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07.03.2025 à 00:30

En Bayrou libre

L'équipe de CQFD

Face au scandale des violences commises au collège Notre-Dame-de-Bétharram, on s'est demandé : mais que fait l'Éducation nationale ? Réponse : elle contrôle les établissements scolaires, mais surtout quand ils ont le mauvais goût d'être musulmans. Des années à bouffer à tous les râteliers en priant pour le trône et pile au moment où, miracle, du RN au PS, tous te mangent dans la main, bam ! Retour de karma. C'est pas juste ! Une véritable cabale politique orchestrée contre François Bayrou (…)

- CQFD n°239 (mars 2025) / ,

Texte intégral 695 mots

Face au scandale des violences commises au collège Notre-Dame-de-Bétharram, on s'est demandé : mais que fait l'Éducation nationale ? Réponse : elle contrôle les établissements scolaires, mais surtout quand ils ont le mauvais goût d'être musulmans.

Tommy

Des années à bouffer à tous les râteliers en priant pour le trône et pile au moment où, miracle, du RN au PS, tous te mangent dans la main, bam ! Retour de karma. C'est pas juste ! Une véritable cabale politique orchestrée contre François Bayrou par LFI et Mediapaaaart, pleurnichent éditocrates et toutologues de plateau. Et le Premier ministre de jurer « croix de bois croix de fer ! » qu'il ne savait pas. Sauf que si, il savait. Il savait pour le père Carricart, pour les sévices, pour la centaine d'agressions sexuelles perpétrées depuis les années 1950 au sein du collège-lycée Notre-Dame-de-Bétharram. Il savait, et il ne s'est pas contenté de se taire : il a défendu l'institution. « Élites pédophiles ! » hurleront les conspis frappés du ciboulot. Violences systémiques, silenciation et copinage catho-notables, répondrons-nous.

Car c'est ce qui frappe dans cette insupportable séquence : le silence, non pas de l'Église (cela ne surprend plus guère), mais de l'État lui-même. Quand en 1993, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques apprend que l'établissement est condamné, après qu'un jeune ait reçu une claque si brutale qu'il en perd l'audition. Quand en 1996, le parquet de Pau est alerté de violences sexuelles sur des élèves de sixième. Quand en 1998, 2000 et 2005, le ministère de la Justice est informé de quatre plaintes pour viols contre Carricart et des laïcs, on est en droit de se demander : mais bordel, que fait l'Éduc nat ?

Et on ose nous dire que l'islamophobie d'État n'existe pas ?

L'Éducation national, bien sûr qu'elle contrôle les établissements scolaires, mais surtout quand ils ont le mauvais goût d'être musulmans. À Lille, par exemple, le lycée Averroès (privé sous contrat) a pris cher parce qu'en 2019, le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand a lu un livre. Et qu'il est depuis persuadé que, grâce à un financement du Qatar perçu en 2014, l'établissement lillois promeut un islam politique en Europe. Il n'en faudra pas plus : suspension des financements de la Région, inspection puis, en 2023, rupture du contrat d'association avec l'État (la première depuis 30 ans !) Et peu importe si le rapport d'inspection remis à Xavier Bertrand en 2020, particulièrement positif, décrivait le lycée comme « le seul dans le paysage éducatif français, à allier une conception musulmane de l'éducation à l'enseignement des valeurs républicaines. » (sic !)

