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09.03.2025 à 14:44

L’armée ukrainienne s’apprête-t-elle à se retirer de l’oblast de Koursk ?

Marin Saillofest

Plus de huit mois après avoir lancé une incursion en territoire russe, l’armée ukrainienne est aujourd’hui en mauvaise posture à Koursk et semble sur le point de se retirer au moins partiellement, alors que plusieurs milliers de ses troupes risquent l’encerclement. L’abandon de ces positions nuirait considérablement à Kiev dans la perspective de l'ouverture prochaine de négociations de cessez-le-feu.

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Texte intégral 751 mots

Les forces russes, épaulées par plusieurs milliers de combattants nord-coréens, ont considérablement intensifié leurs opérations visant à repousser l’armée ukrainienne de l’oblast frontalier de Koursk au cours du week-end. Dimanche 9 mars, le ministère russe de la Défense a annoncé la capture du village de Lebedevka, situé à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Soudja 1.

Selon plusieurs témoignages de combattants de Kiev déployés sur le territoire russe, une partie importante de la logistique ukrainienne à Koursk aurait été détruite au cours des derniers jours 2.

  • Les contre-attaques russes ont conduit à la destruction au sud de Soudja, le principal centre urbain dans la zone tenue par Kiev (5 000 habitants avant la guerre), de ponts utilisés par les forces ukrainiennes pour leurs approvisionnements.
  • Dans le même temps, Moscou a intensifié ses attaques frontalières dans l’oblast ukrainien de Soumy autour des villages de Zhuravka et de Novenke, à l’ouest de Soudja. 
  • Plusieurs rapports indiquent que l’armée russe a été en mesure de couper en deux la poche ukrainienne à Koursk depuis jeudi dernier, et menace désormais d’encerclement plusieurs milliers de combattants ukrainiens.

Selon des informations obtenues par le Telegraph, la situation serait si critique que l’état-major ukrainien serait en train d’étudier la faisabilité d’un éventuel retrait des forces de Kiev de la région russe de Koursk 3. Ces derniers mois, Kiev a été contraint de céder du terrain dans ce secteur du front mais a su conserver des lignes d’approvisionnements qui se retrouvent aujourd’hui menacées par l’intensification de la contre-offensive russe.

Un retrait ukrainien de Koursk conduirait à affaiblir la position de l’Ukraine dans les futures négociations de cessez-le-feu qui pourraient s’ouvrir prochainement.

  • Volodymyr Zelensky se rendra demain, lundi 10 mars, en Arabie saoudite où il doit s’entretenir avec le prince héritier Mohammed ben Salmane ainsi qu’avec les négociateurs de l’administration Trump envoyés deux semaines plus tôt à Riyad pour un premier cycle de discussions avec des représentants russes.
  • L’occupation par les forces ukrainiennes d’une portion du territoire russe vise à servir un objectif double : disposer d’une monnaie d’échange dans le cadre de futures négociations de cessez-le-feu et contraindre l’état-major russe à renforcer ses défenses en Russie, allégeant ainsi la pression qui pèse sur le front en Ukraine.

La percée russe à Koursk intervient alors que les États-Unis ont mis fin à l’assistance militaire directe (armes et munitions) et indirecte (partage de renseignement, accès aux images satellites américaines) à l’Ukraine ces derniers jours. 

Sources
  1. Ukraine loses ground in Kursk as US cuts off support », Financial Times, 9 mars 2025.
  2. Ukrainian troops’ logistics in Kursk Oblast destroyed, face risk of encirclement, sources say », The Kyiv Independent, 7 mars 2025.
  3. 10,000 Ukrainian troops at risk of encirclement », The Telegraph, 7 mars 2025.

09.03.2025 à 13:03

Un plan pour l’Allemagne : texte intégral de l’accord de principe pour la future coalition

Matheo Malik

Sondierungspapier.

Le document exploratoire des partis qui formeront la prochaine coalition au pouvoir est sorti hier en Allemagne. Résultat des discussions entre la CDU/CSU et le SPD, cet accord illustre le tournant que veut imposer Merz dans un moment historique pour le pays mais contient déjà les principaux points de tension qui attendent le prochain gouvernement.

Pour comprendre où va l’Allemagne, il faut l’étudier de près.

Nous le traduisons pour la première fois en français et le commentons ligne à ligne.

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Texte intégral 7304 mots

Les dirigeants de l’Union CDU/CSU et du Parti social-démocrate (SPD) ont présenté ce samedi 8 mars les grandes lignes de leur futur programme de gouvernement. Ce document, intitulé Sondierungspapier, conclut la première phase de discussions préliminaires en vue de la formation d’un accord de coalition. Avec moins de deux semaines depuis l’élection du 23 février 2025, ce « pré-accord » a été élaboré à un rythme soutenu.

En septembre 2021, les discussions préliminaires avaient pris trois semaines et s’étaient conclues par un document ambitieux qui marquait la volonté des trois partis (SPD, Bündnis 90/Die Grünen, FDP) d’incarner le progrès.

L’ambiance et la structure des négociations diffèrent nettement par rapport à l’esprit qui régnait en 2021. À l’époque, la fin de l’ère Merkel et la victoire inattendue du SPD d’Olaf Scholz promettaient un renouveau politique en Allemagne, sans oublier le léger recul du résultat de l’AfD qui pouvait laisser espérer un reflux plus durable de la droite populisme. Aujourd’hui, la situation économique de l’Allemagne s’est dégradée après deux années de récession, le cadre international qui a garanti au pays sa stabilité est menacé par l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine commencée en février 2022, et le populisme a connu une progression spectaculaire. En outre, les groupes parlementaires engagés dans la future coalition « noire-rouge » sont deux au lieu de trois — la CDU et la CSU siègent ensemble au Bundestag —, et ont surtout l’habitude de gouverner ensemble. Depuis vingt ans, l’Allemagne a passé douze ans dans cette configuration gouvernementale. À la suite du vote du 23 février dernier, cette « GroKo » se trouve dans une situation paradoxale comme l’explique Jean-Yves Dormagen : elle gouvernera — mais son assise électorale est plus fragile que jamais.

Le document préliminaire de 2025 est nettement plus bref que son prédécesseur sur certains thèmes, comme la transition écologique ou la politique internationale, malgré le contexte international et climatique préoccupant. Cependant le thème de l’immigration fait son entrée en force par rapport à 2021. Il constitue à lui seul l’un des cinq titres qui composent le document. Le texte marque un tournant plus libéral et conservateur sur les questions économiques et sociales. Comme le disait le chancelier SPD Schröder à l’attention de son partenaire de coalition Joschka Fischer (Die Grünen) en 1998 : « le plus grand parti est le chef cuisinier, le plus petit est le serveur » (Der Größere ist der Koch, der Kleinere der Kellner). Malgré tout, le SPD a pu imposer quelques thèmes comme un plan d’emprunt et d’investissement massif pour l’infrastructure ou l’augmentation du salaire minimum à 15 euros d’ici à 2026.

Les équipes de négociation élargies vont désormais se mettre en place pour rédiger le document final de l’accord qui sera plus ample et détaillé. À l’automne 2021, l’accord de la coalition en feu tricolore atteignait les 177 pages.

L’Allemagne fait face à des défis historiques. La situation économique est tendue, les développements politiques mondiaux nous mettent au défi, des investissements massifs sont nécessaires pour améliorer le quotidien des habitants de ce pays. Notre exigence est claire : l’Allemagne a besoin de stabilité et de renouveau — pour un avenir sûr, pour la force économique et pour la cohésion sociale. 

Dans une période d’incertitude croissante en Europe et dans le monde, nous prenons nos responsabilités. La protection de la liberté et de la paix, le maintien de notre prospérité et la modernisation de notre pays ne tolèrent aucun retard. Notre but est de renforcer la capacité de défense intérieure et extérieure de l’Allemagne, d’investir massivement dans notre infrastructure et de poser les bases d’une croissance durable et soutenue. Nous voulons prendre nos responsabilités en Europe, et renforcer ensemble avec nos partenaires la capacité de défense et la compétitivité de l’Europe. Une chose est claire : L’Allemagne reste aux côtés de l’Ukraine. La fondation d’un gouvernement stable est un financement solide. C’est pourquoi nous nous sommes mis d’accord pour donner la priorité aux questions centrales d’investissement et de financement. Avec un fonds spécial de 500 milliards d’euro, nous remettons notre pays en forme et investissons dans les routes, les rails, l’éducation, la numérisation, l’énergie et la santé. En même temps, nous garantissons la capacité de défense de l’Allemagne et de l’Europe avec des moyens supplémentaires, car la protection de notre liberté est indispensable. Une chose est claire : nous voulons continuer à soutenir l’Ukraine. Nous sommes unis par la volonté de recréer de la confiance. Nous voulons consolider la cohésion sociale, en soulageant les familles, en renforçant la sécurité sociale et en reconnaissant les efforts de la classe moyenne qui travaille dur. Nous améliorer et simplifier la vie des habitants de ce pays. 

