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12.08.2025 à 10:09

Et si tout n’était pas foutu ? Réflexions sur les générations à venir

admin

Alors qu’on nous serine sur une France qui pencherait plus que jamais à droite, plusieurs indicateurs viennent démontrer l’inverse. Les élites se fascisent oui, mais, tendanciellement, la population, elle, résiste et s’ouvre culturellement et socialement. Brève réflexion sur pourquoi tout n’est pas foutu et comment accentuer le changement. Il y a des livres qui font du bien. Celui du politiste Vincent Tiberj par exemple. Dans La droitisation française. Mythe et.. Read More

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Texte intégral 2548 mots

Alors qu’on nous serine sur une France qui pencherait plus que jamais à droite, plusieurs indicateurs viennent démontrer l’inverse. Les élites se fascisent oui, mais, tendanciellement, la population, elle, résiste et s’ouvre culturellement et socialement. Brève réflexion sur pourquoi tout n’est pas foutu et comment accentuer le changement.

Il y a des livres qui font du bien. Celui du politiste Vincent Tiberj par exemple. Dans La droitisation française. Mythe et réalités, ce dernier montre, sondages à l’appui sur les cinquante dernières années, comment toutes les générations, même celle des boomers, devient de plus en plus acquise aux thèmes chers à la gauche. Tout du moins, qu’il n’y a pas de « droitisation par le bas », comme le laissent à croire tous les bavasseurs de plateaux. Trois indices sont étudiés qui couvrent, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, les préférences culturelles et sociales des Français.es, ainsi que la tolérance à l’égard des minorités religieuses, sexuelles, ethniques. Et les courbes tendent de façon presque linéaire vers un accroissement de cette tolérance, toutes générations confondues, hormis pour celle des préférences économiques qui oscille selon le contexte de l’époque. En revanche, Vincent Tiberj montre une droitisation bien réelle, celle des élites politiques et médiatiques. En résumé, une réalité en haut, un mythe en bas.

« Il n’y a pas de droitisation sur le long terme, c’est même plutôt l’inverse qui apparaît. On verra même que plusieurs facteurs comme le renouvellement générationnel ou l’élévation du niveau de diplôme poussent vers encore plus d’ouverture et de tolérance, et que les demandes de redistribution demeurent, particulièrement dans les catégories populaires », écrit Vincent Tiberj (p.23). On observe des infléchissements à certaines périodes, comme dans les années 1980, à l’ère triomphante du néo-libéralisme concernant la demande de redistribution. Et vice-versa depuis la prise de pouvoir d’Emmanuel Macron. Néanmoins, les indices augmentent dans la « bonne direction » et laissent augurer un futur désirable. « Les individus bougent, y compris quand ils sont âgés, parce qu’on apprend tout au long de sa vie et que notre entourage nous y aide sans doute ». (p.71) On y reviendra mais parmi les facteurs de mouvements, on retrouve également l’éducation populaire et le militantisme. En juin dernier, le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie est venu confirmer une partie des travaux de Vincent Tiberj. Oui, les Français sont de plus en plus tolérants. « L’indice longitudinal de tolérance (ILT) s’établit à 63/100, soit le troisième meilleur score depuis 1990 », dit le rapport. Mais les préjugés racistes demeurent fortement. Alors à quel saint se vouer ?

