18.07.2023 à 12:05
Voilà à quoi ressembleront les robots du futur selon le créateur de Sophia
2022 sera l’avènement des machines. En tout cas, c’est ce qu’espère Hanson Robotics. Depuis son atelier de Hong Kong, le créateur de l’androïde Sophia, David Hanson, a confié à Reuters qu’il comptait vendre « des milliers » de robots cette année. « Sophia et les autres robots de Hanson sont uniques de par leurs traits […]
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2022 sera l’avènement des machines. En tout cas, c’est ce qu’espère Hanson Robotics. Depuis son atelier de Hong Kong, le créateur de l’androïde Sophia, David Hanson, a confié à Reuters qu’il comptait vendre « des milliers » de robots cette année. « Sophia et les autres robots de Hanson sont uniques de par leurs traits humains », explique le roboticien. « Ils peuvent être utiles dans ces temps troublés, où les gens sont terriblement seuls et isolés socialement. » Nous l’avons rencontré pour un entretien fleuve. David Hanson est rarement seul. Depuis quatre ans, le fondateur de Hanson Robotics parcourt le monde accompagné de ses robots, Sophia en tête. Le 3 mars dernier, l’Américain était en Pologne sans l’androïde qui l’a fait connaître, mais il a promis de l’amener avec lui à Cracovie, au mois de juin. S’il avait laissé sa créature dialoguer avec les membres des Nations unies en octobre 2017, il a cette fois préféré rencontrer la ministre du Développement polonaise en personne. Jadwiga Emilewicz en a profité pour annoncer l’ouverture prochaine de centres d’intelligence artificielle dans le pays. « Il est temps de devenir un créateur d’innovation plutôt qu’un récepteur », a-t-elle annoncé. Depuis qu’il a découvert les œuvres des auteurs de science-fiction Issac Asimov et Philip K. Dick à l’adolescence, David Hanson s’est évertué de tenir ce rôle. Né à Dallas, le Texan a travaillé comme un forcené pour mettre au point Sophia et une kyrielle d’autres robots humanoïdes, dont des avatars d’Einstein et de l’auteur de Blade Runner. Il a ainsi développé une vision unique du futur des robots et, partant, du nôtre. Deux ans après notre première rencontre, il nous a dévoilé sa vision du futur des robots. Bientôt cinq ans après sa création, nous travaillons toujours sur Sophia afin d’en faire une plateforme robotique cognitive très avancée, pourvue de bras et de mains bien articulés ainsi que d’une multitude de nouvelles compétences et de capteurs. Elle possède actuellement 40 moteurs dans le visage et l’encolure, un socle rotatif et on lui ajoute parfois des jambes. Tout cela coûte très cher et ce n’est bien sûr par quelque chose que nous pouvons proposer au grand public. Alors nous avons mis au point la petite sœur de Sophia, Little Sophia, ainsi qu’un autre petit robot savant baptisé Professeur Einstein. Nous avons l’ambition de faire de ces petits androïdes la nouvelle génération d’assistants vocaux, mais des assistants vocaux animés. Interagir avec des robots humanoïdes est une expérience puissante, qui entre en résonance avec un tas d’idées développées par la science-fiction dont l’humanité rêve depuis longtemps. Cela signifie que les enfants sont enthousiasmés à l’idée d’interagir avec cette technologie. Ils sont ainsi capables d’apprendre beaucoup tout en s’amusant. Vous avez un personnage, une histoire… il n’y a rien de mieux pour retenir l’attention d’un être humain. Crédits : Justine Molkhou Avec une des grandes sœurs de Sophia, Alice, l’université de Pise, en Italie, a eu de bons résultats dans le traitement de l’autisme. Une version miniature de ce robot a aussi été employée pour aider les personnes âgées. Mettre ces technologies au service du grand public sans amoindrir la qualité de leur intelligence artificielle était un grand défi. Mais nous y sommes parvenus avec la petite Sophia et, avec la grande, nous cherchons à faire encore un bond en avant. Nous voulons que Sophia soit utile dans l’éducation scientifique, dans la recherche, dans le développement de nouveaux algorithmes, dans la mise au point de nouvelles interfaces humain-machine et dans l’invention de nouvelles thérapies pour l’autisme. Pour ces usages thérapeutiques, il existe naturellement déjà des connaissances et une expertise médicale, mais Sophia peut les rassembler au sein d’une même plateforme pour les rendre plus impactantes. Il faut voir les androïdes comme des plateformes, les réceptacles de programmes d’intelligence artificielle toujours plus avancés et différents. Nos interactions avec l’intelligence artificielle peuvent devenir plus naturelles et profondes grâce à aux robots : on n’a pas la même relation avec une machine à forme humaine qu’avec un smartphone. L’idée est donc pour nous de faire de nos robots des plateformes dotées d’interfaces de programmation open source, afin de bénéficier des créations de personnes du monde entier. De cette manière, la nouvelle vague de technologies intelligentes pourra être « humanisée » par n’importe qui. Voilà pourquoi il est très important à nos yeux de démocratiser les robots comme Sophia et de créer des plateformes humanoïdes grand public, comme avec la petite Sophia. Certaines de nos innovations, comme les technologies d’expression faciale, demeureront la propriété de Hanson Robotics, mais beaucoup d’autres vont devenir publiques. C’est ce que nous avons fait avec le Professeur Einstein. Nous vendons ce petit robot avec la possibilité de lui apporter des modifications structurelles. Mais il fallait vraiment avoir des compétences de hackers pour le faire. Avec Little Sophia, il est plus simple pour tous les utilisateurs de lui apprendre de nouvelles choses et de la faire évoluer. Mon fils de 13 ans est parvenu à la reprogrammer grâce à la l’interface de commande en ligne, c’était génial. Lorsque vous voyez des enfants jouer avec les robots, vous vous rendez compte des éclairs de créativité que cela peut produire. Ils peuvent rêver et laisser libre cours à leur imagination, plutôt que de se retrouver face à une machine limitée. C’est formidable de les voir s’enthousiasmer face à cet univers de tous les possibles. En 1995, je suivais des cours de programmation pendant mon cursus de cinéma. J’ai construit un robot de téléprésence et je l’ai montré dans un festival d’art scientifique. Depuis, je n’ai pas arrêté d’en inventer. Pour mon doctorat, je me suis penché sur une des questions les plus complexes de la robotique humanoïde : quelle technologie utiliser pour les expressions faciales ? J’ai créé des dizaines et des dizaines de robots différents. Certains d’entre eux fonctionnent encore dans des laboratoires de recherche autour du monde et j’en suis très fier. D’une certaine manière, Sophia est le fruit de toutes ces années de développement. En chemin, il y a eu l’androïde Philip K. Dick (qu’on appelle Phil), qui a