09.06.2025 à 18:12
Consulter les œuvres d’Audrey Brugnoli
Peaux Éthiques est une étude pilote menée par Audrey Brugnoli à l’Hôpital Necker – Enfants Malades (AP-HP) avec le laboratoire de l’école des Arts Décoratifs (Université PSL) et l’Institut Imagine. Son objectif est de créer un dispositif médical pour mieux vivre avec l’épidermolyse bulleuse héréditaire, une maladie génétique rare qui fragilise la peau des patients … Continuer la lecture de Consulter les œuvres d’Audrey Brugnoli
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Peaux Éthiques est une étude pilote menée par Audrey Brugnoli à l’Hôpital Necker – Enfants Malades (AP-HP) avec le laboratoire de l’école des Arts Décoratifs (Université PSL) et l’Institut Imagine. Son objectif est de créer un dispositif médical pour mieux vivre avec l’épidermolyse bulleuse héréditaire, une maladie génétique rare qui fragilise la peau des patients et les contraint à vivre sous d’épais pansements, les privant ainsi de tout contact tactile direct dès la naissance. Le projet associe une phase d’enquête et de cocréation avec les acteurs de terrain (soignants, patients, familles) à une phase de recherche plastique sur les « secondes peaux » dont certaines expérimentations ont été réalisées avec Arthur Tramier. Ces interfaces cutanées visent à réconcilier les impératifs de protection avec le développement sensoriel et relationnel de l’enfant pour améliorer sa qualité de vie. Pages 01-03, 33-56 In Fictio Silico est un laboratoire fictif dirigé par Audrey Brugnoli et Éléonore Geissler. Il donne vie à des êtres artificiels créés par manipulation génétique et invite le public à les découvrir par une expérience multisensorielle : toucher leurs « tissus » pour comprendre leur langage, écouter des récits qui leur donnent voix, consulter des archives scientifiques, et plonger dans leur univers bactérien par la réalité virtuelle. Entre design, science et fiction, cette démarche transdisciplinaire interroge notre relation émotionnelle à la technologie et propose d’appréhender le vivant non seulement par l’expérimentation scientifique (in silico), mais aussi par la spéculation créative (in fictio). Pages 143-156 L’article Consulter les œuvres d’Audrey Brugnoli est apparu en premier sur multitudes. Texte intégral 1330 mots
Audrey Brugnoli, Peaux Éthiques, 2020-2025 © Holly Bartley
Photographies pages 01, 02, 34, 35, 38, 42, 43, 44, 48, 49, 50, 52-53, 54, 55, 56 : © Audrey Brugnoli / pages 03, 39 : © Eugénie Zuccarelli / pages 33, 36, 37, 40-41, 45, 46, 47 : © Audrey Brugnoli & Arthur Tramier / page 51 : © Holly Bartley
Audrey Brugnoli, In Fictio Silico, 2018 © Audrey Brugnoli & Eléonore Geissler
Photographies page 143 : École nationale supérieure des Arts Décoratifs © Béryl Libault / pages 144, 149 : © Audrey Brugnoli / pages 145, 148 : © Audrey Brugnoli, Zakaria Sedrati & Coline Zuber / pages 146, 147 : © Eléonore Geissler / page 150 : © Audrey Brugnoli & Eléonore Geissler / page 151 : © Leo Sexer / pages 152, 153, 154, 155, 156 : École nationale supérieure des Arts Décoratifs © Amélie Canon
09.06.2025 à 17:53
Faire l’Europe fédérale, avec l’Ukraine
Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis a été une douche froide pour tous ceux qui luttent pour la liberté et l’égalité dans le monde. Le projet qu’il représente et qu’il est en train de mettre effectivement en place est la destruction active de toute démocratie comme forme de vie. Le début … Continuer la lecture de Faire l’Europe fédérale, avec l’Ukraine