Trente-cinq ans après la réunification, nous voyons les nombreux succès réalisés en commun et nous continuerons à investir dans le renforcement économique des Länder de l’Est. Nous voulons rendre notre État à nouveau performant à travers une modernisation fondamentale, des efforts de réforme, une réduction importante de la bureaucratie et à travers la numérisation. Nous œuvrons pour une économie forte et compétitive, portée par des salariés bien formés et justement rémunérés. Nous voulons à la fois rester un pays ouvert au monde et réduire l’immigration irrégulière. Nous voulons réduire la polarisation, mettre fin à la surcharge de notre infrastructure publique par l’immigration irrégulière et ainsi renforcer durablement la cohésion dans notre pays.

La référence à la réunification et à ses succès ne laisse guère de place à l’auto-critique : parmi les chefs des partis réunis lors de la conférence de presse à Berlin, aucun n’est originaire des Länder de l’Est. La mention de la numérisation et d’une réduction de la bureaucratie étaient déjà des arguments importants en 2021.

Le résultat de nos consultations préliminaires est un premier pas important. Nous savons que de nombreuses tâches nous attendent encore. Mais nous sommes décidés à les affronter ensemble — avec responsabilité, solidarité et l’objectif clair de moderniser l’Allemagne et de la renforcer pour l’avenir. Nous voulons renforcer et protéger notre démocratie.

Les discussions préliminaires ont été marquées par une responsabilité et une confiance mutuelle. Sur cette base et à partir du résultat de ces discussions, nous pouvons conclure un accord de coalition ambitieux et solide. Nous avons conscience que nous ne pouvons pas prédire tous les défis à venir. Une coopération en confiance marquée par un respect réciproque sera donc notre base pour une bonne action gouvernementale à l’avenir. 

Nous souhaitons mentionner les résultats suivants  : 

I. Financement

La CDU, la CSU et le SPD s’engagent à appliquer les mesures suivantes avant la constitution du 21e Bundestag :

1. Les dépenses de défense seront comptabilisées à hauteur de 1 % du PIB pour le calcul du frein à l’endettement contenu dans la loi fondamentale. Au-delà, les dépenses pour la défense ne seront pas prises en compte dans le calcul du frein à l’endettement.

2. Un fonds spécial pour l’infrastructure est créé à destination de l’État fédéral, des Länder et des communes, doté d’un volume de 500 milliards d’euros pour une durée de dix ans. Ce fonds spécial doit servir à des investissements dans les infrastructures. Cela comprend la protection civile et de la population, l’infrastructure de transport, les investissements dans les hôpitaux, l’infrastructure énergétique, dans l’infrastructure d’éducation, de soins, et les installations scientifiques, dans la recherche et développement et dans la numérisation. 100 milliards sont à disposition des communes dans les domaines nommés ci-dessus.

3. Le frein à la dette est par conséquent formulé de telle sorte que les Länder peuvent désormais s’endetter annuellement à hauteur de 0,35 % du PIB.

4. Les moyens du fonds spécial pour la Bundeswehr doivent être utilisés rapidement. C’est pourquoi durant les six premiers mois après la formation du gouvernement, la CDU/CSU et le SPD établiront une loi de programmation militaire et d’équipement, ainsi qu’une liste des matériels militaires à acquérir en priorité, pour renforcer rapidement et efficacement le dispositif de défense de notre pays. La liste est développée en accord étroit avec le ministère fédéral de la défense. 

5. Les lois ordinaires relatives aux points 1, 2 et 3 seront adoptées au début de la 21e législature. 

6. Une commission d’experts sera mise en place pour faire des propositions en vue d’une réforme durable du frein à l’endettement qui permette durablement des investissements supplémentaires dans le renforcement de notre pays. Sur cette base, nous souhaitons achever le processus législatif fin 2025.

7. Nous engagerons des économies dans le cadre des discussions budgétaires. En outre, nous passerons à une gestion budgétaire orientée par des objectifs et des résultats.

8. Avec un pacte d’avenir de l’État fédéral, des Länder et des communes, nous renforcerons la capacité d’action financière et procéderons à un examen critique complet des tâches et des coûts.

L’énumération des innovations budgétaires placée en tête du document reprend l’essentiel des annonces faites le mardi 4 mars par les chefs des partis. L’approbation des Verts est cependant nécessaire pour adopter à la majorité des deux tiers les réformes constitutionnelles modifiant le frein à l’endettement et ajoutant un fonds spécial supplémentaire à celui déjà en place depuis 2022 pour les forces armées allemandes. Le co-président des Verts Felix Banaszak a cependant déclaré sur X samedi soir : « Tout ce que la CDU/CSU et le SPD veulent financer comme cadeaux électoraux — la retraite pour les mères, le diesel agricole, l’allocation forfaitaire pour les transports du quotidien — est soumis à l’approbation des Verts pour leurs plans d’endettement. Cette présentation nous éloigne encore plus d’un accord aujourd’hui. » Bündnis 90/Die Grünen se trouve dans une situation politique inédite en Allemagne de soutien sans participation à un gouvernement non encore formé, et semble vouloir façonner indirectement le résultat d’une coalition dont il ne fera pas partie.

II. Économie

Nous rendrons à l’Allemagne sa compétitivité comme site de production — avec de la confiance, de la détermination et de la prévisibilité. Notre objectif est de faire en sorte que la croissance potentielle en Allemagne dépasse à nouveau nettement 1 %. Nous encourageons les investissements et les innovations pour une croissance durable, une nouvelle prospérité et des emplois. Nous soutenons les PME et l’artisanat. Nous voulons que l’Allemagne reste un pays industriel fort et que le travail soit récompensé. C’est pourquoi nous mettrons en œuvre, entre autres, les mesures suivantes :

  • Des prix de l’énergie et de l’électricité compétitifs : pour un allègement d’au moins cinq centimes par kWh, nous voulons dans premier temps baisser la taxe sur l’électricité pour tous au minimum européen, et diviser par deux les redevances pour le réseau électrique. Le but est un plafonnement durable des redevances de réseau. Nous souhaitons un élargissement des règles de compensation du prix de l’électricité à d’autres branches grandes consommatrices d’énergie et nous voulons prolonger la compensation. Nous poursuivons le renforcement du réseau, de manière ciblée, rapide et économe. Nous visons des prix de l’énergie durablement bas, prévisibles et compétitifs sur le plan international.

Le futur gouvernement propose une baisse par différents leviers des prix de l’électricité en Allemagne, qui sont parmi les plus élevés d’Europe. Pour éviter les effets contre-productifs de la hausse des prix des droits d’émission de CO2 comme la délocalisation de l’industrie du continent, l’Union donne depuis 2013 la possibilité aux États membres de rembourser une partie de ces coûts indirects aux entreprises de secteurs sélectionnés selon des critères stricts. La coalition à venir veut en faire bénéficier une partie plus large du secteur industriel.

  • Augmenter l’offre énergétique : une hausse de l’offre contribue à la réduction des prix de l’électricité. C’est pourquoi, à l’avenir, les centrales de réserve ne devront plus servir seulement pour résoudre des tensions d’approvisionnement, mais aussi pour stabiliser les prix de l’électricité. Nous voulons inciter à la construction de centrales à gaz pour 20 GW de capacité supplémentaire dans le cadre d’une stratégie pour les centrales à gaz à remanier rapidement. Nous voulons exploiter tout le potentiel des énergies renouvelables. Cela signifie, outre le développement déterminé et utile au réseau de l’énergie solaire et éolienne, entre autres le renforcement des capacités de la biomasse, de l’hydroélectrique, de la géothermie ainsi que des capacités de stockage.

