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08.05.2024 à 06:00

« À Rafah, la guerre a recommencé »

Rami Abou Jamous

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié. Mardi 7 mai 2024. Durant (…)

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Texte intégral (3141 mots)

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Mardi 7 mai 2024.

Durant la journée de lundi, alors que les gens attendaient une bonne nouvelle depuis Le Caire1, les sentiments ont évolué d'heure en heure. Au début, c'était l'inquiétude. Après, il y a eu de la joie. Et ça s'est terminé dans la peur et la tristesse.

Le matin, il y a eu les appels et les tracts lancés sur Rafah par les Israéliens. Comme vous le savez, ces derniers ont divisé Gaza en plusieurs blocs avec des numéros. Et ils ont demandé aux déplacés de quitter une partie de ces blocs. La majorité de la population de la ville a aussi reçu des messages vocaux sur les téléphones, même ceux qui n'étaient pas dans les zones concernées. Et là, c'était vraiment la panique, et surtout la question : où aller ? Est-ce qu'on voulait vraiment partir ? On attendait ce moment tout en se disant qu'il n'allait jamais arriver. Mais les déplacés qui sont dans ces zones, surtout ceux qui ont été chassés de la ville de Gaza, ont déjà vécu ce genre de menace, ils ont vu l'ampleur de l'occupation israélienne. Ils savent ce qu'il se passe quand les Israéliens mènent une incursion. Certains ont donc commencé à chercher un camion à louer, pour prendre le maximum d'affaires.

Faire des réserves, si jamais le terminal ferme

Ce qui a augmenté la panique des gens, c'est que les Israéliens n'ont pas fixé d'ultimatum. Fallait-il partir dans l'heure, ou tout de suite ? Deux heures après environ, les bombardements et les raids aériens ont commencé. Ils ont continué alors que les gens tentaient de fuir. C'est la stratégie des Israéliens pour obliger les gens à partir.

Or, dans ces zones qu'on est censé évacuer, il y a trois lieux importants. D'abord le terminal de Rafah, par où passent les marchandises et surtout l'aide humanitaire ; c'est par là aussi que les gens peuvent sortir, et parmi eux les blessés et les malades qui doivent se faire soigner en Égypte ou ailleurs. Ensuite, l'hôpital principal de Rafah, considéré comme un grand établissement à l'échelle de la ville alors que c'est juste un département de l'hôpital principal de Gaza, Al-Shifa, qui a été complètement détruit. Enfin, il y a le terminal de Kerem Shalom, fermé depuis deux jours. Si tout cela continue, il y aura une vraie crise humanitaire également dans le sud. Déjà avec le peu de camions qui passent, il y a la malnutrition et la famine, surtout dans la partie nord de la bande de Gaza. Et maintenant, les prix ont explosé à nouveau. En seulement une demi-journée, les prix ont été parfois multipliés par 20. Le kilo de sucre qui était à 12 shekels – ce qui était déjà cher par rapport à son prix d'avant la guerre, 4 shekels – est passé à 80 shekels. Le kilo de tomates qui était à 8 shekels en vaut tout à coup 19. Et les gens ne peuvent pas faire de réserves, parce que c'est trop cher.

De plus, il n'y a plus de cash. Personnellement, j'avais toujours un peu d'argent de côté pour les urgences. Mais là, je n'ai plus assez de liquide pour faire des économies, je dois tout dépenser. Exemple : un paquet de couches de 36 pièces qui était à 40 shekels en vaut maintenant 200. J'ai été obligé d'acheter deux paquets pour mon fils parce que je sais que si le terminal reste fermé, il n'y aura plus de couches. Je suis allé aussi dans les pharmacies pour faire des réserves de médicaments. Jusqu'ici, mes amis qui sont en France ou ailleurs m'envoient des médicaments, surtout pour les enfants. Or, si le terminal est fermé pendant un bon moment, je ne pourrai plus recevoir de colis. Et comme tout le monde a eu le même réflexe, les pharmacies sont désormais vides.

Il y aura toujours une riposte

Il y a 1,5 million de personnes à Rafah. Et tout le monde veut faire sa réserve de médicaments. Ces derniers temps, on était un peu plus à l'aise à Rafah, comme je l'ai déjà raconté dans ce journal, et voilà que ça reprend. C'est de nouveau comme dans la première semaine de la guerre, où tout était fermé et où on ne trouvait plus rien.

À la fin de la journée, l'annonce est tombée : le Hamas accepte la proposition américaine et égyptienne. Soudain, les visages se sont métamorphosés, ils ont perdu leur pâleur et leur expression d'inquiétude, de peur de l'avenir, pour laisser à la place à une explosion de joie. Les gens sont descendus dans la rue. Ils applaudissaient, faisaient la fête, surtout dans les écoles où il y avait les déplacés. Pour eux, la fin de la guerre voulait dire le retour chez eux. On savait que ce n'était pas fini mais on était heureux, les gens avaient envie d'entendre quelque chose de positifs après cette journée d'inquiétude, de peur et de morts. Tout le monde sait que Nétanyahou ne veut pas arriver à un cessez-le-feu, mais le Hamas a joué intelligemment. Il a lancé la balle dans le camp israélien en disant : maintenant ce n'est pas eux qui bloquent l'accord.

Si on veut parler stratégie, parlons de ce qui s'est passé la veille, et des tirs de roquettes du Hamas sur Kerem Shalom2. Les Israéliens justifient l'incursion à Rafah par cette attaque du Hamas contre une base militaire proche du terminal – et non contre le terminal lui-même, comme beaucoup le répètent. Bien sûr, les Israéliens attendaient cette occasion pour dire au monde entier : regardez, le Hamas ne veut pas d'un cessez-le-feu ! Des soldats ont été tués, il faut absolument que nous entrions à Rafah pour éradiquer les quatre ou cinq bataillons de la branche armée du Hamas qui s'y trouvent ! Mais quelques heures plus tard, le Hamas acceptait les termes des négociations.

Les tirs sur Kerem Shalom font partie de la politique habituelle du Hamas, pour dire à Nétanyahou qu'il doit toujours prendre en compte la possibilité d'une riposte. Il bombarde Rafah tous les jours, de façon de plus en plus intense depuis un mois, et il est en train d'assassiner des dirigeants : un chef militaire du Jihad islamique, ainsi que d'autres cadres et leurs familles avec eux. De nombreux civils sont morts.

Le Hamas a riposté à ces attaques. Et c'était un message adressé aux Israéliens : ce n'est pas parce que vous bombardez Rafah qu'on ne peut rien faire. C'était politiquement bien joué par de la part du Hamas.

Que la machine de guerre s'arrête

Je crois que Nétanyahou va subir beaucoup de pression, mais qu'il va se montrer aussi malin que le Hamas. Ce qui se passe aujourd'hui, ce n'est pas seulement un affrontement militaire, c'est aussi une bataille politique où chacun veut marquer des points. Je crois que Nétanyahou pourrait saisir cette chance pour dire à son opinion publique et à ses partenaires d'extrême droite que le Hamas a cédé parce que l'armée était entrée à Rafah. D'un autre côté, il pourrait faire croire qu'il ne va pas occuper toute la ville de Rafah, qu'il met juste un peu de pression. Et comme ça tout le monde est content.

Je ne parle pas ici de la population, parce qu'elle n'est pas du tout contente de ce qu'il se passe. Les gens ont applaudi la possibilité d'un cessez-le-feu, mais ça ne veut pas dire que c'est la grande joie, seulement qu'ils veulent que la machine de guerre s'arrête.

Ainsi, on est dans un moment où les deux parties peuvent sortir gagnantes, en annonçant à leur opinion publique qu'elles ont gagné et qu'on peut arrêter la guerre.

Mais revenons à la journée de lundi. À 23 heures, les habitants de Rafah ont appris que l'offensive terrestre avait commencé. Et tout a changé. La peur est revenue, les gens ont commencé à paniquer à nouveau. Et ce matin, quand je me suis réveillé, j'ai vu beaucoup de gens se préparer à partir, et pas seulement dans les « zones d'évacuation ».

Beaucoup de déplacés qui étaient à l'ouest de la ville de Rafah sont en train de se diriger vers le centre de la bande de Gaza. Beaucoup de mes amis sont partis pour Deir El-Balah ou Zawaida, parce qu'ils veulent anticiper, ne pas attendre la dernière minute. Surtout que si 1,5 million de personnes se mettent en marche, on ne va pas trouver de place, même dans la rue.

Un grand massacre pour faire fuir la population

Les gens pensent qu'il vaut mieux partir maintenant pour trouver un bout de terrain où installer ses tentes. Ils ont un peu raison parce que les Israéliens vont probablement appliquer leur méthode habituelle : le terminal de Rafah est fermé, Kerem Shalom est fermé, et les chars sont présents sur l'axe de Philadelphie, entre la bande de Gaza et l'Égypte, au sud. À l'ouest du terminal de Rafah, il y a de très nombreux déplacés dans des camps de fortune. Si les Israéliens arrivent jusque-là, il y aura beaucoup de massacres.

La technique israélienne est bien connue : commettre un grand massacre au début, pour que tout le monde ait peur et fuie. Après quoi, le terrain sera libre et les Israéliens pourront aller jusqu'au bout. Et ainsi, ils pourront réaliser leur objectif, et encercler toute la bande de Gaza.

Le nord de la bande de Gaza est encerclé, l'Est est encerclé, l'Ouest c'est la mer, et maintenant c'est le Sud. Les Israéliens tiennent maintenant toutes les portes d'entrée et de sortie de la bande de Gaza.

Déjà, même quand le terminal entre Rafah et l'Égypte était ouvert, personne ne pouvait entrer ni sortir sans l'accord des Israéliens. Les camions d'aide étaient d'abord fouillés à Kerem Shalom avant de passer par Rafah. Les humanitaires devaient avoir l'autorisation des Israéliens, ce qu'on appelle le cogat, (Coordination of Government Activities in the Territories). Pour les transferts de patients ou de blessés, pour les doubles nationalités et même pour ceux qui avaient payé 5 000 dollars à une compagnie égyptienne, il fallait l'accord des Israéliens. Les Égyptiens ne laissaient sortir aucune personne « listée » par Israël. Les Israéliens n'étaient pas présents mais ils contrôlaient tout. Mais maintenant il y a une présence physique, il y a des chars, et surtout il y a les drapeaux.

Je ne sais pas si vous avez vu ces images, mais les Israéliens font exprès de montrer les emblèmes de l'armée ou d'Israël, que ce soit l'étoile de David qu'ils dessinent dans les maisons qu'ils ont prises, ou les grands drapeaux israéliens, partout. Pour les Gazaouis, les jeunes qui ne sont jamais sortis de Gaza à cause du blocus depuis presque 20 ans, c'est un choc. Pour les gens plus âgés, ça l'est aussi, parce que c'est de nouveau l'occupation. Les Israéliens veulent dire ainsi : On a récupéré la bande de Gaza physiquement, et on est là pour un bon moment.

Partez, pour rester en vie

Voilà donc l'histoire de cette journée, un mélange de crainte et d'espoir, maigre espoir que tout ça va finir. La nuit de l'offensive terrestre de lundi à mardi a été terrible. On peut dire qu'à Rafah, la guerre a recommencé. Ça bombardait très fort, que ce soit dans l'est ou l'ouest de la ville. Le quartier où je suis, Tal El-Sultan, a été bombardé. Il y a eu beaucoup de victimes.

