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22.06.2021 à 00:30

Parviendra-t-on à créer un vaccin contre le cancer ?

Camille Hamet

par Camille Hamet | 7 min | 13/03/2018 Un vaccin contre le cancer « Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier dernier, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le…

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Texte intégral 2329 mots

L’espoir est à nouveau permis. Après avoir mis au point un vaccin contre le Covid-19 avec Pfizer, la société allemande de biotechnologie BioNTech développe à présent un vaccin contre le cancer. Et selon la scientifique et cofondatrice de l’entreprise Özlem Türeci, il pourrait être au point d’ici quelques années seulement. L’invention d’un tel vaccin est précisément la raison pour laquelle BioNTech a été fondé, révélait la chercheuse le 19 mars 2021. Et à l’instar du vaccin contre le Covid-19, les vaccins contre le cancer de BioNTech utiliseront les ARN messagers. Après des décennies de recherches et d’échecs, sera-t-on bientôt débarrassés du fléau du cancer ? On aimerait que ce soit aussi simple.

Un vaccin contre le cancer

« Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier 2018, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le développement de la maladie. Mais comme le rappelle l’Institut Curie, une telle approche n’est possible que si la survenue du cancer a pour origine une infection virale. Ainsi, « la systématisation de la vaccination contre l’hépatite B a largement contribué à prévenir les cancers du foie dans des régions du globe où le taux d’infection par le virus de l’hépatite B est important », et la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) « des jeunes filles entre 11 et 14 ans permettrait d’éviter 70 % des infections à l’origine de cancers » du col de l’utérus.

Crédits : AAAS

En France, seules 19 % des femmes sont vaccinées contre le HPV. Mais à l’autre bout du monde, en Australie, on vise les 100 % de vaccination grâce à un système de distribution gratuite aux adolescents âgés de 12 à 13 ans. Aux filles depuis 2007, et aux garçons depuis 2013. Celles et ceux qui se trouvent en dehors de cette tranche d’âge, mais qui ont moins de 19 ans, ont également droit à deux doses gratuites du vaccin. Résultat, le taux d’infection au HPV, qui se transmet notamment par voie sexuelle, a chuté de 22,7 % à 1,1 % entre 2005 et 2015 parmi les femmes âgées de 18 à 24 ans, selon un rapport publié dans le Journal of Infectious Diseases. À ce rythme-là, l’Australie pourrait bientôt devenir le premier pays du monde à éradiquer le cancer du col de l’utérus, d’après l’International Papillomavirus Society.

Contre les autres cancers, il n’est pas question de vaccination préventive, mais de vaccination thérapeutique. « Une situation très différente de celle de la vaccination préventive car l’intrus est déjà présent dans l’organisme et les défenses sont souvent débordées par la prolifération tumorale », précise l’immunologiste Vassili Soumelis. D’autant que, contrairement aux virus, les cellules cancéreuses sont produites par le corps lui-même. Le système immunitaire ne les perçoit pas comme une menace. Il s’agit donc en premier lieu de lui apprendre à reconnaître cette menace afin d’éradiquer les cellules cancéreuses, qui sont néanmoins capables d’envoyer des signaux pour contrer la réponse immunitaire. Le vaccin doit alors être associé à une méthode d’immunothérapie basée sur des checkpoint inhibitors, ou « inhibiteurs de points de contrôle », qui sont quant à eux capables de faire taire ces signaux.

Aux États-Unis, pas moins de 800 essais cliniques incluant des « inhibiteurs de points de contrôle » sont actuellement en cours, contre seulement 200 en 2015. « L’immunothérapie constitue indiscutablement une nouvelle arme de choix contre le cancer », souligne l’immunologiste Sebastian Amigorena. « Cette stratégie thérapeutique soulève beaucoup d’espoirs », poursuit-il« Il est aujourd’hui possible de traiter des malades atteints de cancers très avancés. Donc chez des patients présentant des cancers moins avancés, les traitements devraient être encore plus efficaces. » Et si le chemin qu’il reste encore à parcourir peut sembler long, celui qui l’a déjà été l’est peut-être davantage.

Crédits : Princeton University

Les soldats de l’organisme

En 1891, l’orthopédiste new-yorkais William Coley applique, pour la première fois, le principe de l’immunothérapie à la cancérologie. Il injecte alors un mélange de bouillon de bœuf et des streptocoques dans la tumeur d’un homme de 40 ans. Celui-ci est aussitôt pris de fièvre, de frissons et de vomissements. Mais un mois plus tard, la tumeur a considérablement diminué. William Coley reproduit donc l’expérience, sur un millier de patients et avec des degrés de succès extrêmement variables, avant que l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) n’y mette un terme définitif. Et que l’oncologie ne s’engage résolument sur la voie de la radiothérapie, puis de la chimiothérapie, et enfin de l’hormonothérapie.

