09.02.2025 à 14:20
La fin des politiques monétaires climatiques : aux origines allemandes du tournant de Trump
L’élection de Donald Trump accentue les divergences entre les États-Unis et l’Europe en matière de politiques climatiques. La politique monétaire est l’une de celles-ci et, même si les banques centrales sont indépendantes des gouvernements, elles ne sont pas imperméables à la vision majoritaire de la société, qu’elle soit transcrite ou non dans la loi. Comme le rappelait Alan Greenspan, l’ancien président de la Federal Reserve, la banque centrale américaine : l’indépendance de la Fed « est conditionnée à la poursuite de politiques globalement acceptables par le peuple américain et ses représentants au Congrès » 1.
Pour cette raison — et non pas sur ordre du gouvernement — la Fed s’est retirée mi-janvier du NGFS (Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System) 2, le réseau international des banques centrales visant à rendre compatible la politique de ces dernières avec les objectifs des accords de Paris, dont la réduction des émissions de carbone. Le NGFS publie notamment des scénarios climatiques 3 sur lesquels s’accordent les banques centrales et les superviseurs bancaires afin de coordonner leurs actions. La Réserve fédérale des États-Unis se retrouve ainsi isolée sur le plan international — mais en phase avec le retrait des États-Unis de Donald Trump des Accords de Paris. Ce changement survient alors que la Fed a toujours été l’une des grandes banques centrales les moins impliquées dans les questions climatiques. À la différence de la Banque d’Angleterre, de la Banque d’Australie ou de la Banque centrale européenne (BCE), par exemple, les dirigeants de la Fed n’ont jamais prononcé de grands discours sur la politique monétaire et le climat ou sur les risques du réchauffement climatique pour la stabilité financière. À la différence de la Banque du Japon ou de la banque centrale de Chine (PBOC), par exemple, la Fed n’a jamais mis en place de mesures réglementaires macroprudentielles ou d’instruments de politique monétaire conditionnés à des critères environnementaux.
Comme dans d’autres domaines, la stratégie actuelle de l’administration états-unienne et de ses soutiens consiste à exploiter les divergences présentes dans les autres pays pour y faire exploser ce qui peut apparaître comme des consensus — encore bien timides — sur les politiques de lutte contre le réchauffement climatique. C’est dans ce contexte que des soutiens de Trump et des banquiers centraux sceptiques quant au rôle des banques centrales dans les politiques climatiques se réfèrent de plus en plus à un discours de Jens Weidmann, l’ancien président de la banque centrale allemande, prononcé en 2020.
Dans ce discours, Weidmann reconnaissait la gravité du réchauffement climatique et la nécessité d’une taxe carbone élevée, ce qui le situe d’emblée sur une position très différente de celle de Trump et ses soutiens. Il insistait toutefois sur le fait que la politique monétaire des banques centrales ne devait pas avoir d’objectif climatique, ou même prendre en compte des considérations climatiques. Et c’est pour ce second argument que ce discours est aujourd’hui brandi par certains pour montrer que les positions de la Banque centrale européenne sur le climat — ou d’autres propositions encore bien plus volontaristes émanant de la société civile — ne font pas consensus en Europe, et qu’il est possible que la tendance représentée par Weidmann retrouve sa légitimité dans le contexte de la révolution climatosceptique trumpiste et des attaques européennes contre le Green New Deal.
Même si la Banque centrale européenne n’a pas encore sensiblement changé ses instruments ou objectifs de politique monétaire à l’aune de considération environnementale — en témoigne par exemple la critique de l’insuffisance de ses actions actuelles par l’ONG Positive Money 4 — elle affiche tout de même officiellement 5 : « nous soutenons une transition ordonnée vers une économie neutre en carbone avec des mesures qui s’inscrivent dans notre mandat. Nous encourageons notamment le développement de la finance durable et créons des incitations en faveur d’un système financier plus respectueux de l’environnement » et « nous contribuons à améliorer la compréhension globale des risques liés au climat et à la nature et travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires européens et internationaux sur des thèmes relatifs au climat et à la finance durable. » Ces positions sont cohérentes avec de nombreux discours prononcés par les dirigeants de la banque centrale européenne ces dernières années, en particulier par Isabel Schnabel, Frank Elderson ou Christine Lagarde actuellement. Assurément, la BCE aborde la question du climat. À l’instar du NGFS, elle publie aujourd’hui de très nombreuses études sur le climat, le système financier et la politique monétaire.
Dès 2018, Benoît Cœuré estimait que la politique monétaire serait sans aucun doute affectée par le changement climatique et que les banques centrales ne pouvaient pas l’ignorer 6. Cette position, qui a depuis été développée par de nombreux banquiers centraux et économistes européens, tranche avec celle de Weidmann qui établit une muraille entre la politique monétaire et la question climatique. Il vise implicitement toute mesure de politique monétaire qui reviendrait à favoriser des investissements utiles à la transition énergétique par rapport à d’autres activités — soit en achetant des obligations vertes, soit en prêtant à un taux inférieur pour encourager certains prêts « verts », soit en utilisant des réglementations bancaires pénalisant les investissements dans les activités fortement émettrices de CO2.
Weidmann rejette tout rôle des banques centrales dans la politique climatique au nom de trois arguments, et en citant pour cela abondamment l’économiste Jean Tirole comme référence.
Premièrement, selon lui, prendre en compte l’environnement irait à l’encontre de la stabilité des prix, l’objectif premier de la banque centrale. Deuxièmement, la banque centrale n’a pas de légitimité démocratique pour pénaliser telle ou telle activité au nom de son impact nocif sur l’environnement ou le climat. Troisièmement, donner un rôle aux banques centrales dans la politique climatique encouragerait les gouvernements à ne rien faire, et en particulier à ne pas augmenter le prix du carbone.
Les arguments présentés par Weidmann sont toutefois largement contestés depuis plusieurs années.
Les objectifs climatiques et la stabilité des prix — c’est-à-dire une inflation stable et faible — ne sont pas incompatibles. Ainsi, l’inflation qui a suivi le début de la guerre en Ukraine a été en partie tirée par les prix de l’énergie carbonée. Si la banque centrale avait précédemment eu une politique décourageant la dépendance de l’Europe aux énergies carbonées, elle aurait pu plus facilement maintenir sa cible d’inflation en 2022-2023. Ainsi, en négligeant aujourd’hui l’impact de sa politique sur le climat et les investissements dans la transition énergétique, la banque centrale peut au contraire aggraver l’instabilité des prix et l’inflation à moyen et long terme 7. Cet argument a de plus en plus de valeur aujourd’hui alors que s’accumulent les preuves empiriques montrant qu’une hausse uniforme des taux d’intérêt de la banque centrale a un impact négatif plus fort sur les investissements « verts » 8, ou que la hausse de la fréquence des températures plus élevées favorise la hausse de l’inflation 9. Par ailleurs, personne au sein des banques centrales n’a jamais proposé de remplacer l’objectif de stabilité des prix par des objectifs climatiques. L’argument du manque de légitimité démocratique ne tient pas non plus dès que l’on reconnaît que la question de la stabilité des prix (l’objectif premier de la BCE) est liée à la question climatique. C’est d’autant plus vrai dans le cas européen puisque la BCE a un deuxième objectif 10 qui lui impose d’apporter son soutien à l’ensemble des politiques de l’Union européenne sans préjudice à la stabilité des prix. Tant que les pays de l’Union sont membres de l’Accord de Paris et que l’Union conserve des objectifs environnementaux, négliger le climat pourrait donc constituer une infraction sur le plan juridique.
Il est surtout faux de croire que la politique monétaire est complètement isolée du reste de la politique économique et que toute prise de position d’une banque centrale sur un autre sujet que l’inflation serait anti-démocratique. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de politique macroprudentielle, par exemple, ou de position de la BCE concernant l’achat de dette publique — par exemple le Transmission Protection Instrument en Europe 11. Il y aurait un problème démocratique si la BCE décidait de mener une politique climatique à l’encontre du reste des institutions européennes, sans aucune coordination avec ces dernières, ce que personne n’a jamais suggéré. Le débat est d’emblée mal posé si la question est réduite à une alternative entre une banque centrale qui interviendrait sur tous les sujets en prenant la place de toutes les autres politiques et une banque centrale qui ne se soucierait que de l’inflation. Enfin, il est difficile de soutenir que le principal obstacle à l’accord des gouvernements sur une hausse du prix du carbone serait qu’ils espèrent que les banques centrales régleront tous les problèmes environnementaux. Dans un monde qui n’est pas celui de la théorie économique idéale à laquelle se réfère Weidmann, il est possible que chaque institution en charge de la politique économique participe à un objectif commun. À moins que la référence à un idéal inexistant ne soit qu’une excuse pour justifier l’inaction.
Mesdames et Messieurs,
Le prix Nobel d’Économie William Nordhaus a parlé de « l’ultime défi » pour qualifier le sujet dont nous allons parler : le changement climatique.
Ses propos sur les conséquences potentielles si nous ne parvenons pas à relever ce défi sont drastiques : « Le changement technologique a permis à l’homme de sortir de l’âge de pierre. Le changement climatique menace, dans les scénarios les plus extrêmes, de nous ramener économiquement d’où nous venons ». 12 Nordhaus faisait également référence au Colosse, ce tableau inquiétant attribué à Goya : « [Le réchauffement climatique] menace notre planète et plane sur notre avenir comme un colosse ».
Comment vaincre cette monstruosité ? Qui forgera l’épée dont nous avons besoin ? Le marché ? Les gouvernements ? Les banques centrales ? C’est la question sur laquelle je voudrais me pencher au cours des quinze prochaines minutes.
L’Agence internationale de l’énergie prévoit que les émissions mondiales de CO2 diminueront de 7 % en 2020. Malheureusement, ce n’est pas le signe d’une transition vers une économie mondiale respectueuse du climat. C’est plutôt le résultat de la pandémie de Covid-19 qui a profondément affecté notre vie quotidienne. Dans la mesure où les gens ont dû réduire considérablement leur mobilité, la diminution des émissions est proportionnellement plus importante que lors des précédents ralentissements économiques 13.
Avec la reprise de l’économie mondiale, les émissions ne manqueront pas d’augmenter à nouveau. Et même si les gens continuent à télétravailler et que le volume du trafic domicile-travail reste stable, la récente baisse des émissions sera bien trop faible pour avoir un impact significatif sur le changement climatique. Selon certaines estimations, pour atteindre l’objectif fixé à Paris de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius (par rapport à l’ère préindustrielle), il faudrait procéder à des réductions d’une ampleur similaire chaque année pendant des décennies 14.
Or la baisse des émissions de cette année ne sera possible que parce que la production économique mondiale devrait diminuer de plus de 4 %. En d’autres termes : nous ne pouvons pas nous permettre une décarbonation soutenue à des coûts économiques aussi élevés. La politique climatique — et les politiques économiques qui l’accompagnent — doivent faire mieux que cela, mieux que de compromettre les moyens de subsistance de tant de personnes et de frapper particulièrement durement les plus pauvres de la planète.
Au cœur du problème se trouve une externalité négative : si la consommation de combustibles fossiles procure un avantage à celui qui en est à l’origine, elle nuit à tous les autres — y compris aux générations futures. Ces coûts sociaux ne sont pas reflétés dans les prix du marché. Pourtant, tant que les consommateurs et les producteurs ne tiendront pas compte de ces coûts, nous brûlerons trop de charbon, de pétrole et de gaz.
Pour une fois, les économistes sont largement d’accord sur le fait qu’une politique efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre passe par une augmentation du prix du carbone. Cela fournira les incitations et les informations nécessaires aux consommateurs, aux producteurs et aux innovateurs. Les systèmes d’échange de quotas d’émission (ou SCEQE) et les taxes sur le carbone sont des instruments bien établis pour réduire efficacement les émissions. Ils permettent tous deux d’obtenir des réductions plus importantes pour le même coût que d’autres politiques climatiques, car ils font intervenir un mécanisme de marché dans le processus de transformation. Mais ces deux approches doivent être mises en œuvre en temps voulu, de manière cohérente et crédible. Pour les entreprises, il est essentiel de disposer d’une voie de transition claire, car elles ont besoin de perspectives fiables pour réaliser les investissements à long terme nécessaires.
C’est là que le bât blesse. Le manque de reconnaissance n’est pas le problème. Ce qui fait défaut, c’est une mise en œuvre cohérente et crédible. Par exemple, l’Union européenne a été relativement ambitieuse dans sa politique climatique et a mis en place un système d’échange de quotas d’émission dès 2005. Toutefois, le système couvre moins de la moitié des émissions totales de gaz à effet de serre dans l’Union. Les transports (autres que l’aviation), les bâtiments et l’agriculture ne sont pas encore inclus dans le système d’échanges de quotas de l’Union. Ces secteurs sont actuellement soumis à un ensemble disparate de mesures nationales. Il serait préférable d’étendre le système d’échange de quotas d’émission et d’établir un prix du carbone uniforme pour tous les secteurs et tous les pays de l’Union 15.
Dans le même temps, il conviendrait peut-être d’appliquer un prix du carbone à certaines importations en provenance de l’extérieur de l’Union. Autrement, les entreprises pourraient simplement délocaliser leur production à l’étranger, déplaçant ainsi les émissions tout en supprimant des emplois dans leur pays — sans compter que les importateurs bénéficieraient d’un avantage déloyal.
Une approche nationale ne peut pas arrêter le changement climatique. Mais tant qu’il n’y aura pas de consensus, même au sein de l’Union, il faudra trouver des solutions de substitution. La décision du législateur allemand d’introduire progressivement un prix du carbone pour le chauffage et les transports à partir de l’année prochaine est donc bienvenue. Même si les objectifs climatiques auraient nécessité des augmentations de prix plus ambitieuses, il s’agit là d’un début 16.
Cependant, les émissions de carbone constituent un problème particulièrement épineux car elles ont un impact mondial. Les efforts nationaux et même européens en matière de climat risquent d’être contrecarrés si le reste du monde ne prend pas des mesures similaires. Il est donc essentiel que nous renforcions la coordination internationale et que nous nous efforcions de fixer le prix du carbone au niveau mondial 17. Bien entendu, il s’agit d’une tâche assez difficile, car on ne peut pas contraindre les pays réticents à s’aligner. Il est difficile, mais pas impossible, de surmonter leur incitation à contourner les règles. Nordhaus a par exemple lancé l’idée de clubs climatiques comme un pas dans cette direction 18.
Dans ce contexte, l’Europe peut servir de modèle et de référence pour les autres régions du monde. Elle peut les encourager à redoubler d’efforts en démontrant qu’une politique climatique ambitieuse est possible sans mettre en péril les fondements de la prospérité économique et de la paix sociale. L’Union vise non seulement à rendre l’Europe climatiquement neutre d’ici 2050, mais aussi à aligner la décarbonation sur les efforts visant à renforcer la résilience, la croissance et la cohésion sociale. L’augmentation du prix du carbone devrait idéalement être combinée à un effort d’investissement pour faciliter la transition. Une croissance plus forte sur le long terme et des progrès technologiques nous aideront à réduire les émissions de carbone à l’avenir.
Les mesures de soutien budgétaire mises en place en réponse à la crise économique actuelle offrent l’occasion de faire de la reprise post-pandémique une reprise plus « verte » 19. Il est donc logique que le programme « Next GenerationEU » cible également des mesures « vertes » — à condition que celles-ci soutiennent réellement la transition vers une économie neutre en carbone.
Mais les fonds publics ne suffiront pas à financer les technologies « vertes ». Une mobilisation à grande échelle des capitaux privés est également nécessaire. Les marchés financiers devront donc jouer un rôle important dans la transition de l’économie. Là encore, il est essentiel de fournir les bons signaux de prix. Un prix « erroné » peut avoir plusieurs causes. L’une d’entre elles pourrait être que les marchés financiers ne s’attendent pas à ce que la politique climatique soit aussi stricte qu’elle devrait l’être. Selon l’hypothèse de l’efficience des marchés, les prix sur les marchés financiers devraient refléter toutes les informations disponibles. Il se peut donc aussi que les investisseurs ne disposent pas d’informations importantes.
Bien que des progrès aient été réalisés dans la communication sur leurs émissions de gaz à effet de serre par un certain nombre d’entreprises, en particulier les grandes, les marchés financiers ne disposent toujours pas d’informations actualisées sur l’empreinte carbone de nombreux émetteurs de titres 20. Or des études suggèrent que la divulgation des émissions de gaz à effet de serre des entreprises réduit l’incertitude des investisseurs, ce qui est récompensé par une baisse du coût du capital 21. Cela souligne à quel point la transparence est essentielle pour que les marchés financiers remplissent leur rôle et canalisent les fonds vers des investissements respectueux de l’environnement.
