19.04.2025 à 08:00
Pourquoi Christiane Hessel a choisi de recourir à la mort assistée
Christiane Hessel, veuve de Stéphane Hessel, a décidé de recourir à l'euthanasie en Belgique le 14 décembre dernier. Alors qu’en France, la loi sur la fin de vie et l’aide à mourir, suspendue depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, devrait être réexaminée, nous publions, dans notre nouveau numéro, ce témoignage exceptionnel recueilli chez elle, à Paris, quelques jours avant sa mort.

19.04.2025 à 07:00
Le stade Bauer, à Saint-Ouen : une utopie qui résiste
Ce samedi soir, l’équipe de football du Red Star FC joue contre le FC Metz en 31e journée de Ligue 2. Mais pas à domicile, au stade Bauer de Saint-Ouen. C’est ce lieu de mémoire, centenaire, qui a intéressé notre journaliste Victorine de Oliveira. Certains ont pensé à reconstruire ailleurs la vénérable enceinte. Hors de question pour les aficionados de ce lieu à taille humaine chargé d’histoire ! Reportage.
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« Le Red Star, c’est uniquement à Bauer, c’est le gardien de notre histoire, elle est gravée dans nos cœurs ! » Les soirs de match, le stade Bauer, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), résonne de chants de supporters qui célèbrent leur attachement à un lieu mythique du football français. C’est non seulement le stade mais aussi toute la rue, tout le quartier aux alentours qui vibrent de la ferveur des supporters du club à l’étoile rouge fondé en 1896. Mais en journée, ce sont plutôt les marteaux-piqueurs qui saturent l’air. Les imposantes grues jaunes du promoteur nantais Réalités signalent de loin un chantier sur lequel pèsent autant d’espoirs que d’inquiétudes, notamment depuis que les travaux ont dû faire une pause de quatre mois entre octobre et février dernier, à la suite du placement en redressement judiciaire de Réalités.
En rénovation depuis 2021, Bauer a fait l’objet de vifs débats entre la municipalité, les riverains, l’association des supporters du Red Star, le promoteur et les architectes auteurs du projet. L’enjeu principal : maintenir Bauer à Bauer et ne pas reconstruire de toutes pièces dans un quartier excentré un stade désormais vieillissant, plus du tout aux normes pour l’évolution récente du club en Ligue 2 – le deuxième échelon du football français – et l’accueil de compétitions d’un plus haut niveau.
Un « stade anomalie » ?
Car ce stade n’est pas une enceinte sportive comme les autres. Située rue du docteur Bauer, du nom d’un médecin communiste résistant fusillé par les nazis au mont Valérien en 1942, elle tient sa place depuis 1909, entre une patinoire désaffectée, un Bouillon récemment ouvert par le chef Thierry Marx – dans une ville située dans ce qu’on appelait autrefois la « banlieue rouge », ça ne s’invente pas – et une petite église en pierre de taille où la messe est célébrée tantôt en français, tantôt en portugais. Couche d’histoire supplémentaire : une des tribunes, actuellement démolie mais en cours de reconstruction, porte le nom de Rino della Negra, ancien ailier droit du Red Star, immigré italien, membre du groupe Manouchian fusillé en 1944 et récemment panthéonisé – « Il n’y a que Rino ! » chantent toujours les supporters en hommage. Des logements donnent directement sur la pelouse, et il arrive même qu’un tir mal cadré au-dessus des cages propulse le ballon par la fenêtre des habitants qui ne se privent pas, pour certains, de profiter du spectacle depuis leur appartement.
“Bauer résiste à la tendance actuelle à transformer les stades en ‘non-lieux’, soit des espaces où les gens circulent mais ne font pas société”
Enclavé dans la ville, Bauer résiste à la tendance actuelle à transformer les stades en « non-lieux », au sens que leur donnait l’anthropologue Marc Augé (1935-2023) : soit des espaces à l’image des halls d’aéroport ou des centres commerciaux où les gens se croisent, circulent, mais ne se rencontrent pas, ne font pas société. La faute à l’architecture, directement responsable de la possibilité d’investir humainement les lieux.