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Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis a été une douche froide pour tous ceux qui luttent pour la liberté et l’égalité dans le monde. Le projet qu’il représente et qu’il est en train de mettre effectivement en place est la destruction active de toute démocratie comme forme de vie. Le début de sa présidence a été à la hauteur du cauchemar qui s’annonçait. La puanteur de ses discours empeste déjà l’atmosphère, notamment en Europe et contre l’Europe : aux attaques routinières de Trump lui-même et aux déstabilisations opérées par Musk se rajoutent maintenant les violentes interventions du secrétaire de la défense Hegseth au somment de l’OTAN et du vice-président Vance au sommet de Munich directement contre les démocraties européennes, alors qu’ils flattent Poutine et ne parlent pas de la Chine. Ce n’est pas la planète Mars qui constitue la nouvelle frontière d’expansion de l’administration néo-impériale américaine, ce sont les démocraties en général et l’Union européenne en particulier. Ce n’est pas l’expansion territoriale non plus qui en est l’axe, mais l’affirmation du pouvoir politique des entreprises monopolistes américaines. Ceci, au-delà de l’État américain qu’elles démolissent et au-dessus des États souverains dont elles visent à dépasser toutes les régulations – surtout celles qui sont en gestation – tout en s’appuyant sur une puissance nord-américaine qu’ils essaient de mettre littéralement dans leur escarcelle, c’est-à-dire dans leurs portefeuilles. Nous ne savons pas si l’acronyme de la machinerie anti-services publics de Trump, le DOGE (Department of Government Efficiency ou Département de l’efficacité gouvernementale) de Musk, est inspiré par le Doge vénitien, mais il nous renvoie bien à un nouveau type de chef. En 1938, Franklin Delano Roosevelt disait qu’une « démocratie n’est pas sûre si le peuple tolère la croissance du pouvoir privé au point qu’il devienne plus fort que l’État démocratique lui-même, C’est là, dans son essence, le fascisme […] ». Or, l’objectif du nouveau Duce n’est pas seulement de prendre le contrôle de l’État américain, comme dans des rêves inversés de la gauche, mais d’en détruire la dimension publique et les éléments du commun. Il y a une rationalité terrible dans le choix de mettre un incompétent flanqué d’un suiveur de l’ultranationaliste Douguine (Jack Posobiec) au Ministère de la défense, une sorte d’agent russe comme Secrétaire du renseignement (Tulsi Gabbard) ou un No-vax au Ministère de la santé (Kennedy) et ainsi de suite. Bien sûr, cette fois-ci, Trump veut pouvoir compter sur une bureaucratie loyale. Mais c’est bien pire : la politique sera finalement un agencement algorithmique contrôlé de manière monopoliste par un très faible nombre d’entreprises à la puissance de feu financière plus importante que bien des États. Quand Musk a décidé de s’acheter Twitter, on pensait justement à ses objectifs politiques. Le fait qu’il ait réalisé un achat en dehors de son cœur de business (les voitures électriques et les réseaux satellitaires) faisait tout de même penser à quelque chose de secondaire et limité. En fait, c’est un nouveau capitalisme – il y a ceux qui disent que c’est déjà quelque chose au-delà – qu’il essaye de mettre en place : les Big Techs n’engendrent pas d’innovation, mais elles achètent systématiquement des positions dominantes alors qu’au contraire, l’application de la législation en matière de concurrence a été fondamentale dans le déclenchement et la diffusion des technologies, comme lors de l’octroi forcé de licences pour des milliers de brevets de Bell Labs en 1956, événement qui a marqué le début de l’ère informatique. Aujourd’hui, le niveau d’accumulation que ces entreprises ont atteint aussi bien que les services essentiels qu’elles offrent partout dans le monde, en font des acteurs politico-économiques qui débordent le cadre du libéralisme (et du néolibéralisme) : pour eux, il ne s’agit plus seulement de compter sur une politique extérieure américaine qui protège son hégémonie dans la libre circulation des marchandises et des investissements, mais aussi, de protéger leurs monopoles (éviter les régulations) et l’accumulation primitive de ressources pour établir les prix de manière monopoliste. L’extractivisme n’était pas néolibéral, mais propre à des pays autoritaires comme la Russie et la Chine. Aujourd’hui, il devient un des axes de la politique trumpiste. Voilà que la convergence idéologique de la nouvelle droite américaine avec le poutinisme se retrouve également sur un terrain matériel qui inclut la Chine. Les rapports incestueux entre le pouvoir et les entreprises qui