10.06.2024 à 09:06
Comment Stranger Things a donné une nouvelle vie au jeu de rôle à l’ancienne
a neige tombe au dehors. « Un truc approche. Il est assoiffé de sang. Une ombre se dresse sur le mur derrière toi, te plonge dans le noir. Il est tout près ! » susurre Mike à ses trois camarades de jeu. « C’est quoi ?! » s’exclame Will. « Le Démogorgon ? » s’affole Dustin. « Zut, on est foutus si c’est le Démogorgon ! » Dans la cave à l’éclairage tamisé […]
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Ce n’est pas le première fois qu’il apparaît dans une série. On avait déjà pu entendre son allitération dans Buffy contre les vampires ou plus tard The Big Bang Theory. Et pour cause : symbole d’une génération, D&D est le jeu de rôle par excellence, le tout premier et le plus emblématique. Aujourd’hui, il semblerait que le succès de Stranger Things ait ravivé l’engouement pour le légendaire jeu de rôle « sur table ». Le spectacle des quatre ados en train de jouer est autrement plus captivant que de les voir faire un Monopoly : l’expérience, unique, donne lieu à de véritables scènes de théâtre improvisées autour d’une table. « Le sentiment de liberté est vraiment vivifiant : vous pouvez être qui vous voulez et faire (presque) tout ce que vous voulez, tout en partageant de bons moments avec vos amis et/ou votre famille », explique Thomas Weng, Brand Manager France de D&D. Celui que ses adeptes – parmi lesquels les acteurs Vin Diesel, Dwayne « The Rock » Johnson ou Drew Barrymore – désignent comme le « roi des jeux » serait-il en train de connaître un nouvel Âge d’or ? Pour le savoir, il faut remonter le cours de l’histoire. Et comme souvent avec les histoires fantastiques, celle du jeu de rôle en France débute par un Âge sombre. Cette psychose naît d’un fait divers vieux de plusieurs années, à une époque où les jeux de rôle étaient encore largement ignorés du grand public. À Carpentras, le 9 mai 1990, un corps est exhumé d’un cimetière juif et des tombes sont profanées. Un groupuscule lié au Front National est d’abord soupçonné, avant que les charges contre lui ne soient abandonnées. Cinq ans plus tard, un rebondissement dans l’affaire déclenche l’accusation d’un groupe de jeunes « rôlistes », fils de notables du coin. Les adolescents sont accusés par une jeune femme du nom de Jessie Foulon, qui évoque de prétendues messes noires perpétrées par le groupe de joueurs. On découvrira plus tard qu’elle avait menti. Trop tard. Les médias se ruent sur le sujet et plusieurs émissions télévisées s’occupent de peindre en noir l’image des jeux de rôle dans l’inconscient collectif : Bas les masques est la plus retentissante, mais Zone interdite et Témoin numéro un en rajoutent une couche, invitant sur leurs plateaux le Dr Jean-Marie Abgrall, spécialiste des sectes, à tenir un discours à charge contre les jeux de rôle. Des propos qu’il retirera par la suite, reconnaissant son ignorance du sujet. Les charges finissent par être abandonnées contre les jeunes gens, mais pour les adeptes du jeu de rôle, le mal est fait. Face à la controverse, « un total de 5 000 clubs, associations et boutiques ont fermé du jour au lendemain, lâchées par les mairies et les établissements scolaires », se souvient « Tête brûlée », le rédacteur en chef de Casus Belli, le magazine français historique consacré au jeu de rôle. Les joueurs savent bien que ces reportages sont des tissus de mensonges et d’amalgames, mais ils n’ont pas voix au chapitre et cette séquence porte un coup terrible à leur passe-temps préféré, sonnant le glas d’un premier Âge d’or débuté au milieu des années 1980 dans l’Hexagone. « Lorsque j’ai commencé à jouer dans les années 1980, le jeu n’était pas très populaire », se souvient effectivement John Dempsey, Canadien de 45 ans et fondateur de DM for Hire, start-up via laquelle il loue ses services de maître du jeu de Donjons et Dragons à domicile. « Il y avait une véritable stigmatisation du jeu chez beaucoup de parents et de professeurs, qui l’accusaient de promouvoir la sorcellerie, le satanisme et l’occultisme au sens large. » Mais « malgré les attaques médiatiques, l’apparition des jeux vidéo ou même des cartes Magic, le jeu de rôle n’a jamais disparu », remarque Tête Brûlée. Après l’engouement initial pour le jeu et les polémiques qui ont suivi, un deuxième Âge d’or du jeu de rôle s’opère lors de la sortie de la troisième édition de D&D, qui connaît un immense succès. Toutefois, à l’exception de cette période, « le marché du jeu de rôle reste en France un artisanat et non une industrie. Et son chiffre d’affaires étant tributaire des chiffres d’affaires de plusieurs éditeurs, il est impossible de savoir ce qu’il représente. Par rapport aux jeux de société ou même aux jeux vidéo, c’est incomparable », admet le spécialiste. Depuis plusieurs années pourtant, à la faveur de la nostalgie évoquée par la pop culture des années 1980, l’image du jeu de rôle « sur table » est