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22.02.2025 à 10:50

Repenser le travail pour contrer l’exploitation des vivants

Mireille Bruyère

Le capitalisme exploite le travail des humains... et des non-humains. Une transformation radicale du travail est donc nécessaire, soutient le philosophe Paul Guillibert, qui appelle à une alliance entre anticapitalistes, antiracistes et écologistes pour un « communisme du vivant ». Comment faire communauté autour de l’autonomie et de la subsistance dans un monde désormais majoritairement urbain ?

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Texte intégral 3811 mots
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À propos de l’ouvrage de Paul Guillibert, « Exploiter les vivants : une écologie politique du travail », paru en 2023 aux Éditions Amsterdam.

Le dernier ouvrage du philosophe Paul Guillibert, « Exploiter les vivants : une écologie politique du travail », est présenté par l’auteur comme une suite exploratoire de son premier livre, « Terre et capital, pour un communisme du vivant » publié aux mêmes Éditions Amsterdam en 2021. Dans ce nouveau livre, Paul Guillibert se propose d’éclairer avec les moyens de la philosophie marxienne les conditions d’une alliance anticapitaliste entre la classe ouvrière et les mouvements écologistes. Il s’agit de « repolitiser le travail en écologie politique » (p. 199) – et, pourrait-on ajouter, de « repolitiser l’écologie politique par le travail ».

Construire une écologie politique du travail

En philosophe rigoureux, l’auteur ne cherche pas la construction théorique d’une nouvelle classe révolutionnaire au sens marxien du terme, dans la mesure où tous les humains et non-humains dominés par le capitalisme ne sont pas à la même place, ne tiennent pas le même rôle dans le rapport de production et de reproduction capitaliste. Tous ces différents groupes dominés ne peuvent donc pas être une « classe en soi », car ils n’ont pas les mêmes intérêts matériels et économiques. Leur alliance repose alors sur une analyse théorique fondée sur les concepts marxiens que sont l’exploitation, l’appropriation et l’aliénation, depuis les différentes positions des dominés. Le livre est une tentative de les relier dans le concept plus général d’« exploitation du vivant », qui prend le statut de mot d’ordre fédérateur et d’aiguillon d’une nouvelle alliance universelle anticapitaliste, antiraciste et écologiste.

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Pour parvenir à cette proposition, l’auteur présente un arpentage de la majorité des approches de l’écologie politique et de l’anticapitalisme. Sa capacité à les exposer de manière claire, rigoureuse et synthétique est indiscutablement la grande force de ce livre, qui pourrait compter comme un ouvrage de référence destiné à celles et ceux qui souhaitent découvrir ou approfondir la connaissance des liens entre l’écologie politique et le marxisme. La plume de Paul Guillibert n’est jamais polémique : il discute avec honnêteté les limites de chaque proposition, non pas en elle-même mais dans sa capacité à s’articuler à d’autres propositions théoriques.

L’auteur prend comme point de départ les deux grandes impasses actuelles de l’écologie, qu’il cherche à dépasser. La première tient à l’espérance du salut dans le technosolutionnisme. La deuxième, nommée « écologie domestique » et destinée à réussir la transition écologique, en appelle presque exclusivement à l’éthique individuelle. Il présente ensuite succinctement la majorité des courants de l’écologie politique qu’il synthétise par un arbre des pensées de l’écologie humaine (p. 36). C’est en parcourant toutes les branches de cet arbre avec les outils de la critique marxiste que Paul Guillibert tente de construire une « écologie politique du travail ».

Lire aussi sur Terrestres : Frédéric Keck, « Animaux de tous les pays, unissez-vous ! », mars 2024.

L’ouvrage est divisé en trois chapitres. Le premier expose les différentes théories critiques du capitalisme susceptibles de nous éclairer sur les causes profondes de l’écocide en cours. Citant Éric William, un penseur marxiste : « Pas une seule brique de la ville de Bristol n’a été façonnée sans le sang d’un esclave » (p. 52), il part du constat que l’exploitation ouvrière dans les pays occidentaux est complémentaire de l’esclavage et du colonialisme.

Pour autant, l’auteur estime que le concept de plantationocène de Donna Haraway et Anna Tsing est bien trop englobant et homogène pour saisir toute la diversité des modes d’aliénation et d’exploitation du capitalisme. Il s’appuie sur les approches féministes et écoféministes sur le travail de reproduction pour considérer l’économie comme une activité scindée en deux sphères distinctes et inséparables, condition l’une de l’autre : celle du travail majoritairement masculin, producteur de valeur économique, et celle du travail majoritairement féminin dit de « reproduction », à l’intérieur de l’espace domestique ou bien dans des espaces domesticisés. Alors que nombre de propositions féministes interprètent la séparation entre espace productif et espace reproductif comme une technique de pouvoir, pour les écoféministes du courant de la subsistance, le travail dit de « reproduction » est un des lieux privilégiés de la résistance au capitalisme et de la construction de l’autonomie matérielle et politique, d’entretien et soin du vivant. Ce travail perd ainsi la connotation négative d’un travail seulement aliénant, dominé, et contraire à l’émancipation. L’auteur en déduit que le dépassement de la dualité entre production et reproduction ouvre des « voies normatives plus concrètes en termes de réorganisation de la vie quotidienne ».

