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26.03.2024 à 13:18

Fermer les librairies, asphyxier les cerveaux : un nouveau chapitre de la dystopie islamophobe.

Nadia Meziane

« Il fallait le faire ». C’est la phrase par laquelle Jean-Jacques Bourdin introduit avec un ton admiratif l’épopée présumée courageuse d’un journaliste de l’Express sur Sud Radio. Celui-ci ne revient pas de Gaza sous les bombes. Il a simplement pris le métro et le RER pour visiter deux librairies musulmanes, à Aubervilliers et à Argenteuil. L’épopée a consisté à pousser la porte de deux commerces en accès libre, à feuilleter les livres, à parler avec quelques clients puis à rentrer chez lui. On peut lui accorder qu’en cette période de travaux liés aux J0 sur le réseau de transports en commun, le voyage ait pu être fastidieux, nous l’éprouvons tous les matins en allant travailler. A part cela, la phrase de Jean Jacques Bourdin relève de la mise en scène obligatoire du séparatisme présumé des musulmans lorsqu’il s’agit de réprimer. Une pure inversion accusatoire qui fonctionne socialement. En écoutant Sud Radio, toute personne non musulmane et éloignée de la communauté en déduira qu’il est interdit et dangereux d’entrer dans une librairie islamique (1). Elle n’ira donc jamais pousser la porte et restera persuadée que ce sont les musulmans qui créent cette situation. La réalité est évidemment toute autre et inversée, c’est la peur d’entrer en contact avec les musulmans qui génère leur isolement dans la société française et permet leur persécution. Depuis plusieurs semaines, en effet, aux attaques contre les écoles, collèges et lycées musulmans, à celles contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, s’ajoutent désormais celles contre…
Texte intégral (4829 mots)

« Il fallait le faire ». C’est la phrase par laquelle Jean-Jacques Bourdin introduit avec un ton admiratif l’épopée présumée courageuse d’un journaliste de l’Express sur Sud Radio. Celui-ci ne revient pas de Gaza sous les bombes. Il a simplement pris le métro et le RER pour visiter deux librairies musulmanes, à Aubervilliers et à Argenteuil. L’épopée a consisté à pousser la porte de deux commerces en accès libre, à feuilleter les livres, à parler avec quelques clients puis à rentrer chez lui. On peut lui accorder qu’en cette période de travaux liés aux J0 sur le réseau de transports en commun, le voyage ait pu être fastidieux, nous l’éprouvons tous les matins en allant travailler.

A part cela, la phrase de Jean Jacques Bourdin relève de la mise en scène obligatoire du séparatisme présumé des musulmans lorsqu’il s’agit de réprimer. Une pure inversion accusatoire qui fonctionne socialement. En écoutant Sud Radio, toute personne non musulmane et éloignée de la communauté en déduira qu’il est interdit et dangereux d’entrer dans une librairie islamique (1). Elle n’ira donc jamais pousser la porte et restera persuadée que ce sont les musulmans qui créent cette situation. La réalité est évidemment toute autre et inversée, c’est la peur d’entrer en contact avec les musulmans qui génère leur isolement dans la société française et permet leur persécution.

Depuis plusieurs semaines, en effet, aux attaques contre les écoles, collèges et lycées musulmans, à celles contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, s’ajoutent désormais celles contre les librairies musulmanes.Comme souvent, tout a commencé par un ballon d’essai répressif local contre un commerce de Nice qui vend des livres mais également des vêtements. Le préfet des Alpes Maritimes a décidé d’une fermeture administrative qu’il a immédiatement médiatisée. Il arguait pour justifier son interdiction de la vente des écrits d’un imam du 14ème siècle, lequel n’était ni féministe ni pro LGBTQI +. Chose tout à fait répandue à l’époque, on en conviendra, et que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages musulmans ou non, vendus aujourd’hui dans toutes les librairies. L’arrêté de fermeture a été suspendu par la justice administrative , La Préfecture a immédiatement fait appel (2). Dans le même temps, la médiatisation donnait la possibilité à Christian Estrosi maire de Nice d’ajouter des griefs supplémentaires : la fréquentation en hausse de la librairie, le fait que ce soient des jeunes qui s’y rendent et le fait qu’elle soit en centre-ville.
On ne saurait mieux formuler les choses concernant le problème posé par les librairies musulmanes au gouvernement et à ses organes administratifs : elles vivent, elles sont animées et le public qui les aime est jeune. Et visiblement musulman, puisqu’Estrosi parlera également des abayas et des hijab qui y sont vendus.