Vote ou ne vote pas, mais organise-toi

Puisqu’on a tout bien lu Pierre Bourdieu, qui nous avertissait dès 1973 que « l’opinion publique n’existe pas », en tout cas celle mesurée par les sondages, alors nous sommes critiques face à la méthode employée par Vincent Tiberj. Pour autant, il vient confirmer une prénotion, observable à l’œil nu (certes, ce n’est pas très scientifique) : la jeunesse se radicalise, se polarise, mais pour une grande part se trouve à la pointe sur les questions intersectionnelles, c’est-à-dire sur l’articulation des différentes dominations subies (racisme, genre, classe sociale etc). Pourquoi ne trouve-t-on alors pas de traduction dans les urnes ? Une partie de cette jeunesse éduquée déserte celles-ci par lucidité sur le système politique, et se concentre plutôt sur l’action associative et collective, spontanée. Ou bien vote par intermittence. De manière générale, le politiste parle d’une « grande démission » du vote et postule d’une divergence entre citoyens et électeurs, c’est-à-dire entre ceux qui votent et ceux qui ne votent pas, pour comprendre les écarts entre aspirations politiques de la population et un paysage électoral de plus en plus brun. Les élections législatives de 2024 suite à la dissolution décidée par Emmanuel Macron ont été un formidable révélateur de cette thèse. Lorsque l’abstention baisse, le vote de gauche augmente. Et celle-ci gagne. Pour autant, son socle oscille autour des 30%, un total relativement faible, lorsqu’on considère qu’elle fut unie « de Poutou à Hollande » en juin 2024. Les abstentionnistes sont de gauche, les cohortes de générations s’ouvrent de plus en plus vers l’altérité. Que faire de ces données ? Attendons sagement que les vieux meurent et le monde est à nous ?

Gare au backlash

Il serait naïf, voire illusoire de croire à un inéluctable progressisme. En face s’opère un « cultural backlash », concept forgé aux États-Unis, c’est-à-dire « un retour de bâton » face aux fortes avancées sur les questions féministes, LGBTQIA+, décoloniales. « Il y a un retour en force du masculinisme, on est retournés 30 ans en arrière », témoigne Francis Dupuis-Déri, universitaire anarchiste dans nos colonnes (1). « Alors que les jeunes femmes adhèrent de plus en plus aux valeurs progressistes, les hommes du même âge ont tendance à se tourner vers des idées conservatrices », (2) explique Le Monde à partir d’une enquête du Financial Times. Le 2 juillet, un attentat d’un homme de 18 ans se revendiquant de la mouvance incel (involuntary celibate, célibataire involontaire) a été déjoué. Il a été mis en examen par le parquet national anti-terroriste, une première pour un fait de cette nature.

Comment les évolutions mesurées s’opèrent-elles ? Qu’est-ce qui fait bouger ces indicateurs de progrès ? A n’en pas douter, l’élévation du niveau de diplôme de la population, suite à des années de démocratisation massive de l’enseignement supérieur, notamment via la fac, a permis à des générations successives de goûter aux joies de l’académisme universitaire. Et par là-même de comprendre la complexité du monde, qui n’inclut pas de binarité biologique entre hommes et femmes, entre Blanc et Arabe, Noir et Juif. C’est par ailleurs l’une des nombreuses raisons pour lesquelles le système Parcoursup introduisant la sélection à l’université représente un sévère retour en arrière. On peut aussi voir dans la mixité de la population, toujours plus grande et qui fait tant peur aux fachos, un facteur d’élèvement et de rejet du racisme. François Héran, sociologue et titulaire de la chaire Migrations et société au Collège de France, avait rappelé en décembre 2023 sur la chaîne LCP, au moment du vote pour la loi Immigration, que « 31% des Français sont issus de l’immigration sur trois générations mais que seuls 5% ont leurs quatre grands-parents immigrés. Ça veut dire qu’il y a des brassages et unions mixtes considérables au fil des générations, les populations ne se séparent pas mais se rapprochent » (3).

Quelles armes face à l’internationale fasciste ?

