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11.10.2025 à 00:30

Nicolas Framont : « Quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable »

Gaëlle Desnos

Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères. Comment répondre à la violence du capitalisme ? C'est la question que se pose Nicolas Framont, dans son récent ouvrage Saint Luigi (Les liens qui libèrent, 2025). Pour répondre, l'auteur revient sur (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) / ,

Texte intégral 1880 mots

Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères.

Comment répondre à la violence du capitalisme ? C'est la question que se pose Nicolas Framont, dans son récent ouvrage Saint Luigi (Les liens qui libèrent, 2025). Pour répondre, l'auteur revient sur l'affaire Mangione : le 4 décembre 2024, à New York, Brian Thompson, PDG de UnitedHealthCare (UHC), est abattu alors qu'il se rend à l'assemblée générale des actionnaires de son entreprise. L'assassin présumé s'appelle Luigi Mangione : un jeune homme d'une banalité désarmante, que rien ne semblait conduire à un tel geste. Brian Thompson, lui, n'est pas le dirigeant de n'importe quelle entreprise : 29 millions d'Américains dépendent de son bon vouloir pour le remboursement de leurs soins et ces dernières années, l'assureur privé s'est spécialisé dans les refus de prise en charge. Les jours qui suivent l'assassinat, vent de panique parmi la bourgeoisie américaine : certaines grosses boîtes tiennent leurs assemblées d'actionnaires en distanciel, d'autres retirent les photos de leurs dirigeants sur leurs sites. Partant de là, Nicolas Framont entreprend une réflexion sur le recours à la force et à la menace dans la lutte des classes. On ne lui a pas fait l'offense de lui demander s'il condamnait les violences, mais plutôt quelles leçons il tirait de cet événement. Entretien.

Tu dis que la lutte des classes est une lutte des corps. Mais tu expliques aussi que dans l'arène sociale, les corps bourgeois ont tendance à se dérober. Peux-tu préciser cette pensée ?

« Le 10 septembre a suffi à réactiver le traumatisme des Gilets jaunes au sein de la classe bourgeoise »

« Dans l'éducation de la grande bourgeoisie, il y a une véritable injonction à l'effacement du corps. Je l'ai appris malgré moi, lorsqu'étudiant, en vacances chez les parents d'une amie issue d'un milieu très aisé, j'ai eu la spontanéité de lâcher un “bon appétit” avant un repas. Selon mes hôtes, la formule était un rappel trop cru de l'acte de manger. Ce jour-là, j'ai réalisé que beaucoup de codes de la bienséance bourgeoise visaient en fait à éclipser tout ce qui trahit les nécessités du corps. Cela s'observe aussi dans l'habillement avec le port du très sobre et inconfortable costard-cravate. Ces codes sont un héritage de l'aristocratie d'antan, que la grande bourgeoisie actuelle reprend à son compte. Mais ils sont surtout la manifestation, à un niveau individuel, d'un escamotage à plus grande échelle : celui de l'invisibilisation du corps social bourgeois et de sa domination de classe. »

Justement, l'affaire Mangione fait brutalement éclater cette vérité au grand jour. Elle rappelle également que les bourgeois ont un corps, et qu'ils peuvent mourir. Cette mise à nu les terrorise. Quel rôle cette peur peut-elle jouer dans l'instauration d'un rapport de force ?

« Je ne considère pas le meurtre comme une option stratégique pour gagner contre la classe bourgeoise. Mais le fait de susciter la peur, oui. Dans mon livre, je décris plusieurs moments où la menace de la violence dans l'histoire a eu pour effet de faire avancer nos intérêts. En 2017 par exemple, des ouvriers de l'usine GM&S menacée de fermeture y ont eu recours pour peser sur les négociations. En fixant un dispositif explosif sur une immense cuve de gaz barrée d'un “on va tout faire péter”, et en allumant des feux de pneus autour du site pour donner l'impression qu'il brûlait, ils ont réussi à effrayer directions, journalistes et autorités réunis. La supercherie était spectaculaire, mais elle a fonctionné ! L'usine n'a pas fermé.

J'en conclus que quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable. On l'a encore vu cette rentrée, lorsque Bayrou s'est autosaboté : la simple menace d'un mouvement social le 10 septembre a suffi à réactiver le traumatisme des Gilets jaunes au sein de la classe bourgeoise. »

Tu cites les Gilets jaunes, mais pas le mouvement contre la réforme des retraites de 2023, pourtant massif. Dans ton livre, tu rappelles qu'aujourd'hui tous les modes d'action du répertoire radical ont été abandonnés. C'est ce qui fait que la bourgeoisie n'a plus peur ?