Mais ce problème posé par les librairies est évidemment aussi celui posé par la communauté musulmane tout entière, dont la vitalité grandissante signe l’échec de la brutalité répressive déployée ces dernières années et institutionnalisée au travers de la loi Séparatisme comme de l’inscription des principales règles de l’état d’urgence dans le droit commun.

Contrairement à ce qui a été dit lors du dévoilement de quelques enrichissements personnels au travers du Fond Marianne, l’argent public n’a pas été mal employé, les structures du Ministère et leurs affidés associatifs n’ont pas démérité. A aucun moment, il ne s’agissait en effet de défendre des principes démocratiques, ou la conception idéale d’une République fantasmée comme bienveillante et protectrice envers ses minorités. C’est la traque de toute expression autonome musulmane qui était visée, et la tentative de soumettre en faisant des exemples qui était l’objectif . De fait le fond Marianne a permis à des chasseurs de prime de viser des individus, des associations précises, de les harceler sur les réseaux, de permettre la ruine de leurs projets, et surtout de banaliser l’idée qu’un cordon sanitaire devait être établi autour des structures musulmanes, mais aussi des musulmans eux même, notamment les activistes (3).

Car sans ce cordon, il était fort possible de se trouver qualifié très vite d’islamo-gauchiste, d’être mis en cause si l’on était élu, menacé dans son travail si l’on était chercheur, stigmatisé si l’on était défenseur des droits humains et privé de subvention si l’on avait une association non musulmane qui ose parler contre l’islamophobie ou travailler avec des musulmans trop visibles.
Cependant ni le cordon sanitaire, ni la répression, ni les dissolutions n’ont eu l’effet escompté. D’une part parce que l’atmosphère de terreur a certes paralysé mais elle a aussi mis en lumière au cœur des silences sidérés du début des années 2020, ceux qui ne se taisaient pas. Ceux qui étaient déjà dans le collimateur, ceux qui étaient déjà les plus activistes et contestataires dans la communauté, quelles que soient leurs traditions originelles. A partir de la dissolution du CCIF ,la lutte contre l’islamophobie va appartenir pendant quelques temps seulement à ceux qui veulent encore la mener, ce dont témoignera par exemple la disparité des intervenants et intervenantes lors du rassemblement parisien contre l’expulsion d’Hassan Iquioussen  (3).

C’est ce substrat là qui va nourrir une jeunesse arrivée en politique en étant à la fois très musulmane mais aussi très affirmée et revendicative, parce que bénéficiant des apports des luttes qui vont suivre l’enfermement de toute une génération pendant la pandémie .

Comme tout le reste de la jeunesse en lutte, la jeune génération musulmane a une caractéristique : les débats des générations plus anciennes ne la touchent pas, et elle existe sans se justifier de le faire, et en étant dans l’attitude inverse, l’exigence de justification formulée au pouvoir et à ses soutiens. La jeunesse écologiste radicale ne se justifie pas devant les grands industriels pollueurs elle attaque. La jeunesse musulmane ne répond pas à la morale des laïcistes, elle l’affronte comme entrave à son droit d’exister comme elle est, partout où elle est.

Le mouvement de solidarité avec la Palestine né immédiatement après le 7 octobre a rendu visible cette révolution générationnelle. Le gouvernement et les islamophobes ont pensé que l’interdiction des manifestations, la pression sur les mosquées mais aussi sur les associations et collectifs existants suffirait à dissuader la majorité de descendre dans la rue. Mais les moins de 25 ans étaient déjà accoutumés aux manifs interdites et ils n’avaient pas de subventions ou de structures à préserver. Ce sont donc eux et elles qui ont porté massivement le mouvement dans ses débuts, protégé de fait les organisations musulmanes qui ont appelé à manifester d’un écrasement immédiat,  et fait exploser le carcan de terreur pratique et idéologique. Quand il n’y a rien à dissoudre, les menaces de dissolution tombent dans le vide ou plutôt au milieu d’une foule qui en est au tout début de la construction de nouvelles structures, et ne pense encore que par le mouvement. Cette réalité s’était évidemment également manifestée lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Même la répression aveugle et féroce n’a pas empêché l’émergence à peine trois mois plus tard du mouvement contre l’extension de la loi de 2004, extension défensive née à la suite d’une rébellion organisée par de très jeunes filles sur les réseaux sociaux , de manière volatile et incontrôlée, dès l’année scolaire précédente.