Et pour Bétharram alors ? Et pour le très élitaire lycée catho Stanislas dont le rapport d'inspection, accablant, pointe les « dérives dans l'application du contrat d'association », le climat sexiste et « propice aux risques d'homophobie » ? Ils passent entre les gouttes. Et on ose nous dire que l'islamophobie d'État n'existe pas ? Comment il disait, ce bon vieil Averroès (de son vrai nom Abou al-Walid ibn Rochd ; CNews en PLS), déjà ? Ah oui : « L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l'équation. »

07.03.2025 à 00:30

Déraciner le patriarcat

Sarah Andres

Sexisme ordinaire, matériel inadapté, entraves à l'installation : pour les agricultrices, les raisons de lutter ne manquent pas. Des problématiques mises en lumière le 5 février dernier dans un long article du jeune média féministe Lisbeth. Extraits. Selon le rapport statistique de la MSA (la Sécurité sociale agricole) paru en mars 2024, environ 118 841 femmes travaillaient dans l'agriculture en 2022, dont 103 854 cheffes et 14 987 collaboratrices d'exploitation. Sur les 500 000 (…)

- CQFD n°239 (mars 2025) /

Texte intégral 1769 mots

Sexisme ordinaire, matériel inadapté, entraves à l'installation : pour les agricultrices, les raisons de lutter ne manquent pas. Des problématiques mises en lumière le 5 février dernier dans un long article du jeune média féministe Lisbeth. Extraits.

Matthieu Ossana de Mendez

Selon le rapport statistique de la MSA (la Sécurité sociale agricole) paru en mars 2024, environ 118 841 femmes travaillaient dans l'agriculture en 2022, dont 103 854 cheffes et 14 987 collaboratrices d'exploitation. Sur les 500 000 agriculteur·ices en France, les femmes en représentent près du quart. Autre donnée importante : 29,5 % des exploitations et des entreprises agricoles sont aujourd'hui exploitées ou co-exploitées par au moins une femme. Ainsi, près d'une exploitation sur cinq est dirigée uniquement par des femmes. Dans les trois quarts des cas, il s'agit de petites ou très petites exploitations. Les filières dans lesquelles les femmes sont les plus représentées sont les élevages bovins et caprins, la viticulture et le maraîchage.

Si les femmes ont toujours travaillé aux champs, elles ont longtemps été cantonnées au travail domestique, considérées tout au plus comme les aides de leurs pères, époux, fils pour les semences ou l'élevage des bêtes. Aujourd'hui encore, malgré la conquête de nouveaux droits, le combat continue.

Le patriarcat, terreau fertile des inégalités

Comme dans toutes les sphères de la société, le monde agricole est traversé par le sexisme. Les discriminations de genre et les freins à l'installation des femmes dans l'agriculture sont encore nombreux, comme le démontre l'enquête menée par la Fédération des associations pour le développement de l'emploi agricole et rural (Fadear) en 2020, à laquelle 151 paysannes de toute la France ont participé.

« Le jour de mon accouchement, j'ai participé à la traite, sorti les vaches et fait le fromage »

Parmi les freins les plus cités, il y a ceux qui concernent l'utilisation du service de remplacement lors d'un congé maternité. Difficile de trouver une personne compétente, de confiance, qui saura s'adapter aux spécificités de la ferme, difficile aussi d'avoir accès au service de remplacement. Ainsi, l'une des répondantes témoigne : « Comment voulez-vous remplacer sur un claquement de doigts quelqu'un qui gère les fabrications et la commercialisation, et qui participe activement au reste ? Le jour de mon accouchement, j'ai participé à la traite, sorti les vaches et fait le fromage (en binôme). Ensuite, accouchement par césarienne, donc une semaine d'absence, drôle de semaine à la ferme… »

En plus d'être des femmes, celles qui portent des projets plus alternatifs au modèle conventionnel (être en bio, faire de la production minoritaire, des plantes médicinales…) pointent du doigt l'accueil mitigé qui leur a été réservé au sein de la profession. Une autre raconte : « Certains sont surpris de me voir dans un tracteur ou m'occuper des animaux et pensent que mon rôle se limite à la vente directe et à faire des papiers. »

