Selon TRG Datacenters, la puissance de calcul des Émirats arabes unis dédiée à l’IA s’élève à 23 millions d’équivalents GPU Nvidia H100 — contre 2,4 millions pour la France, 120 000 pour le Royaume-Uni ou 51 000 pour l’Allemagne.
La montée en puissance d’Abou Dabi en matière d’intelligence artificielle a considérablement bénéficié du retour au pouvoir de Trump.
Les exportations de pétrole représentent actuellement environ 30 % du PIB des Émirats arabes unis. Face à une anticipation de la baisse de ses revenus fossiles au cours des prochaines décennies, le pays investit massivement dans les nouvelles technologies afin de diversifier son économie.
D’ici 2031, Abou Dabi vise à ce que 20 % de son PIB non-pétrolier provienne de l’IA dans le cadre de sa Stratégie nationale fixée en 2017 1.
Si les chiffres des investissements émiratis dans l’IA ne sont pas publics, le pays a annoncé sa participation à plusieurs initiatives majeures ces derniers mois, notamment le projet américain Stargate, dévoilé en janvier.
La grande partie de ces investissements passent par MGX, un fonds d’investissement public créé en 2024 et dirigé par Tahnoun ben Zayed Al Nahyane, le conseiller à la Sécurité nationale du pays.
Ce dernier est également le président du conseil d’administration de G42, une entreprise associée au projet Stargate UAE. Celui-ci vise à mettre en service 1 GW de puissance de calcul dans le pays afin d’alimenter des modèles d’IA 2.
Les activités de G42 s’étendent bien au-delà de la construction d’infrastructures physiques. L’entreprise est notamment l’un des principaux partenaires de la MBZUAI, une université installée à Abou Dabi depuis 2019 qui revendique être le leader mondial de la formation dans le domaine de l’IA. Celle-ci a ouvert en mai une antenne au cœur de la Silicon Valley, à Sunnyvale, en Californie, et a annoncé l’ouverture prochaine d’un lab à Paris 3.
Selon TRG Datacenters, dont l’analyse repose sur les données d’Epoch AI, les Émirats arabes unis disposent aujourd’hui de la deuxième puissance de calcul dédiée à l’IA la plus importante au monde, derrière les États-Unis.
Mesurée en équivalent H100, le GPU de Nvidia offrant les meilleures performances du marché, la puissance de calcul émiratie serait ainsi 10 fois supérieure à celle de la France, premier pays européen du classement, 200 fois supérieure au Royaume-Uni et 450 fois supérieure à l’Allemagne.
La montée en puissance émiratie en matière d’intelligence artificielle a considérablement bénéficié du retour au pouvoir de Trump, notamment en raison des réseaux pré-existants liant les intérêts financiers des membres de la famille présidentielle américaine à Tahnoun ben Zayed Al Nahyane, également à la tête du fonds souverain émirati ADIA (qui gère plus de 1 000 milliards de dollars d’actifs).
L’administration Biden avait limité ses partenariats avec Abou Dabi, les services de renseignements américains ayant émis des réserves quant à l’exportation de puces sophistiquées vers le pays en raison des liens entretenus avec Pékin.
En autorisant les ventes, les responsables démocrates au pouvoir à Washington craignaient que la Chine n’accède aux centres de données du pays et rattrape ainsi plus rapidement son retard en matière d’IA sur les États-Unis.
Trump a largement levé ces restrictions depuis le 20 janvier, notamment sous l’influence de Steve Witkoff et de David Sacks, qui avait déclaré en mai : « Le choix est le suivant : voulons-nous que ces pays soient la tirelire de l’IA américaine ou de l’IA chinoise ? »
Cette position se reflète également dans le plan présenté par le président américain cet été, qui vise à pousser le reste du monde à adopter massivement les semi-conducteurs et les infrastructures de calcul des géants de la Silicon Valley.
En échange d’une augmentation du nombre de puces sophistiquées américaines autorisées à être exportées vers le pays, les Émirats arabes unis se sont engagés à investir des centaines de milliards de dollars aux États-Unis au cours des prochaines années.
MGX a également réalisé un investissement de 2 milliards de dollars dans Binance en mai en passant par le stablecoin de World Liberty Financial (WLF), l’entreprise de crypto lancée en octobre 2024 par Trump et ses fils aux côtés de Zach Witkoff, le fils de l’envoyé spécial de Trump au Moyen-Orient.
À elle seule, la transaction pourrait générer des rendements de plusieurs dizaines de millions de dollars par an, s’ajoutant aux dizaines de millions de dollars générés par les transactions du memecoin du président américain, $TRUMP.
Sur les 7,7 milliards de dollars de la famille Trump au 1er octobre, près de 2 milliards sont liés à des activités crypto (WLF, $TRUMP et American Bitcoin notamment, l’entreprise de minage de cryptomonnaies fondée par deux des fils de Donald Trump).
La Russie de Poutine a expérimenté en Géorgie un nouveau type de conquête impériale : plutôt que d’envahir le pays, elle a pris le contrôle de son État.
Si Moscou vient d’échouer à faire de même en Moldavie, le plan est désormais connu — et la menace s’étend.
Alors que se tient aujourd’hui le sommet de la Communauté politique européenne, nous avons rencontré la présidente Zourabichvili.
Dans le choix entre un ancrage européen solide et la sphère d’influence russe, les législatives moldaves ont été un test. La Géorgie a connu un processus similaire. Que pensez-vous du résultat des élections moldaves et en quoi cela fait-il écho à votre propre expérience ?
Le cas moldave permet une comparaison très directe car nous avons connu le même type d’élections il y a tout juste un an ; nous avions alors fait face aux mêmes ingérences et manipulations russes — aussi significatives qu’elles l’ont été en Moldavie. Malheureusement, nous n’avions pas les moyens de contrer cette ingérence ni le soutien dont a bénéficié la Moldavie : il est plus facile de contrecarrer cette influence aujourd’hui, car elle est bien mieux documentée.
Lors des élections géorgiennes, on m’a même demandé de prouver qu’il y avait eu ingérence russe — on en rirait presque si ce n’était si grave.
La Géorgie a été, ici comme en bien d’autres occasions, un laboratoire pour la Russie.
En 2008, nous subissions une agression militaire directe, dont la forme fut répliquée en Crimée et en Ukraine.
