01.07.2025 à 08:00
Pourquoi est-il si difficile de changer la société ? Un extrait de Herbert Marcuse commenté
La société industrielle et de consommation a anesthésié notre capacité à protester et à nous révolter, rendant caduque toute métamorphose sociale et politique, constate le philosophe Herbert Marcuse dans son essai L’Homme unidimensionnel. Dans notre nouveau numéro, nous vous en proposons un extrait commenté.
30.06.2025 à 18:00
Face à “Trump-Calliclès”, s’incliner devant la raison du plus fort ?
« La scène qui s’est jouée entre Donald Trump et les dirigeants européens lors du sommet des pays membres de l’Otan la semaine dernière a reconduit le “clash” qui oppose Socrate et Calliclès autour de la question du “droit du plus fort”. Sauf que là où Socrate déployait une foule d’arguments pour neutraliser l’apologie de la force de son adversaire, les Européens ont paru tétanisés devant le président américain. Y a-t-il donc une raison du plus fort ?
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De l’avis de nombreux observateurs, c’est avec une forme d’obséquieuse servilité que les alliés européens ont accueilli Donald Trump à La Haye, au lendemain de l’intervention éclair de l’aviation américaine contre l’arsenal nucléaire iranien et de la fin des hostilités entre Israël et l’Iran décrétée par les États-Unis. Mark Rutte, le Secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), a emprunté le style “trumpien” pour le signifier à l’intéressé : “Félicitations et merci pour votre action décisive en Iran. C’était vraiment extraordinaire, et quelque chose que personne d’autre n’avait osé faire.” Et d’ajouter : “L’Europe va payer un prix énorme, ce sera votre victoire”, comme si les efforts budgétaires annoncés par les Européens pour leur propre défense étaient une concession à l’Amérique de Trump et pas un objectif stratégique. Les Européens ont ainsi donné quitus au maître de Washington du “succès monumental” qu’il revendique au service de son ambition d’instaurer “la paix par la force”.
S’affirmer comme “maître de la force” face aux faibles et aux modérés prêts à subir les pires avanies sans réagir : cette posture de Donald Trump fait penser à celle qu’adopte Calliclès dans la célèbre joute qui l’oppose à Socrate dans le Gorgias. Dans ce dialogue platonicien, Socrate commence par soutenir qu’il vaut mieux subir l’injustice plutôt que la commettre. Un temps silencieux, Calliclès sort de ses gonds. Il est outré par les arguments présomptueux et fallacieux de Socrate au service de la vertu – des “arguties” qui ne tiennent pas la route face “la belle science des affaires” dont il est le fin connaisseur. Soyons sérieux, s’énerve-t-il : dans le monde réel, tout individu normalement constitué préférera, s’il est assuré de son impunité, commettre une injustice plutôt que la subir. Car les hommes cherchent à tirer leur avantage. “Que le plus fort commandât au moins fort et fût mieux partagé que lui”, voilà la loi véritable de la nature, celle qui règne “dans le monde animal, dans le genre humain, dans les cités et les races entières”. Si elle ne s’impose pas toujours, c’est que les conventions sociales sont faites “pour les faibles” et “par le grand nombre”. Avec, pour résultat, un mélange brumeux de force contenue et de conventions fragiles où les forts sont empêchés d’agir à leur guise et les faibles dotés d’un pouvoir de nuisance infondé.
Comment échapper à cet imbroglio ? La réponse passe par une expérience de pensée. Imaginons que surgisse un homme suffisamment confiant dans son propre génie pour mettre à bas les préventions collectives contre la force et suffisamment éclairé pour en faire un bon usage. Que se passera-t-il ? “Nous verrons apparaître notre maître, dans cet homme qui était notre esclave, et alors le droit de la nature brillera dans tout son éclat.”