progressivement redorée. Nombreux sont les gamers qui se détournent occasionnellement de leurs écrans pour s’asseoir autour d’une table et faire rouler les dés à vingt faces. Car maintenant que les soupçons sont dissipés, il ne reste que le fun. « D&D n’a jamais été aussi populaire et cela continue de croître fortement », assure Thomas Weng. « Nous nous attendons à ce que cette croissance se poursuive. Nous devons continuer à attirer de nouveaux fans en rendant notre jeu accessible et agréable à un public plus large. » Pourtant, le principe du jeu de rôle est d’une simplicité extrême. Le maître du jeu (MJ) écrit à grands traits une histoire d’aventure dont les joueurs incarnent les héros. Les manuels de Donjons et Dragons fournissent des règles, un univers, des décors et un bestiaire de créatures pour les peupler dans lequel le MJ n’a qu’à piocher pour construire le monde et l’intrigue que les joueurs vont devoir découvrir. Ça peut aller du simple « j’ouvre la porte ; je tue le monstre ; j’embarque le trésor » à des campagnes épiques et retorses qui s’étendront sur plusieurs années. La seule limite est l’imagination. « C’est quelque chose d’unique que je ne peux pas trouver en jouant à un jeu vidéo par exemple ! » abonde Thomas Weng. Les joueurs, eux, endossent le rôle d’un personnage qu’ils ont créé, humain ou pas (elfes et orcs sont les bienvenus), doté de talents particuliers (classe et compétences) qui définiront sa place au sein du groupe. Le maître du jeu énonce le contexte et les joueurs annoncent ce qu’ils décident de faire. L’histoire évolue à partir de là, et des dés très bizarres (de 4 à 20 faces) sont lancés lorsque se produisent des événements qui mettent à l’épreuve les compétences des personnages. Compétences qui, si tout va bien, s’améliorent au fil de l’aventure. Pour jouer, aucun plateau de jeu, aucune figurine, aucun costume et aucun diplôme ne sont nécessaires. Seulement de l’imagination et une bonne dose de chance aux dés. Passionné et souriant, Fred est entré à L’Œuf Cube il y a vingt ans, au gré des rencontres et de son amour des jeux. Aujourd’hui âgé de 43 ans, il a pris la direction du magasin après avoir commencé en y faisant des extras. Une longue expérience du métier qui lui a permis d’observer l’évolution du jeu au fil des décennies, tout en demeurant lui-même un joueur féru et un maître du jeu aguerri. « Même s’il y a une dominance du jeu de plateau, une bonne partie d’entre eux sont des jeux d’aventure. Les joueurs ont un personnage, le voient évoluer et obtenir de nouvelles caractéristiques. C’est aussi une porte vers le jeu de rôle », explique-t-il. Frédéric Romero assure que « le jeu de rôle ne s’est jamais arrêté ». Avec ou sans Stranger Things, en France, on estime aujourd’hui à 300 000 le nombre de personnes ayant déjà participé à un tel jeu. À L’Œuf Cube, le genre représente environ 30 % du chiffre d’affaires, une proportion considérable qui n’a pas tellement bougé depuis vingt ans. « Il y a aujourd’hui plus de créations françaises », s’enthousiasme-t-il malgré tout. Et l’impression de renouveau actuel s’explique aussi du fait que « certains parents issus de la première génération de rôlistes décident à leur tour d’initier leurs enfants ». Il est compliqué d’évaluer si l’intérêt exprimé par un plus vaste public envers le jeu de rôle papier sera durable ou non, mais il n’en existe pas moins une véritable évolution dans sa pratique. Quitte à bousculer les puristes, le jeu de rôle a fait son entrée dans le monde des start-ups et même sur YouTube, pour toucher une nouvelle génération de joueurs. Et après plus de quatre décennies, Donjons et Dragons est toujours à l’honneur. Malgré la perplexité de son entourage et des premiers mois difficiles, son intuition s’est finalement révélée bonne. « Il existe des salles où les joueurs peuvent se retrouver pour jouer, mais on ne peut pas apporter sa nourriture, ni boire d’alcool, et c’est très bruyant » explique Dempsey. « Les gens qui veulent partager un vrai moment privilégié entre amis, dans le confort de leur maison, préfèrent la formule que je propose. » Lui-même adepte de jeux vidéo, il a senti le besoin d’un retour à une réelle interaction sociale. Et pour lui, le moment unique offert par le jeu de rôle passe aussi par ce retour au papier et à l’attente fébrile qui accompagne chaque jet de dés. Pour sa part, John apporte le jeu, l’installe, l’explique et tient le rôle de référent tout au long de la partie, qu’il dirige de bout en bout : il module et fait appliquer les règles, en observant comment tout ce petit monde se débrouille. Au cours des parties, John Dempsey fait évoluer ses clients dans trois décors principaux : le monde médiéval-fantastique des Royaumes oubliés, celui de Mystara et Dark Sun, un monde post-apocalyptique rempli de créatures tout aussi dangereuses. Pour John Dempsey, l’impact de Stranger Things sur son business est indéniable : il a lancé son