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26.09.2025 à 20:29

QSPTAG #323

robinson
Bonjour à toutes et à tous, cette semaine, pendant que d’autres découvrent un peu trop tard les défauts de la notion pénale d’« association de malfaiteurs » dont nous avions dénoncé les effets pervers, revenons sur l’augmentation continue…
Texte intégral (1254 mots)

Bonjour à toutes et à tous,

cette semaine, pendant que d’autres découvrent un peu trop tard les défauts de la notion pénale d’« association de malfaiteurs » dont nous avions dénoncé les effets pervers, revenons sur l’augmentation continue des pouvoirs de la police, et sur deux aspects particuliers que la justice ne vient pas équilibrer.
D’abord, les pratiques de surveillance lors de la garde à vue après une manifestation politique – vous trouverez quelques conseils pour vous en prémunir.
Ensuite, la bonne vieille délation consistant à cafter auprès de la CAF, après une interpellation ou un contrôle de police, pour déclencher des contrôles des droits sociaux, sans aucun rapport avec une quelconque infraction ou sa judiciarisation éventuelle.

Bonne fin de semaine et bonne lecture à vous !

Alex, Bastien, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi

La police dénonce les allocataires de la CAF

La droite sarkozyste, complaisamment relayée par l’extrême droite, a réussi à imposer dans le débat public l’idée que les délinquants devaient être privés de leurs droits sociaux (allocations, revenus minimums, etc.). Cela s’est traduit par la possibilité légale pour la police de signaler par exemple à la caisse d’allocations familiales (CAF) une personne pour déclencher un contrôle de ses droits. Dans le discours public, cela permet de supprimer les allocations ou le RSA d’un dealer dont les revenus dépasseraient en réalité de loin ceux qu’il a déclarés. Dans la réalité, les abus sont nombreux – on pense par exemple à l’histoire de cette femme venue se plaindre de violences conjugales, et que les policiers ont « signalée » auprès de la CAF pour vérifier si elle n’avait pas faussement déclaré vivre seule.

Dans le cadre de notre travail sur les algorithmes de contrôle social et de notre travail sur la répression des militant·es politiques, nous avons constaté plusieurs cas d’abus comparables. Pour documenter cet aspect de la question, nous lançons un appel à témoignages : si vous pensez que votre contrôle CAF est lié à une interaction récente avec la police, écrivez-nous. Et si vous voulez en savoir plus sur cette pratique, lisez l’article sur notre site !

Article du 22 septembre : Répression sociale : des milliers de contrôles CAF déclenchés sur demande policière

Ne partez pas manifester avec un téléphone exposé

Le droit de manifester est une chose fragile, qui n’est sanctuarisé par aucune loi, mais plutôt par un usage et une tradition politique dont on voit bien qu’un courant mauvais est en train de la changer en profondeur. Cependant, l’apparence de la démocratie doit être conservée, pour le bien de ceux qui gouvernent et veulent pouvoir bénéficier encore d’une légitimité qui cède pourtant de toute part sous leurs propres coups de force. Bref, les libertés des manifestant⋅es sont menacées, et il suffit d’avoir participé à la moindre manifestation depuis la loi Travail de 2015 pour l’avoir vu de ses yeux. Parmi les instruments de cette répression insidieuse et volontiers brutale, l’intimidation policière est à la fois physique (paf) et procédurière : malgré l’obligation récente (2010) de convoquer un avocat de la défense dès la garde à vue, les moyens de faire pression sur les personnes interpelées se sont multipliés, et la possibilité pour les officiers de police judiciaire de saisir les téléphones pour lire ou extraire leur contenu est un élément très important de cet exercice du pouvoir répressif. C’est pourquoi nous avons publié, en amont de la grande manifestation nationale du 18 septembre dernier, un bref article pour présenter des outils d’autodéfense numérique. À retrouver sur notre site.

Article du 16 septembre : 3 applis pour le 18 septembre et après

Campagne de soutien 2025

Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 80% de notre objectif pour l’année. En prenant en compte les dons mensuels à venir d’ici à la fin de l’année, on pense arriver environ à 90% de l’objectif. Il manquera des sous. Aidez-nous à boucler le budget 2025 !
Vous pouvez nous faire un don sur notre site.

Agenda

  • 1er octobre 2025 : réunion mensuelle Technopolice Paris-Banlieue à partir de 19h à l’AERI, 57 rue Étienne Marcel, 93100 Montreuil : ATTENTION, exceptionnellement cette rencontre aura lieu à l’AERI et non au Bar Commun.
  • 9 octobre 2025 : causerie mensuelle du groupe Technopolice Marseille, à partir de 19h au Manifesten, 59 rue Adolphe Thiers, Marseille
  • 3 novembre 2025 : conférence Technopolice à partir de 18h45 à l’Université populaire de Marseille, 61 la Canebière, Marseille.
  • Retrouvez tout l’agenda en ligne.

La Quadrature dans les médias

Divers

Attrap et les drones

22.09.2025 à 11:46

Répression sociale : des milliers de contrôles CAF déclenchés sur demande policière

henri
Après avoir dénoncé les dérives de l'algorithme de notation utilisé par la CAF pour sélectionner les personnes à contrôler, nous abordons ici la question des contrôles CAF réalisés sur signalements policiers. Utilisée par la police…
Texte intégral (9526 mots)

Après avoir dénoncé les dérives de l’algorithme de notation utilisé par la CAF pour sélectionner les personnes à contrôler, nous abordons ici la question des contrôles CAF réalisés sur signalements policiers. Utilisée par la police comme arme de répression sociale et politique, cette pratique symbolise l’instrumentalisation par l’État des administrations sociales à des fins de contrôle.

En 2019, peu de temps après avoir été arrêté par la police lors d’une manifestation de Gilets Jaunes, Jean1Prénom modifié. subit un contrôle CAF. Perplexe face à la concomitance des deux évènements, il demande à la CAF si le contrôle a un lien avec son arrestation. Alors que la CAF lui répond que non, il apprendra, à la suite d’une longue bataille juridique, que ce contrôle était bel et bien le fruit d’une demande de la police.

Son cas est loin d’être isolé. Chaque année, ce sont plusieurs milliers de contrôles CAF qui sont déclenchés sur « signalements » de la police2Les chiffres des contrôles déclenchés sur « signalement » de la police/gendarmerie dont nous disposons sont les suivants. En 2012 ce nombre s’élevait à 2747 (source CNAF, Bilan annuel contre la fraude 2012, 2013, disponible ici), en 2013 à 2346 (source DNLF, Lutte contre la fraude. Bilan 2013, disponible ici) en 2015 à 2769 contrôles (source CNAF, Bilan de la lutte contre la fraude 2015, 2016, disponible ici), en 2016 à 2877 (source CNAF, Bilan de la politique de contrôle et de la lutte contre la fraude 2016 aux prestations légales, 2017, disponible ici), en 2019 à 5163 (source CNAF, Bilan 2019 Prévention et lutte contre la fraude aux prestations légales, 2020, disponible ici), en 2020 à 2386 (source CNAF, Bilan 2020 Prévention et lutte contre la fraude aux prestations légales, 2021, disponible ici), en 2022 et 2023 respectivement à 3830 et 3249 (source Mission interministérielle de coordination anti-fraude, Lutte contre la fraude aux finances publiques, résultats 2023, disponible ici)..