Pour mettre un bon coup de pelle dans le terreau du patriarcat, les paysannes s'organisent, par exemple au sein d'un syndicat comme la Confédération paysanne, qui possède une commission femmes. Nina Lejeune s'y investit beaucoup : « On travaille sur beaucoup de sujets environnementaux ou liés à l'alimentation. On ne porte pas seulement un projet pour les agriculteurs, mais un projet global et internationaliste. C'est par ce biais que je me suis dit que ma vie pouvait avoir un sens. » Dans le Finistère, Solène Chédemail raconte : « C'est parti d'une demande de la Conf 29, car ils galèrent à recruter des nanas dans le syndicat. Ça m'a vachement motivée, et j'étais une des initiatrices ! Je suis rentrée au comité départemental, en tant que représentante du groupe paysannes. »

Il faut dire que dans ce milieu professionnel, la place des femmes est loin d'être acquise. « Comme je suis associée avec Kévin, qui a démarré l'activité seul avant moi, les gens ont mis du temps à comprendre que je n'étais pas une stagiaire. » Elle en est convaincue : si elle était un homme, les gens ne seraient pas aussi enclins à l'erreur. D'ailleurs, dans son périmètre, deux agriculteurs se sont associés ensemble, sans rencontrer le même problème. « Tout le monde les considère comme égaux, partenaires, alors que moi, même après deux ans, ça ne se passe pas du tout comme ça ! » Elle liste d'autres expériences sexistes, liées notamment au travail mécanique. Comme ce jour où elle et son associé se rendent dans un magasin pour réaliser l'entretien du motoculteur. « Le vendeur ne s'adressait qu'à Kévin, alors que c'est moi qui réalise l'entretien et les réparations mécaniques ! Je lui posais des questions, citait du vocabulaire technique, et le vendeur répondait en fixant Kévin ! Sauf que lui ne comprenait rien, car ce n'est pas son domaine. »

Prouver sa légitimité jusqu'à l'épuisement

Ces expériences, Nina les rencontre aussi : « Quand je vais dans des magasins de bricolage, que je fais des devis, je m'oblige à prendre plein d'informations avant d'appeler, parce que je ne veux pas me faire avoir… Je sais que je ne le ferais pas si j'étais un homme, car je ne me poserais pas la question de savoir si le gars me la ferait à l'envers ou pas. » Elle raconte se rendre dans les magasins de bricolage avec des vêtements dégueu' « pour bien montrer que je bosse manuellement » ou encore refuser systématiquement les propositions d'aide pour charger du matériel dans sa voiture « parce que j'ai besoin de montrer que je peux le faire. J'ai le sentiment que je dois le prouver, tout le temps. »

« Je me permets moins de me plaindre de la fatigue ou que c'est trop lourd... »

Autre exemple, celui du matériel agricole, qui est conçu pour les hommes. « Souvent, nous sommes plus petites et on pèse moins lourd. » Nina cite le cas d'une collègue qui a eu un souci de tracteur pendant longtemps, avant d'en comprendre l'origine : celui-ci était muni d'une sécurité, et s'arrêtait dès qu'il ne sentait plus de poids sur le siège. « Ma collègue pèse 45 kg et est toute petite ! Quand elle appuie sur l'embrayage, elle doit se lever un peu pour atteindre la pédale, donc le tracteur s'arrêtait à chaque fois. » « Beaucoup de femmes agricultrices font des descentes d'organes, poursuit-elle, On a cette envie de prouver qu'on peut le faire. Tellement, qu'on se pète la santé. Oui, on peut le faire, mais différemment. Pour moi, le poids du patriarcat dans mon travail, il est là. Je me permets moins de me plaindre de la fatigue ou que c'est trop lourd… J'ai le sentiment de devoir prouver ma légitimité en permanence. »

Continuer la lutte pour les futures générations

Solène explique que les luttes de la commission femmes de la Confédération paysanne se concentrent sur la défense des droits des paysannes et des droits sociaux. « On fait en sorte que toutes les femmes qui travaillent sur les fermes aient un statut, des droits aux congés maternité qui soient mieux appliqués. Il y a tout un volet sur la question des violences sexistes et sexuelles et des comportements qui ne sont pas tolérés dans notre syndicat. On forme les gens pour prévenir ces violences au sein de nos syndicats, mais aussi dans les fermes. On réfléchit à comment accompagner les meufs victimes de violences… »