On peut compter sur les mobilisations et l’activisme acharnés de collectifs et associations pour faire évoluer la société dans « la bonne direction ». « Le problème c’est ce foutu poids de la hiérarchie qui nous bouffe la tête » (4), disait Charles Piaget avant de mourir, éminent militant syndicaliste, fer de lance de la lutte à l’usine Lip en 1973 (5). Celle des patrons, des propriétaires, des flics, des fonctionnaires, des politiques, des banquiers, des professeurs, des parents, des hommes, des Blancs, des carnassiers. C’est toutes ces dominations qu’il faut abolir. Alors certes, partout l’internationale fasciste s’organise. Elle mêle désormais les milieux d’affaires et les élites politiques, comme on peut le voir avec l’entrée en scène du milliardaire catho Pierre-Edouard Stérin et son projet Périclès visant à la victoire de l’extrême-droite unifiée en 2027, s’ajoutant ainsi à Vincent Bolloré et son empire médiatique. On l’a vu également lors de l’élection de Donald Trump et le rampement des cadors de la Silicon Valley devant le président américain réélu. On peut penser à nouveau au retour de bâton. Pourtant, il fut un temps où le programme économique de la gauche comptait des « expropriations », « nationalisations », des « ruptures avec la société capitaliste ». Aujourd’hui, le grand méchant loup se trouve être la France insoumise et hormis la proposition d’une classique taxation du capital et un impôt universel, rien ne devrait faire trembler les grands équilibres financiers. Alors pourquoi ont-ils si peur ? Peut-être car la gauche se trouve bien plus forte que ce qu’elle ne pense d’elle-même. Peut-être que le sens de l’histoire souffle en ce sens. Tout le pouvoir à l’imagination disaient les soixante-huitards. Nous pouvons désormais dire, « tout le pouvoir au réel ». Une étude néerlandaise montre que plus un parti est à droite, plus il s’éloigne de la vérité. « La désinformation fait même partie intégrante de la stratégie de communication de cette force politique, affirme une étude néerlandaise publiée dans The International Journal of Press-Politics (IJPP), qui a analysé 32 millions de messages postés sur Twitter (désormais X), le réseau social d’Elon Musk », relate Check News (6). Le réel à gauche, la réalité mythifiée à droite.

Reprenons l’outil

De la réappropriation de l’outil de production par les ouvriers en grève de l’usine de montres Lip en 1973 à Besançon, jusqu’à celle de la Scop-Ti en 2014 (qui a réalisé son meilleur chiffre d’affaires l’an dernier depuis la reprise en main de l’usine à thé), en passant par l’usine Duralex l’an passé, l’autogestion de la production guide nos pas. Les exemples sont peu nombreux, mais ils démontrent la possibilité de faire sans patrons. Les luttes LGBT, Black Lives Matter, le mouvement décolonial, #Metoo, ont ouvert de nombreux fronts dans toutes les sphères de lutte contre les discriminations. Les soulèvements de la Terre, le mouvement climat, l’essaimage des ZAD. Partout les collectifs écologistes se renforcent, bien conscients qu’il s’agit du plus puissant frein au capitalisme que celui de la conservation du vivant. Se débarrasser du capitalisme était auparavant une question de justice sociale, il est désormais une question de survie. Et si tout n’était pas foutu à l’ombre des heures sombres que nous traversons ? Et si les forces vivaces qui transforment la société par la base comme démontré plus haut, parvenaient à renverser la table ? Comme toujours, la réponse à cette question ne se trouvera pas dans un gouvernement révolutionnaire, mais bien dans la gestion de nos vies, par et pour nous-mêmes, en luttant, toujours, pour faire advenir le monde à venir.

Par Edwin Malboeuf

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Un article tiré du numéro en cours, soutenez-nous, abonnez-vous ! : https://mouais.org/abonnements2025/

Notes :

1. Lire Mouais #55

2. Claire Legros, « L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaire aux origines millénaires », lemonde.fr, 12 avril 2024

3. Lire Mouais #45

4. Théo Roumier, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024, 191 pages

5. En 1973, les ouvriers de l’usine de montre Lip se mettent en grève contre un dépôt de bilan à venir. Les grévistes réquisitionnent alors les stocks et les outils de production et continuent la vente avec ce slogan devenu célèbre : « On fabrique, on vend, on se paie ».

6. Simon Blin et Savinien de Rivet, « Réseaux sociaux : plus un parti est à droite, plus il diffuse des fake news », Check News, 11 février 2025

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29.07.2025 à 11:05

La paix des oliviers. Pour Awdeh, camarade Palestinien tué par un colon israélien

admin

Awdeh al-Hathaleen était un activiste Palestinien qui luttait pour protéger son hameau des attaques répétées des colons israéliens. Il a été tué hier. À seulement 30 ans, il laisse derrière lui une communauté endeuillée, une femme, trois enfants. Il était professeur d’anglais, écrivain et footballeur dans le club local. Rest in power, Awdeh. Nous ne t’oublierons pas. À Awdeh Al-Athaleen, camarade Palestinien tué par un colon israélien à Um al-Kheir.. Read More

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Texte intégral 1840 mots

Awdeh al-Hathaleen était un activiste Palestinien qui luttait pour protéger son hameau des attaques répétées des colons israéliens. Il a été tué hier. À seulement 30 ans, il laisse derrière lui une communauté endeuillée, une femme, trois enfants. Il était professeur d’anglais, écrivain et footballeur dans le club local. Rest in power, Awdeh. Nous ne t’oublierons pas.

