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14.08.2025 à 15:39

Des dizaines de bateaux pour Gaza

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Une flotte s'élancera dès la fin du mois
Vivian Petit

- été 2025 (suite) / , ,

Texte intégral 966 mots

Après les échecs de la flottille de la liberté et de la marche pour Gaza, une nouvelle coalition internationale a annoncé le 4 août dernier à Tunis qu'une centaine de voiliers prendra la mer à la fin du mois d'août. Deux objectifs principaux sont mis en avant : briser le blocus d'une part, attirer l'attention sur la complicité internationale dans le génocide d'autre part.

Avec 2 millions d'habitants pour 360 km², la bande de Gaza est le territoire le plus densément peuplé au monde. Si la ville de Gaza existe depuis l'Antiquité, la « bande » a été créée en 1948 pour regrouper 200 000 des 700 000 Palestiniens expulsés par les milices sionistes lors de la création de l'Etat d'Israël. Occupée depuis 1967, l'enclave est soumise à un blocus terrestre et maritime imposé par Israël avec la complicité de l'Egypte depuis 2007. Aujourd'hui, c'est 1,2 million de personnes qui sont concentrées par l'armée israélienne dans ce qu'il reste de Rafah, soit une superficie de 60km². Ces dernières semaines, Netanyahou n'a pas caché qu'il entend vider Gaza-ville de ses habitants.

Aujourd'hui, selon l'ONU, l'aide humanitaire acheminée à Gaza représente à peine 15% du stock de nourriture nécessaire, plus de 200 personnes sont déjà mortes de faim et la totalité de la population est soumise à un risque de famine. Aussi, en deux mois, plus de mille personnes ont été abattues par l'armée israélienne à l'occasion d'une distribution alimentaire. Selon l'OMS, entre mars et juillet 2025, Israël a empêché l'entrée à Gaza d'une centaine de professionnels de santé. En outre, en bloquant l'acheminement des réactifs utilisés pour tester le sang des donneurs, Israël a provoqué une épidémie d'hépatite.

C'est dans ce contexte que s'est tenue le 4 août à Tunis, dans les locaux de l'Union générale des travailleurs tunisiens, la conférence de presse où fut annoncé le départ prochain de plusieurs dizaines de bateaux pour Gaza (une quarantaine au minimum), dans ce qui est décrit comme « la plus grande mission maritime civile depuis le début du siège en 2007 ». La majorité des bateaux partiront d'Espagne le 31 août. D'autres s'élanceront à leur suite le 4 septembre de Tunisie. Deux objectifs principaux sont mis en avant : briser le blocus d'une part, attirer l'attention sur la complicité internationale dans le génocide d'autre part.

Si l'initiative peut prendre une telle ampleur, c'est notamment grâce au regroupement et à la fédération des différentes campagnes précédentes, qu'il s'agisse des appels à augmenter le nombre de départs à la suite des arraisonnements des bateaux qui ont récemment tenté de rompre le blocus de Gaza, du convoi parti du Maghreb en juin dernier ou de la marche pour Gaza en Egypte, qui avait regroupé 4 000 personnes venues de cinquante pays.

La coalition internationale à l'origine de cette importante flottille se nomme la Global Sumud Flotilla. Le terme arabe sumud, concept au cœur des initiatives internationales de solidarité avec la population palestinienne, est parfois improprement traduit en Occident par le terme « résilience ». Comme l'explique la psychiatre palestinienne Samah Jabr, « Le sumud et la résilience psychologique présentent des similitudes mais diffèrent dans leurs contextes et leurs applications. Alors que le sumud reflète la constance, la persévérance et la capacité à supporter les épreuves et l'adversité, la résilience fait référence à la capacité à se remettre rapidement des difficultés, à s'adapter au changement et à continuer à avancer face à l'adversité. » Aussi, « le sumud met l'accent sur l'espoir, la solidarité communautaire et la volonté d'endurer les épreuves sans renoncer au rêve d'autodétermination et de justice. »

Cette conception entre en résonance avec ce qui fut développé par Maria Elena Diela, membre du Global Sumud Flotilla à l'occasion de la conférence de presse de Tunis : « Le peuple palestinien n'a pas besoin d'être sauvé. Il peut se sauver lui-même. Nous écoutons simplement ce qu'il demande, et il demande que ses droits soient respectés : le droit de vivre, le droit de manger, le droit de se déplacer, le droit d'être libre, le droit d'être libre dans la dignité. »