entreprise au moment où sortait la saison 1, et sent actuellement que la saison 2 attire de nouveaux clients. Mais si Dempsey est un des seuls au monde à proposer ses services à domicile, d’autres le pratiquent tout simplement sur Internet. Suivie par plus de 150 000 personnes, la chaîne YouTube officielle de Donjons et Dragons propose un éventail de tout ce qui se fait dans la communauté des rôlistes en ligne : parties en live autour d’une table, en visioconférence, talks autour du jeu et retransmissions d’événements uniques. Un écosystème numérique florissant qui précède Stranger Things de plusieurs années. Ainsi donc, si la série de Netflix a donné un coup de projecteur bienvenu sur Donjons et Dragons, un phénomène de renouveau avait été initié bien avant sa diffusion, estime Tête Brûlée – notamment à travers « les tables virtuelles, c’est-à-dire des joueurs qui se servent de l’outil informatique pour jouer comme s’ils étaient physiquement autour d’une table ». Pour autant, les passionnés s’accordent à dire que l’émotion procurée par le jeu de rôle n’est jamais aussi intense qu’autour d’une table. « La liberté est immense, les possibilités ludiques aussi et le plaisir de partager une aventure avec des amis incomparable », tranche le rédacteur en chef de Casus Belli. Un plaisir que les quatre amis de Stranger Things n’ont pas leur pareil pour rendre communicatif. Sur leurs visages, on comprend que dans le feu d’une partie, la table jonchée de feuilles de personnages, de boîtes de pizza, de canettes de sodas, de petites figurines et de dés à 20 faces a bientôt disparu. Tout ce qu’ils voient, c’est le Démogorgon. Couverture : Une partie de D&D dans Stranger Things. (Netflix) L’article Comment Stranger Things a donné une nouvelle vie au jeu de rôle à l’ancienne est apparu en premier sur Ulyces. Texte intégral 3382 mots
a neige tombe au dehors. « Un truc approche. Il est assoiffé de sang. Une ombre se dresse sur le mur derrière toi, te plonge dans le noir. Il est tout près ! » susurre Mike à ses trois camarades de jeu. « C’est quoi ?! » s’exclame Will. « Le Démogorgon ? » s’affole Dustin. « Zut, on est foutus si c’est le Démogorgon ! » Dans la cave à l’éclairage tamisé d’un pavillon de Hawkins, dans l’Indiana, quatre adolescents disputent une partie endiablée de Donjons et Dragons. Nous sommes en 1983 et le jeu de rôle en est encore à ses premières heures. Ainsi s’ouvre la deuxième scène du tout premier épisode de Stranger Things, la série fantastique de Netflix dont la saison 4 sortie en mai fait un carton.
L’invasion des profanateurs
’était le 11 octobre 1995. Derrière un écran brumeux dont s’échappent des voix grésillantes, une jeune Mireille Dumas présente son émission Bas les masques dans l’atmosphère confinée d’un plateau de France 2, censé prêter aux confidences. Dans ce programme où défilent des invités vêtus de grandes chemises à motifs, le nez chaussé de larges lunettes aujourd’hui désuètes, la présentatrice prétend briser les tabous. Après un sujet sur la prostitution, Mireille Dumas a décidé ce jour-là d’aborder le jeu de rôle dans un épisode au titre aguicheur : Attention jeux dangereux. Elle y présente un reportage où le suicide d’un jeune est associé à sa pratique du jeu de rôle et où des joueurs sont accusés de profaner des sépultures. « Occultisme », « secte », « déviances », « satanisme », aucun terme n’est assez vindicatif pour désigner la nouvelle menace qui pèse sur la société française.
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utre-Atlantique, la méfiance vis-à-vis du jeu est plus ancienne encore. C’est aux États-Unis qu’a vu le jour le premier jeu de rôle médiéval-fantastique dans les années 1970, sous la plume de Gary Gygax (alors assureur au chômage et père de cinq enfants) et Dave Arneson (autre passionné de jeux à la vie professionnelle ennuyeuse). Il s’appelle Donjons et Dragons – qui se traduit en réalité par « cachots et dragons », dungeons étant un faux-ami. Ils publient la première édition en 1974, qui sera suivie de quatre autres, dont la dernière date de 2014. Tout comme plus tard en France, une série de drames attribués arbitrairement au jeu de rôle rendent ses débuts douloureux, suscitant une forme d’hystérie collective à l’encontre du genre. Son point d’orgue étant la création en 1982 de la BADD (Bothered About Dungeons and Dragons) par Patricia Pulling, mère d’un jeune rôliste ayant mis fin à ses jours. L’association mène alors une virulente campagne contre le jeu, qui lui vaudra finalement d’être condamnée pour manipulation d’opinion.
L’Œuf Cube
out compte fait, les foudres qu’a eues à subir le jeu de rôle ne sont pas différentes de ce à quoi d’autres mouvements culturels alternatifs comme le metal ou les jeux vidéo ont dû faire face. À ceci près que son marché était trop fragile pour ne pas en pâtir. Mais maintenant que l’orage est passé, on voit bien que la méprise était comme souvent due à l’ignorance.