Car tout au long du XXe siècle, l’immunothérapie suscite autant d’enthousiasme que de désillusions. Mais en 2001, l’immunologiste Robert Schreiber démontre que les souris immuno-incompétentes développent spontanément des cancers, établissant ainsi le fait que l’absence de système immunitaire favorise l’apparition de tumeurs. Comme l’écrit le cancérologue Wolf Hervé Fridman, « les avancées de la connaissance du système immunitaire avec la découverte des checkpoint inhibitors et des techniques de clonage moléculaire et cellulaire identifiant des antigènes spécifiques des tumeurs et la production de cellules T et d’anticorps spécifiques de ces antigènes ont fait le reste, permettant à l’immunothérapie de devenir le quatrième, et le plus prometteur, pilier du traitement des cancers ».

« Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur. »

Si l’on considère les cellules T – ou lymphocytes T – comme les soldats de l’organisme, on peut dire qu’ils sont aujourd’hui sur-entraînés, et ce dans l’objectif d’éradiquer le cancer. En effet, dans le cadre des thérapies par cellules CAR-T (« cellules T porteuses d’un récepteur chimérique »), qui ont pour la première fois été approuvées par la FDA en août 2017 pour le traitement d’un cancer du sang particulièrement agressif, la leucémie aiguë lymphoblastique, ces cellules immunologiques sont prélevées sur le patient, puis modifiées génétiquement de manière à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique, qui cible les cellules cancéreuses, avant d’être réinjectées au patient. Le fait d’utiliser ses propres cellules permet notamment d’éviter les rejets de greffe.

Mais à en croire l’immunologiste Karin Tarte, « un nombre limité de patients répondent aux traitements utilisant des cellules CAR-T »Et « si des taux exceptionnels de guérison sont atteints dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, les guérisons sont moins nombreuses pour ce qui est des autres leucémies et des lymphomes ». Par ailleurs, ce type de traitements peut avoir de dangereux effets secondaires, tels qu’une forte fièvre, des troubles respiratoires, une baisse de tension ou encore des convulsions. Ils impliquent un long processus et ils sont extrêmement coûteux. Si une seule injection de cellules CAR-T suffit, cette injection est actuellement facturée entre 373 000 et 475 000 dollars aux États-Unis. D’où le caractère potentiellement révolutionnaire de l’étude publiée en janvier dernier par les chercheurs de l’université Stanford.

L’optimisme du pionnier

Ces chercheurs ont injecté des quantités infimes de deux agents immuno-stimulants dans les tumeurs solides de souris afin de réactiver les cellules T présentes dans ces tumeurs, c’est-à-dire les cellules T ayant déjà reconnu les cellules cancéreuses comme une menace. Le premier est un court morceau d’ADN, l’oligonucléotide CpG, qui amplifie l’expression d’un récepteur activateur sur les cellules T, OX40. Le second est un anticorps qui se lie à OX40. « Lorsque nous utilisons ces deux agents ensemble, nous constatons l’élimination des tumeurs dans tout le corps », affirme le principal auteur de l’étude, l’oncologue Ronald Levy. « Cette approche contourne le besoin d’identifier des cibles immunitaires spécifiques à une tumeur et ne nécessite pas une activation complète du système immunitaire, ou de personnalisation des cellules immunitaires d’un patient. »

Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur dans laquelle elles se trouvent. Et elles ne s’arrêtent pas là. Elles partent ensuite à la recherche d’autres cellules cancéreuses de même nature dans le corps de la souris, qu’il s’agisse d’une autre tumeur ou de métastases. Sur les 90 souris atteintes d’un cancer du système lymphatique – le lymphome –, 87 ont complètement guéri et trois ont eu une récidive de la maladie, qui a pu être totalement éliminée par un second traitement. Les chercheurs de l’université Stanford ont en outre observé des résultats similaires chez les souris atteintes de cancers du sein, du côlon et de la peau. Plus étonnant encore, des souris génétiquement modifiées pour développer spontanément des cancers du sein ont bien répondu au traitement. Le traitement de la première tumeur a souvent empêché l’apparition de futures tumeurs et augmenté de manière significative la durée de vie des animaux.

Le scan d’une souris traitée par les chercheurs
Crédits : AAAS

« Je ne pense pas qu’il y ait une limite au type de tumeurs que nous pourrions potentiellement soigner, tant qu’il a été infiltré par le système immunitaire », précise Ronald Levy. Un optimisme d’autant plus réconfortant qu’il est exprimé par un véritable pionnier de l’immunothérapie des cancers. Ses recherches ont déjà mené à la mise au point du Rituximab, premier anticorps monoclonal homologué par la FDA pour le traitement de certaines leucémies et de certains lymphomes. Il se souvient parfaitement du jour où il a découvert qu’il était possible de générer des anticorps monoclonaux capables de reconnaître les cellules cancéreuses dans l’organisme et de les étiqueter en vue de leur destruction : « C’était le jour de Thanksgiving, 1976. J’ai développé un gel, j’ai vu le résultat et les deux décennies suivantes de ma vie étaient devant mes yeux. J’ai couru dans le couloir pour montrer quelqu’un, mais il n’y avait personne. »

En 1985, il crée un laboratoire, IDEC Pharmaceuticals, pour pouvoir commercialiser le traitement qui a découlé de cette découverte. Mais ce n’est qu’en 1997 que le Rituximab est finalement homologué. Aujourd’hui, environ 500 000 patients en bénéficient chaque année. « Il a été merveilleux d’assister à la transition d’un projet de laboratoire à un médicament sur ordonnance », témoigne Ronald Levy. Reste néanmoins à tester l’efficacité de son tout nouveau traitement sur les êtres humains. L’université Stanford est actuellement en train de recruter une quinzaine de patients atteints de lymphome pour débuter l’essai clinique. Elle ne précise pas la date de publication des premiers résultats, mais si l’histoire de la lutte contre le cancer nous apprend une chose, c’est bien qu’il faut être patient. Et confiant.


