07.04.2025 à 20:00
Comment la Chine inventa la gouvernance algorithmique il y a 2400 ans - Romain Graziani
Romain Graziani, philosophe et sinologue, vient de publier Les lois et les Nombres (Gallimard), une enquête épatante qui nous permet de retracer le fil qui relie les formes les plus avancées de la domination contemporaine à ses premiers inventeurs : les stratèges chinois au IVe siècle av. J.-C.
Dans cette nouvelle archéologie du pouvoir, le philosophe nous raconte comment la domination impériale chinoise s’est fondée sur un imaginaire politique du calcul, du mesurable, du mécanisme et de la capture fondé sur la primauté des nombres. C’est l’héritage du Légisme (Guan, Shang Yang, Han Fei) qui, à la source de la première fondation de l’Empire, n’a plus cessé de s’étendre jusqu’à aujourd’hui avec le crédit social en Chine ou encore la diffusion de la gouvernance algorithmique partout dans le monde. On fait aussi un petit détour par Mao qui se délirait en Qi Shi Huangdi (le premier empereur) et se revendiquait du légisme en faisant littéralement tout le contraire et n’importe quoi, produisant famines sur famines.
Si l’on a longtemps vu dans le logos grec le début de la logification capitaliste du monde, nous pouvons voir dans le FA chinois (la loi ou la norme) le début de la mathématisation algorithmique du gouvernement impérial.
L’étrange phénomène contemporain est le suivant : une idéologie du Nombre d’il y a 23 siècle est en train de réémerger à la vitesse de la poudre sur tout le continent asiatique avec pour effet une formidable réintégration du reste du monde à sa mesure.
00:00 Teaser
1:27 Du légisme chinois au IVe siècle av. J.-C. à la description de l’Empire au XXIème siècle
05:00 Modernité de l'imaginaire politique chinois
07:37 Gouverner par les nombres, dominer sans affect
10'51: Par-delà les valeurs et le pouvoir charismatique, les lois et les nombres
12 :39 Comment la pensée gouvernementale chinoise du IVe siècle av. J.-C. converge avec le management contemporain, le nudge et la surveillance algorithmique
14 :41 D'ailleurs c'est quoi le légisme ?
19:59 « Enrichir l'état , renforcer l'armée » ou comment régner par la guerre et le profit
24:16 Par-delà l'enrichissement, la recherche du contrôle maximal sur la population
27 :32 Comment s'articulent l'art de gouverner et celui de s'enrichir ?
33:17 La souveraineté en pilotage automatique ou naissance de la technocratie
42 :07 De la surveillance céleste à la surveillance numérique
49:50 Les métaphores du pouvoir : la mesure, la mécanique, la capture
55:08 La population chinoise est-elle culturellement plus passive face au pouvoir ?
59:43 Le pouvoir chinois antique et le régime chinois contemporain peuvent-ils être considérés comme des totalitarismes ?
1:02:39 Les trois figures de l'ingouvernable : le saint homme, le justicier errant et le brigand
1:08:45 Mao, le nouvel empereur délirant
1:12:29 Bonus : le non-agir est-il anarchiste ?
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31.03.2025 à 20:00
Faut-il croire à l'intelligence artificielle ? Mathieu Corteel
En l’espace de quelques années, l’intelligence artificielle s’est immiscée, qu’on le veuille ou non, dans tous les interstices de nos existences. Dissimulée dans les « app » qui nous guident, nous ambiancent ou font les devoirs de mathématiques à notre place, elle optimise les frappes de l’armée israélienne et peut nous offrir des conseils avisés dans nos relations affectives. Sait-on pourtant exactement ce qu’est l’IA ? Comment elle fonctionne, ce qu’elle peut, ce qu’elle ne pourra jamais et ce qu’elle pourra peut-être ?
Mathieu Corteel est philosophe et historien des sciences, il publie cette semaine Ni dieu ni IA (La découverte). Au gré d’un inquiétant voyage à la rencontre de cerveaux plongés dans des cuves, de robots dactylographes, de perroquets stochastiques, de policiers quantiques et de chatbots psychopathes, l’auteur propose d’« ouvrir le capot » pour comprendre les rouages, les paradoxes et les illusions tant épistémiques que techniques au cœur de cette nouvelle technologie.
De là, s’ouvrent quelques questions éminemment politiques et les désaccords logiques : peut-on séparer la mauvaise IA qui contrôle, ordonne, gouverne de la bonne qui soigne sans commettre d’erreur de diagnostic et réduit la pollution des embouteillages ? Faut-il y voir l’opportunité de gagner du temps pour certaines tâches ingrates ou la menace d’une destruction méthodique de toute expérience et créativité humaine ? Faut-il voir dans l’IA en même temps que le dernier avatar du capitalisme cognitiviste l’émergence possiblement émancipatrice d’une commune intelligence collective ? On en discute dans ce lundisoir.