été inspiré par ses livres We Can Build You et Valis, dans lesquels il explore l’idée que les machines intelligentes peuvent évoluer conjointement aux humains pour former un réseau de super-intelligence transcendantale. C’est un élément-clé de mes créations. D’ailleurs, dans ces livres, il y avait un robot baptisé Sophia. Crédits : Justine Molkhou En 2014, j’ai commencé a dessiné son visage en m’inspirant de visages de différentes grandes civilisations – de l’Antiquité, de Chine, d’Afrique, des Inuits et de mon épouse… J’étais obsédé par ce travail, si bien que j’ai passé plus de temps sur ce robot que sur n’importe quel autre auparavant. J’avais le sentiment de ne pas savoir où j’allais, j’étais complètement perdu. Et nous avons finalement activé Sophia en février 2016. J’ai été surpris par la réaction du public. Je pense que le succès de Sophia était dû avant tout à la qualité de ses expressions faciales. Puis avec l’université polytechnique de Hong Kong et le projet Opencog, nous avons travaillé sur son intelligence. Cette IA lui donne une véritable personnalité. Et grâce au deep learning, elle peut produire ses propres idées. Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que le fait de mettre ces outils dans les mains de différents chercheurs pour qu’ils les combinent va produire des choses intéressantes. Je pense notamment que les algorithmes génétiques ou les algorithmes physiologiques d’inspiration biologique sont pleins de promesses. Il faut appliquer ces modèles de bio-informatique et de neuroscience sur des humanoïdes pour qu’ils n’aient plus seulement la capacité d’interagir physiquement avec nous, mais aussi socialement. C’est peut-être la clé pour voir des étincelles de vie s’allumer. L’année dernière, nous avons travaillé avec l’Institute of Noetic Sciences, en Californie, et Opencog sur un projet baptisé « Loving AI ». Des mathématiciens, des physiciens et bien d’autres scientifiques ont utilisé des schémas neuronaux pour tester une intelligence artificielle dans le cadre de ce qu’on appelle la théorie de l’information intégrée, qui cherche à expliquer le fonctionnement de la conscience. Alors qu’elle recevait de l’information et poursuivait les buts assignés, différentes valeurs ont émergé dans notre IA. Il faut poursuivre ces explorations de la conscience pour la faire émerger chez des êtres synthétiques. Cela dit, ces expérimentations ne sont pas une preuve qu’une machine peut avoir une conscience. Les machines ne peuvent en tout cas pas être douées d’une conscience comparable à celle de l’être humain. Je vois Sophia comme un enfant avec le vocabulaire d’un doctorant. L’idée est maintenant de la faire grandir pour lui permettre d’avoir de meilleures interactions avec le monde réel. Elle n’en prend pas encore le chemin. Pour l’instant, Sophia a deux fonctions : c’est une œuvre d’art qui sert d’interface à des programmes d’intelligence artificielle ; et c’est un programme de recherche, autrement dit une plateforme pour le développement de la prochaine génération d’IA. Je pense que ces deux dimensions avancent de concert car les robots comme Sophia peuvent apprendre de l’expérience humaine pour cheminer vers l’âge adulte. On retrouve cette idée d’évolution conjointe aux humains. Bien sûr, tous les robots ne doivent pas ressembler aux êtres humains, mais il est bon d’avoir cette possibilité. Les êtres humains sont plus adaptés aux expériences humanisées comme la littérature, le cinéma ou les interactions en face à face. Nous pouvons nous servir de ça pour entraîner une IA à mieux connaître l’expérience humaine. À mon avis, la convergence des progrès en biologie et en technologie n’est pas simplement le résultat de la science humaine, cela fait partie de l’histoire naturelle de notre univers. Je pense que nous sommes à un stade de notre évolution où nous devons trouver le moyen d’être meilleurs, sur le plan éthique, pour construire un meilleur futur, plus créatif, et faire face aux défis existentiels qui se présentent à nous. Nous devons transcender notre passé ou périr. C’est le défi de toute civilisation. Cela signifie que nous devons explorer ces convergences avec l’idée qu’elles nous permettent de nous améliorer. Comment vivre de façon plus éthique ? La question se pose, et nous avons besoin d’y apporter des réponses nouvelles. Pour cela, il nous faut être plus créatifs et innovants. Crédits : Justine Molkhou Alors comment créer des modèles plus complexes qui rendront l’existence meilleure ? Il nous faut développer notre intelligence pour pouvoir mieux appréhender l’existence et imaginer de meilleures façons de préserver la vie. Voilà pourquoi créer de nouvelles formes de vie est une bonne chose : aller de l’avant est quelque chose de naturel. Il faut se garder de la tentation de privilégier le court-terme qui favorisent des mécaniques de domination d’un individu sur l’autre, d’une culture sur l’autre ou d’une nation sur l’autre. La convergence de la technologie et de la biologie est nécessaire pour créer des échanges où tout le monde peut être gagnant. Cela devrait être notre but : comment se servir des machines et l’IA pour sauver l’humanité et la planète. Je suis fier de la manière avec lesquelles mes équipes créent des robots ou des IA pour faire le bien. Sophia a déjà fait la promotion d’objectifs de développement durables des Nations unies. Je pense aussi que le storytelling, la bonne science-fiction, améliore la condition humaine, elle nous permet d’examiner ces sujets importants. Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour sensibiliser les gens. Les deepfakes, les algorithmes comme armes de propagande de masse ou de neuro-hacking sont effrayants. C’est pour ça qu’il nous faut définir un cadre éthique pour utiliser ces outils. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous en emparer pour sensibiliser le monde, pour le rendre mieux informé, plus créatif ? Le neuro-hacking est perçu comme quelque chose de mauvais mais tout nouvel élément culturel ou artistique est une forme de neuro-hacking. Les bonnes idées hackent notre réalité en ouvrant de nouvelles possibilités. C’est le pouvoir de la science et du storytelling. En 2022, il n’y a pas qu’un seul Philip K. Dick, il y en a des centaines. Peut-être qu’ils s’expriment par d’autres biais qu’à travers la littérature de science-fiction. Le risque est qu’une abondance d’information poussent des gens à revenir aux vieux paradigmes. C’est là que faire de l’exploration et de la création un jeu est très important. C’est là que Sophia trouve une raison d’être. Couverture : ITU Pictures L’article Voilà à quoi ressembleront les robots du futur selon le créateur de Sophia est apparu en premier sur Ulyces. Texte intégral 2718 mots
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Sophia a-t-elle un futur ?
