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18.05.2025 à 00:15

De la prison au CRA

Robin Bouctot

Derrière les grilles des Centres de rétention administrative (CRA), maillons immondes de la machine à expulser, de plus en plus d'ex-détenus sont conduits sans sommation d'une prison à une autre. Condamnés à quitter le territoire français le jour de leur libération, ils voient le piège des politiques migratoires françaises se refermer sur eux. Le 14 mars dernier devait être le jour de retrouvailles et de liberté pour Djibril, 29 ans. Après deux ans de prison, c'est un certain vertige mais (…)

- CQFD n°241 (mai 2025) /
Texte intégral (1750 mots)

Derrière les grilles des Centres de rétention administrative (CRA), maillons immondes de la machine à expulser, de plus en plus d'ex-détenus sont conduits sans sommation d'une prison à une autre. Condamnés à quitter le territoire français le jour de leur libération, ils voient le piège des politiques migratoires françaises se refermer sur eux.

Le 14 mars dernier devait être le jour de retrouvailles et de liberté pour Djibril, 29 ans. Après deux ans de prison, c'est un certain vertige mais aussi une immense impatience qu'il ressent : sa compagne et leur fille de six mois, qu'ils ont eu au cours de la détention, l'attendent à la sortie. À part au téléphone et en visio, il n'a jamais vu son enfant : la permission le jour de la naissance lui avait été refusée. « Je voulais la rencontrer dehors. La prison, ce n'est pas un endroit pour un bébé, c'est plein d'ondes négatives. » Ce matin-là, à 9 heures, Djibril se dit « prêt ». Il est conduit au greffe pour les formalités de levée d'écrou. « Là, trois policiers me disent que mon titre de séjour n'est plus à jour, que je suis sous Obligation de quitter le territoire français [OQTF] et Interdiction de territoire français [ITF], et qu'ils vont m'emmener au Centre de rétention administrative [CRA] de Rennes. » En prison, personne ne l'a prévenu : « Ils ne m'ont laissé aucune chance de faire les démarches. C'est délirant... On dirait que le préfet de Loire-Atlantique veut juste me gâcher la vie. »

« Les gens deviennent fous ici, on les traite comme de la merde, on les casse »

Dehors, sa compagne s'impatiente. « J'attendais, j'attendais… Il devait être là depuis une heure ! J'ai fini par aller voir à l'accueil. Là, une dame me rit au nez et me dit : “vous pouvez attendre longtemps : il ne sortira pas, il part avec la police” », rejoue-t-elle quinze jours plus tard devant les grilles du CRA. « C'est pas légal de faire ça non ? Ils sont censés recevoir le courrier pour prévenir qu'ils ont une OQTF. C'est vraiment dégueulasse. J'étais sûre qu'il allait être libre. On devait partir direct voir sa famille à Paris. Franchement... La justice française est mal faite. » Finalement, elle raconte qu'il a rencontré sa fille au parloir : « Il voulait trop la voir. C'était émouvant, il était pas loin de pleurer. Maintenant je fais la route plusieurs fois par semaine parce qu'on sait qu'il peut être renvoyé à tout moment au Sénégal. » Ce pays, Djibril l'a pourtant quitté quand il avait cinq ans ; aujourd'hui, il n'a plus « personne là-bas ». Depuis l'une des deux pièces blanches prévues pour les visites au sein de l'établissement carcéral, Djibril est dépité. « En prison je pouvais cuisiner, travailler, avoir des soins, ici il n'y a rien, vraiment rien. La nourriture est immonde, on a deux toilettes pour treize personnes, des gens hurlent, j'arrive pas à dormir avant 4 ou 5 heures du matin... C'est pire que la prison ! Les gens deviennent fous ici, on les traite comme de la merde, on les casse. Le moral c'est dur : je sais pas, peut-être que demain on m'embarque. On te dit rien, ça peut arriver n'importe quand. » Au final, malgré les démarches et l'aide juridique de la Cimade, la Police aux frontières (PAF) a débarqué le 1er avril, avant le lever du jour, l'a menotté aux mains et aux pieds, et l'a mis dans un fourgon direction l'aéroport de Paris Charles-de-Gaulle.

Troubles à l'ordre public

« Depuis quelques années, beaucoup de personnes arrivent au CRA après leur levée d'écrou », confirme une salariée de la Cimade qui intervient au centre de rétention de Hendaye, à la frontière espagnole. « Ils ne sont quasiment jamais informés avant le jour de leur libération. Ils s'attendent à sortir et en fait ils sont amenés ici. Le niveau d'absence de considération à l'égard des personnes est ultraviolent. » Dans son dernier rapport sur les CRA, daté de 2023, la Cimade – qui intervient dans quelques centres du territoire et plaide pour leur fermeture – comptabilisait 4 246 placements en rétention administrative à la sortie de prison, soit 26,6 % des cas. Cette sévérité à l'encontre des personnes sans titre de séjour valide serait justifiée par la menace que celles-ci feraient peser sur l'ordre public. L'argumentaire, sorte de fourre-tout juridique et éminemment politique, est répété à tort et à travers par Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, surfant sur quelques faits divers sordides1. Un « non-sens » pour Marine le Bourhis, avocate à Rennes et membre du Groupe de défense des étrangers. La salariée de la Cimade à Hendaye résume : « Cette notion [de menace à l'ordre public] n'est pas définie et est utilisée de façon très, très large. Il suffit d'avoir fait une garde à vue une fois dans sa vie suite à un contrôle d'identité ou une infraction au Code de la route. À la moindre erreur ou au moindre échec que tout un chacun pourrait commettre, c'est foutu ! »