Couverture : Test en laboratoire. (Drew Hays/Unsplash)


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16.04.2021 à 03:00

La police américaine semble raciste. Pourquoi ?

Servan Le Janne

À Minneapolis, sur la 63e Avenue Nord, une Buick LaCrosse blanche est arrêtée sur le bas-côté. Trois policiers s’approchent de la voiture, l’un d’entre eux ouvre la portière et le conducteur sort les mains dans le dos. Alors qu’un des agents tente de le menotter, le jeune Afro-Américain se débat et parvient à regagner le […]

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Texte intégral 2902 mots

À Minneapolis, sur la 63e Avenue Nord, une Buick LaCrosse blanche est arrêtée sur le bas-côté. Trois policiers s’approchent de la voiture, l’un d’entre eux ouvre la portière et le conducteur sort les mains dans le dos. Alors qu’un des agents tente de le menotter, le jeune Afro-Américain se débat et parvient à regagner le volant de sa voiture, aux côtés de sa petite amie. Il entend alors une voix féminine hurler « Taser ! Taser ! Taser ! ».

Ce 11 avril 2021, cela fait déjà plus de 15 ans que Kimberly Potter a intégré les forces de police de Minneapolis. Son expérience lui vaut d’ailleurs d’être accompagnée par un jeune agent qu’elle doit former. Alors quand Dante tente de s’échapper, elle ne doute pas une seconde. Elle tend la main vers son taser, le sort de sa gaine, vise le conducteur en fuite et tire. Mais la détonation est assourdissante. « Oh merde, je viens de lui tirer dessus ! » entend-on s’exclamer la policière de 48 ans. Dans la précipitation, elle a confondu son Taser et son arme à feu, blessant mortellement sa cible. Elle aura beau tenté de le ranimer, rien ne pourra ramener le jeune homme à la vie.

Le soir-même, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le poste de police de Brooklyn Center, et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser la foule. Craignant de nouvelles émeutes, le maire de la ville, Jacob Frey, a déclaré l’état d’urgence et instauré un couvre-feu dès le lendemain, demandant le soutien de la Garde nationale. Il faut dire que les tensions sont toujours aussi fortes entre policiers et noirs américains, surtout à Minneapolis, alors que suit son cours le procès de Derek Chauvin, le policier blanc accusé du meurtre de George l’an dernier.

George Floyd

À l’arrière d’une voiture de police, un homme est plaqué au sol, le visage écrasé contre le bitume par le genoux d’un agent de Minneapolis. « Je vais mourir », articule l’Afro-Américain avec peine entre deux râles. « Relaxe », répond le fonctionnaire en maintenant son emprise. Mais George Floyd n’arrive pas à respirer. Après avoir longuement imploré le policier de retirer son genou, ce lundi 25 mai 2020 sur Chicago Avenue South, le quadragénaire accusé d’avoir utilisé de faux documents est conduit à l’hôpital. Il meurt dans les minutes qui suivent.

Le lendemain, les quatre policiers impliqués dans son interpellation sont renvoyés et une enquête est ouverte par le FBI. Horrifiés par les images de cette agonie, filmée par des passants et caméras de surveillance, des internautes du monde entier réclament justice. Tandis que les policiers prétendent que George Floyd a résisté à son arrestation, de nouvelles vidéos semblent contredire cette affirmation en montrant l’homme rester calme pendant que les agents usent de la force contre lui.

Pour l’avocat de la famille de George Floyd, Benjamin Crump, ces quatre agents blancs ont montré un usage « abusif, excessif et inhumain de la force » face à un délit « non violent ». Il est temps de mettre fin au « profilage racial et à la minimisation des vies noires par la police », demande Crump, qui défend également la famille d’Ahmaud Arbery.

Lui aussi afro-américain, Arbery a été tué le 23 février 2020 sur une petite route de Brunswick, en Géorgie. Dans le lotissement de Satilla Shores, il cherchait à échapper à un homme lorsqu’il a été atteint par trois coups de feu. Il avait 25 ans et n’avait commis aucun délit. En le voyant s’approcher d’une maison en construction, deux riverains, Gregory et Travis McMichael, expliquent l’avoir pris pour un cambrioleur. Et le second lui a ôté la vie.

