrêmes de richesse accumulée par les plus riches. L'étude révèle qu'en moyenne, dans chaque pays, la moitié de la population possède à peine 3 % de l'ensemble des richesses, tandis que les 0,5 % les plus riches en détiennent un quart (25,7 %).

Selon le rapport, cette richesse extrême des super-riches rend les économies incertaines et est directement liée à une productivité économique plus faible, aux ménages non riches qui doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent et à des résultats sociétaux plus médiocres tels qu'un niveau d'éducation plus faible et une espérance de vie plus courte.

Selon TJN, la racine du problème réside dans le traitement à deux vitesses de la richesse collectée et de la richesse gagnée. La richesse collectée, c'est-à-dire les dividendes, les plus-values et les loyers tirés de la possession de biens, est généralement imposée à des taux bien inférieurs à ceux de la richesse gagnée (soit les revenus du travail). Dans le même temps, la richesse collectée croît généralement plus vite que la richesse gagnée. Aujourd'hui, seule la moitié de la richesse créée chaque année dans le monde va aux personnes qui gagnent leur vie. Le reste est collecté sous forme de loyers, d'intérêts, de dividendes et de plus-values.

Si les superriches peuvent travailler et avoir un emploi, la quasi-totalité de leur richesse provient de la possession d'entreprises et d'empires immobiliers, et non de leur travail dans ces empires. Les salaires qu'ils peuvent percevoir ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de leur richesse. Trois des cinq hommes les plus riches de la liste des milliardaires de Forbes pour 2024 gagnent un salaire d'un dollar : Elon Musk, Mark Zuckerberg et Larry Elison. Selon une étude de 2011, le "PDG à 1 dollar" moyen renonce à 610 000 dollars de salaire, mais gagne 2 millions de dollars d'autres rémunérations basées sur la propriété.
Le traitement à deux vitesses a produit des résultats extrêmes en ce qui concerne les personnes les plus riches. Les milliardaires ont tendance à payer des taux d'imposition inférieurs de moitié aux taux payés par le reste de la société. Et leur richesse augmente deux fois plus vite que celle du reste de la société. Cela a contribué à quadrupler la richesse des 0,0001 % depuis 1987, au détriment des économies, des sociétés et de la planète.

L'accumulation extrême de richesses ne se contente pas de créer des déséquilibres extrêmes aux conséquences néfastes, elle rend ces richesses accumulées moins productives sur le plan économique - par exemple en détournant une part disproportionnée de la richesse vers des produits dérivés spéculatifs plutôt que vers des biens et des services de l'économie "réelle". Le porte-parole du Tax Justice Network explique ainsi "pourquoi le monde ne se sent pas plus riche aujourd'hui alors qu'il n'y a jamais eu autant de richesses que maintenant".

Le traitement à deux niveaux de la manière dont les gens acquièrent la richesse amplifie cette tendance. En permettant à la richesse collectée de dépasser de façon spectaculaire la richesse gagnée, le traitement à deux vitesses pousse la richesse vers des formes moins productives tout en augmentant l'endettement des ménages non riches.

Le réseau Tax Justice Network appelle les gouvernements à mettre fin au traitement à deux vitesses de la richesse en introduisant des impôts sur la fortune.

26.08.2024 à 15:04

Remboursements de crédit de TVA et de crédit d'impôt recherche : des coûts qui explosent et peu de contrôles

Équipe de l'Observatoire

Si les « niches fiscales » (nommées « dépenses fiscales » dans le jargon budgétaire) font régulièrement débat, la littérature sur l'évolution du coût des dégrèvements et des remboursements d'impôt (issus de certaines « niches fiscales », de dispositions fiscales spécifiques et de la mécanique propre à certains impôts) est bien mince. En la matière, un paradoxe mérite d'être souligné : en 2023, le niveau des recettes publiques a diminué et est inférieur aux prévisions, celui des (…)

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Texte intégral (1762 mots)

