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14.08.2025 à 07:27

Comment, de nouveau, conspirer pour l’égalité ?

Catherine Tricot
Elle s'est parfois reniée, elle s'est souvent trompée, elle a beaucoup renoncé, elle s'est tout de même régénérée, à ses marges. Mais la gauche a surtout échoué à répondre aux aspirations à l'égalité – les anciennes comme les nouvelles.

Texte intégral 2619 mots

Elle s’est parfois reniée, elle s’est souvent trompée, elle a beaucoup renoncé, elle s’est tout de même régénérée, à ses marges. Mais la gauche a surtout échoué à répondre aux aspirations à l’égalité – les anciennes comme les nouvelles.

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Cet article est extrait du n°56 de la revue Regards, publié au premier semestre 2022 et toujours disponible dans notre boutique !
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Comment la gauche en est-elle arrivée à ce point de division et de faiblesse ? Les dates proposées pour cette grande bifurcation sont légion. Est-ce « la parenthèse de la rigueur » en 1983, jamais refermée ni remise en cause par les socialistes ? Est-ce, à l’automne 1989, l’improbable affirmation par le Parti communiste qu’il n’avait rien à voir avec ce qui se passait dans les pays d’Europe de l’Est ? Est-ce, en 2002, quand la gauche – groggy de son élimination du second tour de l’élection présidentielle – jura qu’elle allait tout changer… sans rien changer par la suite ? Ou est-ce quand le PCF choisit la continuité plutôt que sa profonde modernisation ? Est-ce, en 2005, la une de Paris-Match sur laquelle François Hollande et Nicolas Sarkozy posaient ensemble pour le « oui » au référendum sur le traité constitutionnel européen ? En 2007, l’éclatement des antilibéraux en autant de candidatures lilliputiennes à la présidence de la République ? Le coup de grâce fut-il la conversion officielle de Hollande à la « politique de l’offre » en faveur des entreprises ? Cette désolante liste pourrait se poursuivre : ainsi, dans nos banlieues, le béton serait « criminogène », quant à la France, elle ne saurait «accueillir toute la misère du monde». L’État, lui «ne peut pas tout» – mais il peut abaisser les protections sociales avec la loi Travail, envisager la déchéance de nationalité, ou remettre à plus tard le vote des étrangers aux élections locales…

Canards sans tête

Même ceux qui résistent à ce tsunami libéral et immoral nous désespèrent. La gauche se dit parfois « la gôche » pour mieux s’en moquer ! On tonitrue «La République, c’est moi», et on proclame que «la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine». Un candidat à la présidentielle, qui se veut du parti d’Éluard et d’Aragon, ricane : «J’en ai un peu marre de ces intellectuels condescendants qui n’arrêtent pas de nous donner des leçons.» Quand on se retourne sur ces quarante années durant lesquelles la gauche fut unie ou divisée, dans l’opposition ou au pouvoir, on constate les échecs parfois, les renoncements souvent, à changer la vie. Mais, surtout, on voit des gauches politiques qui courent comme des canards sans tête. Ces années ont lessivé les idées les plus ancrées. La gauche devrait choisir entre populisme ou business ! « Wokisme » ou « laïcité » ! Certes, ces quarante ans n’ont pas été totalement vains. L’écologie n’est plus seulement un mouvement social ; il est devenu un parti puis une proposition qui irrigue désormais tous les projets de gauche. Et s’il n’y a pas unanimisme, c’est précisément parce que l’écologie est devenue politique et qu’elle ordonne les différentes visions en débat.

Écologie, renouveau de l’engagement, désenclavement des syndicats : voilà qui n’est pas rien. Mais ces dynamiques ne suffisent pas à reconstruire le socle d’un projet alternatif.

Ces quatre décennies ont vu un affaiblissement du mouvement social traditionnel, mais aussi une réinvention des mobilisations, et de nouvelles alliances. Les syndicats sortent de la seule défense du salariat, de grandes coalitions élargissent le champ du mouvement social comme Plus jamais ça (Attac, Confédération paysanne, CGT, FSU, Greenpeace, Amis de la terre, Oxfam, Solidaires), ou encore les « 66 propositions pour un pacte social et écologique » au nom de dix-neuf organisations, dont la CFDT et la Fondation Nicolas Hulot. Écologie, renouveau de l’engagement, désenclavement des syndicats : voilà qui n’est pas rien. Mais ces dynamiques ne suffisent pas à reconstruire le socle d’un projet alternatif, alors même que sombrait le projet social-démocrate dans le social-libéralisme et que le projet communiste se transformait en un étatisme. Des mutations majeures ont tout bousculé. Elles ont mis à bas les visions du progrès social. Comment et sur quoi reconstruire ? Les items sont connus. Les réponses convaincantes ne sont pas encore venues.

