Analyste militaire et vétéran de l’ATO — l’opération anti-terroriste dans le Donbass —, les opinions et les analyses de Taras Chmut sont particulièrement influentes. Il dirige depuis 2020 l’une des organisations caritatives les plus importantes du pays, Come Back Alive, la première à avoir obtenu en 2022 le droit d’acheter des armes létales pour l’armée.

La guerre d’Ukraine est l’une des premières guerre des drones. Pourriez-vous revenir sur l’histoire que ces systèmes ont joué depuis le début du conflit ?

L’histoire des systèmes sans pilote dans le contexte de la guerre en Ukraine peut être articulée autour de plusieurs étapes clefs.

C’est au cours de la période 2014-2015 qu’émerge l’utilisation des drones sur le champ de bataille. À cette époque, l’Ukraine a commencé à déployer activement des systèmes sans pilote dans ses opérations militaires, bien que leur utilisation fût alors encore relativement restreinte.

Entre 2015 et 2017, les systèmes sans pilote ont connu un développement continu. Leur utilisation est devenue plus systématique et ces technologies ont été progressivement intégrées aux structures militaires. 

En 2018, un événement significatif s’est produit avec l’introduction du drone DJI Phantom-4, qui a considérablement amélioré l’efficacité de la reconnaissance et du soutien tactique sur le champ de bataille.

L’année suivante a été marquée par l’acquisition des premiers drones Bayraktar, représentant une avancée notable vers l’utilisation de technologies de drones plus modernes et plus puissantes.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022 a marqué un tournant décisif dans l’intensification de l’utilisation des systèmes sans pilote. Les forces armées ukrainiennes ont été inondées d’un large éventail de drones de divers types, tels que  les Mavic, DJI, Autel, Matrice et autres. Parallèlement, le nombre de fabricants de drones ukrainiens a connu une croissance spectaculaire, tout comme celui des modèles occidentaux. Enfin, l’emploi de drones kamikazes, tels que les Switchblade et les Warmate, ainsi que des drones FPV, a commencé à prendre une ampleur significative.

Blueprint d’un drone Switchblade
Blueprint d’un drone Warmate

Au cours de l’été 2022, un événement important a été l’émergence du déploiement de drones pour la frappe en profondeur — phénomène qui est ensuite devenu très courant pour les frappes en profondeur contre des cibles ennemies. 

Dans la seconde moitié de 2022, des drones navals sont apparus sur le champ de bataille, et l’émergence de systèmes robotiques basés au sol et de drones bombardiers de nuit — à l’instar du Vampire — a commencé. 

[image de drones navals]

En 2023 et 2024, ces technologies ont continué d’évoluer : l’utilisation de drones aériens FPV, de drones terrestres et de drones bombardiers de nuit s’est intensifiée.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022 a marqué un tournant décisif dans l’intensification de l’utilisation des systèmes sans pilote.

Taras Chmut

L’évolution des systèmes sans pilote, utilisant notamment l’intelligence artificielle, a permis à l’Ukraine d’évincer la flotte russe, néanmoins ce sont toujours des soldats qui se trouvent dans les tranchées et qui restent l’unité combattante principale. Dans quelle mesure la robotique peut-elle remplacer la composante humaine dans l’armée ? 

Dans l’idéal, le soldat devrait complètement sortir du champ de bataille. La guerre que nous menons actuellement montre que l’écart entre les ennemis se creuse parce que les tirs de manœuvre deviennent plus rapides, plus profonds et moins coûteux. Si auparavant, au niveau du bataillon, vous disposiez d’un mortier de 120 mm d’une portée effective de 5 à 7 kilomètres, vous avez désormais des drones qui peuvent opérer à une distance de 10 à 15 kilomètres. C’est un outil bon marché qui peut partiellement remplacer le soldat : travailler sur l’équipement, l’infanterie, les fortifications, les mines, fournir un soutien logistique, etc. C’est un outil très flexible.