L’année dernière, la Russie a conduit chez nous une expérience pour savoir comment conquérir un pays non pas en prenant son territoire, mais en manipulant les élections et en installant un gouvernement fantoche qui fait exactement ce qu’elle veut.
Vous voulez dire que la Russie n’a pas eu besoin d’envahir la Géorgie pour en prendre le contrôle ?
La Russie occupe déjà 20 % de notre territoire avec des bases militaires. Mais il y a quelque chose de plus pervers dans la façon dont Moscou opère actuellement : l’objectif n’est pas de s’emparer du territoire de notre pays — mais de son État.
C’est ce que la Russie est en train de faire.
Nous continuons à résister et notre population est très résiliente. À l’instar des Ukrainiens, qui combattent et résistent militairement à l’agression dont ils sont victimes depuis trois ans et demi, la population géorgienne résiste à ce qu’on peut aussi appeler une agression — bien qu’elle soit non militaire, mais plutôt hybride.
La Russie de Poutine perfectionne contre nous un nouveau type de guerre — qu’elle a tenté de mener en Moldavie et en Roumanie et qu’elle tentera certainement ailleurs si nous la laissons faire.
La Géorgie a été un laboratoire pour la Russie.
Salomé Zourabichvili
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait écho à ces propos après le vote moldave, insistant sur le fait que les Européens ne devaient pas oublier la Géorgie ni le Belarus, car une victoire russe serait une défaite pour l’Europe. À un moment aussi crucial pour votre pays, avez-vous eu le sentiment que l’Europe vous abandonnait ?
Je n’utiliserais pas le mot « abandonner » — mais il est vrai que l’Occident en général n’a pas fait assez et n’a pas pris clairement la mesure de ce qui se passait.
C’est peut-être parce que nous sommes un petit pays et que nous sommes géographiquement plus éloignés que nous n’avons pas reçu le même type d’attention que d’autres. Si l’on a plus parlé de la Moldavie, c’est que l’on était bien plus sensible aux conséquences qu’aurait une victoire pro-russe dans ce pays que dans le nôtre.
Au moment de notre élection, l’Ukraine subissait une agression militaire directe, et l’accent était mis sur le soutien à l’Ukraine dans son combat existentiel plutôt que sur la Géorgie, qui ne semblait pas subir d’attaque aussi directe. Je peux le comprendre, mais je ne peux que regretter que nous n’ayons pas reçu plus d’attention et de soutien car, comme je l’ai dit, le Kremlin cherche désormais à prendre le contrôle d’États par d’autres moyens.
Puisque la Russie ne peut gagner militairement, elle fait peser une menace d’un autre type.
Cela étant dit, nous ne devons pas blâmer les autres, nous devons aussi nous remettre en question.
Que voulez-vous dire ?
L’opposition politique géorgienne, la population, la société civile et moi-même — en tant que représentante du peuple géorgien — n’avons pas fait preuve d’assez de prudence lors de ces élections.
Il y avait eu un précédent avec les « lois russes » qui avaient déclenché de grandes manifestations dans les rues de Tbilissi, repoussant avec succès une tentative de prise de pouvoir du législatif sur l’exécutif. Les gens descendaient dans la rue avec constance et force ; ce fut en grande partie un succès. Ces événements nous ont donné une confiance excessive dans notre capacité à remporter les élections.
Pourtant, ce n’était que le début de l’assaut contre les principes démocratiques et les institutions indépendantes.
Nous n’étions pas préparés aux nouvelles technologies qui étaient alors déployées : centres d’appels, cybermanipulation et ingérences politiques en tous genres. Les ONG, qui jouent généralement un rôle de surveillance pendant les élections, étaient elles-mêmes soumises à la pression des « lois russes » ; elles faisaient face à des amendes et des restrictions.
Nous sommes la frontière, le front.
Salomé Zourabichvili
Ces lois ont été présentées comme visant à contrer l’ingérence étrangère, mais elles constituaient en réalité un moyen de réduire au silence l’opposition au parti dirigeant… C’est une stratégie soviétique.
Les garanties traditionnelles d’un processus démocratique ont été affaiblies par ces actions, plus fortement que nous ne l’avons d’abord compris : nous étions trop confiants et il est vrai que nous souffrions également d’un manque d’implication directe et d’attention de la part de nos partenaires.
La combinaison de ces facteurs explique le résultat : nous avons remporté les élections, mais nous n’avions pas les moyens — devant les tribunaux et par les instruments que nous donnait le système politique — de prouver cette victoire et de contester le résultat officiel.
Lorsque vous dites qu’il y aurait eu un manque d’implication directe de la part de vos partenaires, à qui et à quoi faites-vous précisément référence ?
Lorsque j’ai fait l’objet d’une procédure de destitution — qui n’a finalement pas abouti car le Rêve géorgien n’a pas obtenu la majorité au parlement — je ne peux pas dire que j’ai reçu le soutien que nos partenaires européens apportent habituellement dans de tels cas.
Aujourd’hui, mon message à nos partenaires européens est le suivant : n’oubliez pas la Géorgie ; regardez ce qui s’y passe — car les événements qui s’y produisent détermineront l’avenir de nombreux autres pays, et en fin de compte, celui de l’Europe elle-même.
Nous sommes la frontière, le front.
Aujourd’hui, le front démocratique se trouve en Ukraine, où les Ukrainiens se battent ; il se trouve au Bélarus, en Moldavie et en Géorgie. Ce sont ces pays qui défendent la démocratie.
Vient ensuite la deuxième ligne de front — la Pologne et les États baltes — ces pays-là, plus que les États européens plus à l’ouest, comprennent notre situation, nous soutiennent et se battent avec nous.
C’est là que se trouve le principal champ de bataille.
On ne reverra peut-être plus de guerres de conquête telles que nous les avons connues car la Russie a compris qu’elles sont extrêmement coûteuses et qu’elle ne peut pas les gagner.
Sachant cela, elle concentre ses efforts vers d’autres buts.
Je soutiens pleinement le réarmement et l’élaboration d’une politique de défense commune ; j’en comprends la nécessité. Toutefois, la sécurité de l’Europe de demain dépendra tout autant d’une politique commune visant à lutter contre les cyberattaques et à contrer la manipulation des élections en étant mieux renseigné sur leur déroulement.
