13.10.2024 à 08:05
Équipe de l'Observatoire
Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur (…)
- ActualitésLe gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur l'instauration d'une imposition mondiale minimum sur les plus riches dont on ne peut que souhaiter qu'elle débouche sur un système véritablement juste et redistributif.
Le seuil au-delà duquel s'applique cette contribution temporaire est fixé à 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple. Les données publiques disponibles portent sur les revenus de l'année 2022 imposés en 2023. Elles ne distinguent pas la composition des foyers fiscaux par part du quotient familial. Elles sont toutefois intéressantes car elles montrent que :
• 105 000 foyers environ perçoivent un revenu fiscal de référence (RFR) supérieur à 300 000 euros,
• près de 63 000 foyers perçoivent un RFR de plus de 400 000 euros,
• près de 42 500 perçoivent un RFR de plus de 500 000 euros.
En France, cette mesure aurait un impact que l'on peut mesurer ainsi. En matière d'IR, les données de l'administration fiscale montrent en effet que, ramené au revenu fiscal de référence (RFR), le taux effectif moyen d'imposition des plus aisés atteint 22 % pour les foyers ayant un RFR compris entre 500 000 et 700 000 euros. Mais contrairement au principe de progressivité, ce taux baisse ensuite progressivement, pour passer sous les 20 % pour les foyers au RFR compris entre 4 et 6 millions d'euros et s'abaisse même à 16,9 % pour les foyers au RFR au-delà de 9 millions d'euros.
En 2023, près de 1 900 foyers, dont le revenu est supérieur à 4 millions d'euros, présentaient un taux effectif réel d'imposition inférieur à 20 %. Appliqué en 2023, un taux minimum d'imposition de 20 % aurait ainsi dégagé un peu plus de 400 millions d'euros. Le rendement annoncé de 2 milliards d'euros a donc de quoi interroger : il paraît largement surévalué.
Il est intéressant de préciser que cette dégressivité de l'IR n'est pas nouvelle. Au surplus, bion que dégressifs, les taux réels d'imposition étaient supérieurs avant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat tax, constituée de 12,8 % d'impôt sur le revenu et de 17,2 % de CSG), qui a tiré les taux vers le bas.
La chute est même spectaculaire. A titre d'exmples :
– pour les foyers fiscaux dont le RFR se situait entre 600 000 et 700 000 euros en 2017, le taux effectif moyen d'imposition atteignait 27 %. Il s'abaissait à 26,42 % en 2018, 24,0 % en 2019 et 22 % en 2023.
– pour les foyers dont le RFR dépassait 9 millions d'euros en 2017, le taux effectif moyen était légèrement supérieur à 20 % en 2017, il était inférieur à 17 % en 2023.
Plus largement, au-dessus de 100 000 euros de revenus (777 899 foyers fiscaux en 2017, plus de 1,1 million en 2023), les taux réels sont sensiblement inférieurs en 2023 à ce qu'ils étaient en 2017, avant la mise en place du PFU (applicable en 2018). De manière générale, l'ensemble des foyers fiscaux dont le RFR se situe au-delà de 500 000 euros, la baisse des taux effectifs moyen est nette. Elle peut atteindre dépasser 5 points.
Ce taux minimum d'imposition constitue en quelque sorte un aveu quant à la dégressivité de l'IR. Elle limite certes l'effet régressif du PFU, sans toutefois le remettre en cause. Il eut en effet été plus rentable, plus juste et plus simple d'imposer l'ensemble des revenus au barème progressif de l'impôt sur le revenu au lieu d'instaurer un tel mécanisme. Avec cette contribution temporaire, le taux effectif minimum ne pourra plus être inférieur à 20 % pendant 3 ans mais, en l'absence de réforme d'ensemble, l'impôt sur le revenu restera dégressif.
26.09.2024 à 08:31
Équipe de l'Observatoire
Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.
La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de (…)
Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.
La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de l'impôt sur la fortune de l'Espagne, qui frappe les 0,5 % des ménages les plus riches, les pays récolteraient 2000 milliards de dollars par an au niveau mondial.
Pour TJN, il est démontré que les réformes fiscales ciblant les richesses extrêmes n'ont pas entraîné la délocalisation des super-riches vers d'autres pays.
En moyenne, la moitié de la population d'un pays ne possède que 3 % de sa richesse, tandis que les 0,5 % les plus riches en possèdent un quart.
L'extrême richesse insécurise les économies et est directement liée au fait que les personnes doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent. Le traitement à deux vitesses de la richesse (impôts moins élevés sur la richesse perçue, c'est-à-dire les dividendes, les loyers, les gains en capital ; impôts plus élevés sur la richesse gagnée, comme les salaires) alimente l'extrême richesse et rend les économies plus pauvres.
Les pays peuvent collecter la somme de 2000 milliards de dollars par an en suivant l'exemple de l'Espagne qui a réussi à imposer la richesse des 0,5 % des ménages les plus riches. C'est le double du montant nécessaire chaque année pour le financement externe des pays en développement pour le climat, qui devrait être au centre des négociations de la COP29 cette année.
La dernière étude du Tax Justice Network estime le montant des recettes que chaque pays peut individuellement générer en taxant la richesse des seuls 0,5 % des ménages les plus riches à un taux léger de 1,7 % à 3,5 %. L'impôt sur la fortune ne s'appliquerait qu'à la partie supérieure du patrimoine des ménages, et non à l'ensemble de leur patrimoine.
Bien que l'étude reproduise l'approche de l'impôt espagnol sur la fortune pour chaque pays, elle constate qu'en moyenne, chaque pays pourrait collecter l'équivalent de 7 % de son budget de dépenses. Elle montre également que les réformes fiscales précédentes visant les super-riches n'ont pas entraîné leur délocalisation vers d'autres pays, malgré les titres des médias affirmant le contraire. Seuls 0,01 % des ménages les plus riches ont déménagé après la mise en œuvre des réformes de l'impôt sur la fortune visant les ménages les plus riches en Norvège, en Suède et au Danemark. Une étude britannique prévoit que les réformes relatives au statut de personne non domiciliée entraîneraient un taux de migration compris entre 0,02 % et 3,2 % au maximum. Les estimations de l'étude sur le montant des impôts que les pays peuvent percevoir grâce à l'impôt sur la fortune reposent par conséquent sur l'hypothèse très prudente qu'un tel taux de migration de 3,2 % se produirait.
Le traitement à deux vitesses de la richesse insécurise les économies. Les sommes considérables que pourrait rapporter un modeste impôt sur la fortune sont possibles en raison des niveaux extrêmes de richesse accumulée par les plus riches. L'étude révèle qu'en moyenne, dans chaque pays, la moitié de la population possède à peine 3 % de l'ensemble des richesses, tandis que les 0,5 % les plus riches en détiennent un quart (25,7 %).
Selon le rapport, cette richesse extrême des super-riches rend les économies incertaines et est directement liée à une productivité économique plus faible, aux ménages non riches qui doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent et à des résultats sociétaux plus médiocres tels qu'un niveau d'éducation plus faible et une espérance de vie plus courte.
