06.11.2024 à 15:23
Kamel Daoud: un Goncourt parfait sous le sapin de Beauvau
Houris commence la nuit . Vers 5h du matin, résonne l’appel à la prière. Daoud écrit “ La grosse voix appelle à prier Dieu et crie fort pour secouer les dormeurs. C’est une langue d’exhortations et de menaces . Après son appel , les hommes vont se réveiller, roter tituber et se laver avec de l’eau froide, d’abord les parties intimes , ensuite les bras et la tête. Ils s’en iront , somnolents vers Dieu qui ne dort jamais”. En Kamel Daoud, certains voient un “arabe de service”. Il est vrai que cette scène peut apparaître comme le plagiat ridicule de la scène d’OSS 117, le Caire Nid d’Espions où Jean Dujardin fait taire le muezzin. La scène inaugurale de Houris peut laisser gênée devant cet Algérien qui recycle sérieusement une scène censée être comique où un acteur français surjoue l’imbécile de colon raciste. Chacun est libre de servir ses idées, les arabes comme les autres cependant, et l’on peut voir plutôt en Kamel Daoud l’archétype de l’Homme Inquiétant. Celui qui méprise les femmes de sa race. Mais finement, en ayant l’air féministe, ce qui accentue le danger. On pardonnera le mot “ race” qui ne doit plus être dit dans la France d’extrême droite, où la langue doit absolument évacuer le réel de la brutalité raciste. Mais dans dans ce passage , dès le premier chapitre , la langue, le corps des hommes sont attaqués en même temps que leur Foi. Quant à nous, nous sommes réduites au silence par la voix volée d’une femme fictive. Nous, femmes de la même race et de la même Foi que les hommes qui prient: inférieures, le Goncourt nous le dit officiellement. Nos frères, nos pères sont ces infirmes névrosés et dangereux, “titubants“, somnolents”, au corps et à l’esprit malade, dont la seule voix est une menace de primitifs barbares. Des barbares qui se lavent de surcroit, alors que le barbare doit être sale. L’eau, précieuse est réservée aux hommes des contrées civilisées, à eux seuls, la douche est autorisée plusieurs fois par jour. Chez le musulman, le soin du corps traduit la dangereuse obsession de la pureté, évidemment. Daoud écrit pour la France, pas pour l’Algérie. Ce propos inaugural est tenu dans une sphère culturelle précise. Celle où ses thuriféraires d’extrême droite ne cessent de publier des photos d’hommes en prière, avec un appel à les éradiquer de l’espace public. Daoud déguisé en Algérienne ajoute à ces discours ce que le fasciste français n’ose pas toujours dire. Les nôtres doivent cesser de prier et d’exister tout court. Même au cœur de la nuit, même en Algérie, ils sont intolérables. Les vrais Hommes, les Humains passent leurs nuits autrement. A dévorer de jolies femmes. Dans “Le Peintre dévorant la Femme“, Kamel Daoud se mettait dans la peau d’un “ djihadiste” qui regarde horrifié des toiles représentant notamment des corps de femmes, avant de les détruire. Le “djihadiste” fantasmé par Daoud est l’homme empêché et frustré avant toute chose. L’homme empêché de prendre du plaisir, l’homme empêché de vivre ses désirs pleinement, de laisser agir le pouvoir masculin de s’approprier le corps des femmes. Pour Kamel Daoud ,le “djihadiste” est bien sûr l’homme musulman en général et un impuissant volontaire . Il pourrait toucher, séduire soumettre toutes les femmes, en faire des objets de plaisir, mais son Dieu lui impose une morale. La morale c’est le danger, la faiblesse qui conduit à la frustration, laquelle explose ensuite forcément dans la destruction du meilleur des Mondes : l’Occident, qui, pour Daoud est ce Paradis absolu des Puissants, Empire du Dérèglement des Sens, où l’on s’arroge le droit de jouir des Autres sans entraves. Droit exclusif des Seigneurs coloniaux cependant. C’est pourquoi on ne peut séparer l’Homme de l’Artiste en lisant Houris. Le Kamel Daoud qui en 2016, à l’occasion des agressions sexuelles et des viols survenus à Cologne le soir du Nouvel An, commit une charge violente contre les hommes musulmans immigrés, tous des violeurs à expulser est le même que l’écrivain qui reproche aux hommes musulmans de ne pas consommer des femmes à leur bon plaisir. Daoud a cette intuition lucide, pour qu’un Arabe puisse profiter des droits du Seigneur blanc, il faut, impérativement, qu’il soit seul en