URL du flux RSS
La revue des révolutions féministes

ACCÈS LIBRE

▸ les 10 dernières parutions

26.04.2024 à 11:00

Pourquoi les jeunes filles vont-elles si mal ?

Virginie Menvielle

C’est un coup de fil du centre antipoison qui, en juin dernier, sonne l’alerte dans un collège près de Lille (Nord) : une élève vient de faire un malaise devant l’établissement. « Quand je suis intervenue, ses copines m’ont raconté qu’elle avait avalé une grosse dizaine de cachets dans les toilettes », explique Sidonie (le […]
Texte intégral (1125 mots)

C’est un coup de fil du centre antipoison qui, en juin dernier, sonne l’alerte dans un collège près de Lille (Nord) : une élève vient de faire un malaise devant l’établissement. « Quand je suis intervenue, ses copines m’ont raconté qu’elle avait avalé une grosse dizaine de cachets dans les toilettes », explique Sidonie (le prénom a été modifié), la professeure qui l’a accompagnée aux urgences.

Si la jeune fille a pu rentrer chez elle après un lavage d’estomac, l’enseignante, très marquée par cet accident, se montre encore préoccupée : « Les ados vont mal ».

Ce sentiment, très partagé parmi les enseignant∙es et les parents depuis l’épidémie de Covid et les confinements successifs, est aujourd’hui confirmé par des enquêtes officielles. Le 5 février dernier, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (la Drees est un service statistique public dans les domaines de la santé et du social) publiait un rapport sur les hospitalisations pour gestes auto-infligés chez les jeunes filles. L’étude révélait, entre les cinq années précédant la crise du Covid et 2022, une augmentation de 63 % des hospitalisations des adolescentes âgées de 10 à 14 ans pour tentatives de suicide ou faits d’automutilation, et de 43 % pour les jeunes filles entre 15 et 19 ans.

 

Une jeune fille sur six commence sa vie sexuelle par un rapport non consenti

Ces données alarmantes n’étonnent guère Sophie Lise Brygo, pédopsychiatre à Rennes (Ille-et-Vilaine) et ancienne médecin en centre de protection maternelle et infantile (PMI). Pour cette soignante, les causes de la souffrance psychique des jeunes filles sont à chercher dans les violences sexuelles qu’elles subissent massivement. Selon un sondage publié en 2017, 63 % des jeunes femmes disent avoir déjà vécu du harcèlement ou des comportements sexistes. Le collectif #NousToutes a par ailleurs établi qu’une jeune femme sur six commençait sa vie sexuelle par un rapport non consenti. « Dans nos services, explique-t-elle, on sait depuis longtemps déjà que ces types de violence sont source de souffrances psychiques graves et à long terme. » Elle mentionne pour exemple une étude (pas encore publiée) réalisée par son confrère le professeur Jacques Dayan : « Entre 2022 et 2023, à l’hôpital de Rennes, 50 % des femmes venant en consultation à l’unité de psychiatrie périnatale ont été victimes d’abus sexuels. » La plupart du temps ces violences ont eu lieu pendant leur enfance ou leur adolescence.

Le son de cloche est le même chez les expertes de terrain que nous avons interrogées. Bernadette Gruson, artiste, et Aurore Krol, fondatrice de l’association Prev’actes, mènent depuis 2018 des ateliers de prévention dans des établissements scolaires du Nord de la France et de Bretagne. « Récemment, lors d’un atelier, raconte Aurore Krol, plusieurs jeunes filles ont laissé entendre qu’elles pratiquaient des actes d’automutilation. En les questionnant, on s’est rendu compte que toutes étaient victimes de violences sexuelles dans le cadre familial. »

 


« Entre 2022 et 2023 à l’hôpital de Rennes, 50% des femmes en consultation de psychiatrie périnatale ont été victimes d’abus sexuels »


 

Miroir de l’époque, les violences sexistes se déploient notamment sur Internet. Selon une enquête réalisée par l’association e‑Enfance, 20 % des adolescent∙es, dont un peu plus d’une moitié de filles, affirment avoir été victimes de cyberharcèlement à caractère sexuel. Très exposées aux images de corps féminins sexualisés, beaucoup d’adolescentes cherchent à se mettre en scène sur les réseaux. « C’est une manière de s’approprier une image de leur féminité », explique Sophie Lise Brygo. Sauf qu’elles ne sont pas du tout préparées à ce que ces images puissent circuler et être utilisées contre elles. « On ne peut pas prendre la mesure des conséquences sur la psyché d’avoir un groupe de camarades qui vous harcèle, analyse la psychiatre, c’était vrai de tout temps, mais ça l’est encore plus aujourd’hui avec le phénomène d’amplification lié aux réseaux sociaux. »

 