Selon TJN, la racine du problème réside dans le traitement à deux vitesses de la richesse collectée et de la richesse gagnée. La richesse collectée, c'est-à-dire les dividendes, les plus-values et les loyers tirés de la possession de biens, est généralement imposée à des taux bien inférieurs à ceux de la richesse gagnée (soit les revenus du travail). Dans le même temps, la richesse collectée croît généralement plus vite que la richesse gagnée. Aujourd'hui, seule la moitié de la richesse créée chaque année dans le monde va aux personnes qui gagnent leur vie. Le reste est collecté sous forme de loyers, d'intérêts, de dividendes et de plus-values.
Si les superriches peuvent travailler et avoir un emploi, la quasi-totalité de leur richesse provient de la possession d'entreprises et d'empires immobiliers, et non de leur travail dans ces empires. Les salaires qu'ils peuvent percevoir ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de leur richesse. Trois des cinq hommes les plus riches de la liste des milliardaires de Forbes pour 2024 gagnent un salaire d'un dollar : Elon Musk, Mark Zuckerberg et Larry Elison. Selon une étude de 2011, le "PDG à 1 dollar" moyen renonce à 610 000 dollars de salaire, mais gagne 2 millions de dollars d'autres rémunérations basées sur la propriété.
Le traitement à deux vitesses a produit des résultats extrêmes en ce qui concerne les personnes les plus riches. Les milliardaires ont tendance à payer des taux d'imposition inférieurs de moitié aux taux payés par le reste de la société. Et leur richesse augmente deux fois plus vite que celle du reste de la société. Cela a contribué à quadrupler la richesse des 0,0001 % depuis 1987, au détriment des économies, des sociétés et de la planète.
L'accumulation extrême de richesses ne se contente pas de créer des déséquilibres extrêmes aux conséquences néfastes, elle rend ces richesses accumulées moins productives sur le plan économique - par exemple en détournant une part disproportionnée de la richesse vers des produits dérivés spéculatifs plutôt que vers des biens et des services de l'économie "réelle". Le porte-parole du Tax Justice Network explique ainsi "pourquoi le monde ne se sent pas plus riche aujourd'hui alors qu'il n'y a jamais eu autant de richesses que maintenant".
Le traitement à deux niveaux de la manière dont les gens acquièrent la richesse amplifie cette tendance. En permettant à la richesse collectée de dépasser de façon spectaculaire la richesse gagnée, le traitement à deux vitesses pousse la richesse vers des formes moins productives tout en augmentant l'endettement des ménages non riches.
Le réseau Tax Justice Network appelle les gouvernements à mettre fin au traitement à deux vitesses de la richesse en introduisant des impôts sur la fortune.
26.08.2024 à 15:04
Équipe de l'Observatoire
Si les « niches fiscales » (nommées « dépenses fiscales » dans le jargon budgétaire) font régulièrement débat, la littérature sur l'évolution du coût des dégrèvements et des remboursements d'impôt (issus de certaines « niches fiscales », de dispositions fiscales spécifiques et de la mécanique propre à certains impôts) est bien mince. En la matière, un paradoxe mérite d'être souligné : en 2023, le niveau des recettes publiques a diminué et est inférieur aux prévisions, celui des (…)
- ActualitésSi les « niches fiscales » (nommées « dépenses fiscales » dans le jargon budgétaire) font régulièrement débat, la littérature sur l'évolution du coût des dégrèvements et des remboursements d'impôt (issus de certaines « niches fiscales », de dispositions fiscales spécifiques et de la mécanique propre à certains impôts) est bien mince. En la matière, un paradoxe mérite d'être souligné : en 2023, le niveau des recettes publiques a diminué et est inférieur aux prévisions, celui des remboursements et des dégrèvements a sensiblement augmenté et est supérieur aux estimations.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le montant des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État s'élève à 135,9 milliards d'euros, en hausse de près de 9 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 (soit 127,1 milliards d'euros) et ont plus que doublé depuis 2001 (ils s'établissaient alors à 61 milliards d'euros). C'est tout bonnement le plus haut niveau jamais atteint, hors Covid. Dans la période récente, cette hausse concerne essentiellement les remboursements et dégrèvements en matière d'impôts d'État (ceux concernant les impôts locaux diminuent en effet du fait de la suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la réforme des impôts dits « de production »).
Plusieurs raisons expliquent cette tendance à la hausse. Si l'on pense notamment à la législation ou à l'évolution du tissu économique, il faut y ajouter la faiblesse des contrôles due, principalement, au manque de moyens de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).
L'analyse des demandes de remboursement de crédit de TVA et du crédit d'impôt recherche (CIR) l'illustre hélas à merveille.
Rappelons tout d'abord sommairement le fonctionnement de la TVA. L'entreprise assujettie à la TVA facture la TVA à ses clients, elle déduit de cette TVA collectée la TVA qu'elle paie à ses fournisseurs et reverse la différence à l'administration fiscale. Dans certains cas toutefois (période d'achats importants, exportations non assujetties à la TVA, etc), le montant de la TVA déductible peut dépasser celui de la TVA collectée. L'assujettie est alors en situation de crédit de TVA et peut soit imputer ce crédit sur la TVA collectée future, soit se la faire rembourser. Cette seconde solution est largement privilégiée par les entreprises.
La TVA est, de loin le premier, impôt en France. En 2024, le rendement brut de la TVA pourrait atteindre 303 milliards d'euros. Pour calculer son rendement net, il faut déduire de ce montant brut 83,5 milliards d'euros de remboursements et dégrèvements (dont les 79,33 milliards d'euros au titre des restitutions de crédits de TVA). Précisons ici que 119 milliards d'euros de recettes de TVA échappent au budget de l'État et sont transférés à la Sécurité sociale (pour 60 milliards d'euros), aux collectivités territoriales (pour 55 milliards d'euros) et, pour 4 milliards d'euros, en compensation de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public. En PLF 2024, les restitutions de TVA sont donc estimées à 79,3 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 15,4 % par rapport à la LFI 2023 (soit 10,56 milliards d'euros) après une hausse de 8,3 % entre 2022 et 2023 et de 10,2 % entre 2021 et 2022. Sur une période plus longue, entre 2014 et 2024, la hausse des remboursements de TVA s'élève à 66,6 % (soit 31,7 milliards d'euros).
Ce niveau élevé des remboursements nécessite une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux. Rappelons qu'en 2022, l'INSEE estimait la fraude à la TVA entre 20 et 26 milliards d'euros [1]. Or, le montant des crédits de TVA rejetés interpelle pas sa faiblesse : 134 millions en 2021 et 137 millions en 2022, soit 0,23 % du montant total des remboursements de crédit de TVA de 2021 (57,6 milliards d'euros en 2021) et 0,2 % du montant total des remboursements de crédit de TVA pour 2022. Autrement dit, le contrôle de ces demandes est faible… Deux raisons principales expliquent cette situation : la réduction des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et l'objectif assigné au programme « 200 - Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » en matière de rapidité de traitement des demandes de remboursements.
Le crédit d'impôt recherche (CIR) est la première « niche fiscale ». Son coût ne cesse de croître et devrait atteindre 7,64 milliards d'euros en 2024. Pour autant, les dernières évaluations sur le CIR et son impact en termes d'investissement, d'emploi et d'attractivité des entreprises innovantes datent de 2021 et se basent sur des données allant jusqu'en 2018. Or, depuis cette date, le coût du CIR a augmenté de 1,8 milliard d'euros. Le CIR est très concentré : les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total et 28 groupes déclarent le tiers des dépenses de R&D et bénéficient de 27 % de créances de CIR.
