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27.03.2024 à 09:00

Voyage vers le passé : les premiers mythes de l’humanité

Peut-on réellement connaître les premiers mythes de l’humanité ? Comment, à partir d’histoires, peut-on reconstruire l’Histoire ? Ces questions étaient déjà au cœur de Cosmogonies. La Préhistoire des mythes publié en octobre 2020. Dans son nouvel ouvrage, L’Aube des mythes. Quand les premiers Sapiens parlaient de l’Au-delà , Julien d’Huy poursuit son questionnement tout en réduisant le champ de son étude aux mythes en lien avec la mort. Il part ainsi du constat que ce qui différencie l’Homme de l’animal n’est pas tant la conscience de la mort que la capacité à adopter une attitude réflexive face à elle, à y voir « plus que l’absence de la vie ». Ainsi, toute l’ambition de l’ouvrage de Julien d’Huy réside dans la volonté de retrouver les croyances et les récits des premiers Sapiens sur la mort. Pour le chercheur, « l’Homme est un animal mythologique », et il le prouve en nous embarquant dans ces « mythes à remonter le temps », à la recherche de notre passé paléolithique commun.   NonFiction : Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes venu à étudier les mythes pour en retracer l’origine préhistorique ? Julien d’Huy : Comme beaucoup d’enfants, mon intérêt pour les mythes est né avec celui de la lecture. Avec ces récits, j’accomplissais de merveilleux voyages à dos de mots tout en restant immobile. Par la suite, je n’ai pas oublié toutes ces histoires qui m’ont passionné. Et c’est en visitant des grottes ornées que j’ai retrouvé ma fascination pour les récits oraux. Plusieurs chercheurs, tels que Franz Boas, Gudmunt Hatt, Michael Witzel et Yuri Berezkin, étudiant la diffusion de certains motifs mythologiques et récits à travers le monde, avaient à ce moment montré que leur répartition n’était pas aléatoire et que celle-ci ne pouvait s’expliquer que par des phénomènes de diffusion, susceptibles de remonter, pour quelques-uns d’entre eux, au Paléolithique supérieur. Ces histoires devenaient ainsi des « mythe[s] à remonter le temps » — pour reprendre les mots de Claude Lévi-Strauss dans Histoire de lynx — et de parfaits candidats pour éclairer le sens des parois. Mon approche de la mythologie comparée s’est d’abord faite en employant les outils du structuralisme. Puis, afin d’affiner les résultats obtenus par l’aréologie, je me suis saisi en 2012 des outils de la phylogénétiques. Ces emprunts à la biologie évolutionniste m’ont permis de reconstruire, pour la première fois de façon statistique, les routes de diffusion et les protoformes de divers récits, comme ceux de Polyphème, de la Chasse cosmique ou de Pygmalion. Des portes se sont ouvertes, je suis entré, sans savoir alors jusqu’où cela me mènerait. La thématique de votre ouvrage semble relever de l’impossible : retrouver les premières croyances des Homo Sapiens concernant la mort. Et pourtant, votre démarche hautement scientifique place le lecteur « sur la route des mythes » pour en retracer l’origine. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les méthodes que vous utilisez pour y parvenir ? Je n’ai pas développé la première. Il s’agit de l’aréologie. Elle plonge ses racines dans les travaux de chercheurs comme Charles-Félix-Hyacinthe Gouhier ou encore ceux qui relèvent de l'école historique-géographique finnoise. Aujourd’hui, plusieurs chercheurs, comme le russe Yuri Berezkin et le français Jean-Loïc Le Quellec, ont recensé de nombreux motifs mythologiques à travers le monde et ont élaboré des cartes de répartition. Grâce à ce travail colossal − la base de données de Yuri Berezkin contient par exemple des résumés d’environ 70 000 textes du monde entier pour plus de 3 000 motifs et 1 000 traditions −, ils ont pu montrer que ces motifs ne se distribuaient pas de façon aléatoire et que certains ne se retrouvaient qu’en Afrique, dans le sud et le sud-est de l’Asie, en Australie et dans le sud du Nouveau-Monde. Une telle répartition ne peut s’expliquer par la manifestation d’éventuels archétypes ou des apparitions spontanées, puisque dans de tels cas, les motifs devraient se trouver répartis aléatoirement partout sur la planète. L’hypothèse la plus probable est celle d’une diffusion de ces récits en même temps que les premières vagues de peuplement du monde. Homo sapiens , parti d’Afrique, va longer les côtes du Pacifique, rejoindre le Sahul puis l’Australie, avant de remonter vers le Nouveau-Monde et, longeant les côtes de ce dernier et, longeant les côtes d’Amérique, atteindre sa partie sud. Tout en prenant en en compte ces premiers résultats, j’ai développé une approche phylomythologique. Celle-ci consiste à s’appuyer sur l’inventaire le plus exhaustif possible des ressemblances et des différences existant entre plusieurs versions d’un mythe, ou encore entre plusieurs traditions mythologiques, pour établir des arbres. Ces derniers permettent de s’avancer plus loin que ne le permet l’aréologie : ils permettent de localiser notamment le point d’origine le plus probable de certains récits ou motifs, de reconstruire leur forme ancestrale la plus vraisemblable, et de suivre leur