Les femmes au travail dans l’agriculture pendant la guerre de 1914-1918. Wikimedia commons.

Au terme de cette partie, Paul Guillibert présente le capitalisme comme un double processus : l’exploitation du travail salarié, et l’appropriation du travail de reproduction et des forces naturelles. Il s’agit alors de « réintégrer la critique des forces productives dans la critique du capital », au sens où l’analyse marxiste doit dépasser la seule critique de l’exploitation du travail en l’intégrant dans une approche plus large du capital. Quant au capital, il est entendu comme rapport social total incluant un rapport au travail comme exploitable et source de valeur et un rapport à la nature comme appropriable et sans valeur (p. 79).

La nature travaille-t-elle ? Redéfinir le travail

La deuxième partie du livre se penche plus précisément sur le concept de travail, central dans le champ marxiste afin de construire un pont entre critique des forces productives et critique du capital. L’auteur passe en revue de nombreuses contributions en commençant par rappeler que le concept de travail défini comme activité séparée et élargie à la production de tous les besoins sociaux est une invention de la modernité. Il propose de définir le travail moderne dans le capitalisme comme une activité pénible, technique, fondée sur la division du travail, marque de la modernité capitaliste. En effet, le travail défini comme simple activité technique et pénible existe dans d’autres sociétés que les sociétés capitalistes.

Pour Paul Guillibert, on peut parler de mise au travail de certaines espèces ou de certains processus d’engendrement de la nature. Mais on ne peut pas dire que la nature dans son ensemble travaille.
 

Le propre du capitalisme étant de séparer le travail du reste des activités humaines, le travail est inséparable de la division du travail. Celle-ci est une conséquence de l’appropriation privée des moyens de production. Cette définition permet à Paul Guillibert d’affirmer que les animaux de l’élevage agro-industriel travaillent, et que l’on peut parler de mise au travail de certaines espèces ou de certains processus d’engendrement de la nature (p85). Par contre, on ne peut pas aller jusqu’à dire, à l’instar de Jason Moore

Cette clarification posée, l’auteur se met à distance de deux propositions théoriques du rapport entre humains et non-humains qu’il estime être des impasses stratégiques : d’une part l’antispécisme, qui se cantonne à une dénonciation morale et non politique, et d’autre part les philosophies du vivant, qui postulent la primauté du concept « vivant » et écrasent la dimension politique de l’écologie.

Lire aussi sur Terrestres : Paul Guillibert, « Jason W. Moore, cosmologie révolutionnaire et communisme de la vie », mai 2024.

Pour lui, la mise au travail du vivant et l’appropriation de la nature par le capitalisme procèdent d’une subsomption réelle en ce sens qu’elle change profondément la manière dont la dynamique productive du vivant et de la nature fonctionnent pour en tirer le maximum de productivité. Par exemple, la modification de la vie à l’échelle de l’ADN « marque  une rupture historique dans les formes d’appropriation ». L’auteur note pertinemment que le maïs transgénique MON810 de Monsanto, qui modifie profondément les processus d’engendrement du vivant, suppose conjointement des appareillages et connaissances scientifiques poussées issues du privé, et des droits de propriété sur ce vivant nouvellement engendré.  C’est par cette subsomption réelle et surtout totale de la nature que le capitalisme se définit. Ce parcours permet à Paul Guillibert de proposer une cartographie et un schéma des usages productifs de la nature (p. 130) afin d’identifier la spécificité des usages capitalistes.

Grève, communs et décroissance : les piliers du « communisme du vivant »

La troisième partie de l’ouvrage explore les pistes et les stratégies possibles d’émancipation des humains et du vivant hors des griffes du capitalisme. L’auteur propose pour cela une écologie de la classe ouvrière qui repose sur trois piliers, trois praxis : la grève, les communs et la décroissance. L’articulation de ces trois piliers constitue ce qu’il appelle le « communisme du vivant ».

Contre les écomodernistes marxistes comme le géographe étasunien Matt Huber, l’auteur estime à juste titre que la décroissance de la production et de la consommation est une dimension incontournable de l’émancipation et que le communisme ne peut être qu’un « communisme de la décroissance » (p. 154), ainsi que le formule l’économiste japonais Kohei Saito. Cette décroissance n’est pas principalement quantitative, elle est d’ordre structurel : c’est une « transformation radicale de l’organisation du travail » (p. 155).

Femmes récoltant des asperges, Ontario, Canada, 1986. Wikimedia commons.