Dans leurs rapports spéciaux consacrés au programme « Remboursements et dégrèvements », les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat se montrent particulièrement critiques sur le CIR [2]. Leurs travaux montrent que la hausse du coût du CIR est importante et qu'elle dépasse les prévisions. Le rapporteur spécial de la commission des finances estime nécessaire de « mener une nouvelle évaluation qui viserait à mesurer l'impact du dispositif en établissant une différenciation par type d'entreprise et par secteur d'activité à partir des données les plus récentes » tandis que le rapport spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale relève que « L'efficience de ce dispositif a fait l'objet d'une littérature critique abondante. Au sujet du CIR, France Stratégie relève des « effets positifs sur les PME [3] , mais pas d'effet significatif établi en ce qui concerne les ETI et les grandes entreprises ». Elle observe également que « le CIR n'a pas suffi à contrecarrer la perte d'attractivité du site France pour la localisation de la R&D des multinationales étrangères ». La question de l'efficacité du CIR est donc posée. Le rapport cite également les travaux cités par France Stratégie, selon lesquels ce sont les PME qui ont la propension la plus grande à réaliser des innovations de rupture et que le CIR conduit à un « effet d'aubaine » pour les grandes entreprises, et propose de « recentrer le CIR sur les petites et les moyennes entreprises (PME) et à plafonner les dépenses éligibles pour les grands groupes ».
À ce propos, on notera que le Conseil des prélèvements obligatoires préconise, de son côté, soit un plafond de 20 millions d'euros, soit un plafond de 20 millions d'euros associé à une hausse du taux de CIR à 40 %. La DGFiP estime que la première option permettrait de réduire le coût du CIR de 1,6 milliard d'euros aux finances publiques alors que la seconde conduirait à l'augmenter de 200 millions d'euros.
Le rapport spécial de la commission des finances du Sénat note également que « le CIR est un crédit d'impôt particulièrement difficile à contrôler qui nécessite une coordination entre les services de la DGFIP et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ». Or, ces deux administrations perdent des emplois. Curieusement, les données sur le nombre de contrôles du CIR sont rares. Après une augmentation des rectifications entre 2008 et 2013, passant de 269 à 1523, le rythme décroît depuis 2014. Ainsi, en 2019, 1 071 contrôles ont fait l'objet d'une rectification CIR. Ramené aux 21 087 bénéficiaires du CIR en 2019, la proportion de celles ayant fait l'objet d'un contrôle est donc de 5 %...
Ces deux focus sur, d'une part, un dispositif lié à la mécanique d'un impôt (la TVA en l'occurrence) et d'autre part, la première « niche fiscale », montrent que la hausse de leur coût budgétaire est en partie artificielle et résulte d'une utilisation optimisée, et parfois frauduleuse, de ces dispositifs. Une véritable « revue » de ces dispositifs et un renforcement de l'ensemble des moyens de contrôle devrait constituer une véritable priorité en matière de finances publiques. Mais jusqu'à présent, ces préconisations sont restées « lettres mortes ».
[1] INSEE, Estimation des montants manquants de versements de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal, 25 juillet 2022.
[2] Rapport spécial de la Commission des finances de l'Assemblée nationale « Annexe 40, remboursements et dégrèvements » (Mme Pires Beaune, rapporteure spéciale) du 14 octobre 2023 et rapport spécial de la Commission des finances du Sénat « Annexe 27, remboursements et dégrèvements » (M. Husson, rapporteur spécial) du 23 novembre 2023.
[3] France Stratégie (CNEPI), « Évaluation du crédit d'impôt recherche », Gilles de Margerie (président), Mohamed Harfi et Rémi Lallement (rapporteurs), juin 2021
30.07.2024 à 14:04
Équipe de l'Observatoire
Depuis fin 2020, un rapport annexé à chaque projet de loi de finances tente d'évaluer l'impact environnemental des dépenses et des recettes du budget de l'État. L'ambition, louable dans son principe, est de coter les dépenses prévisionnelles du budget de l'État selon leur impact sur l'environnement et de mieux prendre en compte la dimension environnementale dans l'évolution des finances publiques.
Ce document a été discuté. Les résultats apparaissent en effet bien modestes. Comme le note (…)
Depuis fin 2020, un rapport annexé à chaque projet de loi de finances tente d'évaluer l'impact environnemental des dépenses et des recettes du budget de l'État. L'ambition, louable dans son principe, est de coter les dépenses prévisionnelles du budget de l'État selon leur impact sur l'environnement et de mieux prendre en compte la dimension environnementale dans l'évolution des finances publiques.
Ce document a été discuté. Les résultats apparaissent en effet bien modestes. Comme le note la Cour des comptes dans un rapport intitulé « Observations définitives : la prise en compte de l'environnement dans le budget et les comptes de l'État » du 15 mai 2023 ; ce budget vert « ne cote que les crédits budgétaires, les taxes affectées et les dépenses fiscales, et non l'ensemble des dépenses du budget général de l'État et des ressources publiques, y compris les dépenses fiscales présentées dans le projet de loi de finances de l'année, ayant un impact favorable ou défavorable significatif sur l'environnement ».
Malgré d'évidentes limites, il est tout de même assez instructif de revenir sur les principaux enseignements des 4 premières livraisons de ce rapport.
Le « budget vert » classe les dépenses publiques évaluées en plusieurs grandes catégories présentées de la manière suivante.
Les dépenses favorables, cette catégorie recouvrant trois types de dépenses :
– les dépenses ayant un objectif environnemental principal ou participant directement à la production d'un bien ou service environnemental (éco-activité) ;
– les dépenses sans objectif environnemental mais ayant un impact indirect avéré ;
– les dépenses favorables mais à l'impact controversé en présence notamment d'effets de court terme favorables pouvant présenter un risque de verrouillage technologique à long terme
À titre d'exemple, on retrouve dans ces dépenses les dépenses de soutien aux énergies renouvelables (2,1 milliards d'euros en PLF 2024).
Les dépenses dites « mixtes », favorables à l'environnement sur au moins un axe mais qui ont des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes. On y classe les dépenses relatives aux nouvelles infrastructures de transport ferroviaire ou fluvial.
Les dépenses neutres : dépense sans effet significatif sur l'environnement ; information non disponible ou insuffisamment étayée pour déterminer un impact environnemental favorable ou défavorable. On retrouve dans cette catégorie les aides pour le logement (APL, 13,9 milliards d'euros en PLF 2024).
Les dépenses défavorables : la dépense constitue une atteinte directe à l'environnement ou incite à des comportements défavorables à celui-ci. On retrouve ici les mesures relatives aux taux réduits sur les carburants (3,5 milliards d'euros en PLF 2024) qui encouragent le transport routier
En 2020, 41,8 milliards d'euros de dépenses ont été identifiées comme ayant un impact sur l'environnement et de 52,8 milliards d'euros en y ajoutant les dépenses fiscales (les niches fiscales), ce qui est peu par rapport aux 574,2 milliards d'euros de dépenses budgétaires et fiscales (9,19%).
Les dépenses dites « vertes », c'est-à-dire favorables à l'environnement sur au moins un axe environnemental sans être défavorables par ailleurs représentent 72,6 % de ces dépenses : elles atteignent 38,1 milliards d'euros en PLF pour 2021.
