28.06.2025 à 00:09
Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingt-septième épisode consacré à l'extension du monde du pari en ligne, qui désormais s'applique aux soubresauts de l'actualité. Fut un temps où le monde du pari se cantonnait aux tripots à bookmakers et aux PMU. Flèche d'Azur, casaque verte, va-t-elle l'emporter sur Bucéphale Mordoré, casaque rouge à pois ? La belle époque. Aujourd'hui, outre les paris sportifs en ligne, qui ruinent beaucoup d'apprentis Nostradamus, (…)
- CQFD n°242 (juin 2025) / Aïe TechMois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingt-septième épisode
consacré à l'extension du monde du pari en ligne, qui désormais s'applique aux soubresauts de
l'actualité. Fut un temps où le monde du pari se cantonnait aux tripots à bookmakers et aux PMU. Flèche d'Azur, casaque verte, va-t-elle l'emporter sur Bucéphale Mordoré, casaque rouge à pois ? La belle époque. Aujourd'hui, outre les paris sportifs en ligne, qui ruinent beaucoup d'apprentis Nostradamus, il est possible de miser ses kopecks sur absolument tout. En page d'accueil du site Polymarket, on trouve par exemple cette proposition de prédiction contre monnaie sonnante et trébuchante, avec mention des fluctuations : « Y aura-t-il un cessez-le-feu entre Gaza et Israël avant juillet ? » (59 % de chance). Ou sur une autre plateforme, Kalshi : « Le nouveau médicament contre le cancer va-t-il passer la première phase de test ? » (14 %). Flippant.
Alors oui, il y a des gagnants. Un article du Monde1 cite l'heureux parieur ayant misé sur Robert Francis Prevost (Léon XIV) comme futur pape, 60 000 dollars dans les popoches. Mise totale des parieurs sur cet événement toutes plateformes confondues : 40 millions de billets verts. Ce type de site empoche évidemment de solides commissions sur chaque événement ainsi monétisé. On peut rétorquer que la Française des Jeux fait la même chose, cette pelle à merde étatique. Sauf qu'il y a ici un évident problème éthique et politique. Les partisans de cette mise aux enchères du monde se réclament de la pensée libertarienne ou des plus féroces théoriciens du néo-libéralisme débridé genre Friedrich fucking Hayek, qui estiment que les marchés financiers doivent s'étendre à tous les recoins de la société. Indécent ? Que nenni, c'est juste l'économie, idiot2 !
Mais ça ne s'arrête pas à un problème de morale. En pariant sur le vainqueur des élections présidentielles roumaines ou le déclenchement d'une guerre Iran-USA, les utilisateurs de ces plateformes exercent une sorte d'influence sur le futur. Poser un taux de probabilité sur ces événements, c'est déjà offrir le monde sur un plateau aux adeptes de la-data-à-tout-prix. Autre effet délétère : si tout devient quantifiable par le pékin moyen, il n'y a plus de frontière entre analyse du monde rationnelle et prédiction au doigt mouillé. C'est la victoire des affects numériques, scrutés de près par les vautours politiques. Ils disposaient déjà de Facebook ou Twitter pour savoir comment souffler sur les braises, ils ont désormais la main sur de gigantesques sondages en ligne sur la marche du monde. Vertigineux. Est-ce que ce monde est sérieux (66 %) ? Je parie sur non. Cabrel va-t-il mourir cet été (22 %) ? Non, oh lord, sa moustache est immortelle. Cette fichue planète malade va-t-elle s'autodétruire dans son capitalisme morbide ? Yep (à 100 %). Texte intégral 679 mots
28.06.2025 à 00:05
Reliefs d'une adolescence en lutte
Une ado non binaire, radicale et solitaire, fuit sa famille et la société dans les terrils du nord de la France. Avec Colline, Fanny Chiarello signe un roman incandescent, où l'écologie, la classe et la fiction dessinent une contre-mythologie du présent. « La solitude, ce n'est pas forcément être seule. » Coline, 17 ans, lycéenne du nord de la France, vit avec son chien dans une ancienne ville minière. Végan, non binaire, lesbienne, écolo, anticapitaliste : elle coche toutes les cases, et (…)
- CQFD n°242 (juin 2025) / BouquinUne ado non binaire, radicale et solitaire, fuit sa famille et la société dans les terrils du nord de la France.
