ACCÈS LIBRE
10.04.2025 à 16:01
2025 PeerTube Roadmap !
Texte intégral (1397 mots)
We (Framasoft) are proud to present the 2025 roadmap for the project ! PeerTube is improving thanks to (only) two developers, the financial support of donors, the support of the NLnet foundation, and external contributions, whether in the form of code, design (hi La Coopérative des Internets), or user feedback from hundreds of people ! Thanks to all of you !
Already done at the beginning of the year
Before we list future improvements to PeerTube, we can already tell you what we’ve done at the beginning of the year.
Broadly speaking (since you can get the detailed version of what’s new in version 7.1 here), you’ll find the redesign of the « About » page, your PeerTube content as podcasts and improved playback comfort thanks to the update of the p2p-media-loader, the library that allows PeerTube to use P2P in the video player !
As for the released late 2024 app (available on F-Droid, the Play Store and the App Store), it allows you to watch videos (pretty handy for a video-viewing app, isn’t it ?), have a local account so you can add videos to a « to watch later » list, explore platforms, channels and so on, all while avoiding the dark patterns of applications developed by the GAFAMs (like doom scrolling, ubiquitous notifications, etc.).
Version 0.6.0 (released end of January) now allows you to see comments under videos !

Illustration : David Revoy – Licence : CC-By 4.0
What’s coming this year
Channel transfer
This year will see the arrival of a much requested feature : the ability to transfer ownership of a channel to another account ! Currently, a channel is linked to the PeerTube account that created it. It will soon be possible for the account associated with the channel (or the admin of the instance) to transfer the ownership of this channel and propagate this change throughout the federation (as is already the case when changing the ownership of a video).
This feature goes hand in hand with the development of another much-requested feature : shared administration of a channel (see… below 👀).
Instance customisation
For many instance administrators, it is important to be able to customise their platform as they see fit (in their own image, in the image of the institution they represent, etc.). That’s why we’re working on making it easier to make changes such as the general colours of the interface, the ability to add a logo, customise the video player, allow or disallow the integration of videos according to an allowlist/blocklist, and much more… This extensive customisation of the interface will be accessible to admins directly from the PeerTube web interface.
Set-up wizard
PeerTube is designed for a wide range of audiences : institutions, non-profits, media, companies, etc. In order to simplify the configuration of a platform, we are going to develop a graphical configuration wizard that will allow, after the installation of PeerTube, to apply and display several recommended configuration rules according to the desired profile of the platform (with the installation of plugins depending on the use case : adding chat if lives are authorised, LDAP/OpenID, etc.).

Illustration : David Revoy (CC-By)
Multi-user channel management
Once the work on transferring channel ownership is complete, we’ll finally be able to offer the multi-user channel management ! To the public, the channel will belong to a main account, but can be managed by several other users in the same instance. These co-manager accounts will have the same rights (upload videos, create and manage playlists, customise the channel, etc.) but will not be able to :
- delete the channel ;
- transfer it ;
- manage the list of co-managers
These changes will be accompanied by a number of design and database changes, which is a lot of work !
But also…
This year will also see an improved warning system for sensitive content and « quality of life » features for the management and moderation of instances, allowing institutions, associations, media, administrations, etc. to use PeerTube more serenely. This will be done via shared lists of instances or accounts to be banned and also via auto-tags preventing video publication that contain specific keywords. We’re also planning to add batch action capabilities on videos, so you can update the licence of multiple videos in a single action, for example.
What the year holds for the mobile application
The mobile application is an excellent way to facilitate the adoption of PeerTube by a wide audience. We now want to expand the audience to also include tablet and TV users.
We’ll also allow you to connect to your PeerTube account, giving you access to all your subscriptions, likes, comments, history, notifications, settings and playlists.
By the end of the year, you’ll be able to play your videos in the background, stream them from your phone to your « smart » TV (initially Android ; Apple TVs will take a bit more work) and receive notifications. The video player will also be improved.
For content creators, it will be possible to upload and manage your videos, start a live broadcast and manage your channels directly from the application !
PeerTube moves forward thanks to you !
It’s thanks to the trust you’ve placed in us over the years, your financial (and/or moral) support, the help of la Coopérative des Internets and the funding of the NLnet Foundation that we can offer you this roadmap.
We hope you like it enough to continue to help us !
10.04.2025 à 16:00
Feuille de route PeerTube 2025 !
Texte intégral (1596 mots)
Nous (Framasoft) sommes fiers de vous présenter la feuille de route 2025 pour le projet ! Si PeerTube s’améliore c’est grâce à (seulement) deux développeurs, au soutien financier des donateurs et donatrices, à celui de la fondation NLnet, et aux contributions externes, que ce soit au niveau du code, du design (coucou La Coopérative des Internets) ou des retours utilisateurices de centaines de personnes ! Merci à vous !
Déjà fait en ce début d’année
Avant de lister les futures améliorations de PeerTube, nous pouvons déjà vous parler de ce que nous avons réalisé en ce début d’année.
Dans les grandes lignes (puisque vous pouvez avoir la version détaillée des nouveautés de la version 7.1 ici), vous trouverez le redesign de la page « A propos », vos contenus PeerTube en podcasts ou encore un confort de lecture amélioré grâce à la mise à jour de p2p-media-loader, la bibliothèque qui permet à PeerTube de faire du P2P dans le lecteur vidéo !