La mondialisation et l’Europe

Ces quarante années furent celles de l’arrivée au pouvoir du néolibéralisme. Une nouvelle phase de la mondialisation, pilotée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Fonds monétaire international (FMI), vint déstabiliser le pacte social issu de la seconde guerre mondiale, affaiblir les États, contester la démocratie au nom d’une gouvernance efficace. Cette donne mondiale suscita un des plus larges mouvements sociaux. Il commença par se dire antimondialiste avant de se proclamer altermondialiste. La taxe contre les transactions financières fut son étendard ; les contre-sommets et les forums sociaux ses moments forts. Au tournant des années 2000, la gauche sociale et politique convergeait vers Porto Alegre, Florence et Saint-Denis. Mais l’unanimité pour contester la financiarisation du monde a buté sur les moyens politiques à lui opposer. Régulation ou retour aux frontières ? Multilatéralisme ou construction de grands ensembles régionaux ? La crise grecque, en 2015, a finalement démontré l’impuissance des propositions de gauche.

On se souvient qu’un gouvernement de gauche alternative fut porté au pouvoir en Grèce pour que cessent les purges qui exténuaient le pays et ses habitants. Face à l’intransigeance des autorités européennes, le gouvernement de Tsipras finit par céder. Vaincu pour les uns, traître pour les autres. Mais encore ? Comment aurions-nous fait, ici, en France ? Affirmer que cela ne pouvait nous arriver parce que nous sommes une grande puissance européenne ? Désobéir ? Sortir de l’Euro, de l’Europe ? Appeler à changer l’Europe ? En tout cas, la Grèce a été bien seule et cet échec a valu leçon pour tous. Les efforts solitaires de Yánis Varoufákis pour sortir du secret des négociations européennes n’auront pas suffi. La question reste entière : finance, pandémie, Internet, réchauffement climatique, prolifération nucléaire, migrations… Comment faire sans l’Europe ? Comment faire contre l’Europe ? Comment changer l’Europe ? Que reste-t-il des internationales politiques, des forums sociaux, des associations européennes comme Transform ou la Gauche unie européenne (GUE) ? Les gauches n’ont pas de réponses, et même plus de cadres pour réfléchir et faire face.

L’affirmation d’une nouvelle individualité

C’est dans le monde de l’entreprise qu’un mouvement vers un nouvel âge de l’individu, parti du Japon hypermoderne, fit ses premiers pas. Le travail ne devait plus être répétition, mais mobilisation des « agents ». La longue chaîne d’assemblage cédait la place aux ateliers robotisés qui fabriquent des produits tous différents, adaptés aux goûts de chaque consommateur. Les grandes unités de production fermaient et ensevelissaient avec elles la classe ouvrière, moteur des luttes sociales et figure centrale de la gauche. Le Parti communiste français prit la mesure de l’enjeu et se lança dans une lutte sans retenue pour contrer la fermeture de Renault Billancourt. Ce fut un solo funèbre et une bombe à fragmentation. Le 31 mars 1992, le constructeur arrêtait ses dernières chaînes de production sur l’île Seguin.

Le bouleversement se généralise. Il ne s’agit plus seulement d’une transformation de la production, mais de l’éclatement des statuts : l’intérim, les contrats courts et, aujourd’hui, l’autoentrepreneur ubérisé. La révolution déborde le cadre du travail. Chacun dispose d’un accès sans limite apparente à l’information, la culture, la diversité des façons de vivre et de s’exprimer. Le journal de 20 heures et le film du dimanche soir ne rassemblent plus la France. La cité n’est plus un progrès, la maison individuelle cristallise les rêves. Dans cette période où s’affirme le consumérisme, s’enclenche aussi une liste sans fin de luttes pour le respect, l’affirmation de soi, la reconnaissance de la diversité dans l’égalité. Tout y passe : le patriarcat, les normes hétérosexuelles, le racisme conscient et inconscient… Ça racle du sol au plafond : les dragueurs lourds sont priés de lâcher l’affaire, la dictature de la minceur est mise en cause, l’assignation à un genre n’est plus une évidence, la statue de Colbert a chaud aux fesses, le selfie devant les chefs-d’œuvre règne sans partage sur Facebook et Instagram…

Le combat contre les discriminations est devenu une dimension essentielle de celui pour l’égalité. Tenir le parti pris de l’égalité, c’est se débarrasser d’anciennes simplifications : « Tous égaux donc tous pareils ».

Dans ce grand chambardement des valeurs, les voix officielles de la science, du journalisme, de la politique sont réévaluées et contestées. C’est rude pour la gauche, qui voit ses figures de référence, sa pensée de la lutte et son magistère mis à mal. Les partis cherchent à s’adapter : ils acceptent plus de femmes dans leurs instances, parfois même la parité s’impose, les primaires font leur début. De nouveaux objets politiques émergent. Mouvements gazeux, ils ne réclament plus une « adhésion » – un simple « soutien » suffit pour en faire partie : comme chez MacDo, chacun vient comme il est. Reste entière la question des moyens pour reconstruire du collectif dans lequel les individus comptent vraiment. C’est en tout cas la condition sine qua non pour retrouver le lien avec les citoyens. Comment faire l’impasse sur la mobilisation de chacun dans un projet ambitieux de transformation sociale ?

