15.10.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(São Paulo) – L’élevage illégal de bétail dans l’État brésilien du Pará, qui accueillera cette année le sommet sur le climat COP30, y a dévasté les territoires de petits agriculteurs et de communautés autochtones, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. L’entreprise brésilienne JBS, principal producteur de viande dans le monde, a peut-être exporté vers l’Union européenne du bœuf et des cuirs provenant de bétail élevé dans des ranchs illégaux de cette région.
15 octobre 2025 TaintedLe rapport de 86 pages, intitulé « Tainted: JBS and the EU’s Exposure to Human Rights Violations and Illegal Deforestation in Pará, Brazil » (« Un processus terni : JBS et l’exposition de l’UE aux violations des droits humains et à la déforestation illégale dans l’État du Pará, au Brésil ») détaille comment des éleveurs de bétail ont illégalement saisi des terres et détruit les moyens de subsistance des habitants légitimes de la petite colonie agricole de Terra Nossa et du territoire autochtone de Cachoeira Seca, portant atteinte à leurs droits au logement, à la terre et à la culture. L’analyse de sources officielles réalisée par Human Rights Watch montre que des ranchs illégaux de ces régions ont vendu du bétail à plusieurs fournisseurs directs de JBS.
« L’entreprise JBS ne dispose toujours pas d’un système de traçage de ses fournisseurs indirects de bétail, alors qu’elle s’était engagée à mettre un tel processus en place dès 2011 », a déclaré Luciana Téllez Chávez, chercheuse senior à la division Environnement et droits humains de Human Rights Watch. « Sans ce système, l’entreprise ne peut pas tenir ses engagements visant à éliminer la déforestation de sa chaîne d’approvisionnement d’ici la fin de l’année 2025. »
Click to expand Image Cleve Gonçalves da Silva, membre d’une communauté autochtone vivant sur le territoire agricole PDS Terra Nossa dans l’État de Pará, en Amazonie brésilienne, y conduisait sa moto le 11 novembre 2024. Des éleveurs de bétail ont illégalement saisi des terres dans cette zone, déboisé des parties de la forêt tropicale afin d’y établir des ranchs, et menacé les habitants qui protestaient contre ces actions. © 2024 Thaís Farias pour Human Rights WatchEn s’appuyant sur l’analyse des permis de transport de bétail délivrés par le gouvernement régional de l’État du Pará, Human Rights Watch a identifié cinq cas dans lesquels des ranchs illégalement établis dans les territoires de Terra Nossa et de Cachoeira Seca ont fourni du bétail à d’autres ranchs situés en dehors de ces zones en principe protégées ; ces autres ranchs ont ensuite vendu le bétail à des abattoirs de JBS. Les ranchs d’élevage bovin dans les deux territoires sur lesquels Human Rights Watch a enquêté sont illégaux, au regard de la loi fédérale brésilienne.
En 2006, l’agence brésilienne chargée de la réforme agraire (Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária, INCRA), a créé la colonie rurale Terra Nossa pour des petits agriculteurs. Ce projet était conçu pour permettre à des familles d’y cultiver la terre, récolter les fruits et les noix de la forêt tropicale – qui représentait initialement 80 % des 150 000 hectares de la colonie – et vendre leurs produits sur les marchés locaux.
Des éleveurs ont toutefois empiété illégalement sur Terra Nossa. Ils ont violemment riposté contre les personnes qui s’opposaient à eux. En 2023, 45,3 % de ce territoire avait été converti en pâturages.
À partir de 2016, l’agence chargée de la réforme agraire a inspecté la colonie Terra Nossa et a finalement constaté que 78,5 % de celle-ci était illégalement occupée. Pendant des années pourtant, elle n’a pris aucune mesure pour expulser les éleveurs illégaux. L’agence examine actuellement un plan qui consisterait à diviser ce territoire et à réviser son statut, ce qui aurait toutefois probablement pour effet de maintenir l’impunité des auteurs de crimes environnementaux.
À Cachoeira Seca, le peuple autochtone Arara dépend de la forêt tropicale qui couvre une partie de son territoire de 733 000 hectares. Le gouvernement fédéral est légalement tenu d’expulser les occupants non autochtones. Mais au lieu de cela, des éleveurs se sont installés pour y exploiter d’autres ranchs illégaux, ce qui réduit la quantité de gibier et de produits forestiers disponibles, restreint la liberté de mouvement des peuples autochtones sur leur propre territoire et porte atteinte à leurs droits culturels. Parmi les territoires autochtones de l’Amazonie brésilienne, Cachoeira Seca a enregistré en 2024 la plus grande superficie déboisée.
Déforestation dans l'État de Pará, au Brésil
2000: © 2025 Human Rights Watch 2024: © 2025 Human Rights Watch
Carte montrant le déboisement progressif (via le curseur rouge) de la forêt amazonienne dans l'État de Pará, au Brésil, entre 2000 et 2024.