L’application quant à elle, sortie fin 2024 (disponible sur F-Droid, le Play Store et l’App Store) vous permet de regarder des vidéos (plutôt pratique pour une application de visionnage de vidéos, vous en conviendrez), d’avoir un compte local vous permettant d’ajouter des vidéos à une liste « à voir plus tard », d’explorer les plateformes, les chaînes, etc., tout en sortant des dark patterns des applications développées par les GAFAM (comme le doom scrolling, les notifications omniprésentes, etc.).
La version 0.6.0 (sortie fin janvier) vous permet maintenant de consulter les commentaires sous les vidéos !

Illustration : David Revoy – Licence : CC-By 4.0
Ce que l’année nous réserve
Transfert de chaîne
Cette année arrivera une fonctionnalité très demandée : la possibilité de transférer la propriété une chaîne à un autre compte ! Pour le moment, une chaîne est liée au compte PeerTube qui l’a créée. Il sera bientôt possible pour le compte associé à la chaîne (ou à l’admin de l’instance) de transférer la propriété de cette chaîne et de propager ce changement dans la fédération (comme c’est déjà le cas avec le changement de propriétaire d’une vidéo).
Cette fonctionnalité va de pair avec le développement d’une autre fonctionnalité très demandée : l’administration partagée d’une chaîne (voir… plus bas 👀).
Personnalisation d’instance
Pour beaucoup d’admin d’instances il est important de pouvoir personnaliser sa plateforme comme bon leur semble (à son image, à celle de l’institution qu’iel représente, etc.). C’est pourquoi nous travaillerons à faciliter les changements tels que les couleurs générales de l’interface, la possibilité de mettre un logo, de personnaliser le lecteur vidéo, de permettre ou non l’intégration de vidéos en fonction d’une liste d’autorisation ou de blocage et plus encore… Cette personnalisation poussée de l’interface sera accessible aux admin directement depuis l’interface web de PeerTube.
Assistant de configuration
PeerTube peut s’adresser à différents types de public : institutions, familles, associations, médias, entreprises… Afin de simplifier la configuration d’une plateforme, nous allons développer un assistant de configuration graphique qui permettra, après l’installation de PeerTube, d’appliquer et d’afficher plusieurs règles de configuration recommandées selon le profil voulu de la plateforme (avec l’installation d’extensions selon le cas d’utilisation : ajout du tchat si les lives sont autorisés, LDAP/OpenID, etc.).

Illustration : David Revoy (CC-By)
Gestion de chaîne… à plusieurs
Une fois le travail réalisé sur le transfert de propriété de chaîne terminé, nous pourrons enfin vous proposer la gestion de chaîne(s) à plusieurs ! 🎉
Publiquement, la chaîne appartiendra toujours à un compte principal mais pourra être gérée par plusieurs autres utilisateurs de la même instance. Ces comptes co-gérants auront les mêmes droits (téléverser des vidéos, créer et gérer des playlists, personnaliser la chaîne, etc.) mais ne pourront pas :
- supprimer la chaîne ;
- la transférer ;
- gérer la liste des co-gérant⋅es
Ces changements iront de pair avec de nombreux changements au niveau du design et de la base de données, ce qui représente un sacré travail !
Mais aussi…
Cette année apportera aussi une amélioration du système d’avertissement pour les contenus sensibles et des fonctionnalités de « qualité de vie » pour l’administration et la modération des instances, permettant aux institutions, associations, médias, administrations, etc., de s’emparer de PeerTube plus sereinement. Cela pourra se faire via des listes partagées d’instances ou comptes à bloquer, ou via des auto-tags empêchant des publications ou lives utilisant tel ou tel mot clé ! Nous prévoyons aussi d’ajouter des possibilités d’actions en lot, pour par exemple, mettre à jour la licence de plusieurs vidéos en une seule action.
Ce que l’année réserve pour l’application mobile
L’application mobile est un excellent moyen de faciliter l’adoption de PeerTube auprès d’un large public. Nous souhaitons élargir l’audience aux utilisateurs et utilisatrices de tablettes et de télévisions.
Nous allons également permettre la connexion à votre compte PeerTube, vous donnant accès à tous vos abonnements, likes, commentaires, historique, notifications, paramètres et listes de lecture.
En fin d’année, vous aurez la possibilité de lire vos vidéos en arrière-plan, de les diffuser depuis votre téléphone vers votre télévision connectée (Android, dans un premier temps ; les télévisions Apple demandant un peu plus de travail), et de recevoir des notifications. Une amélioration du lecteur vidéo sera aussi effectuée.
Pour les créateurs et créatrices de contenu, il sera possible de téléverser, gérer vos vidéos, démarrer une diffusion en direct et gérer vos chaînes directement depuis l’application.
PeerTube avance grâce à vous !
C’est à la fois grâce à la confiance que vous nous accordez depuis des années, votre soutien financier (et/ou moral), l’aide de la Coopérative des Internets, et le financement de la fondation NLnet que nous pouvons vous proposer cette feuille de route.
Nous espérons donc qu’elle vous plaira suffisamment pour continuer à nous aider !
09.04.2025 à 09:42
FramIActu n°3 — La revue mensuelle sur l’actualité de l’IA !
Texte intégral (4533 mots)
Bienvenue dans ce troisième numéro de FramIActu, la revue mensuelle sur l’actualité de l’IA !
Ce mois-ci, encore, nous avons plein de choses à dire au sujet de l’IA et ses impacts sur nos sociétés.
Pour rappel, nous mettons en avant notre veille sur le sujet sur notre site de curation dédié ainsi que sur Mastodon et Bluesky (sur le compte dédié FramamIA) !
Vous avez préparé votre boisson chaude (ou froide, c’est le printemps après tout !) préférée ? Alors c’est parti pour la FramIActu !

