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26.06.2025 à 17:13

Les enfants auteurs de violences sexuelles, angle mort des politiques publiques

Sarah Boucault
Dans la grande famille des agresseurs sexuels, les enfants sont nombreux. En 2024, ils représentaient un quart des auteurs de viols, selon la direction de la protection judiciaire de la […]

Texte intégral 1080 mots

Dans la grande famille des agresseurs sexuels, les enfants sont nombreux. En 2024, ils représentaient un quart des auteurs de viols, selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, et un tiers des auteurs d’agressions sexuelles.

Ces violences massives sont pourtant un angle mort des réflexions des professionnel·les de la santé, de la justice et de l’éducation comme des politiques publiques. « On parle beaucoup des mineurs victimes, à juste titre, mais les mineurs auteurs, ça reste tabou car on a du mal à imaginer que l’enfant puisse commettre des violences sexuelles », analyse Anne-Hélène Moncany, psychiatre, présidente de la Fédération française des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (FFCRIAVS) et une des organisatrices de l’audition publique des 19 et 20 juin. « En 2018, dans un contexte post-#MeToo, une audition publique consacrée aux auteurs d’agressions sexuelles avait permis de mettre les recommandations à jour, rappelle-t-elle. Nous nous étions fait la remarque que la question des mineurs, importante quantitativement et spécifique, nécessitait un événement dédié. »

Comme l’a mentionné Thierry Ziliotto, chef du bureau des études statistiques à la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse durant les auditions, le pourcentage d’enfants mis en cause pour infraction sexuelle a augmenté de 77 % entre 2017 et 2024. Un chiffre à mettre en lien avec la hausse globale de la judiciarisation des affaires depuis #MeToo. Les mis en cause sont à une écrasante majorité des garçons (93 %), issus de tous les milieux sociaux ; ils ont souvent moins de 14 ans et sont donc plus jeunes que les auteurs d’autres infractions. Un tiers sont eux-mêmes victimes de violences sexuelles.

Lire aussi : « Inceste commis par des mineurs, le grand déni »

Des violences liées aux normes de genre

Quarante et un·e expert·es, principalement des psychologues et des psychiatres, ont défilé au pupitre durant ces deux journées, mis en commun leurs connaissances et répondu aux questions d’un public d’acteur·ices du secteur socio-éducatif, de la justice, de la santé, de l’éducation, du milieu associatif et de quelques journalistes. S’il faut saluer cette initiative sans précédent, on peut regretter que l’approche de ces violences soit d’abord individualisante : « Dans les années 1980, l’auteur de violences sexuelles était soit un monstre, soit un malade mental. Nous avons à cette époque, et cela se ressent lors de ces auditions, énormément psychologisé les violences sexuelles alors qu’il s’agit d’une question politique », reconnaît Anne-Hélène Moncany.

Or ces violences sont directement liées aux normes sociales de genre. « Certains garçons pensent qu’ils ont un droit acquis à la sexualité, et pendant l’adolescence, il y a une pression sociale pour la performer », abonde ainsi Mathilde Coulanges, psychologue au Criavs de Toulouse. Des biais que l’on retrouve également chez les professionnel·les (éducateur.ices, animateur.ices…) qui accompagnent les enfants auteurs, comme le souligne Delphine Rahib, chercheuse en santé publique : au même titre que l’ensemble de la population « un professionnel sur cinq a été victime de violences sexuelles. On ne peut pas amener quelqu’un plus loin que là où on est soi-même, il ne faut pas l’oublier dans la réflexion. »

Autre sujet délaissé lors de ces deux journées d’auditions : la question de l’inceste commis par des enfants, qui n’a été abordée que dans peu d’interventions. Or, comme nous l’avons déjà documenté, la famille est le lieu privilégié de l’apprentissage et de la reproduction des rapports de domination. Selon le ministère de la Justice, 14 % des agressions sexuelles commises par des enfants relèvent de l’inceste, mais cette proportion est probablement sous-évaluée pour deux raisons : la définition légale de l’inceste n’inclut ni les cousin·es, ni les enfants qui, sans être du même sang, jouent dans la famille un rôle de frère ou de sœur. Par ailleurs, ces violences font rarement l’objet de plaintes devant la justice. « Mon hypothèse, avance Anne-Hélène Moncany, est que l’inceste commis par les mineurs est un impensé au sein de l’impensé, que ce soit dans la population générale aussi bien que chez les professionnel·les. »