caractérisent la Russie, la Chine et bien des pays du monde deviennent ainsi la référence aux États-Unis aussi. C’est un capitalisme étatique ou d’État qui émerge. Bien sûr, le rôle de l’État est aussi central que paradoxal : un devenir-État des grandes entreprises et un devenir-grande entreprise de l’État. Oligarchie et autocratie vont ensemble. Les gesticulations antichinoises peuvent continuer à tromper le public rendu idiot par le slogan MAGA, mais à Taïwan, on se pose déjà des questions sur les intentions américaines. Ce modèle a une cible diffuse et fait face à deux obstacles. La cible diffuse, c’est le monde entier, depuis le Canada jusqu’à l’Amérique latine et l’Afrique. Le premier obstacle est l’État américain lui-même, et c’est pour cela que le DOGE en est un dispositif central. Le deuxième est l’Europe en tant que modèle alternatif : un capitalisme concurrentiel régulé avec un système d’État-Providence qui maintient de forts éléments d’universalité et se renouvelle démocratiquement. Le trumpisme n’est pas (encore) socialement majoritaire aux États-Unis. Une bonne partie des luttes des années à venir aura lieu en Amérique. Le « Sud global » devra se mordre les doigts de l’appui funeste qu’il a octroyé à l’agression russe au nom d’un anti-américanisme masochiste. Reste l’Europe. D’ores et déjà, le grand conflit y a déjà lieu : autant dans les combats qui ensanglantent les steppes ukrainiennes que dans les urnes des élections en chaque pays. L’Europe n’est pas seulement un modèle alternatif en termes d’État-Providence, elle est aussi capable de gagner des défis industriels (l’aéronautique civile, les machines-outils avancées, l’énergie, la bifurcation écologique et bien d’autres). L’Europe est dotée aussi de normes qui sont des outils efficaces pour l’innovation, l’identité numérique et les instruments de certification. Cela concerne également les principes directeurs européens sur la numérisation, basés sur l’interopérabilité, l’accessibilité et de la valeur entre les principaux acteurs. Quand Trump essaie de négocier directement avec Poutine, il trahit l’Ukraine et humilie l’Europe. Ce n’est pas simplement une humiliation : il la remet à sa place, celle d’une vassale obligée de s’adapter au nouveau modèle. Face à cela, l’Europe a des tâches urgentes mais relativement claires : elle doit continuer à aider l’Ukraine et pour cela, il faut qu’elle l’intègre le plus rapidement possible à l’Union bien encore plus qu’à l’OTAN. Car accélérer l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne la place sous une protection directe de l’Europe sans interférence américaine via la planche pourrie qu’est en train de devenir l’OTAN selon Trump et Musk, et cela sans compter le fait que l’armée ukrainienne est devenue la plus grande d’Europe. Il faut que les biens russes soient saisis dans leur intégralité (environ 300 milliards de dollars) et utilisés pour la reconstruction de l’Ukraine. Ensuite, il est évident que l’Europe doit garantir elle-même sa propre sécurité et cesser de compter sur la « protection » américaine à partir du moment où celle-ci devient payante et en plus, soumise à des restrictions léonines comme l’achat de matériel américain bridable par les États-Unis (no go). Cela implique, d’une part, de passer à un système décisionnel non plus basé sur la règle du consensus, mais sur celle d’une majorité qualifiée ; d’autre part, il s’agit d’abandonner définitivement l’orthodoxie monétaire et refaire ce qui a été fait pendant la pandémie de la Covid : créer la monnaie nécessaire au projet européen. Ceci implique aussi les investissements dans la lutte pour l’adaptation au changement climatique : c’est la seule manière pour requalifier les déficits actuels par rapport aux générations futures. L’Europe doit enfin créer la monnaie de l’innovation, de l’écologie et de la démocratie : cette dernière implique aussi son réarmement accéléré. L’organisation de sa défense aussi bien que l’adaptation au changement climatique doivent être les deux moteurs d’une mobilisation sans laquelle la création monétaire s’essoufflerait. Les lignes