Match de football entre le Red Star et le Racing CF au stade Bauer (appelé à l’époque stade de Paris) à Saint-Ouen, le 31 décembre 1922. © Wikimedia commons
Cette histoire et cette longévité exceptionnelle sont l’un des principaux atouts de Bauer, inextricablement lié à l’un des clubs doyens du football français. Mais cette histoire pèse aussi sur une charpente métallique qui a vieilli. Les innovations techniques des années 1920 qui en faisaient un stade aux équipements de pointe, avec un système d’anti-envahissement du terrain ou, plus tard, la possibilité de jouer en nocturne, sont devenues vétustes. Un ravalement s’impose… voire une destruction complète et une relocalisation ? Entamée au début des années 2000, la réflexion autour de la rénovation du stade connaît de nombreux atermoiements : il est autant question de faire jouer le Red Star au Stade de France que de déplacer Bauer sur les Docks de Saint-Ouen. C’est sans compter l’affection des Audoniens qui, consultés en 2020 à l’initiative du nouveau maire (PS) Karim Bouamrane, expriment leur volonté de garder le stade à son emplacement originel. La prise en compte à la fois des supporters, des habitants et des différents acteurs du chantier, dans un dialogue qui ne s’est jamais rompu malgré les divergences ponctuelles de point de vue, ont abouti au projet actuel.
“Bauer, c’est un peu le David de banlieue contre le Goliath du foot devenu business mondialisé”
Ainsi Bauer tient bon. Alors que ce type d’infrastructures s’éloigne de plus en plus des centres-ville afin d’accueillir davantage de spectateurs, de limiter les nuisances pour les riverains et de faciliter les opérations de maintien de l’ordre, Bauer incarne une volonté farouche de maintenir un lien quasi organique entre les habitants, leur club de foot et les tribunes historiques qui font l’architecture si particulière du stade. Bauer, c’est un peu le David de banlieue contre le Goliath du foot devenu business mondialisé : pour l’instant, aucun n’a eu complètement la peau de l’autre, mais l’équilibre trouvé ouvre une brèche d’optimisme dans un univers sportif où la surprise n’est plus tellement de mise. À Bauer, il n’est pas uniquement question de divertissement concentré en quatre-vingt-dix minutes de match. De l’avis de nos différents interlocuteurs, il y a une « exception Bauer » – voire une « anomalie », comme on peut le lire sur le site du cabinet d’architecte SCAU, en charge du projet de rénovation. Qu’est-ce qui fait de ce stade un lieu, au sens anthropologique du terme ? Est-il une espèce endémique vouée à disparaître, ou un potentiel modèle pour un football rendu à sa taille humaine ?
Circulez, y a tout à voir
Sous les casquettes vertes en velours côtelé siglées à l’effigie du club, on devine qu’il n’y a pas que des Audoniens, en ce soir frileux de fin mars. Beaucoup ont traversé le périphérique entre copains mais aussi en famille pour assister au match contre le Rodez Aveyron Football, rencontre qui pourrait sécuriser la place du club en Ligue 2 – les joueurs du Red Star concéderont péniblement un match nul. Beaucoup arborent les articles d’un merchandising sobre et élégant, dont le design est à mille lieues des couleurs criardes associées d’ordinaire aux écharpes de supporters. Depuis que le média Vice, symbole d’une certaine culture hipster parisienne, est devenu le sponsor du maillot du Red Star en 2017, certaines dents grincent et craignent une dilution de l’identité du club à l’étoile rouge – mais dont le logo n’a rien à voir avec une coloration politique quelconque, le Parti communiste ayant été créé vingt-cinq ans après la fondation du club.
Les bobos prêts à remplacer les prolos, suivant ainsi le mouvement de gentrification qui gagne une partie de la Seine-Saint-Denis ? « Franchement, ce n’est pas le sujet », balaye Vincent Chutet-Mézence, président de la très influente association des supporters du Red Star. Tombé petit garçon dans la marmite aux couleurs verte et blanche, celui qui vit désormais en face de son stade de cœur tient à insister plutôt sur l’âme des murs, dont il se veut l’un des gardiens.