Au problème politique que soulève l’utilisation d’une institution sociale à des fins de répression policière s’ajoute le fait que cette pratique souffre d’une absence d’encadrement. Ces « signalements » sont réalisés en dehors de tout cadre judiciaire et n’ont, dans les faits, pas à être motivés par la police. Ceci génère un risque de recours aux « signalements » à des fins de harcèlement policier.

Qui plus est, cette procédure est particulièrement opaque. La personne contrôlée n’a ainsi pas connaissance du fait que ses déclarations devant la police, lors d’une garde-à-vue par exemple, peuvent être transmises à la CAF, alors que cette possibilité entre en contradiction avec le principe du secret de l’instruction. Également, en cas de « signalement », la personne visée ignore que son contrôle résulte d’une demande de la police et n’a pas accès aux informations communiquées à la CAF.

En retour, les abus sont inévitables, comme le montrent les témoignages que nous avons collectés. Outre leur utilisation à des fins de répression politique, un contrôleur nous a ainsi témoigné avoir assisté à un cas de signalement pour soupçon de « fraude à l’isolement » visant une femme ayant déposé une plainte pour violences conjugales. Autrement dit, il a été demandé à la CAF de vérifier la composition du foyer déclaré pour s’assurer que la victime avait bien déclaré vivre avec son agresseur, et la sanctionner en cas d’omission. Ajoutons, enfin, que ces contrôles risquent de cibler les plus précaires et les habitant·es des quartiers populaires, un point sur lequel nous revenons ci-après.

Les CODAF : les institutions sociales au service de la répression policière

C’est dans le cadre des «Comités opérationnels départementaux anti-fraude» (CODAF) que la pratique du « signalement police » est apparue. Créés en 2010 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ces comités départementaux regroupent institutions policières (police, gendarmerie), organismes de protection sociale (CNAF, France Travail ou Assurance maladie) ainsi que différentes administrations publiques (impôts, douanes…)3La liste exacte des membres est la suivante: les procureurs de la République du département ou leurs représentants, les chefs de services préfectoraux compétents en matière de lutte contre la fraude, la police nationale, la gendarmerie nationale, la direction générale des finances publiques, la direction générale des douanes et droits indirects, les autorités compétentes dans les domaines de la concurrence, consommation et répression des fraudes, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement ou son représentant, le directeur général de l’agence régionale de santé ou son représentant, les directeurs des organismes locaux de sécurité sociale du régime général et du régime agricole ou leurs représentants, un responsable coordonnateur régional désigné par la Caisse nationale de l’assurance maladie ou son représentant, le directeur régional de Pôle emploi ou son représentant, le responsable du centre de gestion et d’étude AGS territorialement compétent ou son représentant, dûment habilités par la direction nationale de la délégation Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), dans les départements de la région Ile-de-France, le directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse ou son représentant, dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, un représentant du préfet de police. Voir Arrêté du 25 mars 2010 fixant la composition dans chaquedépartement des CODAF, abrogé en 2020 par l’arrêté du 12 octobre 2020)..

Placés sous l’égide de la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), les CODAF visent à favoriser « les coopérations locales » pour lutter contre les « fraudes aux finances publiques », et en particulier les «fraudes aux prestations sociales »4Yannick Herry et Éric Belfayol, 2019, Le comité opérationnel départemental anti-fraude : un outil local efficace contre la fraude aux finances publiques, Gestion et finances publiques. Disponible ici. A l’époque, la MICAF portait le nom de Direction Nationale de Lutte contre la Fraude. Concrètement, il s’agit d’organiser des réunions régulières à l’échelon départemental afin de planifier « des opérations de contrôles coordonnés » et de faciliter les « échanges d’informations » entre forces de police et institutions sociales5Citations extraites du site de la MICAF, archive disponible ici..

Un dispositif aux origines racistes

Dès leurs créations, la MICAF met l’accent sur l’importance de promouvoir les « signalements police » au sein des CODAF afin de lutter « contre la fraude sociale ».

L’objectif est de permettre aux policiers·ères de transmettre à la CAF les informations dont iels disposent sur des personnes arrêtées, qui bénéficieraient de « revenus illégaux » tirés « d’affaires de trafic de stupéfiants, [de] proxénétisme, [de] vente illégale de métaux »6Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, Bilan 2018. Disponible ici. tout en « bénéficiant des prestations du type RSA ou CMU-complémentaire »7Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, La lettre des CODAF, 2 juillet 2010. Disponible ici..

Politiquement, la promotion de ce dispositif est portée par un discours politique stigmatisant aux accents racistes visant directement les habitant·es des quartiers populaires. Pour reprendre les documents officiels, les « signalements » ont pour objectif de « lutter contre l’économie souterraine dans les banlieues » et les « délinquant[s] » y habitant8Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, La lettre des CODAF, 2 juillet 2010. Disponible ici. .

Contourner le secret de l’instruction

Lorsque le système des CODAF est pensé, il existait un obstacle juridique majeur au projet de la MICAF : le secret de l’instruction9Article 11 du code de procédure pénal.. Ce principe juridique fondamental tient au secret professionnel les personnes impliquées dans une procédure en cours (policiers·ères, juges d’instruction, magistrat·es du parquet…). Comme le rappelle le Conseil constitutionnel, il vise notamment à « protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 »10Conseil constitionnel, décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018..

Le secret de l’instruction limitait fortement l’intérêt des « signalements » en empêchant la police de communiquer aux administrations sociales le moindre élément d’une enquête non clôturée.

Mais un an de lobby de la MICAF suffira pour que cette interdiction soit levée, au mépris de droits fondamentaux. Sur proposition de la MICA11Yannick Herry et Éric Belfayol, 2019, Le comité opérationnel départemental anti-fraude : un outil local efficace contre la fraude aux finances publiques, Gestion et finances publiques. Disponible ici. A l’époque, la MICAF portait le nom de Direction Nationale de Lutte contre la Fraude., la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPSSI2) votée en 2011 autorise les membres du CODAF à « s’échanger tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociales »12Voir loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPSSI), codifiée aux articles L 114-16 et suivants du code de la sécurité sociale.. Et ce quelque soit le stade de la procédure judiciaire.

Une pratique déloyale

La CAF est la première institution sociale à se saisir pleinement des possibilités offertes par la loi LOPSSI2. En 2013, elle signe un protocole avec la police nationale visant à préciser les modalités d’application de la LOPSSI213Protocole entre la direction générale de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la direction de la sécurité sociale, de la caisse nationale des allocations familiales et la délégation nationale à la lutte contre la fraude, 8 février 2013, disponible ici. Ce document prévoit que la police ou la gendarmerie puissent transmettre « tous renseignements et tous documents » à la CAF, qu’il s’agisse de « procès-verbaux, quel que soit le cadre juridique », de « main-courantes », de « rapports d’enquête ou de rapports administratifs », de « télégrammes » ou « tout autre document officiel ». Ce protocole fait par la suite l’objet d’une déclinaison au niveau départemental. Selon les déclarations du directeur de la MICAF devant une « commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales », il était décliné dans une trentaine de départements en 2020.. L’objectif est de créer un cadre visant à « intensifier les collaborations » entre les deux institutions14Délégation nationale à la Lutte contre la fraude, bilan 2013, disponible ici. en vue de « susciter des signalements »15Délégation Nationale à la lutte contre la fraude, Lettre des CODAF, numéro 17, décembre 2011. Disponible ici.
.