de convergence sont celles d’une gauche qui devra accepter les dépenses pour la défense et d’un centre-droit qui devra accepter une autre dynamique de la dette que celle des comptables myopes et désormais dangereux. Le nouvel esprit de Munich (se coucher devant Poutine) prend de plus en plus la forme de l’orthodoxie budgétaire et de défense de la nouvelle ligne Maginot des critères de Maastricht. Les moteurs de la convergence doivent être l’innovation, y compris militaire, ainsi qu’un plan pour attirer en Europe les chercheurs expulsés des États-Unis par la gestion Musk ; et renverser ainsi le brain drain sur lequel ont fonctionné les programmes de recherche aussi bien universitaires que privés depuis la seconde guerre mondiale, mais aussi une ambition écologique qui va être systématiquement humiliée et brimée outre-Atlantique. Il faut dénoncer la persécution en cours du wokisme (de toutes les minorités, des nouvelles nationalités immigrées très représentées parmi les sans-papiers, des vieilles minorités noires aux minorités de genre) ; opposer à l’ignoble sermon Wasp pour la liberté d’expression du racisme et du fascisme, un droit d’asile européen pour toutes les oppositions persécutées aussi bien en Russie, aux États-Unis que dans les Brics totalitaires. Si l’Europe est l’obstacle que le technofascisme veut éliminer dès maintenant, la faiblesse des gouvernements européens est l’obstacle que l’Europe doit dépasser. Pour cela, il faut bien comprendre les ressorts de la faiblesse de l’Union européenne. Tout cela est aussi difficile qu’urgent. L’horizon doit être celui d’un front non plus seulement populaire, mais démocratique, et cela implique de changer radicalement les priorités de la gauche, notamment en France. L’article Faire l’Europe fédérale, avec l’Ukraine est apparu en premier sur multitudes. Texte intégral 2186 mots
Des acteurs politico-économiques
Perspectives…
09.06.2025 à 17:52
On peut parler de vectofascisme pour désigner une forme politique contemporaine qui adapte les mécanismes fondamentaux du fascisme historique aux structures technologiques, communicationnelles et sociales de l’ère numérique1. Il se définit précisément comme un système politique caractérisé par l’instrumentalisation algorithmique des flux d’information et des espaces latents pour produire et orienter des affects collectifs, principalement … Continuer la lecture de Trumpisme et vectofascisme
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On peut parler de vectofascisme pour désigner une forme politique contemporaine qui adapte les mécanismes fondamentaux du fascisme historique aux structures technologiques, communicationnelles et sociales de l’ère numérique1. Il se définit précisément comme un système politique caractérisé par l’instrumentalisation algorithmique des flux d’information et des espaces latents pour produire et orienter des affects collectifs, principalement la peur et le ressentiment, au service d’un projet de pouvoir autoritaire. Plusieurs éléments suggèrent des convergences significatives entre le gouvernement Trump 2 et les caractéristiques fondamentales du fascisme : 1. La personnalisation extrême du pouvoir et le culte de la personnalité. 2. Le rapport instrumental à la vérité factuelle et l’incohérence délibérée du discours. 3. La désignation systématique de boucs émissaires (immigrants, minorités ethniques, « élites cosmopolites »). 4. La remise en cause des institutions démocratiques (contestation des résultats électoraux, pression sur l’appareil judiciaire). 