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19.04.2024 à 12:52

Namdeo Dhasal, poète Panthers

Nicolas Jaoul

À travers leurs poèmes contestataires, des jeunes auteurs dalits ont fait émerger une critique de la société de castes indiennes et, dans les années 1970, donné naissance aux Dalit Panthers. Publié aux éditions de l'Asymétrie en août 2023, Un flot de sang est un livre majeur. Namdeo Dhasal (1949-2014) compte parmi les plus grands poètes indiens. Dans un style incandescent et charnel surgi tout droit des bas-fonds de Bombay, il a su révéler l'intensité de la révolte des dalits (ou « (...)

- CQFD n°229 (avril 2024)
Texte intégral (1091 mots)

À travers leurs poèmes contestataires, des jeunes auteurs dalits ont fait émerger une critique de la société de castes indiennes et, dans les années 1970, donné naissance aux Dalit Panthers.

Publié aux éditions de l'Asymétrie en août 2023, Un flot de sang est un livre majeur. Namdeo Dhasal (1949-2014) compte parmi les plus grands poètes indiens. Dans un style incandescent et charnel surgi tout droit des bas-fonds de Bombay, il a su révéler l'intensité de la révolte des dalits (ou « intouchables ») contre l'hindouisme et les castes. Ses poèmes traduits du marathi, chefs-d'œuvre de la poésie dalit, révèlent d'une manière irrévérencieuse et déstabilisante, le quotidien de quartiers ségrégués fait d'humiliations, d'injustices, de cruauté, mais aussi de débrouille, de solidarités et de résistances. Cette littérature de jeunes auteurs dalits, en plus de bousculer la littérature indienne par son recours à l'argot, a été au cœur de la naissance, en 1972, du mouvement des Dalit Panthers. La traduction de leur manifeste complète ce recueil qui rend enfin accessible au lectorat francophone la radicalité du mouvement anti-castes des dalits. Extraits.

L'ÉGALITÉ POUR TOUS

OU

MORT À L'INDE

– et gravé sur le cœur

Ambedkar : 1978

Je l'ai vu

Je l'ai rejeté à maintes reprises

Mon cadavre qui erre

D'une ville à l'autre

Attends, arrête-toi un peu dans la lumière crépusculaire

Un ivrogne téléphone au bon Dieu

N'aie pas pour moi cette pitié

Qui me dégrade

Peut-être notre relation a fait son temps

Hausse tes épaules et libère-toi

De sorte que

Tu pourras hachurer cette eau quelques fois

Les Dalit Panthers

Le mouvement dalit, profondément légaliste, a été marqué par l'œuvre constitutionnelle du Dr Ambedkar (1891-1956)1, le leader historique des dalits qui dirigea les travaux de la Constitution indienne à l'indépendance. Ce dernier s'opposa à Gandhi et à son mythe du « Harijan » – une figure religieuse de l'opprimé résigné, qui continue à rester centrale dans l'Inde nehruvienne2. Au début des années 1970, la mobilisation d'un imaginaire de violence politique permet cependant aux Dalit Panthers de faire exploser ce carcan.

Inspirés par Ambedkar, influencés par le marxisme, mais aussi de manière plus sommaire par le radicalisme noir américain des Black Panthers, les Dalit Panthers apparaissent en 1972 à Bombay. Derrière le petit groupe d'écrivains et de poètes qui fondent l'organisation, on trouve une génération de dalits diplômés, qui, bien que bénéficiaires des quotas universitaires, sont confrontés au chômage de masse et aux discriminations. Face à une recrudescence des violences de caste et à la passivité de l'État, l'organisation prône l'autodéfense. Mais cette stratégie tourne rapidement court. Des émeutes antidalits à grand renfort de répression policière mettent rapidement en échec cette tentative de contre-violence des opprimés, face à des adversaires castéistes3 dominant l'appareil d'État et déterminés à écraser cette révolte, y compris dans le sang. Cette rhétorique de la violence dalit s'en tiendra désormais aux discours dans les meetings Dalit Panthers, dont le langage corporel s'inspire des héros prolétariens du Bollywood de l'époque. Créant un lien symbolique avec la violence agraire des naxalites (maoïstes), cette possibilité d'un ralliement des ambedkaristes à la violence a durablement marqué la société indienne. Son ravivement périodique (comme en 2006 et en 2018) continue de faire planer une menace face à l'ordre social des castes.

