La gauche va mal. On peut en trouver des raisons tenant à la conjoncture ou encore au personnel politique, mais on peut aussi se demander si le mal n’est pas plus profond. L’idée de gauche peut-elle encore faire sens ? , interroge Michel Wieviorka. Dans ce livre, il rappelle que c'était le cas par le passé, peut-être jusqu’au tout début des années 2000, et il invite à se pencher sur les évolutions de la société qui ont progressivement rendu cette idée plus difficile à porter.
Nonfiction : L’idée de gauche a pu faire sens par le passé, expliquez-vous, tout d’abord en s’affirmant républicaine, puis en reprenant à son compte les aspirations du mouvement ouvrier, ou encore, quoiqu’à de bien plus rares occasions, en s’identifiant à une conception patriotique et ouverte de la nation. Cela supposait, dites-vous, que celle-ci puisse « faire corps avec la société ». Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ?
Michel Wieviorka : La politique, en démocratie représentative, doit entretenir une relation réelle et la plus forte possible avec la société, ses attentes, ses demandes, ses peurs, ses difficultés aussi. Elle a aussi nécessairement une certaine autonomie. L’idée de faire corps avec la société renvoie au risque, aujourd’hui bien visible, de dissociation complète, qu’il s’agisse de la politique intérieure, ou de la géopolitique. La gauche a pu faire corps avec la société quand il s’agissait de répondre au formidable élan populaire pour imposer la République et ses valeurs – liberté, égalité, fraternité. Ou d’assurer le traitement des aspirations les plus hautes du prolétariat ouvrier. Ou même d’incarner la patrie, sinon la nation.
Cette période semble désormais bien lointaine et ces différents registres ne semblent plus permettre de nouer un rapport de sens avec la société : l’idée de république est galvaudée, le mouvement ouvrier n’est plus que le fantôme de lui-même, et l’idée de nation a été préemptée par l’extrême-droite.
Hélas, aujourd’hui, la gauche politique concrète, celle des partis, est bien loin de porter tout sens, elle s’est assez largement déconnectée de ce qui pourrait être porteur de sens, et ce qui l’est réellement n’a pas pour l'instant en tous cas une puissance et un degré d’intégration sociale et culturelle suffisants pour imposer à la représentation politique un réel traitement. Il y a autre chose qu’une certaine autonomie : une perte de sens.
Quelle part attribuez-vous, dans la situation actuelle, à un défaut d’élaboration de ces registres ou au constat de leur obsolescence irrémédiable, liée à l’évolution de la société ? Faut-il y renoncer complètement, ou conservent-ils au contraire un intérêt suffisant pour qu’on tente de leur redonner un sens adapté au contexte et aux évolutions de la société ?
L’idée de République a surtout triomphé, tout le monde ou presque est républicain ! Il n’y a pas plus républicaine que Marine Le Pen ! Presque tout le monde parle de défendre la République et ce qui va avec, la laïcité, l’égalité des femmes et des hommes. Il est vrai que lorsque le discours envisage l’immigration, les minorités visibles ou les Juifs, c’est beaucoup moins net, à l’extrême-droite comme ou à gauche de la gauche. Toujours est-il qu’il existe des versions différentes de la République, et qu’elles peuvent s’affronter. Mais personne ne s’étonne de voir les héritiers des anti-dreyfusards, voire de Maurras, se réclamer de la République au point de nommer leur parti « Les Républicains ». Il reste néanmoins bien des combats à mener pour promouvoir à gauche la République, surtout à condition de la lester en la démocratisant, en refusant la droitisation qui pousse aussi à l’illibéralisme et à l’autoritarisme, et à la restriction des droits humains.
Le mouvement ouvrier a donné naissance au syndicalisme, qui lui continue d’exister, mais sans cette capacité à mettre en cause les plus hautes valeurs pour prétendre diriger toute la vie collective. Les syndicats n’en demeurent pas moins des acteurs importants, institutionnels, capables de peser politiquement. La gauche concrète doit en tenir compte, mais le prolétariat ouvrier n’est plus le sel de la terre. D’autres figures, des nouveaux mouvements sociaux et culturels commencent à se donner à voir, depuis quelques dizaines d’années, en mettant en jeu les principales orientations de la vie collective. Il peut s'agir de contestations mettant en cause le rapport des humains à la nature, le réchauffement climatique, la diversité animale et végétale ; de mobilisations à forte charge éthique, touchant à la vie et à la mort, au grand âge, aux discriminations en tout genre. Il peut également s’agir de mouvements identitaires, avec leur face positive, qui soulignent leur apport économique, intellectuel ou culturel à la collectivité, et leur face sombre, refermée, communautariste. Les deux existent, et c’est pourquoi le débat mérite d’être développé en d’autres termes que ceux qui opposent de façon simpliste à l’excès « wokistes et antiwokistes ».