N'est-ce pas le personnage que Donald Trump compose devant nous, celui d’un “homme d’une nature assez forte” pour secouer les préventions qui empêchent d’asseoir la suprématie de la force dans le champ des relations internationales ? À ses alliés européens qui étaient encore en train de négocier avec l’Iran alors que l’ordre d’envoyer les bombardiers furtifs B2 avait été donné, il a livré une leçon politique : tant que vous ne vous donnerez pas les moyens de vous défendre par vous-mêmes, il ne vous appartient plus d’empêcher, par vos gesticulations diplomatiques, la force de s’exercer. À son protégé israélien qui l’a habilement embarqué dans cette aventure risquée, il s’est donné le pouvoir de décider la fin d’une guerre dont il n’avait pas pris l’initiative. À toutes les autres puissances – Russie et Chine en tête –, il a réaffirmé que l’Amérique restait l’unique puissance mondiale sans qui rien ne peut se faire. Sans oublier ses propres troupes, à qui il a montré que son action n’était bridée par aucune doctrine préétablie. Difficile de ne pas reconnaître que du seul point de vue de l’acteur et de ses ambitions, l’opération est un franc succès. Mais, du côté de ses alliés, fallait-il courber l’échine à ce point ? Face à un personnage aussi infatué de son pouvoir, n’était-il pas envisageable d’être un peu plus… socratique ?
Tout en créditant Calliclès d’être un adversaire “à sa mesure”, Socrate invite celui qui n’a d’yeux que pour “le luxe, l’incontinence et la liberté soutenue par la force” à mieux définir ce qu’il entend par “la justice selon la nature”. “Est-ce le droit qu’aurait le plus puissant de prendre par force les biens du plus faible, ou le meilleur de commander au moins bon, ou celui qui vaut plus d’avoir plus que celui qui vaut moins ? […] Faut-il que les plus faibles obéissent au plus fort et que les grands États attaquent les petits en vertu du droit naturel, parce qu’ils sont plus puissants et plus forts, ce qui suppose que plus puissant, plus fort et meilleur, c’est la même chose, ou bien se peut-il qu’on soit meilleur tout en étant plus petit et plus faible ?” Socrate ne s’oppose pas par principe à la force, il lui demande de se définir. Les plus forts sont-ils plus forts en force physique, en intelligence, en courage, en capacité de commander et de diriger les affaires de l’État ?
C’est la grande leçon socratique : la force doit donner ses raisons ; à défaut de se justifier, elle s’exercera à l’aveugle. Elle ne peut se manifester “sans autre forme de procès”, selon la formule de La Fontaine dans Le Loup et l’Agneau. Voilà un message que les Européens auraient été avisés de faire passer à la puissance américaine… au lieu de rendre les armes de la raison. »
30.06.2025 à 17:00
Après que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a mobilisé 4 000 policiers et gendarmes pour interpeller les sans-papiers dans les gares parisiennes les 18 et 19 juin derniers, l’ex-ministre et présidente de l’association France terre d’asile Najat Vallaud-Belkacem et l’économiste spécialiste des déplacements forcés Benjamin Michallet, qui viennent de publier Réfugiés. Ce qu’on ne nous dit pas (Stock), dénoncent une politique qui tend à confondre migrants volontaires, candidats à l’asile et étrangers en situation irrégulière.
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Que pensez-vous de l’opération mise en place les 18 et 19 juin par le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau ayant mobilisé 4 000 membres de forces de l’ordre dans les gares parisiennes la semaine dernière pour interpeller des immigrés clandestins ?
Najat Vallaud-Belkacem : Il s’agit là d’un nouvel épisode dans la grande instrumentalisation de la question migratoire, mise au service d’intérêts tout autres que celui des Français que l’on prétend défendre. Mais, avec cette opération, on franchit un cran supplémentaire. Sur décision du ministre, 4 000 policiers et gendarmes – qui ne manquent pourtant pas de travail – ont été mobilisés en urgence pour traquer des personnes en situation irrégulière dans les gares parisiennes. Cette opération ne s’est pas déroulée de manière aléatoire, comme le prévoit la loi, mais en ciblant explicitement le groupe supposé des « clandestins ». Or il n’est évidemment pas inscrit sur le visage des gens qu’ils sont sans papiers. Il est donc entendu que tous les étrangers « visibles » – c’est-à-dire les hommes et femmes de couleur – ont été collectivement visés par cette opération. Ainsi, la pratique bien connue des contrôles « au faciès » est non seulement reconduite mais renforcée, alors même que l’on sait que les personnes de couleur, pas nécessairement issues de l’immigration, en sont prioritairement la cible. On installe là dans l’espace public l’idée qu’il n’existe plus des individus mais des catégories « racialement » distinctes. Quant à l’efficacité réelle de ce type de démarche sur la question de la présence irrégulière sur notre territoire, personne n’est dupe. Les personnes contrôlées et arrêtées ne feront que grossir les rangs de centres de rétention déjà surpeuplés… avant d’être relâchées, faute de s’être donné, quand c’est légitime de le faire, les moyens, notamment sur le plan consulaire, de les rapatrier.
