19.11.2025 à 13:29
Fin de la COP30 : le “principe habitabilité” va-t-il sauver la planète ?
Au niveau international, le droit de l’environnement est bardé de traités et de chartes en tout genre. Ce qui de toute évidence ne suffit pas : sur le plan écologique, notre planète continue de sombrer. Un super-principe juridique pourrait-il sauver le monde de l’effondrement environnemental ? C’est l’idée derrière le « principe habitabilité ».
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Pallier un droit impuissant
Près de 500 traités internationaux, des lois et des chartes à tous les échelons... Sur le papier, le droit de l’environnement forme un arsenal robuste, presque surabondant. Pourtant, au vu de la crise climatique et de la destruction des écosystèmes, il semble impuissant à protéger durablement la planète et ses habitants. Comment expliquer cette déficience ? Peut-on lui redonner un nouvel élan et garantir son efficacité sur le long terme ? Le philosophe Baptiste Morizot et le juriste Laurent Neyret en sont convaincus. Dans un article paru dans la revue en ligne du Groupe d’études géopolitiques, l’auteur de Manières d’être vivant (Actes Sud, 2020), maître de conférences à l’université Aix-Marseille, et le professeur des universités à Sciences Po défendent l’idée d’un « principe habitabilité ». Ce concept devrait permettre de refonder le droit environnemental : non pas en surajoutant, en aval, une énième clause aux textes existants, mais en posant ce principe en amont de l’édifice juridictionnel. Leur approche vise ainsi à redynamiser la lutte contre le dérèglement climatique après l’échec relatif de la COP30 et la sortie programmée des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat en 2026.
De la dignité à l’habitabilité
Les deux auteurs s’inspirent du droit issu de la Seconde Guerre mondiale, qui a créé la notion de crime contre l’humanité. À l’origine, il y avait « une valeur cardinale partagée » : la dignité. « La découverte de la dignité a été une réponse à un choc qui dépassait l’entendement », notent les chercheurs, citant le procès de Nuremberg. Pour lutter contre « l’atteinte absolue » que représenterait, de même, la crise écologique, une méthode similaire devrait être adoptée :
“L’humanité doit se doter d’une valeur bouclier permettant de raviver la légitimité et l’efficacité du droit qui permettra de faire face aux menaces existentielles des risques climatiques et écologiques. C’est la promesse du ‘principe habitabilité’”
Baptiste Morizot, Laurent Neyret, « Le principe habitabilité », in : Groupe d’études géopolitiques (2025)
Qu’est-ce que l’« habitabilité » ? Morizot et Neyret la définissent « comme la propriété de tout milieu à toute échelle spatio-temporelle dans lequel les conditions de santé et de prospérité de chacune des formes de vie sont produites par l’activité interdépendante de la diversité des formes de vie ». L’habitabilité est une valeur foncièrement « relationnelle », puisqu’elle inclut autant l’espèce humaine que le reste du vivant, sans qui l’humanité ne peut survivre : plantes, animaux, organismes multiples, qui créent la vie et les conditions de sa « sécurité » et de sa « prospérité » sur Terre.
Un principe à respecter pour toute future décision
Le principe habitabilité est-il suffisant pour donner de la force au droit ? Les auteurs sont conscients des difficultés posées, au vu du contexte idéologique mondial. Ils précisent :
“Le droit fonctionne aussi dans une temporalité longue où les principes fondamentaux opèrent comme contraintes structurelles continues, modifiant les coûts politiques des violations et créant les bases de futures sanctions, même sans intervention immédiate”
Baptiste Morizot, Laurent Neyret, ibid.
Le droit suppose de penser le temps long sans céder à la peur contemporaine du populisme climatosceptique. Plus délicate, en revanche, s’avère leur mise en avant déterminante des relations entre vivants. Car ce terme semble oblitérer les conflits inhérents aux espèces pour adhérer à une vision harmonieuse des modes d’expression du vivant. Jusqu’où l’humanité doit-elle rogner sur ses propres droits pour permettre aux autres formes de vie de prospérer ? Même judicieusement reformulée, la question reste ouverte.
19.11.2025 à 06:00
Avons-nous le droit de mentir ? Le match Benjamin Constant-Emmanuel Kant
C'est l'une des plus fameuses disputes de l'histoire de la philosophie. Elle oppose Emmanuel Kant, le grand penseur de l’idéalisme allemand, au très passionné Benjamin Constant. Au cœur de leur confrontation, le statut de la vérité et du mensonge. On rejoue pour vous le match !