Par Nicolas Jaoul

1 « Educate, agitate, organize » voilà le slogan de cet avocat dalit qui se mit toute sa vie au service de l'organisation des siens, dans le but d' « annihiler la caste » pour reprendre un titre de l'un de ses livres. Constatant à la fin de sa vie l'échec de son combat au sein de la société hindoue, il se convertit au bouddhisme en octobre 1956, suivi par des centaines de milliers de dalits.

2 Jawahrlala Nehru est le premier Premier ministre de l'Inde indépendante – il occupera ce poste de 1947 à 1964

3 Qui défendent le système des castes et perpétuent les discriminations envers les castes opprimées.

19.04.2024 à 12:52

De la couleur au cinéma

Camille Auvray

Anthropologue, fan de cinéma populaire hindi et autrice du livre Blanc Bollywood – invention d'une peau cinématographique, Hélène Kessous questionne la couleur (politique) des blockbusters de Bombay. Avec son ouvrage Blanc Bollywood – invention d'une peau cinématographique (Mimésis, 2023), l'anthropologue et fan de Bollywood Hélène Kessous questionne les couleurs de peau dans le cinéma indien – première industrie cinématographique mondiale en nombre de films produits – pour mieux en (...)

- CQFD n°229 (avril 2024) /
Texte intégral (1857 mots)

Anthropologue, fan de cinéma populaire hindi et autrice du livre Blanc Bollywood – invention d'une peau cinématographique, Hélène Kessous questionne la couleur (politique) des blockbusters de Bombay.

Par Alice Durot

Avec son ouvrage Blanc Bollywood – invention d'une peau cinématographique (Mimésis, 2023), l'anthropologue et fan de Bollywood Hélène Kessous questionne les couleurs de peau dans le cinéma indien – première industrie cinématographique mondiale en nombre de films produits – pour mieux en révéler les normes dominantes autant que ses aspirations à l'universel. Entretien.

Les films de Bollywood et leurs incomparables séquences musicales sont snobés par les Occidentaux : « trop longs », « trop kitch », « trop mélo », « pas construits », « simplistes ». Qu'est-ce qui te plaît, à toi ?

« Il y a 20 ans, lorsque j'ai vu mon premier film Bollywood, je suis tombée amoureuse de ce cinéma. J'ai eu une impression de liberté : dans ce cinéma, on se fiche des raccords, on peut tout à fait abandonner une idée de scénario au milieu, puisque le centre de la production, ce n'est pas une histoire bien ficelée mais une star, un parolier connu, des chansons, des personnages types (le fils parfait, le second jaloux, la voisine à marier). Bollywood est un cinéma d'archétypes, plutôt manichéen, qui s'est construit dans un pays plurilingue et multiconfessionnel, aux différences culturelles nombreuses. Ce que visent ces productions, c'est quelque chose de fédérateur : un langage commun pour parler à tout le monde. C'est un cinéma plus profond qu'il n'y paraît, qui aborde les thèmes existentiels et universels que sont le mal, l'amour, la fatalité. Et on le sous-estime sans doute aussi à cause de sa syntaxe, plus visuelle qu'orale : les expressions de visage, les attitudes, tout est exacerbé.