Et c’est également dans le secteur financier que les banques centrales entrent en jeu.
Je suis convaincu que chacun d’entre nous devrait faire davantage pour lutter contre le changement climatique et il est évident que les banques centrales doivent également jouer leur rôle. Cela va évidemment bien au-delà de la réduction de leur empreinte carbone en tant qu’institutions.
Le changement climatique et les mesures prises pour l’atténuer affectent les banques centrales dans plusieurs domaines 22, notamment en ce qui concerne le maintien de la stabilité des prix, qui pourrait devenir plus difficile. Le changement climatique et les politiques climatiques peuvent avoir un impact sur des variables macroéconomiques clefs telles que les prix, les taux d’intérêt, la production et l’emploi 23. Il est essentiel pour les banques centrales de bien comprendre ces effets et leurs implications pour la politique monétaire. Par conséquent, nous devons intégrer les risques et les évolutions liés au climat dans nos analyses de politique monétaire et mettre à jour nos outils d’analyse et de prévision en conséquence.
Par ailleurs, le changement climatique et les mesures prises pour l’atténuer peuvent engendrer des risques financiers susceptibles d’affecter non seulement des banques ou des investisseurs individuels, mais aussi l’ensemble du système financier. Dans notre rôle de superviseurs prudentiels et de gardiens de la stabilité financière, nous devons veiller à ce que les établissements de crédit intègrent de manière adéquate les risques financiers dans leur gestion des risques — y compris, donc, les risques financiers liés au climat.
Cependant, les banques centrales doivent également mettre en pratique ce qu’elles préconisent. Autrement dit : nous devons aux contribuables européens de maîtriser les risques financiers qui découlent de nos opérations de politique monétaire. D’autant plus que nos actifs financiers peuvent être tout aussi exposés aux risques financiers que ceux des banques commerciales.
C’est pourquoi les banques centrales doivent elles aussi veiller à ce que les risques financiers liés au climat soient dûment pris en compte dans leur propre gestion des risques, en particulier dans les portefeuilles de titres détenus à des fins de politique monétaire. À cette fin, il est légitime d’attendre des émetteurs de titres et des agences de notation qu’ils fournissent de meilleures informations 24. À mon avis, l’Eurosystème devrait envisager de n’acheter des titres ou de ne les accepter en garantie à des fins de politique monétaire que si leurs émetteurs satisfont à certaines obligations d’information relatives au climat. De même, nous pourrions examiner la possibilité de n’utiliser que les notations émises par les agences de notation qui intègrent de manière appropriée les risques financiers liés au climat.
En prenant de telles mesures, l’Eurosystème contribuerait à renforcer la transparence des marchés et les normes des agences de notation et des banques. Nous jouerions un rôle de catalyseur dans la transition du système financier et soutiendrions les politiques climatiques dans l’Union. Ces mesures viendraient s’ajouter à la contribution essentielle que nous apportons déjà. En maintenant la stabilité des prix, les banques centrales soutiendraient également les politiques climatiques, car la stabilité des prix permet aux consommateurs et aux producteurs de mieux identifier les variations des prix relatifs. Cela peut aider à orienter les ressources au sein de l’économie vers des utilisations respectueuses du climat. Pour préserver la stabilité des prix dans une crise économique comme celle que nous traversons aujourd’hui, il est impératif que la politique monétaire maintienne les taux d’intérêt à un niveau bas et soutienne l’économie dans son ensemble. En particulier, des conditions de financement généralement favorables encouragent les nouveaux investissements, qui sont également nécessaires à une croissance durable.
Les programmes d’achat d’actifs sont l’une des composantes de notre politique monétaire expansionniste. Pour être efficaces, ces programmes doivent reposer sur une large assise. Nos achats d’obligations privées sont donc guidés par le principe de « neutralité du marché », qui vise à garantir une approche globale et à éviter que nous ne faussions les résultats du marché. C’est pourquoi nous devons vérifier si nous n’avons pas involontairement laissé s’introduire un biais dans notre portefeuille de titres, par rapport à l’univers des obligations éligibles.
Mais devrions-nous aller encore plus loin et éliminer les actifs à forte intensité carbone de nos portefeuilles de politique monétaire ? Comment les banques centrales doivent-elles répondre aux appels à la responsabilité sociale face à une double défaillance potentielle — une défaillance du marché et une défaillance politique ? Jean Tirole, lauréat du prix Nobel, nous rappelle que « notre devoir moral est d’éliminer le charbon, pas de prétendre que nous le faisons ». Il note : « [Le désinvestissement] n’a que peu d’impact si d’autres investisseurs sautent sur l’occasion d’actions et d’obligations sous-évaluées liées aux combustibles fossiles […]. Il n’a pas non plus d’impact si les centrales existent déjà, car elles n’ont pas besoin de financement. Dans ce cas, seul un prix du carbone aura un impact sur les émissions » 25.
Des études suggèrent en effet que les achats d’obligations d’entreprises par les banques centrales de la zone euro ont comprimé les écarts de rendement non seulement pour les obligations achetées ou ciblées, mais aussi pour les obligations non éligibles 26. Cet impact indirect peut être dû au canal de rééquilibrage des portefeuilles, car nos achats peuvent pousser les investisseurs vers des classes d’actifs plus risquées. Ainsi, même les obligations « vertes » qui ne sont pas éligibles peuvent avoir bénéficié de nos achats dans une certaine mesure. Dans le même temps, l’impact de l’exclusion potentielle des entreprises à forte intensité de carbone de notre portefeuille ne doit pas être surestimé.
La politique monétaire ne peut pas se substituer à la détermination d’un prix adéquat pour les émissions de carbone. Et je suis très critique à l’égard des suggestions selon lesquelles il faudrait utiliser la politique monétaire pour poursuivre activement les objectifs de la politique climatique. Permettez-moi de mettre en avant trois raisons.
Premièrement, des conflits avec notre objectif principal de stabilité des prix pourraient survenir. En effet, ce serait faire preuve de myopie que de supposer que l’inflation se maintiendra éternellement à des niveaux très bas 27. Lorsque cela est nécessaire pour maintenir la stabilité des prix, le système monétaire de la zone euro doit freiner et réduire ses achats d’actifs ou son portefeuille. Mais la nécessité de promouvoir la transition de l’économie ne disparaîtrait pas pour autant.
Deuxièmement, il n’appartient pas aux banques centrales de pénaliser ou de subventionner certains secteurs. La correction des distorsions du marché a souvent des implications complexes en termes de répartition. De telles décisions nécessitent une forte légitimité démocratique et relèvent de la compétence des gouvernements et des parlements. Ils disposent des outils adéquats et, en tant que représentants élus, ils ont également l’autorité démocratique pour utiliser ces outils. Dans le même temps, ils doivent mettre en balance la lutte contre le changement climatique et d’autres objectifs politiques.
Troisièmement, les banques centrales devraient faire attention à ne pas dériver de leur mission. Pour citer à nouveau Jean Tirole : « Nous devons résister à cette tendance des agences gouvernementales à devenir spécialistes de tous les métiers et maîtres d’aucun d’entre eux. […] Le sens de la mission d’une agence […] ne doit pas être « pollué » par des considérations qui peuvent être traitées [à l’aide] d’autres instruments appropriés ». Dans le cas contraire, les banques centrales seront bientôt appelées à corriger les résultats du marché dans d’autres domaines également.
En tant que père de deux enfants, je regrette beaucoup de voir des politiques climatiques souvent tièdes et un manque d’engagement crédible en faveur d’une voie de transition claire. Mais les banquiers centraux n’ont pas la légitimité démocratique nécessaire pour corriger l’action ou l’inaction politique. Notre indépendance ne nous a pas été accordée pour prendre les décisions que les politiques ne veulent pas prendre eux-mêmes. Cette indépendance nous a été accordée parce que les banques centrales indépendantes sont mieux équipées pour préserver la stabilité des prix que les banques centrales contrôlées par le gouvernement 28.
Or un rôle actif dans la politique climatique — ou dans d’autres domaines politiques — pourrait compromettre notre indépendance et, en fin de compte, notre capacité à maintenir la stabilité des prix. L’indépendance de la banque centrale nous oblige à rester concentrés sur notre objectif principal. Notre conviction — appuyée par un large consensus — est qu’à long terme, la stabilité des prix est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter à notre bien-être général.
Mesdames et Messieurs,
Le dramaturge Gotthold Ephraim Lessing a écrit un jour : « Celui qui promet trop et celui qui espère trop se nuisent tous deux à eux-mêmes ».
Je suis fermement convaincu que les banques centrales peuvent et doivent faire plus pour lutter contre le changement climatique qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent. Elles peuvent soutenir les politiques climatiques menées par l’Union et ses États membres sans risquer d’entrer en conflit avec leurs propres missions.
Nous devrions tous nous comporter de manière responsable et faire davantage pour lutter contre le changement climatique. Mais au moment où de forger l’épée dont nous avons besoin pour vaincre le colosse, reconnaissons que ce n’est pas vers les banques centrales qu’il faut se tourner.
Je vous remercie de votre attention !
L’article La fin des politiques monétaires climatiques : aux origines allemandes du tournant de Trump est apparu en premier sur Le Grand Continent.
L’élection de Donald Trump accentue les divergences entre les États-Unis et l’Europe en matière de politiques climatiques. La politique monétaire est l’une de celles-ci et, même si les banques centrales sont indépendantes des gouvernements, elles ne sont pas imperméables à la vision majoritaire de la société, qu’elle soit transcrite ou non dans la loi. Comme le rappelait Alan Greenspan, l’ancien président de la Federal Reserve, la banque centrale américaine : l’indépendance de la Fed « est conditionnée à la poursuite de politiques globalement acceptables par le peuple américain et ses représentants au Congrès » 1. Pour cette raison — et non pas sur ordre du gouvernement — la Fed s’est retirée mi-janvier du NGFS (Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System) 2, le réseau international des banques centrales visant à rendre compatible la politique de ces dernières avec les objectifs des accords de Paris, dont la réduction des émissions de carbone. Le NGFS publie notamment des scénarios climatiques 3 sur lesquels s’accordent les banques centrales et les superviseurs bancaires afin de coordonner leurs actions. La Réserve fédérale des États-Unis se retrouve ainsi isolée sur le plan international — mais en phase avec le retrait des États-Unis de Donald Trump des Accords de Paris. Ce changement survient alors que la Fed a toujours été l’une des grandes banques centrales les moins impliquées dans les questions climatiques. À la différence de la Banque d’Angleterre, de la Banque d’Australie ou de la Banque centrale européenne (BCE), par exemple, les dirigeants de la Fed n’ont jamais prononcé de grands discours sur la politique monétaire et le climat ou sur les risques du réchauffement climatique pour la stabilité financière. À la différence de la Banque du Japon ou de la banque centrale de Chine (PBOC), par exemple, la Fed n’a jamais mis en place de mesures réglementaires macroprudentielles ou d’instruments de politique monétaire conditionnés à des critères environnementaux. Comme dans d’autres domaines, la stratégie actuelle de l’administration états-unienne et de ses soutiens consiste à exploiter les divergences présentes dans les autres pays pour y faire exploser ce qui peut apparaître comme des consensus — encore bien timides — sur les politiques de lutte contre le réchauffement climatique. C’est dans ce contexte que des soutiens de Trump et des banquiers centraux sceptiques quant au rôle des banques centrales dans les politiques climatiques se réfèrent de plus en plus à un discours de Jens Weidmann, l’ancien président de la banque centrale allemande, prononcé en 2020. Dans ce discours, Weidmann reconnaissait la gravité du réchauffement climatique et la nécessité d’une taxe carbone élevée, ce qui le situe d’emblée sur une position très différente de celle de Trump et ses soutiens. Il insistait toutefois sur le fait que la politique monétaire des banques centrales ne devait pas avoir d’objectif climatique, ou même prendre en compte des considérations climatiques. Et c’est pour ce second argument que ce discours est aujourd’hui brandi par certains pour montrer que les positions de la Banque centrale européenne sur le climat — ou d’autres propositions encore bien plus volontaristes émanant de la société civile — ne font pas consensus en Europe, et qu’il est possible que la tendance représentée par Weidmann retrouve sa légitimité dans le contexte de la révolution climatosceptique trumpiste et des attaques européennes contre le Green New Deal. Même si la Banque centrale européenne n’a pas encore sensiblement changé ses instruments ou objectifs de politique monétaire à l’aune de considération environnementale — en témoigne par exemple la critique de l’insuffisance de ses actions actuelles par l’ONG Positive Money 4 — elle affiche tout de même officiellement 5 : « nous soutenons une transition ordonnée vers une économie neutre en carbone avec des mesures qui s’inscrivent dans notre mandat. Nous encourageons notamment le développement de la finance durable et créons des incitations en faveur d’un système financier plus respectueux de l’environnement » et « nous contribuons à améliorer la compréhension globale des risques liés au climat et à la nature et travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires européens et internationaux sur des thèmes relatifs au climat et à la finance durable. » Ces positions sont cohérentes avec de nombreux discours prononcés par les dirigeants de la banque centrale européenne ces dernières années, en particulier par Isabel Schnabel, Frank Elderson ou Christine Lagarde actuellement. Assurément, la BCE aborde la question du climat. À l’instar du NGFS, elle publie aujourd’hui de très nombreuses études sur le climat, le système financier et la politique monétaire. Dès 2018, Benoît Cœuré estimait que la politique monétaire serait sans aucun doute affectée par le changement climatique et que les banques centrales ne pouvaient pas l’ignorer 6. Cette position, qui a depuis été développée par de nombreux banquiers centraux et économistes européens, tranche avec celle de Weidmann qui établit une muraille entre la politique monétaire et la question climatique. Il vise implicitement toute mesure de politique monétaire qui reviendrait à favoriser des investissements utiles à la transition énergétique par rapport à d’autres activités — soit en achetant des obligations vertes, soit en prêtant à un taux inférieur pour encourager certains prêts « verts », soit en utilisant des réglementations bancaires pénalisant les investissements dans les activités fortement émettrices de CO2. Weidmann rejette tout rôle des banques centrales dans la politique climatique au nom de trois arguments, et en citant pour cela abondamment l’économiste Jean Tirole comme référence. Premièrement, selon lui, prendre en compte l’environnement irait à l’encontre de la stabilité des prix, l’objectif premier de la banque centrale. Deuxièmement, la banque centrale n’a pas de légitimité démocratique pour pénaliser telle ou telle activité au nom de son impact nocif sur l’environnement ou le climat. Troisièmement, donner un rôle aux banques centrales dans la politique climatique encouragerait les gouvernements à ne rien faire, et en particulier à ne pas augmenter le prix du carbone. Les arguments présentés par Weidmann sont toutefois largement contestés depuis plusieurs années. Les objectifs climatiques et la stabilité des prix — c’est-à-dire une inflation stable et faible — ne sont pas incompatibles. Ainsi, l’inflation qui a suivi le début de la guerre en Ukraine a été en partie tirée par les prix de l’énergie carbonée. Si la banque centrale avait précédemment eu une politique décourageant la dépendance de l’Europe aux énergies carbonées, elle aurait pu plus facilement maintenir sa cible d’inflation en 2022-2023. Ainsi, en négligeant aujourd’hui l’impact de sa politique sur le climat et les investissements dans la transition énergétique, la banque centrale peut au contraire aggraver l’instabilité des prix et l’inflation à moyen et long terme 7. Cet argument a de plus en plus de valeur aujourd’hui alors que s’accumulent les preuves empiriques montrant qu’une hausse uniforme des taux d’intérêt de la banque centrale a un impact négatif plus fort sur les investissements « verts » 8, ou que la hausse de la fréquence des températures plus élevées favorise la hausse de l’inflation 9. Par ailleurs, personne au sein des banques centrales n’a jamais proposé de remplacer l’objectif de stabilité des prix par des objectifs climatiques. L’argument du manque de légitimité démocratique ne tient pas non plus dès que l’on reconnaît que la question de la stabilité des prix (l’objectif premier de la BCE) est liée à la question climatique. C’est d’autant plus vrai dans le cas européen puisque la BCE a un deuxième objectif 10 qui lui impose d’apporter son soutien à l’ensemble des politiques de l’Union européenne sans préjudice à la stabilité des prix. Tant que les pays de l’Union sont membres de l’Accord de Paris et que l’Union conserve des objectifs environnementaux, négliger le climat pourrait donc constituer une infraction sur le plan juridique. Il est surtout faux de croire que la politique monétaire est complètement isolée du reste de la politique économique et que toute prise de position d’une banque centrale sur un autre sujet que l’inflation serait anti-démocratique. Si c’était le cas, il n’y aurait pas de politique macroprudentielle, par exemple, ou de position de la BCE concernant l’achat de dette publique — par exemple le Transmission Protection Instrument en Europe 11. Il y aurait un problème démocratique si la BCE décidait de mener une politique climatique à l’encontre du reste des institutions européennes, sans aucune coordination avec ces dernières, ce que personne n’a jamais suggéré. Le débat est d’emblée mal posé si la question est réduite à une alternative entre une banque centrale qui interviendrait sur tous les sujets en prenant la place de toutes les autres politiques et une banque centrale qui ne se soucierait que de l’inflation. Enfin, il est difficile de soutenir que le principal obstacle à l’accord des gouvernements sur une hausse du prix du carbone serait qu’ils espèrent que les banques centrales régleront tous les problèmes environnementaux. Dans un monde qui n’est pas celui de la théorie économique idéale à laquelle se réfère Weidmann, il est possible que chaque institution en charge de la politique économique participe à un objectif commun. À moins que la référence à un idéal inexistant ne soit qu’une excuse pour justifier l’inaction. Mesdames et Messieurs, Le prix Nobel d’Économie William Nordhaus a parlé de « l’ultime défi » pour qualifier le sujet dont nous allons parler : le changement climatique. Ses propos sur les conséquences potentielles si nous ne parvenons pas à relever ce défi sont drastiques : « Le changement technologique a permis à l’homme de sortir de l’âge de pierre. Le changement climatique menace, dans les scénarios les plus extrêmes, de nous ramener économiquement d’où nous venons ». 