La transition serait alors engagée moyennant le maintien de revenus de transition pour les travailleurs des secteurs en décroissance et durant le temps pendant lequel que la sphère de la subsistance et de l’autonomie se développe. Cependant, cette proposition stratégique, qui n’est pas neuve, est présentée trop rapidement. Elle reste prise dans une contradiction difficile à lever : comment faire décroître la production si on maintient des niveaux de revenus qui soutiennent la consommation ? Certes, l’auteur espère que la baisse nécessaire et drastique des hauts revenus va contribuer à la baisse de la production des biens les plus artificiels et polluants, mais nous savons que cela ne sera pas suffisant en termes de limites écologiques. En effet, la décroissance ne peut pas se limiter à un changement dans la répartition des revenus car ce sont aussi les modes de vies de la classe moyenne qui sont actuellement fondés sur des logiques productives insoutenables.

Comment imaginer que l’État acceptera de piloter une baisse de la production et de démanteler des infrastructures qui sont à la source de son pouvoir ?

C’est là que se trouve la principale limite de ce livre : l’auteur entend extraire des pistes stratégiques à partir de la théorie, alors même que la sortie du capitalisme nécessite une transformation radicale, voire révolutionnaire, des institutions. Or, cette transformation ne saurait être une simple technique, ni la mise en application d’une feuille de route. Elle est création du nouveau non réductible à un processus stratégique : c’est une praxis instituante. Comme le formule Cornelius Castoriadis, elle est ce « faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme autonomes et considérés comme l’agent essentiel du développement de leur propre autonomie

Lire aussi sur Terrestres : Geveviève Azam, « Planification écologique : frein d’urgence ou administration de la catastrophe ? », septembre 2023.

Conscient de la difficulté de proposer une alliance autour du mot d’ordre de « décroissance », Paul Guillibert propose le mot d’ordre de « communisme du vivant », plus positivement connoté. Ce « communisme du vivant » est une « cosmologie qui insère la lutte des classes dans les mondes vivants dont elle dépend, une politique de la vie ou une biopolitique par en bas contre la croissance illimitée du profit » (p. 175).

Il s’agit d’une transition « civilisationnelle et pas seulement économique ou énergétique », qui, au vu de notre héritage infrastructurel, nécessite selon l’auteur une dose de planification étatique, un « moment étatique » (p. 175).

La démarche purement philosophique de l’auteur trouve certainement ici une de ses limites. Conscient que la construction théorique du mot d’ordre de l’alliance est insuffisante en soi, il est poussé à faire des propositions stratégiques qui ne peuvent donc avoir qu’une nature technique éloignée de la praxis. Il est vrai en logique, déduite de la théorie, que la transition vers le communisme du vivant nécessite un moment de planification de taille nationale et donc étatique. Mais comment imaginer en réalité un tel moment ? Comment imaginer que l’État acceptera de piloter une baisse de la productivité, de la production, de démanteler des infrastructures inutiles, de permettre la réappropriation commune des moyens de production et donc finalement de baisser la masse totale des revenus alors que ces revenus et ses infrastructures sont la source de son pouvoir ? Ils lui permettent de payer ses fonctionnaires, ses policiers, ses élus, ses militaires… tous nécessaires à sa puissance et à sa raison d’être.

Une alliance politique ne peut pas être seulement la conséquence de la prise de conscience des causes communes de l’exploitation et de l’aliénation.

Si on peut imaginer que le rapport de force au sein des institutions du capitalisme peut conduire à infléchir les politiques publiques vers plus de solidarité, de réduction des inégalités, de protection des plus faibles, en revanche cet infléchissement s’arrête au seuil de la décroissance économique, la croissance étant la source de la puissance de ces institutions.

Si la décroissance est incontournable, elle ne peut pas se penser dans un moment étatique mais plutôt dans un moment révolutionnaire, comme une fracture institutionnelle venant ouvrir des possibles, laisser se développer des fragments, des germes du communisme du vivant avec un État en recul, en décomposition, en déconcentration, en crise, un moment d’État ingouvernable plutôt qu’en planification nationale. C’est la condition pour laisser l’espace à l’inouï, à l’imprévisible qu’est la décroissance matérielle dans un monde porté depuis trois siècles par l’imaginaire de l’expansion illimitée.

Comment penser les alliances politiques entre des groupes éloignés ?

Dans sa conclusion, Paul Guillibert appelle à un rapprochement entre luttes ouvrières, luttes écologiques et luttes anticoloniales et antiracistes. Cet arpentage théorique contribue à clarifier les débats et les controverses qui traversent les mouvements de contestation. Cela permet de dépasser l’opposition superficielle entre l’exploitation ouvrière et la destruction de la nature. En ce sens, c’est un livre utile pour les luttes écologiques anticapitalistes.

Mais ce travail théorique n’est pas suffisant pour contribuer à forger les collectifs, les communautés qui défendront le « communisme du vivant ». Comme le pointe l’auteur dans sa conclusion, ce projet politique est vain sans constitution d’une nouvelle communauté politique qui le porte.