Ce que j'aime dans Bollywood, ce sont les sentiments et les sensations que le film procure. Si j'ai vécu un grand 8 émotionnel pendant trois heures ; si j'ai ri, pleuré, frissonné ; si je suis lessivée à la fin du film… c'est qu'il est réussi ! Face aux critiques qui parlent de mauvaises productions, je rétorque qu'il s'agit d'un autre langage cinématographique. On devrait apprendre cet autre langage, et ainsi apprécier les films avec d'autres critères. Un conseil pour commencer ? La Famille indienne1, une valeur sûre. »

Peux-tu nous en dire plus sur l'obsession des peaux blanches dans les films Bollywood ?

« Lorsque j'ai découvert ce cinéma, j'ai eu un choc : les acteurs étaient blancs. Les Indiens que j'avais vus dans des films occidentaux sur l'Inde, ceux que je fréquentais en France, ou ceux que j'ai croisés lors de mon premier voyage… tous étaient “marron”. L'industrie du cinéma, mais aussi de la publicité, de la télé, met systématiquement en avant des peaux blanches ou très claires et j'en ai fait mon objet d'étude. “Les stars sont tellement blanches qu'on dirait des Dieux”, m'a un jour confié une vieille dame dans un train. Cette surreprésentation des peaux claires a de lourdes conséquences sur la société : énormément de jeunes gens rêvent de s'éclaircir la peau, l'industrie cosmétique en profite pour leur fournir des dizaines de marques de crèmes. Par contre, quand Shahrukh Khan joue un méchant, on le blanchit moins ! On maintient l'idée que les castes supérieures seraient claires de peau et les basses castes, foncées. Dans la réalité, on ne peut pas corréler caste et couleur de peau. À cela s'ajoute la blancheur du colonisateur britannique, et du monde occidental d'aujourd'hui : l'équation blancheur et puissance sociale est bien ancrée dans l'imaginaire collectif. C'est ce qu'on appelle le colorisme, une discrimination subie au sein d'une communauté en fonction de la couleur de peau, avec comme norme la blancheur : tout ce qui s'en éloigne est considéré comme inférieur, voire laid. Or, si l'on considère la manière dont certaines communautés sont discriminées en Inde, notamment les adivasis* à la peau très foncée, on peut parler clairement de dynamiques racistes. Le cinéma indien est un des supers véhicules de ce diktat. »

Bollywood est pourtant une industrie où les musulmans ont du succès, ce qui dérange l'extrême droite hindoue. La star Shahrukh Khan [voir encadré] s'est fait troller sur les réseaux sociaux après avoir défendu une « société multiculturelle ». Quels effets ont ces attaques sur la profession et la production ?

« Les musulmans sont présents dans le cinéma indien de différentes manières. Il y a d'abord les grands paroliers, les musiciens, les scénaristes, etc. Et bien sûr, les stars, comme les trois Khan : Amir, Salman et Shahrukh. Ils sont musulmans mais ne jouent pas forcément des rôles de musulmans ! C'est important de le souligner. Toute sa carrière, Shahrukh Khan a interprété le gendre idéal hindou, et ça ne posait aucun problème ! Aujourd'hui, il y a de plus en plus d'autocensure. Les réalisateurs hésitent avant de proposer un scénario avec des musulmans. Des envoyés du RSS [voir p. 12-13] font du lobbying auprès des producteurs pour changer les histoires car, selon eux, Bollywood est trop multiculturel et trop libéral. Mais si nous assistons à un tournant dans le cinéma, il reste de l'espoir : on a vu Shahrukh Khan dans trois films en 2023, dont deux qui ont explosé tous les records d'entrées ! »

Penses-tu que l'industrie de Bollywood puisse devenir un instrument de propagande du régime ?