Des moyens d’expression genrés

Mais alors que les violences sexuelles sont un phénomène structurel, comment expliquer l’explosion récente des actes auto-infligés et des tentatives de suicide ces dernières années ? « Il y a toujours eu un moyen d’expression de la souffrance prédominant, répond Sophie Lise Brygo. Il y a vingt ans, coexistaient d’autres modes d’expression de la douleur psychique avec souvent présence d’anorexie mentale, parfois d’addictions. La société évolue. Ce sont aujourd’hui les gestes de scarification qui prédominent. Ils deviennent un geste de référence, une pratique presque culturelle de la souffrance. »

D’après Déborah Guy, sociologue en études de genre, les chiffres de la Drees viennent surtout rappeler que filles et garçons n’expriment pas leur malaise de la même manière. Quand ils sont en état de souffrance psychique, « les hommes vont avoir plus de conduites à risque : alcoolisme, usage de la vitesse en voiture ou agissements violents ». La chercheuse appuie son propos sur une étude de référence, menée en 2008 et intitulée « Le mal être a‑t-il un genre ? » qui établit que les hommes se suicident davantage, au sens où leurs tentatives aboutissent plus souvent que celles des femmes. « Mais les femmes présentent en réalité plus de risques suicidaires », rappelle-t-elle. Le rapport de la Drees ne fait que confirmer cette tendance globale. En 2022, tous âges confondus, les femmes représentaient 64 % des personnes hospitalisées pour tentative de suicide ou automutilation.

 

→ Retrouvez les recommandations ainsi que l’agenda de la rédaction juste ici.

25.04.2024 à 17:23

Dessiner

La Déferlante

Découvrez notre numéro « Dessiner, esquisses d’une émancipation ». Des mangakas qui dynamitent les normes binaires aux auteur·ices de bande dessinée proposant des récits queer en passant par les tatoueuses, qui offrent permettent de réappropriation de son corps, le monde du dessin est en plein renouveau. Outil d’émancipation récent, le dessin offre un espace pour […]
Lire plus (419 mots)

Découvrez notre numéro « Dessiner, esquisses d’une émancipation ».

Des mangakas qui dynamitent les normes binaires aux auteur·ices de bande dessinée proposant des récits queer en passant par les tatoueuses, qui offrent permettent de réappropriation de son corps, le monde du dessin est en plein renouveau. Outil d’émancipation récent, le dessin offre un espace pour reprendre sa liberté, conjurer les oppressions collectives et inventer, ensemble, d’autres sociétés.

À lire aussi dans ce numéro : une grande rencontre entre les actrices Judith Godrèche et Guslagie Malanda, une enquête inédite sur les mutilations subies par des personnes intersexes à leur naissance et un portrait de l’artiste Niki de Saint Phalle.

Vous recevrez votre numéro dans un délai de 10 à 15 jours.

⟶ Vous souhaitez recevoir La Déferlante en avant-première, au tarif de 15 euros (au lieu de 19), et sans engagement ? Découvrez notre offre d’abonnement à durée libre.

Les articles du dossier :

25.04.2024 à 16:50

Gender fluid, le manga ?

Pauline Croquet

Héroïnes dévêtues à grosse poitrine, voleurs de petites culottes, récits tonitruants sans queue ni tête, combats violents… En France, on a souvent réduit le manga aux stéréotypes qu’une partie de la production diffuse. Le 9e art japonais ne se résume pas à ces images sexistes et brutales. Lorsqu’ils ont afflué à la télévision française dans […]
Texte intégral (3371 mots)

Héroïnes dévêtues à grosse poitrine, voleurs de petites culottes, récits tonitruants sans queue ni tête, combats violents… En France, on a souvent réduit le manga aux stéréotypes qu’une partie de la production diffuse. Le 9e art japonais ne se résume pas à ces images sexistes et brutales. Lorsqu’ils ont afflué à la télévision française dans leur adaptation animée, dans les années 1970, les mangas ont constitué un véritable phénomène culturel chez les plus jeunes.

À la même époque, le monde de la BD franco-belge ignore encore le lectorat féminin et n’accorde quasiment pas de place aux autrices. Vu le médium où seules la Schtroumpfette et quelques rares figures féminines ont droit de cité, les amatrices de fiction dessinée, qu’elles soient adolescentes ou jeunes adultes, se tournent vers l’autre Terre sainte de la bande dessinée : le Japon. Sur l’archipel, l’industrie de la BD aborde déjà une myriade de thématiques, et classe minutieusement ses ouvrages selon l’âge et le genre des lecteur·ices visé·es. Ainsi, une palette de représentations féminines, à des années-lumière de Falbala ou de Natacha l’hôtesse de l’air, prend vie sur les planches des mangas.