Une alliance politique ne peut pas être seulement la conséquence de la prise de conscience des causes communes de l’exploitation et de l’aliénation. La communauté politique n’émerge pas, n’est pas la conséquence d’un effort de théorisation mais d’une praxis dont l’effort de théorisation n’est qu’une dimension, souvent limitée. 

Pour reprendre la célèbre phrase de Marx, « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit de la transformer ». Il pourrait être utile de faire un pas de plus et penser aussi les conditions d’une praxis instituante de cette communauté politique, une praxis « comme expression même de l’action émancipatrice », ainsi que le formulait Marx.

Femmes travaillant à l’usine TexTunis à Soliman, Tunisie, 2005. Wikimedia commons.

C’est au cœur d’une praxis qui articule les pratiques des militants écologiques, les luttes ouvrières et les expérimentations d’alternatives et d’autonomie de subsistance que pourra naître cette nouvelle communauté. Or, relier théorie et pratique nécessite un territoire, un sol à taille humaine, et pas seulement une carte stratégique afin que cette relation devienne une réalité sensible, incarnée, un chemin de transformation et de création qui se sédimente dans les corps par l’expérience.

C’est une autre limite de ce livre qui se propose de trouver les concepts de l’alliance. Le territoire d’une praxis ne peut pas être trop grand sans perdre la possibilité d’une action transformatrice réelle et radicale. Dans la conclusion, l’auteur déplore « l’absence de solidarité contre l’opération Wuambushu

Comment développer la décroissance, l’autonomie et la subsistance, alors même que plus de 80 % de la population française vit dans une ville ?

Mais cette dénonciation pose question : comment, alors que les habitants concernés vivent sur deux territoires si éloignés, faire émerger une alliance et une communauté politique concrète ? Certes, les luttes lointaines sont des sources d’inspirations incontournables pour les luttes locales. Mais « inspiration » n’est pas synonyme d’« alliance stratégique concrète ». Les luttes nécessitent une socialisation politique réelle, physique, immédiate et sensible qui dépasse le moment d’inspiration et d’imaginaire. C’est la force matérielle du capitalisme que d’être capable d’aliéner à la même logique autant de groupes humains et non humains si éloignés, limitant de fait les alliances pratiques et durables et les communautés politiques de résistance.

Même au sein du territoire de la métropole déjà vaste, les alliances concrètes butent sur la distance géographique et l’inscription dans le territoire du capitalisme, modelé par la métropolisation qui sépare les groupes sociaux et les moments sociaux. Nous savons qu’il faut faire ces alliances. Mais l’obstacle n’est pas d’ordre philosophique, il est d’ordre matériel. Comment développer la décroissance, l’autonomie et la subsistance, alors même que plus de 80 % de la population française vit dans une ville ? Alors que l’urbanisation est le phénomène le plus massif du capitalisme moderne ?

Personne ne peut y répondre globalement, juste donner quelques pistes, quelques jalons théoriques possibles à la praxis des luttes et des expérimentations. Lu en ce sens modeste, le livre de Paul Guillibert est très utile.


Image d’accueil : Femmes triant et classant des pêches pour la vente au marché, Ontario, Canada, 1986. Wikimedia commons.

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Notes

17.02.2025 à 15:09

Les métamorphoses de la Terre : de poussières d’étoiles à planète

Nathalie A. Cabrol

La perspective écologique est indissociable d'un regard sur l'histoire longue de la Terre et l'origine de la vie depuis le chaos primordial. Comme le rappelle l'astrobiologiste Nathalie Cabrol, la vie n’est pas « apparue » sur Terre : elle en est issue, et l’évolution des deux est depuis irrémédiablement liée. Ce texte offre un voyage saisissant de la formation de l'univers jusqu'à la naissance de la Terre.

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Texte intégral 3433 mots
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Ces bonnes feuilles sont extraites de l’ouvrage de Nathalie Cabrol, Inséparables, Les destins croisés de la Terre et de la vie, Paris, 2025, Julliard.


Malgré l’apparente séparation entre la vie et l’environnement terrestre, une profonde interdépendance les relie par le biais de la coévolution, par laquelle les organismes vivants et leur environnement s’influencent et se modifient mutuellement au fil du temps. En d’autres termes, les changements de l’environnement influencent l’évolution de la vie et les organismes vivants façonnent l’environnement. La vie ne peut donc pas être séparée de l’environnement parce qu’elle en fait partie intégrante et qu’elle en a émergé. L’origine de cette synergie remonte bien au-delà de la naissance de notre planète. En fait, elle remonte à la naissance de l’univers lui-même. Et, non, la Terre est ancienne, mais elle n’est pas si vieille que ça. Alors, comment est-ce possible ? Pour le comprendre, il faut en revenir aux composantes élémentaires de la vie. Dans les instants qui suivirent le Big Bang, l’univers était extraordinairement chaud et dense. L’hydrogène et l’hélium se formèrent alors et devinrent les éléments constitutifs de toute matière. Avec le temps, l’univers continua son expansion et se refroidit. La gravité commença à rassembler la matière, formant des étoiles et des galaxies, les étoiles jouant un rôle crucial dans la composition chimique de l’univers. Grâce à la fusion nucléaire, elles convertissent l’hydrogène en hélium dans leur noyau, puis l’hélium en éléments plus lourds tels que le carbone, l’oxygène, le fer, entre autres. Ces éléments lourds sont libérés dans l’espace à la fin du cycle de vie de chaque étoile par dispersion progressive ou lors d’explosions cataclysmiques dans des supernovæ. C’est ainsi que ces poussières d’étoiles expulsées par des multitudes de générations d’objets stellaires ont contribué à la formation d’innombrables systèmes planétaires dans l’univers. Et c’est par ce même processus que notre Système solaire s’est formé dans la Voie Lactée, il y a un peu moins de cinq milliards d’années.