Bauer est un stade à l’anglaise, c’est-à-dire de forme rectangulaire avec des tribunes, quatre en tout, qui suivent de près la forme du terrain, de façon à créer une proximité avec les joueurs. Ainsi, l’ambiance y est souvent plus intense et animée que dans les stades de forme elliptique qui imposent davantage de distance avec l’aire de jeu. La toiture contribue également à une acoustique particulière, qui permet de faire résonner les chants des supporters – dans le répertoire du kop, l’un des chants joue même sur cet effet d’écho qui se répercute contre les murs de brique des anciens entrepôts cernant le stade côté ouest, en attendant la reconstruction de la tribune récemment rasée. « Il y a une ambiance de place du village », décrit Vincent Chutet-Mézence. « Alors que les cafés et les lieux culturels sont de moins en moins mixtes socialement, le stade, et Bauer en particulier, est un des derniers endroits où tout le monde peut se croiser », observe-t-il. Un brassage qui est loin de contredire les « valeurs de tolérance, d’antiracisme et de lutte contre les discriminations que défend le club », telles que les décrit le supporter, qui se considère comme un acteur « aussi bien dans le stade que dans la ville au service de l’intérêt général ».
“L’enjeu, c’est de faire vivre l’infrastructure en dehors du temps sportif, pour que les habitants se l’approprient vraiment”
Cette possibilité de circuler et de se rencontrer est au cœur du projet conçu par les architectes de l’agence SCAU, notamment les associés Matthieu Vaslier, Maxime Barbier, Luc Delamain et Sonia Samadi. Lorsqu’ils remportent en 2019 l’appel d’offres lancé par le Grand Paris, c’est sur l’idée de faire de Bauer un lieu qui ne vit pas uniquement le temps des matchs, mais tout au long de l’année, avec une coursive ouverte et un espace, la « Bauer Box », qui accueillera des bureaux, quelques commerces, un restaurant et des logements en co-living (c’est-à-dire du logement provisoire mais sur un plus long terme que de l’hôtellerie traditionnelle). « L’anti-modèle, toutes proportions gardées, c’était le Parc des Princes », décrivent les associés, « soit une bulle de béton fermée, qui ne permet pas de voir ce qui se passe à l’intérieur. Au contraire, Bauer sera ouvert de partout, avec des connexions jusqu’aux Puces de Saint-Ouen, un maximum de liaisons physiques et visuelles entre la ville et l’aire de jeu. Et cela vaut pour les badauds qui se promènent alentour comme pour les jeunes qui s’entraîneront à côté et qui auront vue sur la possibilité de l’excellence. L’enjeu, c’est de faire vivre l’infrastructure en dehors du temps sportif, pour que les habitants se l’approprient vraiment ».
Chantier du stade Bauer, avril 2025. © Victorine De Oliveira
Certes, la configuration et l’utilisation de la « Box » ont cristallisé quelques inquiétudes et tensions : c’est la partie du projet qui représente une concession à la marchandisation croissante du football, nécessaire toutefois au financement du chantier, qui ne peut être entièrement assumé par la municipalité, et à la rentabilité future des lieux. « Ce n’est clairement pas ce qui nous emballe le plus », sourit Vincent Chutet-Mézence. « Mais nous avons posé nos lignes rouges, qui ont été respectées, et la “Box”n’en faisait pas partie. Nous avons quand même bien conscience des réalités économiques », précise-t-il. Parmi les « non-négociables » : la nécessité de garder le nom « Bauer » et de ne pas céder à la tendance du branding qui consiste à attribuer le nom d’une marque à un lieu contre rémunération, reconstruire à l’identique la tribune Rino della Negra, derrière les cages, quitte à sacrifier en visibilité, et conserver une tarification sociale accessible – actuellement, les prix vont de 4 euros pour les abonnés à 26 euros pour un placement assis en catégorie « premium ».
