04.07.2025 à 17:20
Renforcer l’intégration avec une loi « SRU de l’école »
Depuis la fin des années 90, une partie des représentants politiques français, emmenés par l’extrême-droite, brandissent la double menace d’un tsunami migratoire et d’un fossé culturel freinant l’intégration des populations nouvellement arrivées. Occultant l’intégration des migrants comme fait majeur, ce refrain stigmatisant attribue l’érosion de la cohésion sociale et nationale à la seule responsabilité individuelle des personnes migrantes ou de leurs descendants. Par-là, elle se détourne d’enjeux traversant toute la société française, tels que la cohésion et la mixité entre les différentes catégories sociales. Notre proposition de loi « SRU de l’école » renoue avec une ambition d’égalité et de solidarité dépassant largement le débat sur l’immigration. La société française n’est pas « submergée » par l’immigration ni au bord de la guerre civile. Tout d’abord, rappelons que l’immigration est un phénomène pluriséculaire en France. Il a connu des périodes de hausse et de diminution. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a néanmoins connu une hausse régulière de l’immigration. En 2023, 10,7 % de la population résidant en France était immigrée contre 5 % en 1946[1]. L’origine géographique des pays d’émigration a également fortement évolué, en passant d’une immigration d’origine principalement européenne — en 1954, 60 % des immigrés sont originaires d’Espagne, de Pologne ou d’Italie[2] — à une immigration principalement d’origine extra européenne. D’après les estimations de l’Insee, en 2019, sur les 272 000 nouveaux arrivants sur le territoire français, 41 % sont issus de pays africains contre 32 % de pays européens[3]. De même la religion, sur la part des immigrés qui disent avoir une religion (78 %), 55 % sont musulmans — soit environ 40 % des personnes immigrées au total[4]. Nous sommes donc loin d’une immigration exclusivement africaine et musulmane, telle que martelée par un pan du spectre politique ! De plus, contrairement au discours dominant, l’intégration des immigrés et de leurs descendants reste le processus majoritaire : à titre d’exemple, 66 % des descendants d’immigrés vivent avec un conjoint sans ascendance migratoire directe[5] et les descendants d’immigrés sont même plus nombreux à déclarer « se sentir chez eux en France » que les personnes sans ascendance migratoire (95 % contre 93 %)[6]. Si les immigrés sont donc loin d’être réfractaires à l’intégration, le modèle d’intégration français est en crise. Depuis la fin du XIXe siècle, ce modèle d’intégration repose sur cinq piliers[7] : l’acquisition de la nationalité française de laquelle dépendaient initialement l’accès aux droits sociaux, l’apprentissage de la langue française, l’école laïque et obligatoire, le service militaire et le travail. Force est de constater que ces piliers s’effritent parallèlement à l’affaiblissement des services publics et à la disparition du plein emploi. Le double processus d’intégration décrit par Durkheim, soit une démarche individuelle d’intégration et une capacité intégratrice de la société française, est mis à mal par la dégradation de la deuxième. En conséquence : une faillite de l’intégration comme « processus par lequel une société parvient à s’attacher à ses individus, les constituant en membres solidaires d’une collectivité unifiée[8] ». Dans un contexte d’inégalités sociales grandissantes, les catégories sociales les plus aisées font sécession de la solidarité nationale. Le cas du logement et de la ségrégation spatiale au sein des grandes métropoles est particulièrement emblématique, à l’image de Paris intramuros, où la part des cadres et professions intellectuelles est passée de 24,7 % de la population parisienne en 1982 à 46,4 % en 2013. En parallèle, les immigrés sont surreprésentés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : 23 % d’entre eux y résident, contre 7 % de l’ensemble de la population de 18 à 59 ans[9]. S’ajoutent aux stratégies résidentielles, des stratégies d’évitement scolaires. S’il ne faut pas fantasmer le modèle de la IIIe République qui aurait permis de faire de l’école un véritable espace de mixité[10], force est de constater que la ségrégation scolaire s’aggrave tendanciellement avec un contournement de la carte scolaire croissant via le recours à l’enseignement privé. Par exemple, en 2000, pour le second degré, 26,4 % des effectifs du privé sous-contrat venaient de milieux très favorisés contre un peu plus de 40 % en 2021. La part des élèves défavorisés est, elle, passée de 25 % en 2000 contre 16 % en 2021, alors que dans le secteur public la part d’élèves issus de milieux défavorisés ne baisse que de 40 % à 37 % sur la période[11]. La concentration d’élèves issus de milieux sociaux similaires au sein des mêmes établissements pose un véritable problème pour le système éducatif en raison d’un « effet de pairs » largement étayé par la littérature scientifique : les performances scolaires d’un élève ne dépendent pas uniquement de ses efforts individuels, mais aussi du niveau et des efforts fournis par les autres élèves, ces variables étant fortement corrélées avec l’origine sociale. La ségrégation scolaire a donc, pour effet, non seulement de figer les inégalités de départ, mais surtout de les augmenter. L’école devient donc contre-productive en matière d’ascension sociale ! Par ailleurs, en ne jouant pas son rôle de brassage, l’école ne peut remplir son objectif d’intégration sociale et culturelle et d’inculcation de valeurs communes nécessaires à l’essor d’un sentiment d’appartenance commun. Or notre contrat social requiert un minimum de sentiment d’interressemblance entre les différents groupes sociaux. Les politiques menées jusqu’alors n’ont pas suffisamment investi le champ de la mixité sociale et n’ont pas traité avec efficacité l’enjeu de la ségrégation scolaire. Concernant la politique de la ville, au-delà des moyens alloués qui sont certainement encore insuffisants, la philosophie de cette politique ne constitue pas le levier le plus efficace de mixité sociale. En effet, au-delà de renforcer l’attractivité de ces quartiers pour d’autres catégories sociales moins défavorisées, il est fondamental de prendre le sujet dans l’autre sens, en faisant contribuer davantage les quartiers aisés aux objectifs de mixité sociale. Sur ce point, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 a introduit un objectif minimum de logements sociaux par commune, aujourd’hui de 20 à 25 % des logements. Mais 64 % des communes concernées ne respectent pas la loi SRU[12] et préfèrent payer l’amende qui s’applique en cas de non-respect des objectifs de loi. De même, la construction de logements sociaux ne garantit pas qu’ils ciblent les ménages les plus précaires : par exemple, il est
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18.06.2025 à 16:13
Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?