diffusion à travers la planète, souvent parallèle à celle des migrations humaines. À ces deux grandes approches s’en ajoutent d’autres, plus fines et granulaires, s’attachant à certains récits et motifs pour suivre précisément leurs évolutions, tout en prenant soin de contextualiser leurs particularisations successives. Votre ouvrage mobilise en outre un grand nombre de disciplines dont la génétique, l’archéologie, la linguistique, la neurobiologie, la psychologie mais aussi l’histoire et la littérature : en quoi participent-elles à créer cette consilience qui donne autant de fiabilité à vos travaux ? Toute grande théorie nécessite de grandes preuves. La consilience est un concept primitivement énoncé par William Whewell et dont une version plus moderne a été proposée par Edward Wilson. Elle énonce que la probabilité d’une hypothèse est d’autant plus grande que des résultats similaires peuvent être obtenus à partir de méthodes utilisant des procédés de mesure différents. Autrement dit, les résultats d’une discipline donnée conformes aux connaissances solidement établies dans d’autres disciplines s’avèrent supérieurs à ceux qui ne sont pas conformes. Suivant ce principe, j’ai tissé mon ouvrage de différents fils argumentaires, issus de diverses disciplines, et les ai positionnés de façon indépendante. Le fait que les résultats obtenus par le biais de ces différentes disciplines se rejoignent me paraît renforcer considérablement l’ensemble de la démonstration. Les pratiques et rituels funéraires sont au cœur de votre ouvrage : que révèlent-ils de l’évolution des croyances des premiers Sapiens concernant la mort et les morts ? Les mythes liés à la mort tels qu’on les connaît aujourd’hui, notamment avec l’existence d’un récit cohérent sur ce qui se passe après le décès, me paraissent être le propre d’ Homo s apiens . Si d’autres espèces du genre homo , apparentées à la nôtre, semblent avoir possédé une conscience de la finitude, il ne faut pas oublier que celle-ci est largement diffusée dans le règne animal. Le fait même d’enterrer ses morts n’implique pas une mythologie, ni le langage complexe qui la sous-tend. Dans un article récent, paru dans le Journal of Threatened Taxa , Parveen Kaswan et Akashdeep Roy ont documenté des enterrements d’éléphanteaux par des pachydermes adultes en Asie. Cela signifie qu’il faut soit accepter l’hypothèse peu plausible qui attribuerait une mythologie aux éléphants, soit admettre que Néandertal n’était pas nécessairement motivé par des idées mythologiques en enterrant ses défunts. De façon plus générale, il est possible de montrer que plusieurs représentations semblent avoir été partagées par les premiers Homo sapiens : 1/ c’est par accident que la mort serait survenue dans le monde ; 2/ tout être humain aurait été conçu comme étant fait d’au moins deux parties : l’une liée au corps, l’autre capable de quitter le corps et de voyager ; 3/ l’« âme » aurait quitté le corps au moment de la mort pour emprunter la Voie lactée jusqu’à un Autre Monde ; 4/ l’« âme » aurait pu s’éloigner, mais aussi revenir : les ponts n’auraient jamais été entièrement rompus entre l’Ici et l’Ailleurs, et les frontières demeureraient floues. Vous mentionnez l’utilité de la phylomythologie qui possède de véritables qualités de prospective : pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche et nous dire dans quelle mesure elle pourrait servir de guide aux préhistoriens ou encore aux généticiens des populations ? La phylomythologie permet de faire le tri entre des hypothèses concurrentes, en montrant que certaines ont plus de chance d’avoir été vraies au moment où remontent les vestiges archéologiques et doivent donc être privilégiées. Dans l ’Aube des mythes , je montre ainsi qu’une approche statistique de la mythologie permet de situer le berceau de la domestication du loup, de suivre la diffusion du chien, mais aussi de révéler que cet animal était, dès l’origine, considéré comme un animal psychopompe, guidant les défunts jusqu’à leur destination finale. Or cette reconstruction vient utilement éclairer le fait que les plus anciens ossements de chien ont été découverts à l’intérieur d’une sépulture humaine, dans la grotte d'Oberkassel, près de Bonn, en Allemagne. Il est bien plus probable que l’enterrement du chien avec l’être humain soit la manifestation de la vocation du premier à accompagner le second dans la mort plutôt que celle d’une affection du mort pour le canidé. Il devient même possible d’envisager une raison mythologique à la domestication du loup ! Comme je vous l’ai dit précédemment, la phylomythologie permet également de retracer les grandes routes de migration de l’humanité, puisqu’ Homo sapiens emmène avec lui ses gènes et ses histoires. Par ailleurs, le fait que deux peuples partagent un certain nombre de récits complexes ne devrait-il pas inciter les généticiens à s’intéresser aux liens culturels et biologiques qui auraient pu les unir ? Vous dites que « l’Homme est un animal mythologique », or, vous expliquez aussi que les mythes n’ont pas toujours existé. Quelles sont donc les différentes fonctions des mythes qui justifient leur apparition à l’aube