Toni Negri a proposé, dans les années 2000, le concept de multitude. Chez le philosophe italien, le couple individu-collectif – basé sur une articulation et un compromis entre les deux termes – laisse la place au couple singulier-commun, dans lequel le commun se construit par l’agrégation du singulier. Cette pensée théorique est restée dans les livres. Les forces de gauche n’ont pas, quant à elles, proposé de nouvelles conceptions de chacun de ces termes. Trop souvent domine la nostalgie de l’unité perdue, voire l’amertume face au mouvement de la société vers « l’individualisme ». Quant à l’action politique, les citoyens restent cantonnés au rang de soutiens plutôt que d’acteurs. Très frustrant pour les uns. Très décrédibilisant pour les autres.

Redéfinir le combat pour l’égalité

Ces années de néolibéralisme sont allées de pair avec un accroissement brutal des inégalités. Une partie de la gauche a su résister aux idées libérales qui présentent les inégalités comme le moteur des sociétés. Pour cette gauche, l’égalité reste cardinale. Des intellectuels ont travaillé à la repenser. Pierre Rosanvallon a interrogé les lieux où se joue l’égalité. Thomas Piketty a montré de façon retentissante le rôle désormais structurant du patrimoine dans les dynamiques inégalitaires. Le premier a suscité peu de débats dans la gauche politique ; le second a surtout conforté la gauche dans son approche classique qui, historiquement, rabat l’égalité sur la question de la répartition des richesses. Or l’égalité touche à la fois la question des avoirs, des savoirs et des pouvoirs : l’accès égal à l’information, à l’évaluation, au contrôle, à la décision n’est pas moins important que la redistribution des ressources. L’égalité n’est pas que matérielle : la reconnaissance, la dignité des personnes valent autant que la distribution du patrimoine. Le combat contre les discriminations est devenu une dimension essentielle de celui pour l’égalité. Tenir le parti pris de l’égalité, c’est se débarrasser d’anciennes simplifications : « Tous égaux donc tous pareils ».

Mais, de fait, les luttes récentes qui portaient sur des enjeux d’égalité sans être liées directement à la répartition des richesses sont restées périphériques dans le projet des gauches, et l’égalité est trop souvent l’invocation consensuelle de la devise républicaine. Elles n’ont pas permis la reformulation contemporaine de l’éternel combat pour l’égalité. Pourtant, toutes les luttes contre les discriminations se mènent depuis quarante ans au nom de l’égalité. Les Gilets jaunes ont mis sur le devant de la scène les inégalités de territoire sans que la question du territoire, de la ville ne sortent d’une approche technique. Pourtant encore, la marche partie des Minguettes en 1983 n’était pas la marche des Beurs, mais « la marche pour l’égalité et contre le racisme ». Son onde de choc se poursuit et prend le visage d’Assa Traoré. Porteur d’une révolution anthropologique, le mouvement féministe se déploie aussi en ramifications sans fin autour de l’exigence d’égalité. Or ce combat reste trop exclusivement celui des femmes. À ce jour, seul l’écoféminisme en a fait un sujet systémique qui réorganise la compréhension du monde et la proposition politique.

Études documentées, mouvements sociaux, essais intellectuels, traditions ancrées : la gauche a tout pour reposer dans des termes neufs le combat pour l’égalité.

Cette faiblesse dans la reformulation de la notion d’égalité se paie politiquement au prix fort. Ainsi, les mobilisations en faveur de la défense des services publics, outil concret d’une politique publique en faveur de l’égalité, lieux de convergence entre usagers, salariés, syndicalistes, élus locaux, n’ont pas permis qu’émerge une proposition renouvelée des services publics qui rendrait tangible et solide une proposition de gauche. La question des protections sociales souffre elle aussi de ce non-renouvellement de la notion d’égalité. Études documentées, mouvements sociaux, essais intellectuels, traditions ancrées : la gauche a tout pour reposer dans des termes neufs le combat pour l’égalité. Elle peut le faire en articulant les demandes singulières, la préservation d’acquis, l’invention du moderne. Elle ne gagnera l’immense bataille pour l’égalité, mère de toutes les batailles idéologiques, culturelles et politiques, qu’à ce prix.

La gauche a souvent déçu, trahi, renoncé. Mais elle a surtout décroché, non pas d’un peuple abstrait, mais d’un peuple concret qui a reformulé ses attentes. Elle a pris du retard dans la compréhension du monde qui a émergé. C’est bien là que se situe le creuset de ses échecs et de ses impuissances. Ses faiblesses et ses divisions apparemment insurmontables en sont d’abord l’expression. 

11.08.2025 à 08:00

TRIBUNE. Appel à soutenir, amplifier et prolonger la mobilisation du 10 septembre

Collectif
De nombreuses organisations et personnalités signent un appel en faveur d’une large mobilisation nationale et d’actions coordonnées sur le territoire.

Texte intégral 2087 mots

De nombreuses personnalités issues ou membres de nombreuses organisations signent un appel en faveur d’une large mobilisation nationale et d’actions coordonnées sur le territoire.