La militante constate que de plus en plus de femmes commencent à les contacter, par exemple dans le cadre d'une séparation. « Les agricultrices qui ont des sous-statuts et qui sont davantage considérées comme des femmes d'agriculteurs n'ont souvent pas leur nom sur les bails et perdent tout au moment de la séparation. On doit donc réfléchir à des outils pour mieux les accompagner. Ça passe aussi par encourager les femmes à s'investir à la Confédération paysanne, à prendre des mandats dans les lieux de pouvoir où il n'y a que des mecs. Notre syndicat essaye d'avoir une réflexion là-dessus, en adaptant les horaires des réunions pour les femmes qui gèrent des enfants, par exemple. »

De manière générale, les milieux militants restent pourtant investis par des personnes au fort capital culturel et/ou qui ont eu la possibilité de faire des études, et le milieu agricole ne semble pas y déroger. Solène acquiesce : « Le mouvement altermondialiste international de la Via Campesina est intéressant pour cela, entre autres, car ces femmes viennent d'un milieu rural et pauvre, la majorité n'ont pas fait d'études, mais toutes ont des discours très féministes. » En janvier 2025, elle a fait partie des paysannes françaises à prendre part à un échange avec des paysannes brésiliennes, autour de l'agro-écologie.

Nina conclut : « Les agricultrices des générations précédentes ont mené un putain de combat pour nous tracer le chemin. Nous sommes les dépositaires d'un héritage qui est solide et qui nous donne envie de continuer la lutte ! »

Sarah Andres (Lisbeth Media)

L'article original a été publié sur lisbethmedia.com

07.03.2025 à 00:30

Grève Against the Fascism

Étienne Jallot

Le 25 janvier dernier, une journée de mobilisation contre l'extrême droite était organisée par la Coordination féministe dans une vingtaine de villes. L'objectif ? Massifier le mouvement et créer des alliances en vue d'une grève féministe capable de faire plier les fachos. Reportage depuis Marseille. « La grève féministe, c'est combattre en même temps le capitalisme et le patriarcat ! », s'exclame une militante lors d'un événement organisé à la Dar, centre social autogéré à Marseille, par (…)

- CQFD n°238 (février 2025) /

Texte intégral 2020 mots

Le 25 janvier dernier, une journée de mobilisation contre l'extrême droite était organisée par la Coordination féministe dans une vingtaine de villes. L'objectif ? Massifier le mouvement et créer des alliances en vue d'une grève féministe capable de faire plier les fachos. Reportage depuis Marseille.

Elena Vieillard

« La grève féministe, c'est combattre en même temps le capitalisme et le patriarcat ! », s'exclame une militante lors d'un événement organisé à la Dar, centre social autogéré à Marseille, par la Coordination féministe (regroupement de collectifs qui cherche à coordonner les mouvements féministes sur le territoire) le 25 janvier dernier. Le même jour, dans près d'une vingtaine de villes, des rencontres et actions étaient organisées par la Coordination contre l'extrême droite.

Alors que cette dernière monte dans les urnes et que son vocabulaire s'impose sur les plateaux télé, la Coordination féministe cherche à massifier le mouvement contre l'extrême droite, non sans se heurter à la difficulté des alliances...

Une grève contre l'extrême droite

« La Coordination féministe, c'est un collectif qui rameute d'autres collectifs pour lutter contre l'isolement local ! », raconte Val, membre de de Noustoutes35 (Ille-et-Vilaine). Depuis 2022, elle est investie dans la Coordination féministe et milite à Rennes. « Les femmes et minorités de genre sont en première ligne au foyer comme au travail, il fallait qu'on s'organise ! »

Lentement mais sûrement, le mouvement se construit. L'enjeu est de coordonner à l'échelle nationale les différents groupes féministes implantés localement comme Féministes révolutionnaires, OST (Organisation des solidarités trans) ou Noustoustes. S'il y a parfois des divergences stratégiques, comme l'attitude à adopter vis-à-vis des médias, une vingtaine de collectifs ont déjà rejoint la Coordination, dont Noustoutes 974 (Réunion), le dernier arrivé.