« À la moindre erreur ou au moindre échec que tout un chacun pourrait commettre, c'est foutu ! »

Mohamed, joint par téléphone le 31 mars dernier, est soudeur de métier. Sans papiers, il a longtemps galéré entre les petits boulots de peinture et dans le bâtiment avant de tomber pour une affaire de stups. Après « 5 mois et 22 jours » passés dans la prison de Tulle en Corrèze, il s'attendait à sortir. Mais aussitôt libéré, on l'enferme de nouveau au CRA de Rennes. « Ils m'ont ramené ici car ils m'ont dit que j'avais une interdiction définitive de territoire, mais j'ai pas compris, j'ai pas fait un truc grave ! Ils m'ont pas vraiment expliqué pourquoi j'étais envoyé si loin, mais je crois que c'est parce que les autres CRA sont pleins. Ils disent qu'ils vont me garder jusqu'à ce que la Tunisie donne son accord pour me renvoyer au bled. » Comme Djibril, le temps qui passe et l'inactivité lui pèsent : « Depuis que je suis enfermé au CRA, je me transforme. Chaque jour, je suis différent. Il n'y a rien à faire, on est couché toute la journée. Au moins, en prison, je pouvais faire du sport ! » Et les échos de ceux à qui on a trouvé un vol pour les renvoyer au pays le font angoisser : « L'autre fois, ils sont venus à 2 heures du matin pour un Algérien qui est en France depuis 20 ans. Il avait toute sa vie ici : sa femme, ses enfants... Et puis il y a des gens ici qui sont en danger dans leur pays, ils ne peuvent pas rentrer ! »

Enfermement sans fin
« J'étais libre, j'avais purgé ma peine, mais la PAF m'attendait à la sortie. »

La voix paniquée, Régis parle à toute allure. Il sort tout juste du tribunal administratif où le recours contre son OQTF a été rejeté. « J'ai fait mes études en France, j'ai ma famille, ma compagne, ma fille, mon logement, toute ma vie. Je n'ai aucune attache en Côte d'Ivoire, je suis un étranger là-bas, ça n'a pas de sens de me renvoyer ! Mais maintenant, ils peuvent venir me chercher à tout moment. Si l'ambassade ivoirienne répond, demain, après-demain, lundi, c'est foutu : ils m'emmènent dans l'avion... » Libéré le 7 mars dernier « pour bonne conduite » après quatre mois de détention pour une malheureuse histoire de bagarre « et de légitime défense », Régis était convaincu de pouvoir enfin rentrer chez lui. « J'étais libre, j'avais purgé ma peine, mais la PAF m'attendait à la sortie. Ils m'ont dit que c'était trop tard pour faire recours à mon OQTF. Sauf qu'on ne me l'a jamais notifiée ! J'aurai eu tout le temps de faire les démarches en prison ! » Depuis son entrée au CRA, Régis s'inquiète : il a des pertes de mémoire et trouve que son visage se transforme. Porté par la colère de l'injustice, le jeune homme se sent « pris au piège », encore plus depuis qu'il a compris que les coups de sang des retenus contre les agents de la PAF pouvaient mener à des sanctions. Pire, le jeune homme a appris qu'un refus d'embarquer dans le vol charter pouvait être considéré comme une obstruction à une mesure d'éloignement. Un ultime acte de résistance condamnable par... de la prison.

Robin Bouctot

1 En septembre 2024, après le meurtre de la jeune Philippine par un ressortissant marocain placé sous OQTF, Bruno Retailleau avait appelé à « faire évoluer notre arsenal juridique ». De son côté, en mars dernier, Gérald Darmanin exhortait les procureurs et les directeurs de prisons à ce que tout « soit fait pour l'éloignement systématique des étrangers sortant de prison et pour les détenus pouvant terminer leur peine dans leur pays d'origine ».

18.05.2025 à 00:12

Serbie : pour une véritable lutte des classes

Eliott Dognon

Le 15 avril dernier, 80 étudiant·es serbes sont arrivé·es à Strasbourg à vélo pour alerter l'Europe sur la situation politique du pays et les multiples violations des droits humains par le régime d'Aleksandar Vučić. Mais face au mutisme des institutions européennes, ne faudrait-il pas pousser la lutte des classes pour enfin changer de système ? Accompagné·es de nombreux soutiens, 80 étudiant·es se sont lancé·es sur leurs bicyclettes depuis Novi Sad, deuxième ville de Serbie, le 3 avril (…)

- CQFD n°241 (mai 2025) /
Texte intégral (2075 mots)

Le 15 avril dernier, 80 étudiant·es serbes sont arrivé·es à Strasbourg à vélo pour alerter l'Europe sur la situation politique du pays et les multiples violations des droits humains par le régime d'Aleksandar Vučić. Mais face au mutisme des institutions européennes, ne faudrait-il pas pousser la lutte des classes pour enfin changer de système ?