Dès les années 1980, un aperçu de la richesse des figures empouvoirantes du manga est donné au public français avec la diffusion d’un grand nombre d’adaptations télévisuelles : des sportives qui ne lâchent rien (Jeanne et Serge), des voleuses sexy qui font tourner la police en bourrique (Signé Cat’s Eyes), des super-héroïnes (Sailor Moon et Cardcaptor Sakura), ou des créatrices de génie (Bulma dans Dragon Ball).

Récits joyeux et sentimentaux, exploration de thèmes liés à l’intime, héroïnes complexes… tout un univers s’ouvre alors pour un public jusqu’ici ignoré. Il faut toutefois attendre le début des années 2000 pour voir apparaître en français des œuvres conçues spécialement pour les femmes : le shōjo manga (adressé aux adolescentes) et le josei manga (pour un lectorat féminin adulte). Importée en France par l’éditeur Tonkam (qui a depuis fusionné avec Delcourt), la série Nana d’Aï Yazawa va par exemple durablement marquer les esprits : elle narre de manière crue et sentimentale le quotidien de deux colocataires tokyoïtes qui entrent dans la vie adulte. Ces œuvres vont d’ailleurs imprégner l’imaginaire de nombreuses bédéastes francophones nées dans les années 1980 et 1990, comme Chloé Wary (Rosigny Zoo, FLBLB, 2023) ou Lucie Bryon (Voleuse, Sarbacane, 2023). « Avant que je découvre le manga, la BD me paraissait loin, masculine. Je dévorais des histoires, mais je n’envisageais pas d’en faire », expliquait Lucie Bryon en janvier 2024 au journal Le Monde (1).

Nourrir un lectorat féminin

Découvert tardivement en Europe, le shōjo manga a pourtant une longue histoire. Elle commence dès la fin du xixe siècle avec des périodiques pour adolescentes qui servaient principalement de mode d’emploi pour devenir une épouse modèle. Si quelques incursions dans le fantastique permettaient à des autrices de fiction littéraire d’explorer des idées relativement iconoclastes – relations homosexuelles, critique de la société de classes, etc. –, le manga féminin n’en était encore qu’à ses balbutiements dans les années 1930. Après le conflit mondial et la fin de l’occupation états-unienne du Japon, au début des années 1950, le manga s’épanouit et la catégorie shōjo s’exhibe formellement dans des magazines qui lui sont désormais quasi entièrement consacrés. Loin d’être progressiste, le Japon n’en néglige pas pour autant le lectorat féminin – et la manne financière qu’il représente – en lui proposant des histoires spécifiques. Avec l’avènement de la société de consommation, dans les années 1960, les maisons d’édition recrutent à tour de bras pour remplir leurs périodiques, permettant à des dessinatrices de mettre un pied dans la porte.

Ces nouvelles et jeunes autrices reprennent à leur compte les codes de leurs aîné·es, tout en insufflant plus de complexité et de consistance aux personnages féminins. Ces autrices s’appellent Moto Hagio, Keiko Takemiya, Yumiko Oshima, Chikako Urano, Riyoko Ikeda… Autant de noms qui ont révolutionné le manga, conjuguant succès critique et commercial. Ces baby-boomeuses dynamitent la composition des pages et les codes graphiques, repoussent les limites narratives et thématiques, représentent visuellement l’intériorité de leurs personnages, leur donnent une agentivité, tout en assumant de les parer d’atours kawaii (2), de motifs floraux et de silhouettes haute couture.

Planche extraite de Sakuran, de Moyoco Anno, Pika Édition, 2023. Le destin sans fard d’une prostituée en quête de liberté.

Planche extraite de Sakuran, de Moyoco Anno, Pika Édition, 2023. Le destin sans fard d’une prostituée en quête de liberté. Crédit : SAKURAN © Moyoco Anno /Cork All rights reserved

Fluidité des genres

À partir du milieu des années 1960, les héroïnes, longtemps idéalisées et éthérées, « vont, à travers les mangas de sport, d’horreur ou des romances en milieu scolaire, prendre de la corporalité. Les corps vont être par exemple mis à l’épreuve des blessures », analyse Julia Popek, qui mène des recherches indépendantes sur le shōjo manga, citant notamment, dans ce basculement, l’importance du manga de volley Les Attaquantes (1968) de Chikako Urano, qui suit le parcours d’une jeune joueuse prometteuse et de son équipe scolaire. Emblématique de cette effervescence, le personnage Oscar de Jarjayes, va, sous la plume de Riyoko Ikeda, incarner dans La Rose de Versailles (dont l’animé s’intitule Lady Oscar) une héroïne combative, politisée, libre, sensuelle. Selon la critique et spécialiste de la culture manga Yukari Fujimoto, professeure à l’université Meiji, à Tokyo, la scène d’amour sans rapports de domination entre Oscar et son ami d’enfance André a contribué « à forger [la] conception de la sexualité des collégiennes et lycéennes de l’époque (3) ».