C’est une tâche que l’Union devrait entreprendre collectivement, en étroite collaboration avec l’OTAN. Les cyberattaques constituent déjà une menace et un véritable problème. Nous en avons fait l’expérience en Géorgie, et la plupart des pays y ont été confrontés et le seront encore davantage. Qu’on parle de drones survolant la Pologne ou d’incidents navals en mer Baltique, tout cela relève de la guerre psychologique.
Je ne dis pas que, demain, les Russes bombarderont Varsovie, mais ils jouent avec les populations ; ils jouent avec nos cerveaux ; ils veulent nous perturber, exploiter nos peurs dans une campagne militaire menée directement sur Internet.
La Russie de Poutine perfectionne contre nous un nouveau type de guerre.
Salomé Zourabichvili
Au fond, vous affirmez que la Russie n’aurait plus besoin de conquérir un pays militairement, car elle s’appliquerait désormais à prendre le contrôle des États de l’intérieur. Comment exactement ?
En sapant les institutions étatiques, vous détruisez l’État lui-même.
En Géorgie aujourd’hui, l’État est érodé à la fois de l’intérieur et de l’extérieur.
Les institutions n’ont plus qu’une existence nominale ; elles ne sont plus indépendantes.
C’est un processus lent mais inexorable, qui dure depuis deux ou trois ans.
Nous n’avons plus de pouvoir judiciaire véritablement indépendant : nos tribunaux, y compris la Cour constitutionnelle, sont totalement dépendants.
Notre système judiciaire, qui était loin d’être parfait mais qui était en cours de réforme, s’est grippé.
Notre banque centrale n’est plus indépendante ; elle est entre les mains du parti au pouvoir.
La liste serait très longue…
Sur le papier, la Géorgie existe en tant qu’État indépendant. Mais tous les fondements qui constituent un État indépendant sont érodés par le parti au pouvoir, qui applique les méthodes russes.
Quelle est la prochaine étape pour la Géorgie ? Les dégâts que vous évoquez sont-ils irréparables ?
Ils peuvent être réparés tant que la société civile reste active et que les gens ne quittent pas le pays.
C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis restée en Géorgie et pour lesquelles j’y resterai. Il est très important que les jeunes, en particulier, n’abandonnent pas et ne décident pas de chercher leur avenir uniquement en Europe.
Certains pans de l’administration n’ont pas été complètement politisés ou purgés.
Avant le début de cette offensive, notre administration fonctionnait plutôt bien. Nous disposons encore de la plupart des capacités nécessaires pour revenir à la situation antérieure. Mais cela exige que nous résistions.
Comme en Russie, le pouvoir s’appuie sur des criminels. Mais en Géorgie, ils sont moins solides et moins organisés qu’à Moscou : ils se déchirent dans des luttes intestines.
Les dirigeants du parti au pouvoir sont paranoïaques : qui résistera le plus longtemps et qui sera contraint de démissionner le premier ? Ils sont engagés dans une course contre la montre pour garder le pouvoir.
Pour l’instant, la société civile continue de résister ; elle montre qu’elle a des ressources et qu’elle ne cédera pas à la répression.
À l’agenda du sommet de la Communauté politique européenne qui se réunit aujourd’hui, jeudi 2 octobre, à Copenhague, on retrouve la question de l’élargissement de l’Union. La Géorgie était candidate — et c’était également votre aspiration personnelle. Dans le contexte politique actuel, cette trajectoire appartient-elle désormais au passé ?
Non, cette histoire n’est pas terminée.
Vous dire le contraire reviendrait à condamner une population tout entière qui continue de se battre. Ce serait une erreur. Tant que les gens continuent de résister et de manifester leur désir d’adhérer à l’Europe — et ils ont pris de nombreux risques pour le faire —, la porte doit rester ouverte.
Je fais une distinction très claire entre la population géorgienne et ses dirigeants illégitimes — ceux qui prennent actuellement les décisions.
Ces personnes n’ont pas été véritablement élues ; la plupart d’entre elles ont été nommées.
Sur le papier, la Géorgie existe en tant qu’État indépendant. Mais tous les fondements qui constituent un État indépendant sont érodés par le parti au pouvoir, qui applique les méthodes russes.
Salomé Zourabichvili
Elles devraient être totalement discréditées, et les élites européennes devraient leur dire ouvertement : « nous ne traitons pas avec vous » sans en craindre les conséquences. Elles disent bien de telles choses, mais le message n’est pas clair. La porte du dialogue devrait donc leur être fermée à double tour — bien plus qu’elle ne l’est actuellement — pour laisser au dehors de la discussion ceux qui sont responsables du déraillement du processus d’adhésion de la Géorgie à l’Union.
Vous attendez donc des dirigeants européens une condamnation plus claire ?
Oui. Leur message devrait être : si vous vous comportez de cette manière et nuisez à votre pays comme vous le faites, nous ne pouvons pas traiter avec vous. En revanche, il faut continuer à dialoguer avec la société civile et à la reconnaître comme légitime — même si les moyens concrets sont limités. Les dirigeants européens ne dialoguent pas avec le régime mais ils devraient acter cet état de fait et dire clairement : nous ne reconnaissons pas ce que vous faites.
En pratique, il est très difficile de séparer le peuple du gouvernement. Qu’est-ce qui vous rend confiante dans le fait que l’Union ne renoncera pas à intégrer la Géorgie alors que les négociations sont de facto suspendues ?
Heureusement, l’Union ne prend pas de telles décisions aussi rapidement. À cet égard, nous avons de la chance.
Encore une fois, nous ne devrions pas tirer de conclusions des actions d’un gouvernement illégitime qui n’est en place que depuis quelques années. La Géorgie s’efforce depuis trente ans de se conformer aux standards de l’Union pour la rejoindre, et a accompli d’énormes progrès. Nous avons été pionniers ; nous avons ouvert la voie pour la Moldavie et l’Ukraine.
J’ai moi-même invité ces deux pays en Géorgie en 2021, en compagnie du président du Conseil européen d’alors, Charles Michel.
À l’époque, la Géorgie était certaine d’être le premier des pays candidats à entrer dans l’Union, et notre objectif était d’embarquer l’Ukraine et la Moldavie avec nous dans ce processus. Il est clair que cela n’est plus possible aujourd’hui — mais rien n’est jamais définitif.
L’élargissement est un processus dans lequel la Géorgie et le peuple géorgien ont déjà fait d’énormes progrès — même s’il nous reste bien sûr des étapes importantes.