Un document annexé au protocole et intitulé « procès-verbal type protection sociale » retient l’attention. Co-rédigé par la CAF et la police nationale sur le modèle d’un procès-verbal policier classique, il contient une dizaine de questions portant notamment sur la composition du foyer, le patrimoine, les ressources et les «constatations faites lors des perquisitions ou surveillance », soit l’ensemble des informations nécessaires aux services de contrôle de la CAF.

Ce « procès-verbal type protection sociale » signe tant l’aboutissement d’un processus de rationalisation administrative – les questions à poser sont pré-écrites par la CAF et la police n’a qu’un seul document à transmettre à la CAF – que le caractère déloyal de la pratique des signalements. La personne interrogée sur sa base, et ce dans le cadre d’une procédure quelconque, ne sait pas que les réponses qu’elle apporte seront transmises à la CAF en vue d’un contrôle. En d’autres termes, elle ignore la finalité des questions qui lui sont posées par les services de police.

Ajoutons à cela que si un signalement est effectué suite à ses déclarations, elle n’en est pas informée. Cela signifie en particulier qu’elle n’a pas connaissance des informations dont dispose le ou la contrôleur·se, un manque de transparence venant compliquer toute contestation des éléments qui peuvent lui être reprochés.

Un risque d’abus policiers

Le cadre juridique encadrant les signalements est donc particulièrement souple. Ces derniers peuvent être réalisés à n’importe quel stade de la procédure, avant donc qu’une décision de justice n’ait été prononcée. Ils peuvent se baser sur de simples suspicions sans que la police n’ait réellement à se justifier.

Cette absence d’encadrement ouvre, en retour, la porte à de nombreux abus aux conséquences lourdes pour les personnes visées. Sentiment d’humiliation, mise à nue numérique, questions intrusives, peur des conséquences, auxquels s’ajoutent les difficultés de recours et les nombreuses irrégularités constatées dans la procédure : rappelons que de nombreux témoignages viennent attester de la violence inhérente aux contrôles CAF16Voir à ce sujet l’article de Lucie Inland disponible ici, cet article du Monde et le rapport du Défenseur des Droits « La lutte contre la fraude aux prestations sociales » disponible ici. La fondation pour le logement, le Défenseur des droits et le collectif Changer de Cap ont par ailleurs collecté de nombreux témoignages décrivant la violence vécue par les allocataires lors des contrôles. Difficulté de recours, contrôles répétés, suspension automatique des prestations sociales, intrusion sans précédent dans les moindres recoins de la vie privée. Nous vous invitons à lire l’ensemble de ces témoignages ici)..

Un chiffre vient confirmer la crainte que les signalements soient avant tout utilisés comme un moyen de harcèlement policier17Il ne semble pas que la CAF soit tenue de déclencher un contrôle suite à un signalement mais nous ignorons le pourcentage de signalements aboutissant effectivement à un contrôle.. En moyenne, seuls 17% des contrôles déclenchés sur signalements aboutissent à la détection d’un trop-perçu18Les chiffres disponibles sur les taux d’indus sont issus des bilans annuels de lutte contre rédigés par la CNAF. Nous disposons des chiffres pour les années 2012, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020.. Autrement dit, la plupart des signalements ne sont pas fondés, loin de l’image d’une police utilisant à dessein des pouvoirs qui lui sont conférés.

Si la CAF s’abstient de commenter ce chiffre, elle écrit plus largement au sujet des contrôles que des sources aboutissant à la détection de trop-perçus dans 20% des cas ou moins ne sont « pas en général très justifiés » eu égard à leur faible efficacité19CNAF, Bilan 2012 de lutte contre la fraude, disponible ici.. Ajoutons enfin que si les taux de fraudes détectées suite aux signalements ne sont pas communiqués, ils sont par définition plus faibles. Car, comme l’écrit la CAF elle-même, « la majeure partie des indus détectés ne sont pas frauduleux car l’erreur de déclaration à l’origine de l’indu n’est pas intentionnelle »20CNAF, Bilan 2018 Prévention et lutte contre la fraude aux prestations légales, disponible ici.. Comme nous le répétons avec d’autres, les indus sont avant tout dus à la complexité des règles de calcul des aides sociales engendrant des erreurs de déclarations, et non de comportements malhonnêtes.

La CNAF, complice de répression sociale

En l’absence de données publiquement disponibles sur les personnes contrôlées suite à un signalement, il n’est pas possible d’identifier avec certitude les populations les plus exposées à ces contrôles et aux risques d’abus d’associés. Mais le système des CODAF ouvre un boulevard pour qu’une répression sociale se mette en place.

Le discours politique anti « banlieues » autour des signalements va, comme nous l’avons vu, directement en ce sens, et justifie le développement de cette pratique. À travers lui, sont directement visé·es les plus précaires et tout particulièrement les habitant·es des quartiers populaires via l’accent mis sur « l’économie souterraine des banlieues » et les personnes « bénéficiant des prestations du type RSA ou CMU-complémentaire »21Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, La lettre des CODAF, 2 juillet 2010. Disponible ici.. Les deux catégories se regroupant par ailleurs22Voir par exemple Jean-Michel Floch, Disparités de revenus et ségrégation dans les grands pôles urbains, INSEE, 2016. Disponible ici..

Par ailleurs, la liberté laissée à la police dans le choix des signalements ne peut que favoriser l’expression des pratiques discriminatoires de la police vis-à-vis des personnes racisées, aujourd’hui largement documentées, que ce soit dans le cas des contrôles d’identité ou à travers la prégnance des discours racistes dans cette institution, comme le rappelle, entre autres, le Défenseur des droits23Voir notamment le dossier « Contrôles d’identité : que dit le droit et comment mettre fin aux contrôles discriminatoires » du Défenseur des Droits, disponible ici ou l’article de Fabien Jobard et Omar Slaouti, Police, justice, Etat : discriminations raciales publié dans Racismes de France, La Découverte, 2020..

S’ajoute enfin le risque d’un sur-ciblage des mères célibataires via l’accent mis cette fois-ci dans la recherche de la « fraude à l’isolement ». Il s’agit de la situation d’une personne déclarant vivre seule alors que ce n’est pas le cas, et ce type de contrôle visant tout particulièrement les mères célibataires24Voir notamment l’article du Monde du 4 décembre 2023 « Dans la vie de Juliette, mère isolée, précaire et cible de l’algorithme des CAF », disponible ici et le livre de Selim Derkaoui, Laisse pas trainer ton fils. Comment l’État criminalise les mères seules, 2025, Les Liens qui libèrent..