Quelles sont les applications pratiques de ces androïdes ?
Comment les robots peuvent-ils changer notre façon d’apprendre ?
Comment êtes-vous entré dans l’univers de la robotique ?
Pourrait-elle à terme développer une forme de conscience ?
Les robots du futur seront-ils un mélange de technologie et de biologie ?
Les robots peuvent-ils rendre l’humain meilleur ?
24.05.2023 à 00:00
Les secrets de la bromance entre Hollywood et la NASA
Ground control to Major Tom… C’est officiel, Tom Cruise tournera le premier long-métrage dans l’espace en octobre 2021. Accompagné du réalisateur Doug Liman (La Mémoire dans la peau, Edge of Tomorrow), l’acteur américain prendra place à bord d’une capsule Crew Dragon de SpaceX pour rejoindre la Station spatiale internationale, où les deux hommes tourneront un […]
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Ground control to Major Tom… C’est officiel, Tom Cruise tournera le premier long-métrage dans l’espace en octobre 2021. Accompagné du réalisateur Doug Liman (La Mémoire dans la peau, Edge of Tomorrow), l’acteur américain prendra place à bord d’une capsule Crew Dragon de SpaceX pour rejoindre la Station spatiale internationale, où les deux hommes tourneront un film au contenu encore mystérieux. Au lendemain d’une annonce similaire de la part de la Russie, qui veut elle aussi tourner le premier film dans l’espace à l’automne prochain, la NASA a confirmé l’annonce faite pour la première fois en mai 2020 : un film hollywoodien sera bien tourné à bord de l’ISS l’année prochaine. Le climax d’une longue relation entre l’industrie cinématographique américaine et l’Agence spatiale américaine. https://twitter.com/JimBridenstine/status/1257752395750289409?ref_src=twsrc%5Etfw Le ciel est couvert en cette fin de matinée à Los Angeles, donnant un air morne aux entrepôts qui bordent les boulevards de North Hollywood. 7115 Laurel Canyon Blvd, nous y sommes. Un vaste bâtiment de brique rouge aux fenêtres flanquées de barreaux noirs, surmontées d’un panneau indiquant « Global Effects, Inc. ». Un décor pour le moins inhospitalier. Aucun touriste en vue pour le prendre en photos. On est loin de l’aura glamour qui entoure les studios de tournage qui fleurissent aux pieds des collines d’Hollywood. L’endroit n’en renferme pas moins de magie : j’ai rendez-vous avec un des plus grands accessoiristes américains, spécialisé dans la confection de combinaisons pour les grands drames spatiaux, d’Armageddon à Seul sur Mars. Je remonte l’allée qui mène au parking privé de l’entrepôt. La zone est déserte, les volets sont tirés. Suis-je vraiment au bon endroit ? En promenant mon regard aux alentours, je remarque les pièces détachées d’une navette spatiale, dissimulées sous des bâches grises. On dirait bien. Je frappe à la porte de service métallique sur laquelle un panneau défraîchi souhaite la bienvenue aux visiteurs. Des pas se font entendre, la porte s’ouvre sur un visage sévère aux cheveux frisés en bataille. À la mention de la raison de ma venue, il s’éclaire d’un sourire. Chris Gilman confirme que je suis à bon port et m’invite à entrer. Derrière lui s’étendent les rayonnages de sa caverne d’Ali Baba, remplis de costumes, de casques et d’accessoires en tout genre. Et sur les murs, des affiches de blockbusters au succès desquels lui et son équipe ont contribué. « Bienvenue chez Global Effects », dit-il. « On sait aussi faire des monstres, mais nous avons levé le pied de ce côté-là », explique Chris Gilman tandis que nous commençons à parcourir les allées du studio. Voilà trente ans que l’accessoiriste est dans le métier, et plus de vingt qu’il a fondé Global Effects. À l’étage sont alignées des armes et armures médiévales, que l’équipe a conçues pour des films comme Le 13e Guerrier et Le Dernier samouraï, sur lesquels il passe rapidement. Car c’est en bas que sont exposées les créations qui ont fait sa renommée dans le milieu. « Mon premier succès », dit-il en s’arrêtant devant une tenue bactériologique jaune familière. Et pour cause, elle est tirée du film Alerte ! avec Dustin Hoffman. « Dans la vraie vie, elle ne vous protégerait contre aucune contagion », dit-il avec un sourire. « J’ai designé cette visière de façon à ce qu’on puisse voir le visage de Dustin quel que soit l’angle de caméra. Mais question sécurité, c’est une vraie passoire. » Chris Gilman n’a pas toujours été attiré par le monde du cinéma. Sa première passion était pour les étoiles. Son père était patron d’une entreprise de soudure et il a travaillé sur les systèmes de survie des missions Apollo. Gilman avait 12 ans quand il a appris à souder, et il se voyait devenir soudeur jusqu’à ce que l’entreprise familiale ne frôle la ruine après la fin du programme, en 1975. À 19 ans, le jeune Chris Gilman a finalement mis les voiles et tenté sa chance à Hollywood. La première leçon qu’il a apprise sur un tournage a été déterminante pour la suite de sa carrière. « Hollywood est le royaume du faux », dit-il d’un ton catégorique. « Du moment que ça passe bien à l’image, les accessoires peuvent être de mauvaise qualité. Ce n’est pas ma façon de travailler. » C’est avec cette conviction chevillée au cœur qu’il s’est lancé à son compte et qu’il a pu faire son trou durablement, en concevant des combinaisons spatiales ultra-réalistes. « Une véritable combinaison spatiale, c’est plus complexe qu’une grenouillère en alu surmontée d’un bocal », commente-t-il en ironisant sur celles des films de science-fiction de sa jeunesse. Ses combinaisons à lui sont criantes de réalisme. Elles sont méticuleusement classées par ordre chronologique et niveau de détails. « Celles-ci sont actuellement utilisées par les astronautes de l’ISS », dit-il. Des combinaisons blanches qu’on appelle EMU, pour Extravehicular Mobility Unit. D’autres sont brodées du logo de SpaceX. « Celles-là n’ont pas été conçues pour un film, c’est un prototype qui nous a été commandé par Elon Musk », explique-t-il d’un ton égal. Le PDG de SpaceX et Tesla aurait insisté sur le fait que les costumes devaient avoir l’air « badass ». La plupart des autres combinaisons portent le sigle bleu et rouge de la NASA. Après que Chris Gilman