À Awdeh Al-Athaleen, camarade Palestinien tué par un colon israélien à Um al-Kheir (Palestine occupée).

Awdeh al-Hathaleen était un activiste Palestinien qui luttait pour protéger son hameau, Um al-Kheir (« mère du bien »), des attaques répétées des colons israéliens. Sa région, Masafer Yatta (aussi connue comme les collines du sud d’Hébron), au sud de la Cisjordanie occupée, est en proie à une véritable annexation de la part des colons, protégés par les forces de police et d’armée israéliennes.

Il a été tué hier soir par Yinon Levi, un colon qui a été sanctionné par les États-Unis et l’Union européenne en 2024 pour ses attaques violentes contre les Palestiniens et leurs biens, avant que Trump ne lève les sanctions américaines récemment.

Dans plusieurs vidéos, on voit Levi devant un engin de chantier, venu construire une nouvelle caravane juste derrière la maison d’Awdeh, menaçant les habitants d’Um al-Kheir avec son pistolet. Awdeh s’interpose et lui crie en anglais « Kill me ! Kill me ! » – ce seront ses derniers mots. Levi tire. Une balle du colon est venue mettre fin à la vie du jeune activiste, mort dans la nuit suite à ses blessures.

À seulement 30 ans, Awdeh laisse derrière lui une communauté endeuillée. Il avait une femme, Hanady, et trois enfants, tous âgés de moins de dix ans. Il était professeur d’anglais, écrivain et footballeur dans le club local de Masafer Yatta.

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Photographie de Pluto pour Mouais

Il n’est pas le premier à être assassiné par des colons – son oncle Soleiman, chef de la communauté, avait été écrasé par un tractopelle juste 3 ans auparavant – et il ne sera pas le dernier, tous le savent. Mais sa mort blesse tous ceux qui l’ont connu, dont un grand nombre d’activistes anti-occupation internationaux et israéliens.

Car Awdeh, c’était celui qui coordonnait leurs activités, qui les hébergeait, qui donnait des interviews. C’était un pilier de la lutte, toujours entouré d’activistes juifs, musulmans, chrétiens et athées, toustes réunies pour défendre la Palestine face à au déchaînement de violence sioniste.

J’avais passé trois jours chez Awdeh à Um al-Kheir, pendant le ramadan en mars 2024. Il semblait alors déjà doucement perdre espoir face à l’ampleur des attaques, qui ne cessaient d’augmenter et atteignent aujourd’hui un pic historique, alors que la Knesset a approuvé une motion symbolique pour l’annexion de la Cisjordanie occupée dans son ensemble.

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Photographie de Pluto pour Mouais

Lors de nos repas partagés de rupture du jeûne, il semblait absorbé, fatigué même. J’aurais aimé le revoir.

Awdeh nous envoyait des messages sur WhatsApp lors de chaque incident avec des colons. Ils étaient presque quotidiens. Hier, il m’a écrit :

« Comme prévu, la pelleteuse des colons se trouve derrière la maison de Salim. Il semble qu’ils vont travailler là-bas. Ils ont fait appel à un ingénieur pour installer des panneaux sur le terrain. On verra bien ce qui se passe. »

Puis, un peu plus tard :

« *APPEL URGENT* Les colons travaillent derrière nos maisons et, pire encore, ils ont tenté de couper la canalisation d’eau principale de la communauté. Ils construiront des caravanes. Nous avons besoin de tous ceux qui peuvent agir. Si vous pouvez contacter des personnes comme le Congrès, les tribunaux, etc., faites tout votre possible. S’ils coupent la canalisation, la communauté sera littéralement privée d’eau. »

Puis, il a été tué.