« Nous avons, par le passé, beaucoup psychologisé les violences sexuelles alors qu’il s’agit d’une question politique »

Anne-Hélène Moncany, psychiatre

L’importance de l’éducation sexuelle

Malgré tout, les intervenant·es présent·es au ministère de la Santé ont tenté de dessiner des pistes de solution : davantage d’informations sur les violences sexuelles commises par les enfants dans le carnet de santé, à destination des parents. Des cours d’éducation sexuelle pour eux comme pour leurs enfants. À ce titre, l’importance du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Évars), qui devrait être mis en place à la rentrée 2025 dans tous les établissements scolaires publics, a été soulignée. « Prévenir les violences sexuelles demande d’agir sur les représentations […] avec des récits, des discours, des productions culturelles qui insistent sur les réalités sociales des violences sexuelles », a conclu l’anthropologue Corentin Legras sous un tonnerre d’applaudissements.

Un rapport tiré de ces auditions sera remis au gouvernement en septembre 2025. « Nous aimerions qu’il soit porté au niveau interministériel avec des préconisations pour la Santé, la Justice, l’Intérieur, l’Éducation nationale, détaille Anne-Hélène Moncany. Un comité de suivi sera mis en place, afin qu’il ne reste pas au fond d’un tiroir. »

19.06.2025 à 17:40

🌈 En juin, La Déferlante est fière !

La Déferlante
Des homosexuel·les condamné·es à des peines de prison ou interdit·es de se marier, des personnes trans exclues de l’armée, des compétitions sportives ou dans l’impossibilité d’utiliser les toilettes de leur […]

Texte intégral 2860 mots

Des homosexuel·les condamné·es à des peines de prison ou interdit·es de se marier, des personnes trans exclues de l’armée, des compétitions sportives ou dans l’impossibilité

d’utiliser les toilettes de leur choix dans les lieux publics, des manifestations pour les droits des personnes LGBTQIA+ réprimées : partout dans le monde, les droits des personnes queers ont encore nettement reculé ces derniers mois. Juin, Mois des fiertés, est pour La Déferlante l’occasion d’afficher son indéfectible soutien à celles, ceux et celleux dont les existences sont méprisées et les corps violentés.
Dans cette newsletter, c’est toute notre équipe ainsi que notre comité éditorial qui partagent leurs recommandations et coups de cœur : des romans, des essais, des expositions qui documentent les vécus LGBTQIA+ et concourent, on l’espère, à modifier les représentations dominantes.

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Romans

Entre ici et avant il y a la mer

Premier roman, roman d’apprentissage, l’ouvrage de Nelly Slim est l’histoire d’une reconstruction. La narratrice va et vient entre les souvenirs de son enfance dans un milieu bourgeois occidentalisé à Tunis et la vie d’immigrée qu’elle mène maintenant à Paris, sa ville d’adoption. Des souvenirs troubles surnagent – une agression sexuelle, une fascination amoureuse pour son amie Zeinab – et se mêlent au vécu douloureux de l’exil et du racisme : « Je suis du Sud faible et navrant et je ne peux me hisser à la hauteur de la France qu’en apprenant à consommer comme eux, à rire comme eux, à parler comme eux, à user du mépris poli et du sourire crasse. » Peu à peu, suivant l’exemple des mammifères des fonds marins dont les fantômes peuplent son récit, la narratrice se reconstruit, et trouve des repères qui prennent les traits d’une femme dont elle est désormais amoureuse.

🌊→ Nelly Slim, Entre ici et avant il y a la mer, éd. Hystériques et associées, 2025. 15 euros.

Insolations

Une jeune femme raconte son enfance dans des lettres à sa thérapeute. Elle y convoque l’Algérie, son père, les femmes de sa famille, la violence qui traverse leurs relations, et questionne la complexité de cet attachement teinté de violences. Premier roman de la poétesse Meryem Alqamar, Insolations est un livre âpre et percutant, écrit dans une langue lumineuse. Déjà publié aux éditions du Commun en 2022, il vient de ressortir en format poche aux éditions Cambourakis.