de l’humanité ? Le mythe peut avoir de nombreuses fonctions et, s’il est possible d’en reconstruire le contenu, il est difficile, sinon impossible, de l’interpréter, faute de pouvoir en connaître le contexte socio-culturel. On peut toujours se risquer à un tel exercice mais en gardant à l’esprit son caractère éminemment spéculatif. Ainsi, beaucoup de mythes liés à la mort racontent que celle-ci est survenue dans un monde où la finitude n’existait pas, et expliquent de quelle manière sa survenance est liée à une faute. Le mythe semble alors avoir deux fonctions : d’une part expliquer un état de fait, et ainsi donner sens et cohérence au monde, d’autre part, appeler au respect des normes, sans lesquelles les sociétés ne sauraient se construire. Après Cosmogonies. La Préhistoire des mythes et L’Aube des mythes. Quand les premiers Sapiens parlaient de l’Au-delà, avez-vous le sentiment d’avoir fait le tour des mythes ou prévoyez-vous un troisième opus pour compléter votre étude ? Il est impossible de prétendre avoir fait le tour des mythes tant l’histoire de l’humanité est immense, riche et complexe. Il reste encore bien des choses à découvrir sur nos origines et notre identité. Aussi mes recherches se poursuivent-elles et donneront sans doute lieu à de nouveaux ouvrages.

26.03.2024 à 08:00

Madame de Rosemonde avant « Les Liaisons dangereuses »

Ce premier roman de Marie-Anne Toulouse est une réussite. Il s’inscrit dans un courant singulier de la littérature contemporaine, qui semble aimer à représenter le XVIII e siècle en s’immisçant dans les interstices de ses grandes œuvres. C’est ainsi, par exemple, que dans Fils unique (2006), Stéphane Audeguy livre les mémoires apocryphes de François Rousseau, le frère aîné de Jean-Jacques, dont il n’est question qu’au début des Confessions . Christiane Baroche a pour sa part, dans son roman L’Hiver de beauté (1990), imaginé la vie de la marquise de Merteuil après sa fuite vers la Hollande à la fin des Liaisons dangereuses . Il s’agit donc d’un prolongement du fameux roman de Laclos, dont Marie-Anne Toulouse propose ici plutôt une sorte de préhistoire (ce qu’on appelle au cinéma un préquel), en imaginant la vie très romanesque de Madame de Rosemonde, la tante du vicomte de Valmont, dont le château joue un rôle essentiel dans le roman de Laclos, à la fois dans la conquête, très aisée, de Cécile de Volanges, et dans celle, plus difficile, de la Présidente de Tourvel. Une longue lettre pour dire une vie de femme Tout l’art de la romancière est de conter, dans une langue hantée par le XVIII e siècle français, cette vie de femme, des premiers souvenirs d’enfance jusqu’aux limbes de la vieillesse. Il n'est pas nécessaire pour le lecteur d’avoir lu auparavant le roman de Laclos, tant elle fait exister son personnage dans cette longue lettre qu’elle adresse à Madame de Tourvel après sa mort : « Pourquoi, ma chère Belle, avoir attendu que vous ne fussiez plus pour vous raconter enfin l’histoire de ma vie ? Vous me l’avez si souvent demandé, dans le temps que vous me faisiez le don quotidien de votre gracieuse présence et de votre claire beauté, et je vous l’ai si constamment refusé que cela reste, parmi tous mes irréparables regrets, le seul qui puisse trouver un semblant de remède. » Cependant, ce récit propose aussi, pour le lecteur qui connaît le roman, un regard nouveau sur ses personnages les plus odieux, comme Madame de Merteuil : « Elle avait une intelligence peu commune de l’asservissement des femmes dans le monde, et, dans son désir d’y échapper, il entrait un amour-propre aussi légitime que naturel, que la rencontre d’un cœur capable de générosité eût sans doute préservé de tourner à la férocité. C’est du moins la leçon que je tire de ma propre histoire, mais comptez que c’est par le travers trop partagé qui est de considérer le visage d’autrui dans son propre miroir. Le jugement vaut ce que vaut l’aune. » Un roman très littéraire et séduisant Ces deux extraits suffisent à prendre la mesure de la qualité et de la beauté du style du roman de Marie-Anne Toulouse. Rien n’aurait pu laisser présager qu’elle consacrerait son premier roman, qui est une vraie réussite, à une héroïne du siècle des Lumières, puisqu’elle est l’auteure d’une thèse sur Julien Gracq et Jean Giono et a contribué à l’édition des œuvres de Romain Gary dans La Pléiade en 2019. Elle met sa culture littéraire, qui dépasse largement la connaissance de ces trois auteurs, au service de son écriture romanesque, intelligente, belle et fluide, dans laquelle le lecteur aura le plaisir de reconnaître des réminiscences de Nerval ou de Marguerite Duras, entre autres. Dans le récit qu’elle fait de la destinée de Madame de Rosemonde, marquée par une passion éclatante pour Monsieur de L., la romancière propose une réflexion très subtile sur le statut des femmes dans la société du XVIII e siècle, mais également sur la foi et ses accommodements avec la philosophie matérialiste qui se développe aussi à cette époque. L’ensemble se lit avec un grand plaisir et une forme d’admiration pour ces mémoires fictifs qui évoquent et convoquent les plus belles pages de la littérature du XVIII e siècle.