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quelques pas du métro Jussieu dans le 5e arrondissement de Paris, Frédéric Romero ouvre la grille de L’Œuf Cube où il m’invite à entrer. Je le suis dans cet antre historique des jeux spécialisés, un tout petit magasin qui abrite pourtant une quantité impressionnante de boîtes de jeux en tout genre, du jeu de plateau aux cartes Magic. Pour le jeu de rôle, une véritable bibliothèque aux livres alignés avec soin occupe deux pans de mur. Ainsi que quelques « kits d’initiation ». Né en 1977, à peine quatre ans après la sortie de la première édition de D&D, L’Œuf Cube demeure la plus vieille boutique parisienne de jeux qui sortent de l’ordinaire : « Nous n’avons rien contre le Monopoly ou la Bonne Paye, mais d’autres magasins font ça très bien ! » plaisante le patron derrière son comptoir. Ici, le fantastique est roi.
Le professionnel
éjà professeur d’arts martiaux et thérapeute shiatsu, John Dempsey a ajouté en 2013 une troisième corde à son arc en créant dans la région de Toronto DM for Hire (« Maître du jeu à louer »). Rôliste de longue date, John a toujours été le seul de ses amis à maîtriser à la perfection l’art complexe des maîtres du jeu. L’idée originale d’en faire son métier a surgi dans son esprit il y a quelques années, alors qu’il connaissait des difficultés financières. « Il fallait absolument que je trouve un moyen de sortir la tête de l’eau », raconte-t-il. « J’ai alors pensé aux amateurs de Donjons et Dragons trop occupés par leur travail, pour qui l’organisation d’une partie est un peu compliquée. Je me suis dit qu’embaucher quelqu’un pour la concevoir de A à Z à domicile pourrait les intéresser. »
14.11.2023 à 02:49
Le Donbass est-il vraiment russe ?
Le ciel de Marioupol est noir. Une épaisse fumée masque le ciel gris en s’élevant au-dessus d’une barre d’immeubles. Les habitants de cette ville portuaire de l’oblast de Donetsk, sur les bords de la mer d’Azov, ne devraient pourtant avoir au-dessus d’eux que le ciel pesant. La Russie a proclamé samedi 5 mars un cessez-le-feu […]
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Le ciel de Marioupol est noir. Une épaisse fumée masque le ciel gris en s’élevant au-dessus d’une barre d’immeubles. Les habitants de cette ville portuaire de l’oblast de Donetsk, sur les bords de la mer d’Azov, ne devraient pourtant avoir au-dessus d’eux que le ciel pesant. La Russie a proclamé samedi 5 mars un cessez-le-feu temporaire. Il devait permettre d’évacuer les civils avant la reprise des combats entre les soldats de Vladimir Poutine et ceux de Volodymyr Zelensky. Mais les combats, et leur cortège effroyable de bombardements russes, n’ont pas cessé. L’évacuation est interrompue, le couloir humanitaire donne sur une impasse, et quelque 200 000 civils attendent dans une angoisse inimaginable que le cessez-le-feu soit de nouveau proclamé. Cette ville, que la voyageuse française Adèle Hommaire de Hell décrivait au XIXe siècle comme « un grand et sale village » peuplé « par les Grecs que Catherine II y transporta de la Crimée », est au cœur de la stratégie d’invasion de l’Ukraine de Vladimir Poutine. En tant que port de la mer d’Azov et dixième ville du pays, Marioupol recouvre une importance géographique et démographique évidente – elle est aussi la deuxième ville du Donbass, derrière Donetsk et devant Louhansk, avec 460 000 habitants. Or l’un des objectifs que l’on prête à Vladimir Poutine serait de reconquérir le territoire de la « Nouvelle Russie », bâtie par l’impératrice Catherine II au XVIIIe siècle, et qui s’étendait du Donbass jusqu’à Odessa le long des rives de la mer Noire. Cela voudrait-il dire que le Donbass est historiquement russe ? Si la question paraît simple, la réponse l’est beaucoup moins. Le port de Marioupol en mai 2021 18 février 2014 : le président ukrainien Viktor Ianoukovytch et son gouvernement refusent de signer un accord d’association avec l’Union européenne au profit d’un accord avec la Russie de Vladimir Poutine. Cette décision met le feu aux poudres en Ukraine et déclenche la révolution de Maïdan ; des émeutes violentes ont lieu partout dans le pays et forcent finalement le parlement ukrainien à destituer Ianoukovytch. Le territoire national est alors plus divisé que jamais, entre l’Ouest qui soutient le nouveau pouvoir élu démocratiquement en mai 2014 et l’Est du pays où réside en majorité sa minorité russophone. Pour ne rien arranger, le président par intérim Oleksandr Tourtchynov abroge la loi de 2012 sur les langues régionales et retire ainsi au russe son statut de langue officielle dans 13 des 25 régions du pays, provoquant de vives tensions notamment dans les collectivités de Crimée, de Donetsk et de Louhansk. Des brigades d’autodéfense se forment dans ces régions pour réclamer la reconnaissance de leur langue maternelle. C’est le début d’un conflit qui mène à l’annexion en 2014 de la Crimée par la Russie. Mais le conflit ne s’est pas terminé là. Depuis 2014, les combats font