30.09.2025 à 16:04
De la grève des Lip de 1973 jusqu’à aujourd’hui, autogestion partout ! Entretien avec Théo Roumier
Théo Roumier est enseignant en lycée professionnel, et syndicaliste à SUD. Il a écrit une biographie centrée sur le parcours politique et syndical de Charles Piaget, l’une des figures de la grève historique de 1973 à l’usine de montres Lip à Besançon (Charles Piaget, de Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024). Entretien autour de la notion d’autogestion, de syndicalisme, de débats internes à la gauche et de mouvement social... Read More
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Théo Roumier est enseignant en lycée professionnel, et syndicaliste à SUD. Il a écrit une biographie centrée sur le parcours politique et syndical de Charles Piaget, l’une des figures de la grève historique de 1973 à l’usine de montres Lip à Besançon (Charles Piaget, de Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024). Entretien autour de la notion d’autogestion, de syndicalisme, de débats internes à la gauche et de mouvement social. Par Edwin Malboeuf Autogestion partout. Cela peut relever de la nature du slogan, mais c’est aussi un programme politique qui fut à l’œuvre dans un certain nombre de courants de gauche dans les années 1960 et 1970. Aujourd’hui, alors que l’idée ne semble plus tout-à-fait à l’ordre du jour, il est de bon ton de se remémorer la grève des Lip, expérience brève mais réussie d’autogestion de la production, avec à la manœuvre, un syndicat dont on dit aujourd’hui qu’il négocierait le poids des chaînes si l’esclavage était rétabli. Ce syndicat, c’est la Confédération française démocratique du travail (CFDT), créé en 1964, que l’on peut ranger à droite à ce jour et qui représente le syndicat le plus important en nombre de syndiqués et d’adhésions. Pourtant à ses débuts, il prône l’autogestion et s’inscrit alors pleinement parmi les revendications de Mai 68. Soit un mouvement qui veut tenir à l’écart à la fois le capitalisme et l’État dans la gestion des entreprises et de la société qui doit être celle des travailleuses et travailleurs auto-organisés uniquement. Nous y reviendrons. En 1973 débute donc cette fameuse grève à l’usine de montres Lip du quartier Palente de Besançon, du nom de son fondateur Fred Lip. Les ouvriers s’opposent, chose rare à l’époque, à un plan massif de licenciements. Rare car c’est le début du chômage de masse et la fin du plein emploi. En 1967, la France compte seulement 500 000 chômeurs et l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) est créée en 1968. En 1973, nous sommes en plein choc pétrolier, et entrons dans le début de l’ère néolibérale, synonyme de contre-attaque de la classe bourgeoise après trente années de révolution sociale à travers le monde. Le mouvement ouvrier demeure puissant et certain de sa force. Va alors s’engager un bras de fer historique avec le patronat pour s’opposer aux licenciements ainsi qu’au démantèlement de l’entreprise, et même reprendre en main la production sans lui. « Ça tient aussi à un effet de période. On est dans l’après 68, avec une libération de la parole ouvrière très forte. Il faut aussi rappeler qu’à l’époque la classe ouvrière, c’est presque la moitié de la population active. Ça donne une conscience de classe très forte. Idéologiquement, la gauche est puissante. La question du passage au socialisme est dans la tête de beaucoup de gens et pas uniquement des militants, et ce dans les années à venir. Besançon, c’est aussi le berceau de l’anarchisme jurassien, la ville de Proudhon. Qu’il y ait, dans cette ville-là, une histoire particulière du mouvement ouvrier, c’est vrai. Globalement, dans ces années-là, il y a une conception de la grève et de l’action, où la démocratie ouvrière était importante, nécessaire et presque naturelle. Aller contre cela, c’était aller à contre-courant de ce qui traversait toute une partie de la classe ouvrière. », nous explique