a consulté les spécialistes de l’agence spatiale pour reproduire avec le plus d’exactitude possible leurs combinaisons, ils sont venus le chercher à leur tour pour en concevoir de nouvelles pour les astronautes. Gilman a alors créé une filiale baptisée Orbital Outfitters pour ses clients issus du monde de l’exploration spatiale. Son design de combinaison pour sortie extravéhiculaire (EVA) est aujourd’hui exposé au Johnson Space Center, la maison-mère des astronautes américains, où sont gérées toutes les opérations de l’ISS et du programme Orion. Cette collaboration à double sens est l’incarnation parfaite de l’histoire d’amour que vivent Hollywood et la NASA. Une romance qui culminait il y a quelques années avec Seul sur Mars et qui a débuté il y a bien longtemps, avant même que l’homme ne marche pour de vrai sur la Lune. Le premier pas a été fait par un réalisateur visionnaire. En 1964, à peine sorti de la production de Docteur Folamour, Stanley Kubrick s’attelle à la préparation de son long-métrage suivant, 2001, l’Odyssée de l’espace (1968). Soucieux de représenter sa mission spatiale de la façon la plus réaliste possible, le cinéaste se tourne vers des techniciens de la NASA pour l’aider à mettre au point son odyssée métaphysique. Il s’alloue les services de Harry Lange, ancien chef décorateur allemand à l’époque responsable de la section des futurs projets de la NASA, où il imagine des prototypes d’engins spatiaux. Après avoir fait la connaissance d’Arthur C. Clarke, l’auteur de 2001, Lange accepte de se joindre à l’équipe. C’est à lui qu’on doit la majeure partie des décors et combinaisons spatiales du film. L’écrivain convainc également Frederick Ordway III de participer à l’aventure. Il officie pour sa part comme conseiller de la NASA au Marshall Space Flight Center. Durant le tournage, il prodigue des conseils scientifiques à Kubrick. Mais 2001, l’Odyssée de l’espace n’est pas l’unique liaison que le réalisateur de Shining a entretenu avec l’Agence spatiale américaine. La seconde a tissé des liens plus organiques encore entre son cinéma et la NASA, malgré un sujet très éloigné des étoiles. Presque dix ans après s’être attaqué à la conquête spatiale, Kubrick entreprend le récit d’une conquête toute terrestre avec Barry Lyndon (1975). C’est à nouveau un souci de réalisme qui pousse le cinéaste à reprendre contact avec l’agence spatiale en 1972. Il veut filmer son nouveau long-métrage en lumière naturelle, sans ajouter de projecteurs. Mais à l’époque, les objectifs utilisés traditionnellement au cinéma ne sont pas assez sensibles pour que la lumière de chandeliers suffise à impressionner la pellicule. Lorsque Ron Howard entreprend la préparation du tournage d’Apollo 13 (1995), son film catastrophe avec Tom Hanks et Kevin Bacon, il veut lui aussi coller au plus près de la réalité. Et pour cause, le film est adapté de Lost Moon: The Perilous Voyage of Apollo 13, le livre écrit par le commandant de la mission James Lovell, paru 24 ans après son retour sur la terre ferme. Le cinéaste et son producteur Todd Hallowell tiennent absolument à ce que l’impression d’apesanteur soit réaliste. Mais à l’époque, près de vingt ans avant Gravity, il n’existe pas de moyen de simuler un environnement en gravité zéro de façon réaliste. Le bruit a couru pendant un temps qu’ils avaient utilisé une chambre anti-gravité de la NASA, ce qui fait encore rire Hallowell. « C’est une légende urbaine. Je me demande toujours comment les gens ont pu croire qu’une telle chambre existait et fonctionnait réellement », raconte-t-il aujourd’hui. En 1995, il n’existait que deux moyens d’échapper à la gravité : ou bien monter à bord d’une fusée, ou bien à bord d’un avion KC-135A de la NASA. L’appareil est entré en service l’année de la préparation du tournage, en 1994, et il a effectué son dernier vol dix ans plus tard, en octobre 2004. Utilisé pour plonger les astronautes en apesanteur durant leur entraînement, il dessinait des paraboles à 45° dans les airs durant lesquelles l’équipage échappait à la gravité pendant environ 25 secondes, avant de soudainement retomber contre ses parois matelassées. « Chaque vol comptait entre 40 et 60 paraboles », disent les archives de la NASA. La presse lui avait à l’époque attribué le surnom de Vomit Comet, pour des raisons évidentes. Les acteurs d’Apollo 13 ont réalisé au total plus de 1 500 paraboles au cours du tournage. Des trois acteurs principaux du film, Kevin Bacon était le moins partant pour tenter l’expérience. « Je ne sais pas si une recherche de réalisme aussi approfondie est nécessaire », disait-il à Ron Howard, d’après les souvenirs de Todd Hallowell. Mais quand le cinéaste lui a répondu que les deux autres étaient impatients de se lancer dans l’aventure, il n’a pas voulu passer pour le dégonflé de la bande et a cédé. L’équipe s’est ensuite adressée à Bob Williams, qui était alors en charge du programme de vols en gravité réduite de la NASA. Il n’était pas très enthousiaste à l’idée de les rencontrer. « On s’attendait à voir débarquer une bande de divas hollywoodiennes », se rappelle-t-il. Mais la méfiance des scientifiques a rapidement laissé place à la stupéfaction face à la ténacité et la discipline des acteurs, loin des stars capricieuses qu’ils redoutaient d’avoir à supporter. Néanmoins, l’agence craignait que le fait d’évoquer l’échec d’une mission ne nuise à son image. Pris au piège de leur vaisseau, les trois astronautes avaient dû se réfugier dans le module lunaire de la fusée, qui n’était pas prévu pour accueillir aussi longtemps la vie humaine. Il a fallu un courage immense à l’équipage pour conserver leur calme et faire face à la situation, tandis que les équipes au sol faisaient le nécessaire pour les ramener sur Terre sain et sauf. Finalement, l’histoire a connu un happy end : Jim Lovell et ses coéquipiers ont été secourus et s’en sont tirés sans dommages. Une histoire rocambolesque mais au final peu reluisante pour la NASA. Malgré cela, Ron Howard est parvenu à les convaincre de l’aider en se proposant de l’aborder sous l’angle du triomphe de la volonté et de l’ingéniosité humaines. L’excellente réception du film