Entendus par la police, Gregory et Travis ont été relâchés après avoir plaidé la légitime défense. Il a fallu plus de deux mois, et la publication d’une vidéo tournée sur les lieux, mardi 5 mai, pour que la justice de Géorgie convoque un grand jury afin de déterminer si des charges doivent être retenues contre cet ancien policier et son fils. Dimanche 10 mai, à la faveur du retentissement médiatique de la vidéo, ils ont finalement été interpellés. Mais la police ne semblait pas pressée d’élucider cette affaire. Et ce n’est pas la première fois qu’elle bafoue les droits de minorités aux États-Unis.

Des menottes au primaire

Une petite tête dépasse du bureau. Kaia Rolle, 6 ans, est assise sous un néon carré aux airs de puits de lumière, dans une pièce aux murs beiges de l’école Lucious & Emma Nixon d’Orlando, en Floride. Elle jette un regard oblique vers les menottes tendues dans son dos. « Elles sont pour quoi ? » demande la jeune fille d’une voix fluette. « Elles sont pour toi », répond froidement un policier, alors que son collègue ouvre les bracelets métalliques.

« Garde tes mains tendues, OK, ne bouge pas chérie, ça ne va pas faire mal », ordonne ce dernier. « Non je ne veux pas les menottes », sanglote Kaia Rolle. Impuissante, l’élève se laisse guider à l’extérieur du bâtiment, les mains jointes et les joues humides. « La plus grande aventure c’est toi-même », dit une pancarte fixée près de la sortie. Une fois dehors, malgré ses supplications, elle est emmenée vers la voiture de police dans un concert de pleurs. Au commissariat, les forces de l’ordre prennent ses empreintes et la photographient.

En ce jeudi 19 septembre 2019, la police a été appelée par l’établissement afin de prendre en charge une écolière qui avait donné des coups de pieds à trois membres du personnel. Mais quand Dennis Turner a passé les menottes à Kaia Rolle, certains employés lui ont dit que ce n’était pas nécessaire. « J’ai arrêté 6 000 personnes en 28 ans, beaucoup de gens », s’est contenté de plastronner l’agent. « La plus jeune avait 7 ans. Elle a 8 ans non ? » Deux ans de moins, lui a-t-on répondu. « Elle a 6 ans ? Alors elle a battu le record. »

Sa grand-mère, Meralyn Kirkland, a reçu un appel de l’école lui annonçant l’arrestation. « Aucune petite fille de 6 ans ne devrait avoir à raconter qu’on lui a mis les menottes, qu’on l’a placée à l’arrière d’une voiture de police et qu’elle a été amenée dans un centre pour jeunes délinquants pour prendre ses empreintes et des photos », juge-t-elle. Si aucun âge minimum n’existe pour les interpellations en Floride, la police d’Orlando recommande à ses agents de ne pas se servir de menottes pour des enfants de moins de 12 ans. Lundi 23 septembre, elle a d’ailleurs décidé de limoger Dennis Turner, qui avait emmené au poste un autre enfant de six ans le même jour.

« Ce qui est arrivé à ces enfants n’est pas juste de la faute d’un mauvais policier », juge Arwa Mahdawi, éditorialiste du Guardian basée à New York. « C’est la faute d’un système pourri. Ces dernières décennies, les écoles américaines, et notamment ses écoles privées, sont devenues des zones militarisées, où patrouillent de plus en plus d’agents en armes. » En novembre dernier, une école de Pennsylvanie a appelé le 911 parce qu’une fille de six ans, atteinte du syndrome de Down, avait pointé un enseignant en mimant un pistolet avec ses doigts. La direction a même indiqué vouloir réunir une équipe d’évaluation des menaces – une réaction passablement disproportionnée, selon la mère de l’élève, Maggie Gaines.

Pire, des policiers de Fresno, en Californie, n’ont pas hésité à mettre les menottes à un adolescent autiste en pleine crise d’épilepsie vendredi 31 janvier 2020. Lourdes Ponce avait appelé les secours en entendant son fils de 16 ans pris de convulsions dans les toilettes d’un fast-food. Au lieu de l’aider, deux agents ont procédé à son arrestation, toute honte bue. « Mon fils ne faisait de mal à personne, il faisait simplement une crise », s’est indignée Lourdes Ponce. Dans les minutes qui ont suivi, une ambulance a heureusement pu s’occuper de lui.

En avril 2019, une vidéo obtenue par BuzzFeed montrait des membres des forces de l’ordre traîner une adolescente de 16 ans dans les escaliers d’un lycée de Chicago, dans l’Illinois, avant de la frapper et de l’immobiliser avec un Taser. Malgré les critiques qui pleuvent sur eux depuis des années, les gardiens de la paix américains continuent de commettre bavure sur bavure, quand ils ne tuent pas carrément des innocents. Ce phénomène dramatique n’est ni restreint aux écoles, ni à certaines régions du pays. C’est toute une institution qui, à force d’abus, transforme la violence légitime dont elle est censée être dépositaire en violence illégitime. Comme le dit Arwa Mahdawi, il y a quelque chose de pourri au cœur de la police américaine.