Quand je suis sorti ce matin, il y avait beaucoup de monde autour de moi. Mes voisins avaient accueilli des gens qui avaient fui l'Est de Rafah, de la belle-famille ou des amis. Quand j'ai demandé à ces gens s'ils allaient rester ici si les Israéliens envoient des tracts demandant de quitter la zone, ils ont eu la même réponse que j'avais moi-même donnée quand j'étais à Gaza-ville : « Non, on va rester. » J'ai dit :

C'est votre décision, mais je vais vous parler de mon expérience. Ne restez pas à la dernière minute. Vous avez vu à la télé ce que les Israéliens font contre toute la population de Gaza, sauf à Rafah jusqu'à présent ? Mais ces images n'ont rien à voir avec le fait de vivre ça. Nous, on l'a vécu. Et je vous conseille tous de partir, pour vos familles, pour vos enfants, et pour que vous restiez en vie. Vous n'avez aucune idée de l'ampleur des atrocités dont cette armée est capable. Ils sont capables de tuer des femmes, des enfants, même quand ils sortent avec des drapeaux blancs.

Je leur ai raconté le jour où nous sommes partis de chez nous à Gaza. Mon immeuble avait été bombardé. Un de mes voisin avait été déchiqueté par un obus. Puis un Israélien m'a appelé au téléphone. Il s'est présenté en arabe comme « Abou Ouday » (« le père d'Ouday »), comme ils le font tous, adoptant ce code de désignation arabe. Il nous a dit : « Vous avez le feu vert, prenez des drapeaux blancs et allez vers l'hôpital Al-Shifa. » Pourtant, ils nous ont tiré dessus. Deux de nos voisins sont morts, le jeune Ahmad El-Atbash et notre chère voisine Sana El-Barbari.

Ma femme Sabah était à côté de ces deux personnes. Bien sûr, les Israéliens disent que c'est le Hamas qui tue les Palestiniens, c'est toujours notre parole contre la leur. Ils sont toujours gagnants car il faut prouver que c'est eux qui bombardent. Comment ? Il n'y a que Dieu qui puisse le faire, parce que ce sont des gens qui ont tous les moyens, il y a juste une soldate ou un soldat derrière un écran qui tire sur des gens qui bougent, c'est comme une console de jeu. Il n'y a pas de sentiments de remords ou bien une quelconque conscience.

J'ai donc dit à mes amis et à mes nouveaux voisins : « Ne faites pas la même erreur, vous allez être tués. » Certains m'ont répondu : « On va faire partir les femmes et les enfants, et nous, les hommes, on va rester. » Je leur ai redit de partir en cas d'injonction israélienne, car pour les Israéliens, tous les hommes sont des combattants :

Vous avez entendu parler des exécutions sommaires à Gaza, dans le quartier de Cheikh Radwan, la famille Khaldi, la famille Annan ? Ce sera la même chose avec vous. Et encore, il y a beaucoup d'histoires qu'on ne connaît pas encore et qu'on découvrira à la fin de la guerre.

Ils n'étaient pas vraiment convaincus, malgré mon insistance. C'est vrai que le fait de rester sur place, c'est une résistance. Mais rester vivant aussi. Et comme je le dis souvent, il faut parfois choisir entre la sagesse et le courage. J'espère que mes voisins vont m'écouter. J'espère que le jour où je vais devoir évacuer — si cela doit arriver —, ils en feront de même. Et j'espère surtout qu'il n'y aura plus de victimes dans cette guerre, et que tout ça va s'arrêter.


1NDLR. De nouvelles négociations autour d'un accord de cessez-le-feu sont en cours dans la capitale égyptienne.

2NDLR. Les tirs ont tué trois soldats israéliens et en ont blessé 12.

07.05.2024 à 06:00

La Libye, plaque tournante d'un trafic d'armes en plein essor

Driss Rejichi

En Libye, les années 2020 ont vu l'émergence d'un environnement favorable aux affaires, avec une diversification des sources d'approvisionnement et une demande intérieure portée par les milices. Malgré les efforts de la communauté internationale pour freiner le phénomène, les conflits ravivés ces derniers mois aux frontières du pays confortent la Libye dans sa place de plateforme régionale. C'est une bien curieuse indiscrétion que les militaires russes ont commise à Tobrouk, grande ville (…)

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En Libye, les années 2020 ont vu l'émergence d'un environnement favorable aux affaires, avec une diversification des sources d'approvisionnement et une demande intérieure portée par les milices. Malgré les efforts de la communauté internationale pour freiner le phénomène, les conflits ravivés ces derniers mois aux frontières du pays confortent la Libye dans sa place de plateforme régionale.

C'est une bien curieuse indiscrétion que les militaires russes ont commise à Tobrouk, grande ville de l'est libyen, ce dimanche 14 avril 2024. Sur des images publiées par le média libyen Fawasel1 en fin de journée, une dizaine de camions militaires KamAZ progressent le long de la jetée vers les entrepôts du port de la ville, leur cargaison recouverte de grandes bâches vertes.

Peu de doutes subsistent sur la nature des éléments transportés, également visibles sur la vidéo. Bâchés eux aussi, l'allure et les dimensions des deux petits chariots trahissent la présence de mortiers lourds. La source anonyme qui a fourni ces images à Fawasel a aussi précisé qu'il s'agissait de « la cinquième livraison d'équipement militaire à Tobrouk en quarante-cinq jours ». Une dernière livraison a même été observée par imagerie satellite en source ouverte aux alentours du 20 avril, sans qu'aucune image ne fuite sur les réseaux sociaux cette fois-ci.

Depuis 2018 au moins, le soutien de Moscou au maréchal Khalifa Haftar nourrit en partie le monopole de ce dernier sur l'est du pays, face au gouvernement de l'ouest basé à Tripoli et reconnu par l'Organisation des Nations unies (ONU). Néanmoins, « c'est la première fois que les Russes font délivrer de l'équipement militaire d'une manière aussi massive et aussi provocatrice », relève Jalel Harchaoui, chercheur associé au RUSI et spécialiste de la Libye.

La provocation est de taille, puisque ces livraisons violent frontalement l'embargo sur les armes voté par l'ONU en 2011. En mars 2021, il avait d'ailleurs été qualifié de « totalement inefficace » par le groupe d'experts de l'ONU sur la Libye. Selon Harchaoui, la Libye peut désormais être considérée comme « un espace qui agit telle une véritable plateforme, une plaque tournante du trafic d'armes ».

Des importations difficiles à juguler

Ces dernières années, la communauté internationale a pourtant multiplié les efforts pour appliquer l'embargo sur les armes. En mars 2020, l'Union européenne (UE) a ainsi lancé l'opération Irini, en Méditerranée centrale. « Vingt-trois pays sur les vingt-sept États membres y contribuent, c'est-à-dire que tout le monde y voit un intérêt stratégique », explique l'amiral français Guillaume Fontarensky, commandant adjoint de l'opération.

Les navires déployés patrouillent entre la Sicile et la Crète, au large des côtes libyennes. Ils sont guidés depuis le quartier général de l'opération Irini, établi dans une base de l'armée italienne à Rome. « Ici, nous avons en permanence des militaires qui suivent l'évolution de la situation, et réagissent en cas de besoin », souligne l'amiral Guillaume Fontarensky. À l'aide de sources ouvertes et de moyens techniques propres, ces opérateurs scrutent la mer à la recherche de cargos suspects.

« Concrètement, ce que l'opération a intercepté en quatre ans, ce sont surtout les gros colis, note l'amiral Fontarensky, car ils sont bien plus visibles que des munitions ou des armes de poing ». En juillet puis en octobre 2022 par exemple, 146 véhicules blindés, comme des pickups modifiés et des BATT-UMG (véhicules blindés) ont ainsi été saisis sur des bateaux de transports marchands. Il s'agit de l'une des plus grosses prises de l'opération Irini à ce jour.

Malgré ces succès, les militaires sont confrontés à plusieurs obstacles, telle que l'absence de collaboration des autorités libyennes. « Il n'y a pas de situation politique stable, avec une administration unifiée, et un corps de garde-côte identifié par exemple, poursuit l'amiral, nous aurions tout intérêt à faire du développement capacitaire auprès des Libyens ».

Autre difficulté : la multiplication des acteurs extérieurs qui cherchent à envoyer des armes en Libye. Pour les interceptions de 2022, le premier navire a été dérouté après avoir franchi le canal de Suez, tandis que le second avait été identifié quelques mois plus tôt pour avoir livré à Benghazi des blindés légers fabriqués aux Émirats arabes unis. « Il est clair que le pays est exposé à de multiples influences, qui engendrent de multiples instabilités », reconnaît l'amiral Fontarensky. Certains pays comme la Turquie et plus récemment la Russie n'hésitent pas à faire escorter certains cargos pour la Libye par des bâtiments militaires, dans une logique dissuasive.

Des réseaux d'approvisionnement tentaculaires

« Il y a d'abord les acteurs qui disposent d'une vision stratégique en Libye », indique Jalel Harchaoui. Les saisies de l'opération Irini en 2022 pointent du doigt le rôle croissant joué par les Émirats dans l'approvisionnement du marché libyen. À l'instar de la Russie, cette monarchie du Golfe soutient activement le maréchal Haftar depuis plusieurs années. Entre 2013 et 2022, le groupe d'experts de l'ONU2 a relevé des dizaines de violations de l'embargo, concernant parfois de l'armement lourd : hélicoptères Mi-24, drones Wing Loong, ou système de défense antiaérien Pantsir.

L'épisode des livraisons de matériel russe à Tobrouk révèle aussi l'importance que le port en eaux profondes de l'est libyen pourrait prendre pour le Kremlin. « Il faut s'attendre à d'autres livraisons de ce type », avertit le chercheur. Déjà impliquée dans la livraison d'armement lourd en Libye, la Russie déploie désormais sa nouvelle organisation militaire sur le continent, l'Africa Corps. Ses hommes ont remplacé le groupe Wagner en Libye, et s'installent aujourd'hui dans des pays frontaliers comme le Niger. « Réaliser de grosses livraisons maritimes en quelques heures représentera un atout à l'échelle quasi-continentale », remarque Harchaoui.

La Turquie a également été pointée du doigt par le député européen Özlem Demirel au Parlement européen le 23 juin 20203 pour ses violations régulières de l'embargo, en forçant le passage en Méditerranée centrale afin de livrer des armes lourdes à ses alliés de l'ouest libyen. Harchaoui souligne aussi le rôle joué par de « petits acteurs sans idéologie » telle que la Syrie de Bachar Al-Assad, dont l'objectif « est simplement de vendre des armes ». Le chercheur rappelle enfin l'importance des filières liées au crime organisé « qui n'ont pas de préférence pour l'ouest ou l'est ».

Des acteurs mafieux établis des Pays-Bas à l'Inde, en passant par la Turquie. « C'est un marché mûr, avec une vraie diversité de provenance », résume le chercheur. Il ajoute que ce type d'acteurs s'adonne bien plus rarement à la livraison d'armement lourd : « En dehors de livraisons spéciales, il s'agit surtout d'armes légères, comme des pistolets et des fusils ».

Un marché domestique foisonnant et dérégulé

Une fois en Libye, ces armes nourrissent d'abord la demande intérieure. Si la guerre entre l'est et l'ouest a pris fin en octobre 2020, le contrôle du territoire reste fragmenté entre une multitude de groupes armés. « En Libye, l'État est constitué de milices, qui sont les seuls organes à projeter sa puissance », précise Jalel Harchaoui. Selon lui, l'effacement des « acteurs purement idéologiques » tels que les groupes djihadistes s'est fait au profit des milices qui ont eu « le talent de comprendre la logique de l'argent » en associant leur mandat paramilitaire à des activités criminelles.