« Ce qui effraie vraiment, c'est l'imprévisibilité »

« Lorsqu'un mouvement social est piloté par les centrales syndicales, les interlocuteurs sont identifiés, les parcours des manifestations négociés à l'avance et la grève reconduite – au mieux – dix jours plus tard. La bourgeoisie peut cocher les dates sur son calendrier, adapter la production et se frotter les mains en pensant aux journées de salaire économisées.

Ce qui effraie vraiment, c'est l'imprévisibilité. Tout comme les Gilets jaunes, le 10 septembre était insaisissable : personne ne savait ce que nous allions faire, nous-même, nous ne le savions pas ! Les médias tentaient désespérément d'analyser la situation, tandis que Retailleau prévoyait de mobiliser un nombre de flics aberrant sur le terrain. Le jour J, nous étions moins nombreux que pendant la réforme des retraites. Pourtant la peur était bien là. Celle-ci ne tient donc pas nécessairement au nombre, mais à la capacité de nuisances potentielles : des manifestations ritualisées tous les quinze jours n'en présentent quasiment aucune. »

On comprend que, quand les classes laborieuses usent de menaces et se rendent imprévisibles, elles ont de meilleures chances de gagner. Comment expliques-tu que cette stratégie ne soit pas davantage du goût des syndicats et des partis ?

« Ces organisations ont fait émerger une petite caste de professionnels de l'action revendicative. Qu'ils officient dans le syndicalisme ou la politique, ces gens prétendent maîtriser la “science” du rapport de force. Ils fréquentent le pouvoir, ses hautes sphères et finissent par en tirer une certaine fierté. Leurs structures leur offrent des trajectoires professionnelles et une place dans l'ordre existant. Ils déclarent vouloir changer la société, mais un mouvement insurrectionnel, par définition incontrôlable, pourrait menacer leurs carrières. D'où leur préférence pour des stratégies compatibles avec le statu quo. »

Depuis le début de l'entretien, on parle de radicalité en un sens collectif. L'acte présumé de Luigi Mangione, lui, relève de l'initiative individuelle. Dans ton livre, tu dis que Lénine n'aurait sans doute pas été très emballé par cette affaire : il y aurait vu un acte sacrificiel, détaché de toute dynamique collective d'émancipation. Mais tu ne retiens pas complètement cet argument. Pourquoi ?

« Mon propos n'est pas de faire passer l'assassinat d'un PDG pour une solution. D'abord, c'est moralement catastrophique. Et puis je pense que le terrorisme d'extrême gauche n'a globalement jamais vraiment donné grand-chose. Mon point est ailleurs : je cherche à comprendre ce qui, dans un geste individuel, peut produire des effets collectifs. Dans l'affaire Mangione, l'acte a fabriqué une icône populaire. Ce n'est pas rien : une culture collective a besoin d'images, d'exemples qui donnent envie de se battre. Cela ne signifie pas que l'on souhaite imiter l'acte, mais plutôt que celui-ci met en lumière un problème – ici, le système de santé américain – et la nécessité de hausser le ton. C'est vrai pour de nombreuses luttes : dans les années 1950 par exemple, quand Rosa Parks a refusé de céder sa place à un passager blanc dans un bus soumis à la ségrégation raciale, son acte, isolé, a eu des effets collectifs considérables.

« Si une personne lambda peut commettre un acte aussi inattendu, alors l'ordre des choses n'est plus entièrement verrouillé »

Selon moi, Luigi Mangione est devenu une icône populaire, parce qu'il est un jeune homme ordinaire, sans véritable ancrage idéologique. Il incarne une forme de banalité et c'est précisément ce qui facilite l'identification. S'il s'agissait d'un militant d'extrême gauche bardé de lectures marxistes, il n'aurait sans doute pas suscité la même sympathie. Sa banalité confrontée à l'extraordinaire du geste a produit un effet de rupture – un “bug dans la matrice”. Si une personne lambda peut commettre un acte aussi inattendu, alors l'ordre des choses n'est plus entièrement verrouillé. L'histoire peut encore dévier. »

Est-ce que tu sous-entends que la gauche intello agace un peu tout le monde ?