Évoquée par le programme de la CDU/CSU, la mise à l’étude d’une potentielle remise en service des centrales nucléaires allemandes dont les trois dernières ont été déconnectées du réseau en avril 2023, n’est apparemment plus à l’ordre du jour. Le futur gouvernement mentionne surtout les centrales à gaz dont il prévoit d’encourager le développement et reste assez général sur le développement des énergies renouvelables. 

Le concept de tournant énergétique (Energiewende) n’est pas mentionné, mais ce programme s’inspire des mesures mises en place par Robert Habeck en tant que ministre de l’Économie et de l’Énergie du gouvernement sortant, comme la mise en service de nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié. 

  • Atteindre la neutralité carbone pour l’industrie à forte consommation d’énergie : nous déciderons immédiatement après le début de la nouvelle législature d’un paquet législatif, qui permette le captage et le stockage du dioxyde de carbone (CSC), en particulier pour les émissions difficilement évitables du secteur industriel. Le réseau de base de transport d’hydrogène doit relier les centres industriels de toute l’Allemagne, y compris ceux du sud et de l’est du pays. 
  • Marchés pilotes pour les produits neutres pour le climat : nous voulons créer des marchés pilotes pour les produits climatiquement neutres en tant qu’instrument adapté au marché, par exemple par le biais de quotas pour l’acier climatiquement neutre, d’un quota de gaz vert ou de prescriptions en matière de droit des marchés publics.
  • Engagement en faveur des objectifs climatiques : nous soutenons les objectifs climatiques allemands et européens, en reconnaissant que le réchauffement planétaire est un problème global et que la communauté internationale doit le résoudre de manière commune. Nous travaillons de manière décidée à remplir ces objectifs. Nous voulons combiner la protection du climat, l’équilibre social et la croissance économique de manière pragmatique et non bureaucratique. 
  • Renforcer les industries stratégiques : il est dans notre intérêt de conserver ou d’installer en Allemagne des branches stratégiques, comme l’industrie des semi-conducteurs, la production de batteries, d’hydrogène ou encore de produits pharmaceutiques. Le travail en cluster entre autres dans les Länder de l’Est pour les semi-conducteurs peut être un bon exemple pour cela. Nous utilisons pour cela les possibilités du European Chips Act et des projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC).

Le European Chips Act (ECA), adopté en septembre 2023, est un paquet législatif visant à encourager la production de semi-conducteurs dans l’Union européenne. Il a notamment soutenu financièrement une usine du producteur franco-italien STMicroelectronics et bénéficierait également à des entreprises du cluster de la Silicon Saxony, situé autour de la ville de Dresde, comme Infineon.

  • Conserver l’industrie automobile comme industrie phare : nous soutenons clairement l’industrie automobile allemande et ses emplois. Nous misons pour cela sur l’ouverture technologique. Nous voulons nous engager activement pour repousser les amendes liées au dépassement des émissions de CO2 par le parc automobile. En même temps, nous voulons soutenir la mobilité électrique par des incitations à l’achat de véhicules. Nous soutenons aussi les sous-traitants pour faire face à la transformation.

Les pénalités visant les constructeurs automobiles de l’Union à partir de 2025 en cas de dépassement des valeurs limites de CO2 pour leur flotte sont l’objet de controverses importantes en Allemagne, notamment dans les Länder de Bavière, de Basse-Saxe et de Bade-Württemberg qui accueillent la majorité de la production automobile allemande. La future coalition fédérale souhaite elle aussi les éviter, sans qu’il soit clair comment elle souhaite s’y prendre.

  • Encourager les investissements : nous mettrons en place immédiatement après notre entrée en fonctions des incitations sensibles pour des investissements entrepreneuriaux en Allemagne. Nous engagerons pendant la période législative à venir une réforme de l’impôt sur les entreprises.
  • Faire levier sur les investissements : afin d’octroyer des fonds propres et des fonds de tiers lors d’investissements, nous voulons mettre en place des fonds d’investissement en interaction avec des garanties publiques (par exemple de la Kreditanstalt für Wiederaufbau [Établissement de crédit pour la reconstruction, fonctionnant comme la banque publique d’investissement en France, ndt]) et des capitaux privés, par exemple pour le capital-risque, la construction de logements et les infrastructures énergétiques.
  • Soutenir le secteur de la restauration : pour soulager les restaurateurs et les consommateurs, nous baisserons durablement la TVA dans les cafés et restaurants à 7 %.
  • Donner un « coup de pouce » aux agriculteurs : nous réintroduirons la ristourne du diesel agricole dans son intégralité.

En 2023, le ministère fédéral de l’économie et de l’énergie sous la direction de Robert Habeck(Bündnis 90/Die Grünen) avait annoncé la réduction des subventions publiques au diesel agricole de 12 centimes à 6 centimes par litre, avec comme objectif sa suppression définitive en 2025, ce qui avait entraîné d’importantes manifestations des organisations paysannes. Ces aides compensaient la taxation des hydrocarbures utilisées par les engins agricoles.

  • Réduire la bureaucratie : nous réduirons la bureaucratie excessive, par exemple en supprimant les obligations de rapport, de documentation et de statistiques. En outre, nous réduisons de manière significative le nombre de mandataires sociaux prescrits par la loi. Nous nous basons pour cela sur la proposition du Conseil de contrôle des normes de réduire les coûts bureaucratiques pour les entreprises de 25 % au cours des quatre prochaines années.
  • Donner la priorité à l’innovation et à la recherche : nous proposons un programme puissant pour la recherche, l’innovation, les le transfert de technologies, et l’entrepreneuriat — un agenda high tech pour l’Allemagne. Nous voulons soutenir plus fortement la recherche sur la fusion. Notre but est que le premier réacteur à fusion du monde soit construit en Allemagne. Nous voulons mieux profiter des chances offertes par l’intelligence artificielle et la numérisation. Cela nécessite un renforcement massif des moyens pour la recherche et le développement.

La mention de la fusion nucléaire — qui est simplement appelée « Fusion »high tech. Le principal pôle d’innovation de la région se situe à Garching, au nord de Munich, qui accueille notamment l’Institut Max Planck pour la physique des plasmas. 

  • Garantir la liberté scientifique : la liberté de la science, garantie par la loi fondamentale, est le fondement du progrès et de l’innovation et il faut la protéger. Elle permet une recherche indépendante et l’acquisition de nouvelles connaissances indépendamment des influences politiques et idéologiques. 
  • Faire avancer la numérisation : la numérisation est centrale pour la modernisation de l’État — elle rend l’administration plus efficace, transparente et proche des citoyens. Pour cela, les démarches numériques doivent être généralisées, les bases de données mises en réseau et les processus administratifs automatisés. Un compte citoyen unique doit faciliter l’accès aux services numériques. Par ailleurs, une nouvelle répartition des compétences est nécessaire entre l’État fédéral, les Länder et les communes. 
  • Renforcer le libre-échange : Nous voulons reprendre et faire adopter tels quels les quatre accords de partenariat économiques soumis au Bundestag par le gouvernement sortant. Nous nous engageons en outre pour une entrée en vigueur de l’accord avec le Mercosur et de la conclusion de nouveaux accords commerciaux, notamment avec les États-Unis. En même temps, nous voulons protéger notre industrie des pratiques commerciales et des subventions déloyales.

Le futur gouvernement Merz s’inscrit ici dans la continuité de son prédécesseur dont il reprend mot pour mot les projets de partenariats internationaux. Comme dans le discours de politique étrangère prononcé par Friedrich Merz en janvier 2025 devant la Körber Stiftung à Berlin, le document mentionne l’importance pour l’Allemagne de l’accord avec le Mercosur, auquel plusieurs pays européens dont la France s’opposent désormais. 