Un risque de répression politique

Reste enfin le risque d’une utilisation à des fins de répression politique. Si, ici aussi, l’absence de chiffres et de témoignages rend difficile toute appréhension de cette dérive, notons que le cas du militant Gilet Jaune que nous avons mentionné en introduction démontre, a minima, que cette situation existe et que rien n’est fait pour l’empêcher.

Pour reprendre ce qui a été dit plus haut, ce militant n’a appris que le contrôle qu’il subissait était le résultat d’un signalement policier qu’à l’issue d’un long combat juridique. Et ce alors même que le contrôleur lui avait assuré que ce n’était pas le cas.

Ce n’est qu’au moment de passer au tribunal que la CAF a consenti à lui donner accès au « rapport de contrôle », le document qu’écrit tout·e contrôleur·se à l’issue d’un contrôle à domicile. Sur la première page de ce document, que nous avons consulté, est pourtant écrit: « Cible 922 : signalements reçus police », ce qui correspond aux signalements CODAF. Bien que rien ne puisse permettre de le prouver formellement, tout indique donc que le signalement était consécutif à son interpellation en manifestation. Quant aux informations que la police avait transmises au contrôleur, elles ne lui ont jamais été communiquées.

Lutter : appel à témoignages

La première difficulté pour lutter contre ce type de pratiques est de les documenter. Pour cela, nous lançons un appel à témoignages aux personnes ayant subi un contrôle à propos duquel elles soupçonnent, ou savent, qu’il est le fruit d’un signalement policier.

Précisons d’emblée que nous ne connaissons qu’un moyen de savoir avec certitude que c’est le cas : accéder au rapport de contrôle établi par le ou la contrôleur·se et chercher, sur sa première page, s’il est écrit « Cible: 922 signalements reçus police/gendarmerie/préfecture ». Ce rapport de contrôle est communicable à toute personne ayant fait l’objet d’un contrôle à domicile. Nous mettons en ligne un guide pour obtenir l’accès à ce rapport via une demande d’accès aux documents administratifs.

Nous suspectons par ailleurs que ces pratiques ne soient pas limitées au cas de la CNAF, mais que cette dernière fait, à l’image de son algorithme de notation, figure de « pionnière ». Si vous avez des informations sur de telles pratiques à France Travail, l’Assurance maladie ou l’Assurance vieillesse, vous pouvez nous écrire à algos@laquadrature.net ou nous envoyer des documents anonymement via notre SecureDrop. Vous trouverez un guide pour ce faire ici.

Le système des signalements CODAF, comme l’algorithme de la CNAF, traduit une vision autoritaire de ce que devraient être les institutions sociales. C’est pourtant une remise en question radicale de leur rôle, qui devrait être d’accompagner et d’aider les personnes plutôt que de les contrôler. Alors pour nous aider à continuer notre travail, vous pouvez aussi nous faire un don.

References[+]

16.09.2025 à 18:03

3 applis pour le 18 septembre et après

nono
Lors des mobilisations, nos smartphones sont des outils cruciaux pour s'organiser. Bien qu'ils soient extrêmement pratique à bien des égards, ils peuvent aussi devenir dangereux si ils tombent dans de mauvaises mains ou sont mal…
Texte intégral (1755 mots)

Lors des mobilisations et manifestations, nos smartphones sont des outils cruciaux pour s’organiser. Bien qu’ils soient extrêmement pratiques à bien des égards, ils peuvent aussi devenir dangereux s’ils tombent dans de mauvaises mains ou sont mal utilisés (voir notre article de 2023, toujours d’actualité ). Les informations que nos téléphones contiennent doivent donc être protégées. Voici 3 applications libres et gratuites à découvrir et installer, afin de réduire ces risques autant que possible en amont des mobilisations à venir (ou après !).

Un avertissement toutefois avant de commencer : ne croyez pas que ces 3 applications, ou quelque autre application, peuvent assurer une sécurité parfaite. La sécurité numérique est un sujet complexe, qui dépend avant tout de votre contexte et des menaces auxquelles vous faites face. Voyez-les comme une première étape pour se prémunir de certaines menaces, mais pas comme une assurance totale de votre sécurité. Nous listons en fin d’article des ressources et des guides qui vous permettront d’en apprendre plus sur l’autodéfense numérique.

De manière générale, la meilleure option reste de ne pas avoir son téléphone sur soi lors d’une action. Dans le cas où l’usage d’un téléphone est difficilement évitable, voici quelques recommandations d’applications qui permettent de réduire les risques.

Signal

Signal est une application de messagerie instantanée qui protège vos messages grâce à un chiffrement de bout en bout. C’est-à-dire que le chiffrement des messages est fait sur votre téléphone, et sur les téléphones de vos correspondant·es. Ni Signal, ni aucune autre tierce personne n’a accès aux clés cryptographiques qui permettent de chiffrer / déchiffrer vos messages. Signal ne connaît pas le contenu des messages, et ne sait même pas qui parle à qui. Vous pouvez également protéger l’accès à Signal via un code, à l’aide d’un paramètre dans l’application.

Signal ne semble pas conserver l’adresse IP utilisée pour se connecter. Cette information ne ressort en tout cas pas des rapports de transparence de la fondation qui développe l’application. Il n’est toutefois pas possible d’exclure techniquement que l’adresse IP de connexion soit conservée et rattachable au numéro de téléphone utilisé pour s’inscrire. Signal peut alors être contraint par la police de partager ces données. Si vous avez besoin de cacher à Signal votre adresse IP de connexion, vous pouvez alors utiliser Tor, ou un VPN.

Signal est une application libre, c’est-à-dire que, contrairement à Whatsapp ou d’autres applications commerciales, son fonctionnement est décrit publiquement dans son code source, lisible par tous·tes, ce qui permet à chacun·e de vérifier que le code fait bien ce qu’il dit faire, sans backdoors ou autre fonctionnement caché.

Si vous avez un smartphone avec Android, vous pouvez télécharger Signal depuis F-Droid, un magasin d’applications alternatif qui ne propose que des logiciels libres, en suivant ce tutoriel et en ajoutant le dépôt du Guardian Project, ou bien en téléchargeant directement l’application sur le site de Signal. L’application est également disponible sur le magasin d’applications de Google ou d’Apple.

Duress

Duress vous permet de définir un code de déverrouillage secondaire qui, lorsqu’il est saisi, effacera l’ensemble de votre téléphone. Dans une situation où un tiers chercherait à obtenir des informations sur votre téléphone par la force ou si vous avez besoin d’effacer votre téléphone en urgence, vous n’avez qu’à saisir ce code.

Si vous êtes dans une situation où il y a un risque imminent, vous pouvez alors effacer vos données en utilisant le code de Duress. Attention toutefois : si vous êtes en garde à vue et qu’un officier de police judiciaire (OPJ) vous demande votre code, provoquer l’effacement des données peut conduire à des poursuites.1

Comme Signal, cette application libre et gratuite est disponible sur F-Droid.

Wasted

Wasted fonctionne de manière similaire à Duress, mais peut aussi être activée à distance. Lors du premier lancement, Wasted génère un code secret qui, s’il est reçu par votre téléphone, lancera l’effacement de votre téléphone. Wasted peut aussi mimer une fausse application sur votre téléphone qui, si elle est ouverte, lancera également l’effacement. 