toujours rage dans la région du Donbass, qui regroupe les collectivités de Donetsk et de Louhansk, entre les séparatistes pro-russes et l’armée ukrainienne. Une guerre intérieure qui a permis à Vladimir Poutine de justifier son invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, en reconnaissant l’indépendance des « républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk. Première difficulté du conflit au Donbass : sa situation géographique à cheval entre la Russie et l’Ukraine. Géographiquement, elle englobe trois collectivités territoriales, dites oblasts : Donetsk et Louhansk en Ukraine, et Rostov de l’autre côté de la frontière en Russie. Avant le conflit de 2014, les minorités ethniques russes représentaient plus d’un tiers de sa population. De plus, sur le plan linguistique, la majorité de ses habitants parlent le russe : en 2001, date des derniers recensements, ils représentaient jusqu’à 75 % des habitants de Donetsk et près de 70 % des habitants de Louhansk. Donetsk en décembre 2019 Une forte proportion de la population qui n’a évidemment pas apprécié la décision de retirer le russe des langues officielles de l’Ukraine. C’est suite à cet événement, à partir d’avril 2014, que les oblasts de Donetsk et de Louhansk ont été le foyer d’insurrections armées contre le nouveau gouvernement ukrainien. Des insurrections qui deviennent rapidement des mouvements séparatistes et qui proclament ainsi leur indépendance par référendum. La République populaire de Donetsk voit le jour le 7 avril 2014 avant d’être suivie par la République populaire de Louhansk le 11 mai de la même année. Aucun de ces deux États n’est cependant reconnu par l’ONU et ils restent officiellement considérés comme des régions ukrainiennes. L’armée tente d’intervenir dès mai 2014 avant d’être repoussée par les séparatistes pro-russes, suspectés d’être soutenus militairement par Vladimir Poutine. Depuis, et malgré des tentatives d’accords de paix et de cessez-le-feu notamment en 2015 et en 2019, les séparatistes du Donbass sont toujours en situation de guerre avec l’armée ukrainienne. Une guerre loin d’être froide selon Patrick Sauce, spécialiste de la politique internationale qui a couvert la guerre dans le Donbass et s’est rendu dans ces territoires. « Dans le Donbass, la population se retrouve prise en étau entre les tirs des séparatistes pro-russes et les tirs de l’armée ukrainienne. Donc, c’est un fait, les Ukrainiens tirent depuis huit ans sur des civils », assure le journaliste. Des propos appuyés également par Benoît Vitkine, correspondant du Monde à Moscou : « Les forces ukrainiennes tirent au canon sur ceux d’en face. Ceux qui voudraient le nier sont aussi malhonnêtes que ceux qui brandissent ce conflit du Donbass pour tenter d’occulter l’invasion de l’Ukraine », explique-t-il. Pour lui, Vladimir Poutine se sert du conflit latent pour justifier son invasion. Alors que ses troupes se massaient à la frontière ukrainienne, c’est en reconnaissant l’indépendance de Louhansk et de Donetsk le 21 février dernier qu’il a pu envoyer ses forces dans la région pour « maintenir l’ordre » et démarrer les hostilités avec l’Ukraine. « Cette guerre a été fomentée sciemment par la Russie, sur la base d’inquiétudes réelles des populations du Donbass après Maïdan. Les premières armes sont apparues dans les mains d’agents russes en avril 2014. L’armée russe est intervenue directement en soutien des séparatistes à l’été 2014 et à l’hiver 2015 », rappelle Benoît Vitkine. Si la Russie est tant intéressée par ce qu’il se passe en Ukraine et plus particulièrement au Donbass, c’est parce qu’elle affirme que son héritage est historiquement russe. Vladimir Poutine a plusieurs fois déclaré par le passé vouloir protéger cet héritage : « Les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont tous des descendants de l’ancienne Rus, qui était le plus grand État d’Europe. » Pour Poutine, l’éloignement entre la Russie et l’Ukraine est le fait de l’influence américaine et européenne qui vise à « entraîner petit à petit l’Ukraine dans un jeu géopolitique dangereux, visant à faire de ce territoire une barrière entre l’Europe et la Russie. Nous ne l’accepterons jamais », rappelait-il en juillet 2021 dans un article officiel du Kremlin. Le territoire du Donbass, avant d’être nommé ainsi au XXe siècle, a d’abord été habité pendant des siècles par diverses tribus nomades telles que les Scythes, les Huns, les Bulgares, ou les Tatars turcs. La région était alors constituée en grande partie de steppes et n’était que très peu peuplée jusqu’à la seconde moitié du XVIIe siècle. Elle est alors colonisée par des populations slaves d’Europe orientale qui y établissent les premières installations et villes autour du fleuve Donets. Le Donbass était alors divisé entre le contrôle de l’Hetmanat cosaque ukrainien et du Khanat turc de Crimée. Les Cosaques zaporogues écrivent au sultan de Turquie Un équilibre qui dure jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, lorsque