Un rapport publié en mars 2024 par le Small Arms Survey4 se penche par exemple sur le cas de la ville côtière de Zawiya, à 40 km à l'ouest de Tripoli. Sur les quatre milices présentes à Zawiya, « trois sont profondément impliquées dans l'économie illicite ». Dans ce contexte, peu de freins sont posés aux échanges d'armes à feu à l'intérieur de la Libye. « Si vous êtes une milice qui a de l'argent, vous pouvez vous armer facilement », affirme Jalel Harchaoui.

Il n'est même pas nécessaire de se rendre en Libye pour percevoir la facilité avec laquelle les armes s'échangent. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses pages et groupes, parfois publics, proposent de mettre en relation acheteurs et vendeurs. Sur l'un de ces canaux, ouvert par des miliciens d'un groupe armée de Zintan (à l'ouest), de nouvelles annonces sont postées chaque jour. Grenades, fusils d'assaut, mitrailleuses lourdes, mais aussi mortiers, lance-roquettes et canons antiaériens : tout ou presque est mis en vente. En février 2024, une annonce proposait même un lanceur de missiles antichar Milan, développé par le groupe franco-allemand Euromissile.

La plupart des membres ne prennent même pas la peine de rendre leurs comptes anonymes. Les profils donnent à voir de jeunes hommes en treillis, originaires de l'ouest comme de l'est. Ils communiquent avec clarté sur la provenance des armes. « On les a ramenées de Tchéquie », assure un vendeur en envoyant la vidéo de kalachnikovs qu'il met en vente à 3800 dinars (740 euros). « Tout est en place, elles marchent bien. On fait les deux à 6000 dinars », signale l'annonce datée du 12 avril 2024.

Nouveaux conflits, nouveaux clients

La stabilisation relative du paysage politique libyen a un effet pervers. « Puisqu'en ce moment il n'y a pas de guerre en Libye, les groupes armés n'achètent pas de manière euphorique, et les armes peuvent sortir », alerte Jalel Harchaoui. De plus, les nouveaux conflits qui ont éclaté aux portes de la Libye ces derniers mois remobilisent les filières du trafic d'armes régional.

C'est le cas du Soudan par exemple, où la guerre civile fait rage depuis avril 2023 entre l'armée et les rebelles des Forces de soutien rapise (FSR). « La Libye est en train de devenir l'une des plus importantes plateformes pour les FSR », avance Hager Ali, chercheuse au German Institute for Global and Area Studies et spécialiste du Soudan5. Officieusement soutenus par les Émirats arabes unis, les FSR bénéficient de livraisons « de munitions, de carburant, de matériel médical et logistique depuis le mois d'avril 2023 », effectuées par les hommes du maréchal Haftar. « Il y a différentes routes de trafic entre la Libye et le Soudan », poursuit la chercheuse qui met également en exergue le rôle de « certains axes passant par le Tchad ». L'objectif des Émirats est de brouiller les pistes : « Plus il y a de pays de transit pour l'envoi d'armes, plus il est difficile de les retracer jusqu'à leur expéditeur ».

Dans les pays du Sahel, l'arrivée des juntes au pouvoir a provoqué un regain des tensions au niveau régional. Pour le Mali par exemple, un rapport publié en janvier 2024 par Small Arms Survey établit que « du matériel utilisé par les groupes extrémistes est arrivé par de récents flux illicites provenant de Libye ». Des armes essentiellement légères, comme des obus serbes, des mitrailleuses chinoises ou encore des grenades jordaniennes. Si le Mali avait déjà bénéficié de flux d'armes libyens dans les années 2010, le rapport précise que « ces convois étaient devenus peu fréquents aux alentours de 2017 ». Contactés, les auteurs du rapport estiment probable que les armes libyennes soient également achetées par des acteurs extrémistes au Burkina Faso ou au Niger, d'autant plus que ce dernier partage une frontière avec la Libye et constitue un lieu de passage pour les trafiquants.

« C'est encore plus facile si ce sont des grenades »

« Il n'y a plus le côté "déversement chaotique" d'armes comme en 2013-2014 », reprend Harchaoui. « Aujourd'hui, la Libye est un endroit où vous pouvez faire votre shopping. Un supermarché dont les limites restent purement économiques ».

Adam6, la trentaine, a rejoint la Libye il y a quelques mois. Entre 2018 et 2023, le jeune homme combattait pour un groupe de rebelles anglophones au Cameroun. « Ma dernière mission était sanglante. On a arrêté mes parents, donc je me suis enfui du pays », souffle-t-il. Adam garde des liens avec les indépendantistes anglophones. Selon le jeune homme, « il est tout à fait possible d'envoyer des armes par la Libye puis le Niger, mais ça coûte de l'argent ». Sur de telles distances, Adam précise cependant qu'il est possible de transporter que des armes légères, « des fusils, des pistolets… C'est encore plus facile si ce sont des grenades ». Pour une rébellion aux ressources financières limitées, le calcul est vite fait, et les anglophones « préfèrent acheminer les armes depuis le Nigeria », un pays voisin.

Adam reconnaît toutefois plusieurs avantages au marché libyen. « Ici, les policiers ne vérifient pas vraiment les véhicules, ils se soucient surtout de l'argent qu'ils vont toucher », livre l'ex combattant. Le jeune homme dit trouver « dommage qu'il n'y ait pas plus de livraisons venant de la Libye », louant la qualité du matériel disponible sur place. « Certains fusils que je vois ici sont de très bonne qualité… Des armes russes, turques, françaises ».


1Fawasel media est diffusé via les réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram, YouTube.

2« Final report of the Panel of Experts established pursuant to resolution 1973 (2011) concerning Libya », United Nations Security Council, 2022.

3Özlem Demirel, « Secret arms shipments from Turkey to Libya », European Parliament, 23 juin 2020.

4Wolfram Lacher, « A political economy of Zawiya. Armed Groups and Society in a Western Libyan City », Small Arms Survey, 2024.

5Hager Ali, « The War in Sudan : How Weapons and Networks Shattered a Power Struggle », GIGA Focus Middle East, n°2, 2024.

6Le prénom a été changé.

06.05.2024 à 06:00

« L'Orient-Le Jour », symbole centenaire de la presse indépendante

Clotilde Bigot

Né de la fusion entre L'Orient, fondé en 1924, et Le Jour, fondé en 1934, le quotidien francophone de Beyrouth fête cette année son centenaire. Au fil des guerres et des crises, le journal s'est adapté aux évolutions du Liban ainsi qu'aux nouveaux usages des médias. Dans un contexte de crise économique, il a su se maintenir à flot, et lorgne désormais vers les lecteurs anglophones. L'Orient-Le Jour, c'est le journal des « tantes d'Achrafieh » (quartier à l'est de Beyrouth), ces vieilles (…)

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Texte intégral (1752 mots)

Né de la fusion entre L'Orient, fondé en 1924, et Le Jour, fondé en 1934, le quotidien francophone de Beyrouth fête cette année son centenaire. Au fil des guerres et des crises, le journal s'est adapté aux évolutions du Liban ainsi qu'aux nouveaux usages des médias. Dans un contexte de crise économique, il a su se maintenir à flot, et lorgne désormais vers les lecteurs anglophones.

L'Orient-Le Jour, c'est le journal des « tantes d'Achrafieh » (quartier à l'est de Beyrouth), ces vieilles dames chrétiennes qui parlent français entre elles et viennent de la haute société libanaise. Cette image, assumée par le journal lui-même, qui célèbre ses cent ans en 2024, est en passe d'évoluer avec la conquête d'un nouveau public plus jeune et plus international, qui consomme autrement les médias. À l'aube de son centenaire, il était temps de prendre le virage numérique qui entraine inévitablement un bouleversement du ton et des formats. Cette impulsion, déjà entamée il y a plusieurs années, est un nouveau tsunami dans le milieu médiatique au Liban. Pour sortir de son image « tout en l'honorant », le journal avait en effet décidé, il y a 25 ans, de se tourner vers l'avenir en lançant son premier site internet dès la fin des années 1990. L'Orient-Le Jour était ainsi devenu un pionnier du numérique au Moyen-Orient.

Aujourd'hui, le quotidien continue de représenter beaucoup pour les francophones libanais. Car dans un pays marqué par les fractures politiques, il reste une voix libre et non-partisane. La thaoura (révolution) d'octobre 2019, suivie de la pandémie de Covid-19, de l'explosion au port de Beyrouth en août 2020, et dernièrement de la guerre à Gaza et au sud du Liban, ont boosté les abonnements numériques. « Près de la moitié de nos lecteurs se trouvent en France, et huit personnes sur dix qui entrent sur notre site ne vivent pas au Liban », explique Fouad Khoury Hélou, le directeur exécutif du journal. Les audiences montrent l'intérêt de la diaspora libanaise à travers le monde pour ce qu'il se passe dans le pays et plus largement dans la région. L'explosion au port de Beyrouth, qui a emporté une partie de la ville le 4 août 2020, a vu les audiences tripler. Le même phénomène a été observé après le tremblement de terre en Turquie, début février 2023, dont les secousses ont été ressenties jusqu'au Liban.

Marc Farra, 33 ans, est un Libanais francophone qui travaille pour une entreprise aux États-Unis où il a vécu une partie de sa vie. Ses parents sont abonnés à la version papier de L'Orient-Le Jour, et lui est abonné à la version en ligne de L'Orient Today. « C'est l'un des seuls médias libanais pour lesquels je suis prêt à payer. Le contenu est centriste, non-partisan, et je leur fait confiance, même s'ils tombent parfois dans de la pure francophonie ». Cet avis est partagé par de nombreux jeunes Libanais trilingues. Éduqués dans les écoles françaises, mais ayant vécu et travaillé dans des pays anglophones, ils gardent un œil sur leur pays d'origine. Marc fait partie de ces Libanais de l'étranger qui sont rentrés à la suite de la thaoura. Impliqué dans la vie communautaire, il continue de croire en son pays. « C'est pour cette raison que l'on se bat tous les jours au journal », appuie l'un des rédacteurs en chef, Anthony Samrani. « On croit au Liban, et on veut continuer de produire un journal libre, qui critique à la fois l'Iran, l'Arabie Saoudite, et Israël, tout en condamnant les attaques du Hamas le 7 octobre ».

« Comme un livre, le journal a une âme »

Joumana Jamhouri était abonnée à la version papier de L'Orient-Le Jour depuis des années cependant, comme de nombreux Libanais, il a fallu réduire les dépenses. « Nous sommes passés à l'abonnement numérique, mais c'est temporaire. Dès que notre situation financière s'améliore, je veux absolument repasser à l'abonnement papier ». Ses amis préfèrent eux aussi la version papier, tels June Nabaa et son mari : « C'est comme un livre, le journal papier a une âme ». Ils racontent être abonnés à L'Orient-Le Jour depuis 1986, « la date de notre mariage ». Une certaine génération, attachée au papier, qui perdure mais ne durera pas pour toujours. « Si, demain, nous arrêtons la version papier de L'Orient-Le Jour, certains de nos lecteurs penseront que nous avons complètement disparu », remarque Fouad Khoury Hélou. Cette idée ne convainc personne dans les locaux du journal car la version papier est en elle-même rentable. Son prix est passé de 3 000 livres libanaises avant la crise, soit l'équivalent de 1,80 euros, à 200 000 livres libanaises aujourd'hui, l'équivalent, d'environ 2 euros, après la dévaluation de la monnaie locale face au dollar1.