III. Travail et affaires sociales

Avec de fortes impulsions pour la croissance et un renforcement de la compétitivité, nous garantissons l’activité et créons les conditions pour la création d’emplois. Avec une politique de l’emploi active, nous voulons ramener les chômeurs aptes à exercer un emploi vers une activité durable. Nous transformons le système actuel du revenu citoyen en une nouvelle garantie de base pour les demandeurs d’emploi. Il faut s’assurer que les agences pour l’emploi sont dotées de moyens suffisants pour la réinsertion. Nous renforçons le retour à l’emploi de la main-d’œuvre. Pour les personnes qui peuvent travailler, il doit y avoir une priorité de placement  : ces personnes doivent être placées le plus vite possible dans un emploi. C’est avant tout par le biais de la qualification que nous voulons rendre durable l’intégration au marché du travail de ceux qui ne trouvent pas d’accès au marché du travail à cause d’obstacles au placement. Nous supprimerons les obstacles au placement, renforcerons l’obligation de coopérer et les sanctions dans l’esprit du principe « inciter et exiger » (fördern und fordern). Les personnes qui sont en mesure de travailler et qui refusent à plusieurs reprises un travail acceptable se verront retirer complètement leurs prestations. Pour le renforcement des sanctions, nous respecterons la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale. La fraude sociale à grande échelle par des personnes vivant en Allemagne comme à l’étranger doit cesser. Nous renforcerons les contrôles contre le travail au noir et nous agirons ainsi plus fermement contre ceux qui pratiquent l’emploi illégal. De nombreuses prestations sociales sont insuffisamment coordonnées : nous souhaitons simplifier des prestations et mieux les coordonner, par exemple par la fusion de l’aide au logement et du supplément pour enfant à charge. Nous voulons que, partout où c’est possible, les prestations et les conseils puissent aller main dans la main. Pour cela les procédures doivent être numérisées.

Cette politique plus stricte envers les chômeurs semble marquer un retour aux mesures de flexibilisation du travail, dites « réformes Hartz » du nom de Peter Hartz, le dirigeant industriel et membre du SPD qui en fut à l’inspiration. La Loi Hartz IV, adoptée par le Bundestag en 2005 visait notamment à réduire drastiquement la durée du chômage selon le principe « fördern und fordern » (encourager et exiger) que reprend à son compte le document. Si ces réformes ont effectivement conduit à une baisse du chômage en Allemagne, elles ont aussi créé une catégorie d’emplois précaires (Mini- et Midi-Jobs) et dégradé la situation économique des chômeurs en fin de droits. En 2021, Olaf Scholz avait fait campagne sur la transformation des allocations chômages Hartz IV en un Bürgergeld (« revenu citoyen ») plus généreux pour ses bénéficiaires. 

  • Salaire minimum et renforcement des conventions collectives : des bons salaires sont une condition à l’acceptation de l’économie sociale de marché. Le salaire minimum légal est un plancher. Nous y sommes favorables. Le développement du salaire minimum doit contribuer à un pouvoir d’achat plus élevé et à une demande intérieure stable en Allemagne. Nous restons fidèles à l’idée d’une commission sur le salaire minimum forte et indépendante. Pour le niveau futur du salaire minimum, la commission se référera  dans le cadre d’un calcul d’ensemble, à l’évolution des conventions collectives et au seuil de 60 % du salaire brut médian à temps plein. Ainsi, un salaire minimum de 15 euros est atteignable en 2026. Notre but est un renforcement du rôle des conventions collectives salariales. Les salaires fixés par les conventions collectives doivent redevenir la norme et non plus l’exception. C’est pourquoi nous mettrons en chantier une loi sur le respect des conventions collectives salariales.
  • Sécurité et flexibilité sur le marché du travail : le monde du travail change. Les employés  et les entreprises souhaitent plus de flexibilité. C’est pourquoi, en accord avec les directives européennes sur le temps de travail, nous voulons introduire la possibilité d’adopter une durée de travail maximale hebdomadaire et non plus journalière, également au nom d’une meilleure compatibilité entre vie de famille et vie professionnelle. Nous maintiendrons les garanties de protection des travailleurs et les règles en vigueur sur le temps de repos. Aucun salarié ne pourra être forcé contre sa volonté à un temps de travail plus élevé. Nous empêcherons les abus. Nous fixerons un cadre pertinent face aux défis posés par la digitalisation et l’intelligence artificielle dans le monde du travail, afin qu’ils puissent être résolus par le dialogue des partenaires sociaux. Nous développerons la cogestion d’entreprise. Pour que les heures supplémentaires soient récompensées, les primes versées pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du temps plein fixé par les conventions collectives ou les accords collectifs sont exonérées d’impôt. Par temps plein, on entend ici une durée hebdomadaire de travail d’au moins 34 heures pour les dispositions conventionnelles, et de 40 heures pour les durées de travail non fixées par une convention collective ou un accord. Nous créerons une nouvelle incitation fiscale pour augmenter le temps de travail des travailleurs à temps partiel : si les employeurs versent une prime pour augmenter le temps de travail, nous accorderons un avantage fiscal à cette prime. Nous veillerons à limiter les abus.
  • Retraites : nous stabiliserons la garantie vieillesse de base pour toutes les générations. C’est pour cela que nous garantissons le niveau des retraites. Seule une politique économique de croissance, un fort taux d’emploi et une évolution satisfaisante des salaires permettront de les financer durablement. En outre, nous renforcerons la prévoyance d’entreprise et réformerons les régimes d’assurance retraite privée. Une retraite à taux plein après 45 annuités restera possible à l’avenir. Dans le même temps, nous créons des incitations financières supplémentaires pour travailler volontairement plus longtemps. Au lieu d’une nouvelle élévation de l’âge légal de départ à la retraite, nous voulons plus de flexibilité dans le passage du travail à la retraite. Nous misons pour cela sur le volontariat. Nous rendons le travail pendant la retraite attractif avec la « retraite active » : si l’on atteint l’âge légal de la retraite et que l’on souhaite continuer à travailler, les salaires jusqu’à 2000 euros mensuels seront non imposables. En outre, nous améliorons les possibilités de revenus complémentaires dans le cadre de la pension de réversion. Nous voulons mieux assurer les travailleurs indépendants pour la retraite. Nous inclurons dans la retraite obligatoire tous les nouveaux travailleurs indépendants qui ne relèvent d’aucun régime obligatoire d’assurance vieillesse. D’autres formes de prévoyance vieillesse garantissant une protection fiable des travailleurs indépendants à la retraite resteront possibles. Nous mettrons en place une retraite pour les mères de famille avec trois points de retraite pour tous — indépendamment de l’année de naissance des enfants — afin de garantir la même estime et la même reconnaissance pour toutes les mères. En outre, le concept d’une pension de retraite anticipée doit faire partie des négociations de coalition.

La CDU et le SPD n’agiront pas sur l’âge de départ à la retraite de 67 ans, mais souhaitent inciter les séniors à poursuivre leur travail, alors même que le pays fait face à une grave pénurie de main-d’œuvre. La mise en place d’une « retraite des mères » correspond également à une mesure phare du programme social conservateur de la CSU bavaroise, même si le coût de cette mesure est l’objet de débats.

  • Maintenir la main-d’œuvre qualifiée : le maintien d’une base de main-d’œuvre est une condition essentielle pour le succès économique de notre pays. C’est pourquoi nous jouerons sur tous les registres pour garantir son maintien dans les années à venir. Nous voulons aider les familles à mieux concilier éducation des enfants, travail, ménage, soin mais aussi repos. Nous examinons pour cela un budget familial annuel pour les aidants au quotidien, qui sera accessible numériquement. Ce dernier aidera aussi dans la lutte contre le travail non-déclaré. L’Allemagne a en outre besoin d’une immigration qualifiée. Il faut pour cela abattre les obstacles bureaucratiques, par exemple par une numérisation résolue des procédures et une reconnaissance accélérée des qualifications professionnelles. Nous créons pour cela une agence numérique pour l’immigration de travailleurs qualifiés comme interlocutrice unique pour ces derniers. 
  • Inclusion : nous agissons pour une société inclusive, dans laquelle les personnes handicapées ont droit à une participation pleine, efficace et égale. Nous améliorerons pour cela l’accessibilité dans le domaine public et privé et encourager plus fortement l’emploi des personnes handicapées sur le marché du travail.