12 Nordhaus faisait également référence au Colosse, ce tableau inquiétant attribué à Goya : « [Le réchauffement climatique] menace notre planète et plane sur notre avenir comme un colosse ». Comment vaincre cette monstruosité ? Qui forgera l’épée dont nous avons besoin ? Le marché ? Les gouvernements ? Les banques centrales ? C’est la question sur laquelle je voudrais me pencher au cours des quinze prochaines minutes. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que les émissions mondiales de CO2 diminueront de 7 % en 2020. Malheureusement, ce n’est pas le signe d’une transition vers une économie mondiale respectueuse du climat. C’est plutôt le résultat de la pandémie de Covid-19 qui a profondément affecté notre vie quotidienne. Dans la mesure où les gens ont dû réduire considérablement leur mobilité, la diminution des émissions est proportionnellement plus importante que lors des précédents ralentissements économiques 13. Avec la reprise de l’économie mondiale, les émissions ne manqueront pas d’augmenter à nouveau. Et même si les gens continuent à télétravailler et que le volume du trafic domicile-travail reste stable, la récente baisse des émissions sera bien trop faible pour avoir un impact significatif sur le changement climatique. Selon certaines estimations, pour atteindre l’objectif fixé à Paris de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius (par rapport à l’ère préindustrielle), il faudrait procéder à des réductions d’une ampleur similaire chaque année pendant des décennies 14. Or la baisse des émissions de cette année ne sera possible que parce que la production économique mondiale devrait diminuer de plus de 4 %. En d’autres termes : nous ne pouvons pas nous permettre une décarbonation soutenue à des coûts économiques aussi élevés. La politique climatique — et les politiques économiques qui l’accompagnent — doivent faire mieux que cela, mieux que de compromettre les moyens de subsistance de tant de personnes et de frapper particulièrement durement les plus pauvres de la planète. Au cœur du problème se trouve une externalité négative : si la consommation de combustibles fossiles procure un avantage à celui qui en est à l’origine, elle nuit à tous les autres — y compris aux générations futures. Ces coûts sociaux ne sont pas reflétés dans les prix du marché. Pourtant, tant que les consommateurs et les producteurs ne tiendront pas compte de ces coûts, nous brûlerons trop de charbon, de pétrole et de gaz. Pour une fois, les économistes sont largement d’accord sur le fait qu’une politique efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre passe par une augmentation du prix du carbone. Cela fournira les incitations et les informations nécessaires aux consommateurs, aux producteurs et aux innovateurs. Les systèmes d’échange de quotas d’émission (ou SCEQE) et les taxes sur le carbone sont des instruments bien établis pour réduire efficacement les émissions. Ils permettent tous deux d’obtenir des réductions plus importantes pour le même coût que d’autres politiques climatiques, car ils font intervenir un mécanisme de marché dans le processus de transformation. Mais ces deux approches doivent être mises en œuvre en temps voulu, de manière cohérente et crédible. Pour les entreprises, il est essentiel de disposer d’une voie de transition claire, car elles ont besoin de perspectives fiables pour réaliser les investissements à long terme nécessaires. C’est là que le bât blesse. Le manque de reconnaissance n’est pas le problème. Ce qui fait défaut, c’est une mise en œuvre cohérente et crédible. Par exemple, l’Union européenne a été relativement ambitieuse dans sa politique climatique et a mis en place un système d’échange de quotas d’émission dès 2005. Toutefois, le système couvre moins de la moitié des émissions totales de gaz à effet de serre dans l’Union. Les transports (autres que l’aviation), les bâtiments et l’agriculture ne sont pas encore inclus dans le système d’échanges de quotas de l’Union. Ces secteurs sont actuellement soumis à un ensemble disparate de mesures nationales. Il serait préférable d’étendre le système d’échange de quotas d’émission et d’établir un prix du carbone uniforme pour tous les secteurs et tous les pays de l’Union 15. Dans le même temps, il conviendrait peut-être d’appliquer un prix du carbone à certaines importations en provenance de l’extérieur de l’Union. Autrement, les entreprises pourraient simplement délocaliser leur production à l’étranger, déplaçant ainsi les émissions tout en supprimant des emplois dans leur pays — sans compter que les importateurs bénéficieraient d’un avantage déloyal. Une approche nationale ne peut pas arrêter le changement climatique. Mais tant qu’il n’y aura pas de consensus, même au sein de l’Union, il faudra trouver des solutions de substitution. La décision du législateur allemand d’introduire progressivement un prix du carbone pour le chauffage et les transports à partir de l’année prochaine est donc bienvenue. Même si les objectifs climatiques auraient nécessité des augmentations de prix plus ambitieuses, il s’agit là d’un début 16. Cependant, les émissions de carbone constituent un problème particulièrement épineux car elles ont un impact mondial. Les efforts nationaux et même européens en matière de climat risquent d’être contrecarrés si le reste du monde ne prend pas des mesures similaires. Il est donc essentiel que nous renforcions la coordination internationale et que nous nous efforcions de fixer le prix du carbone au niveau mondial 17. Bien entendu, il s’agit d’une tâche assez difficile, car on ne peut pas contraindre les pays réticents à s’aligner. Il est difficile, mais pas impossible, de surmonter leur incitation à contourner les règles. Nordhaus a par exemple lancé l’idée de clubs climatiques comme un pas dans cette direction 18. Dans ce contexte, l’Europe peut servir de modèle et de référence pour les autres régions du monde. Elle peut les encourager à redoubler d’efforts en démontrant qu’une politique climatique ambitieuse est possible sans mettre en péril les fondements de la prospérité économique et de la paix sociale. L’Union vise non seulement à rendre l’Europe climatiquement neutre d’ici 2050, mais aussi à aligner la décarbonation sur les efforts visant à renforcer la résilience, la croissance et la cohésion sociale. L’augmentation du prix du carbone devrait idéalement être combinée à un effort d’investissement pour faciliter la transition. Une croissance plus forte sur le long terme et des progrès technologiques nous aideront à réduire les émissions de carbone à l’avenir. Les mesures de soutien budgétaire mises en place en réponse à la crise économique actuelle offrent l’occasion de faire de la reprise post-pandémique une reprise plus « verte » 19. Il est donc logique que le programme « Next GenerationEU » cible également des mesures « vertes » — à condition que celles-ci soutiennent réellement la transition vers une économie neutre en carbone. Mais les fonds publics ne suffiront pas à financer les technologies « vertes ». Une mobilisation à grande échelle des capitaux privés est également nécessaire. Les marchés financiers devront donc jouer un rôle important dans la transition de l’économie. Là encore, il est essentiel de fournir les bons signaux de prix. Un prix « erroné » peut avoir plusieurs causes. L’une d’entre elles pourrait être que les marchés financiers ne s’attendent pas à ce que la politique climatique soit aussi stricte qu’elle devrait l’être. Selon l’hypothèse de l’efficience des marchés, les prix sur les marchés financiers devraient refléter toutes les informations disponibles. Il se peut donc aussi que les investisseurs ne disposent pas d’informations importantes. Bien que des progrès aient été réalisés dans la communication sur leurs émissions de gaz à effet de serre par un certain nombre d’entreprises, en particulier les grandes, les marchés financiers ne disposent toujours pas d’informations actualisées sur l’empreinte carbone de nombreux émetteurs de titres 20. Or des études suggèrent que la divulgation des émissions de gaz à effet de serre des entreprises réduit l’incertitude des investisseurs, ce qui est récompensé par une baisse du coût du capital 21. Cela souligne à quel point la transparence est essentielle pour que les marchés financiers remplissent leur rôle et canalisent les fonds vers des investissements respectueux de l’environnement. Et c’est également dans le secteur financier que les banques centrales entrent en jeu. Je suis convaincu que chacun d’entre nous devrait faire davantage pour lutter contre le changement climatique et il est évident que les banques centrales doivent également jouer leur rôle. Cela va évidemment bien au-delà de la réduction de leur empreinte carbone en tant qu’institutions. Le changement climatique et les mesures prises pour l’atténuer affectent les banques centrales dans plusieurs domaines 22, notamment en ce qui concerne le maintien de la stabilité des prix, qui pourrait devenir plus difficile. Le changement climatique et les politiques climatiques peuvent avoir un impact sur des variables macroéconomiques clefs telles que les prix, les taux d’intérêt, la production et l’emploi 23. Il est essentiel pour les banques centrales de bien comprendre ces effets et leurs implications pour la politique monétaire. Par conséquent, nous devons intégrer les risques et les évolutions liés au climat dans nos analyses de politique monétaire et mettre à jour nos outils d’analyse et de prévision en conséquence. Par ailleurs, le changement climatique et les mesures prises pour l’atténuer peuvent engendrer des risques financiers susceptibles d’affecter non seulement des banques ou des investisseurs individuels, mais aussi l’ensemble du système financier. Dans notre rôle de superviseurs prudentiels et de gardiens de la stabilité financière, nous devons veiller à ce que les établissements de crédit intègrent de manière adéquate les risques financiers dans leur gestion des risques — y compris, donc, les risques financiers liés au climat. Cependant, les banques centrales doivent également mettre en pratique ce qu’elles préconisent. Autrement dit : nous devons aux contribuables européens de maîtriser les risques financiers qui découlent de nos opérations de politique monétaire. D’autant plus que nos actifs financiers peuvent être tout aussi exposés aux risques financiers que ceux des banques commerciales. C’est pourquoi les banques centrales doivent elles aussi veiller à ce que les risques financiers liés au climat soient dûment pris en compte dans leur propre gestion des risques, en particulier dans les portefeuilles de titres détenus à des fins de politique monétaire. À cette fin, il est légitime d’attendre des émetteurs de titres et des agences de notation qu’ils fournissent de meilleures informations 24. À mon avis, l’Eurosystème devrait envisager de n’acheter des titres ou de ne les accepter en garantie à des fins de politique monétaire que si leurs émetteurs satisfont à certaines obligations d’information relatives au climat. De même, nous pourrions examiner la possibilité de n’utiliser que les notations émises par les agences de notation qui intègrent de manière appropriée les risques financiers liés au climat. En prenant de telles mesures, l’Eurosystème contribuerait à renforcer la transparence des marchés et les normes des agences de notation et des banques. Nous jouerions un rôle de catalyseur dans la transition du système financier et soutiendrions les politiques climatiques dans l’Union. Ces mesures viendraient s’ajouter à la contribution essentielle que nous apportons déjà. En maintenant la stabilité des prix, les banques centrales soutiendraient également les politiques climatiques, car la stabilité des prix permet aux consommateurs et aux producteurs de mieux identifier les variations des prix relatifs. Cela peut aider à orienter les ressources au sein de l’économie vers des utilisations respectueuses du climat. Pour préserver la stabilité des prix dans une crise économique comme celle que nous traversons aujourd’hui, il est impératif que la politique monétaire maintienne les taux d’intérêt à un niveau bas et soutienne l’économie dans son ensemble. En particulier, des conditions de financement généralement favorables encouragent les nouveaux investissements, qui sont également nécessaires à une croissance durable. Les programmes d’achat d’actifs sont l’une des composantes de notre politique monétaire expansionniste. Pour être efficaces, ces programmes doivent reposer sur une large assise. Nos achats d’obligations privées sont donc guidés par le principe de « neutralité du marché », qui vise à garantir une approche globale et à éviter que nous ne faussions les résultats du marché. C’est pourquoi nous devons vérifier si nous n’avons pas involontairement laissé s’introduire un biais dans notre portefeuille de titres, par rapport à l’univers des obligations éligibles. Mais devrions-nous aller encore plus loin et éliminer les actifs à forte intensité carbone de nos portefeuilles de politique monétaire ? Comment les banques centrales doivent-elles répondre aux appels à la responsabilité sociale face à une double défaillance potentielle — une défaillance du marché et une défaillance politique ? Jean Tirole, lauréat du prix Nobel, nous rappelle que « notre devoir moral est d’éliminer le charbon, pas de prétendre que nous le faisons ». Il note : « [Le désinvestissement] n’a que peu d’impact si d’autres investisseurs sautent sur l’occasion d’actions et d’obligations sous-évaluées liées aux combustibles fossiles […]. Il n’a pas non plus d’impact si les centrales existent déjà, car elles n’ont pas besoin de financement. Dans ce cas, seul un prix du carbone aura un impact sur les émissions » 25. Des études suggèrent en effet que les achats d’obligations d’entreprises par les banques centrales de la zone euro ont comprimé les écarts de rendement non seulement pour les obligations achetées ou ciblées, mais aussi pour les obligations non éligibles 26. Cet impact indirect peut être dû au canal de rééquilibrage des portefeuilles, car nos achats peuvent pousser les investisseurs vers des classes d’actifs plus risquées. Ainsi, même les obligations « vertes » qui ne sont pas éligibles peuvent avoir bénéficié de nos achats dans une certaine mesure. Dans le même temps, l’impact de l’exclusion potentielle des entreprises à forte intensité de carbone de notre portefeuille ne doit pas être surestimé. La politique monétaire ne peut pas se substituer à la détermination d’un prix adéquat pour les émissions de carbone. Et je suis très critique à l’égard des suggestions selon lesquelles il faudrait utiliser la politique monétaire pour poursuivre activement les objectifs de la politique climatique. Permettez-moi de mettre en avant trois raisons. Premièrement, des conflits avec notre objectif principal de stabilité des prix pourraient survenir. En effet, ce serait faire preuve de myopie que de supposer que l’inflation se maintiendra éternellement à des niveaux très bas 27. Lorsque cela est nécessaire pour maintenir la stabilité des prix, le système monétaire de la zone euro doit freiner et réduire ses achats d’actifs ou son portefeuille. Mais la nécessité de promouvoir la transition de l’économie ne disparaîtrait pas pour autant. Deuxièmement, il n’appartient pas aux banques centrales de pénaliser ou de subventionner certains secteurs. La correction des distorsions du marché a souvent des implications complexes en termes de répartition. De telles décisions nécessitent une forte légitimité démocratique et relèvent de la compétence des gouvernements et des parlements. Ils disposent des outils adéquats et, en tant que représentants élus, ils ont également l’autorité démocratique pour utiliser ces outils. Dans le même temps, ils doivent mettre en balance la lutte contre le changement climatique et d’autres objectifs politiques. Troisièmement, les banques centrales devraient faire attention à ne pas dériver de leur mission. Pour citer à nouveau Jean Tirole : « Nous devons résister à cette tendance des agences gouvernementales à devenir spécialistes de tous les métiers et maîtres d’aucun d’entre eux. […] Le sens de la mission d’une agence […] ne doit pas être « pollué » par des considérations qui peuvent être traitées [à l’aide] d’autres instruments appropriés ». Dans le cas contraire, les banques centrales seront bientôt appelées à corriger les résultats du marché dans d’autres domaines également. En tant que père de deux enfants, je regrette beaucoup de voir des politiques climatiques souvent tièdes et un manque d’engagement crédible en faveur d’une voie de transition claire. Mais les banquiers centraux n’ont pas la légitimité démocratique nécessaire pour corriger l’action ou l’inaction politique. Notre indépendance ne nous a pas été accordée pour prendre les décisions que les politiques ne veulent pas prendre eux-mêmes. Cette indépendance nous a été accordée parce que les banques centrales indépendantes sont mieux équipées pour préserver la stabilité des prix que les banques centrales contrôlées par le gouvernement 28. Or un rôle actif dans la politique climatique — ou dans d’autres domaines politiques — pourrait compromettre notre indépendance et, en fin de compte, notre capacité à maintenir la stabilité des prix. L’indépendance de la banque centrale nous oblige à rester concentrés sur notre objectif principal. Notre conviction — appuyée par un large consensus — est qu’à long terme, la stabilité des prix est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse apporter à notre bien-être général. Mesdames et Messieurs, Le dramaturge Gotthold Ephraim Lessing a écrit un jour : « Celui qui promet trop et celui qui espère trop se nuisent tous deux à eux-mêmes ». Je suis fermement convaincu que les banques centrales peuvent et doivent faire plus pour lutter contre le changement climatique qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent. Elles peuvent soutenir les politiques climatiques menées par l’Union et ses États membres sans risquer d’entrer en conflit avec leurs propres missions. Nous devrions tous nous comporter de manière responsable et faire davantage pour lutter contre le changement climatique. Mais au moment où de forger l’épée dont nous avons besoin pour vaincre le colosse, reconnaissons que ce n’est pas vers les banques centrales qu’il faut se tourner. Je vous remercie de votre attention ! L’article La fin des politiques monétaires climatiques : aux origines allemandes du tournant de Trump est apparu en premier sur Le Grand Continent. Texte intégral 5507 mots
Une politique climatique efficace et efficiente
Le rôle de la banque centrale
Conclusion
08.02.2025 à 16:07
Le partage des données à l’ère de l’IA verticale et du rapport Draghi
Le rapport Draghi commandé par le Conseil européen à l’ancien Premier ministre italien, propose une voie à suivre pour améliorer la compétitivité dans l’Union. Il fait suite au rapport Letta sur le marché intérieur de l’Union, que nous avions analysé dans un article précédent.