Ceux qui travaillent pour la Russie ne devraient pas être autorisés à bloquer l’avenir du peuple géorgien.
Ce serait une immense erreur pour l’Europe et une victoire pour la Russie.
Viktor Orbán affirme que les dirigeants du Rêve géorgien n’étaient pas des agents russes. Il les a félicités après les élections contestées et a même déclaré que la Géorgie avait évité de devenir une « deuxième Ukraine ». Considérez-vous cela comme une ingérence et avez-vous été surprise que ses propos n’aient pas suscité la condamnation du reste des dirigeants européens ?
Viktor Orbán a fait ce qu’il voulait faire. Et ce qu’il fait ou dit ne m’intéresse pas beaucoup.
L’Union aurait dû condamner plus fermement la manière dont ces élections ont été détournées et le pouvoir usurpé. Orbán n’est pas le seul à pouvoir s’exprimer et faire des déclarations : les autres dirigeants européens le peuvent aussi. Et elle aurait dû se montrer plus catégorique et plus ferme.
Imaginez si les résultats des élections en Moldavie avaient été différents : je suis sûr que l’Union aurait publié une déclaration forte affirmant qu’il s’agissait du résultat d’une ingérence directe de Moscou.
Nous aurions dû avoir la même déclaration après les élections géorgiennes. Cela n’a pas été le cas. Je ne voudrais pas m’attarder sur ce qui s’est passé. Ce qui est fait est fait.
Ce qui importe maintenant, c’est que nous restions concentrés, que nous continuions à prêter attention à la Géorgie et que nous nous préparions pour l’avenir. Mais nous devons en tirer les leçons.
Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, l’administration américaine a-t-elle manifesté un intérêt pour la discussion avec votre pays ? Voyez-vous encore une possibilité de dialoguer avec les États-Unis — ou les contacts ont-ils cessé ?
La Géorgie est clef pour les États-Unis.
Donald Trump a une définition très particulière de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. Pour lui, tout se résume aux intérêts économiques et stratégiques concrets — c’est dans ces termes qu’il faut désormais engager un dialogue.
La Géorgie contrôle les routes vers l’Asie centrale, qui sont vitales pour l’économie américaine, et partage le contrôle des côtes de la mer Noire avec l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie.
Lorsque l’on examine la région d’un point de vue géographique, on comprend parfaitement pourquoi la Russie cherche à y maintenir et à y étendre son influence. Les investissements réalisés par les États-Unis en Géorgie au cours des trente dernières années n’ont pas été faits uniquement pour notre bien ou pour témoigner de bons sentiments ; ils ont été faits parce que la Géorgie est importante sur le plan stratégique ; ils reflétaient les intérêts des États-Unis, et ces intérêts n’ont pas disparu.
Donc, pour répondre à votre question, je considère tout à fait qu’il y a lieu d’ouvrir un dialogue avec l’administration américaine.
Les États-Unis entrent aujourd’hui, jeudi 2 octobre, dans leur deuxième journée de shutdown — le premier depuis près de 7 ans.
Contrairement aux précédents, l’administration Trump considère que celui-ci pourrait servir ses intérêts en procédant à des licenciements massifs de fonctionnaires fédéraux.
Tous les ans, le Congrès doit passer douze lois de financement avant la fin de l’année fiscale afin de couvrir les dépenses dites « discrétionnaires » du gouvernement fédéral. Lorsqu’il ne parvient pas à remplir ce rôle avant le 30 septembre, le gouvernement « ferme » : certains services cessent de fonctionner, des infrastructures fédérales ferment leurs portes, et des fonctionnaires sont placés en congé sans solde ou continuent de travailler sans percevoir de salaire.
Un shutdown consiste traditionnellement en une épreuve de force entre les deux partis, qui cherchent à obtenir des concessions de l’autre camp.
La plupart du temps, les législateurs s’accordent pour passer une mesure de financement temporaire (une « résolution continue », ou CR) afin de pouvoir continuer à négocier tout en évitant la fermeture du gouvernement, à laquelle est associée un coût politique.
Le Congrès a adopté une ou plusieurs de ces mesures au cours de 46 des 49 dernières années fiscales 1. La dernière fois que le Congrès est parvenu à voter ses douze lois de financement avant la fin de l’année fiscale remonte à 1997.
Cette année, ces mesures temporaires — introduites par les Démocrates et les Républicains — ont échoué à obtenir une majorité suffisante dans les deux chambres.
Si les législateurs républicains se disent ouverts à négocier avec les démocrates une fois leur mesure temporaire — qui financerait les dépenses du gouvernement jusqu’au 21 novembre — signée par Trump, la Maison-Blanche a signalé vouloir tirer avantage de l’absence de financement pour démanteler davantage l’appareil fédéral. Depuis janvier, 300 000 postes de fonctionnaires fédéraux ont été supprimés par l’administration Trump.
Le 24 septembre, une semaine avant le début du shutdown, le directeur du Bureau de la gestion et du budget (OMB) Russell Vought a envoyé un mémorandum aux agences et départements fédéraux exigeant une réduction des effectifs des fonctionnaires (RIF) travaillant au sein de programmes n’étant pas « conformes aux priorités du président » 2.
Selon des informations obtenues par Axios, Vought aurait averti les représentants républicains hier, mercredi 1er octobre, que l’administration commencerait à licencier des fonctionnaires « dans un jour ou deux », sans préciser quels programmes spécifiques seraient affectés 3.
Durant un shutdown, la Maison-Blanche dispose de pouvoirs considérables permis par l’absence d’encadrement juridique précis. Lors de son premier mandat, l’administration Trump avait notamment décidé de maintenir les parcs nationaux ouverts — alors que ceux-ci sont traditionnellement fermés en raison de l’absence de fonds — et de rappeler plus de 15 000 fonctionnaires du service des impôts (IRS) pour continuer à traiter des appels et remboursements 4.
L’administration avait également continué à délivrer des permis d’extraction de pétrole et de gaz, réinterprétant ainsi la définition de « fonctions essentielles » du gouvernement 5. Hier, Vought a annoncé l’annulation de près de 8 milliards de dollars pour la transition énergétique — associée à « la gauche » — dans 16 États.