Benjamin Michallet : Nous devrions poser la question de l’intérêt de traquer de cette manière les migrants en situation irrégulière sur notre territoire. Quel est le véritable effet escompté ? Ce type de dispositif est destiné à faire le « buzz » dans les médias et frapper l’opinion publique en éludant encore et toujours les questions pourtant fondamentales de l’immigration et l’importance qu’elle revêt pour nos sociétés. Dans le contexte actuel, ces pratiques font forcément écho aux décisions de Donald Trump d’envoyer l’armée dans les grandes villes américaines pour arrêter et déporter les migrants en créant le chaos. Il est difficile de voir autre chose qu’une manœuvre électoraliste.
Vous dénoncez un confusionnisme où toutes les catégories d’étrangers sont ravalées dans la catégorie indistincte de « migrants » en faisant fi de distinctions essentielles…
N. V.-B. : Nous sommes en effet confrontés à un dangereux confusionnisme conceptuel, alimenté depuis des années par des discours politiques et médiatiques hostiles à la présence de nouveaux venus, quels qu’ils soient. Quel en est le ressort ? On mélange dans un même ensemble – afin d’en grossir artificiellement les chiffres – des personnes arrivées dans le cadre d’une migration volontaire – pour étudier ou travailler – et des déplacés forcés, fuyant leur pays au péril de leur vie et sollicitant l’asile. Ensuite, on nous affirme que nous n’avons pas le choix, que nous « subissons » ces arrivées à cause de règles internationales attentatoires à notre souveraineté – comme la Convention de Genève ou la Cour européenne des droits de l’homme –, ce qui serait intolérable. Or on omet soigneusement préciser que ces deux catégories de personnes relèvent de régimes juridiques totalement distincts. Les migrants volontaires (qui sont les plus nombreux) peuvent parfaitement se voir refuser l’accès au territoire par l’État, qui a toute légitimité à fixer selon ses besoins et ses intérêts les règles d’admission pour la migration économique ou estudiantine et à réguler ainsi les flux. C’est un droit souverain qu’il convient d’exercer en mettant en place des dispositifs d’accueil adaptés pour ceux qui correspondent aux critères, et de refus ou de sortie pour ceux qui n’y répondent pas. Les demandeurs d’asile, eux, relèvent d’un autre régime, protecteur, car ils fuient la mort ou la persécution. Un droit spécifique s’est construit au fil de l’histoire, imposant de leur ouvrir la porte et d’examiner leur situation. Toutefois, ils restent relativement peu nombreux : en 2024, 122 000 personnes ont demandé l’asile en France, et parmi elles, 70 000 ont effectivement obtenu le statut de réfugié. Ils ne sont donc pas systématiquement acceptés.