18.11.2025 à 21:00
L’enfer de la recherche de logement : passe ton bail d’abord…
« “On est tous obligé de frauder pour finir par payer honnêtement notre loyer” : c’est par ce constat absurde qu’un ami concluait une énième discussion sur le chemin de croix qu’est devenue la recherche d’un appartement en location dans une ville comme Paris.
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Contrainte, essentiellement économiquement, de quitter mon logement actuel, je pensais que cela ne pouvait pas être pire qu’il y a dix ans, lorsque je n’étais même pas salariée. Eh bien si.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus
J’ai l’habitude de “me débrouiller”. Expression élégante pour dire : galérer, persévérer, bricoler, avoir confiance en un peu de chance et de vague indulgence de son prochain, quand bien même son objectif reste de percevoir un loyer chaque mois. Il y a dix ans donc, je n’avais même pas pris la peine de m’inscrire dans une agence immobilière, sachant très bien que sans contrat de travail fixe et sans garant susceptible de gagner 12 fois un loyer parisien, le moindre agent me rirait immanquablement au nez. Sans parler des frais, hors de ma portée. Au bout de quatre mois de recherche à raison de deux à trois visites par semaine (à la fin, j’étais capable de sentir une moquette moisie ou un chauffage défectueux avant même de passer la porte), j’avais fini par trouver une annonce sur LeBonCoin qui serait mon nouveau chez-moi. Ce qui m’a alors sauvée ? Pouvoir discuter directement avec le propriétaire, pour qui je n’étais pas juste une série de données mais bel et bien une personne.
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Aujourd’hui, ce type de rapport direct est quasiment impossible. Les annonces de particuliers sont rares et, quand elles existent, souvent délirantes. J’ai tenté “Gens de confiance”, une application qui fonctionne par cooptation et parrainage. On y loue des 30m2 pour 1 500 euros par mois : n’étant pas descendante d’homme d’affaires saoudien de confiance, exit les murs “de caractère” – et peut-être pas tant de confiance que ça. Désormais, on dépose un dossier tout prêt en ligne, notamment sur FranceConnect, la plateforme qui centralise l’accès à différentes administrations. L’ennui, c’est que FranceConnect ne connaît pas les particularismes, les “oui mais” ni les “je peux vous expliquer” ; même les fiches de paie, il ne les lit pas correctement, à vrai dire. Pour l’instant, je n’arrive même pas à accéder à une simple visite. Reste donc la débrouille – pour ne pas dire autre chose.
Une absurdité invivable
Étrange système, tout de même, qui verrouille à ce point ses conditions qu’il devient matériellement impossible d’accéder à ce qui est censé être un droit. Une situation qui transforme de fait tout un chacun en bricoleur, magouilleur, artiste de la gomme Photoshop et du maquillage Canva, tout cela non pas pour faire un casse au Louvre (ce qui paraît objectivement plus simple et rapide que de signer un bail en région parisienne) mais pour s’acquitter simplement d’un loyer. Forcément, il y a de quoi faire grimper la paranoïa des propriétaires. Cette confiance tant vantée par l’application citée plus haut – qui met par ailleurs un filtre payant sur ses annonces immobilières, auxquelles on ne peut accéder que trois jours après le post sans un abonnement payant – s’est tout bonnement évaporée dès lors qu’il s’agit de bien immobilier. L’aspirant locataire, fraudeur en puissance parce qu’il n’a pas d’autre choix, se heurte à des propriétaires qui hérissent toujours plus de barrières devant des biens de toute façon de plus en plus rares.
Le paradoxe de la confiance
Or, comme le décrivait le philosophe Mark Hunyadi dans nos pages en août 2020, la confiance “n’est pas simplement un rapport au risque, comme voudrait le faire croire la pensée économique dominante, mais bien un rapport au monde”. Cette pensée économique encourage et se nourrit du paradoxe suivant : la confiance censée réguler nos rapports ne peut véritablement exister, puisque la pensée libérale fait des individus des atomes égoïstes mus par le calcul de leurs intérêts privés. Hunyadi, lui, invite à dégager la confiance de l’idée de calcul, en insistant plutôt sur l’idée d’attentes : sur la route, nous nous attendons à ce que les autres conducteurs se comportent d’une certaine façon, nous ne leur accordons pas notre confiance en fonction d’un calcul. Pourquoi ? Parce que c’est vraiment plus simple pour tout le monde. Après tout, nous faisons confiance à un tas de gens alors que nous avons toutes les raisons de nous en méfier – les fans inconditionnels de Nicolas Sarkozy ont peut-être quelque chose à nous apprendre sur le sujet. Pour ma part, ayant déjà vécu dans 9m2, j’aimerais éviter de n’avoir aucun autre choix. »