C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire la nouvelle stratégie du CIPDR et de ses affiliés idéologiques : un contexte réactif qui ne relève pas de la persécution unilatérale mais de l’émergence d’un rapport de forces inédit dont l’état est parfaitement conscient. En témoigne symboliquement l’évolution de la porte-parole intellectuelle du Ministère , Florence Bergeaud : longtemps acharnée à dénoncer des « réseaux » travaillant de l’intérieur une communauté musulmane faible, soumise à toutes les influences néfastes mais encore sauvable si l’on détruisait les vecteurs de dangers en son sein , elle finit par proclamer , qu’à l’heure actuelle tous les musulmans deviennent de fait des Frères Musulmans, terme par lequel elle nomme non pas une organisation existante , mais l’objet fictif de son narratif islamophobe.

Cette évolution est également celle du CIPDR qui dans un des premiers tweets consécutifs à la nomination d’un nouveau préfet, mettra immédiatement en avant un nouveau concept, visant à remplacer celui de réseaux : les « écosystèmes islamistes »(5).

La définition la plus simple d’un écosystème est la suivante : il s’agit d’un ensemble d’être vivants qui vivent au sein d’un milieu ou d’un environnement spécifique et interagissent entre eux au sein de ce milieu et avec ce milieu.
Elle suffit amplement pour comprendre ce qui se produit actuellement, et notamment l’offensive qui démarre contre les librairies musulmanes.
Face à l’essor d’une communauté vécue comme antagoniste , il y a toujours deux voies pour l’adversaire politique : la première consiste à tenter de contrôler, de négocier des accommodements raisonnables , de permettre l’émergence de leaders et de structures qui souhaitent s’engager dans une co-construction tenant compte des volontés étatiques. Ce fut notamment la stratégie engagée au milieu des années 2000 lorsque la droite classique française décida de choisir ses interlocuteurs au sein des communautés musulmanes, en pensant que l’alliance des conservatismes pouvait être un facteur de renforcement de la stabilité du pays, notamment par rapport aux mouvements sociaux et sociétaux plutôt antagonistes au libéralisme dans lesquels évoluaient les mouvements de l’immigration musulmane axés sur la lutte sociale et antiraciste.

La seconde qui est évidemment celle choisie dans le contexte de l’islamophobie d’état comme pilier de la conservation du pouvoir face à la possibilité de sa conquête par le RN , est celle de la destruction systématique de tous les éléments qui peuvent entraîner des sociabilités positives et permettre aux énergies créatrices d’une nouvelle génération de s’épanouir dans la durée.
Ceci passe d’abord par des messages clairs sur la non-reconnaissance absolue de toute représentation musulmane avec qui négocier. C’est la raison pour laquelle l’état choisit de s’attaquer à des figures aussi intégrées dans le champ politique et religieux français qu’Hassan Iquioussen ou le lycée Averroès. Ou à des personnalités comme Ahmed Jaballah qui ont été des piliers dans les années 2000 et 2010. Cela va de concert avec les offensives menées contre ceux de l’immigration musulmane qui incarnaient les seules possibilités de réussite sociale brillante en France, notamment les sportifs ou les influenceurs comme Nabil Enasri. Ce message là est principalement adressé à l’électorat raciste et vise à dissiper les ambiguïtés : il s’agit bien de destruction intégrale des élites et de construire un modèle français ou il faudra soit abandonner l’islam soit le faire tellement discret que cela reviendra à s’anéantir soi-même.
C’est aussi à cet électorat là que s’adresse la banalisation progressive de la déchéance de nationalité, qui suit celle du régime des dissolutions. On l’applique d’abord à des jeunes condamnés pour des infractions terroristes (6) ou des personnalités marquées par un passé indéfendable à gauche comme Kemi Seba (7). Mais le message électoral délivré aux électeurs du RN est clair : la nationalité française ne protège plus les fameux « français de papier » dont on fera au besoin des apatrides en arguant de leur possibilité imaginaire de demander une autre nationalité.
Ces messages et ces pratiques visent à faire évoluer profondément le récit islamophobe qui s’était construit dans une phase moins offensive sur la distinction entre « islamistes » et « musulmans » : il s’agit de le faire correspondre au désir des français convaincus par le récit conspirationniste éradicateur du Grand Remplacement, où toutes les figures possibles du Musulman incarnent un seul et même danger absolu.