Un autre aspect important réside dans l’apparition de nouveaux moyens, tels que les drones bombardiers de nuit et les systèmes sans pilote, aux différents niveaux — bataillon, brigade, etc. Ces dispositifs assurent 30 à 40 % des opérations de logistique et de minage. Les pertes sont considérables, non seulement en raison de l’utilisation directe des drones, mais également en raison des actions connexes, telles que le minage des zones, la reconnaissance des itinéraires durant la journée et le déploiement de mines pendant la nuit. Grâce aux drones, même la nuit, l’ennemi est confronté à des explosions, ce qui a un impact significatif sur la conduite des opérations militaires. L’Occident n’est pas du tout préparé à ce type de guerre.

Dans ces circonstances, la distance entre les camps des deux adversaires s’accroît, car aucune d’entre elles ne dispose d’une capacité suffisante pour s’emparer de l’espace opérationnel, créant un paradoxe similaire à ce qu’on pouvait observer pendant la Première Guerre mondiale.

Quelles sont les difficultés rencontrées par la partie ukrainienne dans cette confrontation ?

Nous assistons aujourd’hui à l’évolution des contre-mesures telles que la guerre électronique et le renseignement électronique, ainsi qu’à l’automatisation de leur fonctionnement et de leur combinaison. 

Toutefois, nos propres systèmes de guerre électronique nous causent parfois plus de tort que ceux des Russes. Chaque soldat dispose de sa propre station de guerre électronique qu’il peut activer à n’importe quel moment, perturbant ainsi nos propres drones FPV… Nous subissons des pertes importantes d’équipements même en dehors de la ligne de contact, ce qui constitue un problème majeur. Cette situation résulte également de nos pertes considérables face aux drones FPV russes, nécessitant une réaction urgente. Ce problème est grave, car nous perdons ainsi une part significative de notre matériel et de notre potentiel, et des mesures correctives s’imposent.

Grâce aux drones, même la nuit, l’ennemi est confronté à des explosions, ce qui a un impact significatif sur la conduite des opérations militaires. L’Occident n’est pas du tout préparé à ce type de guerre.

Taras Chmut

Dans la course aux armements, les Ukrainiens ont accès à la technologie occidentale, tandis que les Russes ont accès à la technologie chinoise ou iranienne. Qui a le plus grand potentiel de développement dans cette nouvelle situation ?

L’Occident a évidemment plus de potentiel. Mais la rapidité et la flexibilité sont davantage du côté de la Russie et de ses partenaires. La bureaucratisation des processus dans les démocraties, par opposition à la rapidité de prise de décision dans les régimes autoritaires, est essentielle. Les régimes autoritaires peuvent s’agrandir rapidement, et si une usine ne répond pas à une norme, son personnel peut se retrouver demain dans les tranchées. Les pays autoritaires sont toujours plus rapides dans ce domaine, car dans ces pays, soit vous le faites, soit vous êtes puni et fusillé.

Cela serait impossible en Europe. Il y a trop de procédures d’approbation et de divergences de points de vue, ce qui ralentit considérablement le processus. Cette lenteur européenne coûte des vies à l’Ukraine. Si l’Europe devait combattre directement la Russie, les conséquences pourraient être extrêmement négatives.

Néanmoins, des changements sont en cours, notamment le retour de la conscription dans de nombreux pays, l’augmentation des budgets militaires, l’achat accru de munitions et la prise de conscience qu’une armée réduite ne peut suffire à une guerre de grande envergure ; elle doit nécessairement être plus importante en termes d’effectifs. Globalement, la tendance en Europe est à la remilitarisation.