« Lors de la dernière campagne électorale en 2019, j'ai été choquée de voir sur les réseaux des stars de Bollywood en pleine séance de selfies avec le Premier ministre. On assiste à un tournant inquiétant. En 2021, le gouvernement a aboli le tribunal d'appel de certification des films, un outil de recours précieux et efficace qui permettait à bon nombre de réalisateurs de gagner en appel contre le bureau de la censure et ses demandes de coupes conséquentes. C'est désormais terminé. Depuis peu aussi, de nouvelles lois ont mis au pas les plateformes : les contenus d'Amazon ou de Netflix sont vérifiés par le ministère de l'Information, qui peut désormais interdire, modifier ou enlever des scènes. Dans les salles aussi on voit pointer des changements importants : les sujets mythologiques hindous, les films militaires à la gloire de la Nation, contre le Pakistan ou autres ennemis fantasmés, se multiplient. Ce qui est plus étrange c'est que certains de ces films comme le blockbuster RRR, dont le scénario est pourtant proche de l'idéologie de l'extrême droite hindoue, arrivent à séduire à l'international. Mais ce n'est pas parce qu'un film comme Kashmiri Files, nationaliste et xénophobe, a fait beaucoup d'entrées que ça marche à tous les coups. Brahmastra, un film de superhéros mythologique, ou encore Samrat Prithviraj, un biopic nostalgique de l'empire hindou, – tout ce que défend le parti au pouvoir –, ont fait un véritable flop ! Il reste donc un peu d'espoir. »

Propos recueillis par Camille Auvray
King Khan Shahrukh Khan – SRK pour les intimes – est bien plus qu'un acteur de Bollywood. King Khan, né le 2 novembre 1965, a joué les jeunes premiers dans des dizaines de blockbusters depuis le début des années 1990, avant de faire son grand retour dans des rôles de méchants de films d'action en 2023. Tour à tour riche avocat sombrant dans l'alcool, désespérément amoureux d'Aishwarya Rai dans Devdas (2002), improbable joueur de foot professionnel dans le sentimental Kabhi Alvida Naa Kehna [Ne dis jamais adieu] en 2006, musulman neuroatypique pourfendeur de l'islamophobie dans My Name is Khan (2010), c'est une star absolue dans les nombreux pays d'Afrique et du Moyen-Orient où s'exportent les films en hindi tournés dans les studios du quartier de Goreagon à Mumbai (autrefois Bombay) et l'un des comédiens les plus riches du monde. Né dans une famille musulmane, marié à une femme hindoue, il critique publiquement l'intolérance religieuse du BJP.
Par Judith Chouraqui
Remettre les pendules à l'heure « Pourquoi vos films sont-ils si longs  » demande en 2002 un journaliste français à la star Shahrukh Khan venu à Cannes présenter le film Devdas. Et lui de répondre : « Pourquoi vos films sont-ils si courts ? »

1 En hindi : Kabhi Khushi Kabhie Gham (2001).

19.04.2024 à 12:37

À la rencontre de Fifine la renarde

Sébastien Bonetti

Dans son ouvrage Le roman de Renarde – Fifine au pays des hommes, le photographe animalier Bruno-Gilles Liebgott raconte son incroyable amitié avec une renarde des forêts lorraines. Et questionne nos rapports à l'autre et au vivant. « Les deux renardeaux pénètrent dans leur écrin embaumé. Emportés par leur insouciance, ils mettent un terme à leur dispute. La petite femelle a entendu le déclencheur de l'appareil photo, malgré sa position en mode quiet (silencieux) et la housse anti-bruit. (...)

- CQFD n°229 (avril 2024) /
Texte intégral (838 mots)

Dans son ouvrage Le roman de Renarde – Fifine au pays des hommes, le photographe animalier Bruno-Gilles Liebgott raconte son incroyable amitié avec une renarde des forêts lorraines. Et questionne nos rapports à l'autre et au vivant.