Haine infiltrée

Quand le nom de Dennis Turner est sorti dans la presse, les équipe du Orlando Sentinel, un quotidien de la ville de Floride, ont fouillé leurs archives pour retrouver sa trace. Et ils n’ont pas eu à chercher trop loin. Engagé en 1995, ce policier avait été arrêté pour avoir frappé son fils de 7 ans lorsqu’il était revenu de l’école avec de mauvaises notes en 1998. Il avait alors écopé d’une suspension. « Ça ne doit pas vous arrêter d’imposer une discipline à vos enfants », avait-il déclaré à cette occasion, alors que le garçon avait des bleus sur le torse et les bras. Turner avait aussi été sermonné par ses supérieurs en 2015 pour avoir donné cinq coups de Taser à un suspect, dont deux au moment où il était au sol. À l’époque, la Ville d’Orlando avait dû engager 940 000 dollars de frais de justice pour des abus policiers.

Afro-américain comme Kaia Rolle, Dennis Turner est peut-être avant tout le produit d’une société violente. En 2018, des citoyens américains ont commis 16 214 meurtres, soit 2 000 de plus qu’en 2014. Ils ont aussi perpétré 41 tueries de masse en 2019, le nombre le plus élevé jamais dénombré. Sachant qu’un Américain sur quatre est sujet à des troubles psychologiques une fois dans sa vie, à en croire la National Alliance on Mental Illness, l’existence de 270 à 357 millions d’armes à feu sur le territoire n’est pas pour apaiser ceux qui s’occupent de la sécurité. Mais ces chiffres n’expliquent pas l’agressivité de trop nombreux agents à l’égard d’individus aussi inoffensifs que des enfants de six ans. La police est aussi gangrenée par le racisme et trop sûre de ses méthodes brutales.

*

En Alabama, le mouvement des droits civiques est traumatisé par l’impunité réservée par la police au Ku Klux Klan (KKK). Le 14 mai 1961, des membres de ce groupuscule suprémaciste blanc ont attaqué le bus des Freedom Riders qui étaient venus défendre les droits des minorités dans le village d’Anniston. Les pneus du véhicule ont été crevés, les fenêtres brisées et l’intérieur incendié sans que les forces de l’ordre, postées à quelques mètres, ne daignent bouger d’une semelle.

Trente ans plus tard, alors que le Civil Rights Act a interdit les discriminations et que le Ku Klux Klan a reculé, un groupe d’officiers de la police de Los Angeles est accusé d’avoir terrorisé les minorités en vandalisent leurs maisons, en les torturant voire en les tuant. Membres d’un groupe néo-nazi baptisé Lyndwood Vikings, certains écopent de lourde peines et le Los Angeles Sheriff’s Department est condamné à une amende de 9 millions de dollars.

Dans un rapport de FBI rédigé en 2006, des agents du contre-terrorisme préviennent que des suprémacistes blancs ont passé des décennies à tenter « d’infiltrer la police ». Le document sera révélé en 2017 par The Intercept. Entre-temps, en 2012, un policier de Little Rock, dans l’Arkansas, tue un adolescent afro-américain. Il avait participé à une réunion du KKK, tout comme un agent de Holton, dans le Michigan, renvoyé cette année-là. Il faut dire qu’à en croire une étude universitaire de 2014, les enfants noirs sont généralement vus comme « moins innocents » que les blancs aux États-Unis. Ils sont d’ailleurs punis plus souvent dès l’école, d’après un document du ministère de l’Éducation. Sans surprise, les adultes afro-américains ont trois fois plus de chances de finir en prison, selon les chiffres du Violence Policy Center.

Une enquête du Guardian détermine en 2015 que les Noirs-Américains ont neuf fois plus de chances d’être tués par un détenteur de l’autorité que les autres. En attestent les morts de Michael Brown à Ferguson, dans le Missouri, de Freddie Gray à Baltimore, dans le Maryland, de Tamir Rica à Cleveland, dans l’Ohio, et d’Eric Garner à New York, tous abattus pas un policier en dépit de l’absence de danger qu’ils représentaient. Si les forces de police sont particulièrement décentralisées aux États-Unis, avec quelque 750 000 agents locaux et 120 000 agents fédéraux, ces drames ne se déroulent pas forcément à l’endroit où l’on pourrait s’y attendre, à savoir dans le sud du pays, où le racisme est plus ancré et les armes plus disponibles.

Le problème est donc à la fois local et national : une culture de la violence infuse dans les différentes strates de la police américaine et trouve à s’exprimer dans des contextes particuliers, avec d’autant plus d’aise que certains dirigeants semblent s’en accommoder. En 2018, l’ancien procureur général Jeff Sessions a signé un mémorandum pour réduire la capacité du ministère de la Justice à enquêter sur les divisions locales de police, y compris les 14 qui avaient accepté une supervision sous le mandat de Barack Obama. « Les méfaits de quelques individus ne doivent pas remettre en cause le travail légitime et honorable de policiers et d’agences qui préservent la sécurité des Américains », avait-il justifié. Quand il était sénateur de l’Alabama, ce proche de Donald Trump avait déclaré, sur le ton de la blague, que les membres du KKK étaient pour lui des gens « OK », jusqu’à ce qu’il « apprenne qu’ils fument du cannabis ».