☀ → Meryem Alqamar, Insolations, Cambourakis, 2025. 10 euros.

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Fantasy

Le Trône des héritières

Dans un monde sans héritiers masculins, la paix passe par le mariage de la princesse. Le roi organise donc un tournoi, mais, cette fois, les prétendantes sont toutes des femmes. Solène Kate signe une fantasy saphique, poétique et romantique qui renverse les codes et questionne les normes de genre à travers une aventure aussi palpitante qu’engagée.

♞ → Solène Kate, Le Trône des héritières, Books on demand, 2023. 20 euros.

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Essais

Une brève histoire de la transmisogynie

Déjà connue pour son travail sur les enfants trans, l’historienne canadienne Jules Gill-Peterson s’intéresse cette fois à l’histoire de la transmisogynie, dans le contexte particulier des empires coloniaux. Du continent américain aux Philippines, en passant par l’Europe et l’Inde, elle démontre que la transmisogynie constitue une forme de violence spécifique dirigée contre des catégories de population qui ne se définissent d’ailleurs pas forcément comme trans, au sens occidental et moderne du terme. Elle développe le concept de « transféminisation » pour décrire les processus politiques par lesquels certaines formes de féminités, souvent racialisées, sont les cibles des droites et des extrême droites. Préfacé par Mihena Alsharif, autrice et anthropologue, cet ouvrage apparaît comme un des livres majeurs de l’année 2025 sur les transidentités.

🏳️‍⚧️ → Jules Gill-Peterson, Une brève histoire de la transmysoginie. Pour une lecture anti-impérialistes de la transféminité, trad. Mihena Alsharif (et préface) et Nesma Merhoum, Shed publishing, 2025. 19 euros.

Pourquoi les lesbiennes sont invisibles ?

Où sont les représentations lesbiennes dans la société ? Dans ce court essai à la première personne, la photographe Marie Docher (également autrice d’Et l’amour aussi, La Déferlante Éditions, 2023) propose une réflexion sur l’invisibilisation des lesbiennes dans le domaine de l’art et de la photographie. En s’appuyant sur l’exemple de plusieurs artistes (la peintre Rosa Bonheur, la photographe Berenice Abbott ou encore la danseuse Loïe Fuller), elle explique comment des relations lesbiennes ont été ni plus ni moins effacées de notre matrimoine. Le livre s’interroge également sur le lesbian gaze dans l’art et offre à ses lecteur·ices un texte inédit de la photographe états-unienne Joan E. Biren, pour qui « la création d’images […] est un moyen pour les lesbiennes de se donner du pouvoir ». Amen.

📷Marie Docher, Pourquoi les lesbiennes sont invisibles, Seuil, coll. « Libelle », 2025. 4,90 euros.

Un désir démesuré d’amitié

Certains conseils doivent être pris au sérieux. « Tu dis qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce temps […]. Mais souviens-toi. Fais un effort pour te souvenir. Ou à défaut invente », écrit Monique Wittig dans Les Guérillères. De cette exhortation, Hélène Giannecchini a fait une méthode, une éthique.

L’histoire des personnes queers est emplie de silences, leurs vies sont oblitérées. OK. Mais la fiction, l’imagination et un talent indéniable à faire vivre les archives peuvent réparer certains oublis. C’est tout le projet d’Un désir démesuré d’amitié : sauver de l’ombre des vies intimes minoritaires pour les inscrire dans un grand récit collectif et émancipateur. De photos d’inconnu·es aux clichés de la photographe états-unienne Donna Gottschalk, en passant par le témoignage bouleversant d’un malade du sida (Jean Dumargue), Hélène Giannecchini dresse un monument à la mémoire d’existences cachées dans les plis de l’histoire. Un monument qui célèbre, ce faisant, la puissance politique de l’amitié et des liens indestructibles de la famille qu’on s’est choisie.

💖 → Hélène Giannecchini, Un désir démesuré d’amitié, Seuil, 2024. 21 euros.