Toutefois l'avenir est au numérique, alors le journal s'adapte et mise depuis une dizaine d'années sur son site internet et son application mobile. La majorité des visites de la version en ligne sont issues de l'étranger, dont 40 % de la France, et le reste du Golfe, du Canada, ou de l'Australie, qui concentrent une forte communauté libanaise. Ce sont ces meghterbin (expatriés) comme on les appelle au Liban, que le journal souhaite attirer. « Nous avons atteint un plafond au Liban, la moitié de nos abonnés vivent ici, et l'autre moitié réside à l'étranger. Nous voulons pousser ces libanais de l'étranger à s'abonner au site », appuie le directeur.

Il s'agit surtout de dépoussiérer l'image du journal et de partir en quête d'une audience qui a perdu tout intérêt pour les médias traditionnels. « C'est l'effet Trump », analyse Fouad Khoury Hélou. Ainsi, le journal a lancé L'Orient Today, sa version web en anglais, en toute humilité. « Nous savons bien qu'il n'est pas possible de concurrencer les grands médias anglophones de la région », admet-il. Mais considéré comme une source fiable par une nouvelle fraction de Libanais non francophones, le site a tout de même acquis une notoriété.

Le succès des nouveaux formats

« Nous avons réussi à faire de belles choses à L'Orient Today, des formats plus courts et plus didactiques, c'est ce que demande la nouvelle génération, explique pour sa part Marie-José Daoud, ex rédactrice en chef de la version anglophone qui vient tout juste de quitter son poste. « Une partie de notre contenu est une traduction des articles de la version française », précise-t-elle. Les équipes de journalistes francophones et anglophones sont elles aussi plus jeunes, et habituées aux nouveaux médiums d'information. Le format vidéo, diffusé via les réseaux sociaux, a été intégré dans le courant de l'année 2022, afin de s'adapter aux nouveaux formats des médias et à des habitudes de consommation différentes. « Nous sommes passés d'un journal à un média », résume ainsi Fouad Khoury Hélou.

Dans un pays sous perfusion étrangère, dont l'électricité provient pour l'essentiel de générateurs privés, avec un taux du dollar fluctuant, faire fonctionner un journal implique d'avoir la foi. « Nous croyons en notre voix de quotidien francophone libre, c'est pour cela que nous continuons malgré les difficultés du pays », affirme Anthony Samrani avant d'ajouter que « les cent ans du quotidien sont une étape mais pas une fin en soi, une façon de regarder notre immense héritage, de l'assumer, et d'avancer dans une nouvelle direction ». L'Orient-Le Jour jouit en réalité d'une liberté éditoriale rare dans la région. Pouvoir critiquer l'Arabie saoudite, Israël et l'Iran tout en continuant d'exister s'avère un défi au Moyen-Orient. C'est pourtant bien la raison d'être à la base de ce journal, aujourd'hui centenaire.


1Avant la crise financière de 2019, 1 dollar valait 1 500 livres libanaises, contre 90 000 livres aujourd'hui.

06.05.2024 à 06:00

« C'est la première fois qu'on voit des universités manifester pour la Palestine ! »

Rami Abou Jamous

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié. Samedi 5 mai 2024. Ce (…)

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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Samedi 5 mai 2024.

Ce samedi matin, pour la petite conférence de presse improvisée devant chez moi, il y avait beaucoup plus de monde que d'habitude. Ils ne voulaient savoir qu'une chose : les négociations en cours vont-elles enfin aboutir à une trêve ? Est-ce que vraiment on va retourner chez nous ?

L'ambiance en général est à l‘inquiétude. On attend, on attend… On espère une bonne nouvelle. J'ai déjà dit dans ce journal que je me sens souvent obligé de mentir pour remonter le moral des gens, mais je tiens parfois compte du climat général. Et là j'ai pensé qu'il fallait montrer un peu d'optimisme, parce que les gens attendent avec impatience la bonne nouvelle d'un cessez-le-feu, même si ce sera juste une trêve de 40 jours, avec la possibilité d'un renouvellement. Les gens ont envie d'entendre ça, ils n'ont pas entendu de bonne nouvelle depuis sept mois. Ma réponse fut donc : oui, il y a quelque chose de positif cette fois-ci, les Américains mettent beaucoup de pression, ils ont intérêt à ce que tout ça finisse. J'ai ajouté : « Regardez ce qui se passe aux États-Unis, ces manifestations que j'appelle l'Intifada des étudiants ! » Et devinez quoi : tout le monde était au courant ! Tout le monde disait : « C'est la première fois qu'on voit des universités manifester pour la Palestine ! »

On a chaud au cœur ici de savoir qu'il y a des gens — surtout des étudiants, des jeunes — qui sont en train de manifester pour la Palestine et pour Gaza. On note bien toutefois l'ironie de la situation : on n'a pas vu ça dans les universités des pays arabes ou musulmans. On voit ça en Occident, et surtout aux États-Unis, qui sont les alliés des Israéliens.

On écoute Guillaume Meurice quand on est francophone à Gaza

C'est vrai que l'intifada des étudiants qui est en train de se produire aux États-Unis dans des universités de prestige comme celle de Columbia met beaucoup de pression sur le gouvernement américain. Ces jeunes sont les futurs politiciens et diplomates. Le mouvement se propage partout, même en France. Sciences Po est considérée comme une école d'élite et surtout de préparation à la vie politique, sans oublier la Sorbonne. Ce mouvement de révolte me fait vraiment plaisir. C'est grâce à ce genre de manifestations qu'on peut arriver à un changement, comme avec la guerre du Vietnam dans les années 1960, les manifestations pour le mouvement des droits civils à Columbia aussi ou contre l'apartheid en Afrique du Sud.

En même temps, je suis triste quand je vois qu'en France, on réprime ce genre de manifestations, et interpelle des gens pour « apologie du terrorisme » ou on les accuse d'antisémitisme. Beaucoup de gens ont été convoqués et même licenciés, des personnalités très connues comme Guillaume Meurice, qu'on écoute quand on est francophone à Gaza. Mais je suis sûr qu'on va les défendre et qu'on va voir par exemple avec des affiches qui disent « je suis Meurice ».

On accuse ces étudiants de blocage ou ces personnalités de ne pas accepter le débat ! Malgré cette répression, les Français continuent à s'exprimer et à défendre les causes justes parce que la devise de la France c'est Liberté, Égalité, Fraternité. Et la grève pour protester, l'arrêt des moyens de transports, ça fait partie de la culture française.

Israël ne représente pas tous les juifs

Une chose très importante : la présence dans ces manifestations de personnes juives. Ainsi, des gens et surtout des jeunes commencent à dénoncer le mensonge des Israéliens et de Nétanyahou quand il dit qu'Israël et les Juifs, c'est la même chose, et qu'être contre la politique d'Israël c'est de l'antisémitisme. J'ai toujours dit qu'en France, on peut défendre les droits des homosexuels, le droit à l'avortement, toutes les libertés qu'on veut… mais quand il s'agit de la question palestinienne, tout de suite malheureusement, c'est la répression, et la crainte d'être accusé d'antisémitisme. Mais maintenant, avec la présence de Juifs dans les manifestations ça change.

Les Occidentaux commencent à comprendre que ça n'a rien à voir. Israël ne représente pas tous les juifs et les anti-israéliens ne sont pas des anti-juifs. J'ai vu des images de musulmans qui priaient et de juifs qui fêtaient la Pâque juive dans les universités américaines, des concerts où tout le monde se mélangeait. Car tout ça n'a rien à voir avec la religion. Grâce à ces manifestations, les jeunes commencent à comprendre qu'à Gaza, ce sont juste des gens qui sont en train de tuer d'autres gens, que c'est un occupant qui est en train de tuer un occupé et que c'est une question politique, pas religieuse.

D'habitude, la question palestinienne est posée par des intellectuels, des personnes informées sur le Proche-Orient. Maintenant, on voit beaucoup plus de gens — surtout des jeunes — qui comprennent ce que c'est que la question palestinienne, qu'il y a un génocide en cours, qu'une machine de guerre est en train de nettoyer toute une population.

J'insiste sur les jeunes d'aujourd'hui parce que je me souviens de mes études à Aix-en-Provence à la fin des années 1990. La plupart des jeunes à l'époque savaient peu de choses sur la Palestine. Beaucoup connaissaient Yasser Arafat, mais pas les Palestiniens. Quand je disais que j'étais palestinien, au début, ils croyaient souvent que je voulais dire pakistanais. Comme je peux passer physiquement pour un Pakistanais ou un Indien, ça entretenait la confusion. Mais aujourd'hui, beaucoup de Français comprennent qu'il y a une occupation en Palestine.

Le Hamas fait partie de la population, on ne peut pas l'éradiquer

Maintenant, pour revenir aux pourparlers : c'est vrai que le Hamas se considère à présent en position de force à cause des pressions américaines et internationales contre Israël et Nétanyahou. Mais j'ai peur que ses négociateurs manquent un peu de sagesse et qu'ils ne fassent pas les concessions nécessaires pour arrêter tout ça. Or le problème, c'est qu'il faut parfois être très sage, même si cette sagesse peut passer pour un manque de courage.

J'espère que cette fois le Hamas ne va pas laisser à Nétanyahou la possibilité de les accuser de refuser la paix ou un cessez-le-feu, parce que ce dernier n'attend que ça. Il veut aller jusqu'au bout, il veut en finir avec Rafah. Il a déjà tenté cela au nord et au centre de la bande de Gaza. Malgré tout ça, les combattants du Hamas sont toujours là. Peut-être qu'ils n'ont plus le même arsenal, mais ils sont toujours là. Et ils détiennent toujours 130 prisonniers israéliens, donc ils sont toujours forts.

Je le dis depuis le premier jour de la guerre : la solution n'est pas militaire, comme en Afghanistan, et comme en Irak. À la fin, il faudra s'asseoir à la même table et négocier, parce que le Hamas fait partie de la population, et qu'on ne peut pas éradiquer la population. Mais même si on tue 2,3 millions de personnes, le Hamas restera toujours là.

Le Hamas, c'est une idée, c'est une idéologie, et elle restera. Je ne peux pas faire de comparaison avec d'autres partis parce que le Hamas est un mouvement où la religion a toujours sa place. Ils sont là dans la société palestinienne, ils sont là à Gaza, ils sont en Cisjordanie, ils sont dans les camps de réfugiés à l'étranger, ils sont même présents dans les pays européens. Il y a un blocus à Gaza, mais il n'y a pas de blocus pour les idées. Le meilleur exemple est celui des Frères musulmans en Égypte. Malgré la chute du gouvernement de Mohamed Morsi1, ils sont toujours là, même s'ils sont affaiblis et qu'ils ne sont plus au pouvoir.

La population a besoin de ce répit

J'ai peur que Nétanyahou se dise : je suis perdant quoi qu'il arrive, je vais donc continuer jusqu'au bout, et qu'il refuse la trêve, en trouvant des prétextes pour continuer la guerre.