L’OMB joue un rôle majeur lors d’un shutdown. Au sein de la Maison-Blanche, il s’agit de l’agence qui fournit des « orientations » aux directions des départements fédéraux, notamment concernant la distinction entre les activités jugées « essentielles » (qui continueront de fonctionner) et routinières (susceptibles d’être suspendues).
En 2023, un rapport publié dans la revue du Claremont Institute, The American Mind, par un ex-responsable de la première administration Trump écrivant sous pseudonyme décrivait comment une nouvelle administration « America First » pouvait « transformer les shutdowns, qui sont actuellement le bouclier de la bureaucratie, en l’épée du président » 6.
C’est dans cette même publication que Vought — qui était déjà à la tête de l’OMB durant la première administration Trump — appelait un an plus tôt la « Droite » à exploiter toutes les failles juridiques à sa disposition et ses membres à devenir des « constitutionnalistes radicaux » afin de se débarrasser des bureaucrates 7.
Dans le centre de la France, sur une terre entourée de montagnes anciennes et de volcans endormis, j’ai grandi avec la légende d’un héros né sur cette même terre et qui appartenait à deux mondes : la France et les États-Unis 1.
Il avait été élevé par sa mère et ses tantes. À dix-neuf ans, il entendit parler d’hommes qui se battaient de l’autre côté de l’Atlantique au nom de la liberté et de la démocratie. Il défia les autorités françaises, monta à bord de la Victoire à Bordeaux, puis débarqua à North Island, près de Georgetown, en Caroline du Sud. Il se tint aux côtés des Patriotes américains et combattit dans leurs rangs. Il se lia d’amitié avec George Washington et tissa des liens avec Thomas Jefferson, qui rédigeait alors la Déclaration d’indépendance.
« Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »
Notre jeune héros rapporta avec lui en France ces paroles, et rédigea, trois jours avant la prise de la Bastille, la première ébauche de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui commence ainsi :
« Les hommes naissent libres et égaux en droits. […] Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
Telle est l’histoire de La Fayette.
Elle se déroula il y a deux-cents cinquante ans. Elle fut rejouée un siècle et demi plus tard, en renversant les rôles, lorsque le 6 juin 1944, par une nuit de pleine lune, des milliers de jeunes Américains embarquèrent en direction des côtes normandes, où nombre d’entre eux verseraient le sang pour libérer la France de l’oppression. Ils furent poussés par la même motivation que celle qui avait conduit La Fayette à traverser l’Atlantique.
Ils le firent au nom d’une idée simple, que la France et les États-Unis défendent depuis plus de deux siècles, et qui a tant apporté au monde : la démocratie.
La démocratie est un projet de société dans laquelle des citoyens éclairés décident pour eux-mêmes. C’est aussi un cadre institutionnel fragile, mais puissant, qui repose sur trois piliers : les droits fondamentaux : certains droits sont sacrés ; le principe « un homme, une voix » : la loi est faite par le peuple pour le peuple ; l’état de droit : toutes les personnes sont égales en droits, et nul n’est au-dessus de la loi. Tant que ces trois principes sont respectés, la démocratie tient. Si l’un d’eux vient à être ébranlé, c’est la démocratie toute entière qui vacille.
La puissance de la démocratie
Lorsque la démocratie tient, elle constitue sans nul doute le cadre institutionnel le plus propice à la prospérité, au bien-être et à la paix. Il ne s’agit pas là d’une opinion mais d’un constat étayé par la recherche scientifique.
L’économiste le plus cité au monde et professeur à Harvard, Andrei Shleifer, a rassemblé un large corpus de preuves qui démontrent que la tradition juridique d’un pays est un vecteur déterminant de son développement. Il a établi avec ses coauteurs que l’état de droit renforce la protection des investisseurs, approfondit les marchés financiers, et, in fine, stimule la croissance économique. Son intuition est simple : si la propriété privée et intellectuelle est protégée, alors les entrepreneurs et innovateurs sont incités à créer des richesses et repousser les limites de la connaissance.
Les dirigeants autoritaires craignent la démocratie comme les vampires la lumière du soleil.
Jean-Noël Barrot
Le lauréat du prix Nobel Daron Acemoğlu et ses coauteurs ont montré quant à eux que la démocratie était bel et bien un facteur de croissance. La démocratisation augmente la richesse par habitant d’environ 20 % sur le long terme grâce aux investissements plus importants des démocraties dans le capital, l’éducation et la santé. Dans d’autres travaux fondateurs, Daron Acemoğlu a révélé que les institutions inclusives — celles qui garantissent une pleine répartition des fruits de la croissance — sont l’une des raisons principales pour lesquelles certains pays s’enrichissent, quand d’autres restent pauvres.
Certains diront que l’augmentation du PIB ne saurait suffire à mesurer celle du bien-être. L’argument est recevable. En considérant d’autres indicateurs une étude publiée dans The Lancet a prouvé que la démocratie a un effet positif sur l’espérance de vie : celle des adultes augmente de 3 % dans les dix ans qui suivent la transition d’un pays vers la démocratie. Cela est cohérent avec la corrélation négative entre démocratie et mortalité infantile et la corrélation positive entre démocratie et bien-être subjectif, documentées par de nombreux travaux.
Au-delà de la prospérité et du bien-être, la démocratie conduit à la paix. Au cours des 80 dernières années, aucune démocratie mature n’est entrée en guerre avec une autre. Plus important encore, la démocratie a servi de modèle fondamental pour bâtir l’ordre international sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale. La Charte des Nations Unies, signée il y a 80 ans à San Francisco, s’inspire largement des idées de La Fayette et de Jefferson.
On y retrouve les trois piliers de la démocratie, transposés au niveau international, entre les nations : le premier concerne les droits fondamentaux, à savoir l’intégrité territoriale et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; le deuxième, le principe « une nation, une voix », selon lequel chaque pays est doté du même pouvoir au sein de l’Assemblée générale ; le troisième, l’état de droit, selon lequel les mêmes règles s’appliquent à toutes les nations.
Le but premier des Nations Unies était de préserver la paix et la sécurité internationales. Cela a-t-il fonctionné ? Sans aucun doute. Avec l’intégrité territoriale érigée en principe cardinal, il est devenu très coûteux pour un pays d’envahir ses voisins. Tous les conflits n’ont pas été évités, loin de là. Mais le rôle de médiation de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité a permis d’éviter à de nombreuses reprises que des tensions ne dégénèrent en guerre ouverte. En outre, la recherche a montré que les opérations de maintien de la paix de l’ONU et ses autres activités de consolidation de la paix réduisent la violence, préservent les droits de l’Homme et créent des environnements plus stables pour l’avenir. Elles aident à prévenir de futurs conflits et le font de manière efficace, renforçant la sécurité globale à moindre frais.