lice. Le monde entier ne peut pas être blanc, il faut qu’il y ait, entravées et décriées des masses qui ne le soient pas. Si tous les hommes arabes et musulmans sont Kamel Daoud, alors Kamel Daoud, exception choyée par la France, ne peut exister. Il faut donc construire un imaginaire qui suscite la peur et la répulsion. Un imaginaire où il y a Kamel, l’homme qui dévore les femmes nues en masse au Musée, seulement au Musée. Et puis tous les autres frères de Kamel, qui entravés par une morale perverse, prisonniers de leurs fantasmes inavoués laissent exploser leur bestialité et leur frustration dès lors qu’ils sont laissés libres. Daoud sera l’Un d’Hortefeux, prêt à aider à contenir et à réprimer tous les Autres. Et nous les femmes de la même race que les démons à la langue menaçante ? Suppôts du Diable, c’est à dire musulmanes. Ou alors damnées de toutes façon, atrocement malheureuses et propriété muette de Kamel Daoud. Faire valoir toujours sanglantes. Le privilège de l’homme arabe qui hait les musulmans est grand: dans cette France où la Parole des Femmes es censée être sacrée, Kamel Daoud remporte le Goncourt en l’usurpant paisiblement, et avec un sadisme à peine voilé. D’entrée le malheur de l’héroïne est insoutenable. Pas seulement à cause de la cicatrice sur son cou. Mais parce qu’elle est enceinte, qu’elle pense à avorter, et qu’elle le crie intérieurement en parlant à sa future petite fille, en disant ces mots “ Je vais te couper la tête”. Maudite, condamnée à la reproduction du Geste Barbare censé définir l’Homme musulman. Sous les applaudissements des femmes islamophobes, ces progressistes, Daoud s’arroge le droit à l’humiliation voyeuriste du colon . Si un écrivain musulman décrivait une IVG dans ces termes, toutes les rombières qui vont encenser le Goncourt exigeraient son expulsion du territoire français. Daoud écrit bien, il a du style, un style très 19ème, c’est à dire le contraire de ces modes post-modernes actuelles. Le vocabulaire est soutenu, les phrases ont une syntaxe classique et élégante, et on lui reconnaîtra le talent, celui de parvenir à blesser jusqu’à l’intime la femme qui lit. Daoud réussit à susciter les images, celle de la pauvre jeune fille enceinte qui songe seule à assassiner la petite à qui elle parle, folle délirante dans cette métropole affreuse et puante, Oran, où des milliers de moutons qui étaient libres vont mourir, pour une fête qui sent le sang, au milieu de barbares qui “ jacassent” et “exhortent”. C’est à ce moment qu’on jette le livre, salie, avec l’envie de vomir, en se disant chapeau l’Artiste. Mais stop, aucune raison de s’infliger volontairement un roman d’extrême droite de plus. Il fallait en effet Kamel Daoud pour réussir à incarner une Brigitte Bardot convaincante et troublante. Pour réussir à toucher même dix secondes une lectrice avertie avec le poncif éculé des égorgeurs sauvages de moutons, opposés sans doute aux égorgeurs civilisés de cochons . Le cochon n’a pas d’âme, le mouton si. Il fallait Kamel Daoud pour nous tromper un instant, et ne pas apparaitre de suite comme comme vendeur de sornettes islamophobes racoleuses et vulgaires, serveur d’ une soupe où tous les sangs se mélangent, celui d’un bébé pas encore né, celui d’une petite fille égorgée, celui des moutons. Tous les sangs, indifféremment pour accuser un seul coupable d’avance , l’homme musulman. Houris est un roman historique parait il . On s’autorisera à le trouver révisionniste, ou tout simplement suprémaciste, c’est à dire écrit au nom de ceux qui s’arrogent le droit de fixer la date du début de l’Histoire. Chez Daoud, la “décennie noire”, terme consacré, ne commence pas, surtout pas, le jour où un parti musulman gagne démocratiquement les élections puis se voit refuser cette victoire par la violence, la répression et le sang. Quand la violence politique est soutenue par l’Occident, elle s’appelle défense de la démocratie. On aura aussi cette paranoïa impardonnable, lire Houris comme une tentative d’humiliation psychologique des femmes musulmanes. Faite par un littérateur un peu lâche qui choisit de voler la voix d’une Muette qui ne pourra pas protester . Daoud est coutumier du fait, il y a quelques semaines encore, il nous offrait une tribune de “soutien” aux Afghanes, des