Gouines

« Nous sommes gouines, parce que nous voulons le respect, nous voulons l’égalité des droits, mais sans avoir à nous fondre dans le moule hétéropatriarcal. » Se réappropriant ce qui est, au départ, une insulte lesbophobe, les autrices de cet ouvrage collectif – Marie Kirschen, Maëlle Le Corre, Amandine Agić, Meryem Alqamar, No Anger, Marcia Burnier, Noémie Grunenwald, Erika Nomeni – proposent de penser les identités lesbiennes contemporaines et disent en creux la complexité des vécus.

👭 → Marie Kirschen et Maëlle Le Corre (dir.), Gouines, Points, 2024. 9,90 euros.

Pédés

« On ne naît pas pédé, on le devient. » Comment faire pour comprendre qui on est quand les autres vous ont déjà assigné à une identité sans votre accord ? Comment se réapproprier une insulte avant même d’avoir compris sa propre sexualité ? Cet ouvrage collectif dans lequel on retrouve – entre autres – le journaliste et essayiste Adrien Naselli, le militant LGBTQIA+ Ruben Tayupo ou le photographe Nanténé Traoré, offre une pluralité de récits et de réflexions sur les identités gays.

👨🏽‍🤝‍👨🏾 → Florent Manelli (dir.), Pédés, Points, 2023. 9,90 euros.

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Exposition

De l’amour

Avec l’exposition intitulée All about love – un clin d’œil à l’ouvrage de bell hooks publié en 2001 – l’artiste états-unienne Mickalene Thomas propose d’explorer la question de l’amour. Parmi les œuvres présentées : des tableaux monumentaux, composés de couleurs éclatantes, qui mêlent photographie, collage, peinture et incrustations de strass. L’artiste revisite également avec un regard féministe, noir et queer, les classiques de la peinture occidentale : le male gaze et le regard occidental qui les traversent sont ici partout subvertis. Le célèbre Déjeuner sur l’herbe devient Déjeuner sur l’herbe : trois femmes noires. Dans ces œuvres, les personnages ne sont pas des objets de désir, mais des êtres vivants et désirants. Une œuvre queer profondément politique et émancipatrice.

🖌All about love, Mickalene Thomas, jusqu’au 9 novembre 2025 aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie à Toulouse.

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Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Queer, panique morale, théorie du genre : toutes les définitions sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

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On y sera

💥 Cinéclub féministe

Dim 29 juin 2025, 18h
Majestic Bastille, Paris

Tonnerre, le ciné-club d’Elvire Duvelle-Charles, dont La Déferlante est partenaire, propose une projection en avant-première du film d’Alice Douard, Des preuves d’amour, dans le cadre de la dixième édition du Festival du film de fesses. La projection sera suivie d’une rencontre avec la réalisatrice.

🎟 → Informations pratiques et réservations

☔ Festival des pluies de juillet

Sam 19 et dim 20 juillet 2025
Le Tanu, Manche (50)

La Déferlante tiendra un stand lors du Festival des pluies de juillet. Vous y retrouverez nos revues, nos livres et nos goodies. Le dimanche 20 juillet, à 14h45, Anne-Laure Pineau, journaliste et membre du comité éditorial de La Déferlante, discutera avec le politiste Éric Neveu dans le cadre d’une rencontre intitulée : Informer est un sport de combat.

👉🏼 → Informations pratiques et billetterie

12.06.2025 à 15:42

Droits des personnes trans : le Royaume-Uni dans la confusion

Élie Hervé
Depuis plusieurs semaines, Charlotte Rose Siddle, 55 ans, peine à sortir de chez elle : « J’ai une voix grave, et je crains que cela ne trahisse que je suis une femme trans. […]

Texte intégral 957 mots

Depuis plusieurs semaines, Charlotte Rose Siddle, 55 ans, peine à sortir de chez elle : « J’ai une voix grave, et je crains que cela ne trahisse que je suis une femme trans. J’ai peur en permanence d’être attaquée : c’est épuisant. » En avril dernier, la Cour suprême britannique (équivalent de la Cour de cassation en France) rendait un avis de 87 pages donnant raison aux collectifs antitrans.