Prospérité, bien-être et paix : la démocratie a tant apporté à notre civilisation. Elle est pourtant attaquée de toute part.
La démocratie attaquée
Les dirigeants autoritaires craignent la démocratie comme les vampires la lumière du soleil. Ils savent que la démocratie est contagieuse. Ils la redoutent comme un virus mortel. Rien ne les inquiète plus que sa propagation chez eux. Ils font tout pour l’empêcher : force brute, chantage, désinformation, manipulation des élections. Quand la démocratie s’approche trop de leurs frontières, ils sont capables de tout pour empêcher qu’elle ne les traverse.
Leur manuel est très simple.
Le scénario est toujours le même.
Tout est dans l’intrigue de Star Wars, quand Dark Sidious, le seigneur noir des Sith, fait basculer la galaxie de la démocratie à la dictature en quatre étapes faciles à reproduire. Étape 1 : identifier des relais et se déguiser en sénateur au cœur du système. Étape 2 : provoquer une fausse menace séparatiste interne. Étape 3 : se débarrasser du contre-pouvoir ultime, l’Ordre Jedi. Étape 4 : proclamer la fin de la République et l’avènement de l’Empire « au nom de la sécurité ». Le retour du Jedi met heureusement fin à tout cela, et restaure l’équilibre de la Force.
Ce scénario n’a rien de fictif. La raison qui motive les guerres coloniales de Vladimir Poutine — de la Géorgie en 2008 à l’Ukraine depuis 2014 — tient en un mot : la démocratie. Le choix souverain et légitime des Géorgiens et des Ukrainiens de se tourner vers l’Europe menaçait de contagion démocratique la sphère d’influence russe. Il a donc mis en scène des fronts séparatistes montés de toutes pièces pour justifier ses violations du droit international. Il a ensuite déclenché une invasion à grande échelle de l’Ukraine, puis tenté de manipuler des élections en Allemagne, en Roumanie et en Moldavie. A-t-il réussi ? Non. Réussira-t-il ? Certainement pas. Pourquoi ? Parce que la démocratie est une idée. On ne peut pas bombarder une idée, ou anéantir à coups de drones la volonté d’un peuple de décider de son propre destin.
Au-delà de l’Ukraine, Vladimir Poutine vise l’Union européenne elle-même, par le sabotage, les cyberattaques, les campagnes de désinformation, les tentatives d’assassinat. Pourquoi ? Parce que l’Union européenne est un authentique projet démocratique. Peut-être le projet le plus démocratique de tous les temps. Il la déteste, pour ce qu’elle est et ce qu’elle représente. Et il n’est pas seul.
Aujourd’hui, certains osent dire en effet que la liberté d’expression est limitée en Europe.
Rappelons que l’Europe a inventé la liberté d’expression et qu’elle y reste fidèle. En France, critiquer le gouvernement est un sport national. Mais le champ de bataille de la démocratie s’est étendu aux réseaux sociaux. Les forces qui veulent abattre la démocratie ont gagné du terrain et dominent désormais le champ informationnel. En répandant des fausses nouvelles de l’extérieur, destinées à polariser le débat public, elles tentent d’affaiblir la démocratie de l’intérieur selon le précepte de Mark Twain : « un mensonge peut faire le tour du monde le temps pour la vérité d’enfiler ses chaussures ».
Nous ne pouvons pas nous résoudre à cette situation. L’Europe ne renoncera jamais aux règles que nous avons adoptées démocratiquement et souverainement pour préserver la liberté d’expression, tout en empêchant les ingérences étrangères de démolir le débat démocratique.
Les assauts contre la démocratie ne se limitent pas, loin s’en faut, à ses ennemis de l’extérieur. Au sein même des démocraties, en Europe ou en Amérique du Nord, des mouvements politiques populistes à visée autoritaire gagnent du terrain. Leur objectif est clair : s’emparer du pouvoir de l’intérieur, et créer les conditions pour ne jamais le rendre.
Leur approche est méthodique. Les garde-fous sont brisés, les limites sont testées, des alliances avec des forces autoritaires étrangères sont nouées, les principes du droit international sont contestés, la force se substitue au droit et l’audace outrepasse la responsabilité. La raison cède la place aux émotions, la politique devient le théâtre permanent de l’indignation, les émotions sont instrumentalisées pour amplifier la colère et la peur, et les campagnes électorales sont saturées de désinformation, dopées à l’IA. Le but n’est pas de convaincre mais de sidérer.
La dissidence est mise au ban, les opposants, les ONG, les défenseurs des droits civiques sont tancés par des perquisitions, poursuites, ou intimidations sous couvert d’ordre public. La liberté d’expression est restreinte, la conformité devient un devoir civique. Les données sont effacées, des sujets de recherche sont interdits et les subventions sont coupées pour les projets qui ne collent pas au récit officiel. La presse traditionnelle est mise sous pression, et les reporters harcelés.
Les scrutins sont biaisés, la violence gagne les abords des bureaux de vote, le nom de certains candidats est rayé des bulletins de vote, et les résultats sont contestés par des flambées de violence spectaculaires visant les institutions démocratiques. La séparation des pouvoirs est remise en question, et l’exécutif devient omniprésent. La loi est instrumentalisée, des juges sont remplacés ou intimidés, et des pressions sont exercées sur les tribunaux. Les organes anticorruption sont vidés de leur substance et retournés, comme une arme, contre ceux qui osent encore critiquer le pouvoir.
L’Europe ne renoncera jamais aux règles que nous avons adoptées démocratiquement et souverainement pour préserver la liberté d’expression, tout en empêchant les ingérences étrangères de démolir le débat démocratique.
Jean-Noël Barrot
La soumission, enfin, est récompensée, plus que le mérite. Contrats et cadeaux fiscaux pleuvent pour les amis, tandis que des sanctions se multiplient pour les contestataires. L’innovation se fane et, dans le silence qui suit, la répression grandit.
Au bout de ce chemin se profile une ambition plus sombre encore : en finir avec ce que certains décrivent comme une expérience ratée qui aurait duré deux siècles, pour remplacer la démocratie par une « CEO monarchie ». On est très loin de l’idéal de Jefferson et La Fayette.