Stokastik, la mascotte de FramamIA, faisant référence au perroquet stochastique. Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Stokastik, la mascotte de FramamIA, faisant référence au perroquet stochastique. Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0
C’est tout pour ce mois-ci mais si
08.04.2025 à 09:42
Faire sa veille informationnelle à l’ère de l’IA générative
08.04.2025 à 08:08
Bullshit sur Graf’hit
Texte intégral (7412 mots)
Depuis 2023 et la mise à disposition du grand public des IAG, l’exercice rédactionnel à l’université dysfonctionne. Stéphane Crozat en retranscrit un nouvel épisode dans cet article (les noms des étudiants ont été anonymisés).
« En effet, il y a un vrai risque de dénaturer le rôle principal de l’école : aider les élèves à développer leur esprit critique et leur autonomie. Imaginez un monde où les machines réalisent nos tâches à notre place. Selon une étude de John Doe en 2022, s’appuyer trop souvent sur des outils comme l’IA pourrait rendre les élèves moins capables de structurer leurs idées ou de résoudre des problèmes par eux-mêmes. »
(Alice, Bob, Claude & Daniel, 2024)
Lire et écrire sur le Web (introduction)
Je suis enseignant-chercheur à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) et cet article fait suite à deux publications précédentes liées au déploiement de l’IA générative (IAG) dans le contexte de l’enseignement supérieur :
- ChatGPT, turcs mécaniques ou magie noire ? (janvier 2023 sur aswemay.fr)
- IA génératives : la fin des exercices rédactionnels à l’université ? (septembre 2023 sur aswemay.fr et ici même dans le Framablog)
À l’automne 2024 j’ai animé le cours WE01 à l’UTC avec deux collègues Quentin Duchemin et Stéphane Poinsart. C’est un cours du département Technologie, Sociétés, Humanités (TSH) que suivent des élèvent ingénieurs. Le cours était intitulé « Écrire, communiquer et collaborer sur le web » et il consistait en des apports théoriques autour du fonctionnement technique de l’Internet, de l’histoire du Web, du droit d’auteur et de la culture libre, du capitalisme de surveillance ou encore des enjeux sociaux-écologiques liés au numérique. Le cours comporte également des apports méthodologiques autour de la lecture et la production d’articles scientifiques ou la critique de ce que le Web produit.
Le travail demandé aux étudiants en WE01 était essentiellement tourné vers la réalisation de fiches de lecture et de productions écrites de type scientifique autour de ces thématiques, en groupe, publiées en ligne sous licence libre, finalisées par une présentation en direct sur la radio locale Graf’hit.
IA et école (le récit en bref)
Alice, Bob, Claude et Daniel ont rédigé ensemble 3 séries d’articles, dont la dernière a donné lieu à une lecture en direct sur la radio Graf’hit. Nous faisons ici une synthèse du processus de rédaction qui a été mobilisé. Le déroulé complet de leurs travaux, détaillé article par article, peut-être consulté en annexe de l’article original, que nous n’avons pas reproduit ici.

Image générée par un être humain grâce au Générateur de Grise Bouille
Étape 1a, le plan détaillé de Bob (fait avec ChatGPT)
Bob injecte dans ChatGPT la bibliographie, et probablement le sujet, donnés par les enseignants au début de cours, afin d’obtenir un plan détaillé. On y trouve des rubriques comme « concepts vus en cours » qui ne correspondent pas à des concepts vus en cours ou des « arguments réfutables » qui répondent à une demande de produire des arguments réfutables, mais au sens de Karl Popper, alors qu’ici le sens et plutôt le sens trivial (ChatGPT n’a pas assisté au cours).
Exemple d’extrait de plan détaillé obtenu avec ChatGPT à partir du sujet fourni en entrée par les enseignants
Valeur éducative et éthique des exercices rédactionnels
- Concepts vus en cours : l’éthique du travail intellectuel et la question de l’authenticité dans la production du savoir. Importance de la production d’écrits personnels dans l’éducation pour développer l’individualité.
- Contre-argument réfutable : peut-on se contenter d’une écriture automatisée sans perdre en humanité et en sens critique ?
Étape 1b, les références de Bob (produites avec ChatGPT)
Bob demande également à ChatGPT des références bibliographiques pour étayer les propos, ce qui est aussi une consigne donnée dans le cours. Cela conduit à l’apparition de sept sources hallucinées, c’est à dire sept références bibliographiques crédibles mais totalement inventées (les revues scientifiques mentionnées existent pour la plupart).
On note le J. Doe du début, qui correspond en anglais à une personne non identifiée (typiquement en cas de découverte d’un cadavre sans papier dans une série américaine). L’enseignant relit le plan détaillé, mais ne vérifie pas les références. Il prend donc le temps de corriger ce travail de ChatGPT et le trouve globalement de bonne qualité. Bravo ChatGPT.
Exemple de références bibliographiques hallucinées obtenues avec ChatGPT
- Doe, J. (2022). Privacy Concerns in AI-Powered Education Systems. Journal of Educational Technology, 45(3), 123-145.
- Jones, L. (2019). Automated Grading Systems : Benefits and Challenges. Educational Review, 32(2), 250-265.
- Miller, A. (2021). Bias in Educational AI Algorithms : A Critical Review. AI & Society, 36(1), 89-102.
- Smith, P., Johnson, T., & Davis, R. (2021). Adaptive Learning Platforms and Their Impact on Student Success. Journal of Learning Analytics, 5(1), 45-67.
- Tanaka, S. (2020). AI in Classroom Management : Pilot Projects in Japan. Japanese Journal of Educational Technology, 36(4), 210-225.