Enrico Letta recommande d’introduire une cinquième liberté en plus de la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, car ces dernières ne permettent pas « de passer d’une économie fondée sur la propriété à une nouvelle économie fondée sur l’accès et le partage ». Une liberté de circulation et le partage de la recherche, de l’innovation, des données et des connaissances devrait donc être consacrée pour ces dimensions qui sont devenues des moteurs indispensables de l’innovation dans les économies modernes.
Nous n’aborderons pas dans cette étude la politique d’investissement et les recommandations de Mario Draghi pour un marché des capitaux intégré, nous concentrant plutôt sur la stratégie d’innovation proposée telle qu’elle est expliquée dans la partie B du rapport, couvrant une analyse approfondie et des recommandations à la fois sur les politiques sectorielles et horizontales. Nous soutenons l’idée de promouvoir le lancement explicite d’une deuxième saison de la stratégie européenne en matière de données telle qu’elle a été initialement présentée en février 2020. Une Union des données tirera parti du cadre réglementaire et des investissements dans les espaces européens communs de données et facilitera la cinquième liberté prônée par Enrico Letta sur la compétitivité de l’IA.
Le partage des données dans les écosystèmes des dix secteurs stratégiques proposés par Mario Draghi est la condition préalable à toute application utile de l’IA dans ces secteurs.
Les progrès impressionnants de l’IA générative ne pourront pas atteindre leur potentiel global sans l’accès à des données de qualité obtenues avec le consentement des détenteurs de données. Par ailleurs, des modèles d’IA open-source comme le R1 de DeepSeek peuvent être considérés comme un « moment Spoutnik » 1 et montrent que la compétition globale sur l’IA est loin d’être terminée. Une équipe de 200 ingénieurs est apparemment en mesure de développer un modèle d’IA plus respectueux de l’environnement et qui répond aux attentes formulées dans le rapport Draghi. Cette approche, déployée en Europe, serait sans doute préférable à celle s’appuyant sur la « force brute » annoncée par Donald Trump à travers les 500 milliards au consortium Stargate une semaine plus tôt 2.
Nous résumerons d’abord la position du rapport Draghi sur le partage des données en montrant qu’il ne le reconnaît pas comme une condition préalable indispensable pour le « Plan de priorités de l’Union européenne en matière d’IA verticale ». Nous présenterons ensuite la chaîne de valeur du partage des données en tant que fondement d’un avantage concurrentiel grâce à l’IA, puis nous donnerons un aperçu des initiatives existantes en matière de partage des données en Europe. Nous expliquerons enfin comment tirer parti des investissements européens en matière de partage des données pour soutenir le Plan de priorités en matière d’IA verticale.
Le rapport Draghi se compose de deux parties : le rapport lui-même (partie A) et les recommandations (partie B).
La partie A se concentre sur l’analyse de l’écart de productivité entre l’Union et les États-Unis :
Le principal moteur de l’écart de productivité croissant entre l’Union et les États-Unis a été la technologie numérique et l’Europe semble actuellement prête à se laisser distancer davantage.
L’exemple clef de l’écart de productivité est illustré par la référence à l’IA :
L’Europe est à la traîne en ce qui concerne les technologies numériques de rupture qui stimuleront la croissance à l’avenir. Environ 70 % des modèles de fondation IA ont été développés aux États-Unis depuis 2017 et trois hyperscalers seulement représentent plus de 65 % du marché mondial et européen du cloud […]. Le désavantage concurrentiel de l’Union se creusera probablement dans le domaine du cloud, car le marché se caractérise par des investissements massifs continus, des économies d’échelle et de multiples services offerts par un seul fournisseur. Cependant, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles l’Europe ne doit pas renoncer à développer son secteur technologique. Tout d’abord, il est important que les entreprises de l’Union gardent un pied dans les domaines où la souveraineté technologique est nécessaire, tels que la sécurité et le cryptage (solutions souveraines du cloud). Deuxièmement, un secteur technologique faible entravera les performances en matière d’innovation dans un large éventail de domaines adjacents tels que la pharmacie, l’énergie, les matériaux et la défense. Troisièmement, l’IA est une technologie évolutive dans laquelle les entreprises de l’Union ont encore la possibilité de se tailler une place de premier plan dans certains segments.
Plus loin dans le rapport, le partage des données est mentionné comme l’une des principales recommandations :
L’Union devrait promouvoir la coordination interindustrielle et le partage des données afin d’accélérer l’intégration de l’IA dans l’industrie européenne… Pour faciliter cette coopération, les entreprises de l’Union devraient être encouragées à participer au « Plan de priorités en matière d’IA verticale ». L’objectif de ce plan serait d’accélérer dix secteurs stratégiques dans lesquels les modèles commerciaux de l’Union bénéficieront le plus de l’introduction rapide de l’IA (automobile, fabrication avancée et robotique, énergie, télécommunications, agriculture, aérospatiale, défense, prévisions environnementales, pharmacie et soins de santé) […]. En particulier, pour pallier le manque de grands ensembles de données de l’Union, l’entraînement des modèles devrait être alimenté par des données librement fournies par plusieurs entreprises de l’Union au sein d’un certain secteur.
Enfin, l’importance de l’informatique dématérialisée pour le partage des données et la manière de tirer parti des avancées américaines sont mentionnées :
Compte tenu de la domination des fournisseurs américains, l’Union doit trouver un juste milieu entre la promotion de son industrie nationale du cloud et la garantie d’un accès aux technologies dont elle a besoin.
La partie B du rapport Draghi décrit l’état actuel de la « numérisation et des technologies avancées » dans l’Union :
Le modèle industriel de l’Union, basé jusqu’à présent sur les importations de technologies de pointe et les exportations des secteurs de l’automobile, de la mécanique de précision, de la chimie, des matériaux et de la mode, ne reflète pas le rythme actuel de l’évolution technologique.
L’Union souffre d’une capacité limitée à tirer parti de la dynamique winners take most, des effets de réseau et des économies d’échelle dans les technologies clefs, à l’exception des matériaux de nouvelle génération et des technologies propres.
Plusieurs alliances industrielles de l’Union pour les technologies basées sur le cloud et les échanges de données ont été créées au fil du temps avec des missions diverses (Andromède, Gaia-X, Catena-X), mais les résultats sont minimes à ce jour.
Plus récemment, plusieurs États membres ont encouragé la mise en place de systèmes « sécurisés » dans lesquels les fournisseurs d’infrastructures en tant que service appartenant à l’Union coopèrent avec les distributeurs d’hyperscalers tout en conservant le contrôle des éléments sensibles de la sécurité et du cryptage (solutions de « cloud souverain »).
La deuxième série de recommandations est essentielle pour combler le fossé de la productivité et promouvoir l’utilisation de l’IA dans 10 industries stratégiques :
Lancer un « Plan de priorités de l’Union en matière d’IA verticale ». Dans le cadre de ces priorités, le plan financerait des modèles verticaux clefs d’IA dans les secteurs industriels, fondés sur le partage des données de l’Union, à l’abri de l’application des règles antitrust pour dix industries stratégiques où le savoir-faire européen et la capture de la valeur doivent être protégés : 1°) l’industrie automobile et la plateforme de mobilité ; 2°) l’industrie de pointe et la robotique ; 3°) l’énergie — pour l’optimisation du réseau ainsi que la production et l’intégration des sources — ; 4°) les réseaux de télécommunications — y compris le edge computing et l’Internet des objets— ; 5°) l’agriculture ; 6°) l’aérospatiale — y compris les données d’observation de la Terre générées depuis l’espace — ; 7°) la défense ; 8°) les prévisions environnementales ; 9°) les produits pharmaceutiques et 10°) les soins de santé.
Comme toute technologie numérique, l’IA n’est pas une fin en soi mais un moteur de compétitivité. Il est donc utile de distinguer les cas d’utilisation typiques de l’IA industrielle :
Dans ce cas, les entreprises industrielles « consomment » simplement des services numériques/intelligents fournis par des vendeurs de logiciels, etc. qui utilisent l’IA — à la fois prédictive et générative. Des exemples peuvent être trouvés dans divers domaines, par exemple les services de capteurs améliorés par l’IA, les services d’estimation de l’heure d’arrivée dans le domaine de la logistique, etc.
Les entreprises industrielles utilisent leurs propres données et/ou celles de leurs clients pour leur fournir un service numérique. Un exemple est celui des services de maintenance prédictive ou de surveillance de l’état d’un produit qui utilisent les données créées lors de l’utilisation d’un produit de l’entreprise industrielle concernée. Ainsi, les entreprises privées (clients) partagent leurs données pour bénéficier de meilleurs services numériques. Si les données des clients sont utilisées pour des services numériques/intelligents, la loi européenne sur les données s’applique et régit les droits du détenteur des données.
Les activités des processus commerciaux tels que l’approvisionnement, la comptabilité, le marketing, etc. peuvent être accélérées et automatisées à l’aide de grands modèles de langage (LLM). Or la majorité des LLM est détenue par des entreprises d’IA non européennes.
Dans ce cas, les entreprises industrielles ne se contentent pas d’utiliser des LLM, mais déploient des technologies telles que RAG (Retrieval Augmented Generation) pour « enrichir » les LLM à l’aide de données privées.
Cette approche augmente les performances du LLM.
L’évaluation des données partagées est nécessaire car, dans le cas contraire, une entreprise privée ne serait pas incitée à nourrir le LLM de ses propres données.
Dans ce cas de figure, plusieurs entreprises privées partagent leurs données afin de former et/ou d’affiner conjointement un modèle de base/LLM. Nous n’avons pas connaissance d’un seul cas productif de ce type dans la pratique : les intermédiaires qui facilitent le partage des données sont soumis à la loi européenne sur la gouvernance des données afin d’empêcher la mise en commun des données aux dépens des détenteurs des droits sur les données.
Afin de réduire les dépendances et d’accroître la compétitivité, les entreprises et les décideurs politiques doivent comprendre la chaîne de valeur sous-jacente du partage des données qui prolonge la chaîne de valeur traditionnelle des données et de l’IA — consistant à collecter, créer, conserver, enrichir, stocker et distribuer des données et à les utiliser pour former des modèles d’IA — par la notion de partage. En Europe, aucun acteur ne possède à lui seul toutes les ressources nécessaires — l’infrastructure informatique, les données, la confiance, etc. — pour opérer la chaîne de valeur complète du partage de données.
Dans l’écosystème extrêmement dynamique de l’IA, il est essentiel d’identifier où doivent se porter les investissements européens.
La priorité doit-elle être donnée au développement de modèles de fondation génériques puissants ou plutôt au fine tuning et à la customisation de modèles ouverts ? La question est d’une extrême actualité avec l’arrivée du R1 de DeepSeek. La communauté de l’IA est toujours en discussion pour identifier les facteurs qui ont fait de R1 un modèle supérieur : meilleure qualité des données initiales, processus de « curation » plus efficace, utilisation de l’apprentissage par renforcement, « distillation » dans des plus petits modèles…
En Europe, aucun acteur ne possède à lui seul toutes les ressources nécessaires pour opérer la chaîne de valeur complète du partage de données.
Boris Otto et Hubert Tardieu
Toujours est-il que Hugging Face offre déjà Open-R1 3, une reproduction complète du R1 de DeepSeek pour faciliter la réutilisation du modèle de fondation et le développement de modèles spécialisés par industrie sur ce modèle générique.
Dans ce contexte, les champions européens en IA comme Mistral AI en France ou Aleph Alpha en Allemagne peuvent se poser la question de se concentrer sur les quatrième et cinquième cas d’usage décrits plus haut pour utiliser des modèles de fondation ouverts et se focaliser sur le fine tuning spécifique à chaque industrie qui sera le plus créateur de valeur. Cette stratégie est encouragée par le fait que des modèles de taille moyenne peuvent être fructueusement développés en Europe, comme le montre l’exemple de Teuken 7B 4.
Se concentrer sur l’aval — la partie à plus forte valeur ajoutée de la chaîne de valeur données et IA — amène à identifier des similitudes avec beaucoup d’écosystèmes de partage de données qui utilisent les infrastructures de fournisseurs de cloud non européen mais garantissent la protection et la souveraineté des données à travers des architectures règlementées et des standards industriels — tels que le protocole d’espace de données d’IDSA 5 et l’architecture de confiance de Gaia-X 6.
L’infrastructure informatique et le « trésor de données » souvent cité sont répartis entre de nombreuses organisations différentes, tant privées que publiques. Pour faciliter les modèles de fondations partagées, les mêmes exigences que pour l’économie des données de l’Union en général doivent être satisfaites : la confiance, la souveraineté, la traçabilité, l’économie des données, etc. Ces exigences ont été au centre de l’actuelle stratégie européenne en matière de données et doivent donc également être satisfaites dans l’Union européenne des données et le Plan de priorités en matière d’IA verticale.
Par ailleurs, les espaces de données les plus avancés — comme Catena dans l’industrie automobile — sont de plus en plus confrontés au défi de l’interopérabilité des données.
Les espaces de données n’exigent pas qu’un ensemble commun de définitions de données soit adopté d’emblée par tous les participants à l’espace de données ; afin de ne pas imposer une telle ontologie comme condition préalable 7, les espaces de données ont d’abord concentré leur attention sur l’adoption de définitions de données communes pour chacun de leurs principaux cas d’utilisation ; ils doivent, dans un deuxième temps, harmoniser ces définitions en utilisant l’IA générative et les LLM existants enrichis par les catalogue de données utilisés par chaque partenaire de l’espace de données. Des ensembles de données utilisables par l’industrie seront alors disponibles pour alimenter de nouvelles applications d’IA avec des données de qualité obtenues avec le consentement de leurs détenteurs.
La compétitivité de l’IA en Europe ne peut être accrue que si les investissements dans les espaces européens communs de données et le cadre réglementaire de l’économie des données sont exploités au maximum.
Au cours des quatre dernières années, les États membres de l’Union européenne et la Commission européenne ont déjà engagé un nombre significatif de ressources pour la création d’espaces de données en tirant parti du Fonds pour la reconstruction et la résilience (RRF) après la pandémie de Covid-19. Le tableau infra donne un aperçu du portefeuille de financement au niveau européen et au niveau des États membres.
Si l’importance du partage des données est désormais bien comprise dans la plupart des pays européens, les gouvernements qui ont financé les premiers espaces de données — en Allemagne depuis 2019 et en France depuis 2021 — attendent encore un retour sur investissement. Avec la convergence des fondements technologiques des espaces de données, les efforts conjoints doivent maintenant se concentrer sur l’adoption, la création de valeur et la capture des données partagées. Si la technologie est la condition nécessaire du succès, l’économie est la condition suffisante.