Depuis que la macronie s’est installée, le président de la République et ses gouvernements successifs n’ont cessé de gouverner contre le peuple et la planète, organisant avec minutie la casse sociale démocratique et écologique au profit des milliardaires. Ils ont joué avec la démocratie comme ils auraient joué une partie de poker. Ils ont fait de la tactique, jouant aux cartes nos vies et notre avenir Nous nous sommes mobilisé·es par centaines de milliers contre la réforme des retraites, la loi Duplomb, les licenciements, contre les contrôle au faciès, l’islamophobie, l’antisémitisme et tous les racismes, les violences faites aux femmes, les politiques climaticides, l’A69 et tous les grand projets inutiles et imposés, contre les expulsions locatives, contre la destruction du monde associatif et de la culture… 

Nous n’avons cessé de lutter. La seule réponse à la mobilisation a été, avec constance, la répression, le 49.3, la propagande médiatique et finalement la poursuite aveugle et irresponsable d’un projet visant à écraser toujours plus la population, accaparer toujours plus de richesses, conserver toujours plus le pouvoir. Mais la colère est toujours là. Le cri sourd des femmes et des hommes qui subissent est en train de se transformer en clameur. Un mot d’ordre est repris, partout organisons-nous pour bloquer le pays à partir du 10 septembre. 

Nous militant·es, écologistes, féministes, antiracistes, syndicalistes, antivalidistes, mobilisé·es pour la biodiversité, la paix, la démocratie, les droits des personnes LGBTQIA+, la justice sociale, climatique et fiscale, nous qui luttons de notre mieux contre toutes les oppressions, les injustices et les inégalités, appelons à signer et faire signer cet appel pour soutenir, amplifier et prolonger le 10 septembre. 

Dans chaque quartier, chaque village, rassemblons-nous sur les places et les ronds points et décidons ensemble comment agir. Dans nos entreprises, nos administrations, nos écoles, organisons-nous, avec nos collectifs d’actions nos syndicats et associations. Ne laissons personne de coté, faisons du 10 septembre le début de la lutte de tous et toutes pour tous et toutes. Par la manifestation, la désobéissance, la grève, le blocage, l’occupation, arrachons une vie digne et heureuse pour chacun et chacune, dans un monde vivable. Ils nous empêchent de penser à demain en créant chez nous la peur de l’avenir.

Ensemble construisons les conditions de nos dignités.

Nous militons entre autres dans les organisation suivantes : Action Justice Climat-Paris, AFPS, Agir ensemble Contre le Chômage, Alternatiba, Alternative Communiste, ANVCOP21, Attac, Assemblée Populaire de Pantin, Bio Consom’Acteurs, Cannabis Sans Frontière,Cedetim, Cerise la Coopérative,Cimade, CGT Educ, CGT spectacle,Confédération Paysanne, Coordination des Intermittents et Précaires, Debout !. Egalités, Ensemble, Extinction Rébellion, Fondation Copernic, France Nature Environnement, Force Ouvrière, Fédération Syndicale Unitaire, Fondation Good Planet, Génération.S,Greenpeace, L214, La France Insoumise, Radio LaiR NU, L’APRÈS, Les amis de la conf, Les amis de l’Humanité, La Révolution Écologique pour le Vivant, Le Baranoux, Les Désobéissants, Les Écologistes, Les Gilets Jaunes, Le Parti Communiste, Le Parti Socialiste, Les Jeunes Ecologistes, Ligue des Droits de l’Homme, LPO, Mouvement de la Paix, Nouveau Parti Anticapitaliste, Nous Toutes, On s’en Méle, PEPS, Printemps écologique, Printemps de la Psychiatrie, Radio Cause Commune, Radio Parleur, Réseau Education Sans Frontiéres, Réseau Salariat,Rosies, SNAC, SNES, SNUIPP, Solidaires Asso, Soulévements de la terre,Stop Violences Policiéres, Sud Rail, Terres de Liens, UJFP, Victoires populaires…

Nous sommes ouvrier·es, chômeurs chômeuses, ingénieur·es,retraité·es,barmans, barmaids, paysan·ne, conseiller·es régionales, Travailleurs et travailleuses handicapé·es, consultant·es, cheminot·es,avocat·es,téléconseiller·es, médecins, lycéen·nes, scénaristes, artistes, auteurs autrices, menuisier·es, enseignant·es, bénévoles, technicien·nes, responsables politiques, directeurs directrices, intérimaires, agriculteurs agricultrices, économistes, cadre, activistes, maires, étudiant·es, juristes, musicien·nes, pédopsychiatres, employé·es, philosophes, conseiller·es municipales, jardinier·es, député·es, chef·fe de projet, conseiller·es communautaires, assistant·es sociale, senateurs senatrices, hôtelier·es peintre·s,député·es Intermittentes, historien·nes, développeurs développeuses, secrétaires,traducteurs traductrices,cuisinier·es, géographes, chercheurs chercheuses, conseiller·es, formateurs formatrices, ébénistes, sociologues, journalistes, postier·es, anthropologues, professeur·es…