Couverture : Justin Snyder


 

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29.03.2021 à 00:25

À quoi ressemblera l’Inde du futur ?

Nicolas Prouillac

Au rythme des tablas, des dizaines de milliers de paysans s’avance aux abords de Delhi. Les barrières installées par les forces de l’ordre pour empêcher la population de se joindre à eux sont balayées comme des fétus de paille, et la foule enfle à mesure que la journée avance. Ce 17 mars 2021, les leaders […]

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Texte intégral 2967 mots

Au rythme des tablas, des dizaines de milliers de paysans s’avance aux abords de Delhi. Les barrières installées par les forces de l’ordre pour empêcher la population de se joindre à eux sont balayées comme des fétus de paille, et la foule enfle à mesure que la journée avance. Ce 17 mars 2021, les leaders du Samyukta Kisan Morcha, le front paysan uni, ont lancé un nouvel appel à la grève générale dans le pays. Mais plus que ça, c’est un message aux citoyens du monde entier que le Dr Swaiman Singh, une des figures du mouvement, a délivré. « Où que vous soyez dans le monde, il faut défendre vos agriculteurs, il faut défendre votre nation », a déclaré le médecin.

Bien décidé à s’opposer à la réforme agricole menée par le gouvernement, cela fait maintenant près de quatre mois que les paysans de tout le pays se sont regroupés autour de la capitale pour faire entendre leurs voix. « Quand je suis arrivé, j’ai vu que les gens dormaient sur les routes », raconte Taranpreet Singh, qui a participé aux manifestations de décembre. Ce jeune diplômé en finance a décidé de rejoindre le mouvement pour voir l’histoire s’écrire de ses propres yeux.

https://twitter.com/indianproud12/status/1375501807682785283

Depuis le début des contestations, les agriculteurs ont eu le temps de s’organiser et de construire de véritables campements de plusieurs milliers de personnes, aux abords des points de passage vers Delhi. Des centaines de cuisines communautaires ont vu le jour, qui distribuent régulièrement des repas gratuits aux manifestants, même s’il n’y en a pas assez pour tous. Des hôpitaux de fortune ont été installés, où des médecins volontaires s’occupent de soigner ceux dans le besoin. Certains agriculteurs considèrent même ces villes improvisées comme de véritables « Républiques Autonomes ».

Il faut dire que le mouvement repose sur un système de démocratie directe, les Panchayats, issus du mouvement pour l’indépendance d’après la Seconde Guerre mondiale. Ces structures municipales sont élues, et des assemblées générales populaires (Gram Sabha) dictent leur orientation. Les Mahapanchayats sont quant à eux d’énormes assemblées populaires de plusieurs dizaines de milliers de participants. Elles regroupent des centaines de villages, et tous les élus des Panchayats s’y mêlent à la population. C’est dans ces meetings de masse que les têtes de proue du soulèvement paysan annoncent les grandes décisions. Les agriculteurs sont ainsi bien établis et ne comptent donc pas rentrer chez eux, même à l’approche de la saison des récoltes.

Un certain nombre d’entre eux ont même donné leur vie pour la cause. Selon le front paysan uni, il y a eu 300 décès au cours des derniers mois. Alors que certains sont morts dans des accidents ou se sont suicidés, d’autres ont succombé aux intempéries ou de causes naturelles telles que des crises cardiaques. Ils leur ont d’ailleurs rendu hommage à travers le hashtag #300DeathAtProtest (300 morts aux manifestations) lors de la journée du 18 mars. Mais ces pertes ne sont rien en comparaison des 10 281 suicides de paysans indiens en 2019…

Elles ont au contraire raffermi la détermination des protestataires, dont les rangs ne cessent de grossir. Outre les paysans, qui représentent la moitié de la population active du pays, de nombreuses classes de la société se sont aussi jointes aux marches et blocages. Au total, ce sont plus de 250 millions d’Indiens qui ont déjà participé aux contestations à travers le pays, faisant du mouvement la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité.

https://twitter.com/saahilmenghani/status/1375090643517628416

Un désaccord profond

Tout l’enjeu de ce mouvement de contestation a été exposé lors de la 46e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le 26 février. À cette occasion, Darshan Pal, le chef de file du front paysan uni, et le représentant indien permanent aux Nation unies Indra Mani Pandey, ont tous deux pu donner leur vision pour l’avenir du pays. « Le gouvernement indien s’est fixé comme objectif de doubler le revenu des agriculteurs d’ici 2024. Cela profitera particulièrement aux petits agriculteurs et offrira plus de choix à ceux qui optent pour eux », a affirmé le représentant du pouvoir indien.

De son côté, le leader de la révolte paysanne a rappelé que l’Inde avait signé la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans en décembre 2018. « Les quelques États où des politiques similaires ont été introduites ont vu les agriculteurs sombrer dans la pauvreté et perdre leurs terres », a témoigné Darshan Pal. Et le pouvoir indien semble encore imperméable aux revendications populaires.