Théo Roumier, auteur du livre sur l’histoire militante de Charles Piaget. C’est donc tout naturellement qu’au début du mouvement de grève, l’usine est occupée et les administrateurs provisoires, nommés après la démission du PDG, séquestrés. Une action courante pour l’époque. Les administrateurs sont fouillés et le plan de licenciements brutal ainsi que de démantèlement de l’entreprise est découvert. Après l’intervention de la police, la grève s’organise. Le stock de montres est réquisitionné par les salariés en grève et quelques jours après intervient cette décision historique de relancer la production « afin de s’assurer une paie sauvage permettant de tenir la distance » (1). Une banderole avec écrit « C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie » est déployée en haut de l’usine. Les montres sont vendues par des « receleurs », des comités de soutien fleurissent partout en France. Le tout décidé collectivement par des assemblées générales, quotidiennes et décisionnaires. Le 29 septembre 1973, une grande manifestation est organisée à Besançon en soutien aux grévistes en lutte. On dénombre 100 000 personnes. « C’est l’équivalent de la ville qui débarque pour soutenir le mouvement, raconte Théo Roumier. C’est tout cela qui en fait une grève exceptionnelle et extraordinaire. Il faut souligner aussi l’irruption des femmes dans celle-ci. Plus de la moitié des ouvrières de l’usine sont des femmes. A 75% des ouvrières spécialisées, donc les métiers les plus précaires aux conditions de travail les plus dures. Elles prennent un espace politique pendant la grève. Lip, c’est une grève de femmes, bien que la plupart des leaders syndicaux étaient des hommes. Il y a eu une organisation de la grève qui s’est faite à la fois poussée par les grévistes, par les équipes syndicales qui ont mis en place des assemblées générales souveraines, des commissions qui préparaient les AG, pour que les votes ne soient pas seulement des caisses d’enregistrement de décisions déjà prises et par un comité d’action. La démocratie a été très représentative, avec 400-500 personnes en moyenne. A la fin de l’année 1973, les Lip sont 830 à être repris », retrace-t-il. Soit l’entièreté des salariés sans compter les départs volontaires sur les 1 200 salariés que comptait l’usine avant le mouvement. Victoire. S’il y eut bien quelques figures féminines du mouvement comme Fatima Demougeot ou Monique Piton, c’est bien le nom de Charles Piaget qui reste dans la mémoire collective et demeure associé à cette grève. Comment empêcher qu’une figure charismatique prenne le pas dans une lutte et qu’un mouvement social soit sans incarnation ? Faut-il que cela repose sur des qualités humaines intrinsèques comme celles de Charles Piaget ou peut-on mettre en place un certain nombre de contre-pouvoirs ? « Dans la lutte de Lip, et en ce qui concerne Charles Piaget, cela reposait sur les deux. D’un côté toute une équipe syndicale autogestionnaire avec la CFDT et qui pour beaucoup en plus étaient membres du PSU, un petit parti de gauche radicale, qui se disait révolutionnaire et autogestionnaire. Son manifeste de l’année précédant la grève disait : “Contrôler aujourd’hui pour décider demain”. La CFDT recherchait cette horizontalité dans l’organisation de la grève. Elle a été très ouverte », explique l’enseignant. La vie militante de Charles Piaget peut résumer à elle seule nombre de débats et contradictions internes à la gauche. « C’est ce qui m’a intéressé car j’ai eu la chance de rencontrer cette personnalité. C’était quelqu’un d’une très grande intégrité et d’une très grande sincérité. Il avait cette souplesse ; il était capable de discuter avec les chrétiens de gauche, comme avec les anarchistes, les trotskistes, les maoïstes ». Dans son récit livresque du mouvement social, Piaget explique que « le plus important c’est la mise en route du plus grand nombre », mais que « tout ne repose pas sur ses épaules », bien qu’il concède