J’aimerais publier ici ce texte que j’avais écris un matin, levé à l’aurore, alors que je regardais les bergers réunir leurs troupeaux à Um al-Kheir.

La paix. Celle des moutons dans la prairie, entre deux collines en fleurs. Ils mastiquent l’herbe fraiche du printemps avec un son doucement répétitif, leurs bêlements emportés par la douce brise.

La paix des chats des enfants qui jouent entre les masures d’un hameau menacé de démolition, leurs cris et leurs rires recouvrent la peur et la tristesse. La joie des adolescents qui jouent au foot à deux mètres des colons, leur énergie et leur vitalité mettent en échec le culte de la mort,

La paix des oliviers, dont les feuilles valsent dans la brise sur une colline recouverte de coquelicots et de marguerites. Tout est comestible ici, du aacoub au zaatar, du pissenlit à la sauge, parfums d’une terre millénaire.

La paix, finalement, des humains qui vivent sous ce ciel bleu ponctué de nuages, sous cette occupation maudite, elleux qui aimeraient juste boire un thé ou un café avec ces colons pour comprendre pourquoi ils les détestent tant.

Awdeh a été tué par cette haine, par le fanatisme des colons sionistes, mais aussi par la complicité des Etats-Unis, de l’Europe et des pays arabes, par l’impérialisme et par la soif de profits qui est le combustible de l’occupation israélienne.

Rest in power, Awdeh. Tu es mort pour que la Palestine vive, pour ta communauté survive. Nous ne t’oublierons pas.

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Photographie de Pluto pour Mouais

Extraits de notre interview, le 9 mars 2024.

Ma communauté vit à Masafer Yatta depuis notre expulsion des terres d’Arad (aujourd’hui en Palestine de 1948, a.k.a en Israel) en 1948. Les colons sont arrivés en 1982 avec un premier checkpoint sur le haut de la colline, qui s’est étalé année après année jusqu’à devenir une grande colonie sous le nom de Carmel.

Ils nous ont expulsés dès les premiers mois après leur arrivée, mais nous nous sommes réinstallés quelques centaines de mètres plus loin et avons refusé de bouger. Maintenant, nous ne vivons qu’à quelques mètres de leurs maisons. Ils nous coupent l’eau et l’électricité et nous vivons dans mes masures temporaires, alors que leurs maisons sont en dur avec tout le confort moderne.

109 de nos maisons ont été démolies depuis 2007, mais nous les avons reconstruites. Comme nous sommes en zone C, chaque bâtiment palestinien peut être détruit sur ordre des autorités. Aucune des maisons du hameau n’est celle d’origine !

Avant, c’était déjà difficile. Ils ont écrasé notre chef de communauté, Soleiman, avec une tractopelle en 2022.

Mais le 7 octobre 2023, c’est devenu bien pire. Les attaques sont devenues quotidiennes, il était devenu dangereux de dormir la nuit, et nous étions assiégés, sous cloche, tous les checkpoints israéliens autour de nous étaient fermés.

Avant, c’était surtout l’armée qui venait nous embêter, mais depuis, ce sont les colons qui sont devenus vraiment agressifs.

Nous n’avons de l’eau courante que 7 heures par semaine, car les colons contrôlent nos arrivées d’eau.

Ils nous empêchaient d’aller à notre terrain de foot jusqu’à ce que nous ayons tenu tête, il y a trois semaines, nous leurs avons dit qu’ils pouvaient tous nous tuer mais que nous y retournerions, alors on est revenus et on joue de nouveau. C’est très important pour nos jeunes.