25.03.2024 à 08:30

Les embrouilles de cités : entretien avec Marwan Mohammed

Il existe dans les quartiers une culture de l’embrouille, qui nait de la ségrégation et de l’ennui. Celle-ci peut prendre une forme exacerbée et violente dans des embrouilles de quartiers ou de cités, qui vont opposer des bandes de jeunes, qui revendiquent chacune le contrôle d’un territoire. Ce phénomène que le sociologue Marwan Mohammed étudie en détail, dans cet ouvrage paru fin 2023, est à distinguer d’autres formes de « violences urbaines » exercées par des bandes ou des groupements d’individus, même si elles partagent, d’une certaine façon, l’objectif d’imposer sa loi sur un territoire et finissent parfois par se rejoindre. Comment analyser ces rivalités de quartier ? Qui concernent-elles ? Pourquoi ? Et comment s’entretiennent-elles ? C’est dans les réponses à ces questions que l’on peut espérer trouver, suggère l’auteur, des méthodes pour faire baisser ces violences. Marwan Mohammed a aimablement accepté de répondre à des questions pour présenter son livre à nos lecteurs.   Nonfiction : On a tendance à amalgamer, au motif qu’elles sont exercées par des bandes ou des groupements d’individus, des types de violences urbaines qui n’ont de fait pas grand-chose en commun. Les émeutes urbaines ou encore les violences criminelles à visée économique se trouvent ainsi confondues avec ce que vous appelez les embrouilles de cité. En quoi ces dernières diffèrent-elles des précédentes et pourquoi est-il important de les distinguer ? Marwan Mohammed : En effet, il me semble qu’autant la connaissance scientifique que l’action publique requièrent de s’appuyer sur une caractérisation adéquate des comportements violents, notamment lorsqu’ils ont une expression collective. Par caractérisation, j’entends une capacité à distinguer les ressorts, les modalités et les finalités des formes de violence. Or, l’expression « violences urbaines » tout comme celle de « rixe », que j'analyse dans mon livre, sont des notions imprécises et fourre-tout qui englobent des réalités très hétérogènes. Ce qu’on appelle « émeutes » renvoie avant tout à des mobilisations violentes stimulées par un sentiment d’injustice, une dynamique de révolte, un contentieux avec l’autorité publique. Les violences d’économie criminelle sont, elles, orientées vers la quête de profit et parfois vers la conquête d’un pouvoir au service du profit. Qualifiées de « règlements de compte », elles sont par ailleurs souvent confondues avec les embrouilles de cités, qui relèvent de rivalités honorifiques, sans butin ni revendication politique. Pour autant, ce ne sont pas des concurrents, des obstacles ou des « traitres » qui sont ciblés dans celles-ci, comme c’est le cas dans les violences criminelles, mais des semblables sociaux qui se distinguent uniquement par le fait d’avoir une autre adresse ou un autre code postal. Les réponses publiques et politiques adéquates à chacun de ces phénomènes diffèrent nécessairement. Mais ces violences, toutes différentes soient-elles, n’entretiennent-elles pas des rapports ? Et quels sont-ils selon vous ? J’en vois au moins trois : d’une part la question sociale, dans la mesure où les protagonistes impliqués, notamment pour les rivalités de quartier et les révoltes ou émeutes, sont souvent des jeunes ancrés dans une réalité sociale marquée par l’exclusion, les difficultés scolaires et économiques ainsi que le racisme et la ségrégation. Pour les violences d’économie criminelle c’est plus complexe : les profils des auteurs et encore plus des commanditaires sont beaucoup plus diversifiés que ce qu’en montre la presse du fait divers ou la fiction. Le second point commun est le sexe des acteurs, ceux qui passent à l’acte sont majoritairement des jeunes hommes performant des masculinités virilistes, souvent hégémoniques dans la rue. Par conséquent, il n’est pas étonnant qu’on puisse retrouver les mêmes individus dans les logiques d’embrouille ou la participation à des affrontements avec les forces de l’ordre, voire même dans des violences liées aux économies illicites. Mais si des jeunes circulent d’un espace à l’autre, le vivier social n’est pas nécessairement le même : les révoltes urbaines attirent une population qui dépasse de très loin les cercles restreints des réseaux organisés de la criminalité rémunératrice ou des groupes impliqués dans les rivalités de quartier. La légitimité des révoltes est peu comparable à celle, bien plus circonscrite, des embrouilles de cités ou des règlements de compte. La révolte ratisse large. Les embrouilles de cités qui sont un mode de socialisation qui, dans les quartiers populaires et pour des jeunes en échec scolaire, constitue une alternative à une intégration par l’école, la famille ou d’autres institutions. Il présente toutefois un coût élevé, à la fois pour eux-mêmes et pour leur entourage, dont les jeunes prendront, au moins pour certains, assez rapidement la mesure. Mais comment en sort-on ? Pour reprendre une expression souvent