Dans le même temps, ces actions marquantes mais symboliques se doublent d’un projet sur le long terme, beaucoup plus massif : frapper le biotope en même temps que la biocénose

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’offensive qui commence contre les librairies musulmanes : les mosquées font déjà l’objet d’un contrôle tel de l’expression des imams qu’elles ne sont pas le lieu possible d’une socialisation qui intègre les luttes du moment contre l’islamophobie. Sommés de suivre une charte même dans leurs prêches, bientôt astreints à un statut encore plus infériorisant, les imams sont l’objet d’une telle pression permanente que le moindre de leurs propos peut donner lieu à la stigmatisation sociale ET à la répression. De la même manière, ceux qui sont appelés « prédicateurs » ont certes la possibilité de faire leurs prêches sur les réseaux mais voient leurs réunions interdites.

Les librairies et plus globalement les commerces à tonalité religieuse sont donc par nature un des espaces où la vie musulmane peut s’exercer, en dehors des temps de lutte et de mobilisation politique. Elles sont un espace de diffusion, de rencontre, mais aussi pour celles et ceux, nombreux et nombreuses qui reviennent à l’islam, un lieu plus facile d’accès que bien d’autres, où il est possible de venir comme on est. Contrairement aux racontars islamophobes, ce sont effet des lieux ouverts et accueillants pour la plupart. Leur essor correspond aussi à celui des maisons d’édition musulmane et répond à la fois à une demande de savoir spirituel, historique et politique mais aussi au besoin d’écrire et de publier librement. Le développement de toute communauté passe par sa forme propre d’expression culturelle : or l’islamophobie structurelle contraint l’essayiste, le romancier ou le dessinateur à s’amputer de sa créativité dès lors qu’elle revêt une dimension trop religieuse pour les maisons d’édition française.
C’est cette créativité interdite d’existence dans le champ majoritaire qui panique les islamophobes : en témoignent les derniers reportages sur les librairies, où l’on fait la liste de tout ce qu’on peut y trouver. Des BD, des albums pour les enfants , tout autant que des imams du 14ème siècle. Soit un islam vivant, fertile et multiple. Chaque librairie est effectivement un écosystème florissant. A terme, évidemment , il permettra l’émergence non plus seulement d’une sociabilité réactive contre l’islamophobie mais d’une génération éduquée, consciente et épanouie librement dans la Foi qu’elle a choisie, dotée de l’autonomie nécessaire pour se construire dans la société qui l’entoure.

Soit très exactement le pire cauchemar islamophobe qui soit. Nous sommes face à un pouvoir qui pense pouvoir contrôler et utiliser le désespoir et la violence éventuelles. C’est son pari envers tous les antagonismes qu’il peut susciter et pas seulement contre les musulmans. Mais dans ce dernier cas, l’on n’est pas face seulement à une gestion impitoyable de chaque résistance qui émerge, au coup par coup mais dans une offensive qui est existentielle Le nationalisme français actuel ne tire sa force que de son jeu de miroir avec l’islam à éradiquer. La politique de la déforestation et de la terre brûlée est donc pensée, organisée et assumée. Et ce évidemment aussi parce qu’elle correspond au désir d’une partie de la population : les jeunes écologistes soumis eux aussi à la répression et la stigmatisation sous couvert d’anti-terrorisme restent les enfants du pays dans l’imaginaire collectif majoritaire, et le pouvoir macroniste se revendique d’ailleurs dépositaire d’une écologie raisonnable et de la même famille, finalement, que les activistes radicaux.
A part les musulmans, personne ne s’identifie aux musulmans dans la population française vieillissante. Seules les jeunes générations qui n’ont pas encore accédé au pouvoir se mêlent sans souci, en acceptant réciproquement leurs différences. C’est cet avenir qui est en germe dans les luttes actuelles. Mais seulement en germe.

Et l’objectif islamophobe est bien de profiter du temps qui reste pour stériliser la terre d’où peut surgir une communauté musulmane régénérée.

Elle a les outils pour le faire, une pratique bien rodée du désherbage : d’abord s’attaquer localement et visiblement à quelques structures puis banaliser la chose et agir de manière massive. C’est ce qui a été fait pour les écoles, lycées et collèges. L’attaque contre le lycée Averroès n’est pas un début mais la fin d’un processus qui a commencé avec les fermetures massives d’écoles hors contrat qui n’ont pas été défendues, ou très minoritairement.