Accompagné·es de nombreux soutiens, 80 étudiant·es se sont lancé·es sur leurs bicyclettes depuis Novi Sad, deuxième ville de Serbie, le 3 avril dernier. C'est dans cette ville au nord de Belgrade que s'était effondré l'auvent de la gare le 1er novembre 2024, faisant seize morts, alors que celle-ci venait d'être rénovée deux ans et demi plus tôt par un consortium d'entreprises chinoises, hongroises et françaises. Dès lors, un mouvement inédit mené par les étudiant·es tente de mettre fin à un système basé sur la corruption. Avec ce voyage de 1 400 kilomètres à vélo jusqu'à Strasbourg, iels mettent en lumière leur mouvement en passant par plusieurs grandes villes européennes comme Budapest, Bratislava, Vienne ou Munich. À chaque étape, un comité d'accueil les attend avec tapis rouge et slogans anti-Vučić, tandis que plusieurs maires viennent à leur rencontre. La diaspora, présente en nombre dans l'Union européenne (UE), compte bien jouer son rôle : « Il y a aussi des raisons pour lesquelles on est tous expatriés ! Et notamment la corruption. Par exemple, si tu as la carte du parti au pouvoir, tu auras plus facilement un travail par rapport à quelqu'un qui ne l'a pas, même si tu es moins compétent. Donc ça nous tient à cœur de soutenir ce mouvement », raconte Sneža, membre du collectif 11.52 Marseille1. Le deuxième objectif des cyclistes est d'alerter l'UE en déposant des documents à la Cour européenne des droits de l'homme concernant les méthodes répressives du gouvernement d'Aleksandar Vučić2. Le 15 mars dernier, alors que 300 000 personnes manifestent à Belgrade, de nombreux témoignages rapportent l'utilisation d'un canon sonore de type militaire par les forces de l'ordre pour effrayer et disperser la foule pacifique.

Encore plus radicaux que Vučić, ces ethnonationalistes rêvent d'une Grande Serbie

Tandis que les étudiant·es arrivent le 15 avril à Strasbourg, certain·es ont entamé une marche de Novi Sad jusqu'à Bruxelles. Pourtant, la démarche interroge. Qu'espérer de cette UE silencieuse face aux revendications actuelles en Serbie ? En toile de fond, un duel idéologique plus ancien commence à se rejouer : d'un côté, un récit autoritaire ethnonationaliste nourri par le mythe de la « Grande Serbie »3 ; de l'autre, une vision libérale aspirant à un rapprochement avec l'UE. Et au centre, la jeunesse serbe bien décidée à ne pas se laisser manipuler. Pour la sociologue Saša Savanović, la seule issue souhaitable, c'est la lutte des classes ou rien !4

Dépasser une vision binaire

Dans un article publié le 1er avril pour le média de gauche Mašina, elle interroge ce schéma idéologique binaire qui imprègne la Serbie depuis la fin de la Yougoslavie. Ces deux idéologies représentent « les deux faces d'une même pièce de monnaie capitaliste ». La première face s'observe dans les manifestations, où la vision ethnonationaliste est brandie par ses défenseur·ses sur des étendards avec drapeau serbe sur fond de topographie du Kosovo, accompagné du message Nema predaje [Pas de reddition]. Façon de revendiquer l'autorité serbe sur son voisin indépendant depuis 20085. Encore plus radicaux que Vučić, ces mouvements rêvent d'une Grande Serbie. Mais s'ils remportent la bataille idéologique, « la Serbie n'aura d'autre choix que de s'aligner sur une autre puissance impériale à laquelle elle offrira tout ce qu'elle a – personnes, terres, ressources. Dans ce scénario, seules les élites compradores, politiques et économiques, peuvent tirer leur épingle du jeu », explique Saša Savanović.

Les étudiant·es mettent leur propre agenda à l'ordre du jour, qui dépasse largement la binarité idéologique entre nationalisme et libéralisme

De l'autre côté de la pièce, le 15 avril à Strasbourg, les étudiant·es interpellent Emmanuel Macron en ces termes : « Monsieur le Président, vous avez souvent souligné l'importance des valeurs européennes, vous avez aujourd'hui l'occasion de montrer que ces valeurs sont universelles », rapporte le Courrier des Balkans6. Sur le parvis de la mairie de Marseille, Sneža est venue afficher son soutien aux étudiant·es. Pour elle, « le respect du rôle de chaque institution est une des choses auxquelles le mouvement tient beaucoup ». Dans ce pays candidat à l'UE depuis 2012, certain·es veulent encore croire que cette institution répondra à leur demande de justice, malgré ses valeurs universalistes douteuses. Mais cette position ne fait pas l'unanimité. Dans notre numéro de mars dernier, le chercheur Filip Balunović expliquait que l'intégration européenne était « devenue une expression vide, dépourvue de sens concret pour le citoyen serbe moyen ». Selon lui, les Serbes sont désenchanté·es par l'inaction européenne face au régime autoritaire d'Aleksandar Vučić qui garantit à plusieurs pays membres de juteux marchés : « La France, par exemple, a le contrôle de l'aéroport de Belgrade, tandis que l'Allemagne attend l'accès au lithium serbe pour sa transition énergétique. »7 Pire ! Le locataire de l'Élysée a ostensiblement provoqué les étudiant·es serbes en recevant Aleksandar Vučić le 9 avril. Selon Saša Savanović, la jeunesse serbe a déjà compris que le « réalisme capitaliste »8 et sa forme politique néolibérale sont responsables de la destruction économique, sociale et écologique mondiale : « Au lieu de choisir de périr dans une guerre nucléaire ou d'être brûlée par le soleil, la jeunesse choisit au moins de se battre pour la possibilité d'un avenir différent ».