Par Pluto

mouais.org/abonnements2025/

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26.07.2025 à 05:51

« Le développement personnel, pour moi, c’est du fascisme »

admin

Claire Touzard est journaliste, autrice (elle a notamment publié « Sans Alcool ») et activiste. Diagnostiquée bipolaire, elle en dresse un récit intimiste et politique dans « Folie et résistance », paru récemment, avec un but : « Rassembler en une communauté politique les personnes neuroatypiques ou atteintes de troubles psychiques ». Mačko Dràgàn : Pour commencer, peux-tu revenir sur la genèse de ce livre ? Tu le dis dès le début, l’origine, c’est un diagnostic… Claire Touzard : En.. Read More

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Texte intégral 2695 mots

Claire Touzard est journaliste, autrice (elle a notamment publié « Sans Alcool ») et activiste. Diagnostiquée bipolaire, elle en dresse un récit intimiste et politique dans « Folie et résistance », paru récemment, avec un but : « Rassembler en une communauté politique les personnes neuroatypiques ou atteintes de troubles psychiques ».

Mačko Dràgàn : Pour commencer, peux-tu revenir sur la genèse de ce livre ? Tu le dis dès le début, l’origine, c’est un diagnostic…

Claire Touzard : En fait, il y a deux choses. En gros, ce livre, en soi, c’est une résistance. J’ai écrit un premier livre, « Sans l’alcool », où je racontais comment j’avais arrêté l’alcool. Et donc, tout devait aller bien, j’avais trouvé la solution, j’avais arrêté l’alcool, et puis c’était OK, quoi. Mais en fait, c’était pire après, puisque, évidemment, l’alcool n’était que le symptôme du trouble. Et je n’avais pas compris ça – j’étais un peu naïve. Et donc, ensuite, en post-partum, parce que j’ai eu un enfant en même temps, tout a commencé à se dégrader. Et au contraire, l’arrêt de l’alcool a révélé le trouble psychique. Et j’ai pété les plombs. J’ai fait une dépression un peu hallucinante, très profonde. Et donc, c’est tout ça qui m’a menée au diagnostic.

Et ce qui est intéressant, c’est que pour me réintégrer dans le monde, j’ai commencé par la lutte. Parce que tout ce qui m’est arrivé m’a fait réfléchir au système dans lequel on vit. Je me suis vraiment radicalisée (rires). Notamment sur la question de la Palestine. Car derrière cette lutte, il y a énormément de choses. Il y a une vision du monde et une ligne morale. Il y a un peu de tout. La journaliste en moi était en colère contre la propagande. La mère qui voyait des enfants massacrés. Le pire s’est matérialisé. Et je pense qu’il y a eu, c’est ce que je dis dans le livre, une demande de retour à l’humain, en fait. Et cette question ; comment parler de santé mentale quand on assiste à un génocide, quand on bascule dans le fascisme ?

M.D. : Tu insistes d’ailleurs sur le caractère intersectionnel de la dite « folie ». Il y a tout un spectre patriarcal et raciste qui englobe ce qui est considéré comme étant de la maladie mentale, et depuis longtemps.

C.T. : Ce que j’ai observé beaucoup comme reporter, c’est que la mutilation psychique, parce que j’appelle ça comme ça – on mutile les gens pendant le génocide, physiquement, mais aussi, la colonisation mutile les gens psychiquement -, est un outil du pouvoir. Nos états psychiques dégradés participent à la domination. Évidemment, quand des gens sont en train de lutter contre des traumatismes qui sont incessants, quotidiens, il y a une impossibilité de la violence d’émancipation. Et moi, par exemple, en tant que femme blanche de classe moyenne, il y a eu un moment à 40 ans où je n’en pouvais plus. L’agrégat de violence que j’ai vécu a fait qu’il y a eu un moment où mon corps même ne pouvait plus avancer.

Cette intersection est essentielle à comprendre. Plus on vit des agressions, du racisme, de la transphobie, plus on vit un agrégat de violence, plus notre santé mentale va être dégradée, et on va être dans une sorte de spirale infernale – et ça a un impact énorme et majeur sur l’intégration sociale et économique. Par exemple, comment voulez-vous que des personnes qui sont exilées et qui ont traversé des souffrances qu’on ne peut même pas imaginer en Occident puissent arriver en France et « s’intégrer » ? Ces gens finissent dans des états de délabrement catastrophique et je crois que leur vision, dans nos rues, est un reflet assez exact de ce qu’est notre système, de ce qu’il crée sur les corps, de ce qu’il crée sur les psychismes.