Cette application est très pratique si vous perdez votre téléphone et souhaitez l’effacer à distance, ou s’il est volé et que quelqu’un cherche à fouiller votre téléphone.

Les mêmes avertissements que pour Duress s’appliquent à Wasted : si un Officier de Police Juridicaire vous demande d’accéder à votre téléphone, provoquer la suppression de ses données peut vous faire courir un risque de poursuites.

Comme Signal et Duress, Wasted est une application libre et gratuite disponible sur le store F-Droid.

Bonus : Briar

Briar est une application de messagerie pensée pour les situations où l’accès à Internet n’est plus possible, ou si vous avez besoin d’une sécurité renforcée (par exemple dans des pays autoritaires). Elle ne nécessite aucune information personnelle pour s’inscrire. Elle passera toujours par le réseau Tor pour transmettre les messages afin de garantir votre anonymat, et peut aussi utiliser le Bluetooth si Internet n’est pas disponible ou est censuré.

L’application est elle-aussi disponible sur F-Droid, le magasin d’application de Google, ou directement depuis le site web de Briar.

Attention toutefois : utiliser le réseau Tor permet de cacher les données qui transitent à un tiers qui écouterait la communication, mais cela peut aussi attirer l’attention de la police. Dans certains pays autoritaires qui criminalisent l’usage de Tor ou de VPN, cela peut donc être dangereux. En France, l’utilisation d’un VPN est légitime et parfaitement légal et paraît peu risqué dans un contexte de manifestations. Mais la justice française a déjà reconnu que l’usage de Tor caractérisait un comportement « clandestin » pouvant permettre de condamner des personnes pour association de malfaiteurs à caractère terroriste.

Aller plus loin dans l’autodéfense numérique

Pour avoir une meilleure pratique de la sécurité numérique, accessible à tous·tes, il est intéressant de comprendre le pourquoi et le comment du fonctionnement et des enjeux autour de nos usages. Pour cela, nous vous recommandons plusieurs guides, édités par différentes organisations, qui peuvent vous aider à vous instruire sur le sujet :

  • La bibliographie sur l’autodéfense juridique et numérique compilée par La Coalition Libertés Associatives.

Si vous le souhaitez, vous pouvez rejoindre notre groupe de discussion sur l’autodéfense numérique. Vous aurez besoin d’un compte sur le réseau Matrix, que vous pouvez obtenir, entre autres, en installant l’application Element.

Et les iPhones ? Vous aurez peut-être remarqué que seule l’appli Signal est disponible sur iOS. Malheureusement, Apple a une approche beaucoup trop restrictive qui, à notre connaissance, ne permet pas l’existence d’applications comme Duress ou Wasted.

Et, si vous le pouvez, vous pouvez aussi nous faire un don pour nous permettre de continuer nos combats.

Illustration: 31C3 – Impressions par heipei, sous licence CC BY-SA 2.0.

  1. En 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a fortement encadré le droit d’accès aux données d’un téléphone. Toutefois, la portée de cette décision reste incertaine, et il est aujourd’hui possible que ne pas répondre à une demande d’accès aux données du téléphone par un OPJ soit encore sanctionné par les tribunaux en France, malgré l’existence de cette décision de la CJUE. ↩

12.09.2025 à 19:40

QSPTAG #322 — 12 septembre 2025

robinson
Bonjour à toutes et à tous, C’est la rentrée du « Que se passe-t-il au Garage » après une longue pause d’été, si longue qu’on nous a même demandé si on avait arrêté l’infolettre ou si on avait…
Texte intégral (2917 mots)

Bonjour à toutes et à tous,

C’est la rentrée du « Que se passe-t-il au Garage » après une longue pause d’été, si longue qu’on nous a même demandé si on avait arrêté l’infolettre ou si on avait désabonné sauvagement les gens — trois mois sans nouvelles c’est trop, et vous nous avez manqué aussi !
Alors ce numéro est copieux, on a beaucoup à rattraper, avec six sujets différents : la validation abusive de la transcription du règlement antiterroriste européen dans la loi française, nos divergences politiques profondes avec d’autres groupes technocritiques, le retour de la vidéosurveillance algorithmique au prétexte des JO d’hiver, le problème de la sanction de la violence en ligne après la mort en direct de Jean Pormanove, l’entêtement du gouvernement pour faire accepter la reconnaissance faciale en France, et la fin du processus législatif européen qui vise à détruire la confidentialité des communications.

Bonne fin de semaine et bonne lecture à vous !

Alex, Bastien, Eda, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi

Le Conseil d’État trouve que la censure, c’est normal

En novembre 2023, nous avions déposé avec d’autres organisations européennes un recours devant le Conseil d’État pour contester certaines mesures du décret d’application en France du règlement européen contre le terrorisme (TERREG). L’idée était d’amener le Conseil d’État à constater que ces mesures sont en contradiction avec d’autres piliers de la législation européenne, et à demander à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de trancher la question.

Malheureusement, la décision rendue le 16 juin dernier est très décevante : le Conseil d’État a rejeté notre demande de transmettre le problème à la CJUE, en estimant qu’il était visiblement compétent pour résoudre seul un problème de droit européen.

Les polices européennes, et notamment la police française, vont donc pouvoir continuer de censurer des sites web au prétexte de la lutte antiterroriste, même quand il s’agit de contenus politiques légitimes, et sans aucun contrôle préalable d’un juge.

Article du 18 juin : Le Conseil d’État enterre de manière illégitime le débat sur la loi sur la censure d’internet

Technocritique et critiquable

La Quadrature est souvent invitée à prendre la parole dans des événements publics, des festivals ou des tables-rondes, où nous sommes amenées à croiser les militant·es de Anti-Tech Résistance (ATR). On pourrait croire que le discours de cette organisation a des points communs avec le nôtre – une position technocritique qui témoigne fort peu d’enthousiasme pour la technique numérique telle qu’elle est exploitée aujourd’hui par l’industrie capitaliste – mais nous avons surtout beaucoup de différences. Ce constat, d’autres groupes amis l’ont fait aussi : Le Mouton numérique, Extinction Rebellion, l’AG Antifa Paris 20e, Désert’Heureuxses, Technopolice Paris Banlieue, Voix Déterres et d’autres encore, qui ont décidé d’écrire un texte ensemble pour clarifier les choses et exprimer une position commune.

Le fond du problème est le suivant : au sein d’une galaxie technocritique militante et progressiste, ATR tient un discours profondément réactionnaire, comparable à celui que les féministes identitaires tiennent de leur côté, asservissant leur prétendu féminisme à l’expression de leurs idées racistes. ATR se livre au même genre d’entourloupe : sous prétexte de dénoncer le « grand remplacement » des humains par les machines, ATR puise abondamment dans le répertoire idéologique et sémantique de l’extrême droite la plus moisie, et n’hésite pas à tenir des propos transphobes, homophobes, validistes ou racistes sous prétexte de défendre une « nature » dont on sait qu’elle est l’objet de fantasmes régressifs infinis, et toujours bancale quand on parle de l’espèce humaine, si profondément culturelle, sociale et politique.