La lutte des classes déjà à l'ordre du jour
La seule issue souhaitable, c'est la lutte des classes ou rien !

Malgré l'absence d'un discours idéologique clair, les étudiant·es et les travailleur·ses mobilisé·es renvoient déjà dos à dos ces deux positions idéologiques. Iels s'organisent sous forme de plénums, en dehors du cadre institutionnel, avec la volonté de changer « la manière dont la société est gouvernée, pour des institutions qui sont construites à partir de la base » ajoute la sociologue. Sans chef·fe, toutes les décisions sont prises collectivement. Des groupes de travail ont été formés et les rôles tournent pour éviter toute manipulation ou prise de pouvoir informelle. Chaque temps de parole est minutieusement comptabilisé et limité à une minute par personne. Façon de montrer au reste de l'Europe que la démocratie n'est pas seulement un objectif à atteindre, mais bien une pratique. En court-circuitant ainsi les pratiques de pouvoir des institutions dominantes, les étudiant·es et leurs soutiens imposent leur propre agenda et celui-ci dépasse largement la binarité idéologique entre nationalisme et libéralisme. Cette lutte « valorise profondément la vie (et pas seulement la vie humaine), prône la non-violence, l'unité et le souci du bien commun. La lutte étudiante est antifasciste, car elle se préoccupe du bien-être des autres. Elle est anticoloniale et anti-impériale, parce qu'elle rejette la logique de la suprématie (blanche), et elle est sans aucun doute une lutte de classe parce qu'elle n'accepte pas le caractère “naturel” de l'appropriation et de l'exploitation », écrit Saša Savanović. Alors évidemment, il reste beaucoup de travail à accomplir, mais l'espoir demeure : « C'est vraiment petit à petit qu'on progresse dans cette lutte et il faut persister ! » termine Minja, membre de 11.52 Marseille.

Eliott Dognon

1 Collectif de soutien au mouvement étudiant serbe. 11 heures 52 étant l'heure à laquelle l'auvent de la gare de Novi Sad s'est effondré le 1er novembre dernier.

2 La Serbie ayant ratifié la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), elle peut théoriquement être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme.

3 Idée nationaliste développée au XIXe siècle selon laquelle le territoire de la Serbie devrait englober tous les territoires peuplés par des Serbes.

4 « With the largest protest in Serbia behind us, what do we mean by changing the system ? », Mašina (01/04/2025).

5 Le Kosovo a déclaré son indépendance unilatéralement et est aujourd'hui reconnu par plus de 90 pays membres de l'ONU. Le Kosovo reste une des obsessions nationalistes bien ancrées dans la société serbe.

6 « Serbie : après leur épopée à vélo, les étudiants interpellent les institutions européennes », Le Courrier des Balkans (17/04/2025).

7 Lire « Une “tentative semi -révolutionnaire” : en Serbie, jusqu'où iront les étudiants » CQFD, n° 239 (mars 2025).

8 Idée selon laquelle il n'existe aucune alternative viable au capitalisme.

18.05.2025 à 00:08

« Le coaching en séduction n'est pas nouveau à l'extrême droite »

Zoé Picard

En s'appuyant sur son immersion au sein des Jeunesses identitaires, le sociologue Samuel Bouron dévoile dans son nouvel ouvrage, Politiser la haine, les ressorts idéologiques et médiatiques de ce mouvement. Entretien. En 2010, le sociologue Samuel Bouron infiltre durant un an les Jeunesses identitaires, l'un des ancêtres de l'organisation Génération identitaire, dissoute par le gouvernement en 2021. Entre camps d'été, footings matinaux et coups de com', il découvre les bases idéologiques (…)

- CQFD n°241 (mai 2025) /
Texte intégral (1572 mots)

En s'appuyant sur son immersion au sein des Jeunesses identitaires, le sociologue Samuel Bouron dévoile dans son nouvel ouvrage, Politiser la haine, les ressorts idéologiques et médiatiques de ce mouvement. Entretien.

En 2010, le sociologue Samuel Bouron infiltre durant un an les Jeunesses identitaires, l'un des ancêtres de l'organisation Génération identitaire, dissoute par le gouvernement en 2021. Entre camps d'été, footings matinaux et coups de com', il découvre les bases idéologiques sur lesquelles se regroupent les militants de cette mouvance et les alliances qu'ils tissent avec d'autres tendances d'extrême droite. On a échangé avec le chercheur, à partir de son essai Politiser la haine, la bataille culturelle de l'extrême droite identitaire (La Dispute, 2025), sur les actuelles recompositions stratégiques au sein de ce mouvement.

Peux-tu donner une définition de la mouvance identitaire ? En quoi ses conceptions se démarquent-elles des autres tendances d'extrême droite et de celles du Rassemblement national (RN) ?