Certains diront que j’exagère. Mais soyons lucides, le soutien populaire à la démocratie n’a jamais été aussi faible. L’an dernier, l’indice de démocratie de The Economist a encore reculé et atteint son niveau historique le plus bas. La montée du mécontentement s’est accélérée depuis 2005. Et cette tendance est particulièrement marquée dans les démocraties développées.
La fatigue démocratique
Pourquoi les ennemis de la démocratie gagnent-ils du terrain ? Telle est la question la plus importante de notre époque. La réponse tient en deux mots : fatigue démocratique. Dans les démocraties développées, les citoyens sont frustrés, blasés, épuisés, déçus. La confiance s’érode, le pouls civique bat moins fort. Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple devient un écho plutôt qu’un appel.
La fatigue démocratique est ancrée dans des sentiments mêlés.
Le sentiment que les citoyens ne sont pas entendus, que les sujets qui leur tiennent à cœur ne sont jamais traités et qu’une élite lointaine — à Paris ou à Washington — décide à leur place sans rendre de comptes.
Le sentiment que le gouvernement démocratique n’est pas à la hauteur, qu’il trahit sa promesse — de liberté, de sécurité, d’épanouissement. L’impression se répand que nous payons toujours plus pour obtenir moins, que les services publics ne sont pas à la hauteur et que les responsabilités sont diluées dans une bureaucratie anonyme et lointaine. Et, à la question que chacun se pose à la table familiale — « mes enfants vivront-ils mieux que moi ? » — la réponse n’est plus « oui ».
Le sentiment que la démocratie ne nous protège pas des bouleversements mondiaux. Le choc venu de Chine a détruit des millions d’emplois et laissé des régions entières d’Europe et d’Amérique du Nord sur le carreau. Les politiques de Pékin ont fait gonfler l’endettement des ménages américains et assombri les perspectives d’emplois. Dans le même temps, les mutations profondes des structures familiales et l’immigration croissante ont transformé nos sociétés, alimentant des inquiétudes auxquelles la démocratie peine à apporter des réponses. La numérisation et l’automatisation ont bouleversé le marché du travail et fragilisé les classes moyennes qui se sentent livrées à elles-mêmes, seules et délaissées.
Le sentiment que la démocratie ne parvient plus à trouver le subtil équilibre entre l’autonomie individuelle et le sentiment d’appartenance, condition nécessaire à l’accomplissement de soi. Paradoxalement, nous manquons aujourd’hui des deux. Il nous manque l’autonomie, car nous nous sentons entravés au quotidien, contraints dans notre capacité à choisir, décider, ou agir. Et il nous manque le sentiment d’appartenance, car nous ne nous sentons plus appelés à participer à des entreprises plus grandes que nous-mêmes.
Nous avons consenti à une privatisation de l’espace public au service du versement de dividendes.
Jean-Noël Barrot
Le sentiment d’injustice et de frustration, enfin, que génèrent des sociétés rongées par la rouille du matérialisme, malgré le bien-être sans précédent dont nous jouissons par rapport à l’immense majorité de la population mondiale.
Cette fatigue démocratique n’est pas tombée du ciel.
Elle résulte de décennies d’aveuglement des élites face à un monde en bouleversement, de leur déni face à la colère légitime des classes moyennes et populaires, fatiguées d’être méprisées et mises à l’écart. Elle est le fruit de l’incapacité des forces politiques traditionnelles à esquisser un nouvel horizon pour répondre à cette colère. Depuis des années, les forces politiques traditionnelles — aux États-Unis comme en Europe — ont laissé la situation dériver au point que le peuple se sent totalement dépossédé du pouvoir.
Reconnaissons-le, la fatigue démocratique est aussi la conséquence de l’emprise des soi-disant « réseaux sociaux » sur nos vies quotidiennes.
Ils obéissent à un modèle économique conçu pour drainer notre bande passante cérébrale et exploiter nos données personnelles afin d’engranger des revenus publicitaires. Leurs filtres algorithmiques nous cloisonnent dans des bulles cognitives hermétiques. Les citoyens sont transformés en simples paires d’yeux, en abonnés, en « utilisateurs ». Nous avons consenti à une privatisation de l’espace public au service du versement de dividendes.
Notre responsabilité est au contraire de résister, de rester fidèle à l’héritage de La Fayette et de Jefferson, et de réparer la démocratie.
Réparer la démocratie
Réparer la démocratie suppose de réparer la citoyenneté, et de former de véritables citoyens : des citoyens éclairés, capables et désireux d’assumer des responsabilités pour eux-mêmes et pour les autres.
Comment y parvenir ? Cela passe par le discernement, la responsabilité et le courage.
Le discernement d’abord : rendre le pouvoir au peuple ne fonctionne que s’il est pleinement informé. Autrement, il est condamné à errer dans les ténèbres. Comment débattre utilement si nous ne pouvons pas nous accorder sur les faits, si des factions polarisées s’écharpent autour de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux et si la « vérité » est fabriquée à des fins politiques ?
L’apprentissage du discernement débute à l’école et se poursuit dans les universités, où les professeurs consacrent leur vie à comprendre le monde et à transmettre l’étendue de leur savoir à leurs étudiants.
Aujourd’hui, la science est remise en question. On ne lui fait plus confiance, on la politise. Pourtant le discernement requiert plus de recherche, plus de liberté académique, plus de science et non pas moins, une science libre et ouverte. Nous avons besoin d’un monde universitaire dynamique où règne une saine émulation, de la discipline rigoureuse des examens par les pairs, et d’une évaluation rigoureuse des politiques publiques.
Nous restons donc déterminés à soutenir les esprits libres qui rêvent au-delà des possibles, les professeurs et les étudiants qui osent ; déterminés à soutenir les universités confrontées à la menace du contrôle politique, à des restrictions budgétaires ou à d’autres contraintes pesant sur leurs cursus ou leurs projets de recherche ; déterminés à soutenir les étudiants, qui se demandent s’ils pourront aller au bout de leurs études.
Le discernement repose aussi sur une presse libre. Les journalistes doivent se sentir suffisamment indépendants pour pouvoir rendre compte de ce qu’ils voient. Ils doivent être affranchis des pressions politiques ou des contraintes éditoriales. Ils doivent disposer des ressources nécessaires pour enquêter et révéler des vérités qui dérangent.