que ce fut « trop souvent » lui qui mena les assemblées générales. Et toujours une question, comment faire advenir le socialisme ? Au sortir de la guerre en 1945, la CGT compte 5 millions d’adhérents. C’est en partie ce qui va permettre d’installer la Sécurité sociale sur le territoire, emmenée par le ministre communiste du travail Ambroise Croizat. Aujourd’hui, elle en revendique 600 000, la CFDT 630 000. Seulement un salarié sur dix est syndiqué actuellement, quand il était de un sur trois dans les années 1950. Les délocalisations, l’atomisation des travailleurs, l’avènement de l’auto-entrepreneuriat qui n’est rien de moins que de l’auto-exploitation en salariat déguisé, la désindustrialisation et le passage à une économie de service, la financiarisation de l’économie, l’éloignement patronal avec le rachat des usines par des grands groupes, une idéologie néolibérale ayant mené à une révolution anthropologique individualiste. Tous ces facteurs peuvent expliquer la fin de l’ère triomphante de la classe ouvrière et de ses conquêtes sociales. Le syndicalisme ne peut plus engager de rapports de force féroces comme à cette époque, où occupation d’usine et séquestration du patron étaient de mise. Pourquoi, selon Théo Roumier ? « Cela tient à la place de la classe ouvrière. D’avoir conscience d’elle-même, d’avoir un groupe social fort, doté d’intérêts convergents, porteur d’aspirations à une société socialiste. Tout cela donne une légitimité importante. Durant la grève Lip, ils se sentent légitimes à dire aux administrateurs provisoires, “non vous ne sortez pas”. Aujourd’hui tu fais ça, on t’envoie le GIGN. Le rapport de l’État à cette radicalité a changé. Mai 68 a fait changer beaucoup de choses, il y a eu une grande peur des patrons. Cela continue d’être quelque chose qui hante les sphères bourgeoises. Mais le nombre de syndiqués a fortement baissé. Aujourd’hui, occuper une usine est considéré comme délictueux. Le rapport de force n’est plus le même. C’est une partie de l’explication. Et puis il y a aussi des décennies de propagande médiatique où on explique que la violence c’est celle des ouvriers qui arrachent une chemise d’un DRH, et pas les licenciements. » L’expérience Lip de relance de la production sans patron, en rupture avec la légalité capitaliste, a fait date. Depuis, on a vu quelques exemples de reprise en SCOP, notamment ces dernières années. Pour dresser un parallèle avec le présent, que pense-t-il du passage en Société coopérative de production (SCOP) de l’usine Duralex l’an dernier, choix qu’avait fait également Lip en 1977 ? « Parallèle intéressant, mais le choix de Lip s’est fait par défaut au commencement de la deuxième lutte en 1976. Après la victoire de 1973, un patron de gauche arrive, la production repart, mais l’État coule l’usine en faisant pression sur les banques, supprime des contrats etc. Ce qu’ils défendaient, c’était plutôt une “régie nationale sous contrôle ouvrier”, selon les termes de l’époque. Ils ne voulaient pas se mettre en concurrence pour leur survie, sur une terre horlogère jusqu’en Suisse. Cela pose une question intéressante de savoir qui définit les besoins, de ce qu’on doit produire. Piaget est assez précurseur là-dessus. Il se méfiait dans cette idée de SCOP du côté égoïste, d’une entreprise fermée sur elle-même. Malgré cela, il a voté pour la transformation en SCOP. Mais elle n’a pas fonctionné. » « Pour Duralex, on ne pose plus la même question aujourd’hui. On ne peut que leur souhaiter de réussir. Mais est-ce que ce sont les ouvriers d’une entreprise concernée qui sont les responsables de leur “sauvetage” ? Ou est-ce que ce ne sont pas des questions de société qu’il faut assumer collectivement ? De quelle industrie, quel mode de production a-t-on besoin ? La CFDT parlait de planification autogestionnaire. Ce sont des débats qu’on a complètement oubliés, qui resurgissent un peu avec la crise écologique. On sera bien obligé de penser cette