M.D. : D’autant plus qu’il s’agit de ce qu’on appelle des « malades invisibles », encore difficiles à évoquer dans le débat public…

C.T. : Disons que ça n’est entendable que quand c’est Nicolas Demorand [qui a récemment publié un témoignage où il évoque sa bipolarité ; N.B.], homme blanc et intégré socialement qui va prôner la psychiatrie. Je n’ai rien contre Demorand, qui doit clairement souffrir, je parle plutôt de ce que choisissent de mettre en avant les médias, qui sur ce sujet ont clairement fait du healthwashing. C’est-à-dire qu’on voit que cette souffrance, elle n’intéresse que quand les gens arrivent à la « dompter » et continuent à s’intégrer dans un système capitaliste et à produire alors que, tu le sais très bien en tant que borderline, nos troubles, au contraire, marginalisent généralement. Surtout si on croise une intersection d’injustices, si on est un queer, une femme trans, ça va évidemment être quasiment invivable et impossible de s’intégrer dans ces conditions. C’est cet ordre-là qui organise, qui décide qui sont les bons malades et les mauvais avec toujours cette idée de la résilience.

M.D. : Et donc, c’est une des questions qui me sont venues à la lecture de ton livre, comment on fait, nous, pour développer un contre-récit qui ne bascule pas dans le fait de dire nous aussi qu’il y a les bons et les mauvais fous ? Avec la « mauvaise folie » capitaliste, celle des traders par exemple ? Et comment on évite d’héroïser la figure de la personne en souffrance ? Sachant que nos troubles psys peuvent aussi nous rendre toxiques…

C.T : J’essaie de ne pas romantiser la folie, ou d’en faire quelque chose de génial. Je dis juste que c’est un espace de savoir. Et que, justement, le fait d’avoir une violence parfois en nous nous permet de questionner plus intelligemment certaines choses. la question de la violence, c’est quelque chose qui m’intéresse parce que moi-même, j’ai pu être violente. Je ne sais pas, c’est une question intéressante parce que j’ai l’impression qu’on explore le pire et le meilleur de ces champs-là et on produit un savoir sur ces questions qui essaie de mettre un pied un petit peu partout. D’où le fait que l’on puisse revendiquer des voix politiques, et qu’on puisse inscrire dans le débat public sans être placées derrière des « experts ». Depuis les années 60, de nombreux mouvements se sont donc demandé quelle place donner aux personnes neuroatypiques, et ont questionné le fait de les enfermer, de les mettre dans des institutions semblables à la prison.

Ce qui est intéressant, c’est que ces questions évidemment croisent tout, féminisme, validisme, antiracisme… Ce sont des sujets qui, aujourd’hui, devraient vraiment être soustraits du médical, pour être mis sur le front politique. En posant la question de la liberté, du soin, en marge du médical.

M.D. : Y compris dans le monde militant, où l’on peut encore trop souvent voir une grande souffrance, une grande violence ?

C.T. : Oui, mais c’est pour ça que moi, par exemple, j’ai du mal avec les milieux militants. Moi, j’écris mes livres, c’est ma lutte, ma résistance, mais je vais pas, ou peu dans les trucs militants. Je pense que c’est une bonne question parce qu’il y a beaucoup de personnes qui ne se sentent pas intégrées dans ces luttes parce qu’elles sont trop fragiles pour les intégrer.

Beaucoup de militantismes précédents, je pense même aux Black Panthers, étaient aussi un militantisme du soin, comment on peut apporter une amélioration de vie aux plus précaires, pragmatiquement. Ce sont des questions de terrain. Et de toute façon, je pense qu’on est aujourd’hui à un point où l’on voit que tous nos modèles ne sont pas forcément efficaces, et sans tout mettre à la poubelle, je pense qu’il faut un peu tout réinventer. On est arrivé un peu à la fin du cycle, et le fascisme qui est là, c’est une scène qu’on a organisée nous-mêmes.