Avec Colline, Fanny Chiarello signe un roman incandescent, où l'écologie, la classe et la fiction dessinent une contre-mythologie du présent. « La solitude, ce n'est pas forcément être seule. » Coline, 17 ans, lycéenne du nord de la France, vit avec son chien dans une ancienne ville minière. Végan, non binaire, lesbienne, écolo, anticapitaliste : elle coche toutes les cases, et le revendique. Coincée pour les vacances avec sa mère, sa tante et ses cousins, elle décide de fuir dans les collines noires des terrils, à la recherche d'un territoire à elle. Le récit de Colline (Cambourakis, 2025) s'ouvre sur une « genèse homofuturiste », puis changement de style : un monologue intérieur nerveux et une course-poursuite effrénée commencent. « J'étais un animal sauvage acculé par l'avancée des tronçonneuses... » Coline, traquée par une société coincée dans les stéréotypes, se réfugie dans les marges. Le récit haletant alterne avec un autre fil, fait de souvenirs récents, plus calmes, plus doux. Les deux trames narratives finissent par se rejoindre, comme une forme de réconciliation de Coline avec sa classe, son histoire, ses contradictions. L'ado est tout sauf lisse. Elle méprise les goûts trop « populaires », mais refuse de critiquer la salade de riz faite avec amour par ses tantes. Elle revendique son élitisme, tout en laissant percer une sensibilité désarmante : « Je serais toujours de celles qui préfèrent les trucs touchants à ceux qui déchirent... » Coline juge, doute, souffre, rêve, aime. Et c'est dans cette tension que réside sa beauté. Figure générationnelle, elle incarne une jeunesse ultra-consciente, ultra-lucide, mais pas cynique pour autant. Dans ces paysages ravagés par l'extraction du charbon, puis abandonnés et réensauvagés par le vivant, la jeune fille invente un monde parallèle où elle dialogue avec Jamila Woods, chanteuse qu'elle vénère. Le pouvoir de l'imaginaire est ici vital, politique, tandis que la langue devient une arme de résistance. « Je laisse le phatique à la masse et je prends le magique. » Dans Colline se dessine un paysage intérieur autant qu'extérieur, une chambre d'échos où se mêlent solitude, désir, écologie et lutte. Fanny Chiarello écrit avec une précision musicale. Son style, à la fois nerveux et poétique donne une langue singulière à cette héroïne hors norme. Rédigés lors d'ateliers d'écriture avec des lycéens, les dialogues, empreints d'humour noir et de lucidité adolescente, capturent une génération sans moquerie ni condescendance. Pas d'imaginaire de vainqueurs ici, mais une ode à celles et ceux qui s'inventent des mondes pour survivre et se battre. Texte intégral 580 mots
28.06.2025 à 00:03
Dans Brève histoire des socialismes en France, l'historien Julien Chuzeville revient sur les mutations du mouvement socialiste. À la fois réformiste et révolutionnaire, il parvient à s'unifier autour de la SFIO en 1905 avant que le parti trahisse ses principes et s'engouffre dans la guerre… Au commencement : le socialisme. Un projet révolutionnaire, dont l'objectif est le renversement du capitalisme et son remplacement par une société sans classes, oppressions, ni exploitations. Né dans (…)
- CQFD n°242 (juin 2025) / Caroline SuryDans Brève histoire des socialismes en France, l'historien Julien Chuzeville revient sur les mutations du mouvement socialiste. À la fois réformiste et révolutionnaire, il parvient à s'unifier autour de la SFIO en 1905 avant que le parti trahisse ses principes et s'engouffre dans la guerre… Au commencement : le socialisme. Un projet révolutionnaire, dont l'objectif est le renversement du capitalisme et son remplacement par une société sans classes, oppressions, ni exploitations. Né dans l'Europe capitaliste du XXe siècle, ce mouvement internationaliste « sans patrie ni frontières » se structure en France autour de la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière). Parti de masse, elle cherche à amorcer des réformes sociales tout en
conservant son objectif révolutionnaire et internationaliste. Mais quand la Première Guerre mondiale éclate, la SFIO se range du côté des belliqueux, au mépris des principes du mouvement... Une leçon historique très actuelle, que nous rappelle Julien Chuzeville dans Brève histoire des socialismes en France (Libertalia, 2025). *** Dans les années 1880-90, lorsque les premiers partis ouvriers se constituent, ils appellent indifféremment « socialisme » ou « communisme » le projet d'abolition de l'État et du capitalisme qu'ils souhaitent voir advenir. Ils se divisent cependant sur la marche à suivre : la prise du pouvoir d'État par le prolétariat, comme le défendent Jules Guesde et le Parti ouvrier (PO) ? Le socialisme réforme par réforme (Fédération des travailleurs socialistes de France) ou la grève générale portée par les syndicats (Parti ouvrier socialiste révolutionnaire) ? Dans les débats, réformes et révolution ne s'opposent pas toujours. Les plus révolutionnaires reconnaissent l'intérêt de réformes sociales – notamment la baisse du temps de travail quotidien – et les plus réformistes ne s'opposent pas « en principe » à la révolution. Certains partis socialistes parviennent à faire élire des militants – parfois ouvriers – dans des mairies et à l'Assemblée. Leur stratégie, c'est d'abord de « faire connaître les idées socialistes ». Mais progressivement, le moyen devient une fin en soi : il s'agit de « faire campagne essentiellement afin d'avoir le plus d'élus possible ». Les candidats atténuent leur propos, parlent moins d'internationalisme, et plus de patriotisme et les résultats électoraux s'améliorent.