Si les « niches fiscales » (nommées « dépenses fiscales » dans le jargon budgétaire) font régulièrement débat, la littérature sur l'évolution du coût des dégrèvements et des remboursements d'impôt (issus de certaines « niches fiscales », de dispositions fiscales spécifiques et de la mécanique propre à certains impôts) est bien mince. En la matière, un paradoxe mérite d'être souligné : en 2023, le niveau des recettes publiques a diminué et est inférieur aux prévisions, celui des remboursements et des dégrèvements a sensiblement augmenté et est supérieur aux estimations.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le montant des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État s'élève à 135,9 milliards d'euros, en hausse de près de 9 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 (soit 127,1 milliards d'euros) et ont plus que doublé depuis 2001 (ils s'établissaient alors à 61 milliards d'euros). C'est tout bonnement le plus haut niveau jamais atteint, hors Covid. Dans la période récente, cette hausse concerne essentiellement les remboursements et dégrèvements en matière d'impôts d'État (ceux concernant les impôts locaux diminuent en effet du fait de la suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la réforme des impôts dits « de production »).

Plusieurs raisons expliquent cette tendance à la hausse. Si l'on pense notamment à la législation ou à l'évolution du tissu économique, il faut y ajouter la faiblesse des contrôles due, principalement, au manque de moyens de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).
L'analyse des demandes de remboursement de crédit de TVA et du crédit d'impôt recherche (CIR) l'illustre hélas à merveille.

Le cas préoccupant des remboursements de crédit de TVA

Rappelons tout d'abord sommairement le fonctionnement de la TVA. L'entreprise assujettie à la TVA facture la TVA à ses clients, elle déduit de cette TVA collectée la TVA qu'elle paie à ses fournisseurs et reverse la différence à l'administration fiscale. Dans certains cas toutefois (période d'achats importants, exportations non assujetties à la TVA, etc), le montant de la TVA déductible peut dépasser celui de la TVA collectée. L'assujettie est alors en situation de crédit de TVA et peut soit imputer ce crédit sur la TVA collectée future, soit se la faire rembourser. Cette seconde solution est largement privilégiée par les entreprises.

La TVA est, de loin le premier, impôt en France. En 2024, le rendement brut de la TVA pourrait atteindre 303 milliards d'euros. Pour calculer son rendement net, il faut déduire de ce montant brut 83,5 milliards d'euros de remboursements et dégrèvements (dont les 79,33 milliards d'euros au titre des restitutions de crédits de TVA). Précisons ici que 119 milliards d'euros de recettes de TVA échappent au budget de l'État et sont transférés à la Sécurité sociale (pour 60 milliards d'euros), aux collectivités territoriales (pour 55 milliards d'euros) et, pour 4 milliards d'euros, en compensation de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public. En PLF 2024, les restitutions de TVA sont donc estimées à 79,3 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 15,4 % par rapport à la LFI 2023 (soit 10,56 milliards d'euros) après une hausse de 8,3 % entre 2022 et 2023 et de 10,2 % entre 2021 et 2022. Sur une période plus longue, entre 2014 et 2024, la hausse des remboursements de TVA s'élève à 66,6 % (soit 31,7 milliards d'euros).

Ce niveau élevé des remboursements nécessite une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux. Rappelons qu'en 2022, l'INSEE estimait la fraude à la TVA entre 20 et 26 milliards d'euros [1]. Or, le montant des crédits de TVA rejetés interpelle pas sa faiblesse : 134 millions en 2021 et 137 millions en 2022, soit 0,23 % du montant total des remboursements de crédit de TVA de 2021 (57,6 milliards d'euros en 2021) et 0,2 % du montant total des remboursements de crédit de TVA pour 2022. Autrement dit, le contrôle de ces demandes est faible… Deux raisons principales expliquent cette situation : la réduction des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et l'objectif assigné au programme « 200 - Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » en matière de rapidité de traitement des demandes de remboursements.