00:00 Coucou ChatGPT
2:46 De quoi parle-t-on lorsqu'on parle des IA ? Une petite généalogie
6:59 Pourquoi nous vivons dans un gigantesque laboratoire dont nous sommes les cobayes
11:13 Les illusions totémistes de l'IA nous plongent dans un univers de non-sens avec des conséquences graves
17:24 Qu'est-ce que l'IA n'est pas ? Pourquoi l'analogie entre langage et mathématiques est un leurre
20:24 L'IA est indifférente au monde et amorale.
23:32 Comment l'IA nous dépossède en écrasant notre expérience du monde. L'exemple de la musique
32:13 Peut-il exister des agencements de l'IA émancipateurs ? (Mathieu Corteel pense que oui, nous plutôt que non)
38:26 Quoi qu'il en soit les usages aliénants de l'IA sont massivement majoritaires et les garde fous inexistants
41:12 Causalité et fausses corrélations : taux de suicide, consommation de margarine et police prédictive
45:00 Que serait un bon usage de l'IA ?
51:50 A-t-on déjà vu un nouveau dispositif technologique être limité dans ses usages ?
52:45 Les ordinateurs peuvent-ils faire l'amour entre eux ? Qu'elles illusions affectives nous vend l'IA ?
58:58 L'IA c'est des stats et des probabilités qui pénètrent techniquement nos représentations du monde et de nous-mêmes
1:00:42 La mutation du capitalisme vers le capitalisme cognitif. L'IA au service de la réaction. Pour une grande démission
1:08:02 Les limites matérielles et physiques de l'IA dans un monde fini. Pourquoi Bluesky ne rend pas nécessairement moins idiot que twitter
1:12:29 Et si la valorisation de chaque interstice de la vie n'était pas le stade suprême de l'économie ?
1:15:06 Comment sortir des paradoxes pragmatiques ? Peut-on réenchanter la démocratie avec présidents robots ?
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25.03.2025 à 20:00
Cette semaine, nous vous proposons un lundisoir exceptionnel depuis le bar la Plaine à Marseille. On reçoit Alèssi Dell’Umbria afin qu’il nous raconte l’incroyable histoire du groupe Os Cangaceiros, mythique et mystérieuse association de malfaiteurs, théoriciens révolutionnaires autodidactes, émeutiers transnationaux et saboteurs au grand cœur. Ou comment une bande de jeunes, fans de rock et de football, et qui refuse d’aller à l’usine, se lance dans une vie de clandestinité, d’arnaques aux banques à l’échelle industrielle et de campagnes de sabotages en soutien au luttes en cours dans les prisons, les usines et les banlieues.
Si la revue publiée par le groupe a pu continuer de se diffuser dans quelques recoins de l’internet, pendant très longtemps, cette histoire est restée mal connue, probablement parce qu’Os Cangaceiros est parvenu à disparaître sans jamais que le ministère de l’Intérieur et la BRB, lancés à ses trousses, ne parviennent à le rattraper.
Passé le délai de prescription, Alèssi Dell’Umbria a décidé de s’y coller et de revenir sur cette époque de scandales, d’audace et de tumultes dans un livre passionnant « Du fric ou on vous tue ! » aux Éditions des mondes à faire. On lui a proposé de nous raconter tout ça, autour d’une anisette.
Alèssi Dell’Umbria est l’auteur, entres autres, de C’est de la racaille ? Eh bien, j’en suis ! À propos de la révolte de l’automne 2005, Histoire universelle de Marseille, De l’an mil à l’an deux mille, Tarentella ! Possession et dépossession dans l’ex-royaume de Naples, Antimatrix.
Les trois numéros de la revue Os Cangaceiros, le recueil L’incendie Millénariste et le dossier des Treize milles belles évoqués dans l’entretien sont tous consultables dans l'article paru sur lundimatin.
00:00 intro
1:27 Os Cangaceiros, une association de malfaiteurs, lettrés et politisés
3:58 Rock'n roll, bagarres, refus du travail et arnaques aux banques
5:40 La fondation du groupe
8:15 Le choix de la clandestinité et de l'action directe dans le reflux politique des années 80 et sous le mitrerrandisme
11:43 Penser et élaborer théoriquement depuis les luttes en cours et le refus diffus du travail
17:08 Échapper à la reproduction du capital, repenser le prolétariat
20:42 Politiser la délinquance (blousons noirs, banlieusards, vols de voitures et braquages)
27:40 1ère vague d'actions en soutien aux mutineries dans les prisons : « La liberté est le crime qui contient tous les crimes » (blocages et attaques de trains de luxes, incendies d'entreprises qui font travailler les prisonniers, destructions d'imprimeries de journaux qui calomnient la révolte)
32:56 Des actions exemplaires plutôt que symboliques. La théorie du scandale
34:42 : Soutien à George Courtois, Patrick Thiolet, Abdel Karim Khalki et la prise en otage du palais de justice de Nantes (Sabotages du métro parisien)
41:58 La dépendance à l'écho médiatique
43:17 Football, hooliganisme, violence de rue et politique (ce à quoi la gauche ne comprend rien)
50:30 La nécessité de voyager à travers le monde pour aller à la rencontre des soulèvements et tisser des amitiés comme des solidarit
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