entendue, on peut souligner que les « embrouilles, c’est un truc de petits ». Ce qui signifie que des formes de déviance sont associées à des classes d’âge. Une personne sera considérée comme « retardée » si elle est encore dans les embrouilles de quartier à 30 ans et sera jugée « précoce » si elle importe de la cocaïne ou braque une banque à 13 ans. Les rivalités de quartier attirent avant tout des adolescent.es, souvent mineurs et il est attendu que les concernés passent à autre chose et qu’une nouvelle génération prenne le relais. Par contre, sortir des embrouilles, c’est plus compliqué lorsque on appartient à une classe d’âge encore impliquée. Il est tout à fait possible d’arrêter, mais cela peut être vécu comme une atteinte à la loyauté au groupe et au quartier, mais surtout, malgré des velléités de désengagement, on demeure malgré soi impliqué dans le regard des rivaux. Enfin, sortir des embrouilles ne signifie pas forcément se désengager d’un mode de vie transgressif marqué par la délinquance. Vous montrez comment cette socialisation opère lorsque ces jeunes investissent le quartier comme un support identitaire et réalisent tout une série d’apprentissages, pour partie au contact de plus âgés. La transmission joue ici un rôle non négligeable. Que pouvez-vous en dire ? Je traite cette question dans un chapitre portant sur les mécanismes de socialisation à l’embrouille. Cette socialisation repose sur des apprentissages (valeurs de virilité, appropriation héraldique de l’identité territoriale, langage particulier, imaginaire urbain, etc.) qui passent par différents canaux de transmission, parfois la famille, souvent l’école et la rue. Parmi les acteurs de cette transmission efficace, le rôle joué par les « grands », ceux qui précèdent dans la rue est tout à fait essentiel : ils font des coups d’éclat et des évènements marquants du passé les supports de la transmission de cette économie morale de l’embrouille que les professionnels ou les parents ont bien du mal à contrecarrer. Vous consacrez un dernier chapitre à vous demander comment réduire la violence qui est attachée à ces rivalités. Vous pointez en particulier une difficulté tenant au faible nombre d’acteurs en réelle capacité d’intervenir pour échanger avec les jeunes concernés. Pourriez-vous expliciter ce point ? Parvenir à apporter des réponses concrètes sur le terrain implique de s’engager dans le temps long, de faire émerger des partenariats entre acteurs des territoires rivaux, et de disposer d’acteurs en capacité de connaître et de se faire entendre des jeunes directement impliqués dans ces échanges de violence. Ces ressources existent dans certaines villes et pas dans d’autres. Parfois, ces ressources n’existent plus en raison de choix politiques et budgétaires locaux ou nationaux qui mettent à genoux le secteur associatif et celui de l’éducation populaire, ou bien qui ont privilégié un recrutement de professionnels de la jeunesse moins choisis par leurs capacités à convaincre par la voie éducative qu’à contraindre par la voie de l’intimidation. Ce n’est pas facile de déconstruire un répertoire d’action – les embrouilles – ancré historiquement dans un espace donné. C’est encore plus difficile lorsque la violence est le langage de ceux qui doivent lutter contre. De nombreuses initiatives ont permis de pacifier les relations entre des collectifs de jeunes qui s’affrontaient régulièrement. Parfois même, cette paix a été patiemment acquise alors que ces rivalités avaient causé la mort d’un ou plusieurs protagonistes. À chaque fois, il a fallu convaincre les jeunes concernés et à chaque fois ce travail a été effectué par des acteurs institutionnels ou plus informels au contact immédiat du terrain. S’enfermer dans une forme de fatalisme sous prétexte que « cela a toujours existé » ou que le décès d’un adolescent serait « un point de non-retour » est donc une erreur. Enfin, au-delà du travail de désescalade des rivalités et d’apaisement des relations entre groupes rivaux, il y a sans aucun doute une action politique plus large et plus durable à avoir sur la manière dont notre société produit de la sécurité et réduit la délinquance. Car en complément d’une action de court terme de pacification, il y a urgence à réduire le vivier social des bandes de jeunes et de cette frange de la délinquance en luttant contre les inégalités et l’échec scolaire, tout comme il y a un travail en profondeur à mener sur les structures normatives des embrouilles, en particulier le virilisme.   A lire également sur Nonfiction.fr : Petit frère. Comprendre les destinées familiales : entretien avec Isabelle Coutant

20.03.2024 à 10:30

L'école de la réconciliation : entretien avec Jérémie Fontanieu