Voilà l’histoire en très gros traits. Pour entrer dans le détail de l’analyse politique et philosophique de notre différend avec ATR, lisez le texte intégral sur notre site au format web ou ici au format brochure (PDF et ePub). Ça paraît long, 8 pages, mais il y a 3 pages de références et de liens divers, et l’ensemble est passionnant 🙂

Article du 24 juillet : Pourquoi la technocritique d’Anti-Tech Résistance n’est pas la nôtre

La surveillance intégrale sous prétexte de grande fête sportive : deuxième mi-temps

Vous vous rappelez forcément que le gouvernement français (celui d’Élisabeth Borne, que vous aviez peut-être oubliée), avait mis dans la loi sur les JO 2024 une grande quantité de mesures sécuritaires, dont la légalisation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) à titre « expérimental ». Cette expérimentation a pris fin en mars 2025, sept mois après la fin des JO qui la justifiaient. Le rapport d’évaluation conclut à une absence d’efficacité évidente. Malgré cela, le gouvernement (celui de Michel Barnier puis celui de Français Bayrou, il faut suivre) a d’abord tenté de passer par une loi sur les transports pour imposer la VSA dans les gares et les métros. Mais le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, non pas sur le fond, mais parce qu’elles n’avaient rien à faire dans ce texte de loi – ce qu’on appelle un « cavalier législatif », quand une mesure monte sur le dos d’une loi d’une autre espèce.

Alors bis repetita, voici que la VSA se retrouve, toujours à titre « expérimental », dans le texte de loi qui encadrera les JO d’hiver de 2030. Notre article détaille les stratégies politiques et psychologiques mises en place par le(s) gouvernement(s) pour faire admettre peu à peu cette technologie intrusive qui évoque immédiatement les pires dystopies sécuritaires et semblait encore, jusqu’à l’épidémie et au confinement de 2020, réservée à une Chine totalitaire, exotique et lointaine. On n’arrête pas le progrès.

Article du 28 juillet : Jeux Olympiques 2030 : vous reprendriez bien un peu de VSA ?

Les plateformes commerciales font fortune avec la violence

Les réseaux sociaux et l’économie de l’attention exigent toujours plus de violence, sous toutes ses formes : verbale, idéologique, politique, psychique et physique. On le sait, on le dit depuis longtemps. Malheureusement, un événement vient de temps en temps rappeler cette évidence de façon cruelle. La mort le 18 août du streameur Jean Pormanove (pseudo de Raphaël Graven), alors qu’il participait à un live sur une chaîne Kick a braqué les projecteurs de l’actualité sur le sujet. La chaîne à laquelle il participait était connue pour jouer avec les humiliations et les violences, simulées ou bien réelles, dont il était l’objet et le souffre-douleur depuis des mois et des années. Mediapart s’était d’ailleurs emparé du sujet dès la fin de 2024, bien avant le décès du streameur.

Cette mort brutale a provoqué de vives réactions médiatiques et politiques, et déclenché la surenchère habituelle pour demander des lois plus répressives et domestiquer le web – cette fameuse « zone de non-droit » sur laquelle on légifère pourtant en permanence. Les demandes de presse ont été nombreuses. Bastien, juriste à La Quadrature, qui tenait le fort pendant les vacances de ses collègues, a répondu à ces demandes (les liens vers les articles sont dans la revue de presse ci-dessous) et écrit une tribune dans Le Monde. Il rappelle qu’en l’état du droit, tout était là pour empêcher la diffusion de cette chaîne dégradante. Mais rien n’assure que cela aurait pu avoir un impact. Tant qu’on ne s’en prendra pas au modèle économique des réseaux sociaux et des chaînes dont les revenus dépendent de « l’engagement » des internautes et donc de la promotion des contenus polémiques ou transgressifs, on n’avancera pas.

Lire la tribune : « L’affaire Pormanove ne traduit pas un droit inadapté à Internet »

Reconnaissance faciale : il y a un loup

L’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, devenu ministre de la Justice, veut rester une force de proposition dans la surenchère sécuritaire qui fait les bons candidats de droite à la présidentielle. Il a donc annoncé en mai 2025 la création d’un groupe de travail pour pour « créer un cadre légal » permettant d’« introduire cette mesure [la reconnaissance faciale] dans notre législation ».

Félix Tréguer, membre et salarié de la Quadrature du Net, a publié en juin dernier une tribune dans la revue en ligne AOC, pour dénoncer l’incompatibilité profonde de cette technologie avec nos habitudes démocratiques : « Si nos grands-mères et nos grands-pères avaient dû vivre au début des années 1940 dans un monde saturé de ces technologies, ils n’auraient pas pu survivre bien longtemps en clandestinité, et donc organiser des réseaux de résistance capables de tenir tête au régime nazi ». Vous pouvez lire sa tribune en intégralité chez AOC (pour les abonnés) ou sur notre site (pour tout le monde).

Lire la tribune : Le serpent de mer de la reconnaissance faciale

Chat Control, ce vieux projet de contourner le chiffrement

Vous en avez probablement entendu parler dans la presse ou sur vos réseaux sociaux habituels, le règlement européen CSAR, surnommé « Chat Control », continue son processus législatif. Il doit son petit nom à une mesure choquante : pour lutter contre à peu près tout ce qui se fait de mal, ici les abus sur enfants, les gouvernements demandent que les messageries chiffrées de bout en bout, les mails, les réseaux sociaux et les hébergeurs mettent à disposition des polices un système pour contourner ce chiffrement. Un chiffrement qui n’est plus chiffré, c’est un peu ballot. Et plus sérieusement, c’est une faiblesse critique qui mettrait les échanges professionnels ou privés à la portée de n’importe quel acteur malintentionné. La Quadrature est donc absolument opposée à cette mesure.

Nous ne sommes pas les seul·es. Dans le cadre de la coalition EDRi dans laquelle nous échangeons avec nos homologues européens, nous avons travaillé pour que le Parlement européen adopte une position moins dangereuse. Mais le Conseil, qui rassemble les gouvernements des États membres, discute ce vendredi 12 septembre de sa position et un certain nombre d’États, dont la France, ont des idées très dures sur la question. Nous n’avons pas de marge d’action dans ce moment-là, les gouvernements sont beaucoup moins sensibles que les parlementaires aux appels des citoyen·nes. Mais il faut provoquer un débat public pour que le chiffrement des communications devienne un sujet de discussion démocratique où les demandes de la police ne seront pas les seules à être entendues. Vous pouvez retrouver sur nos raisons sociaux, par exemple sur Mastodon, un résumé des enjeux et les liens vers nos articles qui traitent le sujet en profondeur.

Campagne de soutien 2025

Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 80% de notre objectif pour l’année. En prenant en compte les dons mensuels à venir d’ici à la fin de l’année, on pense arriver environ à 90% de l’objectif. Il manquera des sous. Aidez-nous à boucler le budget 2025 ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site.

Agenda

  • 9 octobre 2025 : causerie mensuelle du groupe Technopolice Marseille, à partir de 19h au Manifesten, 59 rue Adolphe Thiers, Marseille
  • 3 novembre 2025 : conférence Technopolice à partir de 18h45 à l’Université populaire de Marseille, 61 la Canebière, Marseille.
  • Retrouvez tout l’agenda en ligne.