Muettes aussi. Dans quelques jours, remis des célébrations post Goncourt, il nous écrira sans nul doute la lettre imaginaire d’une jeune Iranienne qui ne voudrait rien tant que venir en Occident et devenir mannequin pour une marque de sous-vêtements, et être retweetée par Donald Trump très certainement. Dieu merci, Daoud l’Homme peut nous écraser avec ses amis islamophobes, dans une France où seuls les fanatiques laïques ont le droit de raconter leur histoire de l’Algérie, mais il n’écrira pas à notre place, au moins nous sera épargné l’usurpation dont il est coutumier pour d’autres. Jamais il n’écrira nos nuits à penser aux femmes palestiniennes brûlés vivess dans un camp de réfugiés. Jamais il n’écrira sur la douleur et l’humiliation des musulmanes dont les frères ont été violés dans les Guantanamo israéliens ou dans le Guantanamo originel. Jamais il n’écrira notre peur de certaines femmes puissantes et libres de leurs désirs. Pas les icônes languissantes et offertes des musées. Celles qui ont conquis le droit de marcher sur le corps des hommes à Abou Ghraib , et celui d’être interrogatrices de la CIA à Bagram et de droguer des hommes musulmans pour les humilier ensuite. Celui des fières amazones de Tsahal, posant rigolardes comme des soudards au milieu des ruines et des pierres qui recouvrent les cadavres des enfants. Kamel Daoud n’est pas un arabe de service, plutôt le Maître d’Hôtel de Shining puissant parce que lucide sur ce qu’il sert et sachant en tirer profit. “Houris” est le roman du féminisme déhistoricisant et donc colonial absolument. Le Goncourt lui a été offert le lendemain de l’anniversaire du déclenchement de l’insurrection algérienne. Et le jour où les réseaux ont été inondés de l’image d’une jeune fille iranienne déshabillée, Muette absolument à qui des dizaines de milliers d’islamophobes français ont donné une Voix, la leur . Pour cracher sur les musulmanes. Nous qui avons ce tort insupportable pour la France. Sortir des tableaux, nous rhabiller, quitter ces musées où nos images piégées cohabitent avec celle des caricatures de nos frères, Sarrazins au sabre sanguinolent, condamnés à mort d’avance par des littérateurs pour table de chevet de Ministres de l’Intérieur, dans la même pile que le dernier livret de SOS Chrétiens d’Orient. Nous qui préférons l’appel à la prière à l’appel à la croisade, fusse-t-il lancé par un homme élégant et dissimulateur, qui sait à merveille imiter la voix des innocentes. Texte intégral 2085 mots
31.10.2024 à 09:57
Arrestation d’Abdourahmane Ridouane: triple peine pour les militants étrangers
Abdourahmane Ridouane, président de la mosquée de Pessac, est désormais inculpé pour apologie du terrorisme. Il a été mis en garde à vue pour cette raison. Il a été initialement interpelé en août. Son titre de séjour ne lui avait pas été renouvelé, malgré des décennies de présence sur le territoire français. Son domicile a été perquisitionné. Première peine pour avoir osé prendre la défense du peuple palestinien. Depuis le mois d’août, il était en rétention administrative. Il n’y a guère de différence entre la prison et la rétention, si ce n’est que la seconde a lieu sans condamnation pénale. Abdourahmane Ridouane était privé de sa liberté d’aller et venir, il n’avait pas le droit à internet et donc de se défendre face aux accusations politiques portées contre lui dans les médias et sur les réseaux. Sciemment, il a été enfermé dans un centre de rétention à des centaines de kilomètres de chez lui : il a donc été privé des visites régulières de son épouse et de ses proches. Double peine parce qu’il est immigré. Militants et militantes des droits humains, musulmans ou non, nous sommes solidaires d’Abdourahmane Ridouane et de l’intégralité de ses propos publics, que nous partageons sans exception ni aucune réserve. Le délit d'”apologie du terrorisme” est un délit politique, une infraction aux contours suffisamment flous pour que son application dépende uniquement du pouvoir en place et de ses choix diplomatiques. Aujourd’hui, on peut être un admirateur de Netanyahu, le mettre en photo de profil, l’applaudir lorsqu’il massacre des civils quotidiennement. Ce n’est pas de l’apologie du terrorisme. La terreur en Palestine, même celle des enfants, n’est pas considérée