En ce qui concerne notre fondation, ces dernières années, nous privilégions l’achat de drones en Ukraine, car ils sont les meilleurs sur le marché. Ils sont trois fois supérieurs aux drones européens en termes de prix et de performances. Les drones FPV ukrainiens ont également atteint un niveau de sophistication élevé. Nous avons débuté avec des drones chinois, mais, malheureusement, les modèles FPV prêts à l’emploi ne répondent pas entièrement à nos attentes, nécessitant des modifications personnalisées. Aujourd’hui, nous préférons collaborer avec les fabricants ukrainiens, qui offrent une personnalisation actualisée, un service de garantie, ainsi que la possibilité de réaliser des ajustements spécifiques.

Nous privilégions l’achat de drones en Ukraine, car ils sont les meilleurs sur le marché. Ils sont trois fois supérieurs aux drones européens en termes de prix et de performances.

Taras Chmut

Les fabricants ukrainiens sont-ils désormais la principale source d’approvisionnement pour tous les types de drones ?

Non, le Mavic et l’Autel restent les principaux drones de reconnaissance et de surveillance et, dans une certaine mesure, bombardiers.

Cependant, lorsqu’il s’agit de « fotoliot » — les drones servant à la prise de vues — et de drones de reconnaissance tactique au niveau de la brigade, les drones ukrainiens dominent. Parmi les modèles étrangers, seuls quelques-uns sont largement utilisés, comme le

Un drone Vector
Blueprint d’un drone Puma

Au niveau opérationnel et tactique, la situation est à peu près la même.

Des drones ukrainiens et étrangers sont utilisés, tels que le Scaneagle, le PD-2 ukrainien, le Raybird-3 et divers modèles européens.

En ce qui concerne la gamme des drones d’attaque, tels que le Bayraktar TB-2, l’Ukraine n’est pas encore prête à proposer quoi que ce soit. Je ne suis même pas certain que quelqu’un soit en train d’en développer.

L’Ukraine produit néanmoins des drones Bayraktar conjointement avec la Turquie…

Oui, nous nous efforçons de mettre cela en œuvre. 

C’est un processus très complexe qui se poursuit depuis plusieurs années mais, dans l’ensemble, il s’agit d’une évolution positive pour nous. Cette démarche élève le niveau du marché et nous permet de lancer de nouveaux produits dans des catégories que nous ne maîtrisons pas encore. C’est une initiative pertinente, car elle contribuera à l’amélioration de notre culture de production, à la création de nouveaux emplois, et nous permettra de produire des drones destinés à des pays tiers.

Nous continuons par ailleurs à utiliser activement le Bayraktar TB-2. Contrairement à son emploi au début de l’invasion à grande échelle, il est aujourd’hui principalement utilisé pour la reconnaissance — cela ne signifie toutefois pas qu’à l’avenir il ne reprendra pas sa fonction de frappe.

Qu’en est-il de l’efficacité des drones terrestres et maritimes ?

La situation des drones terrestres est plus complexe. La plupart des produits, malheureusement, ne fonctionnent pas aussi efficacement que prévu et nécessitent encore des améliorations. Par exemple, les drones introduits au moment du lancement de la Force de systèmes sans pilote doivent être davantage perfectionnés, tout comme les tactiques d’utilisation, la formation du personnel et l’architecture des unités militaires. Il s’agit d’un système complexe. Tandis que les capacités de reconnaissance et de frappe évoluent depuis 2015, le domaine des drones terrestres est relativement récent et n’existe que depuis environ deux ans.

Les drones kamikazes présentent une complexité moindre et fonctionnent généralement très bien. Ils sont opérationnels et en constante évolution.

Taras Chmut

Si l’on prend l’exemple d’un drone de déminage, il doit être intégré dans une certaine structure et disposer de son propre personnel. Il est nécessaire de développer des tactiques pour son utilisation, de fournir l’équipement nécessaire, le transport et le personnel formé. Le type de drone lui-même doit également être adapté à des tâches spécifiques : déminage de mines antipersonnel, de mines antichars, etc. Il est important de connaître sa durée de vie explosive, son niveau de résistance à la guerre électronique et ce qu’il faut faire si le drone explose, tombe en panne ou est détruit. Des questions se posent également sur son coût, sa résistance aux impacts, etc. Il s’agit d’un système très complexe comportant de nombreux aspects.

