18.06.2025 à 16:13
Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?
🇫🇷 🇬🇧 Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté. Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ? La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i] Drill-Baby-Drill et les frackers texans Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii] Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv] « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant » Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v] Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait
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18.06.2025 à 16:13
🇫🇷 🇬🇧 Could an Israeli strike on Iran’s nuclear installations have essentially nothing to do with geopolitics in the Middle East, but everything to do with the price of fracked oil in the remote U.S. state of North Dakota and the immediate political needs of Donald Trump? There is a clear path of documentation that leads to raising these questions. We should look at Trump’s electoral campaign based on the slogan “Drill-Baby-Drill;” why the cowboy oil frackers who backed Trump may well feel betrayed; why oil has at best an uncertain future but an absolutely certain oversupply; why the blindingly obvious chokepoint for oil should be in the center of the discussion; and why Trump’s notably declining credibility in the US may play a major role. Most analysis of a possible Israeli strike on Iran’s nuclear installations focuses on geopolitics in the Middle East. For example, In Le Monde, May 23, 2025 : “Benyamin Nétanyahou a paru bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale.”[i] Drill-Baby-Drill and the Texas Frackers Whatever Trump may or may not want for the Middle East, he ran for election on the slogan “Drill-Baby-Drill,” with the goal of US “energy dominance.” This certainly implies massively increasing the production of US oil, i.e., more fracking. The best places are the Permian basin largely in Texas, and the Bakken formation significantly in North Dakota.[ii] Fracking, during the administration of renewable energy advocate Joe Biden, had, ironically, made the US the world’s biggest oil producer. According to data published by the NASDAQ, in 2024, the US produced 21.91 million barrels per day, almost double that of Saudi Arabia, with 11.13 million barrels per day. [iii] As has been widely reported, drilling has gone down, not up under Trump’s proclaimed policy of Drill-Baby-Drill. Why? In part because drilling costs have gone up; Trump’s on again/off again tariffs have raised the costs of the imported steel and aluminum used in drilling. No US oil producer is happy about this. The CEO of Chevron, Mike Wirth, chose the biggest possible US oil industry audience to denounce Trump’s tariff caprice; addressing a massive annual oil industry conference in Houston, Wirth castigated Trump: “Swinging from one extreme to another is not the right policy…We really need consistent and durable policy.” [iv] Drill-Baby-Drill and the Strategy of The-Last-Man-Standing US drilling has gone down also because others can play “Drill Baby Drill.” On April 3, the coalition of oil producers led by Saudi Arabia and Russia, stunned the market by announcing a production increase for May three times bigger than had been anticipated. Bloomberg.com quoted Helima Croft, head of commodity strategy at RBC Capital and also a former CIA analyst, who said the production increase was “to send a warning signal to Kazakhstan, Iraq, and even Russia about the cost of continued overproduction.” [v] But there is much more to the Saudi strategy. After two more announcements of production increases, Bloomberg reported on June 1, “People familiar with the matter said Riyadh is motivated by the desire to claw back the market share it has relinquished over the years to US shale drillers.” [vi] The world is shifting out of fossil fuels and into renewable energy–more slowly than it should, but inexorably. Half of the new cars sold in China are now electric. [vii] The International Energy Agency last year forecasted, for electricity, the renewable energy share will “expand from 30% in 2023 to 46% in 2030. Solar and wind make up almost all this growth.” [viii] So every oil major appears to have the ambition to be The Last Man Standing. At the moment, this has to be one in the Middle East. According to an October 2024 report by energy consultancy Rystad Energy, “onshore Middle East is the cheapest source of new production, with an average breakeven price of just $27 per barrel.” [ix] But Rystad, in its readily available information, doesn’t breakdown this figure by Middle East country or company. However, Saudi Aramco issued a bond prospectus on the London Stock Exchange five years before. [x] It showed a breakeven range around $10 a barrel. Whatever is the true breakeven figure for Saudi Arabia, it is almost certainly less than the breakeven for U.S. shale oil producers, based on data from a March 2025 survey of actual shale oil producers by the Dallas branch of the U.S. Federal Reserve. It showed that the best (or luckiest) shale oil producers need $40 a barrel to cover the costs of a new well. [xi] At the time of writing, WTI, the U.S. benchmark, has been hovering in the low $60 range. So many shale producers are losing money at this moment. Even at the Rystad Energy figure, Saudi Aramco either will be the last man standing or in a very short list of those who are….unless something big happens. A major slice of Trump backers, the U.S. frackers, are obviously not happy with the lower oil price from too much Middle East oil combined with drilling costs that are too high. As quoted in the Washington Post on May 10: “It is truly affecting everybody,” said T. Grant Johnson, president of Lone Star Production Company, an oil exploration firm in Texas, and the chair of the Texas Independent Producers and Royalty Owners Association. “There was a lot of talk of, ‘drill baby, drill.’ But these companies are not going to drill if the economics
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10.06.2025 à 08:34