l’Empire russe conquis finalement l’Hetmanat et annexe le Khanat turc. De nombreux Russes migrent alors dans cette région pleine de promesses, désignée par le Tsar comme la « nouvelle Russie ». Bénéficiant de vastes ressources en charbon, découvertes en 1721, la région devient alors un point stratégique dans un contexte où la révolution industrielle s’installe en Europe. C’est d’ailleurs de là que vient son nom : bassin houiller de Donets, ou Donbass, désignant la zone située le long du fleuve Donets où se trouvaient la plupart des réserves de charbon. Un développement économique qui attire encore de nombreuses vagues d’immigration. En 1897, les Ukrainiens représentaient 52,4 % de la population de la région, tandis que les Russes ethniques en représentaient 28,7 %, selon un recensement de l’Empire russe. La révolution russe de 1917 met fin à l’empire et voit la naissance de la République populaire ukrainienne, dont les forces prennent le contrôle du Donbass et l’intègrent à l’État ukrainien. État qui sera finalement intégré à l’URSS en 1922 en tant que république socialiste soviétique d’Ukraine. Le Donbass est alors victime d’une « décosaquisation » majeure orchestrée par les bolcheviks : un processus d’élimination des populations cosaques présentes depuis le XVIIe siècle sur le territoire. Certains historiens parlent d’une entreprise « génocidaire », parmi lesquels le Français Nicolas Werth, directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent, affilié au CNRS. Dans les années qui suivent, la région doit également affronter de terribles famines qui déciment le territoire et souffre énormément des conséquences de la seconde guerre mondiale. De nombreux ouvriers russes viennent alors participer à la reconstruction et repeupler la région. La population russe augmente alors drastiquement. S’il n’étaient que 639 000 en 1926, le nombre de Russes dans le Donbass passe à 2,55 millions en 1959. Lors du recensement soviétique de 1989, 45 % de la population du Donbass se revendiquait d’appartenance russe. Pourtant, lorsque l’URSS se disloque en 1991 et que l’Ukraine vote pour son indépendance, une grande majorité de citoyens du Donbass accueille la nouvelle avec enthousiasme. 83,9 % des électeurs de l’oblast de Donetsk et 83,6 % de l’oblast de Louhansk votent en faveur de l’indépendance au référendum. Mais les difficultés économiques d’une région en pleine perte de vitesse industrielle se font vite ressentir et le ressentiment envers le gouvernement de Kiev commence à grandir et entraîne de forts mouvements de grève. Des concessions notamment économiques sont alors faites pour apaiser les tensions, parmi lesquelles… la reconnaissance du russe comme langue régionale à Donetsk et Louhansk. La boucle est bouclée. Une barricade sécessionniste à Louhansk en avril 2014 L’histoire du Donbass est donc fortement liée à la Russie, mais ses habitants s’en sont pourtant émancipés à plusieurs reprises, notamment lors du référendum pour l’indépendance en 1991. La position des habitants du Donbass est donc trouble avec une volonté des russophones de préserver leur héritage et leur langue exacerbée par huit années de conflit violent avec l’armée ukrainienne. Pour autant, dire que le Donbass est russe serait user d’un raccourci nuisant à la compréhension du conflit et de ses enjeux. Les demandes des séparatistes du Donbass sont d’ailleurs hétérogènes et peuvent aller d’une volonté de poursuivre des relations proches avec Moscou en tant qu’État indépendant à l’attente d’une véritable annexion russe. La question est alors de savoir si l’objectif de Vladimir Poutine en Ukraine se limite, in fine, au Donbass. Pour l’analyste politique russe Fedor Krasheninnikov, « il est peu probable que Poutine entreprenne une occupation à court terme afin de conquérir Kiev et d’y installer un gouvernement favorable au Kremlin. Un gouvernement constitué sous une occupation permanente ou même temporaire n’a aucune chance d’acquérir une légitimité internationale », précise-t-il. « Poutine veut que l’Ukraine reconnaisse le changement de statut de la Crimée, et celui du Donbass en cas d’annexion. » L’ambition de Poutine serait donc plutôt d’affaiblir suffisamment l’État ukrainien pour en faire un allié de la sphère d’influence russe en Europe. « Les soldats russes partiraient dès que la nouvelle administration serait constituée, et le nouveau gouvernement ukrainien reconnaîtrait le statut de la Crimée, signerait tous les accords proposés avec la Russie et renoncerait à son ambition de rejoindre l’OTAN », décrit l’analyste. Mais tant que les bombes pleuvront sur Marioupol, Vladimir Poutine ne s’y trouvera pas d’alliés. L’article Le Donbass est-il vraiment russe ? est apparu en premier sur Ulyces. Texte intégral 2463 mots
Crédits : Victor HesseUne situation géographique trouble
Crédits : Eugene TonesL’héritage soviétique du Donbass
Ilia Répine, 1878-1891
Crédits : DRUn projet à grande échelle ?
21.08.2023 à 12:23
Les NFT sont-ils le scam de la décennie ?