« Ce courant se différencie du RN et, plus largement, des mouvances souverainistes et nationalistes, en plaçant l'identité au centre. Cette notion revêt un caractère essentialiste. Selon ses membres, le processus d'assimilation est impossible pour celles et ceux qui ne sont pas “Français de souche”. Contrairement au fascisme traditionnel et au nazisme, les identitaires ne procèdent pas à une hiérarchisation de morphotypes raciaux ; mais ils justifient la nécessité d'une épuration par l'incompatibilité entre certaines racines culturelles. Par ailleurs, alors que le RN défend une souveraineté exclusivement nationale, avec un programme qui prônait la sortie de l'Europe, les identitaires défendent une Europe blanche et indo-européenne et forment des alliances à échelle continentale.

« Pour “assainir” leur corps et leur esprit, les identitaires s'engagent donc dans un processus “d'enracinement” »

Autrefois, les différents groupuscules d'extrême droite étaient plus morcelés, mais à partir des années 2012-2013, lors des premières mobilisations de la Manif pour Tous, ils ont commencé à se considérer comme des alliés face aux musulmans, aux “wokes”, aux personnes LGBT... À cette période, les identitaires, qui disposent de locaux et de bars militants, et forment la mouvance la plus importante, renforcent leur réseau. Ces lieux deviennent alors un passage presque obligatoire pour les jeunes militants qui se politisent à l'extrême droite, y compris pour les élus du RN. »

Tu as infiltré les Jeunesses identitaires durant un an. Quel a été l'apport de ce travail de terrain, qui date maintenant d'il y a quinze ans, pour la rédaction de ton dernier ouvrage ?

« Je n'aurais pas pu construire les hypothèses décrites dans mon essai si je n'avais pas réalisé ces observations lors de cette immersion. J'ai notamment pu comprendre comment s'incarne leur pensée militante. Selon eux, le groupe racial et la nation forment un être vivant à épurer de ses éléments nocifs, qui contaminent la pureté du corps social, mais aussi biologique. Pour “assainir” leur corps et leur esprit, ils s'engagent donc dans un processus “d'enracinement”, qui consiste à se reconnecter à ce qu'ils conçoivent comme leur essence culturelle, fondamentalement blanche. Ils se perçoivent comme le dernier rempart face au “grand remplacement”. Ce “réenracinement” passe aussi par une “revirilisation”. Selon les identitaires, si la civilisation occidentale s'affaiblit face au “grand remplacement”, c'est aussi parce que les hommes se “féminiseraient”, comme l'affirmait une thèse issue du journaliste et théoricien d'extrême droite Guillaume Faye. Ils aspirent à une complémentarité entre les hommes et les femmes, ayant une essence différente, afin d'équilibrer la civilisation occidentale. Malgré leur dédiabolisation apparente, ces groupes sont encore structurés autour de la violence et de la virilité. Lors des camps d'été, la boxe est obligatoire et pratiquée quotidiennement. Le dernier jour, chaque militant se bat contre l'un de ses camarades. Ce tournoi fonctionne comme un rite de passage qui scelle définitivement l'arrivée dans le groupe. »

Comme tu le montres, la rhétorique masculiniste est une porte d'entrée vers l'extrême droite. Elle attire des jeunes, au départ peu politisés, mais sensibles à ces discours portés par des identitaires. Par exemple, Thaïs d'Escufon, l'ancienne porte-parole de Génération identitaire, utilise YouTube pour s'adresser à la communauté incel1. En 2021, dans le cadre d'un débat avec Alice Cordier, la dirigeante du collectif féministe identitaire Némésis, elle affirme défendre « la vision européenne d'une femme libre, mais qui a également une complémentarité avec l'homme européen et une place propre dans la famille ».

« La trajectoire de Thaïs d'Escufon est intéressante car elle n'a pas continué sa carrière en politique, comme l'ont par exemple fait Damien Rieux, membre de Reconquête, et Philippe Vardon, membre d'Identité-Liberté, mais elle a prolongé celle-ci sur les réseaux sociaux.

« Les fémonationalistes sont le vernis de modernité des discours identitaires »

Progressivement, elle s'est rapprochée des masculinistes en devenant “coach en séduction”, une activité qui représente une certaine manne économique et qui lui permet de déployer un discours raciste. Elle affirme notamment qu'elle n'entretiendra jamais de relation avec un homme non blanc. Le coaching en séduction n'est pas nouveau à l'extrême droite : en 1996 déjà, l'essayiste Alain Soral sortait Sociologie du dragueur, ouvrage dans lequel il prétend que les femmes ont une essence différente des hommes et qu'elles aiment être dominées et protégées. Pour multiplier les conquêtes, il faudrait rompre avec les idées féministes qui entrent insidieusement en nous, et assumer sa virilité profonde. L'idéologie fasciste rencontre ici celle du développement personnel : pour être heureux, il ne faut pas changer la société mais devenir la “meilleure version de soi-même”, un mantra que l'on retrouve souvent sur les réseaux sociaux. »

Thaïs d'Escufon s'adresse surtout aux hommes mais le mouvement identitaire, autrefois très masculin, tente aujourd'hui de toucher un public plus féminin en prônant un féminisme identitaire. C'est notamment le rôle du collectif Némésis, créé en 2019. Quel rôle jouent des collectifs comme celui-ci, dans les actuelles recompositions au sein de la mouvance identitaire ?