La Quadrature dans les médias

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04.09.2025 à 15:04

Le serpent de mer de la reconnaissance faciale

startuffenation
En mai dernier, le gouvernement a lancé un groupe de travail visant à légaliser la reconnaissance faciale en temps réel. Loin d’être une surprise, cette annonce s’inscrit dans une suite de propositions émises par les…
Texte intégral (3040 mots)

En mai dernier, le gouvernement a lancé un groupe de travail visant à légaliser la reconnaissance faciale en temps réel. Loin d’être une surprise, cette annonce s’inscrit dans une suite de propositions émises par les plus hautes instances de l’État, en lien avec des acteurs industriels et scientifiques. Nous publions cette tribune de Félix Tréguer, adaptée d’un texte publié initialement sur AOC, qui estime que la reconnaissance faciale est incompatible avec les formes de vie démocratique.

En ce mois de mai 2025, Gérald Darmanin s’agite. Doublé par sa droite par son successeur à la place Beauvau, Bruno Retailleau, le ministre de la Justice a bien du mal à raccrocher le tablier de « premier flic de France ». C’est alors qu’il sort de son chapeau une proposition en apparence assez nouvelle : la légalisation du recours à la reconnaissance faciale en temps réel.

L’encre de la loi narcotrafic, avec son lot de nouvelles mesures de surveillance policière, n’est pas encore sèche – le Conseil constitutionnel devait se prononcer quelques jours plus tard – que le ministre en est déjà au coup d’après. Après sa sortie, son cabinet confirmera à l’AFP qu’un groupe de travail est sur le point d’être lancé pour « créer un cadre légal » permettant d’« introduire cette mesure dans notre législation ». Selon le ministre, qui en 2022 se disait opposé à la reconnaissance faciale, « utiliser la technologie et la reconnaissance faciale, ce sont les solutions pour lutter drastiquement contre l’insécurité ». Quelques jours plus tard, son rival Retailleau lui emboîte le pas, appelant à son tour une utilisation « très encadrée » de la reconnaissance faciale en temps réel dans le cadre des enquêtes judiciaires.

Un projet politique assumé

Le contexte de concurrence politique exacerbée à droite pourrait laisser penser à un énième ballon d’essai sans lendemain. Il s’agit en réalité d’un projet politique assumé de longue date par les gouvernements d’Emmanuel Macron, mais chaque fois repoussé à plus tard de peur qu’il ne suscite une levée de boucliers dans la population.

Lorsqu’avec mes camarades de La Quadrature du Net et d’autres collectifs à travers le pays, nous avons lancé la campagne Technopolice en 2019 pour documenter les nouvelles technologies de surveillance policière et fédérer les résistances locales, la reconnaissance faciale était déjà sur toutes les bouches. À l’époque, l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, aiguillé par un parlementaire macroniste, appelait déjà à une loi d’expérimentation pour autoriser son usage en temps réel. Quelques semaines plus tard, le secrétaire d’État Cédric O, accordait un entretien au journal Le Monde sur le sujet. Dans cette toute première sortie gouvernementale sur le sujet, il estimait nécessaire « d’expérimenter la reconnaissance faciale pour que nos industriels progressent ».

L’enjeu économique était alors exprimé avec candeur. Il faut dire que depuis le début des années 2010, la reconnaissance faciale et les autres techniques de couplage de l’intelligence artificielle et de la vidéosurveillance – un spectre d’applications regroupées sous le terme de vidéosurveillance algorithmique (VSA) – font l’objet d’investissements publics. Au travers des politiques publiques de recherche pilotées par la Commission européenne ou l’Agence nationale de la recherche, mais aussi via des mécanismes fiscaux comme le Crédit impôt recherche, des startups ou des grands groupes du secteur comme Idemia et Thales font financer une part importante de leurs R&D par le contribuable. Bpifrance de même que la Caisse des dépôts et consignations se sont également activés pour aider l’industrie française à se structurer pour se faire une place sur ces marchés porteurs : l’an dernier, le marché mondial de la reconnaissance faciale augmentait en effet de 16 % par an et devrait atteindre 12 milliards de dollars en 2028 ; celui portant sur les autres applications de la VSA était de 5,6 milliards en 2023 et pourrait représenter 16,3 milliards en 2028.

En 2019, Cédric O propose donc de légaliser la reconnaissance faciale à titre expérimental à l’occasion des Jeux Olympiques de 2024. Mais à la veille de l’élection présidentielle de 2022, avant de se retirer de la politique politicienne et de devenir lobbyiste en chef de l’industrie de la tech, il reconnaît publiquement que les conditions politiques d’un recours à cette technologie ne sont pas réunies. « La priorité a été mise sur d’autres sujets […] compte tenu du contexte et de la sensibilité du sujet » explique-t-il alors, non sans dénoncer au passage les « associations libertaires » ayant selon lui alimenté un climat de « psychose ».

Le gouvernement se rabat alors sur des applications de la VSA jugées moins sensibles. Elles seront légalisées à titre expérimental et temporaire dans le cadre de la loi de 2023 relative aux Jeux Olympiques et mises en œuvre ces derniers mois : il s’agit notamment de détecter des personnes ou véhicules à contre sens, des chutes au sol, des mouvements de foule, des départs de feu, etc. Une expérimentation aux résultats peu concluants mais que le gouvernement souhaite aujourd’hui prolonger dans le cadre de la prochaine loi relative aux Jeux Olympiques de 2030.  Fin 2022, lors des débats parlementaires, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, et sa collègue en charge des sports, Amélie Oudéa-Castera défendent cette expérimentation a minima et font de la reconnaissance faciale une ligne rouge : « le dispositif ne prévoit aucunement […] de créer un système d’identification biométrique » affirme ainsi la ministre dans l’hémicycle : « Le Gouvernement ne souhaite rien de cela, ni de près ni de loin ».

Dans l’AI Act, des dérogations pour la police

Mais ces réassurances relèvent du double-jeu. Car dans le même temps, à Bruxelles, le gouvernement français est à la manœuvre dans le cadre des négociations sur le règlement relatif à l’intelligence artificielle. Comme l’a démontré une enquête du média Disclose parue cet hiver, et alors même que le marketing politique de la Commission européenne autour de ce texte reposait en partie sur la promesse d’une interdiction de la « surveillance biométrique en temps réel », la France fait au contraire pression de toutes ses forces sur les autres États membres de l’Union européenne pour épargner aux forces de l’ordre toute régulation trop contraignante.

Cette stratégie s’avère payante. Dans la version finalement adoptée de l’« AI Act », le principe d’interdiction de la reconnaissance faciale en temps réel est immédiatement assorti de quantité de dérogations. Elle est par exemple autorisée pour prévenir « une menace réelle et actuelle ou réelle et prévisible d’attaque terroriste », mais aussi dans le cadre d’enquêtes pénales afin de retrouver les suspects de toute une gamme d’infractions punies de plus de quatre ans d’emprisonnement, dont le sabotage. Des activités militantes, notamment associées à la mouvance écologiste, pourront sans mal être concernées.