Pierre Micheletti, président d’honneur d’Action Contre la Faim, ancien président de Médecins du Monde, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auteur de « 0,03 % ! Pour une transformation du mouvement humanitaire international », éditions Parole, 2020. La création en début d’année de cette « Fondation » de droit suisse soutenue par les gouvernements Trump et Netanyahou constitue le symptôme d’un modèle humanitaire en crise accentuée, dont la situation à Gaza est un des derniers exemples les plus frappants. À ce titre, la conférence internationale du 17 au 20 juin relative à la situation en Palestine, qui se tiendra à New-York sous l’égide de l’ONU, co-présidée par la France et l’Arabie saoudite, devrait impérativement rappeler les fondamentaux du droit international humanitaire et la non-instrumentalisation des acteurs de l’aide humanitaire. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump et le télescopage de cet avènement avec le conflit majeur qui secoue la bande de Gaza, se cumulent des évolutions de différentes natures qui toutes convergent pour détruire le dispositif d’aide internationale d’urgence bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le modèle humanitaire qui prévalait jusqu’à fin 2024 mobilisait trois grandes familles d’acteurs, toutes inspirées par les intuitions initiales du Suisse Henry Dunant après qu’il eut assisté, en 1859, à la bataille de Solférino et crée, avec le juriste Moynier, et Dufour, général à la retraite, une structure qui va donner naissance au Comité International de la Croix-Rouge (CICR) puis au mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le CICR sera le premier instigateur de la construction du droit international humanitaire (DIH) dans sa déclinaison moderne. Deux autres familles composent le tableau des acteurs primordiaux de l’aide humanitaire : les agences des Nations unies impliquées dans la gestion des urgences sur les terrains de crise (HCR, UNICEF, PAM, OIM, OMS, etc. [1]), et les ONG internationales. Toutes ces organisations ont pour dénominateur commun le respect des principes fondamentaux que sont l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. De même, toutes respectent les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels. Ces textes, progressivement élaborés et actualisés depuis la bataille de Solférino, visent à « humaniser » la guerre, et à œuvrer à ce que tout ne soit pas possible, même durant un conflit, en matière de violence armée, en particulier à l’égard des combattants blessés, des prisonniers de guerre, et des populations civiles prises dans la tourmente des combats. Le système en place n’était pas parfait, ni exempt de reproches entendables. L’analyse plus attentive met en lumière quatre points de fragilité, quatre « tentations » que le dispositif révélait[2] : l’occidentalo-centrisme des pays financeurs et les suspicions de « soft power» qu’on leur prêtait à travers les fonds attribués ; les rétractions financières dont le système était capable quand des préoccupations nationales prenaient le pas, comme pendant l’épidémie de Covid 19, sur les besoins de la solidarité internationale dans les pays les plus fragiles ; le néo-libéralisme comme marque de fabrique d’un dispositif où les principaux pays donateurs choisissaient les crises auxquelles ils voulaient engager leurs fonds, laissant le soin aux ONG d’aller collecter auprès des citoyens de leurs pays d’implantation près de 20 % des sommes annuelles mobilisées[3]; la tentation d’une logique sécuritaire qui s’amorçait, amenant les financeurs à vouloir imposer des procédures de filtration des employés et partenaires opérationnels de terrain des ONG pour écarter tout risque de soutien à des personnes et/ou organisations proches de groupes considérés par ces mêmes pays donateurs comme terroristes[4]. Ces même financeurs pouvant en outre solliciter que ces « screening» (criblages) s’appliquent directement aux personnes aidées, ce que les organisations humanitaires avaient jusqu’ici toujours refusé[5][6]. À ceci s’ajoute le fait que les difficultés financières étaient chroniques, avec un déficit de ressources par rapport aux évaluations des besoins réalisées par les Nations unies, de 40 % chaque année depuis une dizaine d’années, pour un niveau global de dépenses de 43 milliards de dollars en 2023[7]. C’est sur cet état des lieux que survint la secousse majeure qui allait frapper un modèle économique déjà fragile, avec le brusque retrait des financements octroyés au système décrit par le nouveau gouvernement des États-Unis, premier financeur mondial de l’aide. Ce retrait eut d’immédiates conséquences sur le sort des 300 millions de personnes en besoin d’assistance humanitaire, faisant par ailleurs peser des dangers existentiels sur l’ensembles des acteurs humanitaires internationaux. Ce séisme advint alors même qu’à Gaza tous les fondamentaux du DIH sont foulés au pied de façon décomplexée, dans une paralysie de toutes les instances sensées être les garantes de son application : plus de 50 000 morts à ce jour, dont une large proportion de femmes et d’enfants ; plus de 400 tués parmi les travailleurs humanitaires[8], faisant de ce conflit le plus mortel des guerres contemporaines pour le personnel des différentes organisations humanitaires ; décisions restées sans effets des avis et condamnations présentés par la Cour pénale internationale et par la Cour internationale de justice. Parmi les organisations de l’ONU, l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est plus particulièrement la cible d’une stratégie d’éradication par une série de manœuvres financières et politiques, adossées à une campagne de diabolisation, jamais clairement argumentée, pour complicité avec les auteurs des massacres terroristes du 7 octobre en Israël. Peu à peu sont ainsi progressivement réduits à la paralysie tous les acteurs du multilatéralisme de l’aide humanitaire internationale, en particulier à Gaza. C’est dans ce contexte qu’émerge, après les annonces politiques de « Riviera bis », puis celui de déportation massive de l’ensemble de la population gazaouie, une nouvelle proposition, la mise en place d’une « Fondation Humanitaire pour Gaza ». Organisation nébuleuse, créée pour la circonstance, dont les financements, les acteurs, les pratiques opérationnelles et les stratégies de contrôles des personnes aidées s’inscrivent dans un total déni des principes fondateurs de l’action humanitaire. C’est précisément à cause du risque évident de non-respect des principes fondamentaux que Jake Wood – ancien militaire états-unien devenu entrepreneur social -, pressenti pour être le directeur de cette structure, a jeté l’éponge le 25 mai dernier[9]. Son successeur serait Johnnie Moore, un
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