comme un sentiment venant d’êtres suffisamment humains pour être des victimes de “terrorisme”. Les dirigeants palestiniens peuvent être exécutés sans procès par Israel, dans le cadre d’opérations extérieures en pays étranger, et en tuant des civils au passage, sans que ce soit considéré comme un attentat. Et l’on devrait se taire lorsqu’ils sont assassinés au mépris de toutes les règles du droit international ? À combien de dirigeants de pays musulmans cette règle va-t-elle être étendue dans l’avenir, en cette période de guerre généralisée ? Militantes et militants contre la politique raciste en matière d’immigration, nous ne sommes pas dupes de l’utilisation spécifique de l’internement administratif des étrangers pour punir toutes celles et ceux qui n’ont pas la nationalité française et museler les immigrés. Abdourahmane Ridouane vient de purger presque trois mois d’une peine de prison qui ne dit pas son nom, simplement pour avoir exprimé une opinion. Ce qui est en jeu aujourd’hui, au-delà de son cas personnel, comme cela l’a été pour de nombreux imams expulsés dans l’indifférence, ce sont les libertés civiles accordées en France, indépendamment de la nationalité française. Le gouvernement français applique désormais le principe de la préférence nationale aux libertés fondamentales, la liberté d’expression, la liberté de conscience, la liberté de culte. Militants et militantes contre l’islamophobie, nous constatons que la triple peine pour Abdourahmane Ridouane existe parce qu’il est musulman et président de mosquée : une mosquée que le gouvernement a tenté en vain de fermer en 2022. Mauvais perdant devant la justice de son pays, Darmanin s’est acharné sur Abdourahamne Ridouane faute d’avoir pu détruire la mosquée dont il était président ? Qu’à cela ne tienne, Retailleau prend le relais. Nous ne pouvons empêcher la souffrance infligée à un homme musulman et sa famille. Pas plus pour Abdourahmane Ridouane que pour d’autres dont les droits sont bafoués et les vies détruites actuellement. Mais chacun a le devoir de dire la vérité face à un pouvoir tyrannique : le gouvernement français se couvre de honte et met en Lumières le courage de ceux qu’il veut détruire. Involontairement, en punissant la générosité, la dignité et le combat exemplaire contre un génocide, il indique le sentier à suivre, celui de la Justice universelle. Texte intégral 826 mots
Alors que le délai légal de rétention allait se terminer, il a été transféré ce 30 octobre au commissariat et placé en garde à vue pour “ apologie du terrorisme”. Triple peine, après avoir utilisé toutes les possibilités offertes par la législation contre les immigrés.
28.10.2024 à 12:25
Procès d’Elias d’Imzalene : au cœur des débats, la liberté d’expression contre un génocide en cours.
Ces femmes qui s’avancent A-t-on encore le droit en France de critiquer la politique étrangère de son pays, lorsqu’elle a trait au soutien diplomatique à un état dont les dirigeants sont mis en cause par la communauté internationale pour crimes contre l’humanité ? Elias d’Imzalene étant musulman visible, la dramaturgie politique partisane a pris le pas sur le réel depuis plus d’un mois. Plusieurs dizaines d’articles de presse répétitifs ont visé le « fiché S » tout de suite après le rassemblement incriminé, souvent fondés sur des dénonciations venues de polémistes de Reconquête ou des cercles favorables à la stratégie israélienne. Le ministère de l’Intérieur a cru utile de réagir aux demandes de l’extrême droite, particulièrement déchaînée sur X, en annonçant des poursuites pour des délits passibles de 15 ans de prison. Finalement, malgré le déplacement du procureur en personne lors de sa garde à vue, pratique fort rare en la matière, Elias d’Imzalene en est ressorti avec une convocation pour simple délit de presse. Pourtant, les apparences lors de l’audience donnaient l’impression d’assister au choix : Rien de tout cela n’était survenu après les propos d’Elias d’Imazalene, le rassemblement incriminé s’étant terminé comme il avait commencé, dans le calme. Au père de famille mis en cause à la barre et interrogé pendant plus de trois heures de suite par les parties civiles et le procureur, on a pourtant imputé la responsabilité morale et collective, en vrac : de