La situation des drones maritimes est plus favorable. Les drones kamikazes présentent une complexité moindre et fonctionnent généralement très bien. Ils sont opérationnels et en constante évolution. Il existe plusieurs fabricants et une certaine concurrence interne, ce qui rend ce secteur relativement dynamique. Les drones terrestres kamikazes, bien qu’également jetables, sont aussi efficaces dans leur domaine. En revanche, les drones réutilisables rencontrent certains problèmes.

La Force des systèmes sans pilote s’occupe-t-elle de tous les types de systèmes sans pilote, du Mavic au Bayraktar en passant par les drones terrestres et maritimes ?

Pas exactement. Les Bayraktar étant des systèmes d’aviation, ils sont actuellement opérés par la 383e brigade des systèmes d’aviation sans pilote. La situation des drones maritimes est plus délicate : ils sont utilisés par le GUR (Direction principale du renseignement), le SBU (Service de sécurité de l’Ukraine) et la marine ukrainienne. Ils jouent ici un rôle plus secondaire, mais restent importants.

Les forces armées ukrainiennes disposent actuellement de nombreux types de drones en service. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une manifestation de diversité et de polyvalence, ou plutôt d’un manque d’uniformisation ? 

Il est évident qu’il est nécessaire d’unifier les drones, de normaliser les exigences qui les concernent, et de développer des normes et des typologies spécifiques. Cela constitue l’une des missions du commandement unifié. Toutefois, il est important de noter que le marché des drones est en pleine émergence et formation. Une plus grande diversité d’acteurs sur le marché entraîne une concurrence accrue, ce qui stimule le développement de solutions locales, améliore la qualité et accélère les processus.

Il n’est pas utile d’avoir seulement quelques grands acteurs comme Lockheed Martin. Il est préférable d’avoir une vingtaine d’entreprises de taille moyenne qui, à terme, pourront vendre leurs produits à l’international, attirer des spécialistes de premier plan, créer de nouveaux créneaux et investir dans la formation et l’éducation. Actuellement, le marché est très fragmenté, avec environ 300 à 500 fabricants de véhicules sans pilote, selon les critères de comptage, dont une vingtaine de grandes entreprises dans ce secteur.

Il n’est pas utile d’avoir seulement quelques grands acteurs comme Lockheed Martin. Il est préférable d’avoir une vingtaine d’entreprises de taille moyenne qui, à terme, pourront vendre leurs produits à l’international.

Taras Chmut

Quel est le potentiel d’exportation des drones ukrainiens, compte tenu des besoins propres de l’Ukraine pendant la phase active de la guerre ?

Il est très élevé. Actuellement, nous utilisons environ 40 % de notre capacité de production. L’ouverture des exportations peut considérablement stimuler le développement de cette industrie en augmentant les fonds de roulement, les recettes en devises, l’ouverture de nouveaux marchés et l’accès à des technologies supplémentaires. Elle permettra également de tester davantage de produits dans différents environnements, sur différents marchés et avec différents composants.

Quel rôle jouent les drones dans les activités de votre fondation Come Back Alive, en particulier en ce qui concerne la hiérarchie des besoins de l’armée ukrainienne ? 

La demande la plus importante pour la fondation concerne actuellement les nouveaux pick-up, qui occupent la première place. Ces véhicules sont essentiels pour les armes d’infanterie collective. En deuxième position figurent les mortiers de 82 et 120 mm, les mitrailleuses lourdes, ainsi que les lance-grenades portatifs et automatiques. Les drones Mavic de tous types, notamment ceux équipés de caméras thermiques (3T) et leurs composants, y compris les batteries, se classent en troisième position. Nous développons des postes de commandement pour les drones, des stations de commandement pour les systèmes de missiles antiaériens, des équipements de communication et d’autres projets similaires. Il s’agit d’un vaste écosystème qui nécessite un entretien constant.