« J'ai l'impression qu'il y a comme une fracture croissante. La production de la pensée critique est de plus en plus accaparée par l'université, comme s'il y avait une division du travail entre ceux qui pensent et ceux qui agissent. Ça énerve tout le monde. D'où, je crois, ce désir du primat de l'action et ce détachement vis-à-vis d'une forme d'avant-garde éclairée. On l'a nettement vu à l'époque des Gilets jaunes. Ce mouvement était à l'opposé des rigidités doctrinales, des représentants qui parlent une langue morte et de leur répertoire folklorique d'actions. C'est aussi ce que j'ai perçu du 10 septembre : dans les AG, on ne prenait même plus le temps d'exposer les raisons de la colère, seuls les meilleurs moyens de tout bloquer étaient à l'ordre du jour. »

Propos recueillis par Gaëlle Desnos

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11.10.2025 à 00:30

« Rembourser la dette comme on fait pénitence »

Gaëlle Desnos

En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur. Récemment, le Premier ministre et son gouvernement démissionnaire ont tenu des propos alarmistes sur la dette de la France. Selon vous, la situation est-elle aussi grave qu'ils le disent ? (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) /

Texte intégral 1880 mots

En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur.

Récemment, le Premier ministre et son gouvernement démissionnaire ont tenu des propos alarmistes sur la dette de la France. Selon vous, la situation est-elle aussi grave qu'ils le disent ?

« Non, elle est loin d'être aussi catastrophique. D'abord, rappelons qu'une dette publique n'est pas comparable à une dette privée – celle des ménages ou des entreprises. L'État a ce qu'on appelle un “horizon infini”. Les ménages et les entreprises doivent solder leurs créances parce qu'ils peuvent mourir. L'État, lui, ne meurt jamais, et peut donc indéfiniment se refinancer en réempruntant : on dit qu'il “fait rouler la dette”. En revanche, il doit s'acquitter des intérêts : il s'agit de la fameuse “charge de la dette”.

Pour comprendre, il faut toujours raisonner en ratio de PIB : c'est le poids de la dette par rapport à la richesse nationale qui compte. En France, celui-ci se situe aujourd'hui autour de 113–115 % du PIB. Le chiffre peut impressionner parce qu'il dépasse 100 %, mais il doit être mis en perspective : certains pays développés sont nettement plus endettés (le Japon dépasse 200 %, les États-Unis sont à 124 %) et, historiquement, les ratios ont déjà été bien plus élevés, notamment pendant les guerres mondiales. Quant à la charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts versés chaque année aux créanciers, elle représente environ 2 % du PIB. C'est relativement faible par rapport aux années 1990 et 2000 par exemple.

Pour évaluer la trajectoire de la dette, sa “soutenabilité”, les économistes observent l'écart entre le taux d'intérêt auquel le pays emprunte et son taux de croissance. Si le premier dépasse la second, cela signifie que la dette augmente plus vite que la richesse nationale, ce qui peut poser problème. Aujourd'hui, la croissance française est faible (autour de 0,4–0,5 %), tandis que les taux auxquels elle emprunte sont un peu au-dessus de 3 %. La dette risque donc de progresser plus vite que le PIB. Mais à mon avis, le cœur du sujet est surtout le manque de croissance : c'est l'insuffisance d'activité et de création de richesse qui pose problème. »

Raison pour laquelle la note de la France a été baissée par l'agence de notation Fitch ?

« Oui et pour autant, les taux d'intérêt ne sont pas montés en flèche. En réalité, notre dette est toujours considérée comme un actif sûr. Un signe révélateur est la stabilité des porteurs : une part croissante des investisseurs conserve les titres de dette française sur la durée, au lieu de les céder rapidement sur les marchés secondaires pour spéculer. Cette rétention de long terme constitue, en finance, un marqueur clair de confiance.

« Nous sommes tous, ­collectivement, propriétaires d'environ un quart de notre propre dette »

Un autre aspect souvent négligé concerne la répartition des détenteurs. Environ 45 % des titres sont aujourd'hui entre les mains de résidents et 55 % de non-résidents, un niveau parmi les plus élevés des pays développés. Cela traduit l'attractivité de la dette française, que fonds de pension, banques et assureurs achètent volontiers. À noter enfin : près d'un quart de l'encourt est détenu par la Banque de France, c'est-à-dire par une institution publique. Nous sommes donc tous, collectivement, propriétaires d'environ un quart de notre propre dette ! »

Dans une tribune signée dans Le Monde, vous pointez le récit « moral » entourant la dette. Qu'entendez-vous par là ?