C’est ce qui va se passer pour les librairies. Le ballon d’essai local a été lancé, l’offensive médiatique également. Et comme à l’accoutumée, la peur joue à plein et dans les deux sens. Du côté des non-musulmans, il a suffi d’accoler le terme « islamiste » à librairie, comme cela a été fait pour « maison d’édition « avec Nawa pour qu’aucun auteur ou autrice, aucun acteur ou actrice du monde de la culture ne se demande comment il était possible que du jour au lendemain, on ferme des lieux et des producteurs de culture. Même un site comme Actualitté qui en son temps a pris la défense et donné la parole à des maisons d’extrême droite comme Ring a tranquillement recensé la fermeture de la librairie IQRA sans parler à aucun moment de la liberté d’expression, de création ou de pensée. Du côté des cibles, la crainte est grande aussi : la plupart sont accoutumées à la stigmatisation et à l’injustice dans l’indifférence générale. A partir de 2015, des libraires ont été perquisitionnées puis soumis à un régime de visites de contrôle permanent, de refus d’ouverture de comptes bancaires et de stigmatisation médiatique régulières. Dans ce contexte, se mobiliser, parler exige de pouvoir espérer une solidarité communautaire réelle et soutenue.

Il nous appartient de la faire vivre pour que l’avenir apporte à la génération montante le savoir dont elle a besoin pour ne pas sombrer dans l’anomie, et le désespoir nihiliste qui peut saisir tous les mouvements de jeunesse confrontés à une répression violente et à un mur sans portes.

 

Notes

(1) Afin de ne pas faire perdre de temps aux lecteurs qui  gardent une foi inébranlable en l’humanité et penseraient apprendre quelque chose d’intéressant en écoutant Sud Radio ,précisons que le propos sur  les  librairies Al Bayyinah d’Argenteuil et La Maison d’Ennour à Aubervilliers commence seulement à la 5ème minute, tout le début étant consacré à la condamnation rituelle et impérative du Hamas et des acteurs du soutien à la Palestine en France, sans laquelle aucune personne ayant au moins un grand parent musulman ne peut évidemment être autorisée à s’exprimer tranquillement dans la plupart des média.  Ensuite, deux autres minutes sont consacrées au port du hijab et de la abaya, signe de la manipulation des femmes par le complot des Frères Musulmans, ce qui laisse environ trois minutes au reporter de guerre intérieure pour nous apprendre que les librairies islamiques vendent des livres musulmans. Comme il n’est pas précisé que ces librairies ont également des sites internet ( oh pauvre France) les voici pour celles et ceux qui voudraient découvrir un univers plus riche en vocabulaire que l’émission de Jean-Jacques Bourdin mais habitent un peu loin.

La Maison d’Ennour

Al Bayyinah

(2) On ne se réjouira pas outre mesure de la décision du tribunal administratif, même si elle est confirmée en appel. En effet, le tribunal a statué en prenant acte du retrait de certains livres, ce qui valide le droit de la Préfecture de contrôler les ouvrages vendus dans les librairies musulmanes quand bien même ceux-ci ne sont pas interdits à la vente.

(3) A l’époque, cette diversité avait été notée par la presse islamophobe qui avait éprouvé le besoin de venir en masse assister à ce rassemblement , tout simplement parce qu’il lui apparaissait invraisemblable qu’il puisse avoir lieu alors même que son sujet, l’expulsion d’un imam qui défendait pourtant un rapport non-militant à la société était déjà considéré comme trop virulent. Comme souvent, l’extrême-droite et notamment Valeurs Actuelles avaient pressenti l’échec de la répression dans cette solidarité inattendue et activiste qui prenait justement la forme d’un inventaire à la Prévert , ou autrement dit d’un front commun en constitution qui cherchait son Nom

(3)

Au vu de la nature même de cette institution, il était peu probable que sa gestion soit synonyme d’honnêteté. Il était, au fond, parfaitement prévisible qu’un “native informant” à l’islamophobie débridée comme Mohammed Sifaoui (ayant appelé, rappelons le, à combattre militairement 20% des musulmans de la planète) soit perçu comme une “caution scientifique” par le secrétaire Gravel. Il est ainsi décisif de ne pas personnaliser les pratiques de cette institution. Ne nous trompons pas de combat. Qui que soit son secrétaire, ses membres ou ses collaborateurs, c’est l’existence même d’une telle institution qui est ici le véritable scandale d’Etat.