Entre 1899 et 1903, l'entrée au gouvernement Waldeck-Rousseau du socialiste indépendant1 Alexandre Millerand divise les socialistes. Certains espèrent des réformes sociales. D'autres se méfient de l'enrôlement d'un socialiste dans un gouvernement bourgeois. Le bilan de Millerand leur donnera raison. Le ministre socialiste n'arrive à aucune avancée sociale et participe à un gouvernement qui réprime dans le sang des grévistes à Chalon-Sur-Saône et en Martinique. Après l'échec de Millerand, les différents partis socialistes décident de former ensemble la SFIO en 1905, et reviennent aux principes du socialisme. Ils déclarent dans leur texte fondateur : « Tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées [le parti] n'est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte des classes et de révolution ». Le parti n'abandonne pas la participation aux élections, municipales et parlementaires, et dirige alors de nombreuses mairies, où il met en place des politiques sociales. À l'Assemblée, les députés, emmenés par Jean Jaurès, constituent un groupe d'opposition qui refuse toute alliance ou participation à un gouvernement bourgeois2. Minoritaires, leurs projets de réformes – salaire minimum, assurance sociale ou abolition de la peine de mort – n'aboutissent pas. Mais les socialistes jouissent d'une tribune où ils clament des discours socialistes, et perturbe l'Assemblée en y chantant l'Internationale. Et le parti ne se limite pas à son groupe « politique ». Il est composé de dizaines de milliers d'adhérents. Ses militants – artisans, ouvriers, enseignants, employés – montent des sections locales où ils débattent, échangent et organisent le parti. Ils créent également des journaux dans lesquels ils se font le relais des luttes locales et expriment leurs opinions. Malgré tout, une petite élite politicienne se dégage : « Le groupe parlementaire n'est pas choisi par les militants [...] et ses délibérations ne font l'objet que de comptes-rendus brefs. » Progressivement, certains membres, comme le député Albert Thomas, révisent les positions anticapitalistes du parti et soutiennent la mise en place d'un capitalisme d'État par la gestion d'une élite d'« experts » socialistes. C'est l'action des masses qu'on cherche alors à mettre de côté : « L'émancipation de la classe travailleuse ne doit plus être l'œuvre de la classe travailleuse elle-même, mais l'œuvre de spécialistes », résume Julien Chuzeville. En 1912, face à la crainte d'un embrasement mondial, les socialistes européens réunis à Bâle proclament l'unité du prolétariat européen et préconisent la grève générale mondiale pour empêcher la guerre. Mais quelques mois avant le conflit, rien ne semble pouvoir empêcher les États de s'affronter. Pas même Jean Jaurès, partisan de la paix, assassiné par un nationaliste en 1914. Emmené par les guesdistes, pourtant révolutionnaires, le parti cède alors aux injonctions guerrières, et vote les crédits de guerre. Les socialistes entrent dans le gouvernement d'« Union sacrée » du président Raymond Poincarré, qui suspend illico la liberté d'expression et d'opinion. À l'intérieur du parti, ils refusent la participation d'étrangers et coupent toute relation avec le SPD (Parti social-démocrate d'Allemagne). Les deux partis ont pleinement intégré le nationalisme. « Ils se vivent désormais avant tout comme des Allemands et des Français, ennemis dans la guerre avant d'être des socialistes. » Mais à l'intérieur de la SFIO, certains résistent. Les Zimmerwaldiens – qui fonde leur tendance en 1915 à Zimmerwald (Suisse)
– s'opposent à cette trahison et signent un manifeste internationaliste et antiguerre qui circule clandestinement. En 1917, la SFIO quitte finalement le gouvernement après n'avoir obtenu aucune avancée sociale pour la classe ouvrière et avoir participé à une économie de guerre mortifère, dont le patronat a largement profité. Au XXe siècle, la SFIO, qui deviendra en 1969 le Parti socialiste (PS), continue la lente révision de ses principes. Concentré sur la conquête du pouvoir, le parti est bureaucratique et coupé de sa base ouvrière. Celle-ci s'incarne alors davantage dans les syndicats, certains partis trotskystes ou mouvements libertaires. Aujourd'hui, alors que la guerre rôde en
Europe, aucun parti de « gauche » au Parlement ne se fonde sur l'internationalisme pour s'opposer à la guerre. Jean-Luc Mélenchon, qui se réclame souvent du socialisme historique de Jaurès, souhaite assurer « une industrie de défense souveraine et performante » et s'inquiète du déclin de la France sur les cinq continents3. Socialistes, vous avez dit ? 1 Car il refuse comme d'autres d'être membre d'un parti socialiste qu'il juge trop révolutionnaire. 2 Des mots de Jean Jaurès lui-même, pourtant ancien soutien d'Alexandre Millerand « ne jamais sacrifier à une convenance gouvernementale, à une combinaison parlementaire, les intérêts mêmes du prolétariat et l'autonomie de la classe ouvrière ». 3 « L'intérêt de la France, c'est d'être indépendante, non alignée et altermondialiste. La paix des Français est à ce prix ! », Jean-Luc Mélenchon, Revue de Défense nationale, n° 880 (mai 2025). Texte intégral 1611 mots