Pour utiliser efficacement les drones FPV, le gouvernement peut fournir les drones eux-mêmes, mais il est également nécessaire de mettre en place toute l’infrastructure associée. Cela inclut des postes de soudure, du matériel d’atelier, des munitions, des camionnettes, des imprimantes 3D ainsi que les matériaux nécessaires à leur fonctionnement, et l’accès à Internet par satellite (comme Starlink), des ordinateurs portables puissants, des téléviseurs, des générateurs, des alimentations sans interruption (UPS), et d’autres équipements connexes. Par exemple, un chauffeur de camionnette a besoin de veilleuses, de radios, de Starlink, et d’autres équipements de communication. Bien que l’État fournisse l’équipement de base, nous sommes responsables de l’ensemble de l’écosystème nécessaire à l’opération.

Sur cette photo fournie par le service de presse de la 65e brigade mécanisée ukrainienne le 19 novembre 2024, un soldat ukrainien lance un drone lors d’un entraînement sur un polygone dans la région de Zaporijia, en Ukraine. © Andriy Andriyenko/65e brigade mécanisée ukrainienne via AP
Un drone est lancé lors d’une opération de la police haïtienne et du MSS contre des gangs armés le 28 novembre 2024 à Port-au-Prince. © Noel/ZUMA Press Wire/Shutterstock

Nous créons de tels écosystèmes à des fins différentes. Par exemple, nous avons eu le projet « bras longs des TrO » (Довгі руки ТРО) pour fournir des mortiers de 120 mm aux Forces de défense territoriales ; le projet de défense aérienne Pack the Sky avec Nova Poshta ; nous avons créé un système de gestion des communications pour le complexe militaro-industriel du Centre et une solution de déminage pour le commandement des forces de soutien.

Actuellement, nous utilisons environ 40 % de notre capacité de production. L’ouverture des exportations peut considérablement stimuler le développement de cette industrie

Taras Chmut

Pourriez-vous décrire plus en détail l’écosystème du complexe industriel du Centre ?

En Ukraine, il existe quatre commandements aériens : Ouest, Est, Centre et Sud. Nous avons fourni un système de communication, d’échange d’informations, ainsi que de commandement et de contrôle pour le commandement aérien du Centre. Ce système est conçu pour couvrir tous les niveaux, de la brigade jusqu’aux véhicules de combat individuels.

Il comprend des postes de commandement mobiles au niveau de la brigade, des postes de commandement fixes ou mobiles et des équipements de communication au niveau des batteries de tir ou des divisions, ainsi qu’au niveau des groupes de tir mobiles individuels. L’ensemble de cette structure fonctionne de manière intégrée, où les moyens de renseignement, tels que les systèmes radar, et les moyens de destruction, tels que les systèmes de missiles antiaériens, l’artillerie ou les groupes de tir mobiles, sont réunis dans un système unifié de communication et de contrôle.

En conséquence, nous avons considérablement amélioré l’efficacité des défenses aériennes, réduisant le délai entre la détection d’une cible et l’ordre de sa destruction — de plusieurs minutes à quelques secondes. Nous avons également renforcé la résilience des communications, assuré une protection contre les interférences électromagnétiques, amélioré la mobilité et pris en compte d’autres facteurs cruciaux pour la survie des défenses aériennes sur le champ de bataille.

Vous faites partie du mouvement des volontaires, qui joue un rôle très important en Ukraine. Comment décririez-vous ce phénomène ? 

Globalement, les volontaires sont souvent impliqués dans l’aide humanitaire, tandis que le secteur privé ou l’État s’occupent des affaires militaires. Le mouvement volontaire ukrainien est un phénomène singulier : il est caractérisé par une association spontanée de personnes qui, dans des périodes de crise, peuvent se structurer en grandes institutions.