question de la planification. Une SCOP n’est qu’une rupture partielle, mesurée, dans un espace défini et étroit. Ça ne répond pas globalement à la question sociale. Les capitalistes reviennent vite, on n’évacue pas la question du pouvoir, de la démocratie, et de l’affrontement avec une bourgeoisie qui elle aussi pense globalement », détaille Théo Roumier. Charles Piaget était critique des SCOP, et parlait « d’îlot autogéré voué à l’échec dans un régime capitaliste » (2). La réponse doit être globale. Comment s’apprend alors l’autogestion ? « Je crois beaucoup à l’école des luttes. C’est à la fois un combat politique qui doit être mené – il faut le reconnaître par des minorités politiques acquises aux principes d’auto-organisation, mais c’est aussi quelque chose qui relève de l’expérience concrète. Piaget, cette défiance à l’égard de la hiérarchie, il l’a construite dans son parcours syndical tout au long de sa vie. Et puis, il faut aussi compter sur quelque chose que Jorge Valadas appelle “le socialisme sauvage”. Qu’il y a toujours moyen de penser le socialisme au niveau du terrain, de la base, qui surgit toujours. Il y a toujours un peu de socialisme dans toutes nos luttes. » Si les syndicats et les partis ont cessé de jouer ce rôle d’éducation populaire, que pense-t-il du refus de ceux-ci dans les mouvements spontanés et populaires qu’ont été les Gilets jaunes ou pour ce qui s’annonce, à l’heure de ces lignes, le 10 septembre avec le mouvement Bloquons-tout ? « Je pense qu’il y a un rejet, surtout, de l’institutionnalisation des syndicats, pas tant du syndicalisme. Des syndicats qui sont présentés comme des partenaires sociaux du pouvoir en place. Je trouve cela plutôt positif. Pour le 10 septembre, des fédérations syndicales ont emboîté le pas, jusqu’à la CGT. Je pense que l’empreinte des syndicats sur la société est moins forte qu’avant et que cela laisse des espaces disponibles, mais aussi beaucoup de frustration et de rancœur, car cela laisse des gens en contact direct avec l’exploitation et l’aliénation. Ils cherchent alors de nouvelles émergences qui tiennent justement du socialisme sauvage. Mais on ne peut pas prendre les syndicats comme un bloc. Il y a 1 000 manières d’être à SUD, à la CGT etc. Il faut se coltiner au réel sans en avoir peur, et aller défendre des logiques d’auto-organisation, de rupture anti-capitaliste et de radicalité. » Finalement, quel type de société autogestionnaire entrevoit-il ? « Il faut radicalement donner le pouvoir à toutes et tous. J’aime bien ce que disaient les zapatistes : “Commander en obéissant. Tout pour tous”. Cette logique-là, c’est une belle idée pour réactiver l’idéal autogestionnaire. Je ne sais pas si ce mot parle forcément aujourd’hui. Ou alors sur le côté Do it yourself, petite entité. Par contre, on a intérêt à reposer la question du pouvoir, qui n’appartient pas à quelques-uns. Il est partagé, les décisions sont horizontales, les questions de production sont posées pour tous, pas seulement par les producteurs. C’est arriver à articuler différentes échelles, sans recréer un monstre bureaucratique. Mais l’on voit que même à gauche, on reste sur des formats très verticaux, avec des tribuns, des leaders. On gagnerait à reposer cette question de l’horizontalité qui souvent, renaît, se revivifie aux mouvements sociaux ». Notes : 1. Théo Roumier, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs », Editions Libertalia, 2024, 191 pages Op. Cit. Cet article De la grève des Lip de 1973 jusqu’à aujourd’hui, autogestion partout ! Entretien avec Théo Roumier est apparu en premier sur MOUAIS. Texte intégral 3301 mots
« On fabrique, on vend, on se paie »
Une grève de femmes menée par des hommes
Lutter contre la personnification
Que reste-t-il du syndicalisme ?
Planification ouvrière et démocratique : la question des SCOP
Autogestion partout ou socialisme sauvage
08.09.2025 à 07:43
Pop fascisme VS Pop gauchisme : qui va l’emporter ?