Un homme tend la main vers une petite renarde sauvage qui vient lui dire bonjour.
Photographie Bruno-Gilles Liebgott

« Les deux renardeaux pénètrent dans leur écrin embaumé. Emportés par leur insouciance, ils mettent un terme à leur dispute. La petite femelle a entendu le déclencheur de l'appareil photo, malgré sa position en mode quiet (silencieux) et la housse anti-bruit. Le jeune mâle se fige. La petite femelle gagne du terrain. Je me cristallise. Elle s'aventure toujours. De près, de plus en plus près. » On est le 10 juillet 2018. Caché dans une haie, Bruno-Gilles Liebgott espère pouvoir observer la période d'amours des chevreuils. Il ne sait pas encore que cet instant marque le début d'une amitié incroyable qu'il va construire avec celle qu'il va nommer Fifine, une renarde installée sur les hauteurs de Pont-à-Mousson, en Lorraine.

Une relation qui dure toujours en 2024 et que le naturaliste raconte poétiquement dans Le roman de Renarde – Fifine au pays des hommes (Paroles de Lorrains, avril 2024). « En 1980, à l'âge de 13 ans, on m'offre Le Petit Prince. J'ai été bouleversé par le passage sur le renard. Si bien que construire une telle amitié est devenu un rêve d'enfant. Tout au long de ma vie, mes proches m'ont répété : “Mais arrête, tu n'y arriveras jamais.” J'ai été tenace. J'y ai cru malgré tout. Et sans que je le provoque, ça s'est réalisé. Quand on s'est regardé pour la première fois dans le blanc des yeux, je n'y ai vu aucune malveillance. Ça m'a fait un bien fou. » Durant 35 jours, la même scène se répète. « Et puis elle s'est assise à quelques mètres de moi. J'ai enlevé ma cagoule et mes gants. Elle les a reniflés. Ça a été le déclic. » Depuis, Bruno-Gilles Liebgott se retrouve pour des moments intenses de complicité sans paroles avec Fifine, «  magiques  ».

Il évoque cette nature oubliée, cette connexion pure avec le vivant, relié à un tout. « Cette renarde a bouleversé ma vie, oui. » Et celle des chasseurs du coin aussi. « J'ai dû assurer une bonne entente avec eux, pour qu'ils ne tirent pas dans cette zone géographique. Ils se sont alors rendu compte qu'il n'y avait plus de prolifération de rats taupiers, dont se régalent les renards. Les agriculteurs voisins en ont alors été très heureux, eux qui se font ravager leurs récoltes chaque année par ces rongeurs, là où les renards sont tués. » La question de savoir qui est donc le nuisible se pose. « De toute façon, dès l'instant où l'homme intervient quelque part, il crée un déséquilibre, car il ne sait pas (plus) faire. C'est le seul perturbateur des équilibres de la nature. »

Cette histoire et ces réflexions nourrissent ce qui est le 100e livre publié par Paroles de Lorrains, une petite maison d'édition associative installée à Longwy. Lancée en 2006 ; elle s'est fait une spécialité des ouvrages sur les luttes ouvrières et sociales de ce Pays Haut chargé d'histoire, sans jamais oublier son idée de départ : « Donner la parole à ceux qui ne l'ont jamais eue ou à qui on l'a refusée », comme le rappelle Guy-Joseph Feller, l'un de ses cofondateurs. La preuve : ils viennent de donner la parole à une renarde au travers de son ami l'homme.

Par Sébastien Bonetti

19.04.2024 à 12:37

Koko la coco

Pauline Laplace

À la Fabrique, Olga Bronnikova et Matthieu Renault publient un livre à propos d'Alexandra Kollontaï. Personnage de la révolution russe et féministe d'avant garde, elle était à l'image de son époque : inspirante et terrifiante. Publié à la Fabrique en février, Kollontaï – Défaire la famille, refaire l'amour suit la trajectoire d'une des grandes figures du féminisme marxiste : Alexandra Kollontaï (1872-1952). Cette « biographie intellectuelle » signée Olga Bronnikova et Matthieu Renault, (...)