Tandis que certaines autrices jouent avec la fluidité des genres et la sexualité au travers du travestissement et de l’androgynie, d’autres ont recours à des personnages masculins pour accéder par procuration à des expériences qui leur sont interdites, explorer leur propre sexualité et leur désir, mais aussi mettre à distance des traumatismes et des violences qu’elles ont pu subir. « J’ai tendance à idéaliser les personnages masculins, à les faire très beaux. Le fait de ne pas être un homme me permet de les dessiner de cette façon », expliquait la mangaka Moto Hagio au Monde (4), à l’occasion de sa venue au Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême. Elle dit s’être servie du manga pour se défaire « de la pression parentale » et qu’elle se sentait plus libre de s’exprimer à travers des bishōnen, ces jolis garçons délicats et androgynes devenus, depuis, un archétype du manga. Elle aura aussi posé des jalons du boy’s love (shōnen ai), le nom donné aux romances et BD érotiques mettant en scène des couples d’hommes, à destination d’un lectorat essentiellement féminin ; un genre qui va particulièrement s’épanouir dans les cercles de mangas amateurs et autoédités, les dojinshi, des espaces prolifiques et particulièrement féminisés.

Ces dessinatrices révolutionnaires, encore en activité aujourd’hui, ont pavé le chemin pour leurs benjamines, dont beaucoup chérissent cette liberté de ton, adoptent une certaine désinvolture graphique. C’est le cas de la sulfureuse Kyoko Okazaki et sa critique du star-system dans Helter Skelter (lire aussi encadré en fin d’article) ou encore Moyoco Anno, autrice de Sakuran, centré sur la vie d’une courtisane qui ne veut pas se plier aux diktats de la société. D’autres vont aussi revenir à des histoires plus ancrées dans le quotidien. C’est le cas, dans les années 2010, de Reiko Momochi (Moi aussi) ou Akane Torikai (En proie au silence), qui aborde, entre autres, la question des violences de genre.


Les récits yuri, mettant en avant des relations lesbiennes, les boy’s love, ou ceux abordant la vie de personnages transgenres, sortent des catégories spécialisées pour se répandre dans des publications plus généralistes.


Leurs récits vont aussi servir de respiration à des lecteur·ices à la recherche d’une autre masculinité que celle performée dans les mangas shōnen, à destination des jeunes garçons, du type Dragon Ball, One Piece ou encore Naruto. Bien que les magazines aient vu émerger des personnages androgynes, gender fluid ou transgenres (Shun des Chevaliers du Zodiaque, ou une partie du casting de JoJo’s Bizarre Adventure, pour ne citer qu’eux), la plupart des personnages du manga masculin restent érigés en parangons de virilité et d’héroïsme. « Je me sentais comme prisonnier de la prétendue “culture masculine”. Le shōjo manga m’a offert l’occasion de remettre en question la masculinité et de faire l’examen critique des rapports au genre », confie le sociologue Kimio Ito (5), spécialiste des men studies – études interdisciplinaires sur les masculinités – qui s’est passionné pour le shōjo dès le début des années 1970.

Planche extraite de Helter Skelter, de Kyōko Okazaki, Atelier akatombo, 2023. On y suit le déclin sordide de la top-modèle Ririko. Une charge implacable contre les diktats de la beauté.Helter Skelter ©︎ Kyoko Okazaki 2003 / SHODENSHA Publishing Co

Planche extraite de Helter Skelter, de Kyōko Okazaki, Atelier akatombo, 2023. Le livre est une charge implacable contre les diktats de la beauté.
Crédit : Helter Skelter ©︎ Kyoko Okazaki 2003 / SHODENSHA Publishing Co

Autobiographies et thématiques sociales

Les héroïnes de manga ne sont pas en reste dans les séries destinées aux hommes, qui sont aussi plébiscitées par les lectrices. Certains auteurs ont été influencés par des autrices comme Moto Hagio, et le shonen a aussi été investi par des dessinatrices. Papesse de la comédie romantique pour garçons, Rumiko Takahashi, l’autrice de Ranma ½ (lire aussi encadré en fin d’article), leur a ouvert la voie. Dessinés pour séduire la gent masculine, des personnages à la fois kawaii, sexy et badass, comme Lamu d’Urusei Yatsura ou Kaori de City Hunter, ont pu aussi inspirer des jeunes femmes.