La pop culture est devenue le terrain d’une lutte intense, qui se joue à coups de memes, de vidéos Youtube, de stories d’influenceurs et de shorts de Tik-tokeuses. « bataille de civilisation » VS « lutte des classes » : à chaque camp, son écosystème, ses mots et ses codes. Retour sur ce combat pour l’hégémonie culturelle autour des travaux de Bolchegeek, Maxime Macé et Pierre Plottu. Vous l’aurez sans.. Read More
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Vous l’aurez sans doute noté, à moins de vivre dans une grotte ou la boîte crânienne de Pascal Praud : l’extrême-droite la plus virulente a le vent en poupe, et inonde le champ culturel et médiatique. Et ce, notamment, nous disent les éditions Divergences, qui ont publié en septembre dernier « Pop-Fascisme. Comment l’extrême-droite a gagné la bataille culturelle sur internet » des journalistes Maxime Macé et Pierre Plottu, « grâce à un intense combat mené par la fachosphère et ses troufions sur Internet ». Et « cet écosystème coordonné, pensé et interconnecté a permis à ces « idées » de se répandre jusque dans les médias, avec l’appui de Bolloré et de ses sbires littéralement en croisade. Combien de vues se transforment en voix pour le Rassemblement national ? Comment en est-on arrivé là ? ». Au menu (littéralement) : de la viande rouge, des cigares et du sport, car homme-blanc-alpha-manger-viande, pas comme ces hommes-soja (nom donné par l’extrême-droite aux gauchistes supposés maigres et mal nourris) à cheveux bleus et de moins de 100 kilos. Plottu et Macé, sur le plateau de l’émission Au Poste, de David Dufresnes (1), donnent ainsi l’exemple du très suivi Baptiste Marchais, « influenceur culturiste qui connaît le succès avec ses ‘’repas de seigneur’’ », dîners lors desquels il peut ressortir la rhétorique d’extrême-droite la plus éculée : «l’homme blanc solide a disparu avec la bataille de Verdun, parce que ce sont eux les courageux morts au front, tandis que ne subsistent aujourd’hui que les lâches ». Lui-même mène donc un business de coach en musculation, ce qui lui permet, en plus de son programme idéologique, de mettre un juteux beurre dans ses épinards. Car cette fachosphère est financièrement profitable, d’autant que soutenue par les milliardaires Pierre-Edouard Stérin et Bolloré, qui rachètent tout ce qu’il leur est possible de racheter, donnant ainsi une image médiatique favorable, et des canaux de diffusion massifs, à des collectifs fascistes comme les Némésis, dont Retailleau a récemment dit « partager les combats ». Avec, toujours, comme modus operandi, la construction de la « menace » gauchiste et « immigrationiste », avec une phraséologie de « l’ennemi intérieur » identique à celle de la presse antisémite des années 30 : « C’est très important de caricaturer l’ennemi. D’abord parce qu’il est beaucoup plus simple de lutter contre un adversaire caricaturé plutôt qu’un adversaire pluriel, et puis parce que ça renforce ses propres positions », dit Macé dans cette même émission, où il rapporte aussi ce bandeau observé sur la chaîne LCI, à propos de la déportation de migrants en Albanie par la mussolinienne Georgia Meloni : « La re-migration : une solution ?». Nous en venons rapidement à parler de la série The Boys, sur Amazon Prime, à laquelle il a également consacré une vidéo. Une série « très pas subtilement de gauche (rires) », où l’on suit une troupe de massacreurs badass de super-héros machistes et fascistes, dirigés par Homelander, caricature de Superman à la sauce Trump, bébé-cadum grotesque pathologiquement accro à la violence et au pouvoir. Mais il s’est tout de même trouvé des groupes masculinistes pour déclamer leur amour de ce personnages, obligeant l’acteur interprète, Anthony Starr, à prendre la parole à de nombreuses reprises, déclarant : « Ce personnage n’est absolument pas un héros… Pourtant, beaucoup le glorifient et l’adorent. C’est vraiment surréaliste. » Et poussant, donc, Bolchegeek à faire sa vidéo sur la mécompréhension de la série (2) : « Il y a plein de gens qui me demandaient