Elena, membre de Marseille 8 mars (M8M) est de la partie depuis le début. Elle rappelle les grandes lignes sur lesquelles s'est construit le mouvement : « radical, anticapitaliste, pro-droits des personnes trans et pour l'autodétermination des travailleur·ses du sexe, contre l'antisémitisme et l'islamophobie ». Son pilier stratégique ? La grève féministe. « À la Coordination, c'est notre stratégie centrale : massifier et pousser à la grève féministe, c'est-à-dire la grève du secteur productif comme reproductif, travail du sexe, travail domestique... », précise Eno, aussi membre de M8M et active dans la Coordination depuis deux ans. « Cela permet de combattre l'exploitation des femmes au travail comme au foyer ! »

En se focalisant sur l'islam comme responsable des violences de genres, le fémonationalisme abandonne la critique du patriarcat en général.

En 2023, sentant l'air virer au brun, la « Coordo » décide d'orienter sa lutte pour l'année 2024 spécifiquement contre l'extrême droite. « S'il y a déjà une attaque évidente contre les femmes et minorités de genre aujourd'hui, avec l'extrême droite au pouvoir, ce sera une accélération », pointe Elena. Une crainte confirmée ailleurs, comme aux États-Unis, où le fascisme florissant remet en cause les droits des personnes LGBTQ+ et le droit à l'avortement.

L'extrême droite, c'est aussi la célébration de la famille hétéro, qui assigne encore davantage les femmes au foyer. Or, comme l'explique Laura, membre de Noustoustes31 (Haute-Garonne) et de la Coordination, « en cherchant à assigner les femmes à un rôle reproductif, elle augmente la charge de travail non payée ». « Cela va totalement à l'encontre de la libre disposition des corps pour laquelle nous nous battons », ajoute Phi, également membre de Noustoustes31.

La récupération « fémonationaliste » inquiète tout autant. Inventé par la sociologue Sara R. Farris, ce concept désigne l'instrumentalisation des luttes féministes à des fins racistes et xénophobes. En se focalisant sur l'islam comme responsable des violences de genres, cette idéologie abandonne la critique du patriarcat en général. « Aujourd'hui, les mouvements fémonationalistes comme Némésis trouvent toujours plus d'écho, s'inquiète Eno. À Marseille, ils ont monté un groupe, et les fafs leur prêtent des locaux. » À Toulouse, Laura raconte la venue d'Alice Cordier, cheffe de file de Némésis récemment plébiscitée par Bruno Retailleau, le 23 janvier dernier : « On a fait un contre-rassemblement et plusieurs personnes ont tagué les locaux où devait avoir lieu la réunion. La mairie a fini par céder et annuler. »1.

Comment s'allier ?

Aux violences de l'extrême droite contre les minorités de genre s'ajoutent bien sûr celles contre les personnes racisé·es. Mais comment combattre ces violences quand iels sont si peu présentes au sein des mouvements féministes ? À la Coordo, même constat : beaucoup de blanc·hes, peu de personnes racisées. « On ne parvient pas à faire en sorte qu'iels fassent de la politique avec nous, admet Val. C'est d'abord à nous de les rejoindre dans leur lutte, puis qu'on s'organise ensemble. »

« Concrètement, l'extrême droite est déjà là, avec son lot d'exclusion et de déshumanisation. Moi qui porte le voile, je ne peux pas aller à la plage ou la piscine sans me faire emmerder. »