- Taylor, M. (2022). Artificial Intelligence in Education : Friend or Foe ? Educational Futures, 12(2), 98-115.
- Helsinki Study (2023). AI and Pedagogy : Experimental Schools in Finland. Educational Research Quarterly, 40(3), 78-95.

(image réalisée par le Générateur de Grise Bouille)
Étape 2, la rédaction de Claude (faite sans ChatGPT et sans esprit critique)
Claude ne participe pas du tout à la mise au point du plan détaillé, il laisse Bob travailler seul. Il repart ensuite de ce plan détaillé, et sans aucune interaction avec Bob, sans consulter les sources, il fait un travail de développement du plan sous forme de phrases. Il ajoute néanmoins quelques éléments provenant de sources authentiques.
Ici on note donc que Claude ne fait pas directement usage de l’IA, mais qu’il finalise un article complet sur la base d’un plan complètement produit par IA et de références inventées. C’est un très bon cas de prolétarisation, on a une division des tâches et des responsabilités : Bob produit le plan puis Claude l’article sans connexion avec le travail de Bob.
Exemple d’extrait de plan détaillé obtenu avec ChatGPT mobilisé en entrée pour mener une rédaction sans ChatGPT
L’IA pourrait-elle remplacer l’enseignant ?
Argumentation face à l’hypothèse que l’IA pourrait réduire les interactions humaines en classe (Taylor, 2022).
Proposition : L’IA doit être considérée comme un outil complémentaire et non comme un substitut de l’enseignant.
Exemple de rédaction réalisée par Claude sans ChatGPT sur la base du plan détaillé précédent
L’IA pourrait-elle remplacer l’enseignant ? Si l’IA permet d’automatiser des tâches et de personnaliser l’apprentissage, elle ne peut remplacer l’interaction humaine essentielle. C’est d’ailleurs ce que défend Taylor (2022) avec l’avertissement qu’il propose face à la baisse d’interactions humaines en classe. Or, l’enseignant apporte un soutien émotionnel et une compréhension de l’humain que l’IA ne peux bien entendu pas produire. (Cuisinier, 2007).
L’IA devrait donc compléter l’enseignant et non le remplacer. De plus nous agissons différemment quand on se sait observé (effet Hawthorne), ce qui rajoute une limite supplémentaire, qu’il convient de notifier.
Étape 3, la réponse de Daniel (faite avec ChatGPT)
Alice et Daniel produisent en réponse un autre texte qui défend une position plus en faveur des IA, afin de construire pour la radio un dialogue autour d’études scientifiques orientées pour et contre.
Daniel injecte dans ChatGPT le texte de Bob et Claude et demande à ChatGPT un nouveau plan pour y répondre. Celui-ci sera donc basé sur un plan déjà généré avec ChatGPT et des fausses références. Il demande aussi à ChatGPT de nuancer ses propos. Il mobilise également un article réel, celui de Crozat (qui existe bien, nous pouvons en témoigner). Notons que cet article traite d’un cas précédent d’usage frauduleux de ChatGPT dans le même cours WE01 un an auparavant. Daniel l’a-t-il lu ?
Le résultat obtenu n’est plus cohérent avec les propos prêtés aux auteurs inventés, personne ne se rend compte que cela n’a plus de sens, même au sein de la fiction créée par ChatGPT.
Alice et Daniel se retrouvent avec une seconde bibliographie hallucinée. Il y a une cohérence partielle avec la première, on retrouve presque les mêmes entrées… Mais les auteurs, articles et revues se mélangent, suivant la logique combinatoire de l’IAG. Doe est remobilisé autour des données personnelles, tandis que Miller est dans un cas mobilisé sur les algorithmes de recommandations, dans l’autre sur les inégalités de ressources dans les écoles.
Exemple de proposition de ChatGPT avec nuance et avec citation de faux articles
Enfin, l’affirmation selon laquelle l’IA « ne remplacera pas l’enseignant » mérite également d’être nuancée. Smith et Lee rappellent que l’IA peut modifier de manière intrinsèque le rôle de l’enseignant, le faisant passer d’un « transmetteur de savoirs » à un « facilitateur d’apprentissages ».
Seconde bibliographie hallucinée, variation combinatoire de la première
- Doe, J. (2022). Educational Spaces and Data Privacy : Rethinking Schools in the Age of AI. Journal of Educational Ethics.
- Miller, A. (2021). Equality in Education : Addressing Technological Disparities in the Classroom. International Review of Educational Technology.
- Smith, L., & Lee, R. (2021). Adapting Learning with Artificial Intelligence : Challenges and Opportunities. Advances in Educational Technologies.
- Tanaka, H. (2020). Administrative Efficiency through AI : An Educational Perspective. Asian Journal of School Management.
- Taylor, C. (2022). The Role of Teacher-Student Interaction in Non-Digital Classrooms. Educational Research and Practice.
- Helsinki Study. (2023). Human-Centered Education in the Digital Age : Case Studies from Finnish Schools. Nordic Journal of Pedagogical Innovation.
Étape 4, la réponse d’Alice (faite avec ChatGPT)
Alice rédige partiellement sans ChatGPT, exclusivement à partir de la seconde version de la bibliographie. On note dans cette intervention l’apparition des prénoms des faux auteurs. Peut-être ont-ils été demandés à ChatGPT pour correspondre au format demandé en cours.
On note aussi l’apparition de nouveaux arguments prêtés à certains auteurs inventés. Comme les articles n’existent pas, la seule façon d’étayer leur contenu avec de nouveaux arguments était d’interroger à nouveau ChatGPT.