Andor, tu vois, un des meilleurs trucs sur la révolution dans la pop culture. Mais j’ai voulu plutôt réagir là-dessus, car à un moment il faut arrêter les conneries : présenter The Boys comme « anti-woke » alors que ça dit tout le contraire, c’est juste n’importe quoi, il faut redescendre ». Car c’est l’une des particularités de cette série. Présenter, à traits épais, une sorte de « fascisme 2.0 », un dystopique néo-nazisme « inclusif » drivé par une armée de marketeux ayant pour but d’instrumentaliser les thématiques antiracistes, LGBTQIA+ et féministes pour servir leur plan idéologique ultra-conservateur. « Et ça, c’est totalement un move de gauche, en fait ! Il y a des gens d’extrême-droite, ils se disent, ah, ça critique l’hypocrisie homo, etc. Ils se rendent pas compte qu’en fait, dans les milieux LGBT, le pink-washing, c’est l’ennemi, quoi ». Même s’il se veut optimiste sur le fait que « la majorité du public de The Boys, c’est des gens qui sont quand même sensibles aux idées progressistes », et « qu’on surestime aussi le nombre de gens qui comprennent pas », il montre cependant la puissance de déni et de toxicité culturelle de la fachosphère, capable d’essayer de tirer vers soi la couverture d’une série qui lui crache très ouvertement à la gueule. Je demande à Benjamin si, à ses yeux, ce genre de productions culturelles a un réel pouvoir d’influence sur les imaginaires. Il réfléchit. De mon côté, lui dis-je, « je pense qu’il y a une incidence positive. Je ne peux pas m’imaginer qu’un gamin qui mate The Boys et qui trouve les personnages super cool, et où les nazis sont présentés comme étant des grosses merdes, ne va pas être influencé ». Il est, lui, plus nuancé : « C’est une question qu’on me pose souvent, et je trouve que ça serait cool d’avoir une discussion collective un peu là-dessus, parce que j’ai pas trop d’idées arrêtées. En fait, mon intérêt, ça serait de dire que la bataille culturelle, c’est important, que c’est là que tout se joue, et de la surestimer. Mais je n’ai pas envie de faire ça. Et vu l’état du monde, il faut bien croire que ça n’a pas non plus une incidence si forte que ça. Pour l’instant, je me dis que c’est forcément mieux d’avoir des séries, des films » allant dans notre sens, comme le carton du film Sinners, de Ryan Coogler, hommage à la Blaxploitation se concluant par un massacre de blancs du KKK, ou la série Watchmen, « qui imagine une uchronie où en fait, il y aurait eu un tournant progressiste. Comme il y a eu un tournant Reagan, tu vois. Sauf que là, c’est pas Reagan, c’est Robert Redford, le président (rires). Mais évidemment la morale, même si ça critique certains aspects de la gauche, c’est que c’est toujours mieux d’être de notre côté que de celui des fascistes ». Il donne aussi l’exemple de Beyond the spider-verse, film d’animation de Sonny Marvel où l’on retrouve le personnage de Spider-Punk, un anarchiste « qui est juste génial. Le gamin d’un pote, qui doit avoir six ans, quand, dans le film, il enlève son masque, et qu’en plus, c’est un Noir, avec des dreads, et qu’on voit que c’est le personnage le plus stylé de l’univers, il fallait voir sa gueule… il va s’en souvenir toute sa vie ». Il conclut : « Et il y a plein de petits trucs comme ça, je pense qu’on ne se rend pas compte de l’impact sur les nouvelles générations » ; « Une génération qui aura vécu avec des Spider-Punks, c’est pas la même génération qui aura vécu avec des héros reaganiens ». Car les productions culturelles estampillées de droite, il en a regardé, notamment pour le podcast Dis-Cor-Dia : « c‘est tout le temps des merdes. La dernière fois, ils m’ont fait faire la trilogie adaptée de La Grève de Ayn Rand. L’idée du bouquin est trop conne : tous les entrepreneurs se disent qu’ils en ont marre des collectivistes et donc ils se cassent. C’est fait par une espèce de boîte de prod’ de droite, mais nulle, avec de moins en moins de budget à chaque film. Personne ne regarde ça. C’est des trucs nazes de Bac DVD… » Si quelqu’un comme Louis Sarkozy, fils de, nouvelle coqueluche