5. La mobilisation d’affects collectifs (peur, ressentiment, nostalgie) plutôt que d’arguments rationnels. Dans l’univers des images techniques, que devient le chef ? Il n’est plus un sujet porteur d’une volonté historique mais une fonction dans un système de feedback. Il n’est ni entièrement un émetteur ni complètement un récepteur, mais un nœud dans un circuit cybernétique de modulation affective. Le culte du chef vectofasciste n’est plus un culte de la personne mais un culte de l’interface, de la surface d’interaction. Ce qui est adoré n’est pas la profondeur supposée du chef mais sa capacité à fonctionner comme une surface de projection parfaite, et c’est pourquoi il peut se contredire sans contradiction. Le chef idéal du vectofascisme est celui qui n’offre aucune résistance à la projection des désirs collectifs algorithmiquement modulés de la partie de la population sur laquelle il croit pouvoir appuyer son pouvoir. La grotesquerie devient ainsi non plus un accident mais un opérateur politique essentiel. Si le corps du leader fasciste traditionnel était idéalisé (fût-ce par la seule puissance agissante de son discours), devant incarner la perfection de la race et de la nation, le corps du leader vectofasciste peut s’affranchir de cette exigence de perfection précisément parce qu’il n’a plus à incarner mais à canaliser. Le caractère manifestement construit, artificiel, même ridicule de l’apparence (la coiffure improbable, le maquillage orange) n’est pas un défaut mais un atout : il signale que nous sommes pleinement entrés dans le régime de l’image technique, où le référent s’efface derrière sa propre représentation. Cette transformation ontologique du statut du chef modifie également la nature du lien qui l’unit à ses partisans. Là où le lien fasciste traditionnel était fondé sur l’identification (le petit-bourgeois s’identifie au Führer qui incarne ce qu’il aspire à être), le lien vectofasciste fonctionne davantage par résonance algorithmique : le chef et ses partisans sont ajustés l’un à l’autre non par un processus psychologique d’identification mais par un processus technique d’optimisation. Les algorithmes façonnent simultanément l’image du chef et les dispositions affectives des partisans pour maximiser l’alignement entre eux. Ce passage de l’identification à l’alignement transforme la temporalité même du lien politique. L’identification fasciste traditionnelle impliquait une temporalité du devenir (devenir comme le chef, participer à son destin historique). La résonance vectofasciste implique une spatialité de l’équidistance : chaque tweet, chaque déclaration, chaque apparition du chef produit un pic d’intensité affective immédiatement mesurable en termes d’engagement numérique, puis s’efface dans le flux continu du présent perpétuel. D’où le besoin du chef de faire tout ce qu’il faudra pour être constamment au centre de l’attention médiatique. Le rapport vectofasciste à la vérité n’est pas simplement un mensonge ou une falsification. La distinction binaire vrai/faux appartient encore à la pensée alphabétique. Ce qui caractérise le vectofascisme post-alphabétique est plutôt la production d’une indécidabilité calculée, d’une zone grise où le statut même de l’énoncé devient indéterminable. Ce mécanisme ne doit pas être compris comme irrationnel. Au contraire, il est hyper-rationnel dans sa capacité à exploiter les failles des systèmes de vérification. La post-vérité n’est pas l’absence de vérité mais sa submersion dans un flot d’informations contradictoires dont le tri exigerait un effort cognitif dépassant les capacités attentionnelles disponibles. Le capitalisme a toujours su qu’il était plus efficace de saturer l’espace mental que de le censurer. Le vectofascisme applique cette logique à la vérité elle-même : non pas nier les faits, mais les noyer dans un océan de « faits alternatifs » qui tordent la factualité, de quasi-faits, de semi-faits, d’hyper-faits, jusqu’à ce que la distinction même devienne un luxe cognitif inabordable. Cette stratégie de saturation cognitive exploite une asymétrie fondamentale : il est toujours plus coûteux en termes de ressources cognitives de vérifier une affirmation que de la produire. Produire un mensonge complexe coûte quelques secondes ; le démystifier peut exiger des heures de recherche. Cette asymétrie, négligeable dans les économies attentionnelles pré-numériques, devient décisive dans l’écosystème informationnel contemporain caractérisé par la surabondance et l’accélération. Le vectofascisme pousse cette logique jusqu’à transformer la véracité elle-même en une simple variable d’optimisation algorithmique. La question n’est plus Est-ce