Une autre concession obtenue par la France, particulièrement glaçante, permet aux forces de police d’utiliser des systèmes de VSA « qui classent individuellement des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques afin de déduire ou d’inférer leur race, leurs opinions politiques, leur appartenance syndicale, leurs croyances religieuses ou philosophiques, leur vie sexuelle ou leur orientation sexuelle ». Soit non seulement la détection d’insignes ou de vêtements dénotant une orientation politique, mais aussi le retour en force de théories naturalisantes, de pseudosciences censées révéler la « race » ou l’orientation sexuelle à partir de caractéristiques morphologiques ou de traits du visage, désormais inscrites dans de puissants systèmes automatisés visant à mettre en œuvre la violence d’État.

L’annonce par Gérald Darmanin du lancement d’un « groupe de travail » en vue de légaliser la reconnaissance faciale n’est donc pas une surprise. Elle s’inscrit dans la suite logique des efforts menés depuis des années au plus haut sommet de l’État, en lien avec des acteurs industriels et scientifiques, pour préparer la population française et minimiser autant que possible le coût politique d’une légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel.

Le ministre de la Justice prétend ainsi que la reconnaissance faciale serait indispensable pour assurer la sécurité de la population, tout en tâchant d’en minimiser les enjeux : « Les gens disent qu’à Roissy on met 1h30 pour passer, à Dubaï on met 10 minutes ; oui, mais à Dubaï, il y a la reconnaissance faciale » tentait-il de justifier début mai, vantant le surcroît de commodité que les « braves gens » seraient en droit d’attendre d’une généralisation de cette technologie. On aurait envie de rappeler au ministre : « Oui mais à Dubaï, on enferme les défenseurs des droits, on pratique la torture, et les Émirats-Arabes-Unis sont de fait une dictature. Est-ce bien là un modèle à suivre ? »

S’il fait mine d’oublier que la reconnaissance faciale est déjà une réalité dans certains aéroports et certaines gares, c’est pour mieux défendre son marché de dupes : vie privée et libertés contre une plus grande praticité pour celles et ceux qui se meuvent dans les monde des flux. Le ministre y voit un bon deal, capable de convaincre le quidam de remiser au placard ses réserves, lui qui – à la suite de Cédric O – se désole aujourd’hui d’« une paranoïa sur la technologie, les libertés publiques, la question des fichiers ».

Un contrôle d’identité permanent, général et invisible

En haut lieu, le changement de paradigme induit par la reconnaissance faciale en temps réel est pourtant bien compris. En 2019, alors qu’avec un camarade de La Quadrature, nous étions invités à donner notre avis sur « l’acceptabilité sociale de la reconnaissance faciale » devant un aréopage de hiérarques policiers, de préfets, de scientifiques et d’industriels à la Direction générale de la gendarmerie nationale, un colonel de Gendarmerie était venu présenter une note qu’il venait tout juste de publier sur le sujet. Il y livrait une analyse plutôt lucide quant à la place de la reconnaissance faciale dans l’histoire des techniques d’identification :

« L’intérêt de cette technologie est d’exécuter systématiquement et automatiquement les actes de base des forces de l’ordre que sont l’identification, le suivi et la recherche d’individus en rendant ce contrôle invisible. Sous réserve d’algorithmes exempts de biais, elle pourrait mettre fin à des années de polémiques sur le contrôle au faciès puisque le contrôle d’identité serait permanent et général [nous soulignons]. »

Un contrôle d’identité « invisible, permanent et général » ? Michel Foucault ne croyait sans doute pas si bien dire lorsque, dans Surveiller et Punir (1975), il résumait le fantasme d’un pouvoir policier devenu « l’instrument d’une surveillance permanente, exhaustive, omniprésente, capable de tout rendre visible, mais à la condition de se rendre elle-même invisible ».

Si une loi était prochainement adoptée pour autoriser la reconnaissance faciale en temps réel, les choses pourraient aller très vite. Car même si pour l’heure, en France, son usage policier n’est légalement possible qu’a posteriori, dans le cadre d’enquêtes judiciaires et pour le seul fichier « Traitement des antécédents judiciaires » (le TAJ, qui contient près de 10 millions de photographies de visages), l’infrastructure technique permettant un usage en temps réel est d’ores et déjà en place. Les capteurs d’abord : autour de 90 000 caméras de vidéosurveillance placées sur la voie publique à travers le pays, soit autant de points géolocalisés dédiés à la collecte d’images. Ensuite, les bases de données centralisées de photos d’identité adossées aux données d’état civil : outre le fichier TAJ, la plupart des fichiers liés à l’immigration intègrent désormais des photographies de visages exploitables par les algorithmes. C’est aussi le cas du fichier « Titres électroniques sécurisés » (TES) créé en 2016 par le ministère de l’Intérieur et qui permet de collecter les empreintes faciales de tous les demandeurs de cartes d’identité et de passeports. Et enfin, la dernière pièce du puzzle : les algorithmes de reconnaissance faciale permettant de comparer les images aux fichiers, fournis par des prestataires privés comme la multinationale Idemia, et dont le taux de fiabilité a beaucoup progressé ces dernières années.

Refuser la reconnaissance faciale

Avec la reconnaissance faciale, nos visages deviennent à leur tour les termes indexiques des fichiers de police, ce par quoi nos données d’état civil peuvent être automatiquement révélées (nom, prénom, lieu de naissance, lieu de résidence, etc.). Si son usage en temps réel était autorisé, circuler à visage découvert reviendrait à arborer une carte d’identité infalsifiable, lisible à tout moment par l’État. L’anonymat serait rendu pratiquement impossible. Et, au détour de ce processus, nos visages – qui témoignent de nos émotions, de nos attitudes, de nos manières d’être – en seraient réduits à être des faces : des yeux, un nez, une bouche, des oreilles et autres éléments anatomiques dont les mensurations, les formes ou les couleurs pourront être automatiquement classifiées. Vitrines de nos subjectivité, ils deviendraient de nouveaux objets du pouvoir, ce par quoi l’État peut nous gérer.

La reconnaissance faciale, c’est aussi ce par quoi le fascisme pourrait s’installer et perdurer. Lors de cette journée de septembre 2019 à la Direction générale de la gendarmerie nationale, nous avions ainsi rappelé à tous ses partisans présents dans l’assistance pourquoi elle était selon nous inacceptable. Croyant pouvoir faire vibrer quelques cordes sensibles dans l’assistance, nous leur avions dit notre conviction que, si nos grands-mères et nos grands-pères avaient dû vivre au début des années 1940 dans un monde saturé de ces technologies, ils n’auraient pas pu survivre bien longtemps en clandestinité, et donc organiser des réseaux de résistance capables de tenir tête au régime nazi.

Cette hypothèse contrefactuelle permet d’illustrer pourquoi la reconnaissance faciale est tout simplement incompatible avec la défense des formes de vie démocratiques. Par les temps qui courent, elle n’est pas à prendre à la légère.

Félix Tréguer est chercheur, membre de La Quadrature du Net et auteur de Technopolice, la surveillance policière à l’ère de l’intelligence artificielle (Divergences, 2024).

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