L’univers continua son expansion et se refroidit : la gravité commença à rassembler la matière, formant des étoiles et des galaxies, les étoiles jouant un rôle crucial dans la composition chimique de l’univers.

Dans l’obscurité de l’espace, un nuage interstellaire froid s’est effondré par gravité pour former une protoétoile – notre futur Soleil. Ce qui restait de matière se mit en rotation autour de l’étoile embryonnaire, formant un disque protoplanétaire dans lequel des particules de matière à peine visibles à l’œil nu dérivaient dans le chaos initial d’un Système solaire naissant. La taille de ces poussières pouvait sembler insignifiante à l’échelle de l’univers, et pourtant, elles portaient déjà en elles le potentiel de quelque chose d’extraordinaire. Ces grains passaient au travers de nuages de gaz tourbillonnants, vestiges d’anciennes explosions stellaires. Aussi petits qu’ils soient, ils avaient déjà une identité et une personnalité, d’un point de vue physique et chimique. Et ce n’était pas le fruit du hasard non plus. Ils étaient constitués de ce que l’on pourrait considérer comme l’équivalent d’une empreinte génétique, celle de tous les événements qui avaient amené à leur formation, une lignée qui remontait à la naissance de l’univers. Ils étaient aussi tous apparentés les uns aux autres, comme une famille issue du même pool génétique, et portant les signatures spécifiques de ce coin de notre galaxie au moment précis de leur formation.

Pour ces minuscules grains de matière, le temps n’avait aucune signification. Comme une respiration, ils dérivaient dans l’espace, se contractant et se dilatant lentement, alors qu’ils tournaient autour d’une lueur lointaine et que leur température changeait. Avec le temps, ils furent soumis à une attraction grandissante, comme entraînés vers un point central. Quelque chose se passait, quelque chose de beaucoup plus grand et puissant que les grains eux-mêmes, et dont ils devenaient partie intégrante. L’attraction gravitationnelle d’une masse naissante et croissante, la future Terre, les faisait s’agglomérer entre eux. De poussières d’étoiles à particules planétaires, ils commençaient à former une fraction de ce monde émergent.

Au fil de millions d’années, ils furent intégrés à un disque de matière en expansion et en rotation. À mesure que la protoplanète grandissait, d’autres grains et globules de matière étaient attirés. Les collisions et les fusions s’enchaînaient, entraînant souvent la destruction, mais reconstruisant sans relâche. À chaque instant de ce processus, la limite séparant ces grains et leur identité étaient redéfinies. Bien plus tard, des amas de matière plus importants se formèrent, y compris des fragments de roche et des minéraux. Chaque nouvelle collision engendrait une énergie extraordinaire et, bientôt, un petit monde incandescent se mit à luire d’un éclat rouge, un monde si chaud que sa surface était en fusion, et qu’il était devenu impossible alors de séparer les grains individuels de la masse indéfinie d’un océan de magma en ébullition.

L’aube de la Terre

Quelque chose d’autre se produisait. Des volutes de gaz s’échappaient de la lave refroidissant. Elles étaient émises par des volcans nouvellement formés, enveloppant la jeune planète d’une atmosphère primordiale. Alors que la température de la Terre continuait à baisser et que sa surface se solidifiait en une fine croûte, la vapeur se condensait finalement en gouttelettes, formant des nuages. La première pluie tomba sur la surface. Elle allait durer des millions d’années. Au fil du temps, et avec l’apport de glace provenant de comètes, les dépressions de la jeune Terre se remplirent d’eau, créant des rivières, des lacs et des océans. Le cycle hydrologique que nous connaissons se mit alors en place. L’eau qui s’écoule des glaciers, qui ruisselle sur les pentes ou qui coule de nos robinets a parcouru la Terre depuis sa formation. Pensez-y lorsque vous remplissez votre verre. Avant même d’être intégrée à la Terre, cette eau a voyagé dans l’espace et le temps sous de nombreuses formes et différents états pendant des milliards d’années, d’atomes à molécules, jusqu’à ce liquide maintenant prisonnier de votre verre. Et, alors que vous la buvez, vous n’êtes qu’un réceptacle temporaire avant qu’elle n’aille rejoindre une nouvelle fois le cycle hydrologique terrestre. Dans quelques milliards d’années, elle sera de retour dans l’espace interstellaire, et, qui sait, peut-être un jour ruissellera-t-elle de nouveau à la surface d’un autre monde.