l’attentat contre Charlie Hebdo, de la mort de Samuel Paty, de celles de soldats israéliens survenues il y a des années en Palestine, de l’ensemble des actes antisémites commis en France depuis octobre dernier, rien que ça. De manière plus surprenante encore, un des avocats des parties civiles lui a opposé l’incendie d’une synagogue à Créteil en 2003. Vérification faite, car la mémoire précise des actes antisémites importe, il s’agissait d’un départ de feu dans le local technique de la synagogue de Cachan, que l’avocat a sans doute mêlé à celui d’une classe de l’école juive Ozar Hatorah de Créteil, survenue la même année. Aucune mention de lien avec un auteur musulman n’a été faite par la presse à l’époque, et le rabbin de la synagogue avait lui-même évoqué un acte isolé qui contrastait avec le quotidien des fidèles et du lieu de culte dans sa ville. Pourtant, aucune mention des Juifs ne figurait dans les propos reprochés à Elias d’Imzalene. Mais la longue barbe de l’accusé, sa foi non cachée jouait a en sa défaveur absolue, comme dans d’autres procès de ce type. Il était difficile de ne pas songer à l’audience d’Abdourahmane Ridouane au Conseil d’Etat : le président de la mosquée de Pessac y contestait la mesure d’expulsion prise à son encontre, et, dans les débats, il avait notamment évoqué sa condamnation publique et immédiate des évènements du 7 octobre 2023. Il avait aussi longuement parlé des raisons de son engagement dans la lutte contre tous les génocides, en évoquant le choc et la réflexion induites par le visionnage de Shoah, de Claude Lanzmann dans le cadre de sa scolarité au Niger. Le Ministère de l’Intérieur lui avait opposé le « double discours » censé être la marque de la Bête chez les « islamistes ». Au bout de deux heures d’audience et devant les discours contre Elias d’Imzalene, d’une mauvaise foi palpable, on avait presque envie de lui demander de se taire et de ne pas perdre son énergie devant des procédés similaires, déployés par au moins six avocats en sus du Ministère Public, puisque certaines parties civiles en avaient deux. On entendit ainsi à maintes reprises répéter qu’Elias d’Imzalene était antisémite parce qu’il travaillait avec des organisations juives. Qu’il l’était d’autant plus car des personnes juives étaient venues témoigner pour lui et que de surcroît elles arboraient EXPRES une kippa en manifestation. Pire, l’”influenceur”, comme certains le dénomment dans la presse, avait commis un acte irréparable : oser se rendre au Mémorial pour les insurgés du ghetto de Varsovie à l’occasion d’un déplacement à l’OSCE en Pologne. Se recueillir dans un lieu de mémoire de la Shoah, s’interroger publiquement sur les raisons pour lesquelles il était aussi petit, pourquoi les traces physiques de l’évènement avaient été recouvertes par des parkings, tout cela était intolérable et d’une duplicité antisémite inouïe. Quant au fait de rapprocher les victimes d’un crime contre l’humanité en Pologne et celles de victimes incontestables de l’escalade génocidaire de l’extrême droite israélienne, cela relevait de l’appel à la violence antisémite. En effet, pour les parties civiles, l’insurrection du ghetto de Varsovie étant une insurrection juive armée, cela prouvait bien qu’Elias d’Imzalene pensait à tuer des Juifs lorsqu’il disait « intifada ». On avait donc envie de demander à l’accusé d’accepter la sentence pour le bien commun et d’abréger par son silence cet exposé de dangereuses sottises. En effet, l’audience avait lieu dans une salle remplie notamment de jeunes, musulmans et/ou de gauche, engagés dans le combat pour les droits humains. L’engagement mémoriel d’Elias d’Imzalene, l’ “influenceur” selon ses adversaires, est évidemment une chance pour la lutte contre l’antisémitisme, si l’on considère que pour être efficace, elle doive intéresser de manière large dans la population française. Malheureusement, toute personne profane sur ce sujet pouvait en tirer une seule conclusion en ayant assisté à cette audience : qui ne soutenait pas le gouvernement israélien, et était en plus musulman, serait de toute façon qualifié d’antisémite et de surcroit d’hypocrite et de lâche calculateur s’il s’avisait de s’en mêler. Catastrophique pour la suite, évidemment. Mais assez symptomatique de la