« Quand j'ai commencé à enquêter, les femmes étaient marginales sur le plan numérique et elles acceptaient très peu de tâches d'encadrement. Mais désormais, les identitaires tentent de s'imposer à un public plus large. Pendant la Manif pour Tous, des groupes exclusivement féminins ont émergé, comme les Antigones, nées en 2013 en opposition aux Femen, connues pour leurs protestations publiques avec la poitrine dénudée sur laquelle sont écrits des slogans. Plus tard, des jeunes femmes diplômées de l'enseignement supérieur créent le collectif Némésis. Ses militantes estiment aussi que les hommes et les femmes n'ont pas la même essence, mais défendent une égalité en droit. En effet, ces groupuscules sont contraints de s'adapter aux avancées féministes conquises par les luttes sociales de ces dernières années. Elles rejoignent les obsessions identitaires concernant les musulmans et les personnes non blanches qu'elles perçoivent elles aussi comme des ennemis. Le viol, par exemple, serait selon elles principalement commis par des étrangers. La professeure en sociologie Sarah Farris qualifie de “fémonationaliste” ce type de féminisme structuré par un cadrage nationaliste à des fins racistes. Ces militantes sont le vernis de modernité des discours identitaires. Aujourd'hui, on voit même de nombreux partis d'extrême droite européens dirigés par des femmes. Les fémonationalistes bénéficient d'un écho médiatique en trouvant des relais au sein des élites politiques : Bruno Retailleau a notamment affirmé récemment qu'il partageait le “combat” de Némésis. Néanmoins, le féminisme identitaire ne s'étend pas vraiment dans la population et la jeunesse. Les idées féministes gagnent plus de terrain que celles des identitaires ! »

Zoé Picard

1 La culture incel (involutary celibate) désigne celle des communautés en ligne d'hommes se définissant comme des célibataires involontaires. Ils cultivent la violence et le ressentiment envers les femmes qui seraient responsables de leur misère affective et sexuelle.

18.05.2025 à 00:02

Biffins : la traque sans fin

Gaëlle Desnos

À Marseille, dans le quartier de Gèze (15e) en pleine gentrification, la mairie socialo et ses flics harcèlent les vendeurs à la sauvette qui tentent de résister, encore et toujours, à l'envahisseur. Ce dimanche d'avril, dans le quartier de Gèze (15e), le marché aux biffins est réduit comme peau de chagrin. Dans les couloirs étroits dessinés par les grilles des chantiers qui ceinturent les puces et le marché des forains, de tous petits étals sont timidement installés à même le sol, prêts à (…)

- CQFD n°241 (mai 2025) /
Texte intégral (2039 mots)

À Marseille, dans le quartier de Gèze (15e) en pleine gentrification, la mairie socialo et ses flics harcèlent les vendeurs à la sauvette qui tentent de résister, encore et toujours, à l'envahisseur.

Ce dimanche d'avril, dans le quartier de Gèze (15e), le marché aux biffins est réduit comme peau de chagrin. Dans les couloirs étroits dessinés par les grilles des chantiers qui ceinturent les puces et le marché des forains, de tous petits étals sont timidement installés à même le sol, prêts à être remballés au moindre signal. Il y a encore quelques mois pourtant, les biffins de Gèze formaient le plus grand marché informel de France : la semaine, entre 300 et 800 vendeurs s'étalaient sur les boulevards attenants, le week-end, plus de 1 000. Héritiers des chiffonniers du XIXe siècle, ces marchands de « biffes » – vieilles étoffes sans valeur, en vieux français – offrent à une clientèle souvent précaire tout ce dont elle a besoin à petits prix. Linge, livres, cahiers, chaussures, écouteurs, bijoux, chargeurs, radiateurs d'appoint, vêtements, denrées alimentaires emballées… De la récup', du tri, de la restauration, du recyclage. Mais le 17 octobre dernier, la mairie de Marseille a signé un arrêté interdisant la vente à la sauvette dans ce quartier où est en train de pousser un grand projet urbain : Euroméditerranée 2.

Le marché aux biffins fait partie intégrante d'un écosystème qui va des quartiers Nord au centre-ville

Depuis, la police harcèle quotidiennement les vendeurs en distribuant amendes, coups et menaces. Reportage.

Une économie de débrouille

« On parle toujours d'écologie et d'économie circulaire, mais les biffins qu'on réprime sont les premiers maillons de cette chaîne ! » peste Stéphanie Fernàndez-Recatalà, présidente de l'association Indicible qui aide les vendeurs à se structurer. Elle rappelle que les brocanteurs, les fripiers et tous les « Vinted » de Marseille, viennent chiner à Gèze ce qu'ils revendent « la peau des fesses » dans leurs boutiques du centre-ville. Hamid*, Kader* et celui qui se fait appeler le Vieux*, tous trois membres du récent syndicat des biffins, hochent la tête et confirment : « La clientèle est très diverse, on voit de tout. » Selon eux, le marché aux biffins fait partie intégrante d'un écosystème qui va des quartiers Nord au centre-ville.