Les dépenses « mixtes » qui sont favorables à l'environnement sur un moins un axe mais qui ont des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes représentent 8,9 % de ces dépenses, soit 4,7 milliards d'euros. Enfin, 10,0 milliards d'euros de dépenses ont un impact défavorable sur au moins un axe environnemental sans avoir un impact favorable par ailleurs, ce qui recouvre principalement des dépenses fiscales (7,2 milliards d'euros)
En PLF 2024, parmi l'ensemble des dépenses budgétaires et fiscales du budget de l'État (569,7 milliards d'euros), 55,9 milliards d'euros (soit 9,81 % du total) ont été identifiés comme ayant un impact environnemental. Parmi elles, 39,7 milliards d'euros (soit 71%) sont considérées comme ayant un impact favorable à l'environnement, 3,1 milliards d'euros un impact mixte (soit 5,45%) et 13,1 milliards d'euros un impact défavorable soit 23,43%).
En d'autres termes, la situation s'est dégradée, tant en valeur qu'en proportion. Cela n'est hélas guère étonnant : les choix politiques de ces dernières années n'ont pas orienté l'action publique en fonction des priorités environnementales. Quant à la gouvernance budgétaire, elle reste tournée vers la « performance », synonyme de « faire plus avec moins » pour les services publics. Orienter les finances publiques vers la bifurcation sociale et écologique est cependant non seulement souhaitable mais aussi possible. C'est l'une des grandes priorités de la période. Attac et l'Observatoire de la justice fiscale répondront présents pour que, à l'occasion du prochain débat budgétaire, cet objectif soit publiquement rappelé.
27.05.2024 à 08:51
Équipe de l'Observatoire
Créé en 1914, l'impôt sur le revenu est un impôt déclaratif et progressif. Il a connu de nombreuses réformes. Sous l'effet de la concurrence fiscale, ses taux, notamment les plus élevés, ont baissé. Le taux le plus élevé du barème est ainsi passé de 65 % en 1982 à 45 % actuellement. De nombreuses « niches fiscales » ont également été instaurées. Récemment, Emmanuel Macron a décidé de créer le prélèvement forfaitaire unique, un impôt à taux proportionnel pour les revenus financiers (au taux (…)
- Comprendre la fiscalitéCréé en 1914, l'impôt sur le revenu est un impôt déclaratif et progressif. Il a connu de nombreuses réformes. Sous l'effet de la concurrence fiscale, ses taux, notamment les plus élevés, ont baissé. Le taux le plus élevé du barème est ainsi passé de 65 % en 1982 à 45 % actuellement. De nombreuses « niches fiscales » ont également été instaurées. Récemment, Emmanuel Macron a décidé de créer le prélèvement forfaitaire unique, un impôt à taux proportionnel pour les revenus financiers (au taux de 30 %, soit 12,8 % au titre de l'impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux). Tous les revenus ne sont donc pas logés à la même enseigne. L'incessant triturage de l'impôt sur le revenu l'a fortement éloigné de son objectif initial : dégager des recettes et réduire les inégalités de revenus.
Cet impôt s'applique aux particuliers qui résident en France. Ceux-ci, comme chaque année au printemps, doivent déclarer leurs revenus à l'administration fiscale afin de calculer l'impôt sur le revenu (IR). Jugé tout à la fois plus juste et plus complexe que les autres en raison de sa progressivité et des règles qui le régissent (quotient familial, « niches fiscales, etc.), l'IR reste l'impôt le plus connu, même s'il n'est pas, et de loin, le plus rentable. Cette période de déclaration des revenus est l'occasion de dresser un rapide panorama de l'impôt sur le revenu.
En 2022, l'IR aura rapporté 82,1 milliards d'euros, soit 23,1 % du budget de l'État. Par comparaison, cette année-là, la TVA aura dégagé 202,7 milliards d'euros de recettes (affectées à l'État, aux collectivités locales et à la Sécurité sociale) tandis que la contribution sociale généralisée (CSG) rapportait 106,9 milliards d'euros aux caisses de la Sécurité sociale. L'impôt sur les sociétés, pour sa part, aura rapporté moins que l'IR, soit 68 milliards d'euros en 2022.
En 2022 toujours, on dénombrait 40,7 millions de foyers fiscaux, tous appelés à remplir leur déclaration de revenus. Parmi eux, 18,2 millions auront effectivement payé un IR. Les raisons qui expliquent cette faible proportion sont les suivantes. Le revenu imposable tient compte des prélèvements sociaux, déductibles (à l'exception de la contribution au remboursement de la dette sociale et d'une fraction de la CSG). Les dispositifs comme le quotient conjugal et familial ou les niches fiscales permettent à de nombreux foyers fiscaux de réduire leur impôt, voire de l'annuler. Enfin, le niveau global des revenus reste insuffisant, de nombreux foyers fiscaux ne percevant pas un niveau suffisant pour être imposable. Ces différents facteurs, combinés aux inégalités importantes de revenus, expliquent que les plus hauts revenus paient une part importante de l'IR.
Qu'ils soient imposables ou non, les 40,7 millions de foyers fiscaux ont déclaré 1 389 milliards d'euros de revenus ce qui, ramené au rendement net de l'IR, revient à un taux réel d'imposition moyen de 5,9 %. La majorité provient des salaires (61,7 %), mais on y retrouve aussi les pensions et les rentes (25,7 %), les bénéfices industriels et commerciaux (provenant des commerçants notamment, pour 1,4 %), les bénéfices non commerciaux (provenant des professions libérales, pour 2,9 %), les revenus fonciers (pour 2,1 %) ou encore les revenus de capitaux mobiliers (les revenus financiers, pour 3,5 %) et les revenus agricoles (pour 0,5 %).
L'IR concentre près de la moitié des « dépenses fiscales », également dénommés « niches fiscales ». Parmi les 40,7 millions de foyers fiscaux, 12 millions (soit 29,5 %) bénéficient d'une de ces « niches fiscales », autrement dit d'un crédit ou d'une réduction d'impôt. L'importance de l'avantage fiscal procuré par les « niches » diffère toutefois selon le revenu. Si 3,3 millions de foyers déclarent des dons à des organismes d'intérêt général pour une réduction d'impôt moyenne de 411 euros, ils ne sont que 40 000 à déclarer des investissements en outre-mer (pour un manque à gagner global de 584 millions d'euros) pour une réduction d'impôt moyenne de 14 566 euros ou un investissement locatif dit « Pinel » pour une réduction d'impôt moyenne de 4 025 euros.