Il est tout à fait typique du paysage médiatique et politique français qu’à aucun instant la question de l’islamophobie gouvernementale n’ait été sérieusement posée. Ce silence, volontaire ou inconscient, témoigne d’une islamophobie tellement profonde que ses expressions les plus évidentes ne sont plus questionnées. La voix de la communauté musulmane doit pleinement exprimer la réalité crue de l’injustice à laquelle elle est confrontée depuis trop longtemps. [..] Il s’agit d’exiger l’abolition du CIPDR et de l’ensemble de la gouvernance islamophobe française comprenant la loi de 2004 sur les signes religieux, la loi de 2010 sur l’interdiction du niqab, les lois contre-terroristes d’exception et la loi « Séparatisme » confortant les principes républicains.

Rayan Freschi Fonds Marianne : pour l’abolition du CIPDR et de l’ensemble de la gouvernance islamophobe française

(4) A l’époque, cette diversité avait été notée par la presse islamophobe qui avait éprouvé le besoin de venir en masse assister à ce rassemblement , tout simplement parce qu’il lui apparaissait invraisemblable qu’il puisse avoir lieu alors même que son sujet, l’expulsion d’un imam qui défendait pourtant un rapport non-militant à la société était déjà considéré comme trop virulent. Comme souvent, l’extrême-droite et notamment Valeurs Actuelles avaient pressenti l’échec de la répression dans cette solidarité inattendue et activiste qui prenait justement la forme d’un inventaire à la Prévert , ou autrement dit d’un front commun en constitution qui cherchait son Nom

(5) Depuis ce tweet, le CIPDR s’est effectivement attaché à co-construire les nouvelles perspectives d’entrave en organisant des séances de formation géantes avec divers services publics , de la CAF au Trésor Public en passant par l’hôpital . Il s’agit manifestement de mobiliser bien au delà des forces de sécurité . En ces temps de destruction globale des tâches initiales des services publics, il s’agit de faire comprendre aux personnels que la croisade peut aisément remplacer la satisfaction de l’intérêt général comme horizon mobilisateur du quotidien de fonctionnaires dont le statut tombe en miettes par ailleurs.

 

 

 

 

(6) Sur les sujets de la banalisation de la déchéance de nationalité, on pourra , si la deshumanisation n’a pas éteint en nous tout questionnement intellectuel sur une chose qui en 2015 encore pouvait scandaliser, s’intéresser au réel , c’est à dire le commencement de la fabrication d’apatrides administratifs et concrets. On lira par exemple cet entretien précieux , parce qu’il pose au delà de la situation présente et de la réaction à l’oppression, tant Karim Mohamed Aggad est banalement nous même à bien des égards , c’est à dire français malgré La France et lui-même, entre autres choses.

Est-ce que tu parles l’arabe marocain ? La Darija?
Non, je ne parle pas le marocain malheureusement. D’ailleurs, j’en ai voulu à mes parents par rapport à cette question. Car je n’ai pas eu cette chance de pouvoir parler les dialectes marocain et algérien. On nous a parlé de temps en temps en arabe dans la famille, mais c’était surtout le français. Pourquoi ? Parce que mes parents envisageaient pour leurs enfants un avenir ici en France et non pas au Maroc ou en Algérie. Il y avait une certaine crainte à cette période des années 1990 avec le climat général en France : c’était « l’envie de vouloir bien faire les choses » et s’assimiler d’une manière « normale ». ”

Entretien avec Karim Mohamed Aggad, déchu de sa nationalité française et désormais apatride (cage.ngo)

(7) Concernant Kemi Seba et dans la mesure où Lignes de Crêtes a consacré beaucoup d’encre peu élogieuse à ce personnage, il faut d’abord évidemment dire que rien ne justifie une déchéance de nationalité et que cette sanction exige la réaction la plus intransigeante qui soit. Ajoutons ensuite que son motif ” propos anti-français” est une humiliation vertigineuse pour tous les activistes sincères de la lutte contre l’antisémitisme, car ce qui est dit à travers cela, c’est évidemment que l’antisémitisme n’est pas en soi quelque chose de suffisamment grave pour enclencher la vindicte de la République. Néanmoins ceci passera inaperçu puisque les acteurs sincères de la lutte contre l’antisémitisme, c’est à dire ceux n’ayant pas abdiqué devant le nationalisme français , sont somme toutes très peu nombreux depuis quelques temps et absolument inaudibles dans l’espace médiatique .

 

 

 

23.02.2024 à 18:59

Solidarité inconditionnelle avec Urgence Palestine.