IV. Migration

L’Allemagne est un pays ouvert sur le monde et doit le rester. Nous restons fidèles à notre devoir d’humanité et nous voulons faciliter l’intégration. Nous voulons rester un pays bienveillant envers les immigrés et rendre une immigration qualifiée vers notre marché du travail attractif. Nous mettrons de l’ordre et contrôlerons l’immigration et réduirons efficacement l’immigration illégale. C’est pourquoi nous appliquerons les mesures suivantes  : 

  • Limitation de l’immigration : nous voulons ajouter explicitement le but d’une « limitation » de la migration au but de « contrôle » dans la loi sur le séjour des étrangers. 
  • Refoulement aux frontières nationales : nous procéderons, en accord avec nos voisins européens, à des refoulements aux frontières, y compris en cas de demande d’asile. Nous utiliserons toutes les mesures conformes à l’État de droit pour réduire l’immigration illégale. 
  • Soutien à l’intégration : nous investirons plus dans l’intégration, poursuivrons les cours d’intégration, réintroduirons les crèches linguistiques, poursuivrons le programme d’égalité des chances et l’étendrons aux crèches. Un accord d’intégration contraignant devra définir à l’avenir les droits et devoirs. 
  • Simplifier l’immigration qualifiée : nous simplifierons l’ensemble du programme d’immigration de main-d’œuvre qualifiée et l’accélérerons par une numérisation de grande envergure. Nous incluons explicitement la reconnaissance professionnelle. 
  • Faire cesser les programmes d’accueil volontaire : nous mettons fin aux programmes d’accueil volontaires dans la mesure du possible (ex. Afghanistan) et nous ne lancerons pas de nouveaux programmes. 
  • Mettre fin au regroupement familial : nous mettons fin provisoirement au regroupement familial pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire. 
  • Appliquer la réforme européenne du droit d’asile : nous transcrirons cette année la réforme européenne du droit d’asile en droit national.
  • Lancer une offensive de rapatriements : nous élaborerons des règles juridiques détaillées pour augmenter le nombre de rapatriements. Nous prenons aussi en compte les mouvements secondaires de migration. Nous supprimons l’assistance juridique obligatoire avant l’exécution de l’expulsion. La police fédérale doit avoir la compétence pour demander une détention provisoire ou une garde à vue pour les étrangers tenus de quitter le territoire afin de garantir leur expulsion. Nous voulons créer une possibilité de détention en vue du départ pour les délinquants dangereux et les auteurs de délits graves tenus de quitter le territoire après avoir purgé leur peine. Nous épuiserons toutes les possibilités d’augmenter sensiblement les capacités de détention en vue de l’expulsion. Nous voulons appliquer plus systématiquement les possibilités de retrait du statut de protection pour les délinquants. En outre, nous conclurons davantage d’accords migratoires afin de gérer l’immigration légale et de garantir la volonté de réadmission. Le principe de l’enquête administrative  doit devenir un principe de la présentation des documents dans le droit d’asile.

Le programme énoncé ici reprend en partie les points défendus par la CDU de Friedrich Merz dans la loi sur la limitation des flux migratoires (Zustromsbegrenzungsgesetz), qui a été rejetée à onze voix près, malgré le vote en commun de la CDU/CSU, du FDP et de l’AfD, le 31 janvier 2025. La proposition d’une fermeture physique des frontières a cependant ici été transformée en un renforcement des contrôles accompagnés de refoulement en coordination avec les pays voisins.

  • Carte de paiement pour réfugiés : nous voulons que la carte de paiement puisse être utilisée dans toute l’Allemagne et nous ferons cesser son contournement. 
  • Mettre à contribution les pays d’origine : nous voulons atteindre une meilleure propension à la coopération avec les pays d’origine, y compris à travers l’octroi de visas, l’aide au développement, les relations économiques et commerciales. Nous expulserons vers l’Afghanistan et la Syrie, en commençant par les délinquants et les personnes dangereuses. 
  • Élargissement de la liste des pays d’origine sûrs : nous élargirons la liste des pays d’origine sûrs et augmenterons le nombre d’accords d’immigration et de rapatriement. 
  • Loi sur la citoyenneté : nous restons fidèles à la réforme de la loi sur la citoyenneté. Nous examinerons s’il est possible constitutionnellement de retirer la nationalité allemande aux soutiens du terrorisme, antisémites et extrémistes qui appellent à l’abolition de l’ordre fondamental libéral et démocratique lorsqu’ils disposent d’une deuxième nationalité. 

Le programme de la CDU souhaitait initialement revenir sur la réforme sur la citoyenneté portée par la coalition précédente et entrée en vigueur en 2024. Celle-ci facilite la naturalisation et l’obtention de la double nationalité, pour refléter l’évolution de la société allemande. Le parti conservateur abandonne l’idée de revenir sur cette libéralisation mais propose un élargissement des conditions pour procéder à une déchéance de nationalité.

  • Limitation de la convention sur les Balkans occidentaux : nous limiterons l’immigration régulière vers l’Allemagne dans le cadre de la convention sur les Balkans occidentaux à 25 000 personnes par an.

V. Autres projets

Au delà des grands thèmes des finances, de l’économie, du travail et des affaires sociales et de l’immigration, nous nous sommes mis d’accord sur les thèmes suivants : 

  • Soins et santé : les services de santé doivent rester garantis pour tous. Nous voulons mettre en marche une grande réforme du secteur du soin. Nous voulons un service hospitalier adapté aux besoins en ville comme à la campagne. 
  • Relancer l’économie du bâtiment : nous voulons rendre le logement abordable, accessible et écologique pour tous. Nous misons pour cela sur des incitations et une ouverture à l’innovation. Nous considérons toutes les formes de logement comme égales, de la propriété à la location. Pour cela l’élargissement de l’offre de logement est décisive. C’est pourquoi les procédures doivent être accélérées et les standards simplifiés, par exemple par une introduction rapide de la « norme de bâtiment E ». Les locataires doivent être protégés efficacement de la surcharge par des loyers toujours plus élevés. Nous voulons d’abord prolonger le frein sur le prix des loyers. Afin de stabiliser le marché du logement, la construction de logements sociaux sera élargie.

Klara Geywitz (SPD), ministre du logement dans le gouvernement sortant, a tenté de résoudre la crise du logement en Allemagne en procédant à une simplification des normes pour les nouvelles constructions sous la forme du « Gebäudetyp E »

  • Le Deutschlandticket  : nous discutons de la poursuite du Deutschlandticket ainsi que sur le développement et la modernisation des transports publics.

Cet abonnement mensuel à tarif fixe, qui donne accès à l’ensemble du réseau de transport local et régional, a été adopté à l’été 2022 au prix modique de 9 euros comme réponse à la crise inflationniste en Allemagne suite à l’invasion de l’Ukraine. Réintroduit au prix de 49 euros en mai 2023, il a été relevé à 58 euros en janvier 2025. 

  • L’infrastructure de transport transfrontalière : nous renforcerons rapidement notre infrastructure de transport entre l’Allemagne et nos voisins à l’Est : la Pologne et la Tchéquie. Le but est d’atteindre un niveau aussi bon qu’entre nous et nos voisins occidentaux.
  • Améliorer l’égalité des chances pour les enfants : en tant que pays pauvre en matières premières, marqué par l’industrie et orienté vers l’export, nous dépendons d’un système éducatif et scientifique efficace. Une éducation d’excellence à tous les niveaux en est le fondement. Tous les enfants et les adolescents en Allemagne doivent avoir des chances égales pour construire leur propre vie. Cela inclut le plaisir d’apprendre et le goût de l’effort. Un diagnostic et un renforcement linguistiques précoces sont essentiels dès la crèche, de même que l’acquisition de compétences en lecture, écriture, calcul et communication jusqu’à la fin de la 4e année d’école primaire. Nous réduirons considérablement le nombre de jeunes qui quittent l’école prématurément. Pour cela, nous réintroduirons le programme des crèches linguistiques, et poursuivrons le programme d’égalités des chances et l’élargirons aux crèches. Afin que l’entrée dans la vie professionnelle se passe mieux, nous voulons faire en sorte que chaque jeune puisse disposer d’un diplôme de fin d’études et suivre une formation professionnalisante. Pour cela nous renforcerons l’orientation précoce dans le système scolaire, en coopération avec les écoles professionnelles et l’agence fédérale pour l’emploi, ainsi que les agences pour l’emploi des jeunes.
  • Donner aux femmes des droits égaux et des chances égales : notre but est une société dans laquelle les femmes et les hommes vivent ensemble dans l’égalité et le respect — au travail, en famille et en politique. Cela signifie le même salaire pour le même travail. Nous voulons examiner les moyens légaux d’y parvenir. Grâce à la loi sur l’aide aux victimes de violence, les femmes victimes de violence et leurs enfants ont depuis 2023 un droit opposable à la protection et au conseil. C’était un pas important. Pour protéger mieux encore les femmes de violence, nous voulons adopter au plus vite une nouvelle loi sur la protection des victimes de violence.
  • Soutenir le partage des tâches dans les familles : nous voulons que les familles puissent combiner de manière équilibrée l’éducation des enfants, le soin et le travail. Pour cela,  avec les Länder et les communes, nous leur garantirons des crèches et des accueils de jours fiables. 
  • Faire reculer la désinformation : L’influence ciblée sur les élections et la désinformation désormais quotidienne sont des menaces sérieuses pour notre démocratie, ses institutions et la cohésion sociale. Dans des temps d’instabilité géopolitique, nous devons agir contre cela avec plus de fermeté que jamais. C’est pourquoi nous appliquerons rigoureusement le Digital Services Act de l’Union au niveau national.
  • Réexaminer le droit électoral : nous examinerons une nouvelle réforme du droit électoral.