Si ces dispositifs grèvent évidemment le rendement de l'IR, ils affectent également la progressivité de l'IR, qui est pourtant un principe fondateur de cet impôt. La concentration de l'utilisation des niches fiscales sur les hauts revenus est une réalité. Le montant moyen des réductions et crédits d'impôt est de 47 euros pour les 10 % des foyers fiscaux les plus pauvres, il s'élève à 577 euros pour les foyers situés dans le 9ème décile et à 2 206 euros pour les 10 % les plus aisés. Mais au sein des 10 % les plus aisés, les disparités sont importantes. Pour le dire simplement, plus les revenus sont élevés et plus l'effet des « niches fiscales » se fait sentir. Cette concentration rend mêmes l'IR régressif au-delà d'un certain seuil. Le taux réel moyen d'imposition atteint en effet 22,68 % pour les revenus compris entre 400 000 et 500 000 euros pour s'abaisser et se situer entre 17 et 19 % pour les revenus supérieurs à 5 millions d'euros…
04.05.2024 à 15:31
Équipe de l'Observatoire
Les élections au Parlement européen se profilent, mais la fiscalité est largement absente du débat public. Elle est pourtant au cœur des enjeux sociaux, environnementaux et économiques et, par son incidence sur le pouvoir d'achat, les services publics et la protection sociale notamment, elle a un impact direct sur les conditions de vie des populations. Il est donc essentiel de revenir sur les principaux enjeux en la matière. Attac et la fondation Copernic publient un livre intitulé « Leur (…)
- ActualitésLes élections au Parlement européen se profilent, mais la fiscalité est largement absente du débat public. Elle est pourtant au cœur des enjeux sociaux, environnementaux et économiques et, par son incidence sur le pouvoir d'achat, les services publics et la protection sociale notamment, elle a un impact direct sur les conditions de vie des populations. Il est donc essentiel de revenir sur les principaux enjeux en la matière. Attac et la fondation Copernic publient un livre intitulé « Leur Europe et la nôtre » (éditions Textuel) pour alimenter le débat public. Ce billet précise les enjeux fiscaux de la période.
Alors qu'elle devrait avoir pour objectif de financer l'action publique, réduire les inégalités et inciter à des comportements vertueux, la fiscalité est l'un des principaux leviers utilisés par les États pour améliorer leur compétitivité économique et attirer les investissements. C'est particulièrement vrai au sein de l'Union européenne, qui a fait de la concurrence fiscale et sociale (entre États membres et avec le reste du monde) son principal axe. La libéralisation progressive des flux de capitaux, de biens et de services, leur rapidité de circulation, la numérisation de l'économie et la déréglementation sont autant de facteurs qui ont accéléré et aggravé cette concurrence globale.
Celle-ci se traduit notamment par une baisse de l'imposition de ce que l'on nomme les « facteurs mobiles » (les entreprises et les plus riches, c'est-à-dire des agents économiques que les États veulent attirer et/ou retenir sur leurs territoires) et une hausse des « facteurs immobiles » (le reste des populations). Pour financer les politiques publiques qui, bien qu'en retrait, occupent toutefois une place importante dans les économies, elle se traduit ainsi par une hausse des impôts indirects notamment, payés par les consommateurs. Au fil des années, c'est donc un véritable transfert de la charge fiscale des grandes entreprises et des plus riches vers l'immense majorité de la population et les PME qui s‘est opéré.
Le taux nominal de l'impôt sur les sociétés s'est effondré. En Allemagne, il est passé de 50 % (pour les bénéfices non distribués) et de 36 % (pour les bénéfices distribués) en 1990 à 29,83 % en 2023 (que les bénéfices soient distribués ou non). En France, il est passé de 50 % en 1986 à 25 % actuellement. En Belgique, il est passé de 43 % en 1990 à 25 % en 2023, etc. Dans le même temps, des taux spécifiques ont été instaurés sur les revenus financiers (comme le prélèvement forfaitaire unique en France), plus avantageux que l'imposition aux barèmes progressifs des impôts sur les revenus. Ceux-ci ont par ailleurs vu leurs taux les plus élevés s'abaisser. Comparer les taux est certes insuffisant : il faudrait pouvoir évaluer les assiettes auxquels ils s'appliquent mais également étudier les taux réduits (comme celui de 10 % sur les revenus de la propriété intellectuelle applicable en France) et les mesures dérogatoires comme les incitations en faveur de la recherche et de l'innovation (comme le crédit d'impôt recherche en France), mais cela ne ferait que confirmer le mouvement global..
L'Institut des politiques publiques relève que, « Comme pour la France (avec 65 %), les taux marginaux supérieurs étaient aussi plus élevés au début des années 1980 qu'à la fin des années 2000 : 72 % aux Pays-Bas et en Belgique, 62 % en Italie, 66 % en Espagne, 53 % en Allemagne (…), l'imposition marginale des hauts revenus a baissé dans la plupart des pays d'Europe entre 1995 (47,4 % en moyenne) et 2008 (38,9 % en moyenne) mais les évolutions divergent depuis (…) Depuis l'après-guerre, l'imposition réelle des 1 % les plus aisés a crû jusqu'en 1982 (taux moyen de 34,2 %) puis a diminué depuis (25 % en 1998) [1] ».
Autre illustration de la concurrence fiscale, dans la quasi-totalité des États, la fiscalité du patrimoine a baissé. Outre les mesures prises en faveur des revenus financiers, les impôts sur la fortune ont quasiment disparu et la fiscalité de la transmission du patrimoine a également été allégée. Cinq pays ont supprimé leurs droits de succession depuis 2000 (l'Autriche, la Norvège, la Slovaquie, la Suède et la République tchèque). Rapportées aux recettes fiscales globales, les droits de donation et de succession représentaient entre 0 % (là où ils n'existent pas) et 1,46 % (Belgique) en 2019. Ce faible ratio s'explique par l'existence de nombreux dispositifs (abattement sur donations et succession, mécanismes particuliers de donations) permettant de transmettre le patrimoine en franchise d'impôt.
La TVA en revanche a été singulièrement rehaussée. Entre 1980 et 2019, son taux normal est ainsi passé ; de 17,6 % à 20 % en France, de 13 % à 19 % en Allemagne, de 18 % à 21 % aux Pays-Bas ou encore de 14 % à 22 % en Italie. Le transfert de la charge fiscale des impôts directs, par nature les plus justes, vers les impôts indirects est particulièrement visible.
Il serait illusoire de penser que l'on peut unifier 27 régimes fiscaux différents, rapidement et sans débat de fond sur la nature de la construction européenne. Pour autant, il est nécessaire de neutraliser la concurrence fiscale et sociale pour rééquilibrer les systèmes fiscaux, dégager des marges de manœuvre budgétaires face aux enjeux sociaux et écologiques, réduire les inégalités et renforcer les services publics ainsi que les systèmes de protection sociale.
De ce point de vue, l'instauration de la taxation minimale de 15 % sur les bénéfices réalisés par les multinationales et groupes nationaux transposée dans le droit national de l'ensemble des 27 États membres de l'UE au 1er janvier 2024 est une mesure très insuffisante. Cette mesure ne concernera que les entreprises réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel et exclut d'office les entreprises réalisant moins de 10 millions d'euros (en France, 570 entreprises françaises sont concernées). Quant à la proposition de la Commission d'harmoniser les bases de l'impôt sur les sociétés (le projet « Befit »), elle ne pourrait avoir d'impact positif que si elle s'accompagnait de la mise en place d'un taux minimal suffisamment élevé pour empêcher le développement de la concurrence fiscale. Enfin, il faut signaler que le projet de taxe sur les transactions financières est discuté au sein de l'Union européenne depuis 2011. La France empêche cependant sa mise en œuvre par son refus d'intégrer la coopération renforcée, Emmanuel Macron ayant fait le choix de concurrencer « La City » de Londres depuis le brexit. Autrement dit, en l'état actuel des choses, la concurrence fiscale a hélas de beaux jours devant elle.