Du côté des paysans, la rage ne faiblit pas. « Nous appellerons tous les travailleurs du pays à faire [les récoltes] avec nous afin de pouvoir continuer à nous battre, ou alors nous les brûlerons », a déclaré un des leaders du mouvement paysan. Il faut dire que beaucoup d’entre eux considèrent qu’ils n’ont plus rien à perdre depuis la mise en place de la réforme agraire. En septembre 2020, le parlement a adopté une loi autorisant les agriculteurs à vendre leur production aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les « mandis », les marchés contrôlés par l’État.

Ces marchés, qui assuraient un prix de soutien minimal (PSM) pour certaines denrées, avaient été créés dans les années 1950 pour protéger les agriculteurs contre les situations d’abus. Ces prix, fixés au niveau national, permettaient aux paysans indiens de revendre leur production tout en ayant l’assurance d’en tirer une valeur minimale. C’est grâce à ce soutien que de nombreux petits agriculteurs parvenaient encore à nourrir leur famille. « Il faut comprendre que la majorité des fermiers ont une surface plus petite que celle d’un terrain de football », précise Jasleen Kaur, étudiante en sciences politiques à Mumbai. Cependant, ce système existait sans aucune loi pour le garantir, et c’était justement cette décision qu’espéraient voir arriver les producteurs.

L’autre point de discorde majeur vient d’une seconde loi prévue dans la réforme gouvernementale. « S’il y a un différend entre un agriculteur et une entreprise, l’agriculteur ne peut plus saisir un tribunal civil », explique la jeune femme. Une part conséquente de la population se retrouve donc privée d’une partie de ses droits. En effet, l’agriculture est l’emploi exercée par 55 % de la population active, soit près de 265 millions de travailleurs indiens. D’après les derniers chiffres du ministère français de l’Agriculture, plus de 600 millions d’Indiens dépendent directement ou indirectement de ce secteur. « Je ne comprends pas ce qu’il se passe », soupire Taranpreet. « Vous ne pouvez pas nier la justice dans un pays démocratique », déplore le jeune militant.

Il semble ainsi que les lois votées en septembre favorisent nettement les grandes entreprises aux dépens des travailleurs locaux. « L’implication de multinationales indiennes, capables de fournir d’importants investissements ciblés pour le stockage ou la réfrigération, conduirait très probablement aussi à ce qu’elles acquièrent localement des positions monopolistiques, autrement dit le pouvoir de contrôler les prix », confirme Bruno Dorin, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). C’est pourquoi les agriculteurs préfèrent rester défendre leurs droits, et leur unique source de revenus.

Dérive autocratique

Malgré la non-violence prônée par les fermiers, le Jour de la République, une des trois fêtes nationales, avait vu des violences se produire entre les manifestants et les forces de l’ordre. L’occasion rêvée pour le gouvernement de dépeindre les agriculteurs en émeutiers complotistes. En ce jour censé représenter « la suprématie du peuple », des dizaines de milliers d’agriculteurs s’étaient retrouvés pour marcher dans la capitale indienne.

Certains manifestants ont atteint le centre de Delhi et vandalisé des biens publics. D’autres ont atteint le Fort Rouge, symbole de l’indépendance de l’Inde, et ont hissé le Nishan Sahib (un drapeau religieux sikh) ainsi que les drapeaux des syndicats d’agriculteurs au-dessus des remparts. La réponse de la police a provoqué la mort d’un homme, suite à une chute de son tracteur, et de nombreux blessés. Plus de 300 policiers ont également été blessés dans les violences, certains manifestants utilisant des matraques et des armes tranchantes. On a alors cru à la fin du mouvement de révolte avec le départ de plusieurs syndicats et la perte de nombreux soutiens condamnant la violence.

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Il n’en est rien mais depuis ce jour, l’attitude du gouvernement s’est considérablement durcie. De nombreuses arrestations ont suivi les heurts et Internet a été coupé aux frontières de la capitale. Devant le Parlement, Narendra Modi n’a même plus hésité à parler de « parasites », multipliant les mesures contre ses opposants. « Si quelqu’un se positionne du côté des fermiers, (le gouvernement] tente alors de lui faire peur », confie Taranpreet. C’est d’ailleurs pour éviter des poursuites judiciaires pour conspiration qu’il ne souhaite pas révéler son poste actuel. Ces pressions de la part du gouvernement ont aussi été constatées par Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.

« Les accusations de sédition contre des journalistes et des militants pour avoir rapporté ou commenté les manifestations et les tentatives de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux sont des dérogations troublantes aux principes essentiels des droits de l’homme », s’est-elle inquiétée. Une prise de parti qui n’a pas plu au représentant du pouvoir indien. « L’objectivité et l’impartialité doivent être les caractéristiques de toute évaluation des droits de l’homme. Nous sommes désolés de voir que la mise à jour orale du Haut Commissaire fait défaut dans les deux », s’est offensé Indra Mani Pande.