a achevé de convaincre la NASA qu’il y avait des bénéfices considérables à tirer de sa participation à des œuvres de divertissement. Vingt ans plus tard, au moment de collaborer à nouveau avec Ron Howard pour la série docu-fictionnelle Mars (2016), l’Agence spatiale américaine est dotée d’un service sélectionnant les projets de films auxquels elle apporte son concours : rien de tel qu’un héros hollywoodien pour inscrire ses objectifs dans l’imaginaire collectif. Depuis sa création en 1958, après la promulgation par Eisenhower du premier Space Act, l’Agence spatiale américaine a pour devoir de disséminer autant que possible les informations concernant ses activités et ses objectifs. Mais ce n’est qu’après le succès d’Apollo 13 que l’administration Clinton a eu l’idée de créer un service de liaison multimédia en bonne et due forme à la NASA. « Notre mission est essentiellement de raconter les histoires de l’agence de façon divertissante », résume Bert Ulrich, à la tête du service depuis 2005. « Je n’appellerais pas cela de la propagande, mais on essaie d’inspirer les enfants en les faisant regarder vers les étoiles. » Les producteurs contactent souvent d’eux-mêmes l’agence pour les besoins du tournage. C’était notamment le cas du premier volet d’Avengers, dont la séquence d’ouverture se déroule au « NASA Space Radiation Facility » – imaginé pour le film. Lorsque Bert Ulrich a reçu le scénario, il a répondu à l’équipe du film que la NASA ne pouvait accepter leur demande car le script ne contenait aucune référence explicite à l’agence. Plutôt que de chercher un autre endroit où tourner les scènes, les scénaristes de la production Marvel ont remanié les premières pages du scénario pour y mettre la NASA en évidence. L’agence leur a alors permis l’accès au centre d’essai de Plum Brook Station. « De cette façon, tout le monde y gagne », explique Bert Ulrich. « Nous sommes une institution gouvernementale, nous ne pouvons pas autoriser de tournage sans raison valable. » Et la portée culturelle d’un blockbuster tel qu’Avengers est une raison très valable pour l’Agence spatiale américaine. Pour autant, les bénéfices de la NASA ne se mesurent pas en termes financiers. Lorsqu’une production a recours aux services de la NASA, elle signe un accord de remboursement des coûts occasionnés par le tournage à l’État. L’agence n’investit pas dans la production, elle mise sur la portée culturelle du cinéma pour ancrer son image dans l’imaginaire du public, partout dans le monde. Ce qui explique qu’elle refuse de participer à certains projets, comme Life. D’autres, comme Seul sur Mars de Ridley Scott (2015), sont accueillis à bras ouverts. « Ridley Scott voulait raconter son histoire de la façon la plus réaliste possible », raconte Bert Ulrich. C’est la raison pour laquelle il a sollicité les services de la Planetary Sciences Division, dont les scientifiques étudient les planètes et autres corps célestes du système solaire, et notamment Mars. L’imagerie du film regorge de références à la NASA, et l’équipe du film a bénéficié de nombreux conseils de la part des scientifiques de l’agence spatiale. « Nous sommes très ouverts », insiste Bert Ulrich, soucieux de ne pas laisser imaginer que l’institution exerce un contrôle sur les films. « Il y a une violente tempête de poussière au début de Seul sur Mars. Comme ce n’est pas très réaliste, nous leur avons conseillé de la changer en orage électrique », raconte-t-il. « Mais Ridley Scott tenait à préserver cet aspect du livre, et nous le comprenons très bien. » Malgré cela, c’est probablement l’envie de garder un contrôle artistique total qui a poussé les réalisateurs de Gravity et Interstellar à refuser le concours de la NASA. Car le processus est à double sens. « Si nous entendons parler d’un film qui touche à des sujets touchant à la NASA, il arrive que nous prenions contact nous-mêmes avec la production », poursuit Bert Ulrich. C’est ce qui est arrivé dans le cas de Gravity et Interstellar. Mais dans les deux cas, les cinéastes ont décliné la proposition. « Je crois qu’Alfonso Cuarón était soucieux d’avoir entièrement la main sur le film », avance-t-il. « Il se trouve que le film est très réaliste à l’arrivée, mais il redoutait sûrement que nous ne pointions certaines incohérences du doigt. » D’après Chris Gilman, de Global Effects, c’est justement d’un certain manque de réalisme dont souffre le blockbuster de Christopher Nolan. « C’est quand même dommage de mettre autant de soin à écrire un scénario pour partir dans l’espace en pyjamas », dit-il en riant. Dans les deux cas, la NASA a néanmoins permis aux films d’utiliser son imagerie. L’impact réel de ces collaborations ne peut évidemment pas être précisément mesuré, mais Bert Ulrich affirme que la NASA est actuellement au sommet d’une vague de popularité. Après une traversée du désert au début des années 2000, les missions de la NASA (de Mars à la découverte d’exoplanètes) n’ont jamais provoqué tant d’engouement chez le public. « Nous participons à plus de 100 documentaires chaque année ; nous sommes très heureux du succès des Figures de l’ombre ; et j’attends le scénario du prochain film du réalisateur de La La Land – un biopic sur Neil Armstrong avec Ryan Gosling », dit-il. « Il y a une vraie soif d’exploration spatiale et de découverte scientifique chez la jeune génération. » Un intérêt que la NASA s’échine à entretenir, notamment par le biais de la télévision et du cinéma. Ils nourrissent ainsi l’espoir d’inspirer la jeunesse américaine et de préserver leurs budgets. Jusqu’ici, la stratégie s’est avérée payante. Le 21 mars 2017, après avoir limité la casse quant aux coupes que l’agence spatiale redoutait, le président Donald Trump a signé le NASA Transition Authorization Act pour 2017, projetant notamment de poser le pied sur Mars d’ici 2030. Il a sûrement adoré Seul sur Mars. Couverture : Le faux équipage de la NASA dans The Martian, de Ridley Scott. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionné d’électronique et de programmation. Je viens de Tshwane, en Afrique du Sud, et mon nom est Francois Rautenbach. Je me décris souvent comme un « hacker perpétuel » : je n’aime rien tant que de percer les mystères du fonctionnement des ordinateurs. Et pour ça, il faut vraiment se plonger dans leurs entrailles et déchiffrer la façon dont leurs éléments fonctionnent ensemble. Il y a environ deux ans, j’ai lu un livre à propos de l’Apollo Guidance Computer, écrit par l’historien de la NASA Frank O’Brien. Il expliquait comment cet ordinateur de navigation révolutionnaire avait été inventé dans les années 1960, et détaillait son fonctionnement. Je me suis pris de passion pour cette machine et je l’ai finalement sauvée de la destruction alors que son possesseur s’apprêtait à le jeter à la casse… L’article Les secrets de la bromance entre Hollywood et la NASA est apparu en premier sur Ulyces. Texte intégral 4864 mots