des réac’ du pays, n’a vendu que 2000 exemplaires de son bouquin malgré son passage sur tous les plateaux télé, le livre de Jordan Bardella, ou la revue fasciste Furia, de Papacito et Obertone, diffusés dans tous les points de vente Bolloré, sont de véritables succès -même si, tempère Benjamin, « Salomé Saqué a vendu autant si ce n’est plus, avec une exposition médiatique moindre ». Et, selon lui, citant les travaux de Vincent Tiberj critiquant la prétendue « droitisation de la société », « la pop culture est quand même massivement progressiste. Les artistes ont tendance à être au moins un peu plus progressistes que la moyenne, quoi. Et sans artistes, tu ne produis rien ». « Faire des bons films, des bons livres, ils galèrent. La culture meme, internet, tiktok, ils y arrivent très bien. Mais c’est vrai que faire une culture, ils n’y arrivent pas ». Ces contenus immédiats, qui touchent principalement les jeunes ados, adeptes de trucs courts basés sur « la déconne », arriveront-ils à asseoir en eux une véritable idéologie ? Difficile de le savoir. Mais « ce qui est observé par contre c’est qu’il y a un retour, notamment chez les jeunes mecs, du masculinisme, notamment via les influenceurs. C’est terrifiant. J‘espère qu’ils en reviendront. Et s’ils n’en reviennent pas tout de suite, ça fait quand même des dégâts. S‘ils grandissent avec ça, il y a du chemin à faire pour eux…. » A la fin de leur essai, Maxime Macé et Pierre Plottu rappellent que lorsque le Rassemblement National, après la dissolution, a manqué d’arriver en tête du second tour des législatives, Squeezie, suivi par 19 millions de personnes, a pris clairement position contre l’extrême-droite, de même que Lena Mahfouf, dite Lena Situation -11 millions d’abonnés. Cependant, précisent les auteurs, « passée la joie, les influenceurs ayant pris la parole contre le RN se sont inquiétés pour la suite. « Je considère que ce n’est qu’un sursis et non une victoire », a ainsi estimé le vidéaste MisterMV, près de 500 000 abonnés sur Youtube, pour qui la gauche doit désormais « reconstruire et trouver une solution pour parler aux circonscriptions tombées sous le joug du RN » […] Reste à savoir si cet élan perdurera au-delà de l’urgence d’un scrutin. Car, en parallèle, la fachosphère continue à fourbir ses armes ». A la gauche de faire de même, sur le vaste terrain de lutte de la pop. Par Macko Dràgàn Abonnez-vous ! https://mouais.org/abonnements2025/ (1) https://www.auposte.fr/pop-fascisme-trump-aux-usa-influenceurs-en-france-auposte-x-mediapart/ Cet article Pop fascisme VS Pop gauchisme : qui va l’emporter ? est apparu en premier sur MOUAIS. Texte intégral 3015 mots
La pop culture est devenue le terrain d’une lutte intense, qui se joue à coups de memes, de vidéos Youtube, de stories d’influenceurs et de shorts de Tik-tokeuses. « bataille de civilisation » VS « lutte des classes » : à chaque camp, son écosystème, ses mots et ses codes. Retour sur ce combat pour l’hégémonie culturelle autour des travaux de Bolchegeek, Maxime Macé et Pierre Plottu.
Viande rouge, cigares et « grand-remplacement »
Quand The Boys massacre le trumpisme
Je retrouve Benjamin Patinaud, dit le Bolchegeek, à la terrasse d’un petit bar de Lyon. Spécialisé dans ces questions, entre autres pour Blast, le journal l’Humanité et sur sa propre chaîne Youtube, il a réalisé il y a peu une vidéo sur la série Canal « Paris Police », série historique fort gauchiste, dont la saison 2, se déroulant en 1905, a vu le très catholique Bolloré censurer, suppose-t-il, toute mention… de la loi 1905 de séparation de l’église et de l’État, un comble. De même pour un affrontement entre les ligues d’extrême-droite et la police et les anarchistes, se déroulant hors-champ. Reste, malgré le coup de pression, cette réalité d’une série grand public, populaire, de qualité, assumant fièrement son ancrage féministe, antifasciste, antiraciste… Mais le constat d’ensemble de la pop, malgré son caractère apparemment progressiste, est-il si optimiste, si positif ? C’est l’objet de notre rencontre.