Ce point du programme, laissé intentionnellement vague, fait suite à la réforme du droit électoral adoptée en 2023 par la coalition entre SPD, Grünen et FDP. Celle-ci a donné un poids dominant au scrutin proportionnel de liste aux dépens de l’élection de députés au suffrage direct. Le mode de scrutin précédent qui avantageait chroniquement la CDU/CSU qui arrivait généralement en tête dans la majeure partie des 299 circonscriptions du pays. Ainsi une vingtaine de députés arrivés en tête dans leurs circonscriptions ne feront pas leur entrée au Parlement, la majorité des déçus venant des rangs de la CDU/CSU.

Berlin, 8 mars 2025

08.03.2025 à 15:00

Comment le drone est devenu le char d’assaut de la guerre d’Ukraine, une conversation avec Taras Chmut

Matheo Malik

En Ukraine, un objet est en train de transformer la nature de la guerre.

Depuis 2014, le combat des drones contre les hommes est une nouvelle réalité dont on peine encore à saisir la portée et l’échelle.

Au cœur de l’effort militaire ukrainien, Taras Chmut pilote l’une des fondations clefs pour la fourniture de ces nouvelles armes. Il retrace l’histoire d’une révolution opérationnelle et tactique — mais aussi d’un succès industriel qui devrait nous inspirer à l'heure où l’Europe se réarme.

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Texte intégral 4353 mots

Analyste militaire et vétéran de l’ATO — l’opération anti-terroriste dans le Donbass —, les opinions et les analyses de Taras Chmut sont particulièrement influentes. Il dirige depuis 2020 l’une des organisations caritatives les plus importantes du pays, Come Back Alive, la première à avoir obtenu en 2022 le droit d’acheter des armes létales pour l’armée.

La guerre d’Ukraine est l’une des premières guerre des drones. Pourriez-vous revenir sur l’histoire que ces systèmes ont joué depuis le début du conflit ?

L’histoire des systèmes sans pilote dans le contexte de la guerre en Ukraine peut être articulée autour de plusieurs étapes clefs.

C’est au cours de la période 2014-2015 qu’émerge l’utilisation des drones sur le champ de bataille. À cette époque, l’Ukraine a commencé à déployer activement des systèmes sans pilote dans ses opérations militaires, bien que leur utilisation fût alors encore relativement restreinte.

Entre 2015 et 2017, les systèmes sans pilote ont connu un développement continu. Leur utilisation est devenue plus systématique et ces technologies ont été progressivement intégrées aux structures militaires. 

En 2018, un événement significatif s’est produit avec l’introduction du drone DJI Phantom-4, qui a considérablement amélioré l’efficacité de la reconnaissance et du soutien tactique sur le champ de bataille.

L’année suivante a été marquée par l’acquisition des premiers drones Bayraktar, représentant une avancée notable vers l’utilisation de technologies de drones plus modernes et plus puissantes.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022 a marqué un tournant décisif dans l’intensification de l’utilisation des systèmes sans pilote. Les forces armées ukrainiennes ont été inondées d’un large éventail de drones de divers types, tels que  les Mavic, DJI, Autel, Matrice et autres. Parallèlement, le nombre de fabricants de drones ukrainiens a connu une croissance spectaculaire, tout comme celui des modèles occidentaux. Enfin, l’emploi de drones kamikazes, tels que les Switchblade et les Warmate, ainsi que des drones FPV, a commencé à prendre une ampleur significative.

Blueprint d’un drone Switchblade
Blueprint d’un drone Warmate

Au cours de l’été 2022, un événement important a été l’émergence du déploiement de drones pour la frappe en profondeur — phénomène qui est ensuite devenu très courant pour les frappes en profondeur contre des cibles ennemies. 

Dans la seconde moitié de 2022, des drones navals sont apparus sur le champ de bataille, et l’émergence de systèmes robotiques basés au sol et de drones bombardiers de nuit — à l’instar du Vampire — a commencé. 

[image de drones navals]

En 2023 et 2024, ces technologies ont continué d’évoluer : l’utilisation de drones aériens FPV, de drones terrestres et de drones bombardiers de nuit s’est intensifiée.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022 a marqué un tournant décisif dans l’intensification de l’utilisation des systèmes sans pilote.

Taras Chmut

L’évolution des systèmes sans pilote, utilisant notamment l’intelligence artificielle, a permis à l’Ukraine d’évincer la flotte russe, néanmoins ce sont toujours des soldats qui se trouvent dans les tranchées et qui restent l’unité combattante principale. Dans quelle mesure la robotique peut-elle remplacer la composante humaine dans l’armée ? 

Dans l’idéal, le soldat devrait complètement sortir du champ de bataille. La guerre que nous menons actuellement montre que l’écart entre les ennemis se creuse parce que les tirs de manœuvre deviennent plus rapides, plus profonds et moins coûteux. Si auparavant, au niveau du bataillon, vous disposiez d’un mortier de 120 mm d’une portée effective de 5 à 7 kilomètres, vous avez désormais des drones qui peuvent opérer à une distance de 10 à 15 kilomètres. C’est un outil bon marché qui peut partiellement remplacer le soldat : travailler sur l’équipement, l’infanterie, les fortifications, les mines, fournir un soutien logistique, etc. C’est un outil très flexible.

Un autre aspect important réside dans l’apparition de nouveaux moyens, tels que les drones bombardiers de nuit et les systèmes sans pilote, aux différents niveaux — bataillon, brigade, etc. Ces dispositifs assurent 30 à 40 % des opérations de logistique et de minage. Les pertes sont considérables, non seulement en raison de l’utilisation directe des drones, mais également en raison des actions connexes, telles que le minage des zones, la reconnaissance des itinéraires durant la journée et le déploiement de mines pendant la nuit. Grâce aux drones, même la nuit, l’ennemi est confronté à des explosions, ce qui a un impact significatif sur la conduite des opérations militaires. L’Occident n’est pas du tout préparé à ce type de guerre.

Dans ces circonstances, la distance entre les camps des deux adversaires s’accroît, car aucune d’entre elles ne dispose d’une capacité suffisante pour s’emparer de l’espace opérationnel, créant un paradoxe similaire à ce qu’on pouvait observer pendant la Première Guerre mondiale.

Quelles sont les difficultés rencontrées par la partie ukrainienne dans cette confrontation ?

Nous assistons aujourd’hui à l’évolution des contre-mesures telles que la guerre électronique et le renseignement électronique, ainsi qu’à l’automatisation de leur fonctionnement et de leur combinaison. 

Toutefois, nos propres systèmes de guerre électronique nous causent parfois plus de tort que ceux des Russes. Chaque soldat dispose de sa propre station de guerre électronique qu’il peut activer à n’importe quel moment, perturbant ainsi nos propres drones FPV… Nous subissons des pertes importantes d’équipements même en dehors de la ligne de contact, ce qui constitue un problème majeur. Cette situation résulte également de nos pertes considérables face aux drones FPV russes, nécessitant une réaction urgente. Ce problème est grave, car nous perdons ainsi une part significative de notre matériel et de notre potentiel, et des mesures correctives s’imposent.

Grâce aux drones, même la nuit, l’ennemi est confronté à des explosions, ce qui a un impact significatif sur la conduite des opérations militaires. L’Occident n’est pas du tout préparé à ce type de guerre.

Taras Chmut

Dans la course aux armements, les Ukrainiens ont accès à la technologie occidentale, tandis que les Russes ont accès à la technologie chinoise ou iranienne. Qui a le plus grand potentiel de développement dans cette nouvelle situation ?