Premier argument généré avec ChatGPT
L’éducation sans IA privilégie l’interaction directe entre enseignants et élèves, permettant un lien pédagogique plus fort, difficilement remplaçable par des technologies (Taylor, 2022)
Argument complémentaire demandé à ChatGPT
Charlotte Taylor en 2022 ajoute que cela peut même appauvrir le processus d’apprentissage en rendant les enseignements moins inspirants et moins personnalisés.
Travail à la chaîne
Là où les étudiants avaient comme consigne de travailler ensemble, en groupe, ils ont plutôt mis en place un travail séquentiel. Dans ce cadre, ils semblent avoir très peu communiqué entre eux et de pas s’être relus les uns et les autres.
S’ils n’avaient pas utilisé ChatGPT ils auraient probablement été obligés de collaborer, certains travaux trop peu qualitatifs les auraient fait réagir et auraient, sinon, fait intervenir l’enseignant.
J’ai failli oublier
Vous l’avez peut-être deviné, mais leur sujet c’était… IA et école.

Image générée par un être humain grâce au générateur de mèmes de Framasoft – https://framamemes.org/
On a pas envie de lire des textes écrits par des machines (consignes et autres éléments de contexte)
« L’usage d’IA génératives est simplement interdit dans le cadre de l’UV : ça ne vous apportera rien puisque le but est d’apprendre à écrire par vous-même. »
(extrait de la présentation du cours WE01 en 2024)
Contexte
L’usage des IAG était donc interdit dans le cadre du cours et le règlement des études de l’UTC a été aménagé en 2024 pour interdire a priori l’usage des IAG (elles ne sont autorisées que si les profs l’explicitent).
Nous avons découvert l’usage d’IAG uniquement à la fin, en direct, à la radio alors que des références inventées par ChatGPT étaient mobilisées et que l’auteur John Doe interpelle l’enseignant qui anime l’émission. Après ré-étude du contenu nous avons soulevé un usage pluriel de l’IAG dans le cadre de WE01 par ces 4 étudiants (voir le récit complet en Annexe).
Nous avons rencontré ces quatre personnes pour un entretien d’environ quinze minutes chacune et leur avons posé trois questions :
— Avez-vous utilisé une IAG dans le cadre de l’un de vos exercices rédactionnels ?
— Saviez-vous que l’IAG était interdite dans le cadre de ces exercices ?
— Auriez-vous été capables de réaliser les exercices sans utiliser l’IAG ?
Premières hypothèses
À l’issue de cet échange, voici ce que nous avons relevé :
- Claude a un usage marginal de ChatGPT de son côté (mais néanmoins existant malgré l’interdiction). Il s’est appuyé sur des travaux générés avec ChatGPT par ses collègues dont il est surprenant qu’il n’ait pas questionné l’origine. Il savait que l’usage de ChatGPT était interdit.
- Alice et Daniel ont un usage récurrent de ChatGPT, ils ne sont pas à l’origine des fausses références détectées, mais leur usage de ChatGPT a conduit à continuer le projet jusqu’au bout avec ces fausses références. Ils savaient que l’usage de ChatGPT était interdit.
- Bob est à l’origine du plan détaillé avec fausses références ; il a un usage important de ChatGPT qu’il justifie par le fait qu’il ne savait pas que c’était interdit ; sa moins bonne maîtrise du français étant non francophone ; une situation personnelle qui l’a conduit à être moins disponible pour ses études et peut-être à une situation d’isolement. Il affirme qu’il ne savait pas que l’usage de ChatGPT était interdit.
- Il est peu crédible que Bob ne savait pas que l’usage de ChatGPT était interdit, cela supposerait une absence de communication totale entre lui et les autres membres du groupe. Si Bob ne sait pas que c’est interdit, il n’a pas de raison de le cacher ; donc il le dit aux autres, qui lui disent que c’est interdit.
- Il est peu crédible qu’un des membres du groupe ne savait pas que ChatGPT avait été assez largement utilisé par d’autres membres et donc que le rendu final dont il est signataire avait largement mobilisé ChatGPT.
Les quatre étudiants avaient correctement suivi l’UV tout au long de l’année et étaient considérés par leur encadrant comme des élèves sérieux. Ils ont semblé honnêtes et désolés dans les échanges que nous avons eus avec eux. Ils ont présenté des excuses et ont semblé prendre conscience du caractère fâcheux de la situation.
J’ai l’impression que ces étudiants ont tellement intégré l’IA générative dans leurs usages qu’ils ne sont pas rendus compte de l’importance de ce qu’ils faisaient malgré leur connaissance de l’interdiction :
- jusqu’à énoncer des références inventées en direct à la radio dans le cadre d’un exercice qu’ils ont trouvé très intéressant et valorisant ;
- dans un contexte avec très peu de pression scolaire, leur régularité dans le cours leur en assurait la validation, même avec un rendu médiocre à la fin ;
- dans un cadre relationnel de confiance assez horizontal avec les enseignants.
D’abord ne pas lire (quelques perles)
Nous sélectionnons ici quelques citations provenant du travail fourni par les étudiants. La citation de début d’article leur est également créditée.
Nous nous passerons de commentaire, sidérés en quelque sorte, par la pertinence de tels propos critiques vis-à-vis de l’usage de l’IAG dans le contexte pédagogique, écrits sous la dictée de l’IAG.
« Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), les pratiques éducatives, notamment les exercices de rédaction, sont mises à l’épreuve. Il devient tentant de laisser les machines écrire à notre place, mais la question se pose : est-ce réellement bénéfique pour les étudiants ? »
« Au cœur de la question se trouve l’importance cognitive et créative de l’écriture. Bien plus qu’un simple moyen de communication, l’écriture est un outil puissant pour structurer notre pensée. »
« Si l’on délègue ces tâches à une IA, on risque de perdre cette précieuse occasion d’entraîner nos capacités cognitives. »
« C’est une démarche éthique : l’apprenant ne se contente pas de répéter des informations, il les reformule et se les approprie. En remplaçant cette démarche par l’automatisation, ne risquons-nous pas de perdre cette dimension humaine, essentielle à la construction de notre individualité ? »
« Pourtant, n’y a-t-il pas un risque que cette facilité entraîne une paresse intellectuelle, voire une dépendance à l’IA pour formuler nos pensées ? »
« Son utilisation massive par les étudiants est pourtant indiscutable ; nos professeurs qui se plaignent régulièrement de corriger des copies réalisées par IA ce qu’il considère, à juste titre, comme une perte de temps. »
Si les étudiants étaient passés à côté de leur sujet il y aurait eu une certaine cohérence, mais ici les problématiques sont très bien transcrites par leurs travaux. Qui tire quel bénéfice de l’IAG ? Quelles conséquences ? Déstructuration de la pensée ? Perte cognitive ? Question éthique ? Construction de l’individualité ? Paresse ? Dépendance ? Perte de temps…
Si l’on fait l’hypothèse que les étudiants ont tout de même lu ce qu’ils ont rendu, on observe donc une décorrélation entre la prise de recul proposée par leurs propos et l’absence totale de distance manifestée dans leur pratique.
Des étudiants modèles (c’est surprenant, malgré tout)
Un cas exemplaire
On pourra penser que ce cas est isolé est qu’il ne fait pas bon raisonner à partir d’un cas particulier.
Mais le cas n’est pas isolé. Je relève des cas similaires depuis 2023 et l’arrivée de ChatGPT. Suite à l’émission de radio, nous avons pris un temps de relecture d’autres travaux, révélant l’usage, moins évident, sans rôle principal pour John Doe, mais néanmoins régulier, d’IAG. Les échanges avec les collègues et les étudiants confirment également cette généralisation.
Par ailleurs, les étudiants forment un modèle raisonnable pour notre analyse. Ils sont assez représentatifs de la population UTCéenne, un étudiant étranger en reprise d’étude, deux étudiants tout juste sortis du lycée et un dernier en second semestre d’étude. Ces étudiants sont tout ce même tous les quatre présents à l’UTC depuis moins d’un an, on pourra faire l’hypothèse que des personnes plus expérimentées auraient moins utilisées l’IAG… ou se seraient moins fait détectées.
Rappelons que l’entrée à l’UTC est fortement sélective, les étudiants qui entrent à l’UTC étaient tous des « premiers de la classe » au lycée. Je ne sais pas exactement quoi faire de cette information, on pourra penser que des bons élèves sont moins enclins à tricher, au contraire que ce qui a fait leur réussite est leur habitude à optimiser, ou encore que confrontés pour la première fois à des difficultés scolaires à l’UTC ils n’ont pas su bien réagir. Les échanges avec des élèves de terminale font penser que tous utilisent les IAG, élèves à l’aise avec leur scolarité ou non.
Il y avait néanmoins des raisons objectives de penser que dans le cadre du cours WE01 les étudiants auraient pu être moins enclins à l’usage d’un ChatGPT.
Un cas surprenant sur le fond
Sur le fond, le sujet même du cours porte sur une dimension critique vis-à-vis du numérique, des enjeux socio-techniques associées, avec, notamment une réflexion sur le capitalisme du surveillance et la captation des données par les GAFAM. Surtout, le cours comporte une partie consacrée à l’écriture scientifique, qui expose le concept de réfutabilité de Karl Popper ou encore… l’importance de vérifier et citer ses sources !
« Lorsqu’une ressource est pré-sélectionnée, vérifier et qualifier la source permet de pré-évaluer la fiabilité de la ressource. »
Cours de WE01
Un cas surprenant sur la forme
Sur la forme, WE01 est un cours plutôt « cool », avec du travail horizontal et des méthodes assez proches de l’éducation populaire. Certains étudiants tutoient les profs ce qui assez inhabituel en début de cursus. On pourrait penser que l’idée de tricher dans ce contexte aurait posé des freins moraux. Enfin le cours n’intégrait pas d’examen et la validation était assurée sur la base d’une « obligation de moyen » : être présent, faire le job honnêtement. Tricher dans ce contexte était surprenant.
Une hypothèse néanmoins est que nous avons insisté sur le caractère « pour de vrai » des exercices proposés : articles publiés sur le web et communiqués via les médias sociaux, passage en direct à la radio. Peut-être avons nous réussi, en quelque sorte, sur ce point, et que leur interprétation du « pour de vrai » a impliqué pour eux, in fine, une obligation de résultat, quelques soient les moyens.
IA embarquée
Une hypothèse complémentaire est que ces étudiants ont tellement intégré l’IA générative dans leurs usages qu’ils ne sont plus aptes à en évaluer les conséquences pour eux. Il se retrouvent à tricher et prendre des risques importants pour leur scolarité dans un contexte avec très peu de pression scolaire et dans un cadre relationnel de confiance. C’est donc à la fois une très mauvaise évaluation bénéfices/risques et une mauvaise attitude vis-à-vis de leur propre sens éthique.
Je pense que cet usage est fortement généralisé à l’UTC, ce qui les dédouane un peu et nous interroge fortement en retour ; leur erreur est un usage tellement médiocre qu’ils ont laissé passer une ou deux fausses références grossières, mais nous aurions pu ne pas nous en apercevoir, et nous pensons que ça a été le cas pour d’autres groupes.