La fin d’un monde

Les réformes entamées par le Premier ministre Narendra Modi et le BJP, le parti nationaliste hindou, s’étendent bien au-delà du milieu agricole. Sa volonté de libéraliser l’économie impacte une grande partie de la société indienne. Le 15 mars dernier, les dix plus importantes confédérations syndicales du pays, en commun avec le soulèvement paysan, ont mené une journée de lutte contre les privatisations en bloquant les gares, en soutien aux cheminots.

Le lendemain, c’était au tour du personnel des banques publiques de lancer une grève nationale, suivis par les assurances publiques et enfin les travailleurs de l’énergie. En quelques jours, ce sont donc des dizaines de milliers de nouveaux manifestants qui ont rejoint la révolte paysanne. Et depuis le 23 mars, de nouvelles mobilisations générales voient le jour dans tout le pays. En réaction, le gouvernement a coupé Internet et l’arrivée en eau potable aux abords des différents campements de manifestants, dans le but de les faire plier. La police a également érigé des barricades supplémentaires, surmontées de barbelés en accordéon, et des centaines d’agent supplémentaires ont été déployés.

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La bataille fait aussi rage en ligne. Dans une lettre envoyée à Facebook, WhatsApp et Twitter, le gouvernement indien menace les réseaux sociaux de s’en prendre à leurs employés. Ces derniers risquent la prison si leurs employeurs ne se conforment pas aux lois du pays. Pourtant, les plateformes sont toujours réticentes à l’idée de fournir des informations au gouvernement indien.

Les opposant plient mais ne rompent pas les rang, et leur détermination parvient à toucher de plus en plus de monde. Le succès des plateformes mises en place par les agriculteurs pour diffuser leurs actions au grand public témoigne ainsi de cet engouement collectif : la chaîne YouTube dédiée, Kisan Ekta Morcha, a par exemple dépassé le million d’abonnés en un mois.

La fracture entre la ligne directrice du gouvernement indien et la volonté populaire ne cesse ainsi de s’accentuer à mesure que les semaines passent. Cette situation fait écho au dernier rapport sur la démocratie de l’institut suédois Varieties of Democracy, publié le jeudi 11 mars. L’Inde y est désormais classée dans la catégorie des « autocraties électorales », un système qui a l’apparence des régimes démocratiques, mais sape la neutralité des contre-pouvoirs et transforme les opposants en ennemis de la nation.

Depuis l’accession au poste de Premier ministre du nationaliste hindou Modi, l’institut indépendant note une détérioration des libertés et estime qu’il s’agit d’ « un des changements les plus spectaculaires parmi tous les pays du monde au cours des dix dernières années ». La plus grande démocratie du monde pourrait n’être ainsi plus que l’ombre d’elle-même, mais le peuple indien n’a pas abandonné pour autant ses envies de liberté et de respect.

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La bataille qui se déroule actuellement dans les rues se poursuivra vraisemblablement dans les urnes. En effet, du 27 mars au 2 mai se déroulent les élections législatives pour cinq États du pays, le Bengale, le Tamil Nadu, le Kerala, Pondichéry et l’Assam. Au total, plus de 220 millions de citoyens sont appelés aux urnes. « Ce sont les fermiers qui ont mis Modi au pouvoir en 2014, et qui l’y ont maintenu en 2019, ils peuvent tout aussi bien le faire tomber », explique Shareen.

Ces élections s’annoncent comme un baromètre politique en Inde. Le Kerala et le Bengale sont en effet tous deux dirigés par des coalitions de gauche opposées au gouvernement, et le Tamil Nadu par un parti régional. De plus, ces trois États ont un poids économique et démographique très important. Si un front uni parvient à se former face à l’Alliance démocratique nationale, à laquelle appartient le BJP de Modi, le Premier ministre pourrait perdre en influence pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir.

Du point de vue des nationalistes et des castes supérieures, la tendance est à la libéralisation des différents secteurs de l’économie et à la privatisation. Mais c’est exactement l’inverse que souhaitent les contestataires. « Nous ne croyons pas à la main du marché privé », s’est emporté Ruldu Singh Mansa, président du Syndicat des fermiers du Pendjab. « On nous a déjà fait le coup pour la privatisation des transports, des hôpitaux, des écoles. On finit toujours par payer plus cher. » Pour l’opposition et les fermiers, les priorités ne sont pas les mêmes. « La raison pour laquelle on se rassemble, c’est qu’on essaie d’unir la nation, d’unir le monde », a déclaré le Dr Swaiman Singh dans son appel.

En parlant de ceux morts pour leurs idées, il a aussi rappelé ce qu’ils cherchaient à accomplir. « Leur rêve était, pour nous, de passer au-dessus des religions et des castes », a-t-il rappelé, mais aussi « d’avoir un pays où l’éducation est respectée, où les soins sont accessibles à tous, qu’importe la quantité d’argent qu’ils gagnent ». Entre dérive autocratique du pouvoir et volonté d’égalité du peuple, 2021 sera donc une âpre bataille pour l’avenir d’un sixième de la population humaine.

Couverture : Kisan Ekta Morcha/Twitter

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