L’Occident a évidemment plus de potentiel. Mais la rapidité et la flexibilité sont davantage du côté de la Russie et de ses partenaires. La bureaucratisation des processus dans les démocraties, par opposition à la rapidité de prise de décision dans les régimes autoritaires, est essentielle. Les régimes autoritaires peuvent s’agrandir rapidement, et si une usine ne répond pas à une norme, son personnel peut se retrouver demain dans les tranchées. Les pays autoritaires sont toujours plus rapides dans ce domaine, car dans ces pays, soit vous le faites, soit vous êtes puni et fusillé.

Cela serait impossible en Europe. Il y a trop de procédures d’approbation et de divergences de points de vue, ce qui ralentit considérablement le processus. Cette lenteur européenne coûte des vies à l’Ukraine. Si l’Europe devait combattre directement la Russie, les conséquences pourraient être extrêmement négatives.

Néanmoins, des changements sont en cours, notamment le retour de la conscription dans de nombreux pays, l’augmentation des budgets militaires, l’achat accru de munitions et la prise de conscience qu’une armée réduite ne peut suffire à une guerre de grande envergure ; elle doit nécessairement être plus importante en termes d’effectifs. Globalement, la tendance en Europe est à la remilitarisation.

En ce qui concerne notre fondation, ces dernières années, nous privilégions l’achat de drones en Ukraine, car ils sont les meilleurs sur le marché. Ils sont trois fois supérieurs aux drones européens en termes de prix et de performances. Les drones FPV ukrainiens ont également atteint un niveau de sophistication élevé. Nous avons débuté avec des drones chinois, mais, malheureusement, les modèles FPV prêts à l’emploi ne répondent pas entièrement à nos attentes, nécessitant des modifications personnalisées. Aujourd’hui, nous préférons collaborer avec les fabricants ukrainiens, qui offrent une personnalisation actualisée, un service de garantie, ainsi que la possibilité de réaliser des ajustements spécifiques.

Nous privilégions l’achat de drones en Ukraine, car ils sont les meilleurs sur le marché. Ils sont trois fois supérieurs aux drones européens en termes de prix et de performances.

Taras Chmut

Les fabricants ukrainiens sont-ils désormais la principale source d’approvisionnement pour tous les types de drones ?

Non, le Mavic et l’Autel restent les principaux drones de reconnaissance et de surveillance et, dans une certaine mesure, bombardiers.

Cependant, lorsqu’il s’agit de « fotoliot » — les drones servant à la prise de vues — et de drones de reconnaissance tactique au niveau de la brigade, les drones ukrainiens dominent. Parmi les modèles étrangers, seuls quelques-uns sont largement utilisés, comme le

Un drone Vector
Blueprint d’un drone Puma

Au niveau opérationnel et tactique, la situation est à peu près la même.

Des drones ukrainiens et étrangers sont utilisés, tels que le Scaneagle, le PD-2 ukrainien, le Raybird-3 et divers modèles européens.

En ce qui concerne la gamme des drones d’attaque, tels que le Bayraktar TB-2, l’Ukraine n’est pas encore prête à proposer quoi que ce soit. Je ne suis même pas certain que quelqu’un soit en train d’en développer.

L’Ukraine produit néanmoins des drones Bayraktar conjointement avec la Turquie…

Oui, nous nous efforçons de mettre cela en œuvre. 

C’est un processus très complexe qui se poursuit depuis plusieurs années mais, dans l’ensemble, il s’agit d’une évolution positive pour nous. Cette démarche élève le niveau du marché et nous permet de lancer de nouveaux produits dans des catégories que nous ne maîtrisons pas encore. C’est une initiative pertinente, car elle contribuera à l’amélioration de notre culture de production, à la création de nouveaux emplois, et nous permettra de produire des drones destinés à des pays tiers.

Nous continuons par ailleurs à utiliser activement le Bayraktar TB-2. Contrairement à son emploi au début de l’invasion à grande échelle, il est aujourd’hui principalement utilisé pour la reconnaissance — cela ne signifie toutefois pas qu’à l’avenir il ne reprendra pas sa fonction de frappe.

Qu’en est-il de l’efficacité des drones terrestres et maritimes ?

La situation des drones terrestres est plus complexe. La plupart des produits, malheureusement, ne fonctionnent pas aussi efficacement que prévu et nécessitent encore des améliorations. Par exemple, les drones introduits au moment du lancement de la Force de systèmes sans pilote doivent être davantage perfectionnés, tout comme les tactiques d’utilisation, la formation du personnel et l’architecture des unités militaires. Il s’agit d’un système complexe. Tandis que les capacités de reconnaissance et de frappe évoluent depuis 2015, le domaine des drones terrestres est relativement récent et n’existe que depuis environ deux ans.

Les drones kamikazes présentent une complexité moindre et fonctionnent généralement très bien. Ils sont opérationnels et en constante évolution.

Taras Chmut

Si l’on prend l’exemple d’un drone de déminage, il doit être intégré dans une certaine structure et disposer de son propre personnel. Il est nécessaire de développer des tactiques pour son utilisation, de fournir l’équipement nécessaire, le transport et le personnel formé. Le type de drone lui-même doit également être adapté à des tâches spécifiques : déminage de mines antipersonnel, de mines antichars, etc. Il est important de connaître sa durée de vie explosive, son niveau de résistance à la guerre électronique et ce qu’il faut faire si le drone explose, tombe en panne ou est détruit. Des questions se posent également sur son coût, sa résistance aux impacts, etc. Il s’agit d’un système très complexe comportant de nombreux aspects.

La situation des drones maritimes est plus favorable. Les drones kamikazes présentent une complexité moindre et fonctionnent généralement très bien. Ils sont opérationnels et en constante évolution. Il existe plusieurs fabricants et une certaine concurrence interne, ce qui rend ce secteur relativement dynamique. Les drones terrestres kamikazes, bien qu’également jetables, sont aussi efficaces dans leur domaine. En revanche, les drones réutilisables rencontrent certains problèmes.

La Force des systèmes sans pilote s’occupe-t-elle de tous les types de systèmes sans pilote, du Mavic au Bayraktar en passant par les drones terrestres et maritimes ?

Pas exactement. Les Bayraktar étant des systèmes d’aviation, ils sont actuellement opérés par la 383e brigade des systèmes d’aviation sans pilote. La situation des drones maritimes est plus délicate : ils sont utilisés par le GUR (Direction principale du renseignement), le SBU (Service de sécurité de l’Ukraine) et la marine ukrainienne. Ils jouent ici un rôle plus secondaire, mais restent importants.

Les forces armées ukrainiennes disposent actuellement de nombreux types de drones en service. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une manifestation de diversité et de polyvalence, ou plutôt d’un manque d’uniformisation ? 

Il est évident qu’il est nécessaire d’unifier les drones, de normaliser les exigences qui les concernent, et de développer des normes et des typologies spécifiques. Cela constitue l’une des missions du commandement unifié. Toutefois, il est important de noter que le marché des drones est en pleine émergence et formation. Une plus grande diversité d’acteurs sur le marché entraîne une concurrence accrue, ce qui stimule le développement de solutions locales, améliore la qualité et accélère les processus.

Il n’est pas utile d’avoir seulement quelques grands acteurs comme Lockheed Martin. Il est préférable d’avoir une vingtaine d’entreprises de taille moyenne qui, à terme, pourront vendre leurs produits à l’international, attirer des spécialistes de premier plan, créer de nouveaux créneaux et investir dans la formation et l’éducation. Actuellement, le marché est très fragmenté, avec environ 300 à 500 fabricants de véhicules sans pilote, selon les critères de comptage, dont une vingtaine de grandes entreprises dans ce secteur.

Il n’est pas utile d’avoir seulement quelques grands acteurs comme Lockheed Martin. Il est préférable d’avoir une vingtaine d’entreprises de taille moyenne qui, à terme, pourront vendre leurs produits à l’international.

Taras Chmut

Quel est le potentiel d’exportation des drones ukrainiens, compte tenu des besoins propres de l’Ukraine pendant la phase active de la guerre ?

Il est très élevé. Actuellement, nous utilisons environ 40 % de notre capacité de production. L’ouverture des exportations peut considérablement stimuler le développement de cette industrie en augmentant les fonds de roulement, les recettes en devises, l’ouverture de nouveaux marchés et l’accès à des technologies supplémentaires. Elle permettra également de tester davantage de produits dans différents environnements, sur différents marchés et avec différents composants.