Nous restons donc déterminés à soutenir ceux qui vérifient les faits, les lanceurs d’alerte, les journalistes qui prennent des risques ; déterminés à soutenir les médias indépendants qui s’efforcent de bien faire leur travail et à soutenir ceux qui luttent pour l’intégrité de l’information.
Réparer la citoyenneté passe ensuite par le rétablissement et la redistribution des responsabilités. Alors que la démocratie semble en panne, certains se demandent : pourquoi ne pas essayer un autre système qui concentre le pouvoir entre les mains de quelques-uns ? La seule solution alternative à la concentration du pouvoir est sa redistribution radicale. Il s’agit de remettre à plat la répartition des responsabilités : entre le secteur public et le secteur privé, l’État central et les pouvoirs locaux, le gouvernement et les opérateurs. Le principe directeur doit être la subsidiarité : allouer le pouvoir là où il est exercé avec le plus d’efficacité et de justice. L’objectif doit être de libérer l’énergie, de donner à chacun les moyens de diriger sa propre vie, d’ouvrir de vastes horizons pour que s’y déploient les passions et les talents.
La démocratie peut être réparée, en France comme aux États-Unis, si nous le voulons vraiment.
Jean-Noël Barrot
Il faut ensuite aller plus loin et donner davantage de prise à chacun, dans toutes les dimensions de sa vie, à commencer par sa vie civique. Personne n’aspire à voter pour un programme tous les quatre ou cinq ans et n’avoir plus voix au chapitre entre-temps. Les citoyens ont vocation à être associés plus activement à l’action publique. La France a expérimenté des conventions citoyennes sur des sujets comme le changement climatique ou la fin de vie. D’autres pays ont mis en place des outils numériques pour mobiliser la sagesse des foules. Ce sont là des voies prometteuses pour engendrer une participation citoyenne continue. Faisons des citoyens des acteurs plutôt que des spectateurs.
Le discernement et l’émancipation sont des conditions nécessaires pour réparer la démocratie. Mais elles ne suffiront pas si nous ne restaurons pas courage. En 1978, Alexandre Soljenitsyne prononçait un discours à Harvard à l’occasion de la remise de diplômes. Il critiquait les démocraties occidentales pour leur manque de courage civique et leur incapacité à affronter les grands défis. Il dénonçait la passivité des élites, l’obsession du confort matériel et l’appauvrissement spirituel. Il appelait cela le « déclin du courage », et il avait raison.
Restaurons le courage : le courage de mettre nos valeurs au-dessus de nos intérêts, d’assumer notre part du fardeau collectif sans certitude que les autres feront de même, d’appréhender la dimension spirituelle de la vie et de résister à la tentation du confort, de regarder le monde en face et d’être prêts à prendre des décisions difficiles quand elles s‘imposent ; le courage aussi de ne pas céder aux pressions immédiates et de rester concentrés sur l’essentiel.
« Et ceci encore vous pouvez le savoir… craignez le temps où l’Humanité refusera de souffrir, de mourir pour une idée, car cette seule qualité est le fondement de l’homme même, et cette qualité seule est l’homme, distinct dans tout l’univers. », lit-on dans Les Raisins de la colère.
Oui, la démocratie peut être réparée, en France comme aux États-Unis, si nous le voulons vraiment. Elle peut l’être si nous formons des femmes et des hommes qui écoutent et débattent, votent en connaissance de cause, demandent des comptes à leurs dirigeants et s’engagent au service du bien commun. La clef est entre nos mains : armons les citoyens de discernement, de responsabilité et de courage.
Nous voici confrontés aux questions suivantes : quels citoyens deviendrons-nous ? Serons-nous spectateurs ou acteurs ? Défendrons-nous la démocratie ?
Dans son discours au Congrès américain en 1824, La Fayette déclarait : « Les États-Unis sont une leçon pour les oppresseurs, un exemple pour les opprimés et un sanctuaire pour les droits de l’humanité. » Puissions-nous être à la hauteur de l’héritage de Jefferson et de La Fayette ; puissions-nous être inspirés par le courage de La Fayette, celui des soldats du Débarquement, ou encore celui de tous ceux dans le monde qui prennent tous les risques au nom de la liberté et de la démocratie.
Nous le leur devons, nous le devons à nous-mêmes ainsi qu’aux générations à venir.
Le rythme de progression de l’armée russe en Ukraine a continué de baisser au cours du mois de septembre, passant de 464 km² en août à 259. Si Moscou continue de progresser chaque mois à un rythme variable, l’armée russe a conquis en tout environ 1 % de la surface du pays depuis novembre 2022.
Selon le groupe d’analystes DeepState, l’armée russe a élargi son contrôle du territoire ukrainien de 259 km² au cours du mois de septembre, soit une baisse mensuelle de 44 % par rapport au mois d’août 1. Il s’agit de l’avancée russe la plus faible depuis avril, lorsque celle-ci avait conquis 177 km² de territoire.
Les principaux gains russes (environ 137 km²) au cours du mois de septembre se concentrent dans le secteur de Novopavlivka, à la frontière entre les oblasts de Donetsk et de Dnipropetrovsk.
Dans le secteur autour de Pokrovsk, les gains de l’armée russe ne s’élevaient qu’à 23 km² environ en septembre, soit 9 % des gains territoriaux russes. C’est autour de cette ville que Moscou lance depuis plusieurs semaines des attaques majeures dans l’espoir d’obtenir une victoire avant l’arrivée de l’hiver, marqué par une baisse des assauts mécanisés.
L’analyste David Axe estime que Moscou a rassemblé 150 000 combattants dans ce secteur du front, ce qui pourrait représenter jusqu’à près d’un quart du total des forces russes déployées en Ukraine (qui seraient près de 700 000, selon Vladimir Poutine).
Toutefois, la baisse des températures — attendue dès cette semaine en Ukraine — sape l’énergie des soldats et la mobilité des véhicules, tout en réduisant la capacité de dissimulation des fantassins.
C’est également à cette période de l’année que l’armée russe renforce ses frappes contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes afin de briser le moral de la population.
Si l’armée russe continue de progresser chaque mois à un rythme variable, elle a conquis en tout et pour tout environ 1 % de la surface du pays depuis novembre 2022, marqué par la libération de Kherson par l’Ukraine.