Nous venons de : Abbeville, Angers, Antibes, Argenteuil, Arles, Audincourt, Auray, Bagnolet, Beaumes de Venise, Beuvrages, Brunoy, Bruyères, Captieux, Charenton-le-Pont, Châteauroux, Chaumont, Chelles, Clichy, Concarneau, Cremieu, Dieppe, Dole, Ermont, Eyragues, Fontenay Sous Bois, Gap, Gradignan, Ivry Sur Seine, Joigny, Joyeuse, La Baule, Langeais, Langon, Languidic, Lapeyrouse, La Tour Du Pin, La Trinité, Le pré Saint Gervais,  Les Pavillons Sous Bois, Levallois Perret, Lille, Lorgues, Lyon, Narbonne, Maison Alfort, Marignane, Marseille, Merignac, Miramas, Monterault-Fault-Yonne, Mongerons, Montalieu-Vercieu, Montferrand, Montpellier, Montreuil,  Mours, Neuvilles sur Saône, Nice, Nîmes, Nivillac,Noisy Le Sec, Olivet, Orléans, Paris, Pantin, Passy, Peyrehorade, Plérin, Plouaret, Pugnac, Rembercourt, Reims, Rennes, Ribérac, Romainville, Quimper, Saint-Brieuc, Saint-Cyr-l’Ecole, Saint-Martin-Boulogne, Saint Michel sur Orge, Saint Père en Retz, Saint-Pierre-des-Corps, Saint Savinien, Salérans,Salon, Sens, Serris, Strasbourg, Toulouse, Tours, Treigny, Valenciennes, Veynes, Villejuif, Vire, Viroflay, Vitry-Sur-Seine…