Même s'il entre à Rafah, le véritable but de Nétanyahou n'est pas d'achever les « quatre brigades du Hamas » qui s'y trouveraient selon lui, mais de détruire la ville de Rafah, son infrastructure, ses hôpitaux, et de créer une nouvelle zone tampon autour de la Route de Philadelphie2 comme il l'a fait à l'est de l'enclave. L'autre zone fait 14 kilomètres de long sur 100 mètres de large, mais bientôt elle fera un kilomètre et demi de large. Ça veut dire que quartiers entiers vont être rasés, effacés, comme le quartier de Yebna qui est collé à la frontière.

J'ai peur que Nétanyahou fasse ça et que le Hamas de son côté n'accepte pas le cessez-le-feu sans un retrait total de l'armée de toute la bande de Gaza, ainsi que l'annonce par Israël de l'arrêt total de de la guerre. La population a besoin de ce répit.

En même temps, on parle toujours du « jour d'après », du lendemain de la guerre. Tant qu'il y a la guerre, le Hamas sera là. Après la guerre, ce ne sera pas aux Israéliens de décider à la place des Palestiniens. Mais à la fin de la guerre, Nétanyahou partira, et le Hamas, lui, restera. Il aura même peut-être le pouvoir. Mais je crois que la population palestinienne, cette fois, aura son mot à dire.


1NDLR. Suite au coup d'État d'Abdel Fattah Al-Sissi le 30 juin 2013.

2NDLR. Zone tampon entre la bande de Gaza et l'Égypte, en vertu des dispositions des accords de paix entre le Caire et Tel-Aviv.

03.05.2024 à 06:00

Tunisie. Une information sous pression

Lilia Blaise

Depuis le 25 juillet 2021, la liberté de la presse est en recul dans le pays. Pressions exercées sur les journalistes critiques envers le pouvoir, recours à de nouveaux décrets juridiques pour les criminaliser, absence de communication avec les autorités… Autant de problèmes touchant ceux qui se sont battus depuis treize ans pour préserver la liberté d'expression acquise avec la révolution de 2011. « Vous n'êtes pas sur la liste, vous n'êtes donc pas autorisés à entrer. » Cette phrase (…)

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Depuis le 25 juillet 2021, la liberté de la presse est en recul dans le pays. Pressions exercées sur les journalistes critiques envers le pouvoir, recours à de nouveaux décrets juridiques pour les criminaliser, absence de communication avec les autorités… Autant de problèmes touchant ceux qui se sont battus depuis treize ans pour préserver la liberté d'expression acquise avec la révolution de 2011.

« Vous n'êtes pas sur la liste, vous n'êtes donc pas autorisés à entrer. » Cette phrase n'est pas lancée par un vigile à l'entrée d'une soirée VIP, mais par un représentant de la communication du nouveau Conseil national des régions et des districts. Il s'adresse à des journalistes tunisiens et étrangers venus couvrir, le vendredi 19 avril 2024, la séance inaugurale de cette seconde chambre parlementaire élue quelques mois auparavant au suffrage indirect.

« Seuls quelques médias, souvent étatiques et triés sur le volet, sont autorisés à couvrir cette première session », déplore Mourad Zeghidi, journaliste à la radio privée IFM et chroniqueur télé, qui a tenté d'envoyer une équipe. « C'est inadmissible, sachant qu'on nous a déjà refusé l'accès à la première séance plénière du nouveau parlement en mars 2023 », ajoute-t-il. L'année passée, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et la profession avaient protesté devant le parlement qui a finalement ouvert ses portes pour les séances plénières suivantes.

Des lignes de censure floues

Un an plus tard, la déconvenue et l'accoutumance à ce genre de procédés ont pris le dessus, à force d'encaisser les refus de certains officiels. Dans le cas du conseil des régions, des journalistes étrangers ont passé une demi-journée à tenter de joindre les attachés de presse de cette seconde chambre afin de s'inscrire sur la fameuse liste des professionnels autorisés, sans succès. Un manque de communication que Mourad Zeghidi peine à expliquer :

Nous avons un mal fou à contacter les autorités de manière générale pour avoir leur point de vue. Par exemple, nous avons tenté d'avoir une réponse du ministère de l'industrie sur sa décision de sortir le phosphogypse à Gabès de la liste des produits dangereux alors qu'il ne l'est pas. Nous n'avons eu aucune réponse. Ni refus, ni retour.

Le journaliste ne sait plus sur quel pied danser « car on arrive quand même à poursuivre notre travail sur d'autres aspects. Par exemple, nous avons fait une émission sur les prisonniers politiques méconnus et victimes de détention prolongée dans diverses affaires, dont celle du complot contre la sûreté de l'État1, sans subir de représailles », admet-t-il. Le 24 avril, la juge d'instruction au pôle judiciaire antiterroriste a pourtant réitéré l'interdiction pour les médias de parler des développements dans cette affaire, malgré la clôture de l'instruction le 12 avril. Une proscription similaire avait déjà été émise par communiqué en 2023 sans plus d'explications.

Les lignes de la censure sont sans cesse troublées, et les interdictions de couvrir tel ou tel évènement, rarement justifiées. Très peu de médias ont pu par exemple avoir accès à la centaine de blessés palestiniens rapatriés par la Tunisie depuis les bombardements sur Gaza à la suite de l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Si les médias ont pu couvrir de loin leur arrivée à l'aéroport de Tunis 18 décembre 2023, depuis, c'est le black-out total. « Cette décision d'interdire l'accès est assez inexplicable. Lors des différentes guerres en Libye après 2011, nous avons toujours pu avoir accès aux blessés libyens de différents camps qui venaient se faire soigner dans des cliniques tunisiennes », fait remarquer le journaliste Bassam Bounenni. Les raisons invoquées sont diverses et variées : risques d'infiltration ou d'exposition traumatisante pour les blessés, peur d'une instrumentalisation de la question palestinienne par les journalistes, absence de vis-à-vis pour demander des autorisations… Des motifs non officiels qui s'échangent entre les journalistes, faute d'avoir plus d'explication de la part des autorités. La seule interview qui ait circulé est celle d'une blessée palestinienne mineure, donnée à la radio nationale en avril, et encadrée par la porte-parole du Croissant-Rouge et l'accompagnateur de la jeune fille en studio.

De la cybercriminalité à la répression

Autre sujet peu médiatisé, le sort des migrants subsahariens dans les campements de fortune au cœur des oliveraies d'El-Amra et Jebiniana dans le sud-est du pays, non loin de Sfax. Cette situation est le résultat d'une politique sécuritaire musclée menée depuis février 2023 après un communiqué de la présidence dénonçant l'arrivée de « hordes de migrants subsahariens dans le pays », dont le but serait de « changer la démographie de la Tunisie ». Depuis, les contrôles se sont renforcés sur les personnes en situation irrégulière, et beaucoup de migrants ont perdu travail et logement. Les migrants subsahariens qui arrivent en Tunisie par voie terrestre via l'Algérie et la Libye se dirigent désormais directement vers les oliveraies, en attendant de pouvoir payer un départ vers les côtes italiennes. « Leur parcours migratoire à Sfax et dans ces oliveraies est resté très peu traité par les médias. Cela a favorisé la montée de l'hostilité envers ces migrants », explique Bassam Bounenni. Par peur de déplaire au pouvoir, d'être arrêtés sur place ou faute de moyens, peu de médias tunisiens vont sur le terrain pour couvrir ce sujet qui reste sensible. Les débats se font souvent sur les plateaux radio et télévisés, non sans dérapages racistes.

Entre autocensure, manque de communication avec les autorités et sous-médiatisation de certains sujets, difficile de mesurer le baromètre de la liberté d'informer en Tunisie. « Concrètement, on continue de travailler. Mais il y a quand même des journalistes qui se demandent à chaque fois quand viendra leur tour d'avoir des problèmes », résume Mourad Zeghidi en plaisantant à moitié. La radio pour laquelle il travaille n'est pas en reste. Le 24 avril, une journaliste d'IFM, Khouloud Mabrouk, a été convoquée et interrogée par une équipe de la garde nationale, à propos d'une interview faite avec un ancien ministre, Mabrouk Korchid, et l'avocat Samir Dilou, membre du comité de défense des prisonniers dans l'affaire du complot contre la sûreté de l'État. Si elle a été maintenue en liberté, une enquête a néanmoins été ouverte. Le 31 mars, c'est l'avocate et chroniqueuse de la même radio, Sonia Dahmani, qui a fait l'objet d'une enquête en raison de déclarations pouvant nuire à la sécurité publique et relever de la diffamation, sur la base du décret 54. Ce décret a été promulgué en 2022, officiellement pour contrôler la cybercriminalité et la diffusion de fausses informations via les réseaux sociaux. Cependant dans les faits, il sert à réprimer les journalistes et les voix critiques sur les réseaux sociaux. Sonia Dahmani a également été convoquée en janvier 2024 pour d'autres déclarations, sur la base de ce même décret. Les deux affaires font suite à des questionnements émis à l'antenne sur le travail du gouvernement.

Le 10 janvier, un autre journaliste de la chaîne, Zied El-Heni est libéré après dix jours de prison. Accusé de diffamation pour avoir traité la ministre du commerce de « cazi » — mot familier en arabe tunisien pour signifier « cassos » —, il a été condamné à six mois de prison avec sursis. Mais depuis sa libération, il a dû cesser sa collaboration avec la radio IFM sur la base d'un commun accord.

L'État contre les journalistes ?

Actuellement, le journaliste de la radio CAP FM, Mohamed Boughalleb purge une peine de six mois de prison ferme. Il a été condamné pour avoir « porté atteinte à l'honneur » d'une fonctionnaire du ministère des affaires religieuses, après avoir questionné des déplacements à l'étranger a priori injustifiés avec le ministre aux frais de l'institution. Ces affaires témoignent d'une « régression » pour la liberté de la presse, selon un communiqué de Reporters sans frontières sur la détention du journaliste qui dénonce une peine disproportionnée par rapport aux faits reprochés. « La tendance à recourir à l'emprisonnement est une menace clairement adressée à ceux qui assument pleinement leur rôle de journalistes », peut-on lire dans le communiqué.

Une autre nouvelle tendance émerge aussi dans ces procès qui condamnent à la hâte les journalistes. Les plaintes émanent souvent de ministres ou d'instances officielles. C'est notamment le cas du journaliste Haythem El-Mekki, chroniqueur satirique connu de la radio Mosaïque FM, convoqué devant le tribunal de Sfax après une plainte à son encontre déposée par l'hôpital de Sfax pour « diffusion de photos sans autorisation afin de semer le trouble ».

« Je ne comprends pas que l'on me reproche d'avoir parlé d'un problème qui était de notoriété publique, à savoir la saturation de la morgue de l'hôpital de Sfax à cause des naufrages des embarcations de migrants », s'indigne Mekki qui n'a même pas diffusé de photo à ce sujet. Il ajoute que le tweet posté n'est pas celui pour lequel il a été accusé, et que la capture d'écran figurant dans le dossier d'accusation provient d'un compte non vérifié.

Malgré mon interrogatoire détaillé avec la brigade sur le sujet, je suis quand même convoqué devant le juge. Je n'aurais jamais pensé qu'un hôpital puisse déposer une telle plainte.

Son audience est fixée au 16 mai. Pour lui, il s'agit d'une forme de « harcèlement » qu'il lie à une deuxième convocation par la justice l'année passée avec deux de ses collègues de la radio, dans le cadre d'une autre affaire. Haythem Mekki avait pourtant diminué son temps d'antenne après l'emprisonnement du directeur de Mosaïque FM Noureddine Boutar, libéré sous caution après trois mois de détention dans le cadre d'une affaire de blanchiment d'argent et de complot contre la sûreté de l'État. Aujourd'hui, malgré une exposition médiatique réduite, il estime ne pas être à l'abri de ces procès de complaisance.