2 mai 2014 : Kevin McCoy, un artiste numérique américain désireux de créer un système plus équitable pour ses confrères, met au point avec son partenaire développeur Anil Dash la première œuvre certifiée NFT de l’histoire. Baptisée Quantum, elle représente un octogone rempli de cercles concentriques pulsant de manière psychédélique. L’œuvre annonce pour Kevin McCoy […]
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2 mai 2014 : Kevin McCoy, un artiste numérique américain désireux de créer un système plus équitable pour ses confrères, met au point avec son partenaire développeur Anil Dash la première œuvre certifiée NFT de l’histoire. Baptisée Quantum, elle représente un octogone rempli de cercles concentriques pulsant de manière psychédélique. L’œuvre annonce pour Kevin McCoy un avenir radieux : celui où les artistes modestes, habitués jusqu’à présent à voir leurs œuvres pillées et repartagées sur les réseaux sans être crédités, prendront enfin le contrôle sur leur art avec un moyen sûr d’authentifier leur travail, une sorte de griffe numérique. Le concept du NFT était né, mais Kevin McCoy était loin d’imaginer que son idée, restée dans l’ombre pendant de nombreuses années, serait au centre de toutes les controverses aujourd’hui. « Il y a eu beaucoup d’incompréhension. Le monde de l’art traditionnel a eu du mal à comprendre le système et ce qui était proposé », se souvient McCoy. « De son côté, le monde des cryptomonnaies n’était pas intéressé par la question de l’art numérique. » Quantum, de Kevin McCoy et Anil Dash Un constat désormais bien différent. Devenu le sujet brûlant sur Internet ces derniers mois, les NFT sont partout. De Meta à Ubisoft, de Freeze Corleone à Eminem, chacun cherche à se positionner pour tirer son épingle du jeu. Les enthousiastes suivent avec une explosion des ventes de NFT, qui réalisent 4,7 milliards de dollars uniquement sur la semaine du 23 janvier 2022. Pourtant, des artistes de plus en plus nombreux tirent la sonnette d’alarme, pointant des failles sur les plateformes de reventes de NFT, notamment OpenSea, qui mettrait en vente une multitude de fausses œuvres ou des œuvres volées. Ce qui pousse certains à dire que malgré leur promesse initiale, les NFT sont un vaste scam organisé. Si la question des NFT est aussi brûlante, c’est qu’elle s’est imposée aux yeux du grand public en seulement quelques mois. Depuis 2021, les ventes de NFT ont atteint des paliers records avec la vente de The Merge de l’artiste Pak, une œuvre numérique fragmentée en 226 434 parties vendues pour un total de 91,8 millions de dollars à plus de 28 000 acheteurs différents, entre le 2 et le 4 décembre dernier sur la plateforme Nifty. Des sommes qui encouragent des personnalités comme Eminem à investir eux aussi dans les NFT. Début janvier, le dieu autoproclamé du rap s’est offert un ticket d’entrée à 450 000 dollars dans le Bored Ape Yatch Club, une communauté très select de collectionneurs NFT arborant un singe unique à leur effigie leur permettant d’obtenir certains accès à des événements privés en ligne ou IRL. Mais cette effervescence autour des NFT ne séduit pas tout le monde du rap. Kanye West a notamment fait part de son agacement à l’occasion d’un post sur Instagram le 1er février. « Ne me demandez pas de faire un p***** de NFT », s’énerve Ye. « Je me concentre pour créer des choses dans le monde réel. » Le message de Ye De leur côté, les entreprises se positionnant sur les NFT sont légion, saturant l’espace médiatique avec une technologie encore peu connue et instillant ainsi une défiance grandissante. Ainsi, 51 % des millennials estiment que les NFT sont une arnaque selon un sondage annuel de Tidio, une crainte qui monte à 82% pour les membres de la génération Z (2000-2010). Des chiffres qui coïncident avec les tollés pris par les entreprises qui tentent d’embrasser les NFT dans leur écosystème. Twitter s’y est lui-même frotté après avoir lancé en janvier dernier une fonctionnalité permettant à ses utilisateurs premium d’uploader leur NFT pour les exposer sur leur profil. Une initiative décriée par de nombreux utilisateurs dont Elon Musk, « agacé » par les ressources utilisées par Twitter dans ce genre de fonctionnalités. Du côté du gaming, les NFT soulèvent également des débats enflammés entre éditeurs, développeurs et consommateurs. En novembre 2021 le directeur général d’Electronic Arts Andrew Wilson avait annoncé la volonté d’EA d’intégrer la technologie NFT à ses jeux vidéo, une décision présentée comme « le futur de l’industrie » par Wilson et accueillie par une grogne massive sur les réseaux, car les joueurs y voient un énième moyen pour l’entreprise d’intégrer des contenus payants à ses jeux. Trois mois plus tard, EA se montre plus réservé quant à l’implémentation de NFT dans ses futures productions. « Je crois que l’aspect collection continuera à être une partie importante de notre industrie. Que ce soit dans le cadre de la blockchain NFT, cela reste à voir », modère désormais Wilson. « Nous allons