Plusieurs exemples récents montrent que la communauté a besoin de soutien. Fondé en 2020, AgDataHub 8, par exemple, a été arrêté en novembre 2024 parce que son modèle économique n’était pas en mesure d’atteindre le seuil de rentabilité malgré les 85 000 agriculteurs connectés et le soutien important des syndicats agricoles. Les principaux cas d’utilisation abordés par AgDataHub se concentraient sur l’identité de confiance des agriculteurs pour faciliter les échanges de données administratives avec les autorités, ainsi que sur la traçabilité des aliments et la génétique animale, tous des cas d’utilisation qui sont encore très stratégiques pour l’agriculture en Europe.
Le Centre de soutien aux espaces de données (DSSC) propose de nombreux outils pour soutenir les espaces de données dans leur parcours vers une adoption réussie — tels que les « blocs de construction commerciaux et organisationnels » et la « méthode de co-création » 9. En outre, un projet de l’Institut Gaia-X sur l’économie du partage des données a défini quatre niveaux de maturité qu’il est nécessaire de franchir avant d’obtenir les avantages d’un espace de données autonome. Le modèle proposé 10 établit qu’un ensemble de cas d’utilisation convenus d’un commun accord est une condition préalable pour gravir les niveaux de maturité.
Trois exemples inclus dans les dix secteurs stratégiques sélectionnés par Mario Draghi dans son rapport peuvent illustrer la voie à suivre.
Le secteur aérospatial est confronté à un double défi.
D’une part, une demande d’avions qui représente un portefeuille de 8 000 avions ou 10 ans de production et d’autre part une refonte majeure du modèle de production prévue dans les 30 prochaines années pour produire des avions à faible émission de carbone. Le principal cas d’utilisation de l’important projet aérospatial européen qui sera lancé en 2025 concernera par conséquent la chaîne d’approvisionnement et la capacité des principaux constructeurs aéronautiques et de leurs fournisseurs de pièces à partager un espace de données commun afin d’optimiser et de « dérisquer » l’approvisionnement en pièces.
Une première mise en œuvre appelée BoostAerospace 11 a été lancée il y a douze ans. Elle regroupe quatre grands fabricants en France : Airbus, Safran, Dassault et Thalès, leur permettant d’acheter en commun la majorité de leurs pièces. Il a fallu près de huit ans pour que le système atteigne sa viabilité économique. Le nouvel espace de données étendra la portée fonctionnelle de BoostAeroSpace à la conception de produits partagés et à la conformité à l’exportation.
Le secteur de l’énergie bénéficiera quant à lui du partage des données à la fois pour optimiser la distribution de l’énergie, comme cela a commencé avec les compteurs intelligents, et pour la production, et plus particulièrement pour la production d’énergie nucléaire.
En Europe, seuls certains États membres sont impliqués, la France étant particulièrement intéressée par la construction d’au moins 6 nouveaux réacteurs appelés EPR2. Comme pour l’aérospatiale, la chaîne d’approvisionnement est le cas d’utilisation critique, avec plus de 1 500 entreprises impliquées pour atteindre l’objectif majeur de réduire le temps de construction d’un nouveau réacteur à 70 mois — en Chine, il est déjà de 60 mois.
Dans le domaine de la fabrication, l’Allemagne a récemment lancé l’initiative International Manufacturing-X (IM-X) afin d’accroître la compétitivité, la résilience et la durabilité de l’industrie manufacturière allemande, européenne et mondiale grâce à des écosystèmes de données industrielles.
En tant que projet phare de Manufacturing-X, Factory-X 12 se concentre sur 11 cas d’utilisation dédiés qui visent à améliorer et à intégrer les aspects horizontaux et verticaux de la chaîne d’approvisionnement au sein des opérations industrielles. Ces cas d’utilisation sont conçus pour étendre les solutions existantes axées sur la chaîne d’approvisionnement développées par Catena-X, en mettant l’accent sur l’intégration verticale, qui relie directement et optimise les opérations de l’atelier. Le consortium est dirigé par les deux principaux champions de l’industrie 4.0 : Siemens AG et SAP, qui pilotent la chaîne d’approvisionnement et l’automatisation des usines depuis des années.
Comme le mentionne à juste titre le rapport Draghi :
Plusieurs alliances industrielles de l’Union pour les technologies basées sur le cloud et les échanges de données ont été créées au fil du temps avec des attributions diverses (Andromède, Gaia-X, Catena-X).
Tous les nouveaux espaces de données utilisent les fondations posées par Gaia-X et inaugurées par Catena, qui est opérationnel depuis octobre 2023. Les initiatives européennes dans les domaines de l’aéronautique, du nucléaire et de la fabrication réutiliseront l’architecture technique distribuée et le cadre de confiance pour coordonner la chaîne d’approvisionnement et la conception de nouveaux produits au cours des trois à cinq prochaines années.
La recréation d’une nouvelle industrie européenne de l’informatique dématérialisée pour concurrencer les grandes entreprises n’est plus l’option privilégiée. Comme le rappelle le rapport de Mario Draghi 13, une voie médiane a été trouvée :
Les différents secteurs de l’aéronautique, de l’énergie et de l’automobile ont défini leurs exigences en termes d’interopérabilité et de souveraineté, qui ont été incorporées dans des labels volontaires de 1 à 3. Ces labels sont utilisés par les acteurs de l’aéronautique, de l’énergie et de l’automobile pour communiquer leurs exigences aux fournisseurs de services cloud qui proposent leurs services pour mettre en œuvre le partage de données. La conformité des services cloud aux labels étant difficile à vérifier pour les utilisateurs, Gaia-X a mis en place des clearing houses (une ou deux dans chaque pays) qui estampillent la conformité des services cloud aux labels.
Après avoir défini sa stratégie en matière de données, la précédente Commission européenne a eu la sagesse de se concentrer sur l’établissement de la nouvelle réglementation, laissant aux associations industrielles telles que Gaia-X la responsabilité d’élaborer les meilleures options en termes d’architecture, de normes et de labels.
Deux règlements ont été mis en place, couvrant de multiples aspects, dont deux sont particulièrement pertinents pour contribuer à la création d’espaces de données réussis :
L’expérience acquise lors du lancement des premiers espaces de données — qu’ils soient réussis ou non — apporte une contribution précieuse à l’identification des principes de l’économie du partage des données.
L’infrastructure de l’espace de données — cadres de confiance, transactions de partage de données, etc. — doit être mise en place pour permettre de saisir les avantages commerciaux du partage de données et, ainsi, d’atteindre les seuils de rentabilité des investissements dans l’infrastructure et d’être prêt à partager les données pour l’entraînement et le perfectionnement de l’IA générative collective.
Si l’on considère le portefeuille d’activités actuel, les nouveaux espaces de données importants visent ce niveau de maturité et le seuil de rentabilité pour les principaux cas d’utilisation à la fin de 2027, ce qui permettra une réutilisation opérationnelle des données industrielles en 2028.
Autrement dit : il ne faut pas s’attendre à récolter au printemps ce qu’on a semé à l’automne.
Le rapport Draghi définit des objectifs et des propositions clairs en matière d’IA, ce que nous ne pouvons qu’approuver :
L’Union doit avoir l’ambition d’être un leader dans le développement de l’IA pour ses secteurs de force, de reprendre et de conserver le contrôle des données et des services cloud sensibles, et de développer un volet financier et des talents solides pour soutenir l’innovation dans l’informatique et l’IA. Pour y parvenir, l’Union devrait s’efforcer d’occuper une position forte au cours des cinq prochaines années en ce qui concerne l’IA intégrée dans les secteurs industriels clefs, tels que la fabrication de pointe et la robotique industrielle, la chimie, les télécommunications et la biotechnologie, sur la base d’un ensemble de grands modèles linguistiques et de modèles verticaux sectoriels élaborés par l’Union. (…) Pour atteindre ces objectifs, l’Union devrait adopter nouvelle loi sur le développement de l’informatique cloud et de l’IA, visant à renforcer les capacités et les infrastructures européennes de calcul intensif 15, d’IA et de quantique, à harmoniser les exigences en matière d’architecture cloud et les processus de passation de marchés, ainsi qu’à coordonner les initiatives prioritaires afin d’accroître la participation et le financement du secteur privé.
Nous pensons que le délai proposé de cinq ans est approprié et conforme aux cibles et objectifs de la décennie numérique : 75 % des entreprises de l’Union utilisant le cloud, l’IA ou le Big Data d’ici 2030.
Cependant, la manière de dépenser au cours de ces cinq années est essentielle. Or la lecture de certains passages de la partie B du rapport concernant le Plan de priorités de l’Union en matière d’IA verticale peut susciter des inquiétudes :
Cet effort serait alimenté par des données librement fournies par les entreprises de l’Union et soutenu par des cadres open source dans les industries à forte intensité de données, dûment protégés de l’application des règles antitrust de l’Union, afin d’encourager une coopération systématique entre les principales entreprises de l’Union pour l’IA générative et les champions industriels à l’échelle de l’Union dans des secteurs clefs.
Sans discuter de la gouvernance proposée pour le développement des principaux secteurs de l’IA verticale par le biais d’un « incubateur d’IA de type CERN », nous ne voulons pas parier l’avenir de l’Europe en matière d’IA sur l’hypothèse chimérique d’entreprises européennes — profondément impliquées dans le marché mondial — prêtes à fournir gratuitement leurs données.
À titre d’exemple, la raison pour laquelle l’industrie aéronautique est prête à partager ses données n’est pas altruiste : il s’agit essentiellement d’augmenter son volume de livraison au-delà de 800 avions par an pour co-concevoir, avec le reste de l’écosystème aéronautique, l’avion à faible émission de carbone. De même, la raison pour laquelle l’industrie nucléaire a décidé de créer un espace de données est de relever le défi de livrer une centrale nucléaire tous les 70 mois afin de fournir suffisamment d’énergie propre pour soutenir le développement de l’Europe.
Nous ne voulons pas parier l’avenir de l’Europe en matière d’IA sur l’hypothèse chimérique d’entreprises européennes prêtes à fournir gratuitement leurs données
Boris Otto et Hubert Tardieu
Les entreprises ne fourniront pas leurs données gratuitement à des modèles partagés, mais exigeront à juste titre la confiance, la transparence, la clarté quant à la propriété des modèles et une série d’autres critères. Les espaces de données doivent précisément être l’outil à disposition pour répondre à ces exigences fondamentales.
En 2025, le partage des données est compris par plusieurs industries — en particulier celles mentionnées dans le rapport Draghi — comme le seul moyen de relever les défis existentiels auxquels elles sont confrontées en raison du réchauffement climatique ; dans plusieurs des nouveaux espaces de données qui viennent d’être lancés, atteindre le seuil de rentabilité pour les cas d’utilisation les plus critiques — chaîne d’approvisionnement, conception de véhicules à faible émission de carbone, respect de la réglementation environnementale — prendra trois ans, ce qui est une condition préalable à un processus durable de collecte de données industrielles pour l’IA à l’échelle de l’ensemble de l’industrie ; comme mentionné à la fin de la section 2, l’interopérabilité des données dans l’ensemble de l’industrie devra avoir été réglée entre-temps pour que les données industrielles puissent être utilisées dans l’ensemble de l’industrie au-delà du périmètre des cas d’utilisation pour lesquels les données ont été collectées.
Nous recommandons donc qu’après 4 ans de financement par l’Europe et les États membres, il soit procédé à un examen approfondi des espaces de données arrivant au terme de leur financement.
L’Institut Gaia-X et l’Université Paris Dauphine ont proposé un modèle de maturité pour évaluer la viabilité économique des espaces de données existants 16 en suivant la définition proposée par le Centre de soutien à l’espace de données de l’Union 17. Il est important d’anticiper les espaces de données existants qui risquent de s’effondrer lorsque le financement cessera.
L’Europe a été pionnière dans sa stratégie en matière de données et des erreurs ont certainement été commises dans le passé, mais la prochaine génération d’espace de données, qui sera lancée en 2025, devra être rentabilisée dans les 3 à 4 prochaines années pour chacun des cas d’utilisation qui ont été proposés ; une voie vers l’interopérabilité des données utilisant l’IA générative devra être identifiée, dans l’intervalle, afin de garantir la réutilisation des données sectorielles de l’industrie pour l’IA.
Le rapport Draghi, dans la section cloud, propose une autre recommandation que nous soutenons :
Soutenir les courtiers en données (ex-Data Governance Act) en tant qu’intermédiaires de données « préapprouvés », certifiant la conformité ex ante avec l’acquis de l’Union et garantissant l’autorisation réglementaire via le mécanisme du « Médiateur de l’Union ». Cela contribuerait à favoriser les solutions spécifiques à l’industrie promues par les entreprises de l’Union.
Au-delà des aspects réglementaires pour les intermédiaires de données, nous avons vu récemment que les intermédiaires de données, que nous appelons aussi « orchestrateurs », concentrent la plupart des risques économiques que les membres réguliers ne sont pas disposés à prendre et qui sont parfois cachés par les cotisations des membres, ce qui permet à l’espace de données de survivre tant qu’il trouve de nouveaux membres, créant de facto une pyramide de Ponzi. Les intermédiaires de données continueront à jouer un rôle clef dans la réussite de l’adoption de l’espace de données et de l’intelligence artificielle dans la mesure où ils répondent aux besoins d’interopérabilité, fonctionnent comme une entité de confiance et coordonnent le déploiement des fonds investis — le plus souvent dans le cadre de partenariats public-privé.
Enfin, le rapport Draghi aborde le point important des « régimes de bac à sable réglementaire de l’IA » (regulatory sandboxes), ces régimes normatifs qui laissent une place à l’expérimentation :
Harmoniser les régimes nationaux de « bac à sable » pour l’IA dans tous les États membres afin de permettre l’expérimentation et le développement d’applications innovantes de l’IA dans les secteurs industriels sélectionnés et de garantir une mise en œuvre harmonisée et simplifiée du GDPR.
Nous pensons que cette recommandation est essentielle dans des domaines tels que la santé, la conduite autonome, mais aussi tout le domaine des agents autonomes qui est susceptible de se développer fortement dans un avenir proche.
Le rapport Draghi a raison d’appeler à une plus grande compétitivité économique à une époque où les demandes d’autonomie stratégique et de souveraineté technologique sont de plus en plus nombreuses.
L’IA est la technologie qui offre aujourd’hui la source la plus puissante d’avantages concurrentiels. C’est pourquoi l’Europe doit stimuler l’innovation dans le domaine de l’IA et réduire les dépendances économiques.
Le succès de l’IA repose sur la disponibilité de ressources clefs telles que la capacité de calcul, les grands modèles de langage/fondation et les données. Contrairement à d’autres domaines économiques, ces ressources ne sont pas détenues par quelques acteurs du marché ou sous le contrôle de l’État, mais réparties entre diverses parties prenantes.
C’est pourquoi l’Europe doit trouver sa propre voie pour atteindre l’objectif urgent de compétitivité fixé par le rapport Draghi. La voie européenne doit être caractérisée par des écosystèmes de partage qui consistent en un paysage distribué de capacité de calcul, de modèles de base et de données pour entraîner et perfectionner ces modèles. Cette voie ne sera couronnée de succès que lorsqu’un plan d’action sera mis en place, prenant en compte les aspects techniques, mais surtout les aspects liés à la gouvernance et au business. Le premier temps de la stratégie européenne en matière de données a mis en place les cadres nécessaires pour progresser vers une véritable Union européenne des données.