La pop a-t-elle une réelle influence ?
Benjamin aux côté de Benjamine Weill et de la revue Audimat aux rencontres Pop Molotov, organisée par Mouais et les éditions Terres de feu
Une offensive réactionnaire réelle -et efficace ?
(2) Bolchegeek, Pourquoi personne ne comprend THE BOYS, vidéo Youtube
29.08.2025 à 14:26
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Cela fait maintenant 30 ans que l’industrie de la presse connaît une évolution oligarchique catastrophique à l’échelle mondiale. On observe une concentration croissante des médias entre les mains d’un nombre restreint de grands groupes industriels et financiers, souvent dirigés par des milliardaires. En France, par exemple, fin 2023, onze milliardaires contrôlaient 80 % des ventes de la presse quotidienne généraliste et 57 % des audiences télévisuelles. Cette situation est exacerbée par les difficultés économiques de la presse écrite traditionnelle, qui a vu de nombreux points de vente fermer -où être rachetés par Bolloré, dont on connaît la passion sans limite pour le pluralisme et l’indépendance- et des journaux historiques faire face à des problèmes de trésorerie récurrents. Cette oligarchisation fait courir des risques majeurs à la démocratie. C’est pourquoi il est vital de soutenir ce contre-pouvoir essentiel, à échelle locale comme nationale et international, que sont les médias libres. C’est pourquoi, après 5 années de radicalité jamais soumise, nous continuerons à déverser notre arme de prédilection, l’encre sur nos pages. Tant pis si elle n’est que la peinture rupestre de notre époque : elle fixe une pensée radicale et complexe que les générations futures, lasses du grand effacement numérique, pourront redécouvrir pour comprendre nos luttes. Mouais, c’est l’information du futur. L’écho de nos grognements critiques résonnera bien après que leurs datacenters, leurs clouds et le big data auront grillé. Et non seulement nous continuons, mais nous passons à la vitesse supérieure. A l’heure d’élections municipales -chez nous, à Nice, où nous nous obstinons à faire entendre une parole libre, l’ultra-droitier Eric Ciotti, adepte de Trump et allié au RN, s’est déclaré candidat- faisant peser à nouveau le risque d’une vague fasciste et tandis que l’étau se resserre sur la presse libre, plutôt que de nous laisser intimider, les anarchistes que nous somment appuient sur le champignon. Au menu : un passage l’impression rotative, donc à 10 000 exemplaires et plus, et une diffusion dans tous les kiosques du pays. Mais ceci a un prix : pour assurer le financement de cette aventure, il nous faut un minimum de 4000 euros, dont nous ne disposons pas actuellement. C’est pourquoi nous faisons appel à vous. L’argent sera intégralement consacré aux frais d’impression et au paiement de l’entreprise chargée de la diffusion en kiosque. Le lien est ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/collectes/aidez-notre-journal-a-passer-en-diffusion-nationale-en-kiosque Vive la presse libre et libertaire, et si vous voulez mettre un bâton dans les roues d’Estrosi, Ciotti et leur monde, une seule solution : financer le canard au chat noir qui leur tient tête ! Toute la rédaction vous remercie du fond du cœur. Cet article Aidez notre journal à passer en diffusion nationale en kiosque ! est apparu en premier sur MOUAIS. Texte intégral 649 mots
Dans quelques mois, pour janvier 2026, notre journal, Mouais, seul média papier indépendant basé en Côte d’Azur, a un grand projet : passer en diffusion nationale en kiosques. Nous lançons donc une campagne de financement, pour que vive la presse libre.