C'est notamment ce qui a été fait pendant la réforme des retraites ou des membres de la Coordination à Rennes ont fait du lien avec des collectifs en banlieue. « En 2022, on a commencé à travailler avec Lallab, un collectif de personnes racisées. Et on s'est beaucoup mobilisé contre les violences policières après l'assassinat de Nahel », explique Elena. Pour Phi, de Toulouse, « l'important est de devenir antiraciste en actes et pas simplement en paroles. Pour le 25 janvier, on a invité des collectifs de personnes concerné·es à venir s'exprimer. »

À Marseille, un plateau radio est monté par Radio Galère2 autour de la lutte contre l'extrême droite, composé de collectifs antiracistes et racisé·es. « Lutter contre l'extrême droite, c'est pas un choix, c'est une question de survie, explique au micro une militante. Concrètement, elle est déjà là, avec son lot d'exclusion et de déshumanisation. Moi qui porte le voile, je ne peux pas aller à la plage ou la piscine sans me faire emmerder. » Une militante afrofem avertit : « À trop agiter l'épouvantail du RN, on risque de décentrer la lutte contre le racisme, déjà présent partout au quotidien. »

Sur le plateau de Radio Galère, les militant·es antiracistes adressent des critiques aux féministes et à la gauche blanche en général : « Pour moi, il y a un processus de silenciation du racisme dans ces milieux. Il faut que les personnes alliées fassent du chemin et rejoignent activement les luttes qui nous concernent. » Iels ont aussi exprimé une certaine fatigue : « On est minoritaires et on ne maîtrise pas les codes. Du coup on va préférer militer entre nous, mais le problème c'est qu'on manque d'espaces et de moyens ! » Dans un article récent publié dans La Déferlante où elle discute des alliances entre personnes blanches et racisé·es, la militante antiraciste Fatima Ouassak imaginait « un système de cotisation […] pour se donner les moyens financiers de s'auto-organiser, notamment dans les territoires marginalisés. L'inclusivité, ça doit être d'abord de redistribuer l'argent aux féministes de classes populaires »3. Le risque d'après elleux, c'est « de ne plus se reconnaître dans le féminisme ni dans la grève féministe... »

Vers la grève féministe

À Marseille, la journée de rencontres se finit avec un atelier sur la grève féministe, pour comprendre, malgré tout, l'intérêt stratégique et les perspectives rassembleuses qu'elle offre. En Amérique latine, elle a porté ses fruits. En Espagne, suite à une affaire de viol en réunion, la grève féministe a mobilisé des millions de personnes en 2018 et 2019, et a permis l'inculpation des violeurs et un renforcement de la législation contre le viol4.

Si en France, elle peine à s'imposer, « depuis quelques années, les syndicats CGT, FSU et Solidaires déposent la grève féministe pour le 8 mars, et ont été rejoints depuis 2024 par la CFDT » explique l'intervenante. « Mais comment massifier la grève féministe au-delà d'une journée événement ? » se demandent les membres de l'atelier. « D'autant qu'on n'est pas tous·tes égaux devant la grève. Les femmes, qui y ont le plus intérêt, sont d'ailleurs davantage en CDD, en contrat précaire... » rappelle une militante. Sur le volet « reproductif », d'autres se questionnent : « Pourquoi arrêter le travail de soin alors qu'il nous tient unies ? Et si je suis lesbienne, est-ce du travail reproductif ? » Malgré ces nombreux obstacles, Eno reste optimiste et espère que la grève féministe pourra devenir plus fréquente, « et pourquoi pas une grève féministe générale ? »

Étienne Jallot

1 Dans un article récent, StreetPress révèle que le maire leur avait finalement trouvé une solution de repli.

2 Radio copine de CQFD. Voir « Des pépettes pour Radio Galère », CQFD, n°233 (septembre 2024).

3 « Nous sommes les oiseaux de la riposte qui s'annonce », La Déferlante, n°15 (août 2024).

4 Lire « Grèves féministes : arrêtons tout ! » La Déferlante, n°17 (février 2024).

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