Marie Abriel, Agnès Added, Najat Aguidi , Bernard Aigloz, Omar Al Hammal, Françoise Alamartine, Julien Albert, Raynald Amadei, Marie-Ange Amico, Corinne Angelini, Jean-Marie Angelini, François Anquetil, Pascale Araujo, Estelle Armandès, Janie Arneguy, René Arveuf, Sylvain Aubrit, Clémentine Autain, Radwan Baa, Benjamin Ball, Mohsen Balti, Bastien Barberio, Isabelle Barborin Mangin, Arnaud Barras, Max Barraud, Laurence Bart, Steve Basseler, Notma Basso, Sandrine Bataille, Adda Bekkouche, Brice Belouin, Samia Benguetaïb, Jean Luc Bennahmias, Magali Benoit, Mathieu Berard, Jean-Louis Berland, Christiane Bernard, Alain Bertho, Raphaele Bertho, Solenn Bertrand, Joel Bertrand, Lucie Berweiller, Serge Besson, Bruno Bidet, Joëlle Bigey, Laurent Bihel, Martine Billard, Jacques Billiere-George, Antoine Billiottet, Leyla Binici, Sophie Bisiere, Julien Blain, Claudie Blanc, Monique Blanchard, Dominique Blanchard, Vaïna Bloch, Esther Bloquet, Isabelle Bonillo, Hugues Bonnefond, Pierre Bordone, Jorim Bouet-Leclere, Louis Boulet, Isabelle Bourboulon, Jasmine Bourdarias, Thérèse Bourgeois, Sophie Bournot, Magali Braconnot, Constantin Bréant, Amelia Brechet, Octave Bufi, Claudine Bultez-Lecomte, Jean Burdairon, Melanie Buzare, Thomas Caharel, Claude Calame, Marie Cambillard, Elsa Cansell, Nathalie Carlin, Béatrice Carretier, Magalie Cassez, Claire Cazin, Dominique Cellier, Marie-Françoise Chabanne, Patrick Chamblas, Francis Chambrelan, Benjamin Chapelot, Jean-Paul Chardon, Marylaine Charlin, Marianne Chignier, Samir Chikhi, Marie Chiocca, Fethi Chouder, Florence Chrétien, Eloïse Cianferani, Stéphane Clerjaud, Alexis Corbière, Jean-Pierre Coté, Alain Coudert, Marianne Coudroy, Alain Coulombel, Pierre Cours-Salies, Severine Courtiol, Tristan Cressot, Monique Crinon, Daniel Cueff, Alexis Cukier, Leïla Cukierman, Danièle D’Antoni, Laurent Daguet, Florian Dahuron, Christine Damon Lacoste, Isabelle Dangerfield, Lydie Danjean, Marie-Laure Darblade, Pierre Dard, Christophe Dargent, Gabriel Darmon, Denis Datin, Tanguy Daveine, Babette David, Vaillant David, Sara De Benedicis, Pierre De Bozza, Laurence De Cock, Jean-Luc Debard, Claude Debons, Nathalie Debotte, Emilie Decat, Christiane Dedryver, Sidonie Defives, Vinca Delamare Deboutteville, Eric Delhaye, Bruno Della Sudda, Stephane Deloupy, Serge Demailly, Elisabeth Demeester, Jean-Luc Dené, Christine Depuiset, Cécile Despres, Damien Deville, Anne Marie Dinvaut, Renaud Doitrand, Martine Doudelle, Martin Dravet, Christian Drouet, Vincent Dubois, Sylvain Dumas, Michel Dupont De Vieux Pont, Thomas Duquenne, René Durand, Clémence Duranson, Charlie Duval, Patrice Elmer, Jean-Christophe Eon, Sébastien Espagne, Vita Evenat, Marie-Hélène Faivre, Marlene Falgon, Valia Faraone, Jacques-Olivier Farcy, François Fasulo, Jean Fauché, Juliette Fauchot, Luc Fauconnier, Laurent Favriot, Valérie Fellini, Jean Marc Fert, Emmanuel Florac, Pablo Flye, Aline Follea, Cécile Fontaine, Ewen Forget, Ismaïl Forloul, Antoine Fort, Thierry Foullon, Jean François Fourie, Aude Fourmann, Nicolas Fournier, Philippe Fournier, Bruno Frati, Yves Frémion, Claude Funkiewiez, Raquel Garrido, Samia Gasmi, Isabelle Gauchin-Sorel, Franck Gaudichaud, Wilfried Gay, Loic Geffroy, Didier Gelot, Guillaume Gendre, Mathieu Georges, Thibault Géraci, Alain Gérard, Christine Gérard, Maxime Gerbeau Farid Ghehiouche, Christine Gibert, Marc Giouse, Dejanire Gironde, Dominique Glaymann, Philippe Goarnisson, Anne Godard, Helene Goldet, Patrick Gomes Leal, Jean-Luc Gonneau, Manuel Gouthière, Pascal Grandjeat, Marianne Grantais, Thiéfaine Grébert, Jean-Jacques Greiner, Olivier Grieco, Samuel Grzybowski, Gilbert Guedon, Nora Guelton, RomainGuillet, Jean-Pierre Guinel, Jean-Pierre Guinel, Alexis Guinot Abarca, Cherifa H., Isabelle Hamou, Olfa Hanafi, Sylvie Hanquiez, Florence Harang, Elisabeth Hauss, Janine Hebrard, Yannick Henrio, Jean Luc Herpin, Joelle Herrault, Corentin Herraux, Marjorie Hertzog, Jean-Luc Herve, Antoine Hibon, Fanny Hocdé, Jean-Marie Holder, Hervé Hubert, Isabelle Huchard, Alain Hugues, Jean Marie Hupel, Alice Huysmans, Gilles Ichtertz, Cyril Isapoff, Marie-Odile Izard, Florent Jaffier, Franck Jakubowski, catherine Jandelle, Bernadette Jonquet, David Jourdan, Benjamin Joyeux, Carine Julien, Anne Juteau, Stephan Kambourian, Marjorie Keters, Pierre Khalfa, Kenza Khalil, Kirsi Kinnunen, Dominique Klein, Isabelle Kohn, Helene Komutekir, Elia Kowalski, Isabelle Krzywkowski, Alexandre Kurtz, Véronique L, Lydia Labertrandie, Isabelle Lacaze, Marc Lacreuse, Jean-Noel Lafaille, Georges Lafosse, Flore Lafosse, Annie Lahmer, Patricia Lambert, Monique Langevine, Franck Laorden, Maxime Larcher, Gérard Larose, Sylvie Larue, Pascal Laurent, Renaud Laurent, Monique Laurié, Jennifer Lavallé, Manon Lazzari Christian Lazzeri Elody Le Bihan, Hervé Le Crosnier, Emilie Le Doriol, Christian Le Guen, Marion Le Guillou, Soazic Le Lann, Jean-Baptiste Le Menn, Grégory Lebert, Harmonie Lecerf Meunier, Patrice Leclerc, Christiane Leclercq, Pierre-Vincent Leconte, Aurelie Lecoq, Corinne Lefustec, AnneMarie Legeay, Beatrice Leguet, Dominique Leloup , Christophe Lemasson, Claire Lemercier, Michèle Lemesle, Francis Lemort, Mickael Leroux, Gerard Lesponne, Nicole Letard, Madeleine Lhopitallier, JeanNoël Lizé, Eric Lizet, MarieHélène Lottin, Sophie Louf, Nadia Madaoui, Jean-Claude Mamet, Hugo Mancini, Sandrine Mangel, Nicole Mansion, Philippe Mante, Loïc Marcé, Laetitia Marini, Yanick Marion, A Marly, François Maroni, Véronique Marquer, Nadine Marquet, Clémence Martin, Jean-Pierre Martin, Pascale Martin, Eloïse Martineau, Flavien Martineau, Mireille Martinez, Emmy Martzloff, Marianne Masson, Alain Mathieu, Maxime Matous, Julia Maura, Odile Maurin, Ivan Mazas, Alexandra Mazaud, Smaïn Mebarki, Caroline Mecary, Maxime Menin, Valérie Menino, Henri Merme, Jean-pierre Mero, Naima Merouani, jpoerre Meyer, Nadia Meziane, Stéphane Millet, Martine Minne, Daniel Mino, Alain Mirande, Antonio Molfese, Quentin Monier, Isabelle 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Traore, Phillippe Traversat, Perrine Tricard, Sarah Trichet Allaire, Nikou Tridon, Stephane Trifiletti, Catherine Triou, Luce Troadec, Louise Ulrich, Dune Vaïtilingom, Constance Valentin, Marie-Olga Valpergue de Masin, Nathalie Varandes, Florian Vatageot, Marie-Christine Vergiat, Monique Vervondel-Gaulguet, Celine Verzeletti, Daniel Vey, Marie Vignolles, Eric Vincent, Julien Voisin, Christiane Vollaire, Florian Werlé, Nadia Zaimeddine, Zara Zefizef, Léon, Joseph, Carole, Oriane, Emilie, Arnold, Thérèse, JuG, Eric, Nathalie, Geneviève, Michèle, qui n’ont pas souhaité donner leur nom de famille.