- CQFD n°229 (avril 2024)
Texte intégral (899 mots)

À la Fabrique, Olga Bronnikova et Matthieu Renault publient un livre à propos d'Alexandra Kollontaï. Personnage de la révolution russe et féministe d'avant garde, elle était à l'image de son époque : inspirante et terrifiante.

George Grantham Bain Collection (Library of Congress)

Publié à la Fabrique en février, Kollontaï – Défaire la famille, refaire l'amour suit la trajectoire d'une des grandes figures du féminisme marxiste : Alexandra Kollontaï (1872-1952). Cette « biographie intellectuelle » signée Olga Bronnikova et Matthieu Renault, fait sentir avec force et honnêteté ce que peut être la construction d'une pensée politique lors d'un tournant révolutionnaire (ici, celui de 1917 en Russie).

Le livre se lit comme une saga. Faut dire que le contexte était bouillonnant et Kollontaï, atypique. Rejetant son milieu aristocratique, elle a cherché activement à faire fusionner féminisme et lutte des classes. Parmi ses ennemis, la « famille bourgeoise » figurait en bonne place, et elle s'est appliquée à la dégommer en tant que commissaire du peuple aux affaires sociales, puis responsable du Jenotdel (département chargé de l'action du parti auprès des femmes). Posant les bases du premier système de soins gratuits pour les mères, établissant le divorce par consentement mutuel, accordant aux enfants nés hors mariages les mêmes droits que ceux dits « légitimes », encourageant la mise en place de crèches afin que les parents (et surtout les mères) ne soient pas seuls en charge de l'éducation des mioches, elle ne manquait pas d'idées. Pourquoi ne pas ouvrir des restaurants collectifs ? Ou bien municipaliser les blanchisseries ? Son but : « socialiser les tâches ménagères  ». « Dans l'histoire de la femme, la séparation de la cuisine et du mariage est une réforme non moins importante que la séparation de l'Église et de l'État », disait-elle. Notons pour compléter le tableau que sous son influence, l'IVG a été autorisée en 1920 en Russie, une première dans l'histoire. À celles et ceux qui seraient surpris·es par tant de modernité, le plaisir ne s'arrête pas là. L'« amour-camaraderie », sans doute une des théories les plus originales avancées par Kollontaï, n'est autre que l'ancêtre – à la sauce bolchevique – du polyamour, posant la compatibilité logique entre amour libre et communisme, et avançant que la liberté sexuelle des individus est un bon moteur pour la révolution. Caliente !

Mais attention ! Celle qui fut ironiquement nommée « la Valkyrie de la révolution » par ses « camarades »masculins restait une femme de son temps. Clairement abolitionniste en matière de prostitution, portant un regard méprisant sur la paysannerie et adhérant totalement aux élans coloniaux de l'époque1. Plus le bouquin avance et plus notre gorge se serre, alors qu'on découvre vers la fin cette citation glaçante : « La femme doit observer […] toutes les règles d'hygiène prescrites pendant la grossesse et se rappeler que, pendant neuf mois, elle cesse d'une certaine manière de s'appartenir. Elle est en somme au service de la collectivité, et son corps “produit” un nouveau membre pour la république ouvrière. » Oups ! On avait failli oublier que le totalitarisme allait bientôt recouvrir de sa chape de plomb les plus beaux élans de la révolution.

Par Pauline Laplace

1 En témoignent les cérémonies publiques de dévoilement, mettant en scène l' « adhésion » des femmes musulmanes du Turkestan au régime.

19.04.2024 à 12:37

Ouvrez, ouvrez la cage aux smartphones

Émilien Bernard

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Dix-septième épisode dédié à l'acceptabilité sociale des technologies et à mes propres arrangements coupables avec l'empire des écrans. Ce matin, j'ai quitté ma carlo du Limousin pour une balade aux aurores, sifflotant tel un scout ivre sur le chemin qui descend vers Saint-Jean-Ligoure, bordé de champs et de haies particulièrement tchipants. Faut dire que c'est le début du printemps et que les piafs s'en donnent à (...)