Nous avions rendu compte il y a un an et demi de la parution du livre de Jérémie Fontanieu, L’école de la réconciliation. Un professeur à Drancy (Les liens qui libèrent, 2022) où il présentait la méthode, étonnamment efficace, qu’il avait mise au point avec un collègue, au lycée où ils enseignent tous les deux en Seine-Saint-Denis, pour préparer leurs élèves à l’épreuve du Baccalauréat. Depuis, le projet a continué de prendre de l’ampleur : de nombreux collègues, de toute la France, les ont rejoints, et il sort ces jours-ci un documentaire au cinéma , consacré à l’expérimentation menée sur Drancy, qui est l’occasion de faire un point avec son initiateur, qui se livre ici sans langue de bois.   Nonfiction : Vous aviez publié en 2022 un livre pour présenter la méthode que vous aviez mise au point avec un collègue – qui repose principalement sur une mobilisation des parents et des échanges tr è s fréquents avec eux – pour garantir le succès de vos élèves au Baccalauréat, avec l ’ idée de la populariser et de convaincre des collègues de l ’ adopter. A ce jour, environ 200 d ’ entre eux ont franchi le pas : ils la mettent en œuvre dans des classes de tous niveaux et pas uniquement dans des quartiers difficiles, et un autre documentaire , librement accessible, différent de celui qui sort ces jours-ci au cinéma, permet de se faire une idée plus précise de l ’ intérêt que ces enseignants y trouvent et du bénéfice que leurs élèves en retirent. Pourriez-vous en dire un mot ? Cet élargissement a-t-il permis de faire émerger de nouvelles questions concernant la méthode ? Jérémie Fontanieu : Depuis 2021, la diffusion de la méthode auprès des collègues partout en France a eu deux vertus : chaque collègue s’appropriant celle-ci en fonction de son contexte socio-géographico-culturel, du niveau enseigné (la majorité des profs qui reprennent la méthode sont en collège et en école primaire) et de sa propre personnalité, nous avons réalisé que la méthode était compatible avec une très grande diversité pédagogique. Aujourd’hui, chaque collègue qui nous rejoint récupère les outils que nous partageons (petit guide pour se lancer, « vidéos tutos » sur les appels aux parents ou les façons de rendre l’envoi de SMS peu chronophage, accès au groupe Facebook regroupant les profs du projet, lien des visios hebdomadaires, etc.) puis réinvente la méthode à sa façon. Notre pratique commune, ce sont les actions par lesquelles les parents d’élèves deviennent tous, petit à petit, des alliés qui nous protègent des violences du métier (du manque de bonne volonté des élèves, du mépris social [le « prof-bashing »], des politiques éducatives catastrophiques et des dysfonctionnements de l'institution, qui, très vite, donnent le sentiment que l'on ne peut que subir dans notre métier). Pour tout le reste, chaque prof se débrouille en fonction de ses besoins, envies et aspirations pédagogiques. C’est un enrichissement considérable par rapport à la méthode originelle, que les journalistes lient trop souvent à des éléments qui n’existent qu’à Drancy (notre « austérité » apparente dans le rapport aux élèves ou les QCM hebdomadaires). Le deuxième enrichissement majeur, avec la diffusion des outils auprès des collègues, est l’émergence d’une dimension fortement collective : alors que nous faisons tous notre travail face aux élèves – plus tout à fait seuls certes, avec le soutien des familles, se sont fortement développés les échanges entre pairs et la solidarité entre enseignants du projet. Nous nous écrivons régulièrement sur le groupe Facebook, partageant nos petites victoires, nos blocages et nos frustrations, que nous arrivons à surmonter collectivement ; il y a des visios chaque semaine aussi, ainsi qu’une réunion physique des collègues, chaque année en région parisienne. Pour tous les profs qui se lancent, excités par les horizons qu’ouvre la méthode mais en même temps forcément inquiets par les difficultés qu’elle provoque ou la sortie de zone de confort qu’elle représente, l’idée qu’il existe une communauté de profs vivant les mêmes difficultés et les mêmes joies est très réconfortant. Autrement dit, « réconciliations » désigne aujourd’hui aussi bien la méthode elle-même que le collectif d’enseignants qui utilisent les parents d’élèves comme boucliers contre les violences du métier.   Vous consacrez beaucoup de temps à l ’ animation de ce réseau. Pourriez-vous dire un mot de la façon dont celui-ci pourrait se structurer, si ce n ’ est pas déjà le cas, s ’ il devait grossir encore ? À titre personnel, la force de la méthode rend possible mon accompagnement des nouveaux collègues qui se lancent : grâce au soutien indéfectible des familles avec lesquelles je travaille chaque année à Drancy, les classes de Seconde comme de Terminale se mettent au travail de manière assez formidable et je peux consacrer le temps et l’énergie ainsi libérés à animer le collectif et essayer du mieux que je peux d’être présent et utile auprès des collègues. La relation personnelle avec chaque prof qui se lance est importante à mes yeux, et c’est encore le cas aujourd’hui : mais il est probable que dans quelques années notre réseau comportera des responsables qui seront chargés de l’accueil des enseignants qui nous rejoignent. Il est simplement encore tôt : pour tous les profs, la méthode suscite