Je fais l’hypothèse que ces habitudes ont été ancrées au lycée et même qu’ils ont perdu des compétences de rédaction et de travail en groupe que nous attendons de leur part (et cela peut nous interroger, peut-être encore plus que nous le faisons déjà, sur les conséquences à l’UTC). Cela va plus vite de faire faire par ChatGPT, que de s’installer et prendre un temps pour partager un espace de travail à plusieurs. Donc : ça vaut le coup. Ils ne se sont pas « fait prendre » ou n’ont pas subi de conséquences importantes jusque-là. Donc : ça marche.
Effets de constitutivité technique (quelques réflexions)
Thèse TAC
La thèse TAC, pour Technologie Anthropologiquement Constitutive, formalisée à l’Université de Technologie de Compiègne, trouve son origine dans les travaux des anthropologues et philosophes André Leroi-Gourhan, Gilbert Simondon ou Bernard Stiegler. Une hypothèse fondatrice de cette théorie est que les humains et les objets techniques forment un couplage indissociable, dès l’origine. On abandonne l’idée que l’humain précède et surplombe la technique, que celle-ci n’est que le simple produit du travail ou de l’intelligence humaine, postérieure à une humanité qui en serait indépendante (Steiner, 2010).
La technique n’est pas un élément extérieur à l’humanité, mais la façon même dont celle-ci conçoit le monde. Les trains modifient la proximité entre les villes selon les connexions existantes ou non, la lumière artificielle modifie les cycles du jour et de la nuit, ou celui des saisons, les voyages spatiaux permettent d’imaginer exploiter des ressources situées dans l’espace ou se réfugier une autre planète si la terre n’est plus habitable.
Technique non neutre
Les objets techniques portent en leurs propriétés physiques des possibles et des probables. Le couteau, dur, pointu, solide, avec une lame d’une certaine taille embarque le geste de planter. Une propriété fondamentale du téléphone portable est qu’il est… portable. Sa taille, son autonomie, son mode de préhension rendent sa présence permanente au côté de l’humain aisée, naturelle en quelque sorte.
La technique n’est donc jamais neutre puisqu’elle configure notre rapport au monde. Nos usages, nos intentions, nos projets, ce que l’on veut faire, sont déjà, au moins en partie, pré-configurés par l’accès au monde rendu possible via la technique. La technique n’est pas neutre non plus car ceux qui la développent ne sont pas neutres. Les concepteurs d’une technique ont des représentations du monde qui sous-tendent ce pourquoi il veulent la faire advenir, ils visent un objectif qui est souhaitable, bon, selon eux. (Steiner, 2024)
Raison computationnelle
Écrire avec un ordinateur, c’est écrire avec une machine à calculer. Donc, à un moment ou un autre, on a envie de la faire calculer. J’ai fait de l’ingénierie documentaire pendant 20 ans, l’objectif de mes travaux via la conception de chaîne éditoriales était d’automatiser, de calculer donc, des tâches de manipulation documentaires (Crozat, 2007). Parce que l’on considère que la mise en forme n’est pas une étape créative, qu’elle n’a pas de réelle valeur ajoutée, que l’on peut la déléguer à la machine. Je me souviens, tout de même, avoir croisé des éditeurs, des artisans de la mise en forme, qui n’étaient pas d’accord. Je devais penser qu’ils étaient rétrogrades, qu’ils s’accrochaient à un savoir-faire en voie de disparition. On dirait, à présent que c’est moi qui m’accroche…
En tous cas, en fin de compte, puisque la technique n’est pas neutre, ce qui compte c’est de se demander ce que le numérique en général, et l’utilisation de l’IA en particulier fait à notre pensée. Dans le lignée de Jack Goody, Bruno Bachimont (2000) parle de raison computationnelle pour désigner ces transformations induites par l’usage du numérique.
Pharmakon
La technique pose toujours problème, c’est par essence un pharmakon, un remède en même temps qu’un poison, au sens qu’a réactivé Bernard Stiegler depuis Platon). Par exemple, l’écriture est un remède aux limites de la mémoire humaine, en même temps, ce qui amoindrit cette mémoire. L’informatique permet d’objectiver des impacts socio-écologiques tout en engendrant de nouveaux impacts socio-écologiques.
« [Platon] décrit alors l’écriture alors comme un pharmakon, mot grec signifiant à la fois le remède et le poison : à la fois remède pour la mémoire, car elle permet de stocker et de conserver les connaissances accumulées, mais aussi poison pour la pensée, car en fixant les connaissances et en épargnant aux individus de se les remémorer, l’écriture empêche leur mémoire de s’exercer. Bref, l’écriture, qui semblait innocente et bénéfique, a aussi de quoi inquiéter. »
(Alombert, 2023)
Prolétarisation
Un problème soulevé par l’usage des IAG qui doit être considéré en contexte pédagogique est celui de la prolétarisation intellectuelle, phénomène déjà largement observé et étudié sur le plan des activités manuelles dans le cadre de l’industrialisation. La prolétarisation est « ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser) »
(Petit, 2013).
« Passer une commande à une machine, aussi performante soit-elle, ne revient pas à exercer techniquement sa pensée ; au contraire, le savoir-écrire a ici été extériorisé dans la machine numérique sous forme d’automatismes algorithmiques, de même que les savoir-faire avaient été extériorisés dans les machines-outils sous forme d’automatismes mécaniques. De même que l’artisan privé de ses savoir-faire s’était vu prolétarisé. En perdant nos savoir-écrire, nous risquons de devenir des prolétaires de la pensée. »
(Alombert, 2023)
Anne Alombert (2025) précise que « nous risquons de perdre notre capacité à nous exprimer en la déléguant aux algorithmes et en nous contentant de lire bêtement les textes produits »
et avec elle notre capacité non seulement de mémorisation, mais, peut-être surtout d’imagination.
