La psychanalyse semble de nos jours enterrée tant par le dédain militant que par les postures conservatrices de certains psychanalystes. La découverte freudienne et l'héritage lacanien sont-ils pour autant voués à défendre les rôles sociaux patriarcaux, à proclamer une indifférence à la politique, voire à jeter la révolution aux oubliettes de l'histoire ? Dans cet entretien, David Pavón-Cuéllar fait l'hypothèse du contraire. Contre l'uniformisation générale des subjectivités promue par le capital, la psychiatrie, les formes d'oppression, la psychanalyse est le lieu où un autre discours peut être tenu, où peut se dire la singularité de chacun. Pour Pavón-Cuéllar le communisme a pour premier fondement notre solitude commune, le fait que la différence soit universelle et se dresse contre toute uniformisation. Avec clarté, depuis la perspective située du Sud global, il souligne l'urgence d'une psychanalyse émancipatrice, et la situe du côté des affinités ontologiques entre Freud et Marx, de la critique de la psychologie, de la possibilité d'une mystique féministe révolutionnaire, d'une révolution tant sociale que poétique. "Qu’il n’y ait pas de réponse définitive à la question ne veut pas dire du tout qu’il n’y ait pas de réponses. Il y a même trop de réponses, précisément parce qu’il n’y a pas de réponse définitive. Autrement dit, on a plus d’une raison de faire la révolution. Des raisons, on en a trop, en fait."
Lire le Capital est un texte à la fois fascinant et irritant. Fruit d'une conjoncture intellectuelle exceptionnelle en France et d'une élaboration collective (entre Althusser et ses élèves), ce livre condense les problèmes et les avancées du premier moment théorique important de Louis Althusser. Dans cette préface à l'édition hongroise du livre, Étienne Balibar donne à voir les tensions qui ont affleuré dans l'écriture du texte et dans ses vies ultérieures, tant chez Althusser lui-même que chez ses collaborateurs d'alors. De Macherey à Lecourt en passant par Michel Pêcheux ou Rancière, Balibar synthétise ici la pluralité de trajectoires qui s'écrivent à partir de cet ouvrage, mais aussi la singularité propre d'un tel livre, portée par son caractère collectif, les influences des étudiants d'Althusser. Balibar offre une conclusion magistrale sur le rapport entre théorie et pratique, montrant qu'un détour par la théorie est peut-être la seule démarche pour nous prémunir d'un activisme sans objet.
La criminologie est presque par définition la science de l'ennemi. Née à l'interface de la physiognomonie et d'une sociologie conservatrice, la criminologie a fait partie intégrante des dispositifs disciplinaires et savants, à l'encontre des plus pauvres et des marginaux. Ce guide de lecture donne à voir un corpus étendu, très méconnu en français, de la criminologie critique et marxiste. Ces approches entendent tant comprendre les ressorts de classe et de race des illégalismes que l'interpénétration entre le crime organisé et la classe dominante, mais aussi la coproduction institutionnelle des délits et de leur répression pénale, ou encore la délinquance des puissants. C'est donc un corpus à s'approprier d'urgence que nous décrit ici Grégory Salle, dans une époque où l'incarcération de masse et les illégalismes jouent un rôle structurant pour le capitalisme tardif.