Pour le journaliste sportif Jérôme Latta, auteur de Ce que le football est devenu. Trois décennies de révolution libérale (Divergences, 2023), il s’agit d’un « bon exemple de compromis entre les exigences des supporters et les contraintes d’une municipalité qui ne peut plus financer ce type de travaux. Cela s’inscrit dans un schéma de stades qui ne sont plus construits pour eux-mêmes mais s’insèrent dans des projets immobiliers plus vastes, avec la création d’écoquartiers par exemple, comme ça a été le cas à Nice, ou la tentative de développer un espace périurbain délaissé comme l’ancien stade des Lumières à Décines-Charpieu, en banlieue de Lyon. »
Une tradition de contestation
« Opportunisme politique à l’Intérieur / Lâcheté politique aux Sports / Retailleau, Barsacq : ministres du chaos / Non à la dissolution des associations de supporters » : alors que le Red Star et Rodez s’échinent sur le terrain, des banderoles se déploient dans la tribune du kop. Quelques semaines plus tôt, le ministère de l’Intérieur annonçait en effet sa volonté de dissoudre plusieurs associations de supporters ultras, dont la Brigade Loire à Nantes et les Magic Fans de Saint-Étienne. Depuis, l’État a révisé sa position sur les supporters nantais mais garde dans le viseur deux associations stéphanoises, ce qui « ouvrirait une dangereuse boîte de Pandore si la menace était mise à exécution », estime Vincent Chutet-Mézence.
Ce n’est pas la première fois que les supporters du Red Star expriment leur colère et leurs revendications dans l’enceinte du stade. En 2019, la ministre des sports Roxana Maracineanu avait été contrainte de quitter Bauer alors qu’elle assistait à une rencontre du Red Star contre Quevilly-Rouen, après avoir été prise à partie par des supporters aux cris de « Macron démission ». La tribune des ultras se pare ainsi régulièrement de mots de contestation, faisant des gradins un espace d’expression politique, notamment contre le rachat du club par le fonds d’investissement américain 777 Partners, dont la récente faillite laisse toujours le club dans l’attente d’un repreneur – et a bel et bien confirmé les craintes des supporters.
“Même pour ses propriétaires, qui n’ont rien à voir avec Saint-Ouen, la valeur commerciale du Red Star tient à son identité populaire et à son histoire”
Comme nombre d’autres, le Red star n’est pas épargné par la financiarisation d’un sport qui transforme les clubs en « danseuses » pour fonds d’investissement ou milliardaires en mal d’actifs prestigieux. « Le Red Star et Bauer sont un cas particulier », tempère toutefois Jérôme Latta, pour qui l’histoire joue le rôle de garant : « Même pour ses propriétaires, qui n’ont rien à voir avec Saint-Ouen, la valeur commerciale du Red Star tient à son identité populaire et à son histoire. Ils sont donc obligés de la ménager, de la prolonger, voire de la célébrer. Il y a un équilibre à trouver entre le respect de cette identité, sans qu’elle ne devienne trop factice, et un développement qui implique forcément des compromis, avec une convivialité de stade qui sera probablement assez commerciale, du moins dans les espaces marchands. Mais un stade plus moderne, plus beau et confortable ne peut que flatter la fierté des supporters. »
Ce bras de fer entre la base des supporters et une autorité verticale, qu’elle soit celle de l’État ou plus directement celle des instances dirigeantes du club, est aux origines de la pratique du football et de la création des stades. Ces derniers voient le jour en Angleterre suite à l’adoption du Highway Act en 1835, qui stipule que la pratique « sauvage » du football dans la rue ou sur des terrains vague est désormais interdite, et qu’elle doit se faire sur des espaces délimités afin de ne pas gêner la circulation et, surtout, ne pas créer de trouble à l’ordre public. À l’époque, il arrive en effet fréquemment que les spectateurs s’emparent de l’occasion pour exprimer un mécontentement politique, le jeu tournant parfois à l’insurrection contre la privatisation de la terre et la disparition des communs.