Il faut donc aller beaucoup plus loin. Plusieurs propositions sont sur la table. Il en va ainsi de la création d'un impôt européen sur la fortune. Selon l'Observatoire européen de la fiscalité, la création d'un impôt mondial de 2 % sur le patrimoine des milliardaires permettrait de générer 40 milliards d'euros de recettes en Europe. Une pétition « Tax The Rich » (soutenue par Attac) a d'ailleurs été lancée au niveau européen par plusieurs parlementaires européens. Attac a par ailleurs lancé une action d'interpellation des candidats aux élections européennes en ce sens.
À l'image du serpent monétaire européen qui limitait les écarts entre les monnaies, un « serpent fiscal européen » [2] pourrait limiter les écarts entre les systèmes fiscaux grâce à plusieurs mesures.
• L'harmonisation des assiettes de l'impôt sur les sociétés (IS), couplée à l'instauration d'un taux effectif d'IS « plancher » (calculé sur la base harmonisée). Relever le taux de 15% de l'imposition minimale des multinationales qui se décline au sein des États membres à 25 % constituerait un taux plancher en matière d'imposition sur les sociétés. Au-delà, l'IS doit prendre en compte des activités numériques. De manière générale, il s'agit d'éviter les transferts artificiels de richesse et de bénéfices pour imposer la richesse là où elle est créée.
• Une véritable taxe sur les superprofits de l'ensemble des secteurs, telle que proposée par l'Alliance écologique et sociale (AES) dont Attac est membre.
• L'harmonisation de la TVA et l'instauration d'un taux plafond afin d'éviter une dérive à la hausse et d'en finir avec la fraude carrousel, un mécanisme de fraude à la TVA intracommunautaire particulièrement couteux.
• Le renforcement de la coopération afin de mieux lutter contre la fraude fiscale avec la création d'un système d'échange automatique d'informations (bancaires, juridiques et financières) et d'un cadastre financier européen, la mise en place d'une procédure européenne de contrôle fiscal ou encore le renforcement des obligations déclaratives (comptables et fiscales en cas de montages et de prix de transfert notamment). Une véritable « liste noire » des paradis fiscaux assortie de mesures dissuasives (comme la présomption de fraude pour tout lien avec ces territoires par exemple) est également nécessaire.
• La création d'impôts européens (impôt sur les sociétés, impôt sur la fortune, taxe sur les transactions financières applicable à l'ensemble des transactions…) permettrait de revaloriser le budget européen et de mieux financer les solidarités européennes et internationales d'une part et la bifurcation sociale et écologique d'autre part.
Ces mesures indispensables à prendre pour réorienter l'Union européenne accompagnent le débat sur la nature de la construction européenne, le rôle de la politique monétaire, l'évolution des institutions européennes, etc. Autant de questions qu'une véritable campagne européenne devrait poser.
09.04.2024 à 18:32
Équipe de l'Observatoire
Le crédit d'impôt pour emploi à domicile coûte 6 milliards d'euros par an. 46% vont aux foyers gagnant plus de 75000 euros. Dans le cadre d'une « revue des niches fiscales » proposée par Attac, la question de baisser le plafond de cette disposition se pose. L'objectif serait d'épargner les classes moyennes, de faire davantage contribuer les plus aisés et de maintenir l'effet incitatif de la mesure. Ce faisant, l'État pourrait gagner de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros.
La Cour des (…)
Le crédit d'impôt pour emploi à domicile coûte 6 milliards d'euros par an. 46% vont aux foyers gagnant plus de 75000 euros. Dans le cadre d'une « revue des niches fiscales » proposée par Attac, la question de baisser le plafond de cette disposition se pose. L'objectif serait d'épargner les classes moyennes, de faire davantage contribuer les plus aisés et de maintenir l'effet incitatif de la mesure. Ce faisant, l'État pourrait gagner de 1,5 à plus de 2 milliards d'euros.
La Cour des comptes a publié un rapport, mercredi 27 mars, soulignant la nécessité de revoir le soutien de l'État aux services à la personne. Plusieurs impositions sont visées, dont le crédit d'impôt pour emploi d'un·e salarié·e à domicile, jugé trop onéreux pour les finances publiques. De quoi faire bondir les ménages qui craignent de ne plus bénéficier de cette aide et les personnes qui pensent que revoir le dispositif va favoriser la hausse du travail non déclaré. Pour Attac, qui défend une « revue des niches fiscales et sociales », il est important de revenir en détail sur cette mesure.
Le crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile a été créé en 1992 (pour un montant maximum de 12 500 francs à l'époque), ce dispositif visait à combattre le travail non déclaré et à favoriser l'emploi dit « domestique ». Le plafond de ce dispositif a connu une histoire mouvementée pendant plusieurs années pour être finalement porté à 6 000 voire 7 500 euros comme indiqué ci-dessous.
La mesure consiste en effet à appliquer un taux de 50 % des dépenses engagées (incluant salaires et charges sociales), dans la limite de 12 000 euros par foyer (15 000 euros pour un couple avec deux enfants). Le crédit d'impôt atteint donc un maximum de 6 000 euros par foyer (ou 7 500 euros pour un couple avec deux enfants). Ce plafond est moins élevé pour certaines prestations (« petits bricolages », assistance informatique et Internet et petits travaux de jardinage). S'agissant d'un crédit d'impôt, si son montant dépasse le montant de l'impôt à payer, la différence est remboursée par l'administration fiscale.
Sur 40 millions de foyers fiscaux, 4,48 millions d'entre eux (soit 11%) bénéficiaient de cette mesure en 2023. Le coût budgétaire du crédit d'impôt, 5,92 milliards d'euros pour 2023, est estimé à 6,1 milliards pour 2024. Il s'accroît continuellement.
La moyenne du crédit d'impôt pour emploi d'un salarié à domicile était de 1 319 euros en 2023. Comme le crédit représente 50 % des dépenses engagées au cours d'une année, cela signifie que la dépense moyenne des 4,48 millions de foyers fiscaux qui bénéficient de cette mesure est de 2 638 euros (soit un peu moins de 225 heures sur une année sur la base d'un salaire horaire brut de 11,75 euros). Cela s'explique aisément : seule une infime minorité a les moyens de verser un salaire de 12 000 voire de 15 000 euros par an pour bénéficier à plein de la mesure. C'est là qu'intervient la question du dosage de la mesure pour qu'elle conserve son caractère incitatif tout en évitant les effets d'aubaine.
Quant à l'impact sur l'emploi domestique, le rapport de la Cour des comptes l'estime décevant : 75 000 emplois seulement ont été créés (ou régularisés) depuis 2005 dans les secteurs couverts par les aides fiscales à la personne.
Cette mesure permet à de nombreuses personnes appartenant aux classes moyennes et aux classes moyennes supérieures de pouvoir employer une personne à domicile, souvent pour quelques heures par semaine. Autrement dit, sur une année, le salaire versé par l'immense majorité des foyers est très loin d'atteindre le plafond prévu par cette disposition. La situation est différente chez les personnes les plus aisées : elles ont les moyens d'employer pour un nombre important d'heures un·e ou plusieurs salarié·es à domicile. Le crédit d'impôt dont elles bénéficient est élevé, mais la mesure s'avère alors moins incitative. En effet, avant sa création en 1992 de cette « niche », ces personnes déclaraient déjà leur emploi à domicile. Au reste, dans le passé, les relèvements du plafond de cette disposition ne se sont pas traduits par davantage d'embauches. Il existe donc, chez les plus aisés, un effet d'aubaine.