Malgré le fait que la société japonaise reste conservatrice et qu’une partie des titres publiés, y compris ceux destinés aux femmes, continue de mettre en scène des comportements toxiques et de perpétuer des rôles assignés à chacun·e selon son genre, le manga est en perpétuelle évolution, mouvant et rempli d’intertextualité. Les récits yuri, mettant en avant des relations lesbiennes, les boy’s love, ou ceux abordant la vie de personnages transgenres, sortent des catégories spécialisées pour se répandre dans des publications plus généralistes, constatent Julia Popek et le professeur James Welker, de la faculté des études japonaises et interculturelles de l’université de Kanagawa.

Ces évolutions ne sont pas étrangères au développement des communautés en ligne, comme l’évoque James Welker : « Lors de la dernière décennie, sur les plateformes web telles que Pixiv [un réseau social japonais de partage de contenus artistiques], nous avons constaté une forte augmentation du nombre d’“essay mangas” », des récits où l’auteur·ice se sert de son expérience personnelle pour évoquer des thématiques sociales comme la santé mentale ou la monoparentalité. « Les questionnements autour de l’homosexualité et du genre ont pendant longtemps été associés à du mal-être. Cela a peu à peu changé à partir des années 1990 », précise de son côté Julia Popek. Ces dernières années ces récits sur l’homosexualité sont racontés de façon plus normalisée ou positive. C’est le cas par exemple dans Éclat(s) d’âmes (2015) de Yuhki Kamatani dans lequel le héros s’épanouit à travers de nouvelles amitiés tissées dans un centre associatif LGBT+ ou dans What Did You Eat Yesterday? (2007), une comédie romantique et culinaire autour d’un couple gay. Les séries LGBT+, de plus en plus volontiers importées par des éditeurs français, semblent donc aujourd’hui trouver leur place dans les récits dits « tranches de vie » ou les thématiques sociales, ce qui contribue encore à renouveler les représentations.

Sélection de six classiques du manga écrits par des femmes à découvrir

Le Clan des Poe - Tome 1 (01) : Hagio, Moto, Slocombe, Miyako: Amazon.fr: Livres

Le Clan des Poe (Moto Hagio, 1972–1976, Akata) : plus gros succès d’une des cheffes de file du renouveau dans les années 1970 du shōjo, manga conçu spécialement pour les femmes. L’œuvre revisite la figure du vampire avec ses jeunes héros condamnés à une existence à la marge, faite de solitude et de tourments existentiels. L’adolescence, en somme.

 

Ranma 1/2 - Édition originale - Tome 01 | Éditions Glénat

Ranma ½ (Rumiko Takahashi, 1987–1996, Glénat) : série découverte tôt en France, Ranma ½ est né de la plume d’une des mangakas les plus influentes au Japon. Le récit met à l’épreuve, dans un joyeux tohu-bohu, un héros tantôt garçon tantôt fille.

 

Amazon.fr - Gunnm - Édition originale - Tome 01 - Kishiro, Yukito - Livres

Gunnm (de Yukito Kishiro, 1990–1995, Glénat) : classique du cyberpunk des années 1990, ce manga pour jeunes hommes, auquel les lectrices françaises se sont aussi attachées, se démarque en mettant en scène une cyborg maladroite, surpuissante et sensible qui s’interroge autant sur son passé de machine de guerre que sur le sens de la vie.

 

Helter Skelter - Manga série - Manga news

Helter Skelter (Kyōko Okazaki, 2003, Atelier akatombo) : véritable audace graphique et narrative à la limite parfois de l’insoutenable, cette critique du star-system japonais et du culte de l’apparence met en scène l’implacable lutte contre la péremption d’une starlette imbuvable.

 

Nana T02 de Aï Yazawa - Album | Editions Delcourt

Nana (Aï Yazawa, depuis 2000, Delcourt-Tonkam) : incursion dans les galères sentimentales et matérielles de deux jeunes colocataires tokyoïtes, Nana a redéfini le cool chez les millenials nippons. Un récit de formation qui n’édulcore pas les aspects les moins reluisants des relations femmes-hommes.

 

 

Moi aussi - Manga série - Manga news

Moi aussi (Reiko Momochi, 2020, Akata) : inspiré de faits réels, Moi aussi raconte le combat d’une intérimaire pour faire reconnaître le harcèlement sexuel dont elle est victime au travail. Ce manga témoigne de la capacité des autrices à se saisir du manga pour raconter les violences et dénoncer des injustices sociales.

 

 

Spécialiste du Japon, vivant entre Paris et Tokyo depuis plus de vingt ans, Aude Boyer est photographe indépendante et traductrice de mangas. Pauline Croquet, journaliste au Monde, est spécialiste des cultures web et suit également l’actualité du manga.

Cet article a été édité par Diane Milleli.


(1) Pauline Croquet, « Au festival d’Angoulême, la lente reconnaissance du manga », Le Monde, 25 janvier 2024.

(2) Kawaii, qui signifie « mignon » en japonais, désigne une esthétique caractérisée par des couleurs pastel, des personnages aux expressions enfantines avec des grands yeux et de fines bouches.