Bauer, l’anti-panoptique
Contrairement à d’autres lieux de loisir comme une salle de cinéma, le stade est loin d’être un lieu de divertissement et de consommation neutre où les spectateurs n’entreraient qu’après avoir laissé leurs inquiétudes de fin de mois et leurs aspirations politiques au contrôle de sécurité. « Plus qu’une place publique, Bauer est un forum où tout est en discussion, en débat, analysent les associés de SCAU. Le sport instaure des règles, des limites, avec la définition d’un espace dans lequel le jeu est autorisé. Un stade conçu comme Bauer joue avec ces limites en pariant sur la transparence, la possibilité d’une circulation entre l’intérieur et l’extérieur, le mouvement. Dans un stade, vous voyez le jeu en action, avec ses règles respectées ou non, parfois débattues et interprétées selon les fautes. Alors que les frontières entre le vrai et le faux deviennent de plus en plus floues, que les faits les plus évidents deviennent l’objet de contestations les plus ubuesques, le stade est un espace de clarté pour des milliers de paires d’yeux. Cette fonction de miroir de la société est dans la droite lignée de l’histoire de Bauer, c’est un marqueur politique, social et culturel. »
“Le stade pourrait même être un lieu d’autorégulation et d’autogestion de la violence”
Ce n’est pas pour autant que les tensions tournent nécessairement à l’affrontement, comme un certain discours des pouvoirs publics tend à le faire penser, avec la criminalisation croissante des associations de supporters datant des échauffourées entre hooligans des années 1980-1990. Le stade pourrait même être un lieu d’autorégulation et d’autogestion de la violence, comme l’affirment les associés de SCAU : « La jauge est petite, 10 000 places, ce qui signifie que les gens se voient. Au Parc des Princes, un père peut crier des insultes homophobes contre l’arbitre devant ses enfants parce qu’il a l’impression d’être dans une bulle fermée où tout est permis, où personne en dehors de ses voisins directs de gradin ne l’entend. Le match devient un moment à part, hors du temps, où le racisme peut s’exprimer de façon décomplexée. À Bauer, le fait, par exemple, d’avoir des logements qui fonctionnent presque comme une tribune supplémentaire autour du terrain, instaure une forme d’autocensure : si vous êtes tenté de dire ou de faire des choses répréhensibles, vous savez que tout le monde en sera témoin », parient-ils.
Dans des espaces où la vidéosurveillance est de plus en présente, donnant aux stades des allures de panoptique foucaldien, avec l’accent mis sur la reconnaissance faciale à l’aide d’intelligences artificielles, les architectes du nouveau Bauer veulent croire en un maintien de l’ordre qui ne reposerait pas uniquement sur les forces de police, mais se pratiquerait horizontalement, entre spectateurs et riverains du stade. « Permettre la formation d’un tissu social autour d’un certain nombre d’habitués comme les supporters, qui sont aussi responsables de l’image du club et participent fortement de l’ambiance, c’est enclencher une dynamique qui stimule le vivre-ensemble », concluent les associés de SCAU. De fait, les incidents sont rares, et c’est à peine si deux ou trois bières volent dans les tribunes lorsqu’un but est marqué. On exulte mais dans le respect d’autrui.
L’« exception Bauer » montre ainsi comment un stade peut jouer pleinement son rôle de brassage social tout en faisant de l’histoire une matière vivante, qui anime la ville tout au long de la saison, quand bien même le foot serait loin d’être une passion pour chaque habitant. « Tout cela est fragile », préviennent néanmoins les architectes. Rendez-vous en 2026 pour l’achèvement des travaux et pour vérifier si toutes ces promesses seront bel et bien tenues. En attendant, « à Bauer comme à l’extérieur, toute la tribune reprend en chœur ! », continuent de chanter les supporters.

18.04.2025 à 17:00
Pourquoi avons-nous besoin de la beauté ?
Supporterions-nous de vivre dans un monde où tout serait laid ou monotone, comme l’est, par exemple, l’univers dystopique de Blade Runner, urbanisé à l’extrême, sombre et pluvieux ? Sans doute pas. Mais qu’est-ce qui fait que la beauté peut être ressentie non pas seulement à la manière d’un désir mais comme un besoin vital ? Cinq philosophes répondent.