“Il est plus que temps de fournir aux citoyens les données chiffrées et les distinctions juridiques et politiques qui lui permettent de traiter sereinement la question de l’immigration”
B. M. : L’image qui nous vient tous en tête lorsqu’on pense aux réfugiés aujourd’hui, c’est celle d’un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants amassés sur des canots pneumatiques de fortune qui traversent la Méditerranée depuis l’Afrique au risque de leur vie… Si frappante soit-elle, cette image ne correspond pourtant pas à la réalité statistique et juridique de l’immigration en général, et encore moins à la question de l’asile. Pour y voir plus clair, il faut déjà distinguer entre, d’une part, le migrant volontaire, dont l’immigration s’inscrit dans le cadre d’une politique publique menée par le pays d’accueil (étudiants, talents, regroupement familial, etc.), et, d’autre part, le « déplacé forcé » qui a été contraint de fuir son foyer en raison des craintes de persécution qui pèse sur lui. Parmi ces « déplacés forcés », la vaste majorité d’entre eux sont des déplacés à l’intérieur de leur propre pays, et 75 % de ceux qui doivent quitter leur pays – Syrie, Ukraine, Afghanistan et Venezuela principalement – sont accueillis dans des pays mitoyens du leur, souvent à faibles revenus – l’Iran, la Turquie, la Colombie, l’Ouganda… et l’Allemagne. Enfin, il y a le réfugié demandeur d’asile qui est une catégorie à part, infiniment minoritaire, alors même qu’il semble capter toute l’attention. Qu’est-ce qu’un réfugié ? Le Convention de Genève, reprise dans les différents textes européens, et notamment le code français de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [Ceseda] le dit très clairement : c’est « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Concrètement, le réfugié est donc une personne persécutée que nous avons l’obligation d’accueillir – sans d’ailleurs qu’aucune mention ne soit faite de critères d’intégration, de langue ou de culture partagée. Pourquoi ces distinctions sont-elles essentielles ? Parce qu’elles permettent de distinguer très nettement les périmètres de la politique migratoire et de la politique de l’asile. Il est plus que temps de fournir aux citoyens les données chiffrées et les distinctions juridiques et politiques qui lui permettent de traiter sereinement cette question.
“Politiquement très rentable, la rhétorique de la “submersion” est à la fois fausse et paralysante”
N. V.-B. : J’ajoute que cette confusion savamment entretenue sert un objectif politique. Construit sur un « double-bind » [« double contrainte »] – une obligation juridique d’accueil et une volonté empêchée de décider qui entre sur notre territoire –, le scénario qui alimente les discours politiques et médiatiques dominants sert une rhétorique de la « submersion » d’une prétendue menace de « hordes de migrants » bouleversant les équilibres démographiques, culturels et économiques du pays. Ce discours présente systématiquement la population d’accueil comme à la fois victime et hostile. Et il s’agit de dresser cette catégorie supposée des « hostiles » contre celle des « indésirables ». Politiquement très rentable, cette rhétorique est à la fois fausse et paralysante. Elle est fausse, car les citoyens français sont bien plus hospitaliers que ceux qui prétendent parler en leur nom. Elle est paralysante, car elle conduit à mal accueillir les personnes en détresse, créant ainsi les conditions de notre propre indignité et vulnérabilité (laisser des gens à la rue, c’est créer des foyers de dangerosité, pour eux-mêmes comme pour nous). Mais aussi à rejeter toute ambition concernant l’immigration volontaire, sur laquelle rejaillit la même hostilité, et donc à ne rien anticiper de nos besoins démographiques, économiques, intellectuels, artistiques ou de rayonnement international.
“L’augmentation des dépenses publiques induites par les demandeurs d’asile est plus que compensée par une augmentation des recettes fiscales nette des transferts”
Parmi ces données nécessaires à un débat citoyen, vous soulignez notamment que d’un point de vue économique, le poids économique des réfugiés, si on fait le solde total de ce qu’ils nous coûtent et de ce qu’ils nous rapportent, est nul, voire favorable au pays d’accueil…
B. M. : Cela fait partie des mythes à déconstruire. Si l’on se base sur les études de l’impact économique des réfugiés, comme celle pour la France d’Hippolyte d’Albis, chef économiste de l’Inspection générale des finances et directeur de recherche au CNRS, il apparaît en effet que l’augmentation des dépenses publiques induites par les demandeurs d’asile est plus que compensée par une augmentation des recettes fiscales nette des transferts. Aux États-Unis, les études montrent d’ailleurs que la politique restrictive menée par Donald Trump lors de son premier mandat aura fait perdre 7 000 dollars de contributions fiscales pour chaque réfugié et 3 000 pour chaque demandeur d’asile. D’une part, il est temps d’intégrer ces éléments au débat et d’autre part de consolider ces recherches en mobilisant les données françaises.
“Voulons-nous donner l’image de pays qui, contre rémunération, se déchargent sur les pays du Sud des personnes qu’ils ne souhaitent pas accueillir ?”