Le CIR, première niche fiscale

Le crédit d'impôt recherche (CIR) est la première « niche fiscale ». Son coût ne cesse de croître et devrait atteindre 7,64 milliards d'euros en 2024. Pour autant, les dernières évaluations sur le CIR et son impact en termes d'investissement, d'emploi et d'attractivité des entreprises innovantes datent de 2021 et se basent sur des données allant jusqu'en 2018. Or, depuis cette date, le coût du CIR a augmenté de 1,8 milliard d'euros. Le CIR est très concentré : les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total et 28 groupes déclarent le tiers des dépenses de R&D et bénéficient de 27 % de créances de CIR.

Dans leurs rapports spéciaux consacrés au programme « Remboursements et dégrèvements », les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat se montrent particulièrement critiques sur le CIR [2]. Leurs travaux montrent que la hausse du coût du CIR est importante et qu'elle dépasse les prévisions. Le rapporteur spécial de la commission des finances estime nécessaire de « mener une nouvelle évaluation qui viserait à mesurer l'impact du dispositif en établissant une différenciation par type d'entreprise et par secteur d'activité à partir des données les plus récentes » tandis que le rapport spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale relève que « L'efficience de ce dispositif a fait l'objet d'une littérature critique abondante. Au sujet du CIR, France Stratégie relève des « effets positifs sur les PME [3] , mais pas d'effet significatif établi en ce qui concerne les ETI et les grandes entreprises ». Elle observe également que « le CIR n'a pas suffi à contrecarrer la perte d'attractivité du site France pour la localisation de la R&D des multinationales étrangères ». La question de l'efficacité du CIR est donc posée. Le rapport cite également les travaux cités par France Stratégie, selon lesquels ce sont les PME qui ont la propension la plus grande à réaliser des innovations de rupture et que le CIR conduit à un « effet d'aubaine » pour les grandes entreprises, et propose de « recentrer le CIR sur les petites et les moyennes entreprises (PME) et à plafonner les dépenses éligibles pour les grands groupes ».

À ce propos, on notera que le Conseil des prélèvements obligatoires préconise, de son côté, soit un plafond de 20 millions d'euros, soit un plafond de 20 millions d'euros associé à une hausse du taux de CIR à 40 %. La DGFiP estime que la première option permettrait de réduire le coût du CIR de 1,6 milliard d'euros aux finances publiques alors que la seconde conduirait à l'augmenter de 200 millions d'euros.

Le rapport spécial de la commission des finances du Sénat note également que « le CIR est un crédit d'impôt particulièrement difficile à contrôler qui nécessite une coordination entre les services de la DGFIP et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ». Or, ces deux administrations perdent des emplois. Curieusement, les données sur le nombre de contrôles du CIR sont rares. Après une augmentation des rectifications entre 2008 et 2013, passant de 269 à 1523, le rythme décroît depuis 2014. Ainsi, en 2019, 1 071 contrôles ont fait l'objet d'une rectification CIR. Ramené aux 21 087 bénéficiaires du CIR en 2019, la proportion de celles ayant fait l'objet d'un contrôle est donc de 5 %...

Ces deux focus sur, d'une part, un dispositif lié à la mécanique d'un impôt (la TVA en l'occurrence) et d'autre part, la première « niche fiscale », montrent que la hausse de leur coût budgétaire est en partie artificielle et résulte d'une utilisation optimisée, et parfois frauduleuse, de ces dispositifs. Une véritable « revue » de ces dispositifs et un renforcement de l'ensemble des moyens de contrôle devrait constituer une véritable priorité en matière de finances publiques. Mais jusqu'à présent, ces préconisations sont restées « lettres mortes ».


[1] INSEE, Estimation des montants manquants de versements de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal, 25 juillet 2022.

[2] Rapport spécial de la Commission des finances de l'Assemblée nationale « Annexe 40, remboursements et dégrèvements » (Mme Pires Beaune, rapporteure spéciale) du 14 octobre 2023 et rapport spécial de la Commission des finances du Sénat « Annexe 27, remboursements et dégrèvements » (M. Husson, rapporteur spécial) du 23 novembre 2023.