Je ne pense pas que ça soit des affaires directement commanditées d'en-haut, mais plutôt des entités qui veulent régler des comptes ou se faire bien voir du pouvoir. Et l'ambiance répressive actuelle leur permet d'agir.

Les lignes rouges sont tellement floutées que le journaliste Bassem Bounenni estime qu'il n'y a pas de « logique ou de rationalité dans la censure, et c'est ce qui est d'autant plus inquiétant ».

Le décret 54, épée de Damoclès

Dans les faits, selon les rapports de plusieurs ONG, le décret 54 est souvent utilisé pour criminaliser les déclarations des journalistes alors qu'il existe les décrets 115 et 116 depuis 2011 permettant de réguler la profession. Les bloggers ou internautes qui critiquent le pouvoir sur les réseaux sociaux sont également ciblés par le décret 54. Le nombre de cas reste difficile à recenser, selon Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch à Tunis. « Nous n'avons pas le détail de toutes les affaires qui tombent sous le décret 54. Nous ne pouvons donc répertorier que celles qui sont communiquées par les avocats ou dénoncées par les victimes et les médias. Et certaines personnes préfèrent ne pas rendre leur affaire publique », explique-t-elle. L'ONG a noté quatre condamnations sur la base de ce décret ainsi que 9 journalistes poursuivis et faisant l'objet d'enquêtes. En tout, 28 personnes sont concernées par ce décret, selon les chiffres de Human Rights Watch. Le Syndicat des journalistes tunisiens en a répertorié 40.

Selon Salsabil Chellali, ces chiffres pourraient être revus à la hausse à l'approche de l'élection présidentielle dont on ne connaît pas encore la date mais qui est censée avoir lieu d'ici le mois d'octobre.

Le décret 54 est un outil de dissuasion. Il pose l'idée de lignes rouges à ne pas franchir pour la presse, sans que l'on sache réellement quelles sont ces lignes rouges. La crainte est de voir durant la période électorale de plus en plus d'instances gouvernementales recourir à ce décret pour empêcher tout débat, et faire taire les voix critiques.

Hors du champ journalistique, l'opposante à Kaïs Saïed et présidente du Parti destourien libre Abir Moussi est actuellement en prison sans procès depuis six mois sur la base du même décret. Elle a été visée par une plainte émanant de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) en janvier 2024 pour des propos tenus en 2023 sur les élections. L'opposant Jaouhar Ben Mbarek, en détention sans procès depuis plus d'un an dans l'affaire dite du complot contre la sûreté de l'État, a été condamné à six mois de prison ferme en février 2024 dans le cadre d'une plainte également déposée par l'ISIE, après avoir qualifié les élections législatives de 2022 de « mascarade » et de « coup putschiste ».


1Depuis le 11 février 2023, plusieurs opposants politiques ont été arrêtés et placés en détention préventive, accusés d'avoir fomenté un complot contre la sûreté de l'État. Huit détenus sont dans l'attente d'un procès jusqu'à aujourd'hui. Leur comité de défense et les ONG de défense des droits humains dénoncent des dossiers vides et une affaire d'acharnement politique visant à éliminer l'opposition.

03.05.2024 à 06:00

« On a peur de mourir à la dernière minute »

Rami Abou Jamous

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié. Jeudi 2 mai 2024. Comme (…)

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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Jeudi 2 mai 2024.

Comme vous le savez, j'ai appris à Walid à applaudir quand il entend un bombardement, pour lui faire croire que c'est une sorte de jeu. Lundi, il a applaudi plusieurs fois, très fort. Cette fois, ça m'a vraiment fait peur. Les bombes tombaient tout autour de nous. Ça s'est intensifié. Ça m'a fait peur parce qu'on parle d'un cessez-le-feu qui se rapproche. Et on sait très bien que quand il y a une annonce de cessez-le-feu, la guerre s'intensifie dans les dernières heures qui précèdent. Ça bombarde très fort à Rafah.

Ma belle-famille habite dans un coin qui s'appelle Al-Alam, à l'ouest de la ville de Rafah, sur la côte. Ils sont sous les tentes et sous les bâches. Des bombes sont tombées autour de chez eux aussi. Il y a eu des victimes, des blessés. Des dizaines de milliers de personnes ont quitté le quartier qui s'étend du rond-point Al-Alam jusqu'à l'hôpital du Croissant rouge palestinien. Une rumeur s'est répandue, disant que les déplacés devaient évacuer parce que le quartier allait être entouré d'une ceinture de feu.

Les gens sont partis en abandonnant tout

C'était la panique. Tout le monde a commencé à partir. J'ai eu des appels téléphoniques de ma belle-famille, de tous les amis qui sont là-bas. « Est-ce que c'est vrai ? Ou bien c'est une rumeur, comme d'habitude ? » Je ne savais pas quoi dire et je ne pouvais pas prendre une décision à leur place. J'ai dit : « Faites ce que vous voulez. Il vaut mieux partir parce qu'on ne sait jamais si c'est une rumeur ou pas, mais en tout cas il n'y a rien d'officiel de la part des Israéliens ». Mais je sais très bien que s'il y a vraiment un cessez-le-feu, il y aura beaucoup de bombardements, et donc beaucoup de victimes. Dans toute cette zone-là, il n'y a que des tentes et des bâches. Les gens sont partis en les laissant sur place. Tous les membres de ma belle-famille se sont déplacés au rond-point surnommé « Fresh Fish », du nom d'un restaurant de poissons, typique de Gaza, connu pour ses daurades que tout le monde aimait.

Apparemment, à l'heure où j'écris, on est sur la voie d'un cessez-le-feu. Il y a aussi des rumeurs d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale contre Nétanyahou et des chefs militaires israéliens. Si c'est vrai, ils n'auraient plus rien à perdre, et ils continueraient jusqu'au bout, ils tireraient sur tout le monde.

Je crois que Nétanyahou va saboter le cessez-le- feu, intensifier les attaques, peut-être surtout contre Rafah. Ici, la peur règne. Normalement, ce devrait être l'inverse : tout cet enfer pourrait prendre fin, la machine de guerre pourrait s'arrêter. Mais ce n'est pas notre première guerre, et nous savons ce qu'il se passe juste avant l'arrêt des combats. Je fais partie des gens qui pensent cela parce qu'à chaque fois, en tant que journaliste, j'ai vu des parents dirent adieu à leurs enfants, des enfants dire adieu à leurs parents, morts dans les hôpitaux ou sous les décombres.

On vit à l'heure des bombes

J'ai toujours ces images en tête, j'ai peur pour ma famille, peur pour mon fils de deux ans et demi. On vit à l'heure des bombes. Le soir on se couche tôt, vers 20h ou 20h30, mais on se réveille à minuit parce que « la fête commence » : les bombes tombent plus ou moins près de nous, et on reste éveillés. On se tient prêt à sortir immédiatement avec les enfants, ça devient une routine. On a tenu le coup jusqu'à présent, au cours des presque 7 mois de guerre, mais on a peur de mourir à la dernière minute.

On a peur de mourir parce que Nétanyahou va devenir fou, encore plus fou contre Gaza, plus agressif, parce qu'il va se venger personnellement, parce qu'une trêve, un mandat d'arrêt — ou les deux — seraient la fin de sa vie politique. Dans les bombardements, il n'y a pas de règles. N'importe quel immeuble, n'importe quelle maison peut être frappée, sous prétexte qu'elle abritait un membre du Hamas ou du Djihad islamique. Malheureusement, le Hamas et le Djihad islamique sont partout : le Hamas, c'est un frère, un père, un cousin, un ami. Tous sont des cibles. Si tu as rencontré un gars du Hamas, si tu montes dans une voiture ou dans un taxi qui a transporté un gars du Hamas, tu es une cible.

C'est ce que les Israéliens appellent des dégâts collatéraux. Ils sont la majorité des victimes de cette guerre. Le Hamas, c'est à peu près 30 % de la population de la bande de Gaza. Les fonctionnaires du gouvernement du Hamas, c'est plus de 50 000 personnes, qui ne sont pas tous membres du parti et qui se sont fait embaucher parce que c'était la seule possibilité de toucher un salaire. Mais tous ces gens ont des familles, donc 70 %, voire 90 % des Gazaouis sont des cibles potentielles pour les Israéliens.

La nuit risque d'être dure pour tout le monde

C'est pour cela que j'ai peur quand Walid applaudit trop souvent, et que j'espère que ça va finir. On redoute une nuit qui risque d'être dure pour tout le monde. Ma belle-famille me demande s'ils vont être bombardés, pourquoi ils nous visent, où va commencer la nouvelle zone sécuritaire ? Les Israéliens parlent d'isoler Rafah côté est et ouest, surtout de la route côtière. La ville de Rafah va-t-elle être séparée de la zone d'Al-Mawassi, où des milliers de personnes sont réfugiées au bord de la mer ?

La zone dont je vous ai parlé et qui s'appelle Al-Alam fait l'intersection entre la ville de Rafah et la route côtière. Peut-être qu'ils vont la bombarder pour qu'il n'y ait plus personne. Si les gens doivent partir, il n'y aura pas de voitures, il n'y aura pas de charrettes tirées par des animaux, aucun moyen de transport. Ils partiront à pied avec juste un sac. Les Israéliens peuvent installer des barrages comme ils ont fait quand ils ont encerclé Khan Younès, la ville au nord de Rafah, pour procéder à des arrestations.

Beaucoup de questions se posent, parce qu'on a l'habitude de ce genre d'opération de l'armée israélienne. On a passé une très mauvaise journée, une journée de peur, de bombardements, de grande inquiétude. J'espère que tout va vite s'arrêter. Et que Walid applaudira pour une vraie fête, la fête d'un cessez-le-feu.

02.05.2024 à 06:00

Ce que la Palestine fait au monde

Alain Gresh

L'offensive israélienne contre Gaza depuis le 7 octobre montre plus que jamais l'impunité totale d'Israël et un soutien inconditionnel apporté à Tel-Aviv par la majorité des pouvoirs occidentaux. En France, cette guerre a également joué un rôle d'accélérateur dans la rhétorique d'une confrontation civilisationnelle avec les « barbares ». Un narratif auquel Alain Gresh répond dans son dernier livre Palestine. Un peuple qui ne veut pas mourir qui sort en ce jeudi 2 mai. La peur devient un (…)

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L'offensive israélienne contre Gaza depuis le 7 octobre montre plus que jamais l'impunité totale d'Israël et un soutien inconditionnel apporté à Tel-Aviv par la majorité des pouvoirs occidentaux. En France, cette guerre a également joué un rôle d'accélérateur dans la rhétorique d'une confrontation civilisationnelle avec les « barbares ». Un narratif auquel Alain Gresh répond dans son dernier livre Palestine. Un peuple qui ne veut pas mourir qui sort en ce jeudi 2 mai.

La peur devient un danger pour ceux qui l'éprouvent, c'est pourquoi il ne faut pas la laisser jouer le rôle de passion dominante. Elle est même la principale justification des comportements souvent qualifiés d'« inhumains ». (…) La peur des barbares est ce qui risque de nous rendre barbares. Et le mal que nous ferons dépassera celui que nous redoutions au départ1.