Substitution
En tous cas, l’idée que la machine est un instrument de délégation des travaux humains pénibles est ancré depuis la période industrielle au moins, probablement depuis la révolution agraire. L’ordinateur est dédié aux tâches cognitives, certains trouveront les tâches d’écriture fastidieuses, il est logique que l’ordinateur soit alors mobilisé comme assistance. Puis, de l’assistance au remplacement il n’y a qu’un pas. L’histoire de l’industrie nous le montre également.
À ce stade, la question que l’on doit se poser, c’est quel sens cela a-t-il de former la lecture et à l’écriture dans un monde où les IAG savent faire ce travail infiniment plus rapidement ?
Apprendre à bien rédiger ses « prompts » ? (apprendre à bien visser des boulons…)
Une idée défendue par certains comme une évidence, puisqu’il faut bien vivre avec son temps, serait de faire évoluer les formations pour, non plus enseigner comment, par exemple, bien lire et écrire, mais plutôt comment bien utiliser les IAG pour faire ce travail à notre place. C’est aussi applicable à l’expression graphique ou à l’écriture de code informatique. S’il est raisonnable de penser, sur le modèle de l’artisanat, que certaines tâches intellectuelles continueront d’échapper à la machine, il est tout aussi raisonnable de penser, sur le modèle de la mécanisation des tâches manuelles déjà opérée, que le bon usage d’une machine avancée ne nécessitera pas de compétences avancées.
Selon Jacques Ellul, c’est la recherche systématisée de l’efficacité qui est problématique, car elle vide de leur sens les tâches qui sont menées, transformant le pourquoi on fait en comment on fait le plus efficacement possible (Rognon, 2020). Ainsi, l’idée de faire évoluer nos cours vers des formations à l’usage des IAG pourrait bien impliquer une évolution de l’ingénierie, de la conception de machines donc, à un objectif amoindri, d’utilisation de machines, voire d’utilisation par les machines.
ChatGPT 1 – Nous 0
WE01 v2
Nous observons donc que les étudiants ne savent plus, en entrant à l’université, jouer le jeu de la lecture et de l’écriture, et qu’il le font faire, au moins en partie, par une IAG. D’autre part, nous nous questionnons sur l’intérêt même de défendre ce type de compétence quand on observe en aval que les ingénieurs mobilisent également massivement ces outils pour faire de la veille, produire des rapports ou des présentations. Eux non plus ne veulent plus ni lire ni n’écrire.
En attendant de mieux comprendre ce qui se passe et comment faire évoluer nos formations, nous avons procédé à quelques modifications. WE01 était intitulé « Écrire, communiquer et collaborer sur le web », nous le renommons « Questionner le Web » et le faisons évoluer en conséquence. Nous avons assoupli les exercices rédactionnels, décidés à être moins exigeants et à demander un travail plus modeste en volume. En contre-partie nous avons restitué un examen de contrôle des connaissances. L’objectif du cours devient alors moins de savoir écrire que de disposer d’éléments pour aider à se poser des questions et à remettre en cause les évidences du numérique, dans une logique technocritique.
Nous déconseillons l’usage des IAG tout en les autorisant. Nous imposons en revanche une prise de recul, inspirés par ce que notre collègue Hugues Choplin à développé à l’UTC dans le cadre de son cours IS04.
« Vous ajouterez une section IAG à votre projet pour spécifier si vous avez utilisé des IAG (ou des IA de correction, de traduction…) et si oui : Indiquez quelles IA ont été utilisées, pour quelles parties du travail et pour quelles raisons ; Reproduisez une copie des prompts et des résultats ; Indiquez si les résultats ont été retravaillés et comment. »
Extrait de la présentation du cours WE01 en 2025
Attendre, observer, agir, réagir
Nous réfléchissons à un cours WE02 « Questionner l’IA » qui serait un pendant de WE01, orienté vers l’IA donc. Nous avons pris la décision d’attendre deux ou trois ans pour cela, histoire de se donner de l’espace pour consacrer l’énergie nécessaire au suivi d’une actualité très dynamique. Histoire également de se donner un peu de temps pour mieux analyser les évolutions en amont au lycée, en aval dans le monde socio-économique, et à les initiatives prises dans l’enseignement supérieur. Histoire, peut-être, que le domaine se stabilise un peu… ou pas.
- D’autres collègues du département TSH à l’UTC envisagent d’intégrer le questionnement de l’IA à leur enseignement. Un service d’IAG hébergée localement est expérimentée, afin, a minima de sortir de la dépendance aux géants étatsuniens (Poinsart, 2025).
- L’association Picasoft de l’UTC et l’association Framasoft (dont je fais partie) ont signé le manifeste Hiatus, « une coalition composée d’une diversité d’organisations de la société civile française qui entendent résister au déploiement massif et généralisé de l’intelligence artificielle ».
- L’association Framasoft a lancé le site Framamia, pour aider à suivre et comprendre, et pour faire des propositions alternatives dans le domaine de l’IAG, dans une perspective de littératie technique.
Ces diverses attitudes sont autant de pistes pour maintenir une attitude active et critique vis-à-vis d’un phénomène qui percute l’ensemble de la société et que nous ne pouvons ignorer dans l’enseignement supérieur. Même quand on ne s’y intéresse pas par plaisir, donc.