Lignes de Crêtes

Un génocide ne peut advenir par la seule force militaire. Ce qui permet sa réalisation, c’est l’assentiment actif, assumé ou non, de forces sociales et politiques massives, notamment par la neutralisation et la disqualification des forces qui cherchent à être solidaires des victimes. Ce rappel préliminaire est nécessaire dans le contexte français actuel, lorsqu’il s’agit de débattre d’une tribune contre Urgence Palestine, le collectif unitaire sans lequel il n’y aurait tout simplement pas de mobilisation pour la Palestine. Ses membres fondateurs sont ceux qui ont été là dès le 8 octobre, dans le cadre d’une répression massive visant à empêcher toute mobilisation même minimale. Si Urgence Palestine est la tête du mouvement, c’est parce qu’il est le mouvement tout entier, son émanation naturelle. La concentration de toutes les énergies, les anciennes et les nouvelles. Quiconque a engagé son corps ailleurs que sur les réseaux sociaux le sait, parce qu’il a tout simplement obéi à ce sentiment d’urgence absolue qui a suivi les déclarations ouvertement génocidaires de Netanyahu et de son gouvernement. Il n’y aucun moyen d’attaquer Urgence Palestine sans attaquer la solidarité contre le génocide. Au moment où celui-ci s’intensifie, au moment où l’armée israélienne massacre à Rafah ceux à qui elle a ordonné de s’y rendre s’ils ne voulaient pas mourir, il n’y a aucun hasard dans la publication d’une tribune qui demande en réalité aux gens de ne plus se mobiliser pour la Palestine, en boycottant le collectif unitaire qui mène la mobilisation avec l’assentiment de tous et…
Texte intégral (1370 mots)

Un génocide ne peut advenir par la seule force militaire. Ce qui permet sa réalisation, c’est l’assentiment actif, assumé ou non, de forces sociales et politiques massives, notamment par la neutralisation et la disqualification des forces qui cherchent à être solidaires des victimes.

Ce rappel préliminaire est nécessaire dans le contexte français actuel, lorsqu’il s’agit de débattre d’une tribune contre Urgence Palestine, le collectif unitaire sans lequel il n’y aurait tout simplement pas de mobilisation pour la Palestine. Ses membres fondateurs sont ceux qui ont été là dès le 8 octobre, dans le cadre d’une répression massive visant à empêcher toute mobilisation même minimale. Si Urgence Palestine est la tête du mouvement, c’est parce qu’il est le mouvement tout entier, son émanation naturelle. La concentration de toutes les énergies, les anciennes et les nouvelles. Quiconque a engagé son corps ailleurs que sur les réseaux sociaux le sait, parce qu’il a tout simplement obéi à ce sentiment d’urgence absolue qui a suivi les déclarations ouvertement génocidaires de Netanyahu et de son gouvernement. Il n’y aucun moyen d’attaquer Urgence Palestine sans attaquer la solidarité contre le génocide.
Au moment où celui-ci s’intensifie, au moment où l’armée israélienne massacre à Rafah ceux à qui elle a ordonné de s’y rendre s’ils ne voulaient pas mourir, il n’y a aucun hasard dans la publication d’une tribune qui demande en réalité aux gens de ne plus se mobiliser pour la Palestine, en boycottant le collectif unitaire qui mène la mobilisation avec l’assentiment de tous et toutes.

Ce serait déjà grave et contraire à toute éthique morale et politique si l’enjeu était seulement l’aggravation de la répression. Cette tribune est en soi un pathétique brouillon pour un décret de dissolution clé en main contre les organisations visées, un réquisitoire introductif pour des perquisitions à six heures du matin contre les camarades, frères, sœurs et organisations visés nommément. Les signataires le savent, au point d’avoir ajouté un post-scriptum sur la répression, en précisant bien qu’ils n’en seront auxiliaires éventuels qu’à l’insu de leur plein gré, et qu’il ne saurait leur en être tenu rigueur.

Ce serait déjà grave, car ce réquisitoire vole éhontément les combats de ceux, qui dans les années 2010 ont mené la lutte contre l’antisémitisme dieudonniste et soralien et contre celui de la gauche, en leur donnant un sens unilatéral. Nous en sommes, et pas des moindres et ce n’est pas d’avoir refusé de défiler avec Darmanin contre les Palestiniens qui autorise ceux qui l’ont fait à réécrire l’Histoire de nos combats.Nous en sommes et nous assumons nos erreurs, celles d’avoir été aveugles sur l’islamophobie ignoble de tant et tant de nos compagnons de route et d’avoir donc été islamophobes nous-mêmes. C’est ce qui a amenés Lignes de Crêtes à décider qu’une nouvelle époque s’ouvrait et à travailler avec des gens qui ont fait de même.
Notamment Elias d’Imzalene, que nous citons particulièrement car il a nous accordé sa confiance. en acceptant de donner un écho à la mesure de son audience importante à la lutte contre l’antisémitisme, notamment dans un Space X où l’un des relais enthousiastes de cette tribune et membre fondateur de Golem put exprimer sa douleur, son vécu et celui des siens après les attentats antisémites en France devant des centaines de frères et sœurs musulmans.