Cette guerre nous a confirmé que le monde ne nous considère pas comme égaux. Peut-être est-ce en raison de la couleur de notre peau. Peut-être est-ce parce que nous sommes du mauvais côté de l'équation politique. Même notre filiation dans le Christ ne nous a pas protégés. Ils ont donc dit : s'il faut tuer cent Palestiniens pour venir à bout d'un seul « militant du Hamas », ainsi soit-il. L'hypocrisie et le racisme du monde occidental sont transparents et épouvantables. Ils envisagent toujours le mot de « Palestiniens » avec suspicion et réserve.

Cette homélie enflammée et résignée, prononcée par le révérend Munther Isaac, pasteur de l'Église luthérienne de Bethléem, à l'occasion des fêtes de Noël 2023, s'adresse à ceux « qui les célèbrent tout en nous envoyant leurs bombes ». Elle sonne comme une malédiction. Trois mois plus tard, les États-Unis, qui prodiguent sans compter bombes et munitions pour pulvériser Gaza, ont décidé de parachuter des vivres aux victimes de ces mêmes bombes et de ces mêmes munitions. En même temps, pour reprendre un mantra du président Emmanuel Macron. Une caricature montrant des fusées et des baguettes de pain s'abattant sur l'enclave illustrait la tartuferie occidentale.

Gaza a exposé le double visage de l'Occident, une face pour la paix, les droits humains et l'universalisme, une autre pour les massacres, le génocide, et le racisme.

« À nos amis européens, concluait Munther Isaac, je ne veux plus jamais vous entendre nous donner des leçons sur les droits humains ou le droit international. Nous ne sommes pas blancs, je suppose, selon votre logique que le droit ne s'applique pas à nous. Dans l'ombre de l'empire, vous avez transformé le colonisateur en victime et le colonisé en agresseur ».

L'agonie d'une certaine idée de l'Europe et de l'Occident

Sur le même mode, on a pu entendre le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim répondre, au cours d'une conférence de presse commune le 11 mars 2024, au discours lénifiant du chancelier allemand Olaf Scholz, dont le gouvernement soutient sans nuances la politique israélienne et criminalise la solidarité avec la Palestine :

Vous ne pouvez pas trouver une solution en étant aussi unilatéral, en ne vous intéressant qu'à une question particulière et en effaçant soixante ans d'atrocités. La solution ne consiste pas seulement à libérer les otages. Qu'en est-il des colonies ? Qu'en est-il de l'action des colons qui se poursuit quotidiennement ? Qu'en est-il de la dépossession (des Palestiniens) ? Leur terre, leur droit, leur dignité, leurs hommes, leurs femmes, leurs enfants ? Cela ne nous concerne pas ? Où est passée notre humanité ? Pourquoi cette hypocrisie ?

Et ce n'est pas l'abstention de Washington sur le vote d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU appelant à un cessez-le-feu de deux semaines le 25 mars qui changera la donne, tant que les bombes américaines qui ravagent Gaza continueront d'être fournies à Israël.

Au-delà des souffrances humaines – elles sont incommensurables depuis le 7 octobre –, au-delà des destructions, Gaza a pris l'allure d'un paysage lunaire. Au-delà des combats qui s'étendent du Liban à la mer Rouge, c'est une certaine idée de l'Europe et de l'Occident qui agonise. Déjà, la guerre d'Ukraine avait illustré le fossé entre le Nord et le reste du monde qui ne croyait pas à un engagement aux côtés de Kiev mené au nom du « droit international » par ceux qui le violaient quand cela les arrangeait. Gaza marque une étape sinistre de cette longue descente aux enfers où seule compte la raison du plus fort.

Dans une série de réflexions inquiètes reproduites sur X (ex-Twitter) en février 2024, Peter Harling, directeur de Synaps, un centre de recherche innovant sur la Méditerranée basé à Beyrouth, qui sillonne la région depuis près de trente ans, se préoccupe de

la rupture dangereuse et de plus en plus profonde entre l'Europe et le monde arabe. Pourquoi est-elle plus profonde et plus dangereuse que nos autres différends séculaires ? Parce qu'il s'agit d'une rupture totale de la communication. Dans le passé, nos récits s'opposaient souvent, mais dans un cadre qui était en grande partie partagé. Gaza crée une situation où les différences sont non seulement profondes, mais incommunicables. (…) Il ne s'agit pas d'un nouveau cycle : cette fois, la plupart des États européens auront choisi de soutenir, ouvertement ou indirectement, un génocide en Méditerranée. (...) L'idée que l'Europe représente les valeurs et les droits universels est ébranlée.

Les « barbares » de l'intérieur

Comme observateur engagé depuis cinquante ans dans les évolutions d'une région si proche du Vieux Continent - géographiquement mais aussi humainement-, à laquelle nous lie une longue histoire, y compris avec ses faces sombres, je ne peux que prendre acte amèrement de ce divorce. Les dirigeants européens en sont-ils seulement conscients, eux qui vont jusqu'à sanctionner des ONG du Sud qui dénoncent l'agression israélienne, des ONG dirigées par « nos amis », les démocrates arabes qui furent le fer de lance des révolutions des années 2010 et défendent les valeurs dont nous nous réclamons, de plus en plus à tort ? L'Europe se mobilise contre l'antisémitisme mais ferme les yeux sur l'islamophobie, se ralliant aux thèses de l'extrême droite qui, du fait de son soutien à Tel-Aviv, se voit blanchie de sa judéophobie tenace. Partout, notamment en France, s'intensifie la campagne contre les « barbares » de l'intérieur, les musulmans accusés de « séparatisme », complices supposés des terroristes. Loin des idéaux universalistes dans lesquels elle se drape, l'Europe accentue les divisions et les clivages.

Aucun débat sérieux n'a lieu en France sur cette faille qui s'élargit, ni chez les politiques, ni chez les intellectuels, ni dans les médias. Nous nous enfermons, depuis le 11 septembre, dans une vision angoissée du monde fondée sur la peur des « barbares » et, comme l'avait prédit Tzvetan Todorov, nous devenons nous-mêmes barbares. Nous n'entrevoyons comme avenir qu'une guerre entre l'Occident et le « reste du monde », une « guerre des mondes » fondée sur l'idée arrogante que nous représentons « la civilisation » et que nous pouvons nous affranchir du droit international pour lutter contre le « Mal ».

J'avais clos en 2003 mon livre Israël-Palestine. Vérités sur un conflit par un récit biblique, celui qui conte l'histoire de Samson, un des héros de la lutte du peuple juif contre les Philistins. Il est fait prisonnier par ses ennemis qui lui crèvent les yeux et l'emmènent à Gaza. Un jour, les Philistins le font venir pour se divertir de lui :

Samson palpa les deux colonnes du milieu sur lesquelles reposait le temple et il prit appui contre elles, contre l'une avec son bras droit et contre l'autre avec son bras gauche. Samson dit : « Que je meure avec les Philistins », puis il s'arc-bouta avec force et le temple s'écroula sur les tyrans et sur tout le peuple qui s'y trouvait. Les morts qu'il fit mourir par sa mort furent plus nombreux que ceux qu'il avait fait mourir durant sa vie.

Je craignais déjà à l'époque que la poursuite de cette occupation n'entraîne Palestiniens et Israéliens dans un gouffre. Mes craintes se sont confirmées au-delà de l'imaginable…

Trente ans plus tard, la chute du temple risque de nous engloutir tous, au Sud comme au Nord. Comme nous avons essayé de le montrer, c'est l'avenir des relations internationales qui se joue à Gaza. Deux chemins se dessinent. Celui d'une guerre perpétuelle régie par la loi de la jungle, de tous contre tous, entre acteurs ayant chacun ses intérêts à défendre et ne se souciant que de les faire triompher, de Moscou à Washington, de New Delhi à Brasilia, de Paris à Mexico. Ou celui d'une refondation de l'ordre international sur la base du droit, comme nous y invite les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) sur Gaza, une voie étroite certes mais la seule qui nous permet d'éviter l'apocalypse. À d'autres moments, le général de Gaulle en juin 1967 face à l'agression israélienne, Jacques Chirac et Dominique de Villepin en 2003 alors que les États-Unis s'apprêtaient à envahir l'Irak, avaient su trouver les mots justes pour défendre le droit, pour porter une parole différente de Paris dont l'écho avait résonné à travers la planète, au Nord comme au Sud. Il est regrettable qu'aujourd'hui, par ses déclarations et par ses silences, par ses actions et par sa passivité, la France se fasse complice d'un génocide qui se déploie en direct sous nos yeux.

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Alain Gresh
Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir
Les liens qui libèrent, 2024
192 pages
18 euros


1Tzvetan Todorov, La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Laffont, 2008.

30.04.2024 à 06:00

Au Liban, le désamour de la France et de l'Occident

Clothilde Facon-Salelles, Ségolène Ragu

L'érosion de l'hégémonie occidentale s'étend au Liban où la population subit la menace israélienne depuis des décennies et vit au rythme des massacres à Gaza. Elle s'indigne largement du blanc-seing offert à Israël par Washington et ses alliés. Les discours critiques essaiment à présent au sein des couches sociales les plus « occidentalisées » de ce pays et touchent aussi la France. Avec la présence de 250 000 réfugiés et la posture de « résistance » affichée par le Hezbollah depuis trois (…)

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L'érosion de l'hégémonie occidentale s'étend au Liban où la population subit la menace israélienne depuis des décennies et vit au rythme des massacres à Gaza. Elle s'indigne largement du blanc-seing offert à Israël par Washington et ses alliés. Les discours critiques essaiment à présent au sein des couches sociales les plus « occidentalisées » de ce pays et touchent aussi la France.

Avec la présence de 250 000 réfugiés et la posture de « résistance » affichée par le Hezbollah depuis trois décennies, la cause palestinienne a souvent été instrumentalisée au Liban. Cependant, les enquêtes montrent que, depuis octobre 2023, elle fait l'objet d'une solidarité plus consensuelle. D'après le Centre arabe de recherche et d'études politiques (Carep), basé au Qatar et fondé par Azmi Bishara, le pourcentage « de Libanais estimant que la question palestinienne concerne tous les arabes et n'est pas simplement une cause palestinienne » est passé de 60 % l'année dernière à 84 % en janvier 20241. Comme l'analyse son directeur Mohamed Al-Masri,

les atrocités qui sont commises à Gaza, la réaction d'Israël qui refuse un cessez-le-feu tout comme des puissances occidentales, ont fait converger les Libanais par-delà leurs caractéristiques socioéconomiques et confessionnelles. L'opinion publique libanaise s'aligne sur celle des autres pays arabes en ce qui concerne le regard porté sur les pouvoirs occidentaux.

Le souvenir de Chirac et Villepin

En effet, le soutien sans grande réserve des pays occidentaux engendre une certaine désillusion chez les Libanais, alors que 89 % d'entre eux s'avouent affectés psychologiquement par la guerre à Gaza2. L'hypocrisie des tenants de l'ordre international qui s'indignent de la violence envers certains pour la légitimer à l'égard des Palestiniens entraîne colère et déception. Pour Steven Ghoul, mécanicien automobile vivant à Roumieh, « la vision que j'avais de la politique occidentale a complètement changé. Leur seule ligne politique est la protection d'Israël ». Nawal, commerçante libanaise de soixante ans installée à Paris, assure : « Pour nous, l'Occident, c'était les lois, les droits de l'homme, la démocratie… »

Or, « le génocide en cours à Gaza a révélé les limites de certaines valeurs telle que la liberté d'expression », observe Rana Sukarieh, professeure de sociologie à l'université américaine de Beyrouth (AUB) et spécialiste des mouvements de solidarité avec la Palestine. En témoigne la répression contre le soutien au peuple palestinien dans les rues, les universités et les médias. Rana Sukarieh précise :

Par conséquent, se développe chez les Libanais une critique accrue à l'encontre de la complicité occidentale avec le génocide et le colonialisme, ainsi que de l'hypocrisie de cette liberté d'expression sélective. Ceux qui étaient apolitiques, ou qui ne se faisaient pas entendre, sont devenus plus virulents dans leurs critiques.