vrai ?, mais quel degré de véracité maximisera l’engagement pour ce segment spécifique ? Cette instrumentalisation calculée de la vérité peut paradoxalement conduire à une calibration précise du mélange optimal entre faits, demi-vérités et mensonges complets pour chaque micro-public. Cette modulation fine du rapport à la vérité transforme la nature même du mensonge politique. Le mensonge traditionnel présupposait encore une reconnaissance implicite de la vérité (on ment précisément parce qu’on reconnaît l’importance de la vérité). Le mensonge vectofasciste opère au-delà de cette distinction : il ne s’agit plus de nier une vérité reconnue, mais de créer un environnement informationnel où la distinction même entre vérité et mensonge devient une variable manipulable parmi d’autres. Les concepts traditionnels de propagande ou de manipulation deviennent ainsi partiellement obsolètes. La propagande classique visait à imposer une vision du monde alternative mais cohérente ; la modulation vectofasciste de la vérité renonce à cette cohérence au profit d’une efficacité localisée et temporaire. Il ne s’agit plus de construire un grand récit alternatif stable, mais de produire des micro-récits (potentiellement contradictoires entre eux) adaptés à chaque segment de population et à chaque contexte attentionnel. Là où le fascisme historique désignait des ennemis universels de la nation (le Juif, le communiste, le dégénéré), le vectofascisme calcule des ennemis personnalisés pour chaque nœud du réseau. C’est une haine sur mesure, algorithmiquement optimisée pour maximiser l’engagement affectif de chaque segment de population. Cette personnalisation n’est pas une atténuation mais une intensification : elle permet d’infiltrer les micropores du tissu social avec une précision chirurgicale. Le système ne propose pas un unique bouc émissaire mais une écologie entière de boucs émissaires potentiels, adaptés aux dispositions affectives préexistantes de chaque utilisateur. L’ennemi n’est plus un Autre monolithique mais un ensemble de micro-altérités dont la composition varie selon la position de l’observateur dans le réseau, et dont le wokisme est (provisoirement ?) le paradigme. Cette modulation fine des antagonismes produit une société simultanément ultra-polarisée et ultra-fragmentée, où chaque bulle informationnelle développe ses propres figures de haine. Cette fragmentation des figures de l’ennemi ne diminue pas l’intensité de la haine mais la rend plus efficace en l’adaptant précisément aux dispositions psycho-affectives préexistantes de chaque utilisateur. Les algorithmes peuvent identifier quelles caractéristiques spécifiques d’un groupe désigné comme ennemi susciteront la réaction émotionnelle la plus forte chez tel utilisateur particulier, puis accentuer précisément ces caractéristiques dans le flux informationnel qui lui est destiné. Cependant, cette personnalisation des boucs émissaires ne signifie pas l’absence de coordination. Les algorithmes qui modulent ces haines personnalisées sont eux-mêmes coordonnés au niveau méta, assurant que ces antagonismes apparemment dispersés convergent néanmoins vers des objectifs politiques cohérents. C’est une orchestration de second ordre : non pas l’imposition d’un ennemi unique selon une idéologie cohérente et rigide, mais la coordination algorithmique d’inimitiés multiples, au sein d’une idéologie bel et bien présente mais fluide et adaptative. Cette distribution algorithmique de la haine transforme également la temporalité des antagonismes. Le fascisme traditionnel désignait des ennemis stables, permanents, essentialisés (le Juif éternel, le communiste international). Le vectofascisme peut faire varier les figures de l’ennemi selon les nécessités tactiques du moment, produisant des pics d’intensité haineuse temporaires mais intenses, puis réorientant cette énergie vers de nouvelles cibles lorsque l’engagement faiblit. Mes amis il n’y a point d’amis résonne aujourd’hui très étrangement. Cette souplesse tactique dans la désignation des ennemis permet de maintenir une mobilisation affective constante