La nation ? Elle est aujourd’hui surtout le discours d’autres acteurs que de gauche, mais aussi de segments de la gauche qui sont sensibles à l’idée de souveraineté nationale, voire de souverainisme. Mais il est arrivé que ce soit une idée de gauche, surtout quand la patrie était en danger. Le problème est qu’elle a été associée, y compris à gauche, au colonialisme, et qu’elle semble faire obstacle à la construction européenne. Comment concilier la nation et l’Europe ?
On peine aujourd’hui à imaginer quels autres registres pourraient être mobilisés. La société n’est pas inactive, écrivez-vous, mais on aurait bien du mal à identifier des contre-projets qui seraient portés par des acteurs visant une réelle transformation sociale, à visée suffisamment universaliste, que la gauche pourrait alors faire siens. Comment l’analysez-vous ? Que faudrait-il faire si l’on ne veut pas se satisfaire de cette situation ?
Permettez-moi une comparaison historique. À partir des années 1820 ou 1830, vous pouvez constater en France une réelle ébullition sociale et culturelle. Un peu partout, l’idée de République commence à animer la vie locale, ce sera la république au village si bien analysée par Maurice Agulhon. Un peu plus tard dans l’ensemble, des activistes veulent construire des syndicats, d’autres des mutuelles, ou des coopératives. Certains veulent préparer ou faire des grèves, et quelques-uns casser les machines. D’autres encore rêvent de lendemains qui chantent et développent des utopies. Tout ceci se cristallisera vers la fin du XIX e siècle, avec, pour l’essentiel, l’instauration de la Troisième République, la naissance de la CGT, les premières bourses du travail, puis, un peu plus tard — et d’abord à la Chambre des députés —, les débuts d’organisation d’une gauche politique qui ne soit pas seulement groupusculaire. Il aura fallu plusieurs dizaines d’années.
Eh bien nous sommes en 1830 ! Il y a dans toute la France un tissu associatif vibrant, une multitude d’initiatives locales, un bouillonnement, qui ne trouve que bien peu son traitement politique ; l’idée démocratique, qui pourrait revitaliser l’idée républicaine, redevient l’objet de réflexions, de discussions et de propositions, les unes institutionnelles (changer la constitution, introduire la proportionnelle), les autres s’intéressant à d’autres formes de démocratie que représentatives : citoyennes, participatives, délibératives, directe. Des mobilisations à caractère éthique ou écologique interpellent les pouvoirs. Mais tout ceci n’exerce pas d’influence forte sur le fonctionnement de la gauche concrète, qui oscille entre radicalité sans lendemain et manœuvres misérables au sein de ce qui subsiste des structures héritées du passé. On dit souvent que faute d’avoir travaillé, la gauche manque d’idées : il faut renverser cette formule, ce sont les idées qui manquent de gauche .
Dans le paysage éditorial consacré à l'adolescence, certains ouvrages osent aborder les territoires les plus difficiles. Scarifications : l'adolescent, les parents et les soignants face à l'insupportable , publié aux éditions Érès en octobre 2024, appartient à cette catégorie d'écrits nécessaires qui éclairent des zones d'ombre de la psyché adolescente.
Adrien Cascarino, psychologue clinicien et docteur de l'université Paris Cité, nous propose bien plus qu'un simple manuel technique. Fort de son expérience auprès d'adolescents hospitalisés en psychiatrie et de ses recherches ethnographiques, l'auteur livre une analyse fine et nuancée d'un phénomène qui touche aujourd'hui environ un adolescent sur six selon les dernières études.
L'originalité du livre réside dans son approche plurielle. Loin de se cantonner à une perspective uniquement clinique, Cascarino croise les regards psychanalytiques et sociologiques pour saisir la complexité des scarifications adolescentes. Cette démarche réflexive, issue de sa thèse de doctorat, permet de dépasser les explications simplistes pour comprendre ce qui se joue réellement dans l'acte de se scarifier.