« Tout à fait. C'est un discours qu'a fortement incarné François Bayrou récemment : la dette serait une “malédiction” collective. Cette représentation s'inscrit dans un héritage religieux et moral bien particulier, forgé dès les XVIIe et XVIIIe siècles. Dans la tradition biblique, le même mot sert souvent à désigner la “dette” et la “faute” – en grec, en araméen, en hébreu. Et cette vieille équivalence imprègne encore nos imaginaires : la dette serait un péché à expier, qu'il faudrait rembourser comme on fait pénitence. Les efforts demandés prennent alors la forme d'une repentance collective. Il faut déconstruire ce mythe de toute urgence !

« Les cures d'austérité sont un remède pire que le mal, la BCE le sait et a changé d'attitude depuis la Grèce »

Dans nos économies capitalistes, la dette publique constitue un débouché pour les gros patrimoines. Elle n'est pas une faveur généreusement accordée par des prêteurs charitables à des États impécunieux, mais un placement pour des épargnants aisés en quête de rendement. Et du point de vue de l'État, il s'agit d'un instrument de financement parmi d'autres ! Ailleurs, dans certaines cultures africaines par exemple, la dette est dédramatisée : loin d'être perçue comme une faute, elle est une simple méthode de répartition. »

Le registre moral ne sert-il pas surtout à fabriquer du consentement à l'austérité ?

« Oui, c'est avant tout politique. En réalité, les finances publiques disposent de leviers pour alléger ou étaler la dette : renégociations, allongement des maturités, interventions des banques centrales, etc. Et si, par hypothèse, les taux s'envolaient et qu'une véritable crise survenait, la Banque centrale européenne (BCE) interviendrait. L'épisode grec l'a montré : les cures d'austérité sont un remède pire que le mal, elles compriment fortement la croissance et font mécaniquement augmenter le ratio dette/PIB. La BCE le sait, et a changé d'attitude depuis. D'autant que la France est l'un des pays moteurs de la zone et que l'euro est une monnaie solide : l'Eurosystème ne laisserait pas une telle déstabilisation mettre en péril l'ensemble.

Par ailleurs, l'austérité n'est pas seulement dangereuse d'un point de vue financier. Elle l'est aussi pour l'investissement dans des secteurs clés comme la transition écologique. Or, ce qui se creuse de manière inexorable, c'est bien la dette écologique ! Le voilà le vrai passif. Aucun tour de passe-passe comptable ni sauvetage institutionnel ne pourra l'effacer. »

À gauche, une contre-proposition aux économies prévues par Bayrou pour sortir la France de la banqueroute a émergé : l'emblématique « taxe Zucman ». Qu'en pensez-vous ?

« De nombreux travaux en économie ont montré que l'impôt est progressif jusqu'à un certain seuil au-delà duquel il se met à régresser. Ainsi, les 0,0008 % les plus fortunés s'acquittent d'environ 26 % d'impôts, tandis les 0,1 % les plus riches paient autour de 46 %. L'économiste Gabriel Zucman propose d'instaurer un plancher d'imposition de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches au-delà de 100 millions d'euros. D'après ses calculs, cela rapporterait près de 20 milliards d'euros. Ce n'est pas les 44 milliards que cherchait Bayrou, mais c'est déjà ça.

« Les aides publiques en faveur des entreprises sont un véritable capharnaüm : la France a empilé les mesures et Bercy peine à en dresser un inventaire exhaustif »

Toutefois, plusieurs juristes estiment que le Conseil constitutionnel pourrait censurer une telle mesure au nom du caractère potentiellement “confiscatoire” de l'assiette (environ 1 800 personnes). En 2012, il avait déjà retoqué des éléments de l'ISF pour un motif similaire1.