Avant même d’être intégrée à la Terre, l’eau a voyagé dans l’espace et le temps sous de nombreuses formes et différents états pendant des milliards d’années, d’atomes à molécules, jusqu’à ce liquide maintenant prisonnier de votre verre.

Mais à cette époque, les grains de poussière cosmique commençaient à peine à transférer leur identité physique et chimique à l’intérieur, à la surface rocheuse, à l’atmosphère et aux océans de cette toute nouvelle planète. Avec le temps, ce monde naissant allait subir de nombreuses transformations. Mais, à l’aube de la Terre, ces petites particules jouèrent un rôle fondamental dans le façonnement de l’environnement primitif et fixèrent les règles de l’émergence d’une biosphère dynamique à venir. Tout ce qui s’est produit depuis sur notre planète, y compris la probabilité et les limites de la vie qui pourrait y émerger un jour, tout a commencé là.

Lire aussi sur Terrestres : Ursula K. Le Guin, «La théorie de la Fiction-Panier », octobre 2018.

La composition de la Terre est héritée du disque protoplanétaire dont elle est née. Il a donné à notre planète sa propre identité. Le temps, les cycles planétaires et astronomiques, ainsi que les cataclysmes cosmiques et environnementaux ont ajouté des niveaux de complexité, mais c’est de là que nous sommes tous issus : atomes, molécules, poussières et glace assemblés à partir d’un chaos primordial dans l’obscurité de l’espace, de la plus petite des bactéries au génie le plus extraordinaire. À ce stade précoce, ce petit point dans l’univers était notre demeure en devenir et contenait déjà la possibilité improbable de notre apparition, nous tous, encore fusionnés et indifférenciés au sein de la Terre primitive. À l’époque, nous ne faisions qu’un avec l’environnement et, comme nous le verrons, c’est toujours le cas.

La composition de notre planète n’a pas seulement créé un lien complexe et profond entre la Terre et la vie. Toutes deux sont constituées des mêmes éléments, seulement organisés différemment. La vie n’est pas « apparue » sur Terre ; elle en est issue, et l’évolution des deux est irrémédiablement liée depuis lors. Mais alors que la surface de la Terre refroidissait toujours, l’idée même de la vie était encore lointaine. Notre planète n’était qu’un point rougeoyant parmi des milliards d’autres dans la galaxie, juste la dernière-née dans l’infinitude de l’espace. Mais les choses allaient bientôt changer.

Ce temps reculé était l’Hadéen, si loin dans le passé qu’il n’en reste que très peu de traces aujourd’hui. Seules quelques rares formations rocheuses datant de plus de 3,9 milliards d’années subsistent encore. L’érosion et la tectonique des plaques ont détruit les vestiges de notre histoire géologique la plus ancienne. Il y a 4,6 à 4 milliards d’années (la durée de l’Hadéen), la Terre était une forge planétaire où tous les éléments étaient fusionnés ensemble. Imaginez un instant que vous soyez les témoins du chaos et de la destruction qui ont accompagné le début de notre monde.

Photographie de la Terre prise par la sonde Voyager 1 le 14 février 1990. On distingue un minuscule point bleue à travers le faisceau du soleil. Le tout est perdu dans le vide.

Le Système solaire interne était alors embouteillé par des dizaines de planétoïdes de la taille de Mars. La plupart d’entre eux entrèrent en collision pour former Mercure, Vénus, la Terre et Mars. D’autres furent détruits et d’autres encore, comme nous le montre l’observation des exoplanètes, ont probablement été expulsés du Système solaire, devenant des planètes vagabondes errant depuis sans étoile dans l’immensité de l’espace. Des vagues d’astéroïdes et de comètes allaient encore produire des collisions monstrueuses pendant plus d’un milliard d’années, écrasant tout sur leur passage, provoquant des ondes de choc terrifiantes sur la Terre, et faisant à nouveau monter la température.

Des vagues d’astéroïdes et de comètes allaient encore produire des collisions monstrueuses pendant plus d’un milliard d’années, écrasant tout sur leur passage, provoquant des ondes de choc terrifiantes sur la Terre, et faisant à nouveau monter la température.

De collisions en impacts, et d’explosions en éruptions, notre monde a survécu à un baptême du feu. Le plus dangereux de tous fut délivré par Theia, un planétoïde de la taille de Mars, il y a près de 4,5 milliards d’années. Dans l’obscurité de l’espace, il apparut à l’horizon de la Terre, grossissant d’heure en heure, chargeant vers notre jeune planète à près de 10 kilomètres par seconde. La collision était inévitable et fut apocalyptique. L’intensité de l’impact vaporisa partiellement les deux mondes, produisant une grande quantité de débris qui, une fois éjectés dans l’espace, créèrent un anneau de matière autour de la Terre.