Le bénéfice de cette mesure est d'ailleurs très concentré. Pour les 75 premiers centiles de revenu, le taux de recours aux services à la personne est inférieur à 10 %, alors qu'il est supérieur à 50 % parmi les 3 % de foyers les plus aisés. Dans le détail, en 2020, 409.000 foyers fiscaux (soit 9 % du nombre de foyers concernés par cette « niche ») captaient plus de 1 milliard d'euros, un peu moins de 820.000 en captant plus de 35 % (soit 2 milliards).
L'État pourrait donc simplement baisser le plafond pour que les classes moyennes ne soient pas touchées (leurs dépenses sont loin d'atteindre le plafond actuel de 12 000 euros pour un célibataire, 15 000 euros pour un couple avec deux enfants, ce qui signifie employer une personne 1.276 heures sur l'année).
La baisse peut être plus ou moins importante.
En abaissant le plafond de sorte que 90 % des bénéficiaires de la mesure ne seraient pas perdants, l'État récupérerait près de 1,5 milliards d'euros qui proviendrait des contribuables qui bénéficient du montant maximum du crédit d'impôt ou qui s'en approchent.
En le baissant un peu plus tout en permettant à 80 % des bénéficiaires de la mesure de ne pas être touchés, ce sont 2,1 milliards d'euros qui pourraient être dégagés.
Au final, l'impôt progressif sur le revenu gagnerait quelques couleurs et les inégalités devant les services à domicile cesseraient d'augmenter. Ces recettes pourraient en effet être utilisées pour développer le service public (pour l'ensemble de la population et pas seulement ceux qui en ont les moyens) des aides à la personne, à prendre en charge la perte d'autonomie, améliorer les conditions de travail des salarié·es à domicile, etc.
10.03.2024 à 10:53
Équipe de l'Observatoire
Évitement fiscal, taux minimal de 15 % sur les multinationales, débats sur le « poids » de l'imposition des entreprises, etc : c'est peu de dire que l'impôt sur les sociétés (IS) défraie régulièrement la chronique. Si les informations sont plutôt nombreuses en la matière, peu en revanche dressent un portrait fidèle de cet impôt qui, avec les impôts sur le patrimoine des particuliers, est le plus sensible à la concurrence fiscale internationale, et par conséquent souvent le plus trituré par (…)
- Comprendre la fiscalitéÉvitement fiscal, taux minimal de 15 % sur les multinationales, débats sur le « poids » de l'imposition des entreprises, etc : c'est peu de dire que l'impôt sur les sociétés (IS) défraie régulièrement la chronique. Si les informations sont plutôt nombreuses en la matière, peu en revanche dressent un portrait fidèle de cet impôt qui, avec les impôts sur le patrimoine des particuliers, est le plus sensible à la concurrence fiscale internationale, et par conséquent souvent le plus trituré par les pouvoirs publics. Le présent billet revient sur l'évolution du taux de l'IS et présente les principales données et règles relatives à l'IS.
En 2017, Emmanuel Macron a décidé de baisser le taux nominal de l'IS pour le porter progressivement de 33,3 % à 25 %, pour un coût global sur le quinquennat estimé à l'époque à 11 milliards d'euros (rappelons que que le taux de l'IS était de 50% jusqu'en 1985 pour être abaissé à 33,3 % en 1986). Si l'IS était alors souvent présenté comme l'un des plus élevés au monde, aujourd'hui encore, on peut entendre ici et là qu'en dépit de cette baisse, le taux de l'IS reste dans la moyenne haute des taux nominaux de l'IS en vigueur dans de nombreux autres pays. Or, comparer les taux n'enseigne pas grand-chose si on n'analyse pas ce à quoi il s'applique et si on ne prend en compte ni les « niches fiscales », ni les sommes qui échappent à l'IS du fait de l'évitement fiscal.
L'IS français s'applique en effet à une base étroite : le bénéfice fiscal (qui découle du bénéfice comptable et de quelques retraitements ultérieurs) admet en déduction de nombreuses écritures comptables telles que les amortissements ou les provisions. Dans d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple, ces déductions sont moins nombreuses. Lorsque le taux de l'IS s'applique à la base, celle-ci est déjà réduite du fait de ces déductions. Une fois le taux appliqué, un « IS brut » est déterminé. Pour calculer l'IS net réellement dû par la société, on déduit certaines « niches fiscales », comme le fameux crédit d'impôt recherche par exemple. Signalons en outre que certains régimes de groupes se montrent particulièrement avantageux également et permettent de réduire le taux d'IS réel au stade du groupe. Tout ceci concourt à expliquer pourquoi le poids de l'IS français (un indicateur intéressant sur le « poids de l'IS » dans l'économie) rapporté au PIB est peu élevé.
L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publie régulièrement ses statistiques des recettes publiques. Celles-ci montrent que, contrairement à ce que prétendent les tenants des politiques néolibérales, l'IS français représente une faible part du produit intérieur brut (PIB). Il représentait en effet 2,5 % du PIB français en 2021, soit presque autant que l'Allemagne (2,4 %), présentée comme très avantageuse, contre 2,6 % en Espagne, 3,5 % en Irlande, 3,8 % aux Pays-Bas ou encore 4 % au Danemark.
Signalons par ailleurs que le taux d'imposition taux effectivement payé par les grandes entreprises est désormais proche de celui payé par les plus petites : en 2019, il s'élevait à 19,9 % pour les PME, 21,3 % pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), et 17,1 % pour les grandes entreprises. Soit un écart de tout de même 2,8 points calculé sur les bénéfices déclarés [1].Si l'écart s'est manifestement réduit au cours des dernières années, il est difficile d'en tirer la conclusion que l'équité fiscale progresse. Car ces taux réels d'imposition ne prennent pas en compte les stratégies d'évitement fiscal.
En effet, s'il est difficile de l'évaluer précisément et d'en tirer une conclusion sur le taux réel d'IS (soit l'IS payé par rapport aux bénéfices réellement réalisés), il est impossible de ne pas mentionner à ce stade les diverses stratégies d'évitement de l'impôt qui, par voie d'optimisation agressive, d'évasion et de fraude fiscales, viennent faire chuter le taux réel de l'IS. Le CEPII estimait ainsi qu'en matière de contournement de l'impôt : « Plusieurs instruments peuvent ainsi être utilisés : manipulation des prix de transfert sur les transactions entre filiales d'un même groupe (échanges de biens ou de services) et la localisation des dettes ou d'actifs générant des revenus (brevets, marques, dette) au sein du groupe génèrent artificiellement des flux internationaux de dividendes entre filiales et maisons-mères, des pays à faible fiscalité vers ceux à fiscalité élevée [2] ». Et selon Gabriel Zucman, 40 % des profits des multinationales réalisés à l'étranger sont logés dans les paradis fiscaux [3].
En 2023, les recettes d'impôt sur les sociétés sont estimées à 61,3 milliards d'euros. En 2024, les recettes d'impôt sur les sociétés s'élèveraient à 72,2 Md€, soit 10,9 milliards d'euros de plus qu'en 2023, en raison principalement du fort dynamisme du bénéfice fiscal en 2023 du principalement aux superprofits. Par comparaison, l'impôt sur le revenu aurait rapporté 90,7 miliards d'euros en 2023. Quant à la TVA, elle, aurait rapporté 208,7 milliards d'euros en 2023.