beaucoup d’espoir mais prendre pleinement la mesure de ce que signifie le travail avec les familles, tel que nous le pratiquons, nécessite plusieurs années. De nombreux collègues gagnent en efficacité et en assurance de façon formidable : quand ils auront accumulé suffisamment d’expérience, de réussites et d’échecs, ils se sentiront suffisamment solides pour jouer le rôle que je suis le seul à jouer pour le moment, bien que nos échanges sur le groupe Facebook ou lors des réunions sont très horizontaux. Nous tenons au caractère organique de notre projet : de même que la méthode a été développée par deux enseignants en difficulté et que sa diffusion se fait entre pairs, nous n’imaginons pas que le développement de notre collectif se fasse autrement. Début 2023, il nous a été proposé par le Conseil National de la Refondation de mettre en avant le projet : nous avons refusé, étant aussi peu favorables à toute forme de verticalité (la liberté pédagogique reste l’une des rares branches auxquelles toute la profession, régulièrement attaquée, peut se raccrocher : institutionnaliser notre méthode, c’est courir le risque de lui associer un regard paternaliste), qu’épouvantés à l’idée que notre travail soit, d’une manière ou d'une autre, associé au gouvernement actuel. Nous nous débrouillons seuls, que les responsables politiques augmentent plutôt les salaires et assurent les conditions de travail qui permettent d’exercer notre mission, plutôt que de se mêler de nos affaires pédagogiques.   Ce développement pourrait peut-être rendre possible une évaluation scientifique rigoureuse. Y avez-vous songé ? Il nous a été proposé d’évaluer scientifiquement la méthode, aussi bien à Drancy qu’auprès de collègues de lycée professionnel, de collège ou d’école primaire, mais nous n’y tenons pas en raison de notre positionnement épistémologique : j’ai beaucoup de respect et d’estime pour les scientifiques, mais il me semble que la vérité comporte une part de normativité et le risque est grand, une fois qu’une pratique pédagogique s’est vue apporter les preuves de ses vertus, que celle-ci soit imposée d’une manière ou d’une autre à une corporation qui est déjà suffisamment attaquée comme cela. Je dis à nouveau notre attachement à la liberté pédagogique, donc, et de manière plus pragmatique je constate depuis que des collègues nous rejoignent que seuls ceux qui sont véritablement convaincus, qui partagent les convictions parfaitement discutables qui sont les nôtres, parviennent, au bout de plusieurs années d’expérimentation, à connaître des progrès comparables à ceux qui ont lieu à Drancy. Nous revendiquons donc une parfaite subjectivité, à l’image du sentiment d’impuissance et de la frustration qui sont à l’origine du projet réconciliations : voici une méthode qui fait complètement sortir les élèves de la passivité, grâce à l’implication des familles dans la scolarité de leurs enfants, ce qui préserve la santé mentale des professeurs qui s’en emparent. Le vrai, le bien ou le juste ne nous importent pas : nous voulons simplement ne plus subir, ne plus souffrir. Si l’année prochaine, à Drancy, je n’utilise plus la méthode, les élèves vont à nouveau me rouler dans la farine et je serais fragilisé : je n’ai pas besoin que l’on objective mon ressentiment ou, à l’inverse, mon soulagement.   Sinon, comment imaginez-vous la suite ? Un documentaire sort ces jours-ci au cinéma sur le lycée de Drancy. Quel(s) message(s) et à destination de qui pourrait-il porter selon vous ? Le but du film est le même que celui du livre sorti en 2022 : il s’agit d’évocations de la méthode, superficielles mais qui peuvent donner envie à des professeurs de primaire ou du secondaire de nous rejoindre. Le système médiatique nécessitant des prétextes, les journalistes nous priant d’avoir une « actualité » pour nous inviter, ces œuvres sont produites et cela sera probablement aussi le cas durant les années à venir. À Drancy comme partout ailleurs, maintenant, l’espoir suscité par le projet est immense chez les élèves, les familles mais aussi et surtout, donc, les enseignants. Notre seul message est celui qui conclue le film : si vous enseignez et que vous pensez que les familles peuvent être un levier pédagogique, rejoignez-nous. Les collègues peuvent nous joindre à l’adresse projet.reconciliations@gmail.com Il y a un second message, du film comme du reste : que la méthode soit née à Drancy ne nous semble pas anodin. Alors que les quartiers populaires, dans notre pays, font l’objet de traitements artistique, médiatique et politique souvent méprisants, notre projet pédagogique est la preuve qu’ils ne constituent non seulement pas un problème mais même une solution. Que des enseignants reprennent partout en France, y compris dans des contextes socio-culturels qui n’ont rien à voir avec la banlieue parisienne, des outils qui ont été inspirés par la jeunesse et les familles de la Seine-Saint-Denis, dit des choses importantes sur notre pays qui reste rongé par le mépris social et le racisme.  