Quelqu’un m’a demandé comment j’arrivais à lier ma bipolarité et le terrain de lutte. Mais moi, ça me rend encore plus folle de ne pas lutter. J’ai essayé de couper des trucs durs, mais personnellement ça me rend encore plus folle que l’inverse. L’idée, c’est de sortir de cette illusion où on trouve que de toute façon, on peut avoir des vies sereines. Mais la vie elle est violente. Il faut essayer de trouver des coins safe, stables, mais il faut aussi accepter qu’on pète des câbles, que parfois on soit agressifs entre nous. Il ne faut pas reproduire ce que fait le développement personnel. Ça impose de nouveaux cadres supposément pour une recherche du bien-être, mais qui renforcent le mal-être. Et ce que l’on professe, c’est aussi le fait que la conflictualité soit quelque chose de positif. Nous, on vit, de toute façon, en tant que personne, on travaille en connexion avec cette violence.

Le développement personnel, pour moi, c’est du fascisme. Une chose qui m’a marquée, c’est que beaucoup de gens qui appelaient à « faire un Hiroshima à Gaza », qui demandent une violence génocidaire en Palestine, sont des profs de pilates, de yoga… Leur « prendre-soin » devient tellement individualiste que l’autre devient une agression. Alors que le bonheur, c’est une notion bourgeoise, ça n’existe pas. Il peut y avoir des mouvements de joie – et de joie militante aussi, par ailleurs. Mais on sait très bien que la vie, elle est âpre.

M.D. : Pour finir, comment on fait pour que parler collectivement de bien-être mental n’apparaisse pas comme un privilège de bourge qui n’a que ça à penser ? Une sorte de privilège de classe ?

C.T. : L’idée ce n’est pas de souffrir et de se rendre malheureux, mais de se demander : que fait-on de ce « self-care » ? Comme des autrices comme Audre Lorde, le disent, pour les communautés marginalisées, le self-care c’est politique, puisqu’on veut les détruire, qu’on veut les effacer, qu’on veut les dominer. Et il faut avoir conscience aussi de ce privilège de pouvoir penser ces questions, et de savoir quoi en faire. Relier notre question du soin à la cognition des autres, en permanence. Notre bien-être dépend aussi du bien-être des autres, notre libération dépend aussi de la libération des autres, et de se penser comme un tout, c’est plus intéressant.

Parce que vivre sur des terres brûlées, vivre sur des terres volées, vivre sa liberté sur la justification des autres, en fait, ça finit par nous détruire aussi psychiquement et physiquement. Donc de toute façon, je pense qu’il faut trouver ce bon espace, cet espace d’équilibre, où sans se détruire soi-même, on questionne toujours notre soin en relation avec celui des autres.

Lors du lancement de mon livre, un ami éthiopien m’a dit que la façon dont on voit la folie, cette espèce de domination du corps médical, ce n’est pas quelque chose qu’il y a dans beaucoup de cultures. Et que chez lui, par exemple, les « fous » vivent avec eux. Pour un prochain livre, j’aimerais explorer toutes ces pistes d’inter-connexion proposées par d’autres cultures, sur le soin non-occidental – j’évoque notamment, à la fin, le « sumud » en Palestine [ce terme désigne la persévérance du peuple palestinien opprimé, et est tiré de cette sourate où est affirmé l’ancrage primordial de la foi : « Il est Allah, l’Unique. Allah, aṣ-Ṣamad (l’éternel Bien-aimé de tous). Il n’engendre ni ne naît. Il n’y a pas d’équivalent pour lui », N.B.]. La thérapeute Selma Sardouk, elle, a exploré ces questions dans une perspective décoloniale, à la suite de Frantz Fanon [qui était psy, ne l’oublions pas, N.B.].

Sources :

Claire Touzard, « Folie et résistance », ed. Divergences, 2025, 17 euros.

https://www.chroniquepalestine.com/sumud-palestinien-un-cadeau-pour-un-monde-confronte-a-la-tyrannie-globale/ : « Le sumud implique des actions collectives dans le cadre d’une lutte nationale, notamment la présence physique, la préservation culturelle et la résistance politique. La résilience, quant à elle, se concentre sur les mécanismes psychologiques individuels d’adaptation, la régulation émotionnelle, la pensée positive, la recherche d’un soutien social et l’adoption d’un comportement adaptatif pour surmonter les difficultés ».

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