L'impôt sur les sociétés (IS) concerne les entreprises exploitant en France, c'est-à-dire celles qui réalisent leur activité commerciale habituelle sur le territoire et y ont un établissement stable. Il concerne principalement les bénéfices de certaines sociétés et personnes morales. Il en va par exemple ainsi des sociétés de capitaux comme les sociétés anonymes notamment. Les sociétés passibles de l'IS ne sont imposables que sur les bénéfices qu'elles réalisent sur le territoire.
Le taux de l'impôt sur les sociétés est de 25 % à compter des exercices ouverts à partir 1er janvier 2022. Il était de 33,3 % en 2017 puis s'est progressivement abaissé depuis. Il existe cependant des taux spécifiques. Pour les PME (qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 10 millions d'euros), le taux est ainsi de 15 % jusqu'à 42 500 euros de bénéfices (25 % au-delà).
Par ailleurs, certaines cessions d'éléments d'actif (cession de brevets, de titres de participations de licence d'exploitation, etc) relèvent du régime d'imposition des plus ou moins-values à long terme. Ces opérations sont imposées à des taux spécifiques qui, selon la nature de ces opérations de cession, oscillent entre :
• 0 % pour les plus-values nettes à long terme réalisées sur les cessions de titres de participations, autres que les titres de sociétés à prépondérance immobilière, sont imposées au taux de 0% (sous réserve de la réintégration d'une quote-part de frais et charges de 12 %) ;
• 19 % sur les plus-values nettes à long terme réalisées sur certaines opérations immobilières ;
• 15 % les autres plus-values à long terme ;
• 10 % sur certains revenus de la propriété intellectuelle.
[1] Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, Les différences d'imposition sur les bénéfices entre PME et grandes entreprises, juillet 2023.
[2] Laurence Neyman et Vincent Vicard, « Les revenus des multinationales dans les paradis fiscaux », Blog du CEPII, 14 septembre 2018.
[3] Gabriel Zucman, « La richesse cachée des nations, enquête sur les paradis fiscaux », 2ème édition, collection La République des idées, Éditions du Seuil, novembre 2017.
21.02.2024 à 10:02
Équipe de l'Observatoire
Alors que l'association Attac lance sa campagne en faveur de la justice fiscale, il est intéressant de revenir sur les rapports de nos concitoyens à l'impôt, sur la base des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Cette institution rattachée à la Cour des comptes a en effet publié la seconde édition du « Baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France » en janvier 2024. Sur la base de sondage, le CPO mesure la perception que les français ont des prélèvements dans un (…)
- ActualitésAlors que l'association Attac lance sa campagne en faveur de la justice fiscale, il est intéressant de revenir sur les rapports de nos concitoyens à l'impôt, sur la base des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Cette institution rattachée à la Cour des comptes a en effet publié la seconde édition du « Baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France » en janvier 2024. Sur la base de sondage, le CPO mesure la perception que les français ont des prélèvements dans un contexte de forte érosion du consentement à l'impôt et, plus largement, aux « prélèvements obligatoires » (soit l'ensemble des impôts , taxes et recettes sociales)
Le principal enseignement qui se dégage de cette étude est ainsi résumé dans le communiqué du CPO qui accompagne la sortie de l'étude : « Une majorité de Français continue à porter un jugement négatif sur le niveau et l'équité des prélèvements fiscaux et sociaux, mais considère aussi que le paiement des impôts et cotisations est un acte citoyen et soutient le renforcement de la lutte contre la fraude ».
Ce constat qu'Attac partage très largement n'a rien d'étonnant. Les mesures fiscales de la période passée ont choqué une large partie de la population ; ciblées principalement sur les plus riches et les grandes entreprises, elles ont nourri les inégalités, provoqué un sentiment d'injustice profonde et n'ont en rien soutenu l'activité économique. C'est peu de dire que, malgré les injustices fiscales et sociales, il est remarquable de voir qu'une majorité de personnes interrogées parvient à distinguer ce qu'il faut défendre, le principe d'une contribution commune, et la politique fiscale.
Dans le détail, on apprend certes que le niveau de prélèvements est trop élevé, ce que les tenants des politiques néolibérales ont salué. Ils oublient au passage que ce niveau n'est pas élevé pour tout le monde et que c'est précisément ce qui est par ailleurs dénoncé puisque le système de français est largement jugé « inéquitable ». Mieux, la majeure partie des sondés déclare ne pas être prête à accepter une baisse de la dépense publique en échange d'une baisse d'impôt. Très instructif, ce résultat montre que la population demeure très attachée aux services publics et à la protection sociale, malgré une dégradation provenant directement des choix politiques de ces dernières années. De la même manière, on ne peut pas être surpris de constater que l'immense majorité des personnes interrogées ne souhaitent pas un repli supplémentaire des services publics et de la protection sociale, même si l'injustice du système de prélèvements les conduit à espérer davantage de services publics sans hausse d'impôt. Pour Attac, il est aisé d'en conclure qu'une réforme fiscale mettant fin aux injustices serait particulièrement bien jugée en ce qu'elle permettrait une amélioration du système redistributif, au demeurant encore peu appréhendé dans les enquêtes d'opinion.
L'évitement de l'impôt occupe ici une place de choix ; « 79 % des personnes ayant répondu à l'enquête s'accordent ainsi pour reconnaître que payer ses impôts constitue un acte citoyen, tandis que 55 % d'entre eux souhaitent renforcer les moyens dédiés à la lutte contre la fraude ». Un niveau analogue à celui de 2019. Là aussi, il n'y a rien de surprenant vu l'ampleur de l'évitement fiscal, par voie d'optimisation ou de fraude et le nombre d'affaires en la matière.
L'étude montre en outre un faible niveau de connaissance du système de prélèvement et de redistribution et un besoin de pédagogie. À titre d'exemple, « 16 % des Français ne savent pas s'ils payent la CSG, et parmi ceux qui affirment la payer, 58 % ne connaissent pas son taux. Seuls 15 % des Français situent le taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB entre 40 % et 49 % en France ». Le CPO en déduit qu'il faut donc « améliorer l'information des contribuables sur la façon dont est utilisé l'argent public et les sensibiliser davantage au contrôle de cette dépense ». Mais la recommandation du CPO de « réinterroger régulièrement l'utilisation des prélèvements obligatoires par des revues de dépenses » est toutefois plus ambiguë. Le terme a en effet été utilisé, notamment par Bruno Lemaire, pour « tailler » dans les dépenses, notamment dans les dépenses sociales.
Pour Attac, si la pédagogie de l'impôt et des recettes sociales ainsi que de leur utilisation est une nécessité, ce débat ne doit pas être instrumentalisé par ceux qui mettent en œuvre des politiques qui affaiblissent le consentement à l'impôt et augmentent les injustices de toutes sortes. C'est la raison pour laquelle une campagne en faveur de la justice fiscale est lancée sur la base de propositions visant à renforcer la progressivité de l'impôt et à rééquilibrer la répartition de la contribution commune en faveur de davantage de justice fiscale. Il s'agit d'un enjeu citoyen majeur, notamment à l'heure où le gouvernement entend mettre chacun à contribution pour baisser les dépenses publiques mais refuse de revenir sur ses choix fiscaux alors qu'ils ont provoqué un important manque à gagner budgétaire, n'ont pas relancé l'activité économique et ont au surplus creusé les inégalités et les injustices.