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Platon : parce qu’elle est la nourriture de l’âme
Que la beauté nous soit nécessaire, c’est ce que les Grecs avaient pressenti en la comparant à la lumière. C’est ce que l’on peut déduire de la philosophie de Platon, dans le Phèdre (dialogue sous-titré : « Sur le beau »). Il explique, à l’aide du mythe de l’attelage ailé raconté par Socrate que l’âme bien guidée est amenée à suivre le char d’Apollon – métaphore du soleil –, dont les chevaux se repaissent au firmament dans les plaines de la vérité. Autrement dit, si la beauté nous attire comme nous attire la lumière, c’est parce que, grâce à elle, notre âme s’élève vers ce à quoi elle est destinée : entrevoir la vérité ou se resouvenir de ce qu’elle a côtoyé dans une vie antérieure : « Lorsqu’un homme voit la beauté ici-bas, il est transporté dans le souvenir de la vraie beauté. »
Mais il y a là un paradoxe : la beauté, par son extrême luminescence, nous aveugle si bien qu’elle est moins faite pour être vue que pour être… pensée. Pour Platon elle ne s’appréhende pas par les sens mais par l’âme, parce qu’elle est une Idée. Si donc la beauté est un besoin pour l’homme, c’est d’abord parce que notre âme a naturellement soif de savoir. Et que la connaissance vraie est tout simplement belle à contempler.
Kant : parce qu’elle nous donne envie de partager nos émotions
Mais on peut invoquer une autre raison qui fait de la beauté un besoin pour l’homme : sans elle, nous resterions isolés les uns des autres. Comme le montre Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger (1790), lorsque nous éprouvons la sensation de la beauté, nous ne pouvons nous empêcher de vouloir que les autres partagent cette émotion esthétique. Nous disons en effet d’une œuvre qu’elle est belle et non pas seulement que nous la trouvons belle. En définissant le beau comme « ce qui plaît universellement sans concept », Kant affirme que, devant le spectacle de la beauté, sans qu’on puisse démontrer pourquoi (car on ne saurait prescrire ses règles à l’art), le jugement de goût, tout en demeurant subjectif et donc propre à chacun, révèle l’existence d’un « sens commun » qui nous rapproche les uns des autres.
L’expérience de la beauté a donc ceci de singulier qu’elle nous fait sortir de nous-même, qu’elle rend possible en nous une « pensée élargie », sans qu’il faille pour cela recourir à une métaphysique de la vérité comme chez Platon. Ce n’est pas tant le besoin de spiritualité que de sociabilité qu’elle satisfait. La beauté rapproche les hommes qui éprouvent face à elle un même sentiment d’apaisement, une harmonie intérieure entre l’entendement et l’imagination.
Schiller : parce que la beauté nous émancipe
Prolongeant les analyses de Kant, le dramaturge Friedrich Schiller estime que la beauté est d’autant plus désirable qu’elle seule permet d’équilibrer les forces qui s’opposent en nous. Dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1795), il soutient en effet que l’instinct sensible qui nous attache aux phénomènes et nous pousse à réaliser notre individualité, et l’instinct formel qui nous fait chercher la vérité et pratiquer la justice, se combattent. On ne peut pas à la fois être un être pratique et un pur esprit ! Or, selon Schiller, l’unité de notre âme dépend de notre capacité à limiter ces deux instincts l’un par l’autre.
Pour obtenir cet équilibre, il est nécessaire d’éveiller un troisième instinct : l’instinct de jeu qui s’applique à la beauté. Jouer est la seule chose que nous pouvons faire avec la beauté, mais cela ne la dévalorise pas, car le jeu, activité libre, manifeste notre capacité à maîtriser les forces antagoniques de l’instinct sensible et de l’instinct formel. La beauté apparaît donc chez Schiller comme un impératif pour que l’homme accomplisse son destin d’être libre : « Dès que la raison prononce : une humanité doit exister, elle a par cela même édicté la loi : il doit y avoir une beauté. » Plus précisément, la beauté a sur l’homme un effet à la fois apaisant et énergique. Émancipatrice, ses effets sont politiques, comme en témoignent la pièce la plus célèbre de Schiller, Les Brigands, critique implacable de la tyrannie, ou encore le poème L’Ode à la joie, mis en musique par Beethoven et aujourd’hui hymne de l’Union européenne.