évaluer cela au fil du temps, mais pour l’instant, ce n’est pas quelque chose sur lequel nous nous acharnons. » Et pour cause, les consommateurs ne sont pas les seuls à craindre l’implémentation des NFT dans l’industrie. Une étude de la Game Developers Conference a révélé en janvier que 70 % des développeurs de jeux vidéo sont hostiles aux NFT dans les jeux. « Ces technologies n’utilisent toujours pas d’énergie durable et sont une cible pour le blanchiment d’argent. En tant que développeur, je me sens profondément mal à l’aise à l’idée qu’elles soient encouragées », précise anonymement un des développeurs sondés. De nombreux aspects viennent en effet noircir le tableau dépeint par les enthousiastes des NFT. En théorie, chaque NFT, ou jeton non-fongible, associé à la technologie blockchain, est unique et impossible à reproduire. Cette protection garantit au collectionneur que son achat n’est pas contrefait et à l’artiste que son travail ne sera pas volé. Pourtant, les couacs ne cessent de s’accumuler pour les acteurs du milieu des NFT. Après le licenciement d’un de ses employés pour avoir détourné le système de vente à son avantage, la plateforme OpenSea est de nouveau au cœur de la polémique pour sa fonctionnalité permettant aux utilisateurs de créer gratuitement leur jeton non-fongible. Une fonctionnalité que la plateforme est désormais forcée d’endiguer après avoir révélé sur Twitter une faille majeure dans son système. « Plus de 80 % des articles créés avec cet outil étaient des œuvres plagiées, de fausses collections et du spam », admet OpenSea. Crédits : OpenSea De plus en plus d’artistes se soulèvent pour révéler le côté obscur du marché des NFT et déclarent avoir tout simplement vu leur travail leur être volé et vendu à leur insu sur certaines plateformes. C’est le cas d’Aja Trier, une artiste peintre américaine. En janvier 2022, un utilisateur non-identifié sur OpenSea, la plateforme dominante du marché de l’art NFT, a commencé à mettre en vente des dizaines de milliers de ses œuvres, souvent en plusieurs fois. Trente-sept d’entre elles ont été vendues avant qu’elle ne parvienne à convaincre la plateforme de les retirer. « Ils n’arrêtaient pas de les reprendre et de les refaire en tant que NFT », explique Aja Trier. « C’est tellement flagrant. Et si ça m’arrive à moi, ça peut arriver à n’importe qui ». Effectivement, le cas de Aja est tout sauf isolé. Des artistes plus renommés, dont le concepteur de Detective Pikachu RJ Palmer, se sont également fait voler leurs œuvres. « Au cours des dernières 24 heures, j’ai dû signaler 29 cas de vol de mes œuvres en tant que NFT. C’est vraiment fatiguant et cela ne fait qu’empirer », a tweeté Palmer le mois dernier. « Tous les artistes que je connais se font voler leurs œuvres et c’est tout simplement injuste. Que pouvons-nous faire, c’est sans espoir. » Le vol et le plagiat ne sont pas les seules problématiques que doivent gérer les plateformes de vente de NFT. La spéculation, inhérente à l’écosystème des NFT, amène également son lot de dérives. Ainsi LooksRare, la deuxième plateforme du secteur, a été épinglé en janvier dernier par la firme d’analyse NFT CryptoSlam, qui révèle que 87 % des transactions sur LooksRare constitueraient du « wash trading », une manipulation du marché consistant notamment à vendre et acheter en boucle la même œuvre pour faire monter son prix artificiellement ou empocher des bénéfices sur la transaction. Crédits : LooksRare Ce type de pratique a notamment été mis en lumière par l’affaire du « CryptoPunk 9998 », qui s’était vendu pour 532 millions de dollars en octobre 2021, avant d’être épinglé par son créateur sur Twitter. « Cette transaction (et un certain nombre d’autres) n’est pas un bug », a tweeté la société. « En un mot, quelqu’un s’est acheté ce punk avec de l’argent emprunté et a remboursé le prêt dans la même transaction. » Malgré les dérives, l’essor des NFT est bien parti pour se poursuivre et pourrait même trouver des applications au-delà du domaine du dématérialisé. Certains s’impatientent ainsi de les voir déferler notamment dans le domaine de l’immobilier. « Je suis enthousiasmé par la façon dont les NFT vont être appliquées aux biens immobiliers du monde physique », déclarait Tim Draper, investisseur américain et grand partisan du bitcoin, en avril 2021. « Je soupçonne que les gens seront bientôt en mesure d’acheter un bâtiment, d’acheter les droits aériens et d’acheter les droits virtuels de tout espace physique. L’avenir est impressionnant. » Des déclarations qui promettent encore de longues discussions autour des jetons non-fongibles et de leur fiabilité, loin d’être acquise pour le moment. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’heure actuelle, ils enrichissent plus d’investisseurs et de fraudeurs qu’ils ne protègent d’artistes numériques. L’article Les NFT sont-ils le scam de la décennie ? est apparu en premier sur Ulyces. Texte intégral 1971 mots
L’appel d’air
Crypto punks
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