L'objectif de la flottille est fondamentalement éthique, exigeant la fin du siège, des tactiques de famine, de la déshumanisation systématique des Palestiniens et du génocide. En plus de tenter d'acheminer une aide symbolique en brisant le blocus, les participants dénoncent la complicité des gouvernements occidentaux et arabes, auxquels ils entendent opposer l'action des peuples. À l'occasion du départ des bateaux, des rassemblements de solidarité avec la population de Gaza se tiendront dans des dizaines de pays pour porter cette exigence.

En France, la campagne est relayée par Waves of Freedom, association créée en juillet 2025 par des participants à la marche internationale pour Gaza. Son président, Yacine Haffaf, est un chirurgien qui a participé à plus de 25 missions humanitaires pour le compte de Médecins Sans Frontières, de la Croix-Rouge et de Palmed. Bien que familier des situations de guerre, il est revenu particulièrement marqué de ses missions à Gaza. Waves of Freedom tente d'affréter un bateau pour se joindre à la flottille et, pour cela, doit réunir les fonds avant le 16 août. Un appel à dons est lancé.

14.08.2025 à 15:32

Du soldat inconnu à Hakim H.

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« Ne crois pas ceux qui crient à la profanation »

- été 2025 (suite) / , ,

Lire 368 mots

Lundi 4 août, sous l'Arc de Triomphe, Hakim H. s'agenouillait au dessus de la flamme du Soldat inconnu pour allumer sa cigarette. S'ensuivit une polémique crasse.

Soraya Qahwaji est une poétesse dont on ne sait rien. Maintenant, lisons son poème.

Ne les crois pas : le champ d'honneur est une rumeur
Je suis mort fusillé, traité de « déserteur »
Personne ne le sait, mais j'étais marocain
J'ai fait la Marne, j'ai combattu à Verdun

La division marocaine a pris les Corbeaux
Puis j'en eus assez d'écouter les généraux
Non, je ne suis pas mort pour la mère patrie
Mais d'avoir voulu fuir la grande boucherie

Français ou indigènes, alboches, doryphores
Ne peut-on être frères ailleurs que dans la mort ?
En ces temps si prodigues du sang des misérables
Mourir au peloton m'a paru plus honorable

Et quand les casseurs de vies en ont eu besoin
Ils ont choisi un cadavre au hasard - le mien
Je n'avais, hélas, les moyens de protester
Mais c'est ce qui m'a permis de te rencontrer

Ne crois pas ceux qui crient à la profanation
Car c'est toujours les ânes qui mènent des lions
Qui veulent t'enlever ta carte de séjour
Pour ton geste d'amitié qui me restera toujours

Je suis bien content que ma flamme t'ait servi
Fumes-en une pour moi – ils m'ont volé ma vie
Et s'ils te volent la tienne, scandons en chœur :
Mort à la guerre, mort à ses profiteurs !

Soraya Qahwaji}}

11.08.2025 à 15:15

Haïr le monde pour le changer

dev

Texte intégral 1814 mots

Après OK Chaos , édité par lundimatin, Leila Chaix persévère dans l'énervé et publie Haïr le monde , son second recueil aux éditions Le Sabot. Sa haine du monde tel qu'il est comme moteur – voire comme condition – d'écriture, fonde une lyrique crue de la révolte propre à nous secouer de nos torpeurs , estivales et autres. Certes, haïr le monde n'est pas le changer mais comment le changer sans d'abord le haïr ? Et si cette haine là, si proche d'un dégoût éminemment partageable, si inspirée et inspirante, n' était pas aussi le signe de reconnaissance et d'union des rebelles et fauteurs de trouble d'hier et de maintenant ? [1]

Extraits

« Je hais donc je suis »
Gûnther Anders, La haine (1985)

« C'est la guerre, une guerre qui se déroule sur tous les fronts et qui s'intensifie depuis qu'elle est désormais menée contre tout ce dont il paraissait impossible d'extraire de la valeur. S'ensuit un nouvel enlaidissement du monde.'