Le livre révèle avec beaucoup d’acuité les réactions des adultes souvent démunis face à ces pratiques. L'auteur rapporte des situations saisissantes : un psychiatre qui ressent les entailles de ses patients « dans sa propre chair », une infirmière qui recoud sans anesthésie pour dissuader une adolescente de recommencer. Ces témoignages illustrent combien les scarifications génèrent chez les professionnels et les parents des affects intenses qui peuvent paradoxalement nuire à l'accompagnement.
C’est dans l'analyse de ces dynamiques relationnelles que cet ouvrage démontre sa grande originalité. Il montre comment l'insupportable ressenti par les adultes peut les conduire à des réactions contre-productives, alimentant parfois un cercle vicieux. Son approche ne verse jamais dans le jugement mais propose une compréhension empathique de toutes les parties prenantes.
L'un des mérites principaux de l'ouvrage est de ne pas s'arrêter au constat. L'auteur propose des pistes concrètes pour améliorer l'accompagnement des adolescents qui se scarifient. Ses recommandations s'adressent tant aux parents démunis qu'aux professionnels de la santé mentale. Il suggère notamment des modifications institutionnelles susceptibles de diminuer la prévalence de ces pratiques sans tomber dans l'écueil de la répression.
Scarifications constitue un outil précieux pour tous ceux qui accompagnent des adolescents : parents, enseignants, éducateurs, soignants. Au-delà de son utilité pratique, il nous invite à repenser notre rapport à la souffrance adolescente et aux moyens de l'appréhender sans céder à nos propres angoisses.
Nonfiction : Vous décrivez les scarifications comme un phénomène touchant environ un adolescent sur six. Comment expliquez-vous cette prévalence et qu'est-ce qui distingue votre approche des explications habituelles ?
Adrien Cascarino : Quand j’étais en train d’écrire ma thèse, de nombreuses personnes m’ont dit qu’elles s’étaient scarifiées quand elles étaient plus jeunes. Lors d’une interview suite à la sortie de mon livre, mon interlocuteur m’a raconté qu’il avait parlé de mon sujet à ses enfants car il était très surpris de l’ampleur du phénomène et sa fille lui aurait alors dit « mais Papa, tout le monde se scarifie, moi-même je l’ai fait, je ne t’en ai juste pas parlé ». Il y a ainsi beaucoup d’adolescents qui se sont scarifiés une fois dans leur vie mais qui ont arrêté d’eux-mêmes assez rapidement, sans nécessairement avoir vu un psychologue et un psychiatre. Cette prévalence élevée peut s’expliquer par trois principaux facteurs, qui sont loin d’être exclusifs : une augmentation des moyens de « détection » des scarifications, le signe d’une plus grande souffrance psychique chez les adolescents (ce qui explique en partie une augmentation de ces pratiques post-confinement), ou encore un moyen de reprendre le contrôle d’un corps qui est perçu comme faisant l’objet de trop de tentatives de contrôle de la part du monde extérieur.
En effet, les raisons pour lesquelles les adolescents se scarifient sont extrêmement variées et évoluent avec le temps. Un ou une adolescente peut très bien se scarifier au début « pour voir » ou pour reproduire une pratique vue ou entendue ailleurs ou bien pour se faire du mal et se punir d’avoir raté quelque chose, puis continuer pour les sensations physiques provoquées par la montée d’endorphine, ou encore par défiance envers ses parents qui lui ont « absolument interdit » de recommencer. Les enjeux de contrôle du corps, d’appel à l’aide, de « preuve » de la souffrance, de punition, de plaisir, d’expérimentation et d’apaisement des angoisses reviennent souvent, mais pas chez tout le monde et pas tout le temps.
En ce qui me concerne, après avoir moi-même côtoyé plusieurs personnes qui se scarifiaient en tant qu’adolescent, puis ensuite en tant que psychologue clinicien, je suis parti d’un triple constat. Premièrement, les discours psychiatriques et psychologiques sur les scarifications ne correspondent pas à ce qu’en disent les adolescents eux-mêmes. Deuxièmement, il existe une littérature sociologique très critique envers les théories psychologiques sur les scarifications et qui dénonce une mauvaise prise en charge des personnes qui se scarifient. Troisièmement, les personnes confrontées aux adolescents qui se scarifient (principalement parents et soignants) déclarent souvent se sentir mises à mal avec ces derniers et rapportent des réactions et des ressentis disproportionnés par rapport au risque morbide de ces pratiques.