L’article Le partage des données à l’ère de l’IA verticale et du rapport Draghi est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Le rapport Draghi commandé par le Conseil européen à l’ancien Premier ministre italien, propose une voie à suivre pour améliorer la compétitivité dans l’Union. Il fait suite au rapport Letta sur le marché intérieur de l’Union, que nous avions analysé dans un article précédent. Enrico Letta recommande d’introduire une cinquième liberté en plus de la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, car ces dernières ne permettent pas « de passer d’une économie fondée sur la propriété à une nouvelle économie fondée sur l’accès et le partage ». Une liberté de circulation et le partage de la recherche, de l’innovation, des données et des connaissances devrait donc être consacrée pour ces dimensions qui sont devenues des moteurs indispensables de l’innovation dans les économies modernes. Nous n’aborderons pas dans cette étude la politique d’investissement et les recommandations de Mario Draghi pour un marché des capitaux intégré, nous concentrant plutôt sur la stratégie d’innovation proposée telle qu’elle est expliquée dans la partie B du rapport, couvrant une analyse approfondie et des recommandations à la fois sur les politiques sectorielles et horizontales. Nous soutenons l’idée de promouvoir le lancement explicite d’une deuxième saison de la stratégie européenne en matière de données telle qu’elle a été initialement présentée en février 2020. Une Union des données tirera parti du cadre réglementaire et des investissements dans les espaces européens communs de données et facilitera la cinquième liberté prônée par Enrico Letta sur la compétitivité de l’IA. Le partage des données dans les écosystèmes des dix secteurs stratégiques proposés par Mario Draghi est la condition préalable à toute application utile de l’IA dans ces secteurs. Les progrès impressionnants de l’IA générative ne pourront pas atteindre leur potentiel global sans l’accès à des données de qualité obtenues avec le consentement des détenteurs de données. Par ailleurs, des modèles d’IA open-source comme le R1 de DeepSeek peuvent être considérés comme un « moment Spoutnik » 1 et montrent que la compétition globale sur l’IA est loin d’être terminée. Une équipe de 200 ingénieurs est apparemment en mesure de développer un modèle d’IA plus respectueux de l’environnement et qui répond aux attentes formulées dans le rapport Draghi. Cette approche, déployée en Europe, serait sans doute préférable à celle s’appuyant sur la « force brute » annoncée par Donald Trump à travers les 500 milliards au consortium Stargate une semaine plus tôt 2. Nous résumerons d’abord la position du rapport Draghi sur le partage des données en montrant qu’il ne le reconnaît pas comme une condition préalable indispensable pour le « Plan de priorités de l’Union européenne en matière d’IA verticale ». Nous présenterons ensuite la chaîne de valeur du partage des données en tant que fondement d’un avantage concurrentiel grâce à l’IA, puis nous donnerons un aperçu des initiatives existantes en matière de partage des données en Europe. Nous expliquerons enfin comment tirer parti des investissements européens en matière de partage des données pour soutenir le Plan de priorités en matière d’IA verticale. Le rapport Draghi se compose de deux parties : le rapport lui-même (partie A) et les recommandations (partie B). La partie A se concentre sur l’analyse de l’écart de productivité entre l’Union et les États-Unis : Le principal moteur de l’écart de productivité croissant entre l’Union et les États-Unis a été la technologie numérique et l’Europe semble actuellement prête à se laisser distancer davantage. L’exemple clef de l’écart de productivité est illustré par la référence à l’IA : L’Europe est à la traîne en ce qui concerne les technologies numériques de rupture qui stimuleront la croissance à l’avenir. Environ 70 % des modèles de fondation IA ont été développés aux États-Unis depuis 2017 et trois hyperscalers seulement représentent plus de 65 % du marché mondial et européen du cloud […]. Le désavantage concurrentiel de l’Union se creusera probablement dans le domaine du cloud, car le marché se caractérise par des investissements massifs continus, des économies d’échelle et de multiples services offerts par un seul fournisseur. Cependant, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles l’Europe ne doit pas renoncer à développer son secteur technologique. Tout d’abord, il est important que les entreprises de l’Union gardent un pied dans les domaines où la souveraineté technologique est nécessaire, tels que la sécurité et le cryptage (solutions souveraines du cloud). Deuxièmement, un secteur technologique faible entravera les performances en matière d’innovation dans un large éventail de domaines adjacents tels que la pharmacie, l’énergie, les matériaux et la défense. Troisièmement, l’IA est une technologie évolutive dans laquelle les entreprises de l’Union ont encore la possibilité de se tailler une place de premier plan dans certains segments. Plus loin dans le rapport, le partage des données est mentionné comme l’une des principales recommandations : L’Union devrait promouvoir la coordination interindustrielle et le partage des données afin d’accélérer l’intégration de l’IA dans l’industrie européenne… Pour faciliter cette coopération, les entreprises de l’Union devraient être encouragées à participer au « Plan de priorités en matière d’IA verticale ». L’objectif de ce plan serait d’accélérer dix secteurs stratégiques dans lesquels les modèles commerciaux de l’Union bénéficieront le plus de l’introduction rapide de l’IA (automobile, fabrication avancée et robotique, énergie, télécommunications, agriculture, aérospatiale, défense, prévisions environnementales, pharmacie et soins de santé) […]. En particulier, pour pallier le manque de grands ensembles de données de l’Union, l’entraînement des modèles devrait être alimenté par des données librement fournies par plusieurs entreprises de l’Union au sein d’un certain secteur. Enfin, l’importance de l’informatique dématérialisée pour le partage des données et la manière de tirer parti des avancées américaines sont mentionnées : Compte tenu de la domination des fournisseurs américains, l’Union doit trouver un juste milieu entre la promotion de son industrie nationale du cloud et la garantie d’un accès aux technologies dont elle a besoin. La partie B du rapport Draghi décrit l’état actuel de la « numérisation et des technologies avancées » dans l’Union : Le modèle industriel de l’Union, basé jusqu’à présent sur les importations de technologies de pointe et les exportations des secteurs de l’automobile, de la mécanique de précision, de la chimie, des matériaux et de la mode, ne reflète pas le rythme actuel de l’évolution technologique. La deuxième série de recommandations est essentielle pour combler le fossé de la productivité et promouvoir l’utilisation de l’IA dans 10 industries stratégiques : Lancer un « Plan de priorités de l’Union en matière d’IA verticale ». Dans le cadre de ces priorités, le plan financerait des modèles verticaux clefs d’IA dans les secteurs industriels, fondés sur le partage des données de l’Union, à l’abri de l’application des règles antitrust pour dix industries stratégiques où le savoir-faire européen et la capture de la valeur doivent être protégés : 1°) l’industrie automobile et la plateforme de mobilité ; 2°) l’industrie de pointe et la robotique ; 3°) l’énergie — pour l’optimisation du réseau ainsi que la production et l’intégration des sources — ; 4°) les réseaux de télécommunications — y compris le edge computing et l’Internet des objets— ; 5°) l’agriculture ; 6°) l’aérospatiale — y compris les données d’observation de la Terre générées depuis l’espace — ; 7°) la défense ; 8°) les prévisions environnementales ; 9°) les produits pharmaceutiques et 10°) les soins de santé. Comme toute technologie numérique, l’IA n’est pas une fin en soi mais un moteur de compétitivité. Il est donc utile de distinguer les cas d’utilisation typiques de l’IA industrielle : Dans ce cas, les entreprises industrielles « consomment » simplement des services numériques/intelligents fournis par des vendeurs de logiciels, etc. qui utilisent l’IA — à la fois prédictive et générative. Des exemples peuvent être trouvés dans divers domaines, par exemple les services de capteurs améliorés par l’IA, les services d’estimation de l’heure d’arrivée dans le domaine de la logistique, etc. Les entreprises industrielles utilisent leurs propres données et/ou celles de leurs clients pour leur fournir un service numérique. Un exemple est celui des services de maintenance prédictive ou de surveillance de l’état d’un produit qui utilisent les données créées lors de l’utilisation d’un produit de l’entreprise industrielle concernée. Ainsi, les entreprises privées (clients) partagent leurs données pour bénéficier de meilleurs services numériques. Si les données des clients sont utilisées pour des services numériques/intelligents, la loi européenne sur les données s’applique et régit les droits du détenteur des données. Les activités des processus commerciaux tels que l’approvisionnement, la comptabilité, le marketing, etc. peuvent être accélérées et automatisées à l’aide de grands modèles de langage (LLM). Or la majorité des LLM est détenue par des entreprises d’IA non européennes. Dans ce cas, les entreprises industrielles ne se contentent pas d’utiliser des LLM, mais déploient des technologies telles que RAG (Retrieval Augmented Generation) pour « enrichir » les LLM à l’aide de données privées. Cette approche augmente les performances du LLM. L’évaluation des données partagées est nécessaire car, dans le cas contraire, une entreprise privée ne serait pas incitée à nourrir le LLM de ses propres données. Dans ce cas de figure, plusieurs entreprises privées partagent leurs données afin de former et/ou d’affiner conjointement un modèle de base/LLM. Nous n’avons pas connaissance d’un seul cas productif de ce type dans la pratique : les intermédiaires qui facilitent le partage des données sont soumis à la loi européenne sur la gouvernance des données afin d’empêcher la mise en commun des données aux dépens des détenteurs des droits sur les données. Afin de réduire les dépendances et d’accroître la compétitivité, les entreprises et les décideurs politiques doivent comprendre la chaîne de valeur sous-jacente du partage des données qui prolonge la chaîne de valeur traditionnelle des données et de l’IA — consistant à collecter, créer, conserver, enrichir, stocker et distribuer des données et à les utiliser pour former des modèles d’IA — par la notion de partage. En Europe, aucun acteur ne possède à lui seul toutes les ressources nécessaires — l’infrastructure informatique, les données, la confiance, etc. — pour opérer la chaîne de valeur complète du partage de données. Dans l’écosystème extrêmement dynamique de l’IA, il est essentiel d’identifier où doivent se porter les investissements européens. La priorité doit-elle être donnée au développement de modèles de fondation génériques puissants ou plutôt au fine tuning et à la customisation de modèles ouverts ? La question est d’une extrême actualité avec l’arrivée du R1 de DeepSeek. La communauté de l’IA est toujours en discussion pour identifier les facteurs qui ont fait de R1 un modèle supérieur : meilleure qualité des données initiales, processus de « curation » plus efficace, utilisation de l’apprentissage par renforcement, « distillation » dans des plus petits modèles… En Europe, aucun acteur ne possède à lui seul toutes les ressources nécessaires pour opérer la chaîne de valeur complète du partage de données. Toujours est-il que Hugging Face offre déjà Open-R1 3, une reproduction complète du R1 de DeepSeek pour faciliter la réutilisation du modèle de fondation et le développement de modèles spécialisés par industrie sur ce modèle générique. Dans ce contexte, les champions européens en IA comme Mistral AI en France ou Aleph Alpha en Allemagne peuvent se poser la question de se concentrer sur les quatrième et cinquième cas d’usage décrits plus haut pour utiliser des modèles de fondation ouverts et se focaliser sur le fine tuning spécifique à chaque industrie qui sera le plus créateur de valeur. Cette stratégie est encouragée par le fait que des modèles de taille moyenne peuvent être fructueusement développés en Europe, comme le montre l’exemple de Teuken 7B 4. Se concentrer sur l’aval — la partie à plus forte valeur ajoutée de la chaîne de valeur données et IA — amène à identifier des similitudes avec beaucoup d’écosystèmes de partage de données qui utilisent les infrastructures de fournisseurs de cloud non européen mais garantissent la protection et la souveraineté des données à travers des architectures règlementées et des standards industriels — tels que le protocole d’espace de données d’IDSA 5 et l’architecture de confiance de Gaia-X 6. L’infrastructure informatique et le « trésor de données » souvent cité sont répartis entre de nombreuses organisations différentes, tant privées que publiques. Pour faciliter les modèles de fondations partagées, les mêmes exigences que pour l’économie des données de l’Union en général doivent être satisfaites : la confiance, la souveraineté, la traçabilité, l’économie des données, etc. Ces exigences ont été au centre de l’actuelle stratégie européenne en matière de données et doivent donc également être satisfaites dans l’Union européenne des données et le Plan de priorités en matière d’IA verticale. Par ailleurs, les espaces de données les plus avancés — comme Catena dans l’industrie automobile — sont de plus en plus confrontés au défi de l’interopérabilité des données. Les espaces de données n’exigent pas qu’un ensemble commun de définitions de données soit adopté d’emblée par tous les participants à l’espace de données ; afin de ne pas imposer une telle ontologie comme condition préalable 7, les espaces de données ont d’abord concentré leur attention sur l’adoption de définitions de données communes pour chacun de leurs principaux cas d’utilisation ; ils doivent, dans un deuxième temps, harmoniser ces définitions en utilisant l’IA générative et les LLM existants enrichis par les catalogue de données utilisés par chaque partenaire de l’espace de données. Des ensembles de données utilisables par l’industrie seront alors disponibles pour alimenter de nouvelles applications d’IA avec des données de qualité obtenues avec le consentement de leurs détenteurs. La compétitivité de l’IA en Europe ne peut être accrue que si les investissements dans les espaces européens communs de données et le cadre réglementaire de l’économie des données sont exploités au maximum. Au cours des quatre dernières années, les États membres de l’Union européenne et la Commission européenne ont déjà engagé un nombre significatif de ressources pour la création d’espaces de données en tirant parti du Fonds pour la reconstruction et la résilience (RRF) après la pandémie de Covid-19. Le tableau infra donne un aperçu du portefeuille de financement au niveau européen et au niveau des États membres. Si l’importance du partage des données est désormais bien comprise dans la plupart des pays européens, les gouvernements qui ont financé les premiers espaces de données — en Allemagne depuis 2019 et en France depuis 2021 — attendent encore un retour sur investissement. Avec la convergence des fondements technologiques des espaces de données, les efforts conjoints doivent maintenant se concentrer sur l’adoption, la création de valeur et la capture des données partagées. Si la technologie est la condition nécessaire du succès, l’économie est la condition suffisante. Plusieurs exemples récents montrent que la communauté a besoin de soutien. Fondé en 2020, AgDataHub 8, par exemple, a été arrêté en novembre 2024 parce que son modèle économique n’était pas en mesure d’atteindre le seuil de rentabilité malgré les 85 000 agriculteurs connectés et le soutien important des syndicats agricoles. Les principaux cas d’utilisation abordés par AgDataHub se concentraient sur l’identité de confiance des agriculteurs pour faciliter les échanges de données administratives avec les autorités, ainsi que sur la traçabilité des aliments et la génétique animale, tous des cas d’utilisation qui sont encore très stratégiques pour l’agriculture en Europe. Le Centre de soutien aux espaces de données (DSSC) propose de nombreux outils pour soutenir les espaces de données dans leur parcours vers une adoption réussie — tels que les « blocs de construction commerciaux et organisationnels » et la « méthode de co-création » 9. En outre, un projet de l’Institut Gaia-X sur l’économie du partage des données a défini quatre niveaux de maturité qu’il est nécessaire de franchir avant d’obtenir les avantages d’un espace de données autonome. Le modèle proposé 10 établit qu’un ensemble de cas d’utilisation convenus d’un commun accord est une condition préalable pour gravir les niveaux de maturité. Trois exemples inclus dans les dix secteurs stratégiques sélectionnés par Mario Draghi dans son rapport peuvent illustrer la voie à suivre. Le secteur aérospatial est confronté à un double défi. D’une part, une demande d’avions qui représente un portefeuille de 8 000 avions ou 10 ans de production et d’autre part une refonte majeure du modèle de production prévue dans les 30 prochaines années pour produire des avions à faible émission de carbone. Le principal cas d’utilisation de l’important projet aérospatial européen qui sera lancé en 2025 concernera par conséquent la chaîne d’approvisionnement et la capacité des principaux constructeurs aéronautiques et de leurs fournisseurs de pièces à partager un espace de données commun afin d’optimiser et de « dérisquer » l’approvisionnement en pièces. Une première mise en œuvre appelée BoostAerospace 11 a été lancée il y a douze ans. Elle regroupe quatre grands fabricants en France : Airbus, Safran, Dassault et Thalès, leur permettant d’acheter en commun la majorité de leurs pièces. Il a fallu près de huit ans pour que le système atteigne sa viabilité économique. Le nouvel espace de données étendra la portée fonctionnelle de BoostAeroSpace à la conception de produits partagés et à la conformité à l’exportation. Le secteur de l’énergie bénéficiera quant à lui du partage des données à la fois pour optimiser la distribution de l’énergie, comme cela a commencé avec les compteurs intelligents, et pour la production, et plus particulièrement pour la production d’énergie nucléaire. En Europe, seuls certains États membres sont impliqués, la France étant particulièrement intéressée par la construction d’au moins 6 nouveaux réacteurs appelés EPR2. Comme pour l’aérospatiale, la chaîne d’approvisionnement est le cas d’utilisation critique, avec plus de 1 500 