Au fil du temps, ces débris s’assemblèrent et se refroidirent, pour former la Lune que nous connaissons aujourd’hui. Ce scénario est confirmé par les échantillons des missions Apollo, qui montrent une composition assez proche entre les roches lunaires et le manteau terrestre. Ce qui est moins clair, en revanche, c’est le temps qu’il a fallu pour que notre satellite se forme. Qu’il ait fallu quelques heures ou quelques millions d’années, la Terre avait trouvé alors un compagnon qui se lèverait et se coucherait dans son ciel pour des éons à venir, changeant à jamais notre ciel nocturne. Mais ne pensez pas un instant que ce ciel ressemblait à ce que nous connaissons actuellement. À l’époque de sa formation, la Lune, beaucoup plus proche de la Terre, serait apparue quinze fois plus grosse dans le ciel qu’elle ne l’est aujourd’hui ! Dès lors, l’attraction gravitationnelle combinée de la Lune et du Soleil allait provoquer des marées dans les océans terrestres.

Des cristaux témoignent

À l’époque, notre planète était encore un enfer chaotique fait de volcans en éruption, de températures impossibles, et d’un barrage constant de comètes et d’astéroïdes. Cet environnement cauchemardesque fut pourtant le milieu dans lequel se formèrent les « briques de la vie », les plus petits éléments constitutifs de tous les êtres vivants. Vint ensuite la vie. Nous avons trouvé des indices intrigants de cette émergence dans de minuscules cristaux de zircon à peine deux fois plus gros qu’un cheveu humain, et dissimulés dans certaines des plus anciennes roches terrestres. Dans une région reculée de l’Australie-Occidentale, des géologues ont mis au jour des centaines de ces cristaux vieux d’un peu plus de quatre milliards d’années – sur les terres d’un élevage de moutons. Ces zircons ne sont pas non plus des cristaux ordinaires. Ils ont survécu aux conditions les plus difficiles des débuts tumultueux de notre planète. Et ce qui les rend si uniques, c’est leur capacité à préserver les secrets de son passé.

Des cristaux retrouvé en Australie ayant survécu aux conditions les plus difficiles des débuts tumultueux de notre planète bouleversent notre connaissance du moment où la vie aurait pu commencer sur Terre.

Pour comprendre leur importance, parlons brièvement des isotopes, qui sont des atomes ayant le même nombre de protons (des particules subatomiques avec des charges positives) mais un nombre différent de neutrons (qui ont à peu près la même masse qu’un proton mais sans charge électrique). Ils sont assez semblables chimiquement, mais leur masse et d’autres propriétés varient. Les géologues utilisent leurs rapports pour comprendre l’origine des roches et des minéraux. En étudiant les zircons des Jack Hills, ils ont fait une découverte étonnante. Un échantillon de carbone provenant de deux particules microscopiques de graphite à l’intérieur de certains cristaux était enrichi de 2 % en carbone, ce qui suggère que la vie aurait pu déjà être présente sur Terre en ces premiers moments tourmentés de l’Hadéen. Comment le sait-on ? Parce qu’il se trouve que la vie a tendance à être paresseuse et à opter pour la forme de carbone la plus légère lorsqu’elle le peut. Cette préférence laisse une marque distinctive dans les rapports isotopiques de la matière organique qu’elle produit. Lorsque les chercheurs examinèrent les zircons des Jack Hills, ils constatèrent un appauvrissement en carbone 13, signe possible que la vie utilisait la forme la plus légère (carbone 12) pour son métabolisme, car elle demande moins d’énergie pour briser ses liaisons chimiques.

Davantage de travaux seront nécessaires pour comprendre la portée véritable de cette découverte, mais, quoi qu’il advienne, ces cristaux sont plus que de simples cristaux ; ce sont de minuscules machines à remonter le temps qui nous emmènent à la découverte des premiers moments de la Terre, un voyage qui pourrait repousser notre estimation de l’aube de la vie. Ces zircons ont 4,1 milliards d’années. Le graphite qu’ils contiennent est encore plus ancien. Leur découverte a bouleversé notre connaissance du moment où la vie aurait pu commencer sur Terre, reculant notre estimation antérieure de centaines de mil- lions d’années, peut-être, immédiatement après que la surface s’est refroidie. Mais plus encore, cette découverte ne nous parle pas seulement d’un passé lointain ; elle met également en évidence l’incroyable résilience et l’adaptabilité de la vie tout au long de l’histoire de la Terre, même dans les environnements les plus extrêmes. L’histoire de ces zircons souligne aussi la nature changeante de l’habitabilité d’une planète.


Lire aussi sur Terrestres : Sebastian V. Grevsmühl, «Quitter la Terre ?», novembre 2024.