Plutôt que de produire un énième ouvrage pour expliquer pourquoi les adolescents se scarifient, j’ai voulu réfléchir à ce qui se joue sur le plan psychique entre un adolescent qui se scarifie et un adulte censé prendre soin de lui, en espérant que cette réflexion permette une meilleure prise en charge des adolescents.
Votre ouvrage révèle les réactions parfois violentes des adultes face aux scarifications – comme cette infirmière qui recoud sans anesthésie pour « dissuader ». Comment expliquez-vous ces réactions contre-productives et quel impact ont-elles sur les adolescents ?
Les soignants que j’ai pu interroger se sentent souvent remis en cause professionnellement par les scarifications, surtout lorsque ces derniers sont hospitalisés dans « leur » service. Pendant les entretiens, certains soignants m’ont raconté avec détails des scarifications qu’ils avaient vus il y a plus de dix ans et dont ils se souviennent encore, et des parents m’ont dit avoir été « anéantis » par les entailles de leur enfant. Travailler avec des adolescents qui se scarifient nécessite de se confronter à des visions sanglantes sans y être toujours préparé, de devoir souvent soigner des plaies, de se remettre en question, et surtout de supporter une certaine impuissance à empêcher toute blessure.
Sans possibilité de prendre du recul, les soignants risquent au mieux de se désengager de la relation et au pire d’essayer d’empêcher l’adolescent de se scarifier à n’importe quel prix. La pratique des scarifications, surtout lorsqu’elle se répète et qu’elle est accompagnée d’un discours où l’adolescent déclare qu’il n’y a que cette pratique qui diminue ses angoisses, renvoie les soignants à un sentiment d’échec et d’insuffisance qui peut être difficile à supporter, comme l’explicitait une infirmière : « Y a que ça qui te soulage, bon... mais et moi alors, je te soulage pas, je t'aide pas... je suis là pourtant, je suis là, je t'accompagne, on est tous là, on est tous là pour toi mais nous, non, on est insuffisants ».
Les réactions « agressives » des soignants se produisent alors souvent lorsque ces derniers se sentent isolés, par exemple la nuit, lorsque les équipes de soignants sont plus réduites ou lorsque l’institution ou les parents les rendent responsables de la poursuite des scarifications des adolescents. Ces réactions parfois violentes entraînent parfois la diminution ou même l’arrêt des scarifications mais elles majorent l’isolement et la souffrance psychique de l’adolescent.
Vous croisez psychanalyse et sociologie dans votre analyse. En quoi cette approche pluridisciplinaire éclaire-t-elle différemment le sens des scarifications pour les adolescents ?
Depuis quelques années, plusieurs sociologues ont commencé à s’intéresser aux pratiques de scarifications, avec une approche et une théorisation bien différente de celle des psychologues et des psychiatres. Une des raisons de cette différence est très simple : ils ne parlent pas exactement aux mêmes personnes. En effet, une partie des personnes qui se scarifient ne vont jamais voir de psychologues ou de psychiatres, et quand elles le font, leur discours n’est évidemment pas le même, puisqu’elles modifient ce dernier en fonction de ce qu’elles perçoivent de leur interlocuteur.
Pour donner un exemple, plusieurs adolescents ont pu ainsi me dire qu’ils aimaient beaucoup voir couler leur sang, ou même faire des dessins avec, mais qu’ils évitaient d’en parler car des personnes leur avait dit auparavant qu’ils étaient « cinglés » ou s’étaient mises à crier en leur disant de se taire.
L’intérêt de cette approche pluridisciplinaire est ainsi d’aborder la relation clinique entre les adolescents et les soignants en la replaçant dans un contexte social qui n’est pas neutre et qui influence nécessairement le positionnement des soignants et la façon dont les scarifications sont interprétées. Il ne s’agit pas pour autant de « déconstruire » les discours psychologiques ou de « dépathologiser » les scarifications, d’autant plus que ces pratiques restent souvent le signe d’une souffrance psychique. L’objectif est plutôt de ne pas focaliser le regard uniquement sur l’adolescent et son fonctionnement psychique mais de prendre du recul et d’inclure dans le champ de vision l’ensemble des interlocuteurs qui tentent de prendre soin de lui, et qui, avec leurs propres représentations et réactions, influencent aussi la poursuite ou l’arrêt de cette pratique.