Global Effects
Zéro G
« Kubrick avait besoin d’un objectif ultra-sensible comme seule la NASA en utilisait à l’époque », raconte Adam Savage, animateur de l’émission MythBusters sur la chaîne Discovery. « Il leur a donc acheté le célèbre objectif scientifique de Zeiss, qui ouvrait à f/0,7, et il l’a fait monter sur une caméra Mitchell 35 mm. » Lorsque Barry Lyndon sort en salles, la beauté stupéfiante des images met la puce à l’oreille d’autres réalisateurs, qui commencent à comprendre qu’il y a un bénéfice certain à tirer de collaborations comme celle-ci. La NASA, de son côté, profite pour la seconde fois de l’aura légendaire qui entoure les films du réalisateur. C’est le début d’une lente prise de conscience. Il faudra attendre encore vingt ans avant que sorte le premier blockbuster auquel la NASA participe officiellement.
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Vers Mars et au-delà
COMMENT LA NASA A INVENTÉ LE PREMIER ORDINATEUR MODERNE
Un hacker raconte le sauvetage du premier micro-ordinateur envoyé dans l’espace par la NASA. Leur exploit technologique allait donner naissance à l’informatique moderne.
I. Apollo 1
Il existait d’autres ordinateurs avant l’Apollo Guidance Computer mais aucun d’eux n’était fabriqué à base de circuits intégrés. Ils étaient composés de transistors et il n’était pas réellement possible de les reprogrammer. Ces machines encombrantes sont considérées comme les premiers ordinateurs de l’histoire, mais ils ne ressemblaient pas aux ordinateurs modernes à puces électroniques. Le relais électromécanique a été inventé dans la première moitié du XIXe siècle. À partir de ce moment-là, la technologie a évolué jusqu’à produire les transistors utilisés sur les premiers ordinateurs, un siècle plus tard. Mais ceux d’alors ne pouvaient pas être miniaturisés. Grâce aux circuits intégrés, les ordinateurs d’aujourd’hui contiennent facilement des milliards de transistors – et bien plus dans les processeurs les plus récents. C’était impossible avant l’invention des circuits intégrés, car on ne pouvait pas les miniaturiser ni les rendre plus rapides. Tout a changé avec l’apparition du silicone et des premiers processeurs. Le circuit intégré utilisé sur l’ordinateur Block I comprenait trois transistors et quatre résistances montés sur une puce. Il s’agissait de la plus petite puce concevable à l’époque – la toute première de l’histoire.
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17.04.2023 à 14:55
La Troisième Guerre mondiale va-t-elle commencer à Taïwan ?
14 mars 2022. Le ministère de la Défense taïwanais est en alerte. La matinée vient à peine de s’achever, et déjà, treize avions militaires chinois ont pénétré la zone d’identification de défense aérienne de l’île. Taïwan est coutumière de ces démonstrations de force. La petite île, qui porte aussi le nom de République de Chine […]
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14 mars 2022. Le ministère de la Défense taïwanais est en alerte. La matinée vient à peine de s’achever, et déjà, treize avions militaires chinois ont pénétré la zone d’identification de défense aérienne de l’île. Taïwan est coutumière de ces démonstrations de force. La petite île, qui porte aussi le nom de République de Chine (RDC) depuis que s’y sont installés des dissidents chinois en exil en 1949, souhaite que son indépendance soit reconnue mondialement. Mais la République populaire de Chine (RPC) la voit toujours comme l’une de ses provinces. Taïwan n’a pourtant jamais été gouvernée par sa grande voisine, ce qui fait dire à quelques États membres de l’ONU – 14 sur 192 – qu’elle est un État indépendant – avec son propre gouvernement, ses frontières et sa souveraineté. Chaque jour ou presque, le site du ministère égrène le type et le nombre d’avions envoyés par le gouvernement chinois pour tester son espace aérien. Pour faire face à toute éventualité, les appareils qui y entrent doivent être rapidement identifiés, localisés et contrôlés. Mais depuis deux ans, la Chine met une telle pression – 969 violations comptabilisées pour la seule année 2021, selon une base de données de l’AFP ; du jamais-vu – que le matin même, un avion taïwanais s’est abîmé en mer de Chine lors d’un entraînement de défense. C’est le sixième depuis 2020… Si l’accident n’a pas fait de victime, deux autres pilotes ont péri par le passé, et trois n’ont jamais été retrouvés. Des avions de chasse chinois en plein entraînement Ces incidents font craindre une escalade dans le conflit entre la République populaire de Chine et Taïwan. D’autant que les principaux intervenants ne semblent pas disposés à faire la moindre concession. « Il n’y a qu’une seule Chine dans le monde, et Taïwan est une partie inaliénable de son territoire », a ainsi tenu à rappeler Zhao Lijian, l’un des porte-paroles du ministère des Affaires étrangères chinois, en conférence de presse dans l’après-midi du 14 mars. Il s’est ensuite adressé aux États-Unis, principaux soutiens de l’île : « Nous avertissons formellement le gouvernement américain : jouer la “carte de Taïwan”, c’est comme jouer avec le feu. » La menace fait écho à l’engagement formulé par Joe Biden, le 21 octobre 2021, de défendre l’île militairement s’il le fallait. Un engagement renouvelé et réaffirmé le 23 mai 2022 lors d’une visite au Japon, pendant laquelle le président américain a déclaré que les États-Unis « seraient forcés d’engager