dérive inquiétante de certaines forces politiques, de la fuite en avant des soutiens les plus fervents de l’état israélien qui, en un an, en sont venus non seulement à intenter des procès à toutes les forces qui de près ou de loin se battent pour le cessez le feu à Gaza, mais aussi à déclarer antisémites et héritiers des nazis, non seulement des musulmans, mais aussi des militants juifs, mais aussi des membres de la communauté internationale, des rapporteuses spéciales de l’ONU , des intellectuels et des artistes, le gouvernement de l’Afrique du Sud, et même parfois Emmanuel Macron, lorsqu’il lui vient à l’idée de condamner un bombardement sur cent. Cette dérive politique a des raisons objectives qui apparaissaient à qui voulait bien se renseigner après l’audience sur les parties civiles présentes et leurs positionnement au lieu de lire des articles sans intérêt confinant au gênant, par exemple lorsque Marianne ou Franc Tireur insistent sur le fait qu’Elias d’Imzalene est un homme intelligent et cultivé ce qui aggraverait sa dangerosité. Faut-il que les hommes musulmans soient ignares et stupides pour trouver grâce aux yeux de certains « patriotes » français ? De même, les positions de l’Observatoire Juif de France ont de quoi étonner les acteurs sincères de la lutte contre l’antisémitisme : lors de l’élection de Netanyahu, cette organisation avait par exemple produit un communiqué de presse pour exiger des journalistes qu’ils cessent de qualifier le gouvernement israélien d’ “extrême droite” (2). On trouve aussi sur leur site la tribune d’un père de soldat israélien qui s’insurge que les familles des otages du Hamas se mobilisent et s’expriment contre Benjamin Netanyahu, ce qui constituerait une trahison grave contre Israël (3). Dès octobre, l’Observatoire s’exprimait à l’impératif sur sa page Facebook pour intimer l’ordre aux personnes juives françaises d’”arrêter la politique”, de cesser toute critique de l’état d’Israel et de se ranger derrière son gouvernement. Sinon ? Un début de réponse a été donné pendant l’audience, ou des témoins individuels d’Elias d’Imzalene ont été injuriés comme « juifs de service » ( sic) par l’avocat de l’OJF. On regrette évidemment que la LICRA se soit associée à l’extrême droite française et à des associations pour qui le périmètre de l’antisémitisme commence à toute position critique de Benjamin Netanyahu. Un nom ça se porte dignement et quand on a hérité de celui d’une organisation fondée en 1926 pour soutenir un homme Juif qui avait abattu un leader fasciste ukrainien en plein Paris, on évite de compromettre une noble mémoire avec des gens pour qui tout homme musulman est forcément terroriste. Et même tout enfant de sexe masculin puisqu’il fut reproché à Elias d’Imzalene de faire référence même à la première Intifada et à l’image iconique et consensuelle du jeune garçon jetant une pierre contre un tank. Au sortir de l’audience et en réintégrant le réel, le public musulman et de gauche, et même des observateurs objectifs, ne pouvaient que ressentir la même dissonance cognitive qu’après une dystopie cinématographique réussie. C’était tout le crime d’Elias d’Imzalene, qui reconnaissait lui-même avoir eu peu de goût pour les prises de parole en manifestation, dans toute sa vie politique antérieure. Il eut d’ailleurs cette phrase amusante “Je ne trouvais pas cela très distingué”, la seule qui fit sourire les militantes du public, ravalées toute l’audience au rang de groupies prêtes à aller tuer au moindre mot du Barbe Bleue des temps modernes. Elias d’Imzalene avait commis le crime impardonnable, celui de ne pas faire ce que l’on attend, dans la société française, de la part de ceux que l’on qualifie d’islamistes ou de séparatistes, en n’ayant souvent pas la moindre idée de ce que cela peut signifier. Il s’était mobilisé avec d’autres forces politiques, il avait battu le pavé et pris le mégaphone pour appeler à la révolution, tradition française ancienne, et parfaitement inoffensive le plus souvent, comme chacun le sait depuis qu’Emmanuel Macron a ainsi intitulé son livre pour la campagne de 2017 (4). Si cela avait conduit à l’incendie du 16eme arrondissement, à celui du Château de Versailles et à la décapitation des puissants, cela se saurait. Mais il est vrai