[3] France Stratégie (CNEPI), « Évaluation du crédit d'impôt recherche », Gilles de Margerie (président), Mohamed Harfi et Rémi Lallement (rapporteurs), juin 2021

30.07.2024 à 14:04

« Budget vert » : une tendance à la dégradation préoccupante

Équipe de l'Observatoire

Depuis fin 2020, un rapport annexé à chaque projet de loi de finances tente d'évaluer l'impact environnemental des dépenses et des recettes du budget de l'État. L'ambition, louable dans son principe, est de coter les dépenses prévisionnelles du budget de l'État selon leur impact sur l'environnement et de mieux prendre en compte la dimension environnementale dans l'évolution des finances publiques.
Ce document a été discuté. Les résultats apparaissent en effet bien modestes. Comme le note (…)

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Texte intégral (905 mots)

Depuis fin 2020, un rapport annexé à chaque projet de loi de finances tente d'évaluer l'impact environnemental des dépenses et des recettes du budget de l'État. L'ambition, louable dans son principe, est de coter les dépenses prévisionnelles du budget de l'État selon leur impact sur l'environnement et de mieux prendre en compte la dimension environnementale dans l'évolution des finances publiques.

Ce document a été discuté. Les résultats apparaissent en effet bien modestes. Comme le note la Cour des comptes dans un rapport intitulé « Observations définitives : la prise en compte de l'environnement dans le budget et les comptes de l'État » du 15 mai 2023 ; ce budget vert « ne cote que les crédits budgétaires, les taxes affectées et les dépenses fiscales, et non l'ensemble des dépenses du budget général de l'État et des ressources publiques, y compris les dépenses fiscales présentées dans le projet de loi de finances de l'année, ayant un impact favorable ou défavorable significatif sur l'environnement ».

Malgré d'évidentes limites, il est tout de même assez instructif de revenir sur les principaux enseignements des 4 premières livraisons de ce rapport.

Quelle méthode de classement ?

Le « budget vert » classe les dépenses publiques évaluées en plusieurs grandes catégories présentées de la manière suivante.

Les dépenses favorables, cette catégorie recouvrant trois types de dépenses :
les dépenses ayant un objectif environnemental principal ou participant directement à la production d'un bien ou service environnemental (éco-activité) ;
les dépenses sans objectif environnemental mais ayant un impact indirect avéré ;
les dépenses favorables mais à l'impact controversé en présence notamment d'effets de court terme favorables pouvant présenter un risque de verrouillage technologique à long terme
À titre d'exemple, on retrouve dans ces dépenses les dépenses de soutien aux énergies renouvelables (2,1 milliards d'euros en PLF 2024).

Les dépenses dites « mixtes », favorables à l'environnement sur au moins un axe mais qui ont des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes. On y classe les dépenses relatives aux nouvelles infrastructures de transport ferroviaire ou fluvial.

Les dépenses neutres : dépense sans effet significatif sur l'environnement ; information non disponible ou insuffisamment étayée pour déterminer un impact environnemental favorable ou défavorable. On retrouve dans cette catégorie les aides pour le logement (APL, 13,9 milliards d'euros en PLF 2024).

Les dépenses défavorables : la dépense constitue une atteinte directe à l'environnement ou incite à des comportements défavorables à celui-ci. On retrouve ici les mesures relatives aux taux réduits sur les carburants (3,5 milliards d'euros en PLF 2024) qui encouragent le transport routier

Quels résultats et quelles évolutions ?

En 2020, 41,8 milliards d'euros de dépenses ont été identifiées comme ayant un impact sur l'environnement et de 52,8 milliards d'euros en y ajoutant les dépenses fiscales (les niches fiscales), ce qui est peu par rapport aux 574,2 milliards d'euros de dépenses budgétaires et fiscales (9,19%).