13.03.2024 à 08:00

Charles Juliet : refonder sa vie dans l’écriture

Dans ce livre de 136 pages, Charles Juliet a rassemblé pour la première fois cinq textes qui tous évoquent la lente maturation qui a conduit à un choix d’existence et à l’écriture d’une œuvre. Les traumas de l’enfance à l’origine de l’écriture Le premier texte, intitulé « La Fracture », s’ouvre sur une citation du poète anglais Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme. » Charles Juliet y revient de façon très ramassée et dense sur le substrat autobiographique qui fait la trame de Lambeaux.  Magnifique récit publié en 1995, il y rendait hommage à sa mère biologique, qu’il n’a pas connue, puisqu’elle a sombré dans une grave dépression après sa naissance, et est morte de faim huit ans après, dans l’asile psychiatrique où elle était enfermée, victime comme quelque cinquante mille personnes de ce qui fut appelé « l’extermination douce », décidée par le régime de Vichy, lors de l’Occupation, pour éliminer cette prétendue « sous-humanité ». Il célèbre également la « femme admirable » que fut sa mère adoptive : « Elle avait aussi l’intelligence du cœur et une formidable générosité. Élever dans des conditions matérielles difficiles cet enfant que j’étais, n'a pu lui apporter rien d’autre qu’un surcroît de travail et de fatigue. Mais ce bébé qu’elle avait accueilli au pied levé pour rendre service à un homme désemparé, elle s’était attachée à lui, et par la suite, elle n’avait pu se résoudre à le laisser partir. » Il évoque aussi dans des pages très âpres le « besoin d’écrire » qui a imprimé à son existence « un radical changement de cap », alors qu’il s’était lancé, à vingt-trois ans, dans des études pour devenir médecin militaire. « Longues années de ténèbres, de détresse, d’épuisement. […] Des combats qui dénudent. Conduisent à l’extrême de soi et de la solitude. Réduisent l’être à son noyau, sa racine. » Cette syntaxe épurée dit la difficulté immense de cette quête de soi dans les mots durant les vingt ans d’une crise liée à cette « fracture survenue dans [s] a petite enfance » qui donne son titre au texte. Dans « Souvenirs d’une lointaine enfance », d’une tonalité moins grave, l’auteur évoque par ailleurs des sensations et des peurs dans une langue claire, précise, qui donne à voir et ressentir avec lui « ces longues journées cotonneuses » de l’automne ou les jeudis d’hiver où il allait travailler dans un abattoir et avait les mains « toutes poisseuses de […] sang tiède . » Le détour par la fiction « Le Déclic » est le titre d’une nouvelle, un genre que Charles Juliet a très peu pratiqué, où il fait un pas de côté par rapport à son écriture autobiographique, en proposant l’histoire d’un avocat à un moment décisif où sa vie bascule, un soir de Noël. Il se perd dans un paysage enneigé et trouve abri chez un couple, qui d’une certaine façon le révèle à lui-même. L’ incipit de cette nouvelle l’inscrit bien dans les grands thèmes qui traversent l’œuvre de l’auteur, et dans le style resserré qui caractérise son écriture : « Pourquoi ce jour-là ne suis-je pas arrivé à mon bureau ? Pourquoi ma vie a-t-elle ainsi bifurqué ? Ce qui s’est passé ne me ressemblait pas, et pourtant, après coup, j’ai dû reconnaître que ce qui m’avait paru un enchaînement de circonstances fortuites, avait répondu, en fait, à une profonde nécessité. » Cette errance angoissante, qui conduit à une forme de refonte de la vie du personnage et de régénération de son être, pourrait se lire comme une allégorie du chemin vers l’écriture, la lumière et l’apaisement tracé par l’auteur pendant toute sa vie, et dont les neuf volumes de son Journal témoignent avec une vérité bouleversante. « Deux lectures décisives » : Albert Camus et Robert Margerit Charles Juliet rend hommage à ces deux auteurs dont les œuvres l’ont nourri, ce qui rappelle son très beau livre composé de citations, Ces mots qui nourrissent et qui apaisent (2008). « Il n’est guère possible d’analyser ce qui se passe en nous quand un livre nous chavire, nous laisse étourdi. Assurément, il nous émeut, nous ébranle, nous atteint dans toutes les couches de notre être. […] Il nous parle de nous-même, de notre histoire. Il demeure en nous, devient une part intégrante de ce que nous sommes. Ces rencontres qui nous font gravir un palier dans la connaissance que nous prenons de notre être intérieur, elles sont rares. La première m’a laissé un souvenir ineffaçable. Je l’ai vécue en lisant L’Étranger . » Il évoque ensuite l’« adolescent ébloui » qu’il a été en lisant Le Dieu nu de Robert Margerit, en classe de première, dans la caserne où il préparait le bac. Le dernier mot de ce court hommage est « gratitude » : c’est aussi le titre du dernier volume de son Journal (2004-2008), publié en 2017, et le mot qui désigne le mieux le sentiment du lecteur face à l’œuvre de Charles Juliet.
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