Avec l’expulsion de migrants vers des pays tiers, comme au Salvador pour les États-Unis ou en Bulgarie pour le compte de l’Italie, ne voit-on pas se mettre en place un nouveau modèle « néolibéral » de traitement de l’immigration où les États la sous-traitent à l’étranger ?
N. V.-B. : Absolument. Cette tentation permanente de l’externalisation est manifeste en Europe depuis une dizaine d’années. Cela a commencé par la mise en place des « hot spots » [centres de détention] par l’Union européenne dans les pays d’entrée, comme la Grèce. Ces centres ont d’ailleurs été régulièrement condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme en raison des conditions indignes qui y régnaient. Par la suite, l’Union européenne a conclu des accords avec des pays tiers tels que la Turquie, la Libye ou la Tunisie, afin qu’ils retiennent – par n’importe quel moyen – les « indésirables » loin du sol européen. Plus récemment encore, l’idée s’est imposée de faire appel à des pays tiers pour y rediriger des demandeurs d’asile arrivés en Europe, à l’image du projet du Royaume-Uni avec le Rwanda ou de l’Italie avec l’Albanie. De plus en plus, on sous-traite donc à des pays extérieurs ce qui relève pourtant d’une obligation fondamentale de chaque État : ouvrir sa porte à toute personne fuyant un risque de persécution ou de mort imminente. Au-delà des manquements au droit, cette stratégie comporte aussi un risque sécuritaire pour nous, citoyens européens. En déléguant à des États tiers la gestion des flux migratoires, nous nous exposons à devenir otages de ces pays, qui pourraient demain nous menacer de « relâcher » les migrants si nous ne cédons pas à leurs exigences, comme la Turquie l’a déjà fait. Enfin, il y a un véritable enjeu d’ordre international. À un moment où les populations du Sud aspirent à des relations plus justes et équitables avec le Nord, est-ce vraiment l’image que nous voulons donner ? Celle de pays du Nord qui, contre rémunération, se déchargent sur les pays du Sud des personnes qu’ils ne souhaitent pas accueillir ?
“L’intégration n’est pas un processus à sens unique mais un mouvement réciproque”
Parmi les critères qui peuvent entrer en ligne de compte pour définir la politique migratoire des États démocratiques européens, vous mentionnez les besoins démographiques, les besoins économiques dans les métiers en tension par exemple, la formation des élites des pays d’origine ou la contribution, via la formation de ces élites, à leur développement, etc. Peut-on considérer que la culture en partage (une certaine idée de la laïcité ou du droit des femmes, par exemple) puisse aussi entrer en ligne de compte ?
B. M. : Qu’est-ce qu’une culture partagée ? L’insistance grandissante d’une partie des élites politiques sur le fait que les immigrés et les réfugiés, par leur seule présence sur notre sol, remettraient en question « l’intégrité » culturelle supposée de la nation est problématique et n’est fondée sur aucune preuve tangible. Et je renverserais la question : est-ce qu’on considère que les expatriés européens et les entreprises européennes qui sont installés depuis longtemps dans les pays du Maghreb remettent en question l’intégrité culturelle de ces pays ?
Najat Vallaud Belkacem : Sur la laïcité ou les droits des femmes, la question est de savoir comment on y amène les nouveaux venus. L’intégration n’est pas un processus à sens unique mais un mouvement réciproque : il ne suffit pas de faire injonction aux gens de s’intégrer mais de créer les conditions de leur insertion et de leur sentiment d’appartenance à leur nouvelle communauté. Par un accueil digne, par l’apprentissage de la langue, par l’accès à l’emploi, mais aussi par la socialisation, par la découverte des codes, plutôt que par injonction. Tout ne peut pas se résoudre par des formulaires administratifs et des discours de fermeté. D’où l’importance des associations qui accompagnent ces personnes et les regardent autrement que comme de simples chiffres et statuts administratifs.
À LIRE
➤ Réfugiés. Ce qu’on ne nous dit pas, de Najat Vallaud-Belkacem et Benjamin Michallet vient de paraître aux éditions Stock.