(3) Yukari Fujimoto revient sur cet épisode dans l’essai, non traduit en français, Watashi no ibasho wa doko ni aru no?, Asahi Shinbun Shuppan, 2008.

(4) Pauline Croquet, « Moto Hagio : “Par le manga, j’ai cherché à me libérer de ma mère” », Le Monde, 18 janvier 2024.

(5) Cité par Patrick W. Galbraith, Otaku and the Struggle for Imagination in Japan, Duke University Press, 2019, non traduit en français.

25.04.2024 à 10:58

Modèles en tous genres

Margaux Mazellier

Des élèves de l’école des beaux-arts de Marseille s’installent par terre en cercle, dans la salle silencieuse du Soma, un centre artistique expérimental situé en plein centre-ville de la cité phocéenne. Hélène Fromen, l’une des trois modèles intervenant ce jour-là, se faufile au milieu des feuilles de papier et des sacs de cours pour s’installer […]
Texte intégral (1938 mots)

Des élèves de l’école des beaux-arts de Marseille s’installent par terre en cercle, dans la salle silencieuse du Soma, un centre artistique expérimental situé en plein centre-ville de la cité phocéenne. Hélène Fromen, l’une des trois modèles intervenant ce jour-là, se faufile au milieu des feuilles de papier et des sacs de cours pour s’installer au centre du cercle.

Elle a gardé son pantalon noir, et des bretelles striées de vert et de noir lui barrent la poitrine. Encore en retrait, Linda Demorrir et Lucie Camous, ses deux collègues, sont déjà complètement nu·es. Hélène prend la pose puis, immédiatement après, la parole : « Je suis devenue lesbienne à presque 50 ans. Poser m’a permis de réfléchir au regard que je portais sur moi-même et à celui que les autres pouvaient avoir sur moi. »

Les mentons se lèvent et se baissent tandis que les crayons et autres feutres vont et viennent sur le papier. Hélène se déshabille complètement. Linda et Lucie la rejoignent. Leurs trois corps s’allongent, côte à côte, sur le sol, et basculent en chandelle. Elles et iel tiennent la pose un long moment tout en continuant à parler et parfois, entre deux phrases, éclatent de rire. En fond sonore est diffusée la lecture d’un texte écrit par Hélène : « Je suis allée dedans je me suis vue nue, c’est plus facile tordue ; tant pis si ça coince, si ça plie, si ça pendouille, si ça ride, si ça chauffe, si ça tremble : je me suis reconnue. » Des morceaux de musique qui, d’après Lucie, ont tous « un sens politique » prennent le relais : Tomboy, de Princess Nokia, Faire et refaire, d’Ascendant Vierge ou encore Pussyboy, d’Ezra Michel. Les corps qui s’exposent aux yeux des étudiant·es en art échappent aux normes de genre. Les peaux sont capitonnées ; les corps tatoués, poilus, musclés, s’entremêlent dans des poses éloignées de celles habituellement adoptées par les modèles d’art.

Créé en 2019, Modèle vivant·e est un « collectif transféministe de dessin et de représentations dissidentes ». Né de la rencontre entre Linda Demorrir, modèle et DJ, et Hélène Fromen, artiste et chercheure, il a été rejoint en 2021 par Lucie Camous, modèle, curateur·ice, chercheur·euse et artiste. Ses interventions invitent à reconsidérer les corps nus au-delà des représentations binaires habituelles. « On cherche à renouveler la pratique du dessin de modèles vivant·es et à en faire non plus seulement quelque chose d’artistique mais aussi de politique », explique Hélène Fromen.

Dessin modèle vivant·es

À côté d’elle, Karine Rougier, 42 ans, artiste et enseignante aux Beaux-Arts de Marseille, acquiesce. Lorsque, en 2019, l’école lui a proposé de reprendre le cours de dessin pour les étudiant·es de première année, abandonné par l’établissement sept ans plus tôt, elle a tout de suite souhaité réintroduire la pratique du modèle vivant. Au départ, elle invite les modèles académiques proposés par l’école, mais, très vite, elle a le sentiment que ce format alimente les stéréotypes de genre : « Les étudiant·es de cette génération ont besoin de dessiner des corps dans toute leur diversité et dans lesquels ils et elles se reconnaissent vraiment », affirme-t-elle. En 2020, sa rencontre avec le collectif Modèle vivant·e est un déclic : un partenariat est mis en place, avec l’assentiment immédiat de l’école. Dans un même élan, Karine Rougier organise des ateliers similaires avec d’autres artistes-modèles marseillais·es issu·es des milieux féministes et queers : Bruta, Opale Mirman ou encore Ju Bourgain.