Nietzsche : parce qu’elle est un stimulant vital
Libératrice, la beauté n’en reste pas moins liée à l’éthique aux yeux de Schiller. Comme chez Kant, elle éveille selon lui le sentiment de respect. Or c’est précisément ce lien entre esthétique et morale que Friedrich Nietzsche s’attache à défaire. Si nous avons besoin de la beauté, ce n’est pas pour nous rendre moralement meilleurs mais pour créer des valeurs nouvelles qui nous transportent dans un monde plus coloré : « Ils veulent une beauté qui rende vertueux – moi, je veux une beauté qui rende fou », écrit-il dans le chapitre « Ce que les Allemands manquent » du Crépuscule des idoles (1888). Préférant l’ivresse de Dionysos à la lumière classique du dieu Apollon, Nietzsche estime que la beauté n’est pas tant ce qui s’admire que ce qui se ressent comme un accroissement de vitalité. Car, comme il l’écrit encore dans Le Gai savoir (1882) : « Ce qui est beau, c’est ce qui nous donne le sentiment d’une augmentation de puissance ».
Si donc la beauté relève bien d’un besoin vital, c’est dans la mesure où elle nous rend joyeux parce qu’elle est « le grand stimulant qui pousse à vivre ». Ainsi Mozart nous met-il de « belle humeur » en ouvrant des possibilités printanières à la vie, tandis que Wagner, que Nietzsche a fini par détester, nous affaiblit par la nostalgie morbide qu’il suscite en nous.
François Cheng : parce qu’elle nous fait aimer
Dans ses Cinq Méditations sur la beauté (2006), l’académicien d’origine chinoise François Cheng, aujourd’hui âgé de 95 ans, reprend à sa manière ces différents arguments : la beauté lui apparaît comme un appel (première méditation), comme une voie vers la vérité (deuxième méditation), comme ce qui nous permet de résister à la souffrance (troisième médiation) comme ce qui nous rend créatif (quatrième).
Mais il ajoute dans une cinquième méditation un nouvel argument pour nous convaincre que la beauté est nécessaire à l’homme. Constatant que « l’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant il est beau », il en déduit que la beauté est une énigme parce qu’elle est omniprésente, et pourtant apparemment superflue. Elle est quelque chose de « virtuellement là », vision fragile et éphémère comme l’est le mont Lu qui surgit derrière la brume ou le visage d’une jolie femme qui s’entrevoit derrière un éventail. Or ce besoin de faire durer cette vision, de la fixer par l’œuvre d’art est analogue à celui que nous éprouvons lorsque nous aimons. Beauté et amour participent du même mouvement de don et d’élan vers l’autre, de transfiguration, pour éterniser ce qui a le plus de valeur dans la vie humaine. Sans la rencontre de la beauté nous ne saurions aimer.

18.04.2025 à 12:00
Comment Marc Aurèle peut vous sauver la vie, par Isabelle Sorente
Il y a des livres que l’on ouvre par hasard et qui changent tout. C’est le cas des Pensées pour moi-même de l’empereur romain Marc Aurèle. L’écrivaine Isabelle Sorente, qui traversait alors une crise existentielle, raconte cette découverte et montre que l’effort stoïcien de « vouloir ce qui est » peut être salvateur. On essaie ?

18.04.2025 à 08:00
Thorniké Gordadzé : “En Géorgie, un milliardaire prorusse dirige le pays comme son entreprise”
Contrairement à la dictature, la tyrannie ne naît pas forcément d’un coup de force. Elle s’insinuerait plutôt dans des structures démocratiques, comme l'affirment dans notre nouveau numéro des penseurs de Hong Kong, de Hongrie ou d’Argentine. L’ex-ministre Thorniké Gordadzé explique ici comment, en Géorgie le pouvoir a été confisqué par un oligarque.