Ces derniers cherchaient à restreindre la définition légale d’une femme, afin que les femmes trans ne soient plus concernées par les termes de l’Equality Act, une loi antidiscrimination datant de 2010. La décision de la Cour suprême parle de sexe « biologique », de « femme biologique », et non plus de genre. Elle pourrait avoir comme effet d’exclure les femmes trans de certains lieux non mixtes, comme les toilettes publiques, les vestiaires sportifs ou les prisons.

Les collectifs antitrans – parmi lesquels For Women Scotland, connu pour bénéficier du soutien médiatique et financier de J. K. Rowling, l’autrice de la saga Harry Potter – ont immédiatement crié victoire. Pourtant, si cette décision fait craindre une multiplication des agressions transphobes, elle n’a pas force de loi, et son application reste à la discrétion du législateur.

Permis de discriminer

Selon Jules Buet, membre du groupe régional LGBTQIA+ de Unite the Union, le plus important syndicat britannique, le risque d’agression est d’autant plus important qu’il existe dans l’opinion un préjugé transphobe voulant qu’on peut facilement savoir qu’une personne est trans. « C’est assez peu probable que la police vienne vérifier les parties génitales des personnes trans, explique-t-il. Mais il est tout à fait possible qu’un policier se serve de cette décision pour agresser sexuellement une femme cisgenre. Il lui suffira de dire qu’elle est trans pour que la palpation soit faite par un homme et non par sa collègue femme. »

En outre, cette décision ne s’applique que dans certains lieux publics et dans certaines organisations, et ne remet pas en cause les droits administratifs déjà acquis par les personnes trans. « Par exemple, si je me marie, je serai considérée comme femme aux yeux de la loi, mais je devrais peut-être utiliser les toilettes pour hommes », explique jane fae [elle tient à ce qu’on écrive son nom sans majuscule], directrice de l’organisation Trans Actuel UK, qui lutte contre la transphobie et la désinformation. La militante s’inquiète surtout du bruit médiatique entretenu par les collectifs antitrans : « Cette décision n’interdit rien, elle se contente d’exclure. Mais beaucoup de personnes s’autorisent à nous discriminer parce qu’elles pensent qu’elles ont désormais le droit d’intervenir pour interdire certains lieux aux femmes trans. Et ça, c’est très grave. »

« On peut encore agir »

L’interdiction d’accès à certains lieux ne pourrait en effet être justifiée que sur la base de stéréotypes de genre, un « délit de faciès » selon la militante transféministe Jes Jester, pour qui « cette décision […] crée un précédent ». Car, dans la confusion provoquée par la décision de la Cour suprême et sa médiatisation, certaines structures (entreprises, hôpitaux…) pourraient aménager leur règlement intérieur, avec le risque d’exclure davantage les personnes trans. Mais Jes Jester tempère : « Malgré les efforts des associations transphobes, tout cela n’est pas encore inscrit dans la loi : on peut donc encore agir. »


« Beaucoup de personnes s’autorisent maintenant à intervenir pour interdire aux femmes trans l’accès à certains lieux. »

jane fae, directrice de l’association Trans Actuel UK

Depuis plusieurs semaines, les associations trans du Royaume-Uni connaissent un élan de solidarité sans précédent. Le 19 avril, plusieurs milliers de personnes se réunissaient dans les rues de Londres pour défendre les droits des personnes trans. En réponse à l’implication de J. K. Rowling dans les campagnes transphobes, des citoyen·nes se sont également mis·es à boycotter le merchandising Harry Potter. « Beaucoup de personnes qui, en temps normal, ne nous auraient jamais apporté leur soutien sont venues nous proposer de l’aide, rapporte Jes Jester. Maintenant qu’on a l’attention du grand public, on va s’en saisir pour sensibiliser. »

L’affaire résonne désormais au-delà des frontières du Royaume-Uni, passé récemment de la 16e à la 22e place des pays les plus favorables aux personnes LGBTQIA+ en Europe, selon le classement de l’ONG Inga-Europe. De son côté, l’ancienne juge Victoria McCloud, première magistrate trans du pays, a engagé une action devant la Cour européenne des droits de l’homme pour invalider la décision de la Cour suprême britannique.

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