Quel rôle jouent les drones dans les activités de votre fondation Come Back Alive, en particulier en ce qui concerne la hiérarchie des besoins de l’armée ukrainienne ? 

La demande la plus importante pour la fondation concerne actuellement les nouveaux pick-up, qui occupent la première place. Ces véhicules sont essentiels pour les armes d’infanterie collective. En deuxième position figurent les mortiers de 82 et 120 mm, les mitrailleuses lourdes, ainsi que les lance-grenades portatifs et automatiques. Les drones Mavic de tous types, notamment ceux équipés de caméras thermiques (3T) et leurs composants, y compris les batteries, se classent en troisième position. Nous développons des postes de commandement pour les drones, des stations de commandement pour les systèmes de missiles antiaériens, des équipements de communication et d’autres projets similaires. Il s’agit d’un vaste écosystème qui nécessite un entretien constant.

Pour utiliser efficacement les drones FPV, le gouvernement peut fournir les drones eux-mêmes, mais il est également nécessaire de mettre en place toute l’infrastructure associée. Cela inclut des postes de soudure, du matériel d’atelier, des munitions, des camionnettes, des imprimantes 3D ainsi que les matériaux nécessaires à leur fonctionnement, et l’accès à Internet par satellite (comme Starlink), des ordinateurs portables puissants, des téléviseurs, des générateurs, des alimentations sans interruption (UPS), et d’autres équipements connexes. Par exemple, un chauffeur de camionnette a besoin de veilleuses, de radios, de Starlink, et d’autres équipements de communication. Bien que l’État fournisse l’équipement de base, nous sommes responsables de l’ensemble de l’écosystème nécessaire à l’opération.

Sur cette photo fournie par le service de presse de la 65e brigade mécanisée ukrainienne le 19 novembre 2024, un soldat ukrainien lance un drone lors d’un entraînement sur un polygone dans la région de Zaporijia, en Ukraine. © Andriy Andriyenko/65e brigade mécanisée ukrainienne via AP
Un drone est lancé lors d’une opération de la police haïtienne et du MSS contre des gangs armés le 28 novembre 2024 à Port-au-Prince. © Noel/ZUMA Press Wire/Shutterstock

Nous créons de tels écosystèmes à des fins différentes. Par exemple, nous avons eu le projet « bras longs des TrO » (Довгі руки ТРО) pour fournir des mortiers de 120 mm aux Forces de défense territoriales ; le projet de défense aérienne Pack the Sky avec Nova Poshta ; nous avons créé un système de gestion des communications pour le complexe militaro-industriel du Centre et une solution de déminage pour le commandement des forces de soutien.

Actuellement, nous utilisons environ 40 % de notre capacité de production. L’ouverture des exportations peut considérablement stimuler le développement de cette industrie

Taras Chmut

Pourriez-vous décrire plus en détail l’écosystème du complexe industriel du Centre ?

En Ukraine, il existe quatre commandements aériens : Ouest, Est, Centre et Sud. Nous avons fourni un système de communication, d’échange d’informations, ainsi que de commandement et de contrôle pour le commandement aérien du Centre. Ce système est conçu pour couvrir tous les niveaux, de la brigade jusqu’aux véhicules de combat individuels.

Il comprend des postes de commandement mobiles au niveau de la brigade, des postes de commandement fixes ou mobiles et des équipements de communication au niveau des batteries de tir ou des divisions, ainsi qu’au niveau des groupes de tir mobiles individuels. L’ensemble de cette structure fonctionne de manière intégrée, où les moyens de renseignement, tels que les systèmes radar, et les moyens de destruction, tels que les systèmes de missiles antiaériens, l’artillerie ou les groupes de tir mobiles, sont réunis dans un système unifié de communication et de contrôle.

En conséquence, nous avons considérablement amélioré l’efficacité des défenses aériennes, réduisant le délai entre la détection d’une cible et l’ordre de sa destruction — de plusieurs minutes à quelques secondes. Nous avons également renforcé la résilience des communications, assuré une protection contre les interférences électromagnétiques, amélioré la mobilité et pris en compte d’autres facteurs cruciaux pour la survie des défenses aériennes sur le champ de bataille.

Vous faites partie du mouvement des volontaires, qui joue un rôle très important en Ukraine. Comment décririez-vous ce phénomène ? 

Globalement, les volontaires sont souvent impliqués dans l’aide humanitaire, tandis que le secteur privé ou l’État s’occupent des affaires militaires. Le mouvement volontaire ukrainien est un phénomène singulier : il est caractérisé par une association spontanée de personnes qui, dans des périodes de crise, peuvent se structurer en grandes institutions.

En Russie, un tel mouvement n’existe pas parce qu’il n’y a pas de société civile. La Russie mène une guerre d’agression, et la population proactive a été artificiellement éliminée.

En revanche, l’Ukraine bénéficie d’un héritage historique lié aux Cosaques, où les individus ont toujours valorisé la liberté, le dynamisme et l’esprit rebelle. En période de crise, les Ukrainiens se mobilisent rapidement, s’unissent pour résoudre les problèmes ensemble, avant de se quereller.

Ce mouvement de volontariat est né lors de l’invasion russe de 2014 et a constitué la base de ce que nous observons aujourd’hui. Le 24 février 2022, il a connu une multiplication par centaines en raison de l’intensification des défis et des problèmes. Au fil du temps, ce mouvement s’est étendu à divers domaines, tels que l’aide humanitaire, le soutien aux anciens combattants, l’accompagnement des familles, les soins aux animaux, etc.

Il représente une véritable manifestation de la société civile et l’Ukraine se distingue dans ce domaine par rapport à de nombreux pays occidentaux. Les citoyens participent activement à l’élaboration de l’avenir du pays et exercent une influence significative sur le gouvernement. Ce phénomène est largement facilité par les réseaux sociaux tels que Facebook, qui deviennent des outils permettant à la société civile d’exercer une pression directe sur le gouvernement pour qu’il réagisse.

L’Ukraine bénéficie d’un héritage historique lié aux Cosaques, où les individus ont toujours valorisé la liberté, le dynamisme et l’esprit rebelle. En période de crise, les Ukrainiens se mobilisent rapidement, s’unissent pour résoudre les problèmes ensemble, avant de se quereller.

Taras Chmut

Comment le mouvement des volontaires a-t-il évolué depuis l’invasion à grande échelle ?

Le mouvement des volontaires a connu un développement considérable. Son champ d’action s’est élargi pour inclure les achats internationaux et le travail avec des armements. De grands projets complexes ont vu le jour, accompagnés d’un soutien institutionnel systémique de la part de l’État, ce qui n’était pas le cas auparavant. Contrairement à une époque où les fonds alloués aux organisations de volontaires étaient des dizaines, voire des centaines, de fois inférieurs à ceux d’aujourd’hui, ces organisations exercent désormais une influence significative sur la guerre et sur l’Ukraine dans son ensemble.

Le nombre de grandes fondations n’a pas connu d’augmentation significative, mais le nombre d’initiatives locales a été multiplié. Cette évolution s’explique par le fait qu’un grand nombre de personnes sont mobilisés, notamment les parents ou amis de ceux qui servent et combattent, ce qui suscite un désir de soutien. Cela a donné lieu à la création de rassemblements locaux, de groupes communautaires et d’initiatives ponctuelles, où le facteur personnel joue un rôle prépondérant.

Comment voyez-vous le rôle de fondations aussi importantes que Come Back Alive et d’autres fondations caritatives après la fin de la guerre ? Il est évidemment difficile d’en parler aujourd’hui — mais qu’arrivera-t-il à la composante militaire après l’arrêt des combats ?

Tout d’abord, il n’est pas possible de prévoir avec précision quand et comment la guerre prendra fin.

Deuxièmement, même avant le conflit, environ 70 % de notre activité n’était pas directement liée aux opérations militaires. 

Nous nous consacrions à l’analyse, à la recherche politique et aux projets pour les anciens combattants. Il est clair qu’après la guerre, nous reprendrons ces activités et continuerons à les développer.

Nous maintiendrons également notre travail auprès de la population civile. Toutefois, il est important de rester réaliste : il est peu probable que la Russie disparaisse de la carte du monde. Tant que la Russie existera, elle constituera une menace, et nous devrons nous y préparer. Malheureusement, le travail ne manquera pas, même après la fin du conflit.

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