Sous le regard concentré des élèves, les trois modèles alternent les positions, certaines plus acrobatiques que d’autres. Parfois la posture ne fonctionne pas et ce n’est pas grave, explique Lucie Camous : « On ne prépare rien en amont. On fait tout au feeling en fonction de nos envies et de nos idées sur le moment. » Karine Rougier, la professeure, n’intervient jamais. Elle se contente de slalomer entre les étudiant·es pour les aiguiller au besoin.

Emma, étudiante de 20 ans, est une des premières à terminer son dessin. Les trois corps sont représentés entrelacés : impossible de deviner qui est qui. En bas de la page, en lettres capitales, elle a écrit les mots « bizarre » et « bazar ». « J’ai l’habitude de dessiner d’abord le visage, mais là je ne savais pas par où commencer : le pied, le sein ? Finalement on dirait un peu une créature, mais j’aime bien le résultat », commente-t-elle. Assise à ses côtés, son enseignante poursuit : « Contrairement à ce qui se passe dans les cours académiques, ici le corps est parfois représenté de façon monstrueuse, drôle ou délirante. Tout ce que peut aussi être un corps finalement. » Une manière de réinvestir la figure du monstre pour mieux retourner le stigmate de la violence subie par les femmes et les personnes LGBT+. Au-delà des enjeux de représentations, cet exercice a également un intérêt artistique, complète la professeure : « La liberté et l’originalité des poses proposées par les modèles – dos courbés, jambes croisées, corps entassés – amènent les étudiant·es dans des endroits où ils n’ont pas l’habitude d’aller en matière de techniques. »

Les corps des modèles s’entremêlent dans des poses éloignées de celles habituellement adoptées par les modèles d’art.

Les corps des modèles s’entremêlent dans des poses éloignées de celles habituellement adoptées par les modèles d’art. Crédit : Gaëlle Matata

Reprendre le contrôle

 

C’est au tour de Linda Demorrir, autre modèle, de prendre la parole devant les étudiant∙es : « Au départ, je posais dans des cadres académiques, mais j’avais souvent l’impression d’être objectifiée. En posant et en m’exprimant dans un espace tel que celui proposé ici, j’ai vraiment fait la paix avec mon corps trans. » Pour elle, comme les autres cofondateur·ices du collectif, parler pendant les poses permet de rétablir l’équilibre des pouvoirs entre artistes et modèles. Ainsi, Lucie Camous, en tant que personne en situation de handicap, questionne le validisme dont iel souffre au quotidien. Enchevêtré·e à ses deux acolytes, iel lance à l’assemblée : « Lorsque j’ai cherché des représentations anti-validistes dans l’art contemporain, je me suis heurté·e à un grand vide. C’est pourquoi je vous demande de dessiner ma jambe. » Iel baisse le regard vers ladite jambe et poursuit : « Poser ainsi me permet de reprendre le contrôle sur la manière dont j’ai envie d’être représenté·e. Dessiner et demander à être dessiné·e, c’est aussi faire exister d’autres narrations, en portant la mienne avec celles des tordues, des boiteuses en équilibre instable. » Les étudiant·es se lancent.

La performance semble inspirer les jeunes artistes : « Il y a une vraie liberté de format, ce qui nous libère de la pression technique. Mais cela crée une autre forme d’impératif : celle d’interroger notre propre regard. Quand Lucie nous demande de dessiner sa jambe handicapée, iel pose une exigence et cela crée un vrai échange horizontal entre nous », s’enthousiasme Apolline, 22 ans. « C’est beaucoup plus intéressant que les cours de modèle vivant académique où on a parfois l’impression que la personne qui pose est un pot de fleur », complète Marie. D’autres rencontrent des difficultés : « Les poses sont trop compliquées et trop nombreuses. On n’a pas vraiment le temps de perfectionner notre dessin », regrette Naya, 19 ans.

Alors que la performance prend fin, la salle plonge dans le silence. La tension retombe, aussi bien pour les trois modèles dont la peau rougie est marquée par les différentes poses, que pour les étudiant·es, dont les dizaines de dessins jonchent maintenant le sol. Modèles et artistes ont traversé ensemble ce que le collectif appelle un moment de « tendresse radicale et collective ». « C’est un peu comme si tu revenais d’une planète dans laquelle tu t’exprimais différemment », analyse Hélène Fromen. Puis elle ajoute : « On pourrait penser que ce que l’on propose est une utopie, mais c’est bien réel. » •

Linda Demorrir, à gauche, Hélène Fromen au centre et Lucie Camous, à droite, membres du collectif transféministe Modèle vivant·e.

Linda Demorrir, à gauche, Hélène Fromen au centre et Lucie Camous, à droite, membres du collectif transféministe Modèle vivant·e. Crédit : Gaëlle Matata

Le reportage photo de cet article a été réalisé le 17 février 2024 lors d’une session proposée aux étudiant·es des Beaux-Arts de Marseille par l’enseignante et artiste Karine Rougier avec le collectif Modèle vivant·e.