tout en évitant la saturation qui résulterait d’une focalisation trop prolongée sur un même bouc émissaire. La haine devient ainsi une ressource attentionnelle renouvelable, dont l’extraction est optimisée par des algorithmes qui surveillent constamment les signes de désengagement et recalibrent les cibles en conséquence. Le fascisme historique fonctionnait dans l’espace disciplinaire foucaldien : quadrillage des corps, visibilité panoptique, normalisation par l’extérieur. Le vectofascisme opère dans un espace latent de n-dimensions qui ne peut même pas être visualisé directement par l’esprit humain. Cet espace latent n’est pas un lieu métaphorique mais un espace mathématique concret dans lequel les réseaux de neurones artificiels génèrent des représentations compressées des données humaines. Ce n’est pas un espace de représentation mais de modulation : les transformations qui s’y produisent ne représentent pas une réalité préexistante mais génèrent de nouvelles réalités. La géographie politique traditionnelle (centre/périphérie, haut/bas, droite/gauche) devient inopérante. Les coordonnées politiques sont remplacées par des vecteurs d’intensité, des gradients de polarisation, des champs d’attention dont les propriétés ne correspondent à aucune cartographie politique antérieure. Cette transformation de la géographie du pouvoir n’est pas une simple métaphore mais une réalité technique concrète. Les grands modèles de langage contemporains, par exemple, n’opèrent pas primitivement dans l’espace des mots mais dans un espace latent de haute dimensionnalité où chaque concept est représenté comme un vecteur possédant des centaines ou des milliers de dimensions. Dans cet espace, la distance entre deux concepts n’est plus mesurée en termes spatiaux traditionnels mais en termes de similarité cosinus entre vecteurs. Cette reconfiguration de l’espace conceptuel transforme fondamentalement les conditions de possibilité du politique. Les catégories politiques traditionnelles (gauche/droite, conservateur/progressiste) deviennent des projections simplifiées et appauvries (unidimensionelles) d’un espace multidimensionnel plus complexe. Les algorithmes, eux, opèrent directement dans cet espace latent, capable de manipuler des dimensions politiques que nous ne pouvons même pas nommer car elles émergent statistiquement de l’analyse des données sans correspondre à aucune catégorie préexistante dans notre vocabulaire politique. Le pouvoir qui s’exerce dans cet espace latent échappe ainsi partiellement à notre capacité même de le conceptualiser. Comment critiquer ce que nous ne pouvons pas représenter ? Comment résister à ce qui opère dans des dimensions que nous ne pouvons pas percevoir directement et qui permet de passer de n’importe quel point à n’importe quel autre ? Cette invisibilité constitutive n’est pas accidentelle mais structurelle : elle découle directement de la nature même des espaces vectoriels de haute dimensionnalité qui constituent l’infrastructure mathématique du vectofascisme. Cette invisibilité est renforcée par le caractère propriétaire des algorithmes qui opèrent ces transformations. Les modèles qui modulent nos environnements informationnels sont généralement protégés par le secret commercial, leurs paramètres précis sont inaccessibles non seulement aux utilisateurs mais souvent même aux développeurs qui les déploient. Cette opacité n’est pas un bug mais une feature : elle permet précisément l’exercice d’un pouvoir qui peut toujours nier sa propre existence. 1Cet article propose un extrait du texte bien plus long publié par l’auteur sur son site (https://chatonsky.net/vectofascisme-2/) et repris par Hubert Guillaud sur le site Dans les algorithmes (https://danslesalgorithmes.net/2025/03/25/vectofascisme/). Il sera suivi d’autres interventions sur le vectofascisme et les politiques vectorielles dans le no 100 de Multitudes. L’article Trumpisme et vectofascisme est apparu en premier sur multitudes. Texte intégral 2913 mots
Le culte de l’interface
La puissance de la contrefactualité
La fragmentation de l’ennemi
Le contrôle vectoriel