Quoiqu'il en soit, je comprends pourquoi la gauche érige cette mesure en totem : elle vise à changer de cap et à trouver des ressources ailleurs que dans la poche des plus précaires. Mais au-delà des modalités de financement de la dépense publique, il faut aussi de toute urgence examiner les effets de cette dépense. Et là, c'est tout le logiciel de l'État qu'il faut revoir ! Les aides publiques en faveur des entreprises par exemple : ces dispositifs sont devenus un véritable capharnaüm… Une commission d'enquête du Sénat a récemment avancé le fameux chiffre de 211 milliards d'aides (sans compter celles des collectivités). Depuis les années 1980, la France a empilé les mesures et Bercy peine à en dresser un inventaire exhaustif. Les évaluations montrent des effets quasi nuls sur l'emploi et la croissance ; l'impact principal tenant surtout en une reconstitution des marges. D'où une piste évidente : cartographier et simplifier ces dispositifs, puis les orienter dans une logique de planification en définissant, à 20 ou 30 ans, les filières et secteurs à soutenir. La planification écologique, les services publics, les secteurs stratégiques…Il y a beaucoup de chantiers ! »

Propos recueillis par Gaëlle Desnos

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1 À part ces éléments précis, l'ISF touchait plusieurs centaines de milliers de ménages qui, chaque année, devait s'acquitter d'un impôt direct calculé sur la valeur du patrimoine, avec un barème progressif dès 1,3 million d'euros. Loin d'être un « matraquage fiscale », la mesure avait quand même un certain panache. La taxe Zucman, elle, ne vise que les immenses patrimoines et est surtout corrective : on fixe un minimum d'impôt de 2 % puis, chaque année, on regarde ce que la personne a déjà payés et si c'est inférieur à 2 % de sa fortune, on lui demande de compléter. Elle est donc beaucoup moins transformatrice pour l'ensemble du système fiscal.

11.10.2025 à 00:30

« Tradwives » : elles lavent leur linge sale en public

Thelma Susbielle

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation. « Être une épouse traditionnelle est un piège ». Enitza, alias @emergingmotherhood sur Instagram, a embrassé le mode de vie tradwife il y a une (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) / ,

Texte intégral 692 mots

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation.

« Être une épouse traditionnelle est un piège ». Enitza, alias @emergingmotherhood sur Instagram, a embrassé le mode de vie tradwife il y a une décennie. Cette mère de quatre enfants raconte ses difficultés et a lancé un podcast afin d'aider d'autres femmes à sortir de relations d'emprise ou de mariage traditionnel. Et elle n'est pas la seule.

Ces dernières années, le mouvement tradwife, venu des États-Unis a déferlé sur les réseaux sociaux. La recette du succès ? Des vidéos à l'esthétique léchée, vantant un quotidien digne d'une pub des années 1950 : après une journée passée à gérer enfants, ménage et cuisine, les épouses se montrent dans des robes impeccables, prêtes à accueillir leur mari avec le sourire. Cet imaginaire, tout droit sorti de l'univers réactionnaire et conservateur de l'extrême droite, promet aux femmes une vie plus douce et simple que celle offerte par le capitalisme libéral. Sur Instagram ou TikTok, les plus connues s'appellent @EstéecWilliams, @Ballerinafarm ou @naraaziza. Mais derrière cette vie « de rêve » se cachent d'autres réalités : précarité, isolement, emprise, violences conjugales… Depuis quelques mois, d'ex-tradwives déconstruisent le vernis pastel de leurs anciennes consœurs et exposent l'envers du décor.

Car après une séparation, beaucoup se retrouvent sans diplôme ni expérience professionnelle, avec plusieurs enfants à charge. « Quand tu as été une tradwife pendant dix ans, que tu as un énorme trou dans ton CV et que tu deviens maman solo de quatre enfants…Tu n'as aucune idée par où commencer pour chercher un travail ! » résume Enitza sur son compte Instagram. Après dix ans passés sans carte bleue, sans amis, coupée du monde, la mère de famille a décidé de divorcer : « Une fois que vous aurez quitté votre mari colérique et dominateur, vous vous sentirez progressivement mieux à oublier à quoi ressemblait cette vie. »

Beaucoup de témoignages pointent les difficultés financières traversées après la séparation. À 25 ans, @Mickay_Mouse11 s'est retrouvée seule avec quatre enfants à élever, sans diplôme ni expérience : « Je n'avais rien ». Même parcours pour @joannadahlseidofficial : « J'ai été tradwife. Et j'ai aussi été sans domicile pendant un moment. Malgré ma formation, j'ai travaillé chez Starbucks pour 9 dollars de l'heure à 31 ans. »

Morale de l'histoire : la tradwife, loin d'être une alternative au capitalisme, n'est qu'un produit marketing de plus. Ménagère docile ou girlboss épuisée se révèlent être les deux facettes d'une même pièce : celle de l'exploitation patriarcale des femmes au service de la production.

Thelma Susbielle

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