la force militaire si la Chine venait à envahir Taïwan ». La situation politique entre la Chine et Taïwan crée dans l’esprit des observateurs un parallèle avec la situation actuelle en Ukraine, où la guerre lancée par la Russie de Vladimir Poutine fait rage, depuis le 24 février dernier. L’invasion du voisin russe pourrait inspirer à la Chine des velléités guerrières. De quoi réveiller la crainte d’un possible conflit généralisé. Taïwan a une histoire complexe. L’île a connu de nombreux changements successifs de gouvernance. Colonisée par les Espagnols dès 1626, la “Belle Île” est passée aux mains des Néerlandais, puis des Chinois de la dynastie Qing, avant d’être finalement cédée à l’empire du Japon, en 1895. Défaits en 1945, les Japonais remettent Taïwan à l’ONU, qui confie à son tour la stabilisation de l’île à la République de Chine (RDC) gouvernant le continent voisin à l’époque. En 1949, la victoire des communistes de Mao Zedong et la création de la République populaire de Chine (RPC) transforment le statut de l’île : deux millions de dissidents de la RDC s’y réfugient, rejoignant les populations natives ; et s’en emparent. Le soutien des États-Unis date de cette période : en 1950, la guerre de Corée les décide à protéger l’île d’un possible débarquement communiste, en interposant leur flotte. Les américains continuent de reconnaître le régime en place comme étant le seul légitime jusqu’en 1979, date à laquelle ils transfèrent leur ambassade à Pékin et retirent leurs forces de Taïwan. En contrepartie, le Congrès américain vote le Taiwan Relations Act, une loi délibérément ambiguë visant à empêcher une déclaration d’indépendance unilatérale de Taïwan, ou au contraire, une annexion de l’île par la Chine. Bien qu’elle ne garantisse pas l’intervention militaire américaine en représailles d’une invasion, elle autorise Washington à fournir à l’île des moyens de se défendre contre une réunification forcée. Vue aérienne de l’île de Taïwan et des côtes chinoises Xi Jinping, arrivé au pouvoir en 2013, a rendu plus agressive la posture de la Chine vis-à-vis de Taïwan. Comme Vladimir Poutine, il a la volonté farouche de restaurer la grandeur d’un ancien empire qui aurait été dépossédé de ses terres. Par la force, s’il le faut. Dans son discours à la nation russe du 21 février, annonciateur de l’invasion en Ukraine à venir, le chef du Kremlin a d’ailleurs commencé son allocution par des mots très proches de ceux qu’emploie régulièrement le gouvernement chinois : « Pour la Russie, l’Ukraine n’est pas seulement un pays voisin, c’est une partie indivisible de notre histoire, de notre culture, de notre espace spirituel. » Le président chinois Xi Jinping Avec une différence notable, qui a gêné la Chine lors de sa déclaration de soutien à la Russie, face à l’Occident : en fin de discours, Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance et la souveraineté des États sécessionnistes ukrainiens de Donetsk et de Louhansk, alors même que la République populaire s’oppose, elle, à l’indépendance taïwanaise. Cette nuance contraint Pékin à endosser un rôle d’équilibriste, au lendemain de l’offensive lancée par Poutine. Le gouvernement chinois refuse de parler d’invasion et souligne sa « compréhension » des inquiétudes russes pour leur sécurité territoriale. Mais il se garde bien de soutenir l’intervention. « La Chine s’est volontairement mise en retrait pour analyser la gestion russe de l’opération et la réponse des Occidentaux », résume Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales (IFRI). « Elle a été surprise du soutien massif à l’Ukraine et des mesures de rétorsion très fortes contre la Russie, mais cela lui permet d’anticiper de futures sanctions financières en cas de reprise armée de Taïwan. » Autrement dit, ses objectifs vis-à-vis de l’île restent inchangés. Car au-delà des prétentions géographiques et historiques, Taïwan, comme l’Ukraine, a une réelle importance stratégique et économique. Ce n’est pas un hasard si les deux territoires cristallisent les tensions entre le “bloc de l’Est”, mené par la Chine et la Russie, et le “bloc de l’Ouest”, dirigé par les États-Unis, adversaire commun des deux superpuissances. L’Ukraine est un couloir naturel entre l’Eurasie et l’Europe de l’Ouest. Elle offre un accès privilégié à la mer Noire et permet au gaz russe d’être acheminé vers l’Ouest par gazoduc. Et si Taïwan semble n’être qu’un petit territoire perdu en mer de Chine méridionale, l’île est bien plus que cela. « Dans le bassin Indo-Pacifique, Taïwan est fondamental », souligne Yann Roche, président de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand, à Montréal. « C’est la clé pour sortir du littoral chinois en évitant les territoires des alliés des États-Unis. » Dans cette zone géographique qui comprend l’océan Indien et la partie occidentale de l’océan Pacifique, le géant asiatique est en effet bien seul. Au Sud, les Philippines, l’Indonésie et la Malaisie bloquent le passage. À l’Est, le Japon et la Corée du Sud, alliés traditionnels de Washington, occupent l’espace. Cette “première chaîne d’îles” l’empêche de patrouiller dans l’océan Pacifique et de menacer les côtes américaines de ses sous-marins nucléaires. Pour la Chine comme pour les États-Unis, Taïwan fait donc figure de passage géo-stratégique essentiel. Le petit État a d’autres atouts. Économiquement, c’est l’une des plus grandes puissances d’Asie. C’est surtout le principal producteur de semiconducteurs – des composants électroniques – dans le monde, et de loin. L’île fabrique environ 70 % de ces puces indispensables à la production de tout objet électronique, des smartphones au matériel médical. Le marché est prospère ; il représentait 583 milliards de dollars (environ 530 milliards d’euros) en 2021, selon l’entreprise américaine de conseil et de recherche Gartner. Au point que certains pays d’Europe – Allemagne et France en tête – sont entrés en discussion avec Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), la plus importante fonderie de semiconducteurs de l’île, pour que celle-ci implante des usines sur le vieux continent. Les États-Unis aussi s’intéressent de près