03.11.2025 à 17:00
La tristessse mondiale est-elle en décrue ?
« Avez-vous éprouvé des émotions négatives comme la colère ou la tristesse dans la journée ? » À cette question au cœur de la grande étude annuelle menée dans 140 pays sur la « santé émotionnelle », les individus ont globalement répondu avec plus d’optimisme que les années précédentes. Progrès général de l’humanité… ou mal-être refoulé ? Tentons un peu de « psychogéographie ».
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Le monde est plus serein, « moins grincheux » : telles sont les conclusions, un peu surprenantes, d’une grande étude annuelle menée par l’entreprise américaine Gallup sur la « santé émotionnelle ». L’enquête se distingue du Better Life Index ou du World Happiness Report : elle ne porte pas sur un état global de satisfaction ou d’insatisfaction, mais plutôt sur des affects ponctuels. Le principe est simple : les concepteurs de l’étude ont demandé à un échantillon de sondés de 140 pays différents s’ils avaient éprouvé certaines émotions négatives – colère, stress, tristesse, inquiétude, douleur physique – durant une bonne partie de la journée précédente. Les résultats indiquent un recul de la majorité des indicateurs d’« expériences négatives », certes léger, mais significatif, depuis 2021.
“Y’a pas de souci” ?
L’inquiétude, qui avoisinait les 42% autour de 2020, retombe sous la barre des 40%. Le stress s’atténue – 41% en 2020, 37% en 2024. Sur la même période, la tristesse passe de 28% à 26%. La colère enfin, qui frôlait les 25%, redescend à 22%. En parallèle, les indicateurs positifs progressent ou restent stables. Le sentiment d’être traité avec respect atteint son plus haut taux depuis 2006 (88%). L’étude de Gallup fournit d’autres informations intéressantes. Globalement, les femmes éprouvent davantage d’affects négatifs que les hommes. Les 30-49 ans sont, en général, les plus touchés par ces affects (notamment le stress). Ils sont légèrement dépassés par les plus de 50 ans en ce qui concerne l’inquiétude et la tristesse. Les 15-19 ans font jeu égal avec les aînés seulement en ce qui concerne la colère.
“Le Danemark et l’Islande sont parmi les pays les mieux placés de toutes les enquêtes sur le sujet. Mais ce sont aussi ceux où l’on consomme le plus d’antidépresseurs”
L’enquête fournit aussi un panorama des écarts à l’échelle mondiale. Parmi les pays les plus en colère, le Tchad, la Jordanie et l’Arménie. Pour l’inquiétude, le Sierra Leone et la Guinée. Pour la tristesse, le Tchad et le Sierra Leone. Au rang des pays les plus « réjouis », on retrouve certains pays familiers du World Happiness Report comme le Danemark ou l’Islande, qui côtoient le Paraguay, l’Indonésie, le Mexique ou encore le Guatemala. Globalement, les affects négatifs sont stables dans le pays à fort revenus – la décrue sur la période 2020-2024 est moins nette qu’ailleurs. Les taux demeurent à un niveau légèrement supérieurs à ceux de 2006, sauf la colère en diminution (22% en 2006, 15% en 2024). La baisse sur le court terme (2020-2024) est en général plus marquée dans les pays à faibles revenus, mais la dégradation globale depuis 2006 et les taux d’affects négatifs en valeur absolue y sont plus forts. La colère notamment y est en nette progression.
Les résultats de l’étude, assurément, interrogent : on s’étonne que les gens aillent (un peu) mieux dans un monde où, de la situation au Proche-Orient à la guerre en Ukraine en passant par le réchauffement climatique ou la montée des régimes illibéraux, tout semble aller de mal en pis. Comment expliquer ces inflexions ? Il y a certainement des explications conjoncturelles : le pic du mal-être a été atteint au moment de la pandémie de Covid, qui a joué un rôle bien attesté dans l’augmentation des troubles psychiques et la dégradation de la santé mentale ; mais ses effets s’atténuent au fil des années. Peut-être y a-t-il, aussi, des raisons plus profondes, plus structurelles.
Ça va mieux… mais pourquoi ?
- Il y a d’abord la version optimiste : celle de Steven Pinker, auteur du Triomphe des Lumières. Pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme (2018), qui souligne sans relâche que, sur le temps long, l’histoire de l’humanité, et tout particulièrement son histoire récente, est affaire de progrès.
 
“Contrairement à l’impression que peuvent donner les journaux, selon laquelle nous vivons à une époque marquée par les épidémies, les guerres et la criminalité, les courbes montrent que l’humanité va mieux, que nous vivons plus longtemps, que nous menons moins de guerres et que moins de personnes y trouvent la mort. Le taux d’homicide est en baisse. La violence à l’égard des femmes a diminué. Davantage d’enfants vont à l’école, y compris les filles. La population mondiale est de plus en plus alphabétisée. Nous avons plus de temps libre que nos ancêtres. Les maladies sont en voie d’éradication. Les famines sont de plus en plus rares. Ainsi, pratiquement tous les indicateurs que l’on pourrait utiliser pour mesurer le bien-être humain se sont améliorés au cours des deux derniers siècles, mais aussi au cours des deux dernières décennies”
Steven Pinker
L’actualité est marquée, bien entendu, par une multitude d’événements négatifs qui font la une de la presse. Mais la tendance de fond est indéniable, pour le spécialiste en pyschologie : l’humanité vit mieux.
- Il y a, à l’autre bout, la vision pessimisme : celle par exemple du sociologue Alain Ehrenberg. Le bien-être affiché par nos contemporains serait bien souvent une illusion de bonheur, rendue seulement possible par une « consommation d’hypnotiques, tranquillisants, neuroleptiques, antidépresseurs, psychostimulants et anorexigènes » qui ne cesse de croître. La médication du mal-être psychique promet le « bonheur sur ordonnance » : elle traite les symptômes mais pas les causes profondes de la détresse contemporaine. « Le bien-être n’est pas la guérison, parce que guérir, c’est être capable de souffrir, de tolérer la souffrance. Être guéri de ce point de vue, ce n’est en effet pas être heureux », souligne l’auteur du Culte de la performance (1991). Notre époque, loin d’affronter ses souffrances, les étouffe sous une camisole chimique. L’on ne s’étonne pas alors que certains pays comme le Danemark ou l’Islande, très bien placés dans le World Happiness Report comme dans l’enquête Gallup, soient parmi les pays où l’on consomme le plus d’antidépresseurs. Le taux de suicide y est par ailleurs élevé.
 
Les deux perspectives ne sont pas nécessairement contradictoires. Elles jouent sans doute plus ou moins fortement selon les pays. L’hypothèse pessimiste correspond sans doute mieux aux pays occidentaux, qui connaissent depuis longtemps un ralentissement de la croissance, et une stagnation des grands indicateurs d’amélioration des conditions de vie. Dans ces conditions, l’avenir semble s’obscurcir : peut-on attendre autre chose qu’un déclin ? À l’inverse, l’hypothèse optimiste permet de rendre compte de l’état d’esprit positif de pays qui, comme l’Indonésie ou le Paraguay, ont connu un développement rapide porteur de nombreuses promesses.
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