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La Lettre de Philosophie Magazine

01.07.2025 à 13:00

Boualem Sansal en 2013 : ”Je m’érige contre le régime dictatorial par mes écrits, quand d’autres prennent les armes”

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Boualem Sansal en 2013 : ”Je m’érige contre le régime dictatorial par mes écrits, quand d’autres prennent les armes” nfoiry

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal vient d'être condamné à cinq ans de prison en appel en Algérie. Nous nous associons aux voix qui réclament sa libération. En guise de soutien, nous vous invitons à relire l'entretien qu'il nous avait donné en 2013, pour notre hors-série consacré à Albert Camus, dans lequel il évoque son enfance, son lien à l'Algérie et sa lutte pour la liberté.

01.07.2025 à 08:00

Pourquoi est-il si difficile de changer la société ? Un extrait de Herbert Marcuse commenté

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Pourquoi est-il si difficile de changer la société ? Un extrait de Herbert Marcuse commenté nfoiry

La société industrielle et de consommation a anesthésié notre capacité à protester et à nous révolter, rendant caduque toute métamorphose sociale et politique, constate le philosophe Herbert Marcuse dans son essai L’Homme unidimensionnel. Dans notre nouveau numéro, nous vous en proposons un extrait commenté.

30.06.2025 à 18:00

Face à “Trump-Calliclès”, s’incliner devant la raison du plus fort ?

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Face à “Trump-Calliclès”, s’incliner devant la raison du plus fort ? nfoiry

« La scène qui s’est jouée entre Donald Trump et les dirigeants européens lors du sommet des pays membres de l’Otan la semaine dernière a reconduit le “clash” qui oppose Socrate et Calliclès autour de la question du “droit du plus fort”. Sauf que là où Socrate déployait une foule d’arguments pour neutraliser l’apologie de la force de son adversaire, les Européens ont paru tétanisés devant le président américain. Y a-t-il donc une raison du plus fort ?

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De l’avis de nombreux observateurs, c’est avec une forme d’obséquieuse servilité que les alliés européens ont accueilli Donald Trump à La Haye, au lendemain de l’intervention éclair de l’aviation américaine contre l’arsenal nucléaire iranien et de la fin des hostilités entre Israël et l’Iran décrétée par les États-Unis. Mark Rutte, le Secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), a emprunté le style “trumpien” pour le signifier à l’intéressé : “Félicitations et merci pour votre action décisive en Iran. C’était vraiment extraordinaire, et quelque chose que personne d’autre n’avait osé faire.” Et d’ajouter : “L’Europe va payer un prix énorme, ce sera votre victoire”, comme si les efforts budgétaires annoncés par les Européens pour leur propre défense étaient une concession à l’Amérique de Trump et pas un objectif stratégique. Les Européens ont ainsi donné quitus au maître de Washington du “succès monumental” qu’il revendique au service de son ambition d’instaurer “la paix par la force”.

S’affirmer comme “maître de la force” face aux faibles et aux modérés prêts à subir les pires avanies sans réagir : cette posture de Donald Trump fait penser à celle qu’adopte Calliclès dans la célèbre joute qui l’oppose à Socrate dans le Gorgias. Dans ce dialogue platonicien, Socrate commence par soutenir qu’il vaut mieux subir l’injustice plutôt que la commettre. Un temps silencieux, Calliclès sort de ses gonds. Il est outré par les arguments présomptueux et fallacieux de Socrate au service de la vertu – des “arguties” qui ne tiennent pas la route face “la belle science des affaires” dont il est le fin connaisseur. Soyons sérieux, s’énerve-t-il : dans le monde réel, tout individu normalement constitué préférera, s’il est assuré de son impunité, commettre une injustice plutôt que la subir. Car les hommes cherchent à tirer leur avantage. “Que le plus fort commandât au moins fort et fût mieux partagé que lui”, voilà la loi véritable de la nature, celle qui règne “dans le monde animal, dans le genre humain, dans les cités et les races entières”. Si elle ne s’impose pas toujours, c’est que les conventions sociales sont faites “pour les faibles” et “par le grand nombre”. Avec, pour résultat, un mélange brumeux de force contenue et de conventions fragiles où les forts sont empêchés d’agir à leur guise et les faibles dotés d’un pouvoir de nuisance infondé. 

Comment échapper à cet imbroglio ? La réponse passe par une expérience de pensée. Imaginons que surgisse un homme suffisamment confiant dans son propre génie pour mettre à bas les préventions collectives contre la force et suffisamment éclairé pour en faire un bon usage. Que se passera-t-il ? “Nous verrons apparaître notre maître, dans cet homme qui était notre esclave, et alors le droit de la nature brillera dans tout son éclat.”

N'est-ce pas le personnage que Donald Trump compose devant nous, celui d’un “homme d’une nature assez forte” pour secouer les préventions qui empêchent d’asseoir la suprématie de la force dans le champ des relations internationales ? À ses alliés européens qui étaient encore en train de négocier avec l’Iran alors que l’ordre d’envoyer les bombardiers furtifs B2 avait été donné, il a livré une leçon politique : tant que vous ne vous donnerez pas les moyens de vous défendre par vous-mêmes, il ne vous appartient plus d’empêcher, par vos gesticulations diplomatiques, la force de s’exercer. À son protégé israélien qui l’a habilement embarqué dans cette aventure risquée, il s’est donné le pouvoir de décider la fin d’une guerre dont il n’avait pas pris l’initiative. À toutes les autres puissances – Russie et Chine en tête –, il a réaffirmé que l’Amérique restait l’unique puissance mondiale sans qui rien ne peut se faire. Sans oublier ses propres troupes, à qui il a montré que son action n’était bridée par aucune doctrine préétablie. Difficile de ne pas reconnaître que du seul point de vue de l’acteur et de ses ambitions, l’opération est un franc succès. Mais, du côté de ses alliés, fallait-il courber l’échine à ce point ? Face à un personnage aussi infatué de son pouvoir, n’était-il pas envisageable d’être un peu plus… socratique ? 

Tout en créditant Calliclès d’être un adversaire “à sa mesure”, Socrate invite celui qui n’a d’yeux que pour “le luxe, l’incontinence et la liberté soutenue par la force” à mieux définir ce qu’il entend par “la justice selon la nature”. “Est-ce le droit qu’aurait le plus puissant de prendre par force les biens du plus faible, ou le meilleur de commander au moins bon, ou celui qui vaut plus d’avoir plus que celui qui vaut moins ? […] Faut-il que les plus faibles obéissent au plus fort et que les grands États attaquent les petits en vertu du droit naturel, parce qu’ils sont plus puissants et plus forts, ce qui suppose que plus puissant, plus fort et meilleur, c’est la même chose, ou bien se peut-il qu’on soit meilleur tout en étant plus petit et plus faible ?” Socrate ne s’oppose pas par principe à la force, il lui demande de se définir. Les plus forts sont-ils plus forts en force physique, en intelligence, en courage, en capacité de commander et de diriger les affaires de l’État ? 

C’est la grande leçon socratique : la force doit donner ses raisons ; à défaut de se justifier, elle s’exercera à l’aveugle. Elle ne peut se manifester “sans autre forme de procès”, selon la formule de La Fontaine dans Le Loup et l’Agneau. Voilà un message que les Européens auraient été avisés de faire passer à la puissance américaine… au lieu de rendre les armes de la raison. »

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