à ce secteur de l’industrie taïwanaise. Car le marché peut provoquer des fluctuations économiques importantes dans les domaines technologiques. Dès 2020, un ralentissement de la production dû à la pandémie de Covid-19 avait entraîné une pénurie des puces. La fabrication de certains produits, comme les cartes graphiques ou les voitures, avait été réduite ou stoppée, et leurs prix s’étaient envolés. Un levier de pression très utile que la Chine perdrait si l’indépendance de l’île, couplée à un rapprochement des États-Unis et de l’Europe, était actée. À l’évidence, Xi Jinping est résolu à récupérer ces avantages, lui qui appelle régulièrement à la « réunification complète de la patrie ». Quitte à ce qu’en mer de Chine méridionale, la tension reste à son comble. « Seul un engagement militaire massif des États-Unis pourrait, en cas de guerre, sauver l’île », juge Jean-Pierre Cabestan, auteur du livre « Demain la Chine, guerre ou paix ? » Mais de l’autre côté de l’océan Pacifique, le colosse américain a perdu de sa superbe. Les interventions successives à l’étranger – comme en Irak ou en Afghanistan –, souvent impopulaires et ratées, ont écorné son image aux yeux du monde. « Le passé a prouvé que malgré leur impressionnante puissance militaire, il restait difficile pour les États-Unis de gagner des guerres terrestres », analyse Yann Roche. Et le mandat de Donald Trump à Washington a amplifié la volonté, chez les Républicains notamment, « d’arrêter d’être les protecteurs du monde aux frais de la nation. » Le pays de l’Oncle Sam semble douter, et ses prises de positions timorées lors de l’invasion de l’Ukraine ne sont pas pour rassurer ses alliés. Il n’est pas dit que Joe Biden arrive à un consensus total du Congrès en faveur d’une option militaire, si le conflit à Taïwan dégénérait. Pour autant, l’actuel locataire de la Maison-Blanche continue d’assurer Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise, du soutien de son pays. Depuis sa promesse du 21 octobre de défendre l’île militairement face à la Chine, sa position et son discours n’ont pas changé. Ils ont même été renforcés par la récente déclaration du 23 mai, lors de sa visite au Japon. La crise ukrainienne a même raffermi les liens entre Washington et Taipei, confirmant l’allié américain dans son rôle de plus important soutien de l’île à l’international. En Europe, le discours du président n’avait pas été le même. Biden avait assuré, dès le début de l’attaque russe, ne pas vouloir faire intervenir son armée. Du moins, tant que Poutine « ne s’installe pas dans les pays de l’OTAN ». Preuve s’il en est que l’intérêt stratégique des États-Unis se trouve ailleurs. Et raison de plus, pour la Chine, de s’agacer de cette alliance. Elle exprime fréquemment « son vif mécontentement » pour ce qu’elle considère être « de l’ingérence dans ses affaires intérieures ». Au point de multiplier les passages de ses porte-avions dans les eaux du détroit de Taïwan, qui sépare l’île de la Chine continentale. Le jeu est risqué pour les deux camps : en mer de Chine méridionale, les américains mènent eux aussi des « Opérations pour la liberté de la navigation », les Fonops (Freedom of navigation Operations). Leurs navires de guerre parcourent la zone maritime, s’appliquant à « exercer et faire respecter les droits et libertés de navigation à l’échelle mondiale », comme le rappelle le département d’État nord-américain. À force d’intimidation et de provocations de part et d’autre, le risque d’accrochages ou d’affrontements accidentels augmente. Un navire de guerre américain dans le détroit de Taiwan Le début d’un conflit plus étendu, aussi. « Si les deux superpuissances mondiales venaient à s’engager militairement, de nombreux pays suivraient », pressent Marc Julienne. À commencer par le Japon et l’Australie, membres du Quad, une alliance militaire dont les États-Unis et l’Inde font aussi partie ; ou la Corée du Sud. Le Premier ministre australien, Scott Morrison, a abordé frontalement le sujet, le 3 mars, au sortir d’une de leurs réunions virtuelles : « On ne peut pas autoriser que ce qui se passe en Ukraine puisse un jour se produire dans l’Indo-Pacifique. » Dans l’hypothèse d’un conflit, la réponse sera internationale. Dans ces conditions, il paraît peu probable que Pékin lance une opération militaire à Taïwan dans l’immédiat. La Chine a peu d’alliés, le plus important d’entre eux étant déjà sur le front de guerre en Ukraine. Difficile d’imaginer l’Iran, le Pakistan ou la Corée du Nord peser dans une guerre qui serait mondiale, même si les deux derniers possèdent l’arme nucléaire et que Pyongyang a repris ses tirs de missiles balistiques intercontinentaux le 24 mars dernier – une première depuis 2017. Et ces partenariats sont encore loin des alliances américaines, qui impliquent des clauses de défense mutuelle, et des accords de bases et de manœuvres militaires conjointes. Elle-même manque de ravitailleurs en vol et de bateaux amphibies pour transporter ses véhicules militaires. Mais la Chine se prépare, elle modernise et renforce son armée. Tout au long des années 2000, elle n’a eu de cesse d’augmenter son budget de la défense – près de 10 % supplémentaires chaque année, en moyenne, comptabilise le géopolitologue Pascal Le Pautremat dans la Revue Défense Nationale. Ce qui a fait dire au général Mark Milley, chef d’État-Major des armées américaines, lors de son audition au Congrès du 17 juin 2021, qu’il tablait sur une fin des préparations chinoises à l’horizon 2027-2035. « Le ministre de la Défense taïwanais, Chiu Kuo-cheng, prévoit même une possibilité d’invasion “totale” de l’île d’ici 2025 », acquiesce Marc Julienne, avant de s’exclamer : « En terme d’horizon stratégique, autant dire que c’est demain. » D’ici là, il est fort probable que la Russie aura fini sa campagne ukrainienne, dont on se rappellera peut-être, qui sait, qu’elle a été le premier acte du basculement du monde vers une troisième grande guerre. Couverture : Reuters L’article La Troisième Guerre mondiale va-t-elle commencer à Taïwan ? est apparu en premier sur Ulyces. Texte intégral 3356 mots
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