« Historiquement les puces ont toujours été refoulées par les grands projets urbains »

Pour autant, il n'y a pas de concurrence entre les puciers, installés dans les anciens ateliers Alstom, les forains devant sur le parvis, et les biffins le long de l'avenue du Cap-Pinède et de la rue de Lyon. D'après Stéphanie, « les gens circulent parmi les strates du marché sans faire de différence. Mais pour les plus précaires, les biffins offrent la possibilité de s'équiper, s'habiller, même manger correctement à des prix vraiment accessibles ». Et la vente à la sauvette est aussi un moyen de vivre, voire de survivre pour ceux qui la pratiquent : « Avant j'étais boucher, j'ai aussi travaillé dans la sécurité, mais je me suis blessé au dos », raconte Hamid. Avec quatre enfants et une petite pension d'invalidité, ses ventes lui permettent de boucler les fins de mois. Pour le Vieux et Kader, c'est leur petite retraite de l'armée et d'ancien marin qu'ils complètent en venant à Gèze.

Euromed le bulldozer

« Historiquement les puces ont toujours été refoulées par les grands projets urbains… » raconte Cécile, qui fait une thèse d'histoire sur le quartier. Et celles de Gèze ne dérogent pas : après Euroméditerranée dans les années 1990, sorte de quartier des affaires érigé au nord et à l'ouest du centre-ville, Euromed 2 pousse plus loin ses façades vitrées et ses tours grises en direction des quartiers Nord. Démarré dans les années 2000, le projet prend aujourd'hui les puces en étau : tout autour, des écoquartiers, des sièges d'entreprises, des bureaux et l'extension du tramway. Sur place, la valse des grues et le rythme soutenu du poc poc poc des marteaux piqueurs. « La Métropole prévoit de bâtir le nouveau quartier des Fabriques pile-poil à l'endroit des puces. Le proprio, André Coudert, a beau dire qu'il ne vendra pas, dans les faits c'est beaucoup plus flou1. D'autant qu'il laisse le marché se dégrader à petit feu2. » Des puciers et commerçants mettent déjà la clé sous la porte, dépités devant l'impossibilité de vendre leur fonds de commerce dans un lieu devenu insalubre3. « J'imagine que ça arrange bien Coudert : en cas de vente, il aura moins d'indemnisations à payer », souffle Cécile.

« Sur la question des marchés de rue, il y a souvent deux écueils : soit la criminalisation, qui donne lieu à de la répression, soit le misérabilisme, qui verse dans l'humanitaire »

À la question de savoir si l'interdiction des biffins a un lien avec ce processus, l'historienne hésite : « C'est un peu tout : Euromed, certains habitants, les élus avec l'échéance municipale qui arrive… » Elle pointe surtout « une politique de l'attente comme dans la plupart des grands projets de rénovation urbaine ». « On fait des annonces en grande pompe, et puis finalement ça prend du retard. Il y a des pressions, des négociations opaques. Tout ça se fait sur un temps très long, un temps qui n'est pas celui des gens et qui les empêche de s'organiser. » En octobre, Stéphanie et elle ont tenté de faire casser l'arrêté d'interdiction de vente à la sauvette, mais « peine perdue : c'est considéré comme un délit de toute façon ».

Les cow-boys attisent la tension

« Sur la question des marchés de rue, il y a souvent deux écueils : soit la criminalisation, qui donne lieu à de la répression, soit le misérabilisme, qui verse dans l'humanitaire », explique Cécile. À Gèze, il semble que la mairie se soit vautrée dans le premier. Nombreux sont les biffins qui témoignent du harcèlement de la police, municipale comme nationale. « Elle vient tous les jours, plusieurs fois par jour ! » désespère le Vieux. « Elle distribue des amendes de 135 euros, 300 pour les véhicules, voire la fourrière ! » renchérit Hamid. Il raconte qu'un jeune Albanais s'est fait enlever sa voiture avec tous ses papiers administratifs à l'intérieur, mais qu'insolvable, il n'a rien pu récupérer. Kader ajoute : « Nos marchandises sont confisquées et jetées… » Pour couronner le tout, les clients, qui ne savent plus sur quel pied danser, viennent de moins en moins. « Dans cette ambiance de répression, avec une clientèle aléatoire, sans sécurité, la tension monte entre biffins, explique Cécile. Avant, il y avait quelques embrouilles, mais le marché, très divers, s'autorégulait, et les conflits étaient vite absorbés. Aujourd'hui, ceux qui reviennent sont ceux qui n'ont que ça pour survivre. L'atmosphère est lourde et les gens sont tendus. »

« Ils sont des travailleurs comme les autres »

Cécile raconte une intervention de la police municipale, un après-midi de mars : « C'était pendant le ramadan, tout le monde était un peu stone. Les flics ont débarqué en fanfare et un des biffins, qui rangeait son matériel, s'est violemment fait attraper par le col. » Elle sort son téléphone pour filmer la scène. « Là ils me tombent dessus et menacent de m'embarquer si je n'efface pas la vidéo. » Des ouvriers du chantier du tram, à proximité, s'interposent : « Les flics se mettent à les invectiver et les menacer avec leurs tasers. » La tension monte et un ouvrier est plaqué, la gorge contre une barrière de sécurité. « Le chef de chantier a réussi à calmer le jeu. De mon côté, j'ai cédé et effacé la vidéo. » Plus tard, quand Stéphanie et Cécile repasseront devant les agents, ils leur décocheront un : « C'est à cause de vous que la France est dans cet état ! »

Pour faire face à cette violence et essayer de trouver une solution, les biffins ont monté leur propre syndicat. « Façon de montrer qu'ils sont des travailleurs comme les autres », explique Stéphanie. Leur revendication ? Une réinstallation un peu plus loin, boulevard Frédéric Sauvage, le week-end, dans un premier temps. « Les biffins se sont mis d'accord sur un prix de cinq euros l'emplacement. Cela servira à payer des placiers, une sécurité et le nettoyage. » Dans un second temps : la mise à disposition d'un terrain en plein air avec convention de la mairie, d'un minimum de trois ans renouvelables, et l'obligation d'être relogés si le terrain venait à être vendu. Pour gérer un tel marché, Hamid est confiant : « On saura faire ! »

Gaëlle Desnos

*Les prénoms ont été modifiés.