L'écrasante majorité (97 %) des Libanais jugent « mauvaise » la réponse américaine au conflit. Pour 80 %, leur opinion sur la politique des États-Unis est devenue plus négative qu'avant octobre 20233.

L'Allemagne et la France cristallisent aussi les critiques. Certains attendaient davantage de Paris qui, il y a moins de vingt ans, se distinguait encore avec sa « politique arabe ». « Avant, je défendais la France, mais elle a perdu toute crédibilité vis-à-vis de ses valeurs », assène Nawal. Tony, consultant financier de 37 ans, avoue « être déçu par le comportement des élites françaises, leur double standard, et leur soumission à un État qui mène des actions génocidaires ». Même sentiment chez Ounsi Daif, franco-libanais travaillant pour une organisation environnementale :

Malgré ma conscience des intérêts économiques, géopolitiques, qui guident l'action des grandes puissances, demeurait en moi un reste inconscient de pensée selon laquelle Villepin, Chirac, étaient des personnalités dont les avis n'étaient pas exclusivement déterminés par les intérêts politiques et financiers. Mais à présent, c'est une claque monumentale. Il n'y a même pas un fond d'humanité ou de légalisme. Le peu de confiance que j'avais dans un système de valeur s'est complètement évanoui.

Ces remises en cause dépassent la simple réflexion et débordent sur la vie personnelle, entrainant parfois disputes familiales et ruptures amicales. Bien des Libanais interrogés témoignent de leur relecture du passé et de la déconstruction des récits hégémoniques qui tendent à propager une vision du monde occidentalisant les droits humains.

L'ancrage d'Israël dans un ordre colonial

Ces témoignages convergent pour inscrire la politique d'Israël dans un ordre colonial qui « légitime » les massacres à Gaza, une « violence prétendument nécessaire » qui a fait de l'Occident la force dominante du système international. Ainsi, au sein de franges intellectuelles et militantes, le combat de la Palestine s'inscrit dans un continuum de luttes mondiales contre l'impérialisme telle que la résistance algérienne, les luttes autochtones ou le combat contre l'apartheid en Afrique du Sud. Youssef, monteur et réalisateur, conçoit « ce qui se passe à Gaza comme la confrontation à un projet européen, colonial et impérialiste, inscrit dans une longue histoire de l'oppression ». Hadi, étudiant de 20 ans, ajoute :

Le Liban lui-même, en tant qu'entité dans ses frontières délimitées, est une idée de l'Occident, une entité créée par la colonisation. Nous devons décoloniser nos esprits et nos territoires du Nord global, construire un imaginaire politique de solidarité entre les peuples.

La dépendance militaire et économique du pays est remise en cause. Youssef prend l'exemple de Nestlé qui a racheté la marque d'eau minérale libanaise Sohat : « Il s'accapare des ressources pour les revendre à prix fort, ce qui va conduire à des pénuries et à la pollution des sols ».

Ces discours ont trouvé écho dans les pages du premier quotidien francophone de la région L'Orient-le-Jour. Dans une tribune du 20 janvier, l'ancien diplomate égyptien Mohamed El-Baradei, prix Nobel de la paix affirme :

Une rupture imminente se profile entre l'Occident et le monde arabo-musulman [qui] a perdu confiance dans les normes occidentales qu'il perçoit : droit international et institutions mondiales, droits de l'homme et valeurs démocratiques.

Et dans un article commentaire paru le 27 avril, la journaliste franco-syro-libanaise Soulayma Mardam Bey dénonce la « criminalisation » du soutien à la cause palestinienne considéré comme une « apologie du terrorisme », répétant qu'il y a « quelque chose de pourri au royaume de France »4.

Néanmoins, ces critiques ne conduisent pas à se réfugier dans le camp opposé et ne se transforment pas en alignement sur des pays comme l'Iran. La perte par l'Occident du monopole de la raison morale peut s'opérer au bénéfice d'États comme le Brésil ou l'Afrique du Sud, dont l'initiative portée à la Cour internationale de Justice (CIJ) est célébrée sans illusion. Beaucoup pensent comme Lina, employée d'une ONG : « C'est un beau symbole de voir un pays du Sud global prendre la parole, tenir des pays occidentaux pour responsable, toutefois je doute que ça mène quelque part ».

Dans un tout autre registre, depuis une décennie déjà, la Russie a pu consolider son image auprès d'une partie de la population libanaise favorable au régime syrien, du fait de son intervention militaire visant à soutenir ce dernier (aux côtés du Hezbollah). Depuis les frappes israéliennes à Gaza, la propagande pro-russe s'est même amplifiée5.

McDonald's et Starbucks à court de clients

Ces prises de distance s'accompagnent d'un boycott des biens issus de sociétés épinglées par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et identifiés grâce à l'application No Thanks. Quoique moins prononcé qu'en Jordanie ou aux Émirats arabes unis (EAU), le mouvement prend de l'ampleur. Rana Sukarieh assure :

On peut observer une progression certaine de [ces] pratiques à l'encontre de compagnies américaines ou connues pour leur complicité avec le colonialisme israélien. Prenez McDonald's ou Starbucks : certains établissements sont désormais vides.

La volonté de consommer des produits estampillés libanais fait son chemin, défi difficile dans un pays où 80 à 90 % des biens consommés sont importés. Ainsi, l'entreprise de soda, Cedars Premium, voit son chiffre d'affaires augmenter depuis octobre, car elle approvisionne les restaurants de Beyrouth qui remplacent Pepsi et Coca-Cola par des produits alternatifs tels que Jalloul et Zee Cola. Des Libanais relatent leurs recherches pour modifier leur mode de consommation : ils évitent des objets aussi variés que les films de Hollywood, les shampoings l'Oréal et Pantene, ou certaines marques de vêtements.

Pour les gérants du restaurant Mezyan, institution mythique au cœur du quartier de Hamra, l'actualité n'a fait qu'accélérer un processus de promotion de produits libanais engagé depuis des années, notamment en raison de la crise. De l'autre côté de la rue, sur les murs de la librairie Barzakh, sont étalés des posters appelant au boycott avec le QR code permettant de se renseigner sur l'origine des produits. Toutefois, Mansour Aziz, co-gérant des deux lieux estime que « le boycott est un signe de solidarité, mais concrètement ça peut se révéler très compliqué. Pour de nombreux produits, seule une très faible part provient de sociétés occidentales ou israéliennes complices ». Il a tenté de convaincre d'autres commerces de délaisser les produits occidentaux au profit d'une production locale, sans succès.

Cette grammaire d'action vise aussi certains médias européens accusés d'une couverture « criminelle du génocide ». Pour certains franco-libanais comme Nawal, la mobilisation passe par le refus de voter dans l'Hexagone afin de « ne plus être complice ».

Une attitude parternaliste

Si, comme dans les autres pays arabes de la région, les réseaux sociaux représentent la matrice privilégiée de la contestation, des rassemblements prospèrent également dans les rues. « Le 7 octobre a engendré une vague de mobilisations anti coloniales », témoigne Hadi, lui-même actif au sein d'un syndicat étudiant. Elles ne ciblent pas les autorités libanaises car elles n'entretiennent pas de relations diplomatiques avec Israël contrairement à des États comme le Maroc dont la normalisation des liens avec celui-ci est au cœur des critiques. Les manifestations visent les symboles du pouvoir occidental.

Le 17 octobre, alors que débutent les bombardements israéliens sur l'hôpital Al-Ahli Al-Arabi, les cortèges se dirigent spontanément vers les ambassades des États-Unis et de la France, mais aussi vers celles de l'Allemagne et de l'Union européenne. Des manifestants ont affiché des slogans de solidarité palestinienne lors d'une rencontre entre la ministre des affaires étrangères allemande Annalena Baerbock et son homologue Abdallah Abou Habib. Les rassemblements sont régulièrement organisés par des syndicats, des militants d'associations, et des partis de gauche et regroupent quelques dizaines ou centaines de personnes selon les jours. Ils sont réprimés par les forces de sécurité intérieure et par l'armée, ainsi que par les services de sécurité de l'ambassade américaine, avec mesures de détention préventive, arrestations et interrogatoires.

Par ailleurs, s'exacerbe un sentiment de frustration à l'égard de l'attitude paternaliste des institutions occidentales, tendant à imposer leurs « solutions » au pays et à monopoliser des activités que les organisations libanaises, qui connaissent mieux le terrain, pourraient mener à bien. Hadi a participé à la perturbation d'événements organisés par la Fondation Konrad-Adenauer à l'université Saint-Joseph.

Le 8 mars 2024, une centaine de manifestants se sont rassemblés devant le bureau d'ONU Femmes dans le quartier de Sin El-Fil à Beyrouth, pour dénoncer le silence de l'agence sur les massacres perpétrés par Israël à Gaza et cet « outil au service d'intérêts impérialistes, blancs, libéraux et capitalistes [qui] contribue à l'oppression, à l'agression et au meurtre des femmes à Gaza et en Palestine ». Pour les Libanais recevant des salaires de la part de ces organisations qui « parlent le langage de l'oppresseur », cette situation entraîne des « contradictions émotionnelles », s'épanche Lina.

Même son de cloche du côté de la culture, souvent dépendante de financements européens. Active dans le secteur du cinéma, Nour confie qu'elle ressent

toute cette énergie qui vient du monde arabe. Cela renforce ce sentiment d'appartenir à une nation qui se révolte, qui se réveille. On fait quand même partie d'un continent auquel on tourne complètement le dos. On ne regarde que ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée !

Dalia, photographe très critique du Western gaze6 qui sévit dans son milieu professionnel, affirme qu'elle « veut adresser [ses] messages au Liban, pas à l'Occident ».

D'autres artistes ont quitté des collectifs américains tel que Women Photograph ou Diversify Photo en raison de leur absence de solidarité avec la Palestine, tandis qu'un mouvement timide de boycott des manifestations culturelles européennes s'est esquissé pendant l'hiver, visant notamment le festival du film de la Berlinale. « Plutôt que d'attendre qu'ils nous excluent, c'est nous qui décidons de ne plus y aller », conclut Nour.


1« Arab public opinion about the Israeli war on Gaza », Centre arabe de recherche et d'études politiques (Carep), 10 janvier 2024.

2« Arab public opinion about the Israeli war on Gaza », op.cit.

3« Arab public opinion about the Israeli war on Gaza », op.cit.

4Soulayma Mardam Bey, « Au royaume de France, la Palestine muselée », L'Orient-Le Jour, 27 avril 2024.

5Zeina Antonios, « Qui se cache derrière les affiches de soutien à Vladimir Poutine à Beyrouth », L'Orient-le-Jour, 9 mars 2024.

6Regard occidental véhiculant stéréotypes et idées préconçues dans la représentation de personnes non-occidentales, notamment à travers des sujets comme la pauvreté, la souffrance et la violence.

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