Pour signer vous aussi cet appel, c’est par ici !

11.08.2025 à 07:22

La France touche le fond du débat

Michel Wieviorka
La problème n'est pas l'absence de débat public en France, estime le sociologue Michel Wieviorka, mais sa dégradation et sa droitisation – à mille lieues de l'émulation intellectuelle des années 1970 et 1980.

Texte intégral 1742 mots

La problème n’est pas l’absence de débat public en France, estime le sociologue Michel Wieviorka, mais sa dégradation et sa droitisation – à mille lieues de l’émulation intellectuelle des années 1970 et 1980.

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Cet article est extrait du n°55 de la revue Regards, publié au deuxième semestre 2021 et toujours disponible dans notre boutique !
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Michel Wieviorka est spécialiste de l’étude des mouvements sociaux et des discriminations.

En 2001, deux journalistes, Jérôme Bellay et Yves Calvi, inventaient « C dans l’air », une émission de débat pionnière en son temps. Aujourd’hui, il suffit de circuler sur les chaînes d’information : elles passent leur temps à faire débattre des invités. Elles semblent même avoir été créées à cette fin ! De nombreuses émissions, plus ou moins sérieusement, adoptent un format qui s’apparente à celui de « C dans l’air ». D’autres formules de débat télévisé, sur des chaînes non spécialisées dans l’information, prennent un autre tour, éventuellement sous la houlette d’un animateur à succès faisant du « débat » un élément de spectacle. Les radios, la presse écrite ne sont pas en reste. De même sur les réseaux sociaux : tout le monde discute, s’exprime, prend position, « like » ou pas, à une échelle qui n’a plus rien à voir avec le café du commerce. Le problème n’est donc pas dans l’inexistence du « débat », mais dans sa qualité. Les interrogations commencent là. Pour les aborder, une comparaison historique, dans le temps, peut servir de fil conducteur.

Victoire du « présentisme »

Il y a un demi-siècle, la télévision était un monopole au service du pouvoir, avec deux chaînes seulement – la troisième sera créée en décembre 1972. Deux ou trois radios périphériques faisaient souffler un petit air de liberté, mais on était encore éloigné des années 1980 et de l’essor des radios dites « libres ». Internet, les réseaux sociaux n’existaient pas. Et, dans un contexte qui était celui du fantastique essor des sciences humaines et sociales françaises, celles-ci rayonnaient dans le monde entier et irriguaient une riche vie intellectuelle, qui pouvait se transcrire dans la presse écrite. Le Nouvel Observateur était un haut lieu de cette transcription, et il existait d’autres supports, souvent – mais pas nécessairement – adossés à une orientation voire à un courant ou une force politique.

L’offre, depuis, a comme explosé. Des dizaines de chaînes de télévision aisément accessibles, d’innombrables radios dessinent avec la presse écrite un paysage médiatique particulièrement dense. Internet et les réseaux sociaux permettent une circulation illimitée, instantanée et interactive des idées et des opinions, pour le meilleur et aussi, hélas, souvent pour le pire. Mais l’offre, dans l’ensemble, n’autorise pas une réelle structuration des débats. Ceux-ci ne sont généralement pas très exigeants sur le fond, il n’y a que bien peu de journalistes qui, sur un plateau de télévision, savent maintenir le niveau, veiller à une certaine hauteur de vue, exiger des éléments de démonstration, contester une affirmation douteuse. Ceux qui cadrent, animent, dynamisent le débat ne sont généralement pas spécialistes des problèmes dont traitent leurs invités : ils sont « généralistes ». Ils font débattre de ce qui fait l’actualité, ils sont dans l’air du temps – sinon, l’audience tombe.

Les historiens professionnels sont remplacés par des histrions et l’expertise sur les grands problèmes de société est assurée plutôt par des sondeurs et des consultants que par des chercheurs

Le « présentisme » l’emporte et, avec lui le manque de goût pour le débat approfondi, sauf ici et là, sur France Culture ou sur Arte par exemple, là où l’audience est incomparablement moindre. Et, dans l’ensemble, les sciences humaines et sociales, si centrales dans la vie intellectuelle des années 1970 et encore 1980, n’intéressent plus, ou beaucoup moins ; les historiens professionnels sont remplacés par des histrions, des journalistes amateurs, et l’expertise sur les grands problèmes de société est assurée plutôt par des sondeurs et des consultants que par des chercheurs. La recherche scientifique, s’il s’agit de l’étude de la société, n’irrigue que très imparfaitement le débat public et, dès lors, ce sont des intellectuels publics qui donnent le ton, bien plus que des chercheurs en sciences humaines et sociales. Ces derniers ont certainement leur part de responsabilité dans cet état de fait.