Annie Lebrun, Ce qui n'a pas de prix (2018)

Le titre du livre s'est imposé ; je n'ai eu qu'à lui obéir, à l'épuiser. C'est comme tirer sur un cheveu coincé dans le trou de la douche. Tu tires et ça débusque un monstre, visqueux, composite, dégueulasse. Aller de haïr à jaillir. Éviter le jus de cerveau. Écrire un peu comme on transpire : fruit de l'action, traces d'expériences et de vécu. Sueur d'âme. Distiller encore et toujours.

*

Mon seum m'engrosse et me boursouffle, comme un alcool. Je suis plombée. Ça me rend dépendante affective : je suis obsédée par les gens, je leur passe tout, je m'en remets à eux, je veux qu'ils m'aiment. J'aimerais que ça cesse. Je suis accro à mes amies. Mon âme a tant besoin d'amours, d'alliances tordues, de conaissances. Vivre vite et mourir souvent. Renaître ensemble. Accepter de regarder la mort, celle qui nous est donnée chaque jour. S'abîmer le corps et l'esprit dans une mystique de l'embrasement, pour se soulever, se transformer.

J'en ai marre de haïr cet air que l'on respire. Le capitalisme nécrophile autoritaire ; agent suprême, ordonnateur, il détruit savamment la vie et cette destruction s'institue. Cette destruction s'appelle le monde ; elle s'apprend dans les livres d'histoire, se glorifie. Face à ce rapt, à cette arnaque - à cet assassinat sordide qui continue à se déguiser en « résilience », en « management » et en énergie renouvelable - il est tout à fait prévisible que des émotions collectives renversent la table. Encore et encore par des brèches qui désirent modifier le monde, se bagarrer, reprendre la main. Rendre les coups. C'est signe qu'on est encore en vie. Et qu'on ne se laissera pas faire. Arrêter de collaborer ; arrêter de participer à la mort qu'on nous donne chaque jour. La-domination-devenue-monde produit la hargne de résister, mais résister ne suffit pas ; il faut aussi jaillir ailleurs, partout où c'est encore possible. Rouvrir des pistes, rouvrir des voies, reprendre des terres et des espaces. Reprendre les outils, les moyens. Reprendre nos corps. Les bidouiller.

Entendre et voir qu'il y a d'autres mondes
qui poussent déjà
Proposer un contre-envoûtement
S'emparer des restes du monde, qui peuvent servir

Haïr l'époque, la société, ne pas vouloir lui ressembler. Distinguer les individus et les gros systèmes de pensée qui les fabriquent et les absorbent. Causes d'abrutissement général : superstructures psycho-sociales qui nous envoûtent et nous maltraitent. Technocratie ? Dieu malveillant ? Gouvernements autoritaires ? Presse diabolique ? Chacun voit l'enfer à sa porte. On a trop de mots pour le dire ; pas assez de jus pour agir. Haïr le monde pour désirer faire d'autres vies.

Aller fouiller dans le passé peut nous aider à faire jaillir. On fantasme parfois des passés romantico-mythiques, mais nous tenons dans un présent insaisissable et chaotique ; c'est le seul qu'on aura jamais. Nous sommes parfois nostalgiques de choses que l'on n'a pas connues. Cette tristesse peut faire faire des choses, c'est une blessure mélancolique. Elle est dangereuse, pas inutile. Se connecter à certaines forces et cer-taines zones, invisibles, peut aussi nous donner de la force.

Le temps est une soupe cosmique, il n'existe pas de progrès ; que des bagarres et des batailles, que des composts chauds et pourris de situations impossibles et imbriquées. Tout cela à détricoter et bricoler. Puisque le temps n'est pas une ligne mais bel et bien une purée, on a déjà été niqués et nous avons déjà vaincu.
Le passé est matière une pâte de strates, comme une épaisse surface de terre (autour du centre d'une sphère) - on peut aussi s'autoriser à aller farfouiller dedans. On ne peut pas laisser aux fachos tout ce qui ressemble au passé. C'est une connerie. On la paye cher. Le désert croît sur cette erreur.

La destruction des communaux paysans, la ridiculisation continue des façons de vivre collectives et populaires, le vol des terres, le remplacement de nos savoir-faire naturalistes et sorcellaires par une vie de consommation et l'industrialisation, la nationalisation des expériences particulières, l'humiliation des langues locales, l'Étatisation de la vie, l'élimination des pratiques communales et villageoises ont été un long pro-cessus de mise à mort. Ce processus est déguisé en ce qu'on appelle Modernité, Lumières, Progrès, État-nation civilisé.