Les dépenses dites « vertes », c'est-à-dire favorables à l'environnement sur au moins un axe environnemental sans être défavorables par ailleurs représentent 72,6 % de ces dépenses : elles atteignent 38,1 milliards d'euros en PLF pour 2021.
Les dépenses « mixtes » qui sont favorables à l'environnement sur un moins un axe mais qui ont des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes représentent 8,9 % de ces dépenses, soit 4,7 milliards d'euros. Enfin, 10,0 milliards d'euros de dépenses ont un impact défavorable sur au moins un axe environnemental sans avoir un impact favorable par ailleurs, ce qui recouvre principalement des dépenses fiscales (7,2 milliards d'euros)

En PLF 2024, parmi l'ensemble des dépenses budgétaires et fiscales du budget de l'État (569,7 milliards d'euros), 55,9 milliards d'euros (soit 9,81 % du total) ont été identifiés comme ayant un impact environnemental. Parmi elles, 39,7 milliards d'euros (soit 71%) sont considérées comme ayant un impact favorable à l'environnement, 3,1 milliards d'euros un impact mixte (soit 5,45%) et 13,1 milliards d'euros un impact défavorable soit 23,43%).

En d'autres termes, la situation s'est dégradée, tant en valeur qu'en proportion. Cela n'est hélas guère étonnant : les choix politiques de ces dernières années n'ont pas orienté l'action publique en fonction des priorités environnementales. Quant à la gouvernance budgétaire, elle reste tournée vers la « performance », synonyme de « faire plus avec moins » pour les services publics. Orienter les finances publiques vers la bifurcation sociale et écologique est cependant non seulement souhaitable mais aussi possible. C'est l'une des grandes priorités de la période. Attac et l'Observatoire de la justice fiscale répondront présents pour que, à l'occasion du prochain débat budgétaire, cet objectif soit publiquement rappelé.

27.05.2024 à 08:51

L'impôt sur le revenu en chiffres

Équipe de l'Observatoire

Créé en 1914, l'impôt sur le revenu est un impôt déclaratif et progressif. Il a connu de nombreuses réformes. Sous l'effet de la concurrence fiscale, ses taux, notamment les plus élevés, ont baissé. Le taux le plus élevé du barème est ainsi passé de 65 % en 1982 à 45 % actuellement. De nombreuses « niches fiscales » ont également été instaurées. Récemment, Emmanuel Macron a décidé de créer le prélèvement forfaitaire unique, un impôt à taux proportionnel pour les revenus financiers (au taux (…)

- Comprendre la fiscalité
Texte intégral (914 mots)

Créé en 1914, l'impôt sur le revenu est un impôt déclaratif et progressif. Il a connu de nombreuses réformes. Sous l'effet de la concurrence fiscale, ses taux, notamment les plus élevés, ont baissé. Le taux le plus élevé du barème est ainsi passé de 65 % en 1982 à 45 % actuellement. De nombreuses « niches fiscales » ont également été instaurées. Récemment, Emmanuel Macron a décidé de créer le prélèvement forfaitaire unique, un impôt à taux proportionnel pour les revenus financiers (au taux de 30 %, soit 12,8 % au titre de l'impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux). Tous les revenus ne sont donc pas logés à la même enseigne. L'incessant triturage de l'impôt sur le revenu l'a fortement éloigné de son objectif initial : dégager des recettes et réduire les inégalités de revenus.

Cet impôt s'applique aux particuliers qui résident en France. Ceux-ci, comme chaque année au printemps, doivent déclarer leurs revenus à l'administration fiscale afin de calculer l'impôt sur le revenu (IR). Jugé tout à la fois plus juste et plus complexe que les autres en raison de sa progressivité et des règles qui le régissent (quotient familial, « niches fiscales, etc.), l'IR reste l'impôt le plus connu, même s'il n'est pas, et de loin, le plus rentable. Cette période de déclaration des revenus est l'occasion de dresser un rapide panorama de l'impôt sur le revenu.

Quel rendement ?