entreprises impliquées pour atteindre l’objectif majeur de réduire le temps de construction d’un nouveau réacteur à 70 mois — en Chine, il est déjà de 60 mois. Dans le domaine de la fabrication, l’Allemagne a récemment lancé l’initiative International Manufacturing-X (IM-X) afin d’accroître la compétitivité, la résilience et la durabilité de l’industrie manufacturière allemande, européenne et mondiale grâce à des écosystèmes de données industrielles. En tant que projet phare de Manufacturing-X, Factory-X 12 se concentre sur 11 cas d’utilisation dédiés qui visent à améliorer et à intégrer les aspects horizontaux et verticaux de la chaîne d’approvisionnement au sein des opérations industrielles. Ces cas d’utilisation sont conçus pour étendre les solutions existantes axées sur la chaîne d’approvisionnement développées par Catena-X, en mettant l’accent sur l’intégration verticale, qui relie directement et optimise les opérations de l’atelier. Le consortium est dirigé par les deux principaux champions de l’industrie 4.0 : Siemens AG et SAP, qui pilotent la chaîne d’approvisionnement et l’automatisation des usines depuis des années. Comme le mentionne à juste titre le rapport Draghi : Plusieurs alliances industrielles de l’Union pour les technologies basées sur le cloud et les échanges de données ont été créées au fil du temps avec des attributions diverses (Andromède, Gaia-X, Catena-X). Tous les nouveaux espaces de données utilisent les fondations posées par Gaia-X et inaugurées par Catena, qui est opérationnel depuis octobre 2023. Les initiatives européennes dans les domaines de l’aéronautique, du nucléaire et de la fabrication réutiliseront l’architecture technique distribuée et le cadre de confiance pour coordonner la chaîne d’approvisionnement et la conception de nouveaux produits au cours des trois à cinq prochaines années. La recréation d’une nouvelle industrie européenne de l’informatique dématérialisée pour concurrencer les grandes entreprises n’est plus l’option privilégiée. Comme le rappelle le rapport de Mario Draghi 13, une voie médiane a été trouvée : Les différents secteurs de l’aéronautique, de l’énergie et de l’automobile ont défini leurs exigences en termes d’interopérabilité et de souveraineté, qui ont été incorporées dans des labels volontaires de 1 à 3. Ces labels sont utilisés par les acteurs de l’aéronautique, de l’énergie et de l’automobile pour communiquer leurs exigences aux fournisseurs de services cloud qui proposent leurs services pour mettre en œuvre le partage de données. La conformité des services cloud aux labels étant difficile à vérifier pour les utilisateurs, Gaia-X a mis en place des clearing houses (une ou deux dans chaque pays) qui estampillent la conformité des services cloud aux labels. Après avoir défini sa stratégie en matière de données, la précédente Commission européenne a eu la sagesse de se concentrer sur l’établissement de la nouvelle réglementation, laissant aux associations industrielles telles que Gaia-X la responsabilité d’élaborer les meilleures options en termes d’architecture, de normes et de labels. Deux règlements ont été mis en place, couvrant de multiples aspects, dont deux sont particulièrement pertinents pour contribuer à la création d’espaces de données réussis : L’expérience acquise lors du lancement des premiers espaces de données — qu’ils soient réussis ou non — apporte une contribution précieuse à l’identification des principes de l’économie du partage des données. L’infrastructure de l’espace de données — cadres de confiance, transactions de partage de données, etc. — doit être mise en place pour permettre de saisir les avantages commerciaux du partage de données et, ainsi, d’atteindre les seuils de rentabilité des investissements dans l’infrastructure et d’être prêt à partager les données pour l’entraînement et le perfectionnement de l’IA générative collective. Si l’on considère le portefeuille d’activités actuel, les nouveaux espaces de données importants visent ce niveau de maturité et le seuil de rentabilité pour les principaux cas d’utilisation à la fin de 2027, ce qui permettra une réutilisation opérationnelle des données industrielles en 2028. Autrement dit : il ne faut pas s’attendre à récolter au printemps ce qu’on a semé à l’automne. Le rapport Draghi définit des objectifs et des propositions clairs en matière d’IA, ce que nous ne pouvons qu’approuver : L’Union doit avoir l’ambition d’être un leader dans le développement de l’IA pour ses secteurs de force, de reprendre et de conserver le contrôle des données et des services cloud sensibles, et de développer un volet financier et des talents solides pour soutenir l’innovation dans l’informatique et l’IA. Pour y parvenir, l’Union devrait s’efforcer d’occuper une position forte au cours des cinq prochaines années en ce qui concerne l’IA intégrée dans les secteurs industriels clefs, tels que la fabrication de pointe et la robotique industrielle, la chimie, les télécommunications et la biotechnologie, sur la base d’un ensemble de grands modèles linguistiques et de modèles verticaux sectoriels élaborés par l’Union. (…) Pour atteindre ces objectifs, l’Union devrait adopter nouvelle loi sur le développement de l’informatique cloud et de l’IA, visant à renforcer les capacités et les infrastructures européennes de calcul intensif 15, d’IA et de quantique, à harmoniser les exigences en matière d’architecture cloud et les processus de passation de marchés, ainsi qu’à coordonner les initiatives prioritaires afin d’accroître la participation et le financement du secteur privé. Nous pensons que le délai proposé de cinq ans est approprié et conforme aux cibles et objectifs de la décennie numérique : 75 % des entreprises de l’Union utilisant le cloud, l’IA ou le Big Data d’ici 2030. Cependant, la manière de dépenser au cours de ces cinq années est essentielle. Or la lecture de certains passages de la partie B du rapport concernant le Plan de priorités de l’Union en matière d’IA verticale peut susciter des inquiétudes : Cet effort serait alimenté par des données librement fournies par les entreprises de l’Union et soutenu par des cadres open source dans les industries à forte intensité de données, dûment protégés de l’application des règles antitrust de l’Union, afin d’encourager une coopération systématique entre les principales entreprises de l’Union pour l’IA générative et les champions industriels à l’échelle de l’Union dans des secteurs clefs. Sans discuter de la gouvernance proposée pour le développement des principaux secteurs de l’IA verticale par le biais d’un « incubateur d’IA de type CERN », nous ne voulons pas parier l’avenir de l’Europe en matière d’IA sur l’hypothèse chimérique d’entreprises européennes — profondément impliquées dans le marché mondial — prêtes à fournir gratuitement leurs données. À titre d’exemple, la raison pour laquelle l’industrie aéronautique est prête à partager ses données n’est pas altruiste : il s’agit essentiellement d’augmenter son volume de livraison au-delà de 800 avions par an pour co-concevoir, avec le reste de l’écosystème aéronautique, l’avion à faible émission de carbone. De même, la raison pour laquelle l’industrie nucléaire a décidé de créer un espace de données est de relever le défi de livrer une centrale nucléaire tous les 70 mois afin de fournir suffisamment d’énergie propre pour soutenir le développement de l’Europe. Nous ne voulons pas parier l’avenir de l’Europe en matière d’IA sur l’hypothèse chimérique d’entreprises européennes prêtes à fournir gratuitement leurs données Les entreprises ne fourniront pas leurs données gratuitement à des modèles partagés, mais exigeront à juste titre la confiance, la transparence, la clarté quant à la propriété des modèles et une série d’autres critères. Les espaces de données doivent précisément être l’outil à disposition pour répondre à ces exigences fondamentales. En 2025, le partage des données est compris par plusieurs industries — en particulier celles mentionnées dans le rapport Draghi — comme le seul moyen de relever les défis existentiels auxquels elles sont confrontées en raison du réchauffement climatique ; dans plusieurs des nouveaux espaces de données qui viennent d’être lancés, atteindre le seuil de rentabilité pour les cas d’utilisation les plus critiques — chaîne d’approvisionnement, conception de véhicules à faible émission de carbone, respect de la réglementation environnementale — prendra trois ans, ce qui est une condition préalable à un processus durable de collecte de données industrielles pour l’IA à l’échelle de l’ensemble de l’industrie ; comme mentionné à la fin de la section 2, l’interopérabilité des données dans l’ensemble de l’industrie devra avoir été réglée entre-temps pour que les données industrielles puissent être utilisées dans l’ensemble de l’industrie au-delà du périmètre des cas d’utilisation pour lesquels les données ont été collectées. Nous recommandons donc qu’après 4 ans de financement par l’Europe et les États membres, il soit procédé à un examen approfondi des espaces de données arrivant au terme de leur financement. L’Institut Gaia-X et l’Université Paris Dauphine ont proposé un modèle de maturité pour évaluer la viabilité économique des espaces de données existants 16 en suivant la définition proposée par le Centre de soutien à l’espace de données de l’Union 17. Il est important d’anticiper les espaces de données existants qui risquent de s’effondrer lorsque le financement cessera. L’Europe a été pionnière dans sa stratégie en matière de données et des erreurs ont certainement été commises dans le passé, mais la prochaine génération d’espace de données, qui sera lancée en 2025, devra être rentabilisée dans les 3 à 4 prochaines années pour chacun des cas d’utilisation qui ont été proposés ; une voie vers l’interopérabilité des données utilisant l’IA générative devra être identifiée, dans l’intervalle, afin de garantir la réutilisation des données sectorielles de l’industrie pour l’IA. Le rapport Draghi, dans la section cloud, propose une autre recommandation que nous soutenons : Soutenir les courtiers en données (ex-Data Governance Act) en tant qu’intermédiaires de données « préapprouvés », certifiant la conformité ex ante avec l’acquis de l’Union et garantissant l’autorisation réglementaire via le mécanisme du « Médiateur de l’Union ». Cela contribuerait à favoriser les solutions spécifiques à l’industrie promues par les entreprises de l’Union. Au-delà des aspects réglementaires pour les intermédiaires de données, nous avons vu récemment que les intermédiaires de données, que nous appelons aussi « orchestrateurs », concentrent la plupart des risques économiques que les membres réguliers ne sont pas disposés à prendre et qui sont parfois cachés par les cotisations des membres, ce qui permet à l’espace de données de survivre tant qu’il trouve de nouveaux membres, créant de facto une pyramide de Ponzi. Les intermédiaires de données continueront à jouer un rôle clef dans la réussite de l’adoption de l’espace de données et de l’intelligence artificielle dans la mesure où ils répondent aux besoins d’interopérabilité, fonctionnent comme une entité de confiance et coordonnent le déploiement des fonds investis — le plus souvent dans le cadre de partenariats public-privé. Enfin, le rapport Draghi aborde le point important des « régimes de bac à sable réglementaire de l’IA » (regulatory sandboxes), ces régimes normatifs qui laissent une place à l’expérimentation : Harmoniser les régimes nationaux de « bac à sable » pour l’IA dans tous les États membres afin de permettre l’expérimentation et le développement d’applications innovantes de l’IA dans les secteurs industriels sélectionnés et de garantir une mise en œuvre harmonisée et simplifiée du GDPR. Nous pensons que cette recommandation est essentielle dans des domaines tels que la santé, la conduite autonome, mais aussi tout le domaine des agents autonomes qui est susceptible de se développer fortement dans un avenir proche. Le rapport Draghi a raison d’appeler à une plus grande compétitivité économique à une époque où les demandes d’autonomie stratégique et de souveraineté technologique sont de plus en plus nombreuses. L’IA est la technologie qui offre aujourd’hui la source la plus puissante d’avantages concurrentiels. C’est pourquoi l’Europe doit stimuler l’innovation dans le domaine de l’IA et réduire les dépendances économiques. Le succès de l’IA repose sur la disponibilité de ressources clefs telles que la capacité de calcul, les grands modèles de langage/fondation et les données. Contrairement à d’autres domaines économiques, ces ressources ne sont pas détenues par quelques acteurs du marché ou sous le contrôle de l’État, mais réparties entre diverses parties prenantes. C’est pourquoi l’Europe doit trouver sa propre voie pour atteindre l’objectif urgent de compétitivité fixé par le rapport Draghi. La voie européenne doit être caractérisée par des écosystèmes de partage qui consistent en un paysage distribué de capacité de calcul, de modèles de base et de données pour entraîner et perfectionner ces modèles. Cette voie ne sera couronnée de succès que lorsqu’un plan d’action sera mis en place, prenant en compte les aspects techniques, mais surtout les aspects liés à la gouvernance et au business. Le premier temps de la stratégie européenne en matière de données a mis en place les cadres nécessaires pour progresser vers une véritable Union européenne des données. L’article Le partage des données à l’ère de l’IA verticale et du rapport Draghi est apparu en premier sur Le Grand Continent. Texte intégral 7012 mots
Introduction
Le partage des données dans le rapport Draghi
L’Union souffre d’une capacité limitée à tirer parti de la dynamique winners take most, des effets de réseau et des économies d’échelle dans les technologies clefs, à l’exception des matériaux de nouvelle génération et des technologies propres.
Plusieurs alliances industrielles de l’Union pour les technologies basées sur le cloud et les échanges de données ont été créées au fil du temps avec des missions diverses (Andromède, Gaia-X, Catena-X), mais les résultats sont minimes à ce jour.
Plus récemment, plusieurs États membres ont encouragé la mise en place de systèmes « sécurisés » dans lesquels les fournisseurs d’infrastructures en tant que service appartenant à l’Union coopèrent avec les distributeurs d’hyperscalers tout en conservant le contrôle des éléments sensibles de la sécurité et du cryptage (solutions de « cloud souverain »).
Au fondement de la compétitivité de l’IA : la chaîne de valeur du partage des données
1 — Utilisation de services numériques basés sur l’IA
2 — Utilisation de l’IA prédictive pour les services numériques/intelligents de l’industrie
3 — Utilisation de l’IA générative par une entreprise industrielle
4 — Enrichissement de l’IA générative par une entreprise industrielle
5 — Modèles de base industriels partagés/LLM
La situation actuelle de l’espace européen commun de données
L’aérospatial
L’énergie
La production industrielle
Tirer parti des investissements dans l’espace de données européen pour les secteurs de l’IA verticale
Conclusion
06.02.2025 à 11:32
« L’intégration et l’investissement doivent aller de pair », une conversation avec Nadia Calviño
English version available at this link
L’ordre planétaire qui régit le monde depuis 80 ans, fondé sur la coopération, les règles communes et le multilatéralisme, a été bénéfique pour l’Europe — mais plus encore pour les États-Unis : le dollar est la monnaie mondiale depuis Bretton Woods et rien que cela donne un avantage à l’économie américaine. Il en va de même pour l’Organisation mondiale du commerce et le cadre financier international. Les États-Unis ont joué un rôle central dans la mise en place de ces institutions parce qu’ils y trouvaient également leur compte.
En Europe, nous devons nous en tenir à nos valeurs et à nos principes, car nous avons intérêt à maintenir et à préserver un commerce fondé sur des règles et sur la coopération internationale en articulant des solutions gagnant-gagnant.
C’est l’approche adoptée par l’Europe, et nous devrions maintenir ce cap en nous appuyant sur nos forces — nous sommes une puissance commerciale et économique. Lorsque nous disons que nous voulons que les deux parties d’un partenariat prospèrent, nous le pensons vraiment : c’est ce qui rend notre modèle unique dans le monde d’aujourd’hui.
Notre marché unique est sans équivalent dans le monde.
Nous devons nous en tenir à nos valeurs et à nos principes.
Nadia Calviño
Nous devons cesser de considérer les relations internationales comme un jeu à somme nulle. Je ne souscris pas à l’idée que pour gagner, quelqu’un doive perdre, et vice versa. Notre intérêt est de rechercher des résultats qui contribuent à un monde plus prospère, plus durable et plus sûr. Il ne fait aucun doute que les États-Unis sont notre partenaire stratégique et que la relation transatlantique est importante. L’Union et les États-Unis ont tout intérêt à travailler ensemble et à entretenir des relations positives.
Mais ne soyons pas naïfs.
En tant qu’Européens, nous devons renforcer notre autonomie stratégique. Nous ne pouvons pas continuer à être stratégiquement dépendants d’autres parties du monde en matière d’énergie, de microprocesseurs et de technologie, de sécurité et de défense. Cela nous rend vulnérables.
Nous avons des atouts évidents. Nous ne devons pas nous sentir impuissants.
Notre commerce et notre marché unique font de nous une superpuissance. Nos universités et nos centres de recherche sont sans égal. Nous avons des industries de rang mondial. Nous devons rester fermes et continuer à être un phare de prospérité, non seulement en termes économiques, mais aussi en termes de valeurs. Notre unité est notre force.
D’après mon expérience, nombre de nos partenaires dans le monde nous demandent, en tant qu’Union européenne, de défendre fermement l’ordre multilatéral fondé sur des règles, car ils y voient le meilleur moyen de préserver la stabilité mondiale et la prospérité économique.
Ce ne sont pas que des mots, ce sont des faits. Nous avons récemment signé l’accord avec le Mercosur, qui inclut une économie majeure comme le Brésil. Nous avons renforcé nos liens économiques avec le Mexique, nous reprenons les négociations avec la Malaisie et nous voulons faire de même avec l’Inde.
Nous envoyons un message clair au monde entier : l’Union est ouverte au business — nous sommes prêts à nous engager de manière constructive et dans l’intérêt de partenariats mutuellement bénéfiques. Et nos partenaires répondent à l’appel.
Notre objectif est de réduire la bureaucratie et la charge réglementaire qui pèse sur les institutions, les entreprises et les citoyens.
Nadia Calviño
Après m’être entretenu avec la présidente von der Leyen et le président Antonio Costa, j’ai l’impression qu’ils en feront une priorité.