Photo d’ouverture : Collines de Jack de la montagne de Narre Gneiss en Australie, là où a été retrouvé le plus ancien matériau de la Terre, le zircon. Crédits : NASA/GSFC/METI/ERSDAC/JAROS, and U.S./Japan ASTER Science Team


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12.02.2025 à 22:11

Habiter les Antilles à l’heure de l’Anthropocène

Centre des Politiques de la Terre

Plantations de bananes, industries pétrochimiques, relations scientifiques et habitantes à un volcan actif, algues proliférantes.… Une série de quatre capsules sonores qui esquissent une écologie politique de la Martinique.

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Texte intégral 1132 mots
Temps de lecture : 4 minutes

En mai 2024, un groupe de trente étudiant·es et chercheur·euses a participé à un dispositif pédagogique d’écologie politique en Martinique : le Campus Anthropocène. Cette semaine d’enquête a été l’occasion d’approcher un certain nombre des problèmes qui maillent le territoire des Antilles. Une traversée qui les a mené de l’ère des plantations de bananes à celle des industries pétrochimiques, de l’histoire de l’observation scientifique de la montagne Pelée aux stratégies d’adaptation des habitants sur un volcan actif, sans oublier la contamination des habitant·es par des polluants environnementaux tel que le chlordécone.

Voici un compte-rendu de ces bribes de recherche sous la forme de quatre capsules sonores, qui entrecroisent les paroles pour esquisser une écologie politique de la Martinique.

La Plantation, et après ?

L’expérience de l’agriculteur biologique Alexandre Terne, en dialogue avec les participant·es du Campus Anthropocène, vient faire écho à la recherche du toxicologue et biochimiste Xavier Coumoul pour rendre saillantes les difficultés à cultiver des terres empoisonnées par des cocktails de pesticides. Comment viser une perspective d’autonomie alimentaire de la Martinique avec ces legs coloniaux des entreprises agricoles qui contaminent les sols sur le long terme ?

Sur ce sujet, lire aussi dans Terrestres : Malcom Ferdinand, « La bananisation des Antilles, histoire d’une colonisation agricole », octobre 2024.

Cohabiter avec les sargasses ?

Sylvie Becrit, présidente de l’association « Petite France et baie du Simon », et le médecin urgentiste Thierry Lebrun présentent les effets néfastes qu’engendre la présence de sargasses sur le quotidien matériel et la santé des riverain·es de la Martinique. Ces témoignages rencontrent l’écologie de ces algues décrite par l’anthropologue Florence Ménez. Comment ces non-humaines peuvent-elles être à la fois des entités naturelles et un problème de politique publique ?

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Savoir-habiter sur le flanc d’un volcan

Guylène Joseph-Angélique, 2ème adjointe au maire du Prêcheur, nous fait visiter sa commune en expliquant les risques que présentent les lahars — des coulées de boues et de roches dévalant les flancs de la montagne Pelée — pour ses habitant·es. Ses propos résonnent avec les recherches menées par la géophysicienne et psychosociologue Maud Devès à propos des crises et catastrophes. Comment les martiniquais·es vivent-iels sur un territoire en prise avec de puissants et multiples phénomènes « naturels » et dangereux ?

La raffinerie des Antilles-Guyane : risques majeurs et transition énergétique

L’ingénieure responsable de la maîtrise des risques industriels, Stéphanie Theverin, guide le tour en car du site Seveso de la raffinerie de pétrole Antilles-Guyane – la SARA. Puis le technicien « travaux » Hubert Citee et le chef du service « fabrication » David Moetus mettent en avant ce qu’a mis en place la SARA pour répondre aux menaces écologiques auxquelles son existence soumet les populations riveraines. Enfin, Michel Yp-Tcha, directeur de la stratégie et de l’innovation, explique les défis de la transition énergétique au sein de la SARA. Ces présentations sont mises en perspectives par le politiste et sociologue Yann Bérard qui replace l’entreprise pétrochimique dans l’histoire moderne de la France d’Outre-mer, puis dans l’actualité des politiques territoriales de la Martinique, et enfin dans le cadre des limites planétaires. Comment la transition énergétique révèle-t-elle les multiples vulnérabilités et dépendances du territoire martiniquais ?


Pour aller plus loin, il est possible de consulter le compte-rendu complet (en PDF) de cette semaine du Campus Anthropocène en Martinique, coorganisé par le Centre des Politiques de la Terre avec le laboratoire PHEEAC (Pouvoirs Histoire Esclavages Environnement Atlantique Caraïbe) de l’Université des Antilles/CNRS.

Les capsules sonores ont été réalisées par l’artiste sonore Maya Boquet (Lighthouse Company) à partir des enregistrements de l’anthropologue Florence Ménez et de l’étudiante de licence en science politique Lucie Loustanau.

Les dessins ont été réalisés par l’illustrateur et graphiste Lucas Pernock.

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