En 2022, l'IR aura rapporté 82,1 milliards d'euros, soit 23,1 % du budget de l'État. Par comparaison, cette année-là, la TVA aura dégagé 202,7 milliards d'euros de recettes (affectées à l'État, aux collectivités locales et à la Sécurité sociale) tandis que la contribution sociale généralisée (CSG) rapportait 106,9 milliards d'euros aux caisses de la Sécurité sociale. L'impôt sur les sociétés, pour sa part, aura rapporté moins que l'IR, soit 68 milliards d'euros en 2022.

Qui paie l'IR ?

En 2022 toujours, on dénombrait 40,7 millions de foyers fiscaux, tous appelés à remplir leur déclaration de revenus. Parmi eux, 18,2 millions auront effectivement payé un IR. Les raisons qui expliquent cette faible proportion sont les suivantes. Le revenu imposable tient compte des prélèvements sociaux, déductibles (à l'exception de la contribution au remboursement de la dette sociale et d'une fraction de la CSG). Les dispositifs comme le quotient conjugal et familial ou les niches fiscales permettent à de nombreux foyers fiscaux de réduire leur impôt, voire de l'annuler. Enfin, le niveau global des revenus reste insuffisant, de nombreux foyers fiscaux ne percevant pas un niveau suffisant pour être imposable. Ces différents facteurs, combinés aux inégalités importantes de revenus, expliquent que les plus hauts revenus paient une part importante de l'IR.

Qu'ils soient imposables ou non, les 40,7 millions de foyers fiscaux ont déclaré 1 389 milliards d'euros de revenus ce qui, ramené au rendement net de l'IR, revient à un taux réel d'imposition moyen de 5,9 %. La majorité provient des salaires (61,7 %), mais on y retrouve aussi les pensions et les rentes (25,7 %), les bénéfices industriels et commerciaux (provenant des commerçants notamment, pour 1,4 %), les bénéfices non commerciaux (provenant des professions libérales, pour 2,9 %), les revenus fonciers (pour 2,1 %) ou encore les revenus de capitaux mobiliers (les revenus financiers, pour 3,5 %) et les revenus agricoles (pour 0,5 %).

Quid des « niches fiscales » ?

L'IR concentre près de la moitié des « dépenses fiscales », également dénommés « niches fiscales ». Parmi les 40,7 millions de foyers fiscaux, 12 millions (soit 29,5 %) bénéficient d'une de ces « niches fiscales », autrement dit d'un crédit ou d'une réduction d'impôt. L'importance de l'avantage fiscal procuré par les « niches » diffère toutefois selon le revenu. Si 3,3 millions de foyers déclarent des dons à des organismes d'intérêt général pour une réduction d'impôt moyenne de 411 euros, ils ne sont que 40 000 à déclarer des investissements en outre-mer (pour un manque à gagner global de 584 millions d'euros) pour une réduction d'impôt moyenne de 14 566 euros ou un investissement locatif dit « Pinel » pour une réduction d'impôt moyenne de 4 025 euros.

Si ces dispositifs grèvent évidemment le rendement de l'IR, ils affectent également la progressivité de l'IR, qui est pourtant un principe fondateur de cet impôt. La concentration de l'utilisation des niches fiscales sur les hauts revenus est une réalité. Le montant moyen des réductions et crédits d'impôt est de 47 euros pour les 10 % des foyers fiscaux les plus pauvres, il s'élève à 577 euros pour les foyers situés dans le 9ème décile et à 2 206 euros pour les 10 % les plus aisés. Mais au sein des 10 % les plus aisés, les disparités sont importantes. Pour le dire simplement, plus les revenus sont élevés et plus l'effet des « niches fiscales » se fait sentir. Cette concentration rend mêmes l'IR régressif au-delà d'un certain seuil. Le taux réel moyen d'imposition atteint en effet 22,68 % pour les revenus compris entre 400 000 et 500 000 euros pour s'abaisser et se situer entre 17 et 19 % pour les revenus supérieurs à 5 millions d'euros…

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