Mais qui tient le haut du pavé parmi ces intellectuels publics qui animent le débat ? De plus en plus, des écrivains, des penseurs que l’on peut qualifier de droitiers. Les uns mettent en avant une vision identitaire de la nation, s’inquiétant par exemple, à la suite de Renaud Camus, de la perspective d’un « grand remplacement ». D’autres, parmi lesquels on peut rencontrer des universitaires, s’inscrivent surtout dans des orientations mettant en avant une conception pure et dure de la laïcité et de la République, qui témoigne avant tout d’une peur ou d’une hostilité dès qu’il s’agit de l’islam, et pas seulement d’islamisme. Une « islamophobie » dont ils récusent le concept, sans être pourtant gênés par le recours de certains d’entre eux à l’idée de « judéophobie ».

Gauche décomposée

Ainsi, parmi la centaine de signataires d’un « manifeste » (Le Monde, 31 octobre 2020), certains, qui peuvent défendre de manière respectable des positions « républicaines », côtoient des lambeaux de la gauche décomposée à la dérive. Tous se dirigent nettement vers la droite la plus dure. On retrouve quelques-uns d’entre eux dans des textes indignes, comme la tribune me visant ad hominem dans Marianne, le 3 mai dernier – ma réponse, le 7 mai, s’inquiète du « degré zéro de la vie intellectuelle ». Ou encore la tribune d’Isabelle de Mecquenem, non moins indigne, car témoignant d’un inquiétant inconscient où il est question de chauve-souris, parue fin avril 2021 sur le site du Droit de Vivre, la revue de la Licra (d’où elle a disparu, sauf à farfouiller sur ce site, emportant avec elle avec ma réponse sitôt parvenue, et qui a pour titre « Ad nauseam »).

La droitisation des positions prédominantes dans le débat d’idées contemporain n’est évidemment pas un phénomène isolé. Elle entretient un lien avec l’évolution générale de la vie politique de notre pays, et pas seulement. Ainsi, elle a quelque chose à voir avec l’extrême-droitisation de la politique israélienne depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin, qu’elle vient comme relayer en France.

L’essentiel se joue entre l’extrême droite et un centre-droit pour lequel la vie des idées n’est pas une priorité, tant le pouvoir privilégie des approches « jupitériennes », technocratiques et gestionnaires.

La décomposition des grands partis de gauche et de droite a rendu obsolète l’idée d’un débat où s’opposeraient des penseurs de ces deux bords : aujourd’hui, l’essentiel, en politique, se joue entre l’extrême droite, qui a des idées nationalistes, plus ou moins xénophobes et racistes, et un centre-droit pour lequel la vie des idées n’est certainement pas une priorité, tant le pouvoir privilégie des approches top down, « jupitériennes », technocratiques et gestionnaires dans sa conception de l‘action politique. Tant, aussi, il s’est jusqu’ici employé à affaiblir les « corps intermédiaires » : une bonne partie des efforts de ceux qui dérivent vers des positions droitières consiste à compléter la démarche du chef de l’État en s’en prenant aux « esprits intermédiaires », aux porteurs d’idées qui ne s’identifient pas à la radicalité de leurs positions « républicaines », et qu’il s’agit en quelque sorte de cornériser, d’identifier de toute force à l’extrémisme du soi-disant « islamo-gauchisme » et autres perversions.

Il n’y a plus guère aujourd’hui de forces politiques importantes à gauche. La France insoumise pèse trois ou quatre fois moins que le Parti communiste français au temps de sa splendeur, et il y a bientôt dix ans que le Parti socialiste a liquidé un de ses rares espaces de vie intellectuelle, le « Laboratoire des idées », créé par Martine Aubry, alors première secrétaire de ce parti, et disparu le jour même de l’accession de François Hollande à la tête de l’État. Comment, dès lors, le débat pourrait-il se construire, sans attente de la part d’acteurs de gauche, devenus presque introuvables, et alors que les principaux enjeux de l’affrontement politique semblent n’opposer qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?

Les Français aiment le débat, et celui-ci se déroule, mais sans principe de structuration politique en dehors de la polarité peu exaltante Macron-Le Pen. Ce qui laisse surtout un espace pour des dérapages et des dérives dont les plus toxiques accompagnent la résistible ascension du Rassemblement national, et nourrissent le sentiment que la nuance n’est pas à l’ordre du jour. Quand le débat public devient spectacle et excès, il n’y a guère de place pour l’argumentation détaillée, pour la complexité, et beaucoup plus pour l’invective, les positions tranchées et, finalement, l’invective, les attaques ad hominem, le ressentiment et la haine. Ou pour le désintérêt, s’il s’agit de la vie des idées, et l’abstention, s’il s’agit des comportements électoraux.

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