- CQFD n°229 (avril 2024) / ,
Texte intégral (934 mots)

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Dix-septième épisode dédié à l'acceptabilité sociale des technologies et à mes propres arrangements coupables avec l'empire des écrans.

Illustration de Clément Buée

Ce matin, j'ai quitté ma carlo du Limousin pour une balade aux aurores, sifflotant tel un scout ivre sur le chemin qui descend vers Saint-Jean-Ligoure, bordé de champs et de haies particulièrement tchipants. Faut dire que c'est le début du printemps et que les piafs s'en donnent à cœur joie ♪♫♫♪. En trente minutes, j'en ai identifié une quarantaine. Les habituelles mésanges charbonnières, merles ou rouges-gorges, mais aussi des moins « connus » : sittelle torchepot, fauvette à tête noire, mésange nonnette, serin cini, roitelet triple-bandeau… Ô, joie des plumes et des pépiements.

*

On pourrait déduire de ces lignes que je suis un ornithologue avisé. Ben non, je débute. J'ai juste téléchargé il y a peu sur mon smartphone une application capable d'identifier les chants d'oiseaux. Et j'ai donc passé la moitié de ma bucolique balade le nez collé à l'écran, tentant ensuite d'associer chaque chant entendu aux solutions proposées. J'y ai pris beaucoup de plaisir. Et je pense que cet outil va me permettre de progresser plus rapidement dans ma connaissance des tchips. N'empêche : moi qui jamais ne sortais ce genre d'appareil en pleine nature, voilà que j'y suis collé comme un ado en vacances avec ses parents. Et que j'active même l'option « localisation », pour rendre l'application plus précise. Oh lord, que suis-je devenu ?

*

On est beaucoup comme ça : au fil des ans, on laisse tomber nos défenses. Anti-smartphone éructant il y a encore quelques années, me voilà en train d'espionner les oiseaux par leur biais pendant mes balades. Alors oui, il n'y a pas mort d'homme ni de piaf. Mais c'est bien ainsi qu'à un niveau individuel, même les plus réticents se font rattraper.

Si mon cas n'est pas le plus parlant, tant je suis à la traîne des nouvelles technologies, cette inflexion généralisée de la défiance renvoie à un phénomène collectif, basée sur des techniques marketing de fabrication du consentement. Quand une nouvelle technologie débarque et effraie, il faut la rendre acceptable, sexy, désirable. La localisation de toutes et tous au quotidien ? C'est pour le GPS, tellement plus pratique que les cartes. Les nanotechnologies ? Ton papy qui souffre de Parkinson leur dit merci… On a récemment entendu cette petite musique concernant le dernier projet de ce taré d'Elon fucking Musk, Neuralink, qui vise à créer des implants cérébraux afin de révolutionner « l'interface cerveau-ordinateur ». Pour Musk, qui a obtenu en 2023 le droit de faire des essais sur les humains, cela permettrait à l'humanité de trouver « une vraie symbiose avec l'intelligence artificielle1 ». Ça fait flipper ? Pas du tout, voyons : ces joujoux ne seront utilisés que pour aider des gens malades ou handicapés, par exemple en les dotant d'exosquelettes reliés au cerveau. Merci Elon, nouveau Jésus. Ensuite, sait-on jamais, il pourrait y avoir d'autres usages…

*

Retour à mes piafs. J'imagine que d'ici quelques années il existera des applications capables non seulement d'identifier les chants mais de dire précisément où se trouve chaque oiseau. Il n'y aura plus d'apprentissage, plus d'hésitation, plus de plaisir de la découverte. Les oiseaux seront comme les Pokémon virtuels traqués en ville par des gens flippants. Et moi je serai le temps d'une balade aussi « bon » en identification qu'un ornithologue pro. Sauf que je ne saurai rien.

Par Émilien Bernard

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