Journaliste et autrice basée à Marseille, spécialisée dans les questions de genre et de migrations, Margaux Mazellier a signé Marseille trop puissante. 50 ans de féminisme dans la ville la plus rebelle de France (Hors d’atteinte, 2024).

Photographe basée à Marseille, Gaëlle Matata travaille avec des médias, des lieux culturels et des associations. Elle a été sélectionnée pour l’exposition « La France sous leurs yeux » (BNF, 2024).

25.04.2024 à 07:56

Amérique latine : les féministes face à la montée de l’extrême droite

Marie-Agnès Laffougère

Le président du Chili peine à faire voter des avancées féministes Le Chili est toujours régi par la Constitution datant de la dictature de Pinochet. Gabriel Boric, président autoproclamé « féministe et socialiste », au pouvoir depuis deux ans, n’a pas réussi à faire voter de nouvelle Loi fondamentale. En 2022, un projet inclusif mettant l’accent sur […]
Texte intégral (605 mots)

Le président du Chili peine à faire voter des avancées féministes

Le Chili est toujours régi par la Constitution datant de la dictature de Pinochet. Gabriel Boric, président autoproclamé « féministe et socialiste », au pouvoir depuis deux ans, n’a pas réussi à faire voter de nouvelle Loi fondamentale. En 2022, un projet inclusif mettant l’accent sur la parité, l’écologie et la reconnaissance des peuples autochtones, mais aussi sur la définition d’un État social et démocratique, a été rejeté à 62 % par référendum. Un an plus tard, un nouveau projet rédigé par la droite ultraconservatrice a également connu un revers.

En parallèle, les féminicides continuent d’augmenter, comme depuis dix ans, pour atteindre en 2023, 208 femmes assassinées. Le Congrès a adopté le 6 mars 2024 une proposition de loi institutionnalisant des mesures pour prévenir, punir et éradiquer les violences de genre.

Contre l’« idéologie du genre » au Salvador

Depuis cinq ans à la tête du Salvador, Nayib Bukele a été réélu en février 2024 malgré l’interdiction des mandats consécutifs par la Constitution. Au carrefour du libertarisme et d’une politique ultramilitarisée dans un pays à la législation conservatrice (avortement, mariage homosexuel et transition de genre interdits), le président a déclaré à la fin de février 2024 qu’il n’autoriserait plus les « idéologies de genre, anti-naturelles, anti-Dieu, anti-familles, dans les programmes scolaires ». Le ministre de l’Éducation a affirmé, dans la foulée, que « toute trace de l’idéologie de genre a été retirée de toutes les écoles publiques du pays ».

L’État équatorien s’en prend aux précaires

Depuis octobre 2023, l’Équateur est dirigé pour la première fois par un gouvernement d’extrême droite. En janvier 2024, de nombreuses organisations paysannes, écologistes, féministes et antiracistes se sont réunies pour dénoncer la politique du président Daniel Noboa. Pour financer ce qu’il appelle un « conflit armé interne » contre les gangs, l’exécutif a autorisé la poursuite de l’exploitation d’un gisement pétrolier en Amazonie, dont la fermeture avait pourtant été approuvée par référendum en août 2023. Il a aussi augmenté de trois points la TVA, qui atteint 15 % depuis avril 2024, ce qui a des conséquences pour les précaires, en particulier les femmes et les populations autochtones. « Nous refusons de financer la guerre patriarcale et raciste », résume Micaela Camacho du collectif féministe Cholas valientes.

En Argentine, le backlash Milei

Alors que ce pays latino-américain était celui qui avait la législation la plus progressiste en matière de protection des droits des femmes et des personnes LGBT+ (PMA accessible pour tous·tes depuis 2013, avortement légal et quotas de personnes trans dans les administrations publiques depuis 2020), l’ultraconservateur Javier Milei a déjà démantelé le ministère des Femmes, des Genres et de la Diversité et interdit tout usage du langage inclusif dans les administrations publiques. Au début de février 2024, une députée du parti de l’exécutif a présenté un projet de loi visant à abroger la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, en vigueur depuis quatre ans. Face à ces nombreuses attaques réactionnaires, une vague verte et féministe a déferlé dans les rues du pays le 8 mars 2024 aux cris de « ¡Ni un paso atrás! » (Pas un pas en arrière !).

5 / 10

 

  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplomatique
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
  CULTURE / IDÉES 1/2
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  IDÉES 2/2
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Goodtech.info
Quadrature du Net
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
  Pas des sites de confiance
Brut
Contre-Attaque
Korii
Positivr
Regain
Slate
Ulyces
🌞