1 Sur le site du projet, on peut lire que le marché demeurera « tant dans sa localisation que dans son usage », mais qu'Euromed et le propriétaire « étudient actuellement un projet de rénovation »…

2 En 2021, l'association des commerçants du marché aux puces assignait André Coudert en justice. L'ordonnance rendue par le tribunal pointait des locaux dans un « état édifiant de saleté, le sol étant défoncé et recouvert de détritus de toutes origine, alors même que les charges sollicitées par le bailleur englobent des frais d'entretien. »

3 En 2019, Marsactu comptait déjà 69 stands fermés. Le journal racontait également comment l'historique boucherie Slimani, spécialiste de viande halal, avait baissé son rideau. Lire sur leur site « Marché aux puces : radiographie d'une puissance économique informelle » (26/04/2019) et « Le marché aux puces perd son boucher et une tranche de son histoire » (01/11/2019).

10.05.2025 à 00:40

Immersion en salle de conso

Jonas Schnyder

Avec la BD À Moindres risques, Mat Let s'immerge dans le quotidien d'une salle de consommation de drogues à Paris. Il nous raconte un lieu d'accueil et de soin bien loin des clichés sensationnalistes et des préjugés moralistes. Alors que les lâchetés politiques ont eu raison de la pourtant nécessaire Salle de consommation à moindres risques (SCMR) à Marseille, le dessinateur Mat Let apporte sa pierre à l'édifice d'un débat où peurs et morales de tous bords défient les faits. Dans la BD À (…)

- CQFD n°241 (mai 2025)
Texte intégral (720 mots)

Avec la BD À Moindres risques, Mat Let s'immerge dans le quotidien d'une salle de consommation de drogues à Paris. Il nous raconte un lieu d'accueil et de soin bien loin des clichés sensationnalistes et des préjugés moralistes.

Alors que les lâchetés politiques ont eu raison de la pourtant nécessaire Salle de consommation à moindres risques (SCMR)1 à Marseille, le dessinateur Mat Let apporte sa pierre à l'édifice d'un débat où peurs et morales de tous bords défient les faits. Dans la BD À Moindres risques (La Boîte à Bulles, 2024), il raconte en images son immersion dans le quotidien d'une SCMR gérée par l'association Gaïa et soutenue par Médecin du Monde (MDM), située dans le Xe arrondissement de Paris. En cherchant à « comprendre et donner à comprendre la réalité de ce lieu qui déclenche les passions », il se confronte à ses propres préjugés et décrit tout un écosystème complexe et humain dépassant le seul acte de consommation. Sans angélisme ou naïveté sur les potentielles tensions ou violences inhérentes à la précarité, il dépeint un lieu où prime le souci du soin, de l'écoute et du respect de l'autre.

L'enfer est aussi administratif, et certain·es viennent simplement pour avoir leur numéro de Sécu

Il y rencontre Bader, médiateur qui gère la file d'attente en jonglant entre l'écoute empathique et le posage de limites fermes ; se lie avec Banban, qui lui raconte ses galères d'emploi, de famille, de santé, comme un engrenage infernal dont il n'arrive pas à sortir ; écoute un usager qui mime à la façon d'un clown son arrestation brutale et la fouille illégale de la police – un humour qui choque le dessinateur et lui illustre la banalité quotidienne de ces violences ; accompagne un usager qui lui raconte comment se déroule une injection. L'enfer est aussi administratif, et certain·es viennent simplement pour avoir leur numéro de Sécu après s'être fait voler leur carte vitale ou avoir perdu leurs papiers d'identité. Ici, rien de glauque ou de caché, la salle se dévoile comme un lieu d'accueil et de soutien à des populations stigmatisées, visibles et violentées, qui ne sont pas représentatives de tous les usager·es de drogues en général : celles et ceux – plus favorisé·es et moins vulnérables – qui consomment à la maison, au travail ou de manière récréative.

Au fil des semaines, son regard change, non seulement sur la salle de conso, mais sur le monde extérieur. « Tout le monde connaît la salle mais personne n'y comprend rien », réalise-t-il en écoutant les légitimes inquiétudes des riverain·es. Une méconnaissance à laquelle la recherche scientifique et les gens de terrain peuvent répondre, pour peu que l'on contre activement les discours moralistes qui nous font croire que nier ou réprimer une réalité peut la faire disparaître.

Jonas Schnyder

1 Aussi appelées « Halte soins addictions » (HSA) – et non « salle de shoot » – il s'agit d'espaces de réduction des risques où les personnes qui souhaitent consommer leur drogue peuvent le faire en étant encadrées par du personnel qualifié et dans des conditions sûres.

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