Honte à ceux qui après cela osent dénoncer en sachant quelles en seront les conséquences possibles. Qu’ils aient au moins la décence de ne pas le faire au nom des morts. Honte à celles et ceux qui en réalité veulent tout, sauf une nouvelle ère antiraciste, et qui sont tellement dans l’incapacité de trouver de l’antisémitisme dans la mobilisation actuelle qu’ils en sont à remonter à une décennie en arrière, où à applaudir l’annulation de projections de films sur la Shoah, parce qu’il y a des invités arabes au débat.

La lutte contre l’antisémitisme, n’est pas le sujet de cette tribune. Elle n’en parle pas, sauf pour faire des copiés collés de Taguieff, avec une inculture crasse pour des libertaires. Lorsqu’on somme les musulmans de se soumettre à un énième not in my name, on pourrait avoir l’élégance de commencer par soi-même quand on remonte aux années 50. Citer Johann Von Leers comme éminence grise des islamistes, c’est d’abord oublier qu’il fut surtout conseiller de Nasser, star actuelle des documentaires laïcistes, pour ses diatribes contre les Frères Musulmans. Et c’est surtout assez caustique lorsqu’on sait que Von Leers travaillait à l’époque avec Paul Rassinier, premier des négationnistes français de gauche, membre de la Fédération Anarchiste, et défendu alors même qu’il participait ouvertement à des congrès néo-nazis. Détail de l’Histoire, sans doute…

Néanmoins, cette tribune ne serait qu’un épisode sans intérêt de la longue déchéance de l’antiracisme prétendument universaliste et de son rôle d’accompagnateur anecdotique de l’islamophobie d’Etat, si nous n’étions pas en plein génocide. Si la solidarité musulmane internationale n’était pas essentielle pour sauver des vies, simplement cela. Si particulièrement en France, le combat pour faire exister cette solidarité face à un gouvernement totalement aligné sur les positions fascistes israéliennes n’était déjà pas si difficile. Cette fois les choses prennent une autre dimension et méritent une réponse ferme sur le fond.

Nul n’a à se justifier de ses positions concernant la résistance armée palestinienne. Quelles que soient les pressions, nul n’a à répondre aux mauvaises questions des islamophobes, parce que ce ne sont pas eux qui décident des termes du débat dans notre camp. En plein génocide la question ne sera jamais de savoir s’il faut ou non condamner le Hamas, à part au commissariat où comme chacun le sait, le droit au silence existe encore.

Quant au débat politique démocratique à gauche, il porte sur un tout autre sujet : de quoi se rendent coupables ceux, qui en pleins massacres, demandent aux Palestiniens de correspondre à leur idée de la victime parfaite, pacifique et sans doute aussi sommée de rédiger ses communiqués en écriture inclusive ? De quoi se rendent coupables ceux qui dénoncent l’inhumanité des prisonniers des nouveaux petits Guantanamo de Tsahal au moment où on les déshumanise pour les torturer et les assassiner sans procès ? De quoi se rendent coupables ceux qui préfèrent un Palestinien mort à un Palestinien « islamiste »? Voilà les seules questions du débat à gauche, et elles sont cruciales.

La première des réponses et la plus simple, pour celles et ceux, qui comme nous n’ont aucune qualité pour parler des questions internes à la politique palestinienne, consiste à faire front autour d’Urgence Palestine et des organisations visées à la fois par Darmanin et cette tribune, notamment Europalestine, Perspectives Musulmanes, les Indigènes de la République et l’UJFP. Et ce quelles que soient les divergences et même les affrontements passés. Et se rappeler que même à l’heure des réseaux sociaux et du grand déballage permanent, la dignité devant Darmanin consiste d’abord à régler les conflits éventuels sans prendre à parti publiquement le ministère de l’Intérieur dans un média censé être antiraciste, surtout quand on sait parfaitement qui il va soutenir.

Que vive la résistance du peuple palestinien, dans son ensemble.

10 / 10

 

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