Le monde que j'appelle à haïr est celui qui déguise le rapt en progression naturelle. Le monde que j'appelle à haïr est enfanté chaque jour par ce processus-même, qui continue à se reproduire.

Mais haïr ne suffira pas. On doit s'autoriser aussi à ressentir de la tristesse face à la perte. On a le devoir d'être en deuil face à ce qui nous est retiré, volé, détruit. Si l'on ne porte pas ce deuil, que l'on n'accueille pas cette peine, on ne fera que des faux mondes qui seront à nouveau violents.

*

On est maintenus prisonniers dans le dispositif carcéral et libéral des villes ouvertes et connectées. On est accros à l'énergie que ça nous prend, que ça nous donne. La Métropole, ses flux techniques, l'architecture, l'autorité, ces sordides portiques métalliques qui recouvrent la peau du monde. On aime ça. C'est difficile à détester. Ce qui nous tue nous aide à vivre et fait partie de notre vie.

C'est fait pour l'efficacité, c'est inflammable. c'est excitant et c'est létal. C'est une drogue. C'est fait pour qu'on en ait envie. J'en ai envie, t'en as envie. On n'est pas coupables pour autant, mais nous ne sommes pas innocent.es. Maudire le monde qui nous maintient seul.es et malades. Entretenir une rage féconde envers ce qui nous veut stressé.es ouvert.es, dociles et adaptables.

Haïr ce monde qui n'est qu'une pub interminable et qui nous fait même consommer l'image de notre aliénation. Haïr l'État, cette fiction - ouïr toutes les voix du passé qui se sont faites diminuées et écrasées. Haïr ce qu'on voit et aimer ce que parfois on peut entendre, entre les clash, les hurlements - ces murmures d'expériences passées, bafouées, supprimées. oubliées. Haïr la France, l'État-nation, et l'autorité nationale. Ouïr celleux qui y résistent depuis des millénaires maintenant. Voir que cette haine peut être toxique, comme un excrément maléfique, mais qu'elle est aussi fonctionnelle et fictionnelle ; qu'elle est po-teuse, fertile, féroce.

Nos sociétés (physiques, mentales) reposent sur le meurtre et le vol. Violences, dénis et mépris ; peur de l'obscur et de la déviance. La certitude que toute chose est un objet (manipulable, dénué d'âme, interchangeable et monnayable) produit et organise le monde. On a parfois honte de vivre, et le monde utilise cette honte. Ça ne prend pas fin, ça dure depuis longtemps maintenant. Ça remonte à peine à la conscience. On s'en rappelle de temps en temps. Ça monte, ça gronde et ça n'était jamais parti. C'était natif dans la machine. Et pourtant, dans ce monde pourri, la vie se bagarre elle aussi. La vie gagne toujours à la fin, mais elle en passe par plusieurs morts.
Devenons l'onction de déviance et de revivification.

*

Ce désir commun, collectif, grouille déjà, partout dans le monde, depuis toujours - c'est une joie fragile, plombée, un jaillissement. Il existe de nombreux mondes qu'il faudra ré-apprendre à voir et faire pousser. Ils sont moqués, cachés, bafoués, on nous dit de ne pas y aller. Ils sont enfouis. Dans ce monde-ci - qui nous torture se trouvent des mondes qu'on peut aimer. Il existe des mondes dans ce monde, qui peuvent aider à respirer. Des mondes qui sont à préserver, à protéger ; d'autres mondes qui sont à faire naître mais aussi à ressusciter.

Tenir dans la détestation de tout ce qui nous assassine. Se redresser. Entrevoir les combats passés, combien nos histoires sont volées et modifiées. Domination est le nom du monde et la négation de la vie. Demeurons irréconciliables ; défiance passionnée, généreuse.

Je connais le monde comme on connaît
son professeur, son harceleur, son agresseur
Je le connais et le décris
J'ai beau ne plus rien en attendre
je suis bloquée dans un syndrome
car je suis obsédée par lui.


[1] Lundimatin a publié deux autres textes extraits du recueil ici et

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