Dans votre pratique clinique auprès d'adolescents hospitalisés, quels sont les signes qui vous alertent et indiquent qu'un accompagnement classique ne suffit pas ? Comment adapter la prise en charge ?
Au niveau relationnel, travailler avec des adolescents qui se scarifient exige de s’interroger continuellement sur ce que signifie « prendre soin ». Cela nécessite de renoncer à un idéal de toute puissance et de maitrise du corps de l’adolescent, et de supporter de faillir à la représentation idéalisée d’un soignant ou d’un parent qui empêcherait toute blessure. Cette capacité à endurer la culpabilité et l’impuissance participe en effet d’un phénomène de désidéalisation réciproque particulièrement précieux pour le processus de séparation-individuation central pour le devenir de l’adolescent.
Au niveau organisationnel, il est nécessaire d’assurer la mise en place d’espaces de parole pour les soignants et parents confrontés à des adolescents qui se scarifient. Concrètement, sans organisation du travail défendant ces espaces délibératifs, la qualité du travail de soin est compromise, entrainant des effets délétères sur les patients mais aussi sur les soignants qui engagent leur subjectivité dans leur travail. Ces espaces de discussion permettent surtout de passer d’une remise en cause personnelle et angoissante (« suis-je un bon soignant ? ») à une réflexion professionnelle et étayante (« qu’est ce qu’un bon soignant ? »).
Vous proposez des modifications institutionnelles pour diminuer la prévalence des scarifications. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces changements et leur impact observé ?
L’existence de discussions collectives entre les soignants et aussi entre les parents d’adolescents permet de remettre au travail les représentations d’un soignant / parent idéal et diminue en conséquence l’agressivité dirigée vers les patients dont les pratiques mettent ces représentations en défaut. Concrètement, plutôt que de se fustiger de reproches ou de chercher à empêcher à tout prix l’adolescent de se scarifier, ces espaces permettent aux soignants et parents de se demander pourquoi est ce que ces pratiques ont été si insupportables pour eux à ce moment-là.
Précisément, les scarifications posent deux questions très compliquées : à qui appartient le corps de l’adolescent (et donc qu’est-ce qu’il a le droit d’en faire) ? Et comment prendre soin de quelqu’un qui vous dit que s’entailler la peau est la seule chose qui l’apaise ? Ce que je montre dans ce livre est que les scarifications se répètent souvent lorsque des réponses sont trop vite trouvées à ces deux questions. Par exemple, lorsque les soignants affirment à l’adolescent qu’ils savent mieux ce qui est bon pour lui et qu’il doit les écouter et arrêter de se scarifier. Mais aussi à l’inverse lorsque des parents déclarent que leur enfant peut faire ce qu’il veut et que ça ne les regarde pas.
Aider un adolescent qui se scarifie, c’est d’abord accepter de se poser ces questions sans trouver de réponses évidentes et aussi supporter d’écouter ce que l’adolescent a à raconter de ses scarifications.
Ces Chemins d'histoire reviennent sur quelques figures de l'art abstrait : Sonia Delaunay, Nina Kandinsky, Nelly van Doesburg et quelques autres. Formant un groupe soudé, bien que parfois rivales, ces veuves et héritières d'artistes défendent la postérité des disparus et répondent aux incessantes sollicitaions des musées, des galeristes et des collectionneurs. On cherchera à donner à ces gardiennes résiliantes de la mémoire la place qui leur est due, en précisant le rôle primordial qu'elles ont tenu ans la reconnaissance de l'abstraction.
Sonia Delaunay, Nina Kandinsky, Nelly van Doesburg
* Chemins d'histoire est un podcast d'actualité historiographique animé par Luc Daireaux. Cet épisode est le 213 e .
L’invitée :
Julie Verlaine est professeure d’histoire contemporaine à l’université de Tours. Elle est l'autrice de Les Héritières de l’art abstrait . Sonia Delaunay, Nina Kandinsky, Nelly van Doesburg et les autres (Payot, 2025).