En Russie, un tel mouvement n’existe pas parce qu’il n’y a pas de société civile. La Russie mène une guerre d’agression, et la population proactive a été artificiellement éliminée.

En revanche, l’Ukraine bénéficie d’un héritage historique lié aux Cosaques, où les individus ont toujours valorisé la liberté, le dynamisme et l’esprit rebelle. En période de crise, les Ukrainiens se mobilisent rapidement, s’unissent pour résoudre les problèmes ensemble, avant de se quereller.

Ce mouvement de volontariat est né lors de l’invasion russe de 2014 et a constitué la base de ce que nous observons aujourd’hui. Le 24 février 2022, il a connu une multiplication par centaines en raison de l’intensification des défis et des problèmes. Au fil du temps, ce mouvement s’est étendu à divers domaines, tels que l’aide humanitaire, le soutien aux anciens combattants, l’accompagnement des familles, les soins aux animaux, etc.

Il représente une véritable manifestation de la société civile et l’Ukraine se distingue dans ce domaine par rapport à de nombreux pays occidentaux. Les citoyens participent activement à l’élaboration de l’avenir du pays et exercent une influence significative sur le gouvernement. Ce phénomène est largement facilité par les réseaux sociaux tels que Facebook, qui deviennent des outils permettant à la société civile d’exercer une pression directe sur le gouvernement pour qu’il réagisse.

L’Ukraine bénéficie d’un héritage historique lié aux Cosaques, où les individus ont toujours valorisé la liberté, le dynamisme et l’esprit rebelle. En période de crise, les Ukrainiens se mobilisent rapidement, s’unissent pour résoudre les problèmes ensemble, avant de se quereller.

Taras Chmut

Comment le mouvement des volontaires a-t-il évolué depuis l’invasion à grande échelle ?

Le mouvement des volontaires a connu un développement considérable. Son champ d’action s’est élargi pour inclure les achats internationaux et le travail avec des armements. De grands projets complexes ont vu le jour, accompagnés d’un soutien institutionnel systémique de la part de l’État, ce qui n’était pas le cas auparavant. Contrairement à une époque où les fonds alloués aux organisations de volontaires étaient des dizaines, voire des centaines, de fois inférieurs à ceux d’aujourd’hui, ces organisations exercent désormais une influence significative sur la guerre et sur l’Ukraine dans son ensemble.

Le nombre de grandes fondations n’a pas connu d’augmentation significative, mais le nombre d’initiatives locales a été multiplié. Cette évolution s’explique par le fait qu’un grand nombre de personnes sont mobilisés, notamment les parents ou amis de ceux qui servent et combattent, ce qui suscite un désir de soutien. Cela a donné lieu à la création de rassemblements locaux, de groupes communautaires et d’initiatives ponctuelles, où le facteur personnel joue un rôle prépondérant.

Comment voyez-vous le rôle de fondations aussi importantes que Come Back Alive et d’autres fondations caritatives après la fin de la guerre ? Il est évidemment difficile d’en parler aujourd’hui — mais qu’arrivera-t-il à la composante militaire après l’arrêt des combats ?

Tout d’abord, il n’est pas possible de prévoir avec précision quand et comment la guerre prendra fin.

Deuxièmement, même avant le conflit, environ 70 % de notre activité n’était pas directement liée aux opérations militaires. 

Nous nous consacrions à l’analyse, à la recherche politique et aux projets pour les anciens combattants. Il est clair qu’après la guerre, nous reprendrons ces activités et continuerons à les développer.

Nous maintiendrons également notre travail auprès de la population civile. Toutefois, il est important de rester réaliste : il est peu probable que la Russie disparaisse de la carte du monde. Tant que la Russie existera, elle constituera une menace, et nous devrons nous y préparer. Malheureusement, le travail ne manquera pas, même après la fin du conflit.