Nos partenaires apprécient le fait que traiter avec nous est synonyme de prospérité et de sécurité partagées. Une Union forte renforce également nos partenaires.
Notre objectif est de réduire la bureaucratie et la charge réglementaire qui pèse sur les institutions, les entreprises et les citoyens. C’est très clair. Et nous devons le faire si nous voulons atteindre et accélérer nos objectifs stratégiques.
La transition verte est le moteur essentiel d’une industrie plus productive et plus compétitive : nous devons donc redoubler d’efforts dans ce domaine. Elle est également essentielle à notre sécurité et à notre autonomie stratégique. Nous devons investir dans les énergies propres et les infrastructures énergétiques et c’est ce que nous faisons à la Banque européenne d’investissement (BEI).
Mais pour atteindre nos objectifs et encourager les nécessaires investissements verts, il nous faut réajuster certaines règles et exigences en matière de reporting pour les rendre plus adaptées.
Pour ne citer qu’un exemple, les exigences actuelles en matière de reporting ne tiennent pas compte d’une grande partie des investissements décarbonés tels que les prêts au secteur public, aux PME et en dehors de l’Union. Si l’on considère le business model de la BEI et des banques nationales de développement — qui repose précisément sur les prêts — une telle règle n’incite pas au financement vert. C’est pourquoi nous avons envoyé une lettre commune à la Commission pour demander à revoir ces exigences afin qu’elles soient plus adaptées et incitent réellement au financement vert.
Tournons-nous plutôt vers l’avenir. C’est maintenant qu’il faut agir et se demander comment aller de l’avant.
Nous avons besoin d’une intégration des marchés, d’une mobilisation des investissements et de règles adaptées. Soyons pragmatiques : le Pacte vert est entré dans une nouvelle phase.
Il a commencé par une vision et des objectifs ; il est désormais guidé par les nouvelles technologies et l’intérêt des entreprises. La majorité des entreprises européennes pensent que la transition verte est une grande opportunité. Plus de 60 % des entreprises européennes investissent et ont investi dans la transition verte. Cela signifie qu’elles y voient une chance à saisir. Notre travail consiste à les soutenir dans ce processus et c’est précisément ce que nous faisons à la BEI, en appelant à une plus grande intégration du marché et en réajustant certaines de ces règles.
Au-delà des débats publics et des considérations politiques, je constate que les entreprises s’engagent dans la voie de la transition verte et s’orientent vers un nouveau modèle industriel plus durable et plus efficace. Pour être compétitifs, nous avons besoin de l’énergie la moins chère et la plus propre — or dans de nombreux cas, la plus propre est aussi la moins chère. Tout le monde s’accorde à dire que nous devons réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles : la Russie est l’exemple parfait d’une dépendance énergétique qui s’est avérée néfaste pour l’Europe.
Soyons pragmatiques : le Pacte vert est entré dans une nouvelle phase.
Nadia Calviño
C’est pourquoi nous devons diversifier nos sources d’énergie, continuer à développer les énergies renouvelables, intégrer notre marché de l’énergie et promouvoir davantage d’interconnexions et de réseaux. L’objectif est de rendre les PME plus efficaces sur le plan énergétique et de décarboner l’industrie lourde : c’est la voie sur laquelle nous sommes engagés — nous devons la suivre.
Je me réjouis que les dirigeants européens soutiennent fermement notre approche proactive dans ce domaine.
En 2024, nous avons renforcé notre soutien à l’industrie européenne de la sécurité et de la défense en doublant notre investissement annuel dans ce secteur pour le porter à 1 milliard d’euros. Nous avons considérablement étendu les investissements éligibles dans les projets et technologies à double usage, pour inclure la protection des frontières, la mobilité militaire, les infrastructures critiques, le déminage et la décontamination, l’espace, la cybersécurité, les technologies anti-brouillage, les équipements et installations militaires, les drones, la protection des infrastructures des fonds marins et la recherche.
Nous menons un test de marché permanent afin de bien calibrer nos instruments financiers et d’évaluer s’il est nécessaire de modifier les règles d’éligibilité à nos prêts. Nous travaillons en étroite collaboration avec les gouvernements de l’Union et les principales parties prenantes à l’identification de projets phares. Et nous prévoyons de doubler à nouveau les investissements dans le domaine de la sécurité et de la défense en 2025, pour les porter à un niveau record de 2 milliards d’euros. Je suis également en mesure de vous dire que nous examinons de près une réserve de 14 projets concrets qui devraient être approuvés dans les mois à venir. Nous continuerons à renforcer notre soutien, tout en préservant la capacité de financement de la Banque conformément au mandat unanime du Conseil européen.
L’intégration des marchés et l’investissement doivent aller de pair.
Nadia Calviño
À la BEI, nous adoptons une approche audacieuse en augmentant la part des activités à plus haut risque pour soutenir l’innovation et nous travaillons actuellement avec la Commission pour développer des technologies clefs — des technologies vertes à la santé, en passant par les microprocesseurs, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et le calcul intensif. Il ne s’agit pas seulement d’investissements : il est également essentiel de promouvoir une meilleure intégration des marchés afin que les idées, les technologies et les entreprises nées dans l’Union puissent se développer en Europe.
L’intégration et l’investissement doivent aller de pair.
Nous devrions faire davantage pour unifier les marchés des capitaux dans toute l’Union, car c’est ce qui facilitera les investissements à grande échelle.
Si nous progressons dans ce domaine, les champions européens disposeront de tous les outils nécessaires pour rester en Europe et s’y développer, stimulant notre compétitivité et notre productivité. Plus important encore, cela nous placera en position de force dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
L’article « L’intégration et l’investissement doivent aller de pair », une conversation avec Nadia Calviño est apparu en premier sur Le Grand Continent.
English version available at this link L’ordre planétaire qui régit le monde depuis 80 ans, fondé sur la coopération, les règles communes et le multilatéralisme, a été bénéfique pour l’Europe — mais plus encore pour les États-Unis : le dollar est la monnaie mondiale depuis Bretton Woods et rien que cela donne un avantage à l’économie américaine. Il en va de même pour l’Organisation mondiale du commerce et le cadre financier international. Les États-Unis ont joué un rôle central dans la mise en place de ces institutions parce qu’ils y trouvaient également leur compte. En Europe, nous devons nous en tenir à nos valeurs et à nos principes, car nous avons intérêt à maintenir et à préserver un commerce fondé sur des règles et sur la coopération internationale en articulant des solutions gagnant-gagnant. C’est l’approche adoptée par l’Europe, et nous devrions maintenir ce cap en nous appuyant sur nos forces — nous sommes une puissance commerciale et économique. Lorsque nous disons que nous voulons que les deux parties d’un partenariat prospèrent, nous le pensons vraiment : c’est ce qui rend notre modèle unique dans le monde d’aujourd’hui. Notre marché unique est sans équivalent dans le monde. Nous devons nous en tenir à nos valeurs et à nos principes. Nous devons cesser de considérer les relations internationales comme un jeu à somme nulle. Je ne souscris pas à l’idée que pour gagner, quelqu’un doive perdre, et vice versa. Notre intérêt est de rechercher des résultats qui contribuent à un monde plus prospère, plus durable et plus sûr. Il ne fait aucun doute que les États-Unis sont notre partenaire stratégique et que la relation transatlantique est importante. L’Union et les États-Unis ont tout intérêt à travailler ensemble et à entretenir des relations positives. Mais ne soyons pas naïfs. En tant qu’Européens, nous devons renforcer notre autonomie stratégique. Nous ne pouvons pas continuer à être stratégiquement dépendants d’autres parties du monde en matière d’énergie, de microprocesseurs et de technologie, de sécurité et de défense. Cela nous rend vulnérables. Nous avons des atouts évidents. Nous ne devons pas nous sentir impuissants. Notre commerce et notre marché unique font de nous une superpuissance. Nos universités et nos centres de recherche sont sans égal. Nous avons des industries de rang mondial. Nous devons rester fermes et continuer à être un phare de prospérité, non seulement en termes économiques, mais aussi en termes de valeurs. Notre unité est notre force. D’après mon expérience, nombre de nos partenaires dans le monde nous demandent, en tant qu’Union européenne, de défendre fermement l’ordre multilatéral fondé sur des règles, car ils y voient le meilleur moyen de préserver la stabilité mondiale et la prospérité économique. Ce ne sont pas que des mots, ce sont des faits. Nous avons récemment signé l’accord avec le Mercosur, qui inclut une économie majeure comme le Brésil. Nous avons renforcé nos liens économiques avec le Mexique, nous reprenons les négociations avec la Malaisie et nous voulons faire de même avec l’Inde. Nous envoyons un message clair au monde entier : l’Union est ouverte au business — nous sommes prêts à nous engager de manière constructive et dans l’intérêt de partenariats mutuellement bénéfiques. Et nos partenaires répondent à l’appel. Notre objectif est de réduire la bureaucratie et la charge réglementaire qui pèse sur les institutions, les entreprises et les citoyens. Après m’être entretenu avec la présidente von der Leyen et le président Antonio Costa, j’ai l’impression qu’ils en feront une priorité. Nos partenaires apprécient le fait que traiter avec nous est synonyme de prospérité et de sécurité partagées. Une Union forte renforce également nos partenaires. Notre objectif est de réduire la bureaucratie et la charge réglementaire qui pèse sur les institutions, les entreprises et les citoyens. C’est très clair. Et nous devons le faire si nous voulons atteindre et accélérer nos objectifs stratégiques. La transition verte est le moteur essentiel d’une industrie plus productive et plus compétitive : nous devons donc redoubler d’efforts dans ce domaine. Elle est également essentielle à notre sécurité et à notre autonomie stratégique. Nous devons investir dans les énergies propres et les infrastructures énergétiques et c’est ce que nous faisons à la Banque européenne d’investissement (BEI). Mais pour atteindre nos objectifs et encourager les nécessaires investissements verts, il nous faut réajuster certaines règles et exigences en matière de reporting pour les rendre plus adaptées. Pour ne citer qu’un exemple, les exigences actuelles en matière de reporting ne tiennent pas compte d’une grande partie des investissements décarbonés tels que les prêts au secteur public, aux PME et en dehors de l’Union. Si l’on considère le business model de la BEI et des banques nationales de développement — qui repose précisément sur les prêts — une telle règle n’incite pas au financement vert. C’est pourquoi nous avons envoyé une lettre commune à la Commission pour demander à revoir ces exigences afin qu’elles soient plus adaptées et incitent réellement au financement vert. Tournons-nous plutôt vers l’avenir. C’est maintenant qu’il faut agir et se demander comment aller de l’avant. Nous avons besoin d’une intégration des marchés, d’une mobilisation des investissements et de règles adaptées. Soyons pragmatiques : le Pacte vert est entré dans une nouvelle phase. Il a commencé par une vision et des objectifs ; il est désormais guidé par les nouvelles technologies et l’intérêt des entreprises. La majorité des entreprises européennes pensent que la transition verte est une grande opportunité. Plus de 60 % des entreprises européennes investissent et ont investi dans la transition verte. Cela signifie qu’elles y voient une chance à saisir. Notre travail consiste à les soutenir dans ce processus et c’est précisément ce que nous faisons à la BEI, en appelant à une plus grande intégration du marché et en réajustant certaines de ces règles. Au-delà des débats publics et des considérations politiques, je constate que les entreprises s’engagent dans la voie de la transition verte et s’orientent vers un nouveau modèle industriel plus durable et plus efficace. Pour être compétitifs, nous avons besoin de l’énergie la moins chère et la plus propre — or dans de nombreux cas, la plus propre est aussi la moins chère. Tout le monde s’accorde à dire que nous devons réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles : la Russie est l’exemple parfait d’une dépendance énergétique qui s’est avérée néfaste pour l’Europe. Soyons pragmatiques : le Pacte vert est entré dans une nouvelle phase. C’est pourquoi nous devons diversifier nos sources d’énergie, continuer à développer les énergies renouvelables, intégrer notre marché de l’énergie et promouvoir davantage d’interconnexions et de réseaux. L’objectif est de rendre les PME plus efficaces sur le plan énergétique et de décarboner l’industrie lourde : c’est la voie sur laquelle nous sommes engagés — nous devons la suivre. Je me réjouis que les dirigeants européens soutiennent fermement notre approche proactive dans ce domaine. En 2024, nous avons renforcé notre soutien à l’industrie européenne de la sécurité et de la défense en doublant notre investissement annuel dans ce secteur pour le porter à 1 milliard d’euros. Nous avons considérablement étendu les investissements éligibles dans les projets et technologies à double usage, pour inclure la protection des frontières, la mobilité militaire, les infrastructures critiques, le déminage et la décontamination, l’espace, la cybersécurité, les technologies anti-brouillage, les équipements et installations militaires, les drones, la protection des infrastructures des fonds marins et la recherche. Nous menons un test de marché permanent afin de bien calibrer nos instruments financiers et d’évaluer s’il est nécessaire de modifier les règles d’éligibilité à nos prêts. Nous travaillons en étroite collaboration avec les gouvernements de l’Union et les principales parties prenantes à l’identification de projets phares. Et nous prévoyons de doubler à nouveau les investissements dans le domaine de la sécurité et de la défense en 2025, pour les porter à un niveau record de 2 milliards d’euros. Je suis également en mesure de vous dire que nous examinons de près une réserve de 14 projets concrets qui devraient être approuvés dans les mois à venir. Nous continuerons à renforcer notre soutien, tout en préservant la capacité de financement de la Banque conformément au mandat unanime du Conseil européen. L’intégration des marchés et l’investissement doivent aller de pair. À la BEI, nous adoptons une approche audacieuse en augmentant la part des activités à plus haut risque pour soutenir l’innovation et nous travaillons actuellement avec la Commission pour développer des technologies clefs — des technologies vertes à la santé, en passant par les microprocesseurs, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et le calcul intensif. Il ne s’agit pas seulement d’investissements : il est également essentiel de promouvoir une meilleure intégration des marchés afin que les idées, les technologies et les entreprises nées dans l’Union puissent se développer en Europe. L’intégration et l’investissement doivent aller de pair. Nous devrions faire davantage pour unifier les marchés des capitaux dans toute l’Union, car c’est ce qui facilitera les investissements à grande échelle. Si nous progressons dans ce domaine, les champions européens disposeront de tous les outils nécessaires pour rester en Europe et s’y développer, stimulant notre compétitivité et notre productivité. Plus important encore, cela nous placera en position de force dans le monde d’aujourd’hui et de demain. L’article « L’intégration et l’investissement doivent aller de pair », une conversation avec Nadia Calviño est apparu en premier sur Le Grand Continent. Texte intégral 2321 mots
Le président Trump a annoncé l’avènement d’un âge d’or pour l’Amérique. En Europe, l’esprit du temps est au déclin et à la perte de compétitivité. Comment voyez-vous les choses ?
Le président Trump estime que le monde serait en train de dépouiller les États-Unis et que les droits de douane seraient l’outil idéal pour changer cette situation. Il a déjà indiqué qu’il imposerait des tarifs à l’Union. Faut-il faire face — ou s’incliner ?
Cela signifie-t-il qu’il faut se montrer ferme à l’égard des États-Unis ?
Ursula von der Leyen s’est fait l’écho du même message : en matière de « deals », l’Union s’engagera à chaque fois qu’il y aura un intérêt mutuel. Assistons-nous à l’émergence d’une Union plus transactionnelle ?
La Commission européenne a récemment dévoilé sa « Boussole pour la compétitivité », qui vise à rendre l’Union plus efficace et à réduire le poids de la bureaucratie. À l’échelle mondiale, le président Trump pourrait en effet déclencher une course au moins-disant dans le domaine de la régulation. L’Union peut-elle rester compétitive dans ces conditions ?
Cela signifie-t-il, par exemple, qu’il faille revenir sur les objectifs du Pacte vert ?
Le Pacte vert était-il bien intentionné mais mal conçu ?
La semaine dernière, 19 États membres ont demandé à la BEI de jouer un rôle plus important dans le domaine de la défense et de la sécurité et ont suggéré que la liste des opérations exclues de son mandat soit révisée pour refléter cette nouvelle exigence. Ursula von der Leyen a quant à elle déclaré, à l’issue d’une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de l’Union qu’elle était convaincue que la BEI jouerait un rôle plus important. Quelle sera votre réponse ?
Les États-Unis ont l’intention d’investir 500 milliards de dollars avec le secteur privé pour financer la « révolution de l’IA ». La percée du chinois DeepSeek a créé une onde de choc. En octobre dernier, la BEI a présenté aux ministres européens des finances un ensemble de mesures visant à renforcer l’innovation et à faciliter l’entrée en bourse de nouveaux acteurs innovants. Quelle a été la réaction jusqu’à présent ?