qu’Emmanuel Macron n’est pas musulman, n’a pas de barbe, et ne lutte pas contre un génocide. Libre à chacun de choisir le sentier entier de la Justice ou pas. ——————————————————————————————————————————- (1) Ce tweet de Laurent de Béchade est extrait de cet excellent article sur l’offensive des médias d’extrême-droite et leur rhétorique (1) (2) Quelques captures d’écran de la page FB de l’OJF . Nous épargnons au lecteur l’intégralité des textes et des screens réalisés, disponibles sur demande, naturellement. En réalité, il suffit d’un seul post pour comprendre l’orientation politique de cette association qui relaie Douglas Murray avec enthousiasme. Douglas Murray est qualifié d’Eric Zemmour anglo-saxon et défend la thèse de la dangerosité absolue de l’immigration musulmane , dont la religion et la culture sont un poison mortel pour l’Occident. (3) Demande de l’OJF auprès de ses lecteurs : (3) (4) Livre du président, pour nous réconcilier (source FNAC.com) : Texte intégral 3382 mots
En tenant au bout de leurs bras
Ces enfants qui lancent
Des pierres vers les soldats
C’est perdu d’avance
Les cailloux sur des casques lourds
Tout ça pour des billets retour
D’amour, d’amour, d’amour, d’amour..
Tout le monde y pense
Francis Cabrel 1989
La question a été posée à la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, ce 23 octobre, à l’occasion du procès d’Elias d’Imzalene, jugé pour avoir fait ce que la plupart des acteurs et actrices de la lutte pour les droits humains font depuis des mois, appeler à l’insurrection des consciences et à la mobilisation contre les massacres en Palestine, lors d’un rassemblement pour la Palestine, souvent en utilisant le mot arabe “Intifada”. Voilà pour les faits.
* à un procès en assises pour des actes de terrorisme ;
* ou au jugement d’un néo-nazi négationniste qui aurait appelé à brûler des synagogues dans une manifestation, laquelle aurait ensuite dégénéré en expédition punitive contre des commerces juifs.Tout militant de longue date était ainsi surpris par l’apparition d’une association inconnue au bataillon antiraciste : « Lutte pour l’égalité de l’antiracisme ». Le site internet de l’association ne mentionne aucune activité précise et indique que seul un don de 500 euros ou plus peut permettre de rencontrer son président, Laurent de Béchade. Pour les curieux au compte en banque dégarni, une simple recherche sur Google permet de savoir que l’association s’appelait « Organisation de lutte contre le racisme anti-blancs » il y a encore peu de temps, et que Laurent de Béchade retweetait, par exemple, sur le risque du « White Génocide », théorie suprémaciste blanche anglo-saxonne, fondée sur un récit négationniste et antisémite selon lequel les Juifs manipulent les races inférieures pour coloniser l’Occident et provoquer sa décadence et sa chute. (1)
L’enjeu politique du procès apparaissait aussi dans cette dangereuse réécriture de l’Histoire où la révolte de toute une jeunesse opprimée par un gouvernement en dépit de toutes les résolutions de l’ONU devenait finalement l’équivalent de massacres en tous genres.
Mais la LICRA avait sans doute donné le ton de ce procès quelques jours auparavant en citant cet extrait des interventions de ses journées d’automne sur X : « On ne devient pas antisémite parce qu’on s’intéresse au Proche Orient , on s’intéresse au Proche Orient parce qu’on est antisémite ». La messe était dite.
Il suffisait de rallumer son téléphone et de parcourir les dépêches de presse : l’énumération devenue quotidienne des victimes palestiniennes, des destructions d’écoles, de mosquées , d’hôpitaux, l’exode terrible des réfugiés palestiniens et maintenant libanais sous les bombes. Les réfugiés brulés vifs dans des des tentes après avoir échappé à la mort dans la destruction de leur maison.
Et puis effectivement, en face, pour tenter d’endiguer le flot de sang, un mouvement mondial multiforme, généreux et infatigable, évidemment critiquable dans le cadre du débat démocratique : mais un mouvement qui, sans moyens, contre les choix diplomatiques de son gouvernement, comme en France, persiste à exister essentiellement avec son cœur et avec ses pieds, en manifestant depuis un an, pacifiquement, massivement ou pas, chaque semaine, qu’il pleuve ou qu’il vente.