Sous la lumière blafarde des néons qui encerclent le zinc, une affiche dédicacée du "Fabuleux destin d'Amélie Poulain" trône dans un coin du Café des deux moulins, décor pittoresque du film culte de Jean-Pierre Jeunet.
Depuis quelques jours, les clients posés sur les banquettes en skaï rouge parlent de plus en plus du Tour, dont le peloton passera dimanche juste devant l'établissement, dans le bas de la rue Lepic.
"Tout le monde attend ça! Les touristes viennent certes pour le café d'Amélie, mais ils nous demandent tous comment ça va se passer, l'organisation...", raconte Maxim Robillot, l'un des serveurs.
L'une des images cocasses d'une fête inoubliable, que les organisateurs de la Grande Boucle ont voulu faire revivre en ajoutant trois ascensions de la butte Montmartre au parcours de la dernière étape, avant la traditionnelle arrivée sur les Champs-Elysées.
"Avec tout l'engouement qu'il y a derrière le Tour de France, ça va être exactement la même chose que pour les Jeux", prédit Maxim Robillot sous son impeccable chemise blanche de garçon de café parisien.
"Filles du Moulin-Rouge"
L'étroite route pavée qui serpente jusqu'à l'emblématique place du Tertre, ses artistes peintres et ses attrape-touristes, n'est pas encore couverte de messages d'encouragements comme dans les cols des Pyrénées ou des Alpes.
Seuls des panneaux d'interdiction de stationner rappellent pour l'instant que des centaines de milliers de personnes afflueront vers le 18e arrondissement parisien dimanche en fin de journée pour cette première dans l'histoire du Tour.
"Il va falloir arriver de bonne heure pour pouvoir voir quelque chose. On attendra avec des bières", prévoit Julien Lemaître, qui grimpe tous les jours la butte Montmartre pour rentrer chez lui. "Mais avec un vélo électrique!"
Au pied de la basilique du Sacré-Coeur, d'où Paris s'étend à perte de vue, un touriste espagnol fan de vélo, Javier Lopez, dit avoir fait coïncider ses vacances en famille avec la 21e et dernière étape.
"J'avais regardé la course des Jeux à la télé et ça m'avait donné envie", témoigne le Madrilène de 46 ans. "L'ambiance avait l'air folle avec le monde partout, les filles du Moulin-Rouge..."
Une nouvelle "malédiction"
Anne Renaudie apprécie un peu moins cette "nouvelle publicité" pour le quartier, dont certains riverains se sentent déjà étouffés par la surfréquentation touristique.
"Ca va encore être un très beau moment de sport. Les réalisateurs vont forcément faire de magnifiques images. Mais qui va encore payer derrière les conséquences de tout ça?", s'inquiète la présidente de l'association Vivre à Montmartre.
"On dit entre nous qu'il y a deux malédictions à Montmartre: Amélie Poulain et Emily in Paris (une série Netflix sur la vie parisienne d'une Américaine)", poursuit-elle. "On va en rajouter une: le vélo".
Les habitants de la rue Lepic sont approchés depuis des mois par des équipes de télé ou des photographes à la recherche des meilleurs emplacements pour immortaliser la course, retransmise dans 190 pays à travers le monde.
Près du sommet de la côte, une banderole accrochée à un balcon dénonce un projet municipal de piétonnisation du quartier: "Protégeons Montmartre des travaux forcés".
Beaucoup de coureurs du peloton, déjà épuisés par trois semaines de compétition, se seraient sans doute bien passés également de leurs "travaux forcés" supplémentaires à Montmartre.