🇫🇷 🇬🇧 Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté. Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ? La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i] Drill-Baby-Drill et les frackers texans Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii] Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv] « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant » Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v] Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait
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18.06.2025 à 16:13
🇫🇷 🇬🇧 Could an Israeli strike on Iran’s nuclear installations have essentially nothing to do with geopolitics in the Middle East, but everything to do with the price of fracked oil in the remote U.S. state of North Dakota and the immediate political needs of Donald Trump? There is a clear path of documentation that leads to raising these questions. We should look at Trump’s electoral campaign based on the slogan “Drill-Baby-Drill;” why the cowboy oil frackers who backed Trump may well feel betrayed; why oil has at best an uncertain future but an absolutely certain oversupply; why the blindingly obvious chokepoint for oil should be in the center of the discussion; and why Trump’s notably declining credibility in the US may play a major role. Most analysis of a possible Israeli strike on Iran’s nuclear installations focuses on geopolitics in the Middle East. For example, In Le Monde, May 23, 2025 : “Benyamin Nétanyahou a paru bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale.”[i] Drill-Baby-Drill and the Texas Frackers Whatever Trump may or may not want for the Middle East, he ran for election on the slogan “Drill-Baby-Drill,” with the goal of US “energy dominance.” This certainly implies massively increasing the production of US oil, i.e., more fracking. The best places are the Permian basin largely in Texas, and the Bakken formation significantly in North Dakota.[ii] Fracking, during the administration of renewable energy advocate Joe Biden, had, ironically, made the US the world’s biggest oil producer. According to data published by the NASDAQ, in 2024, the US produced 21.91 million barrels per day, almost double that of Saudi Arabia, with 11.13 million barrels per day. [iii] As has been widely reported, drilling has gone down, not up under Trump’s proclaimed policy of Drill-Baby-Drill. Why? In part because drilling costs have gone up; Trump’s on again/off again tariffs have raised the costs of the imported steel and aluminum used in drilling. No US oil producer is happy about this. The CEO of Chevron, Mike Wirth, chose the biggest possible US oil industry audience to denounce Trump’s tariff caprice; addressing a massive annual oil industry conference in Houston, Wirth castigated Trump: “Swinging from one extreme to another is not the right policy…We really need consistent and durable policy.” [iv] Drill-Baby-Drill and the Strategy of The-Last-Man-Standing US drilling has gone down also because others can play “Drill Baby Drill.” On April 3, the coalition of oil producers led by Saudi Arabia and Russia, stunned the market by announcing a production increase for May three times bigger than had been anticipated. Bloomberg.com quoted Helima Croft, head of commodity strategy at RBC Capital and also a former CIA analyst, who said the production increase was “to send a warning signal to Kazakhstan, Iraq, and even Russia about the cost of continued overproduction.” [v] But there is much more to the Saudi strategy. After two more announcements of production increases, Bloomberg reported on June 1, “People familiar with the matter said Riyadh is motivated by the desire to claw back the market share it has relinquished over the years to US shale drillers.” [vi] The world is shifting out of fossil fuels and into renewable energy–more slowly than it should, but inexorably. Half of the new cars sold in China are now electric. [vii] The International Energy Agency last year forecasted, for electricity, the renewable energy share will “expand from 30% in 2023 to 46% in 2030. Solar and wind make up almost all this growth.” [viii] So every oil major appears to have the ambition to be The Last Man Standing. At the moment, this has to be one in the Middle East. According to an October 2024 report by energy consultancy Rystad Energy, “onshore Middle East is the cheapest source of new production, with an average breakeven price of just $27 per barrel.” [ix] But Rystad, in its readily available information, doesn’t breakdown this figure by Middle East country or company. However, Saudi Aramco issued a bond prospectus on the London Stock Exchange five years before. [x] It showed a breakeven range around $10 a barrel. Whatever is the true breakeven figure for Saudi Arabia, it is almost certainly less than the breakeven for U.S. shale oil producers, based on data from a March 2025 survey of actual shale oil producers by the Dallas branch of the U.S. Federal Reserve. It showed that the best (or luckiest) shale oil producers need $40 a barrel to cover the costs of a new well. [xi] At the time of writing, WTI, the U.S. benchmark, has been hovering in the low $60 range. So many shale producers are losing money at this moment. Even at the Rystad Energy figure, Saudi Aramco either will be the last man standing or in a very short list of those who are….unless something big happens. A major slice of Trump backers, the U.S. frackers, are obviously not happy with the lower oil price from too much Middle East oil combined with drilling costs that are too high. As quoted in the Washington Post on May 10: “It is truly affecting everybody,” said T. Grant Johnson, president of Lone Star Production Company, an oil exploration firm in Texas, and the chair of the Texas Independent Producers and Royalty Owners Association. “There was a lot of talk of, ‘drill baby, drill.’ But these companies are not going to drill if the economics
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