L’entreprise JBS ne procède pas à un traçage systématique de ses fournisseurs indirects, et n’est donc pas en mesure de garantir que sa chaîne d’approvisionnement n’inclut pas du bétail lié à des pratiques illégales, a déclaré Human Rights Watch. Le Brésil ne dispose pas au niveau fédéral d’une règlementation obligeant le traçage individuel des bovins transportés d’un ranch à l’autre.
Dans ses échanges de courrier avec Human Rights Watch, l’entreprise JBS a soutenu qu’elle vérifiait que les exploitations agricoles de ses fournisseurs directs respectaient sa politique d’approvisionnement. L’entreprise a également déclaré qu’à compter du 1er janvier 2026, ses fournisseurs directs seraient tenus de divulguer des informations sur leurs fournisseurs sous-traitants.
Le gouvernement de l’État du Pará a annoncé qu’il mettrait en place un système de traçabilité individuelle du bétail d’ici 2026, et des responsables ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils cesseraient de manière générale de délivrer des permis pour le déplacement du bétail dans les forêts protégées. Le gouvernement fédéral a annoncé un plan visant à mettre en œuvre un système national de traçabilité individuelle du bétail d’ici 2032. Compte tenu de la dynamique transfrontalière du commerce illégal de bétail, la lenteur de la mise en œuvre du système fédéral risque toutefois d’entraver les progrès dans ce sens, a déclaré Human Rights Watch.
Les pays de l’UE devraient appliquer le Règlement sur les produits sans déforestation à compter de janvier 2026. Ce règlement interdira la mise sur le marché d européen de produits bovins provenant de terres déboisées après 2020, ou dont la production enfreindrait les lois nationales du pays d’origine. Les législateurs européens envisagent cependant de reporter d'un an l'application de ce règlement. Un tel report signifierait toutefois que des produits liés à des pratiques illégales continueraient d’affluer sur le marché européen, et remettrait en question l'engagement de l'UE à lutter contre son la déforestation à l’échelle mondiale, a observé Human Rights Watch.
Human Rights Watch a analysé des chiffres relatifs aux échanges commerciaux entre 2020 et 2025 et a constaté que l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Irlande, les Pays-Bas, et la Suède importaient du bœuf provenant des municipalités qui accueillent des installations de JBS identifiées dans le rapport de l’organisation ; l’Italie était une destination majeure pour les produits en cuir.
Le gouvernement brésilien devrait démanteler les ranchs illégaux, et exiger que les responsables de l’occupation et de l’utilisation illégales des terres versent des réparations aux communautés touchées. Le gouvernement fédéral devrait également accélérer la mise en œuvre et l’application effective d’un système de traçabilité du bétail.
L’entreprise JBS devrait prendre des mesures pour remédier à toute fraude foncière, déforestation illégale ou violation des droits humains à laquelle elle aurait pu contribuer, même involontairement, à Terra Nossa et Cachoeira Seca.
« La lutte contre la déforestation et les abus liés aux chaînes d’approvisionnement en bétail est une responsabilité qui incombe aux vendeurs ainsi qu’aux acheteurs », a conclu Luciana Téllez Chávez. « Le Brésil et l’UE devraient travailler ensemble pour protéger la forêt tropicale, et défendre les droits des communautés qui en dépendent. »
...............
13.10.2025 à 07:00
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Le 9 octobre, le gouvernement libanais a chargé le ministère de la Justice d'examiner les mesures juridiques qui pourraient être prises à l’encontre d’Israël suite aux attaques menées par les forces de ce pays contre des journalistes lors du dernier conflit ; ceci présente une nouvelle occasion de rendre justice aux victimes, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Deux ans après l'attaque apparemment délibérée menée par les forces israéliennes le 13 octobre 2023 contre des journalistes dans le sud du Liban, lors de laquelle le journaliste de Reuters Issam Abdallah a été tué, les victimes de crimes de guerre au Liban n'ont toujours pas accès à la justice, ni à la possibilité de voir les auteurs de ces crimes tenus de rendre des comptes, selon Human Rights Watch. Le nouveau gouvernement libanais, nommé en février 2025, n'a toujours pas pris de mesures significatives pour faire progresser l’obligation de rendre des comptes.
« Le meurtre apparemment délibéré d'Issam Abdallah par Israël aurait dû servir de message clair au gouvernement libanais : l'impunité pour les crimes de guerre engendre davantage de crimes de guerre », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch. « Toutefois, depuis le meurtre d'Issam Abdallah, des dizaines d'autres civils ont été tués au Liban lors d'attaques apparemment délibérées ou indiscriminées ayant violé les lois de la guerre et constitué des crimes de guerre. »
Depuis l’attaque du 13 octobre 2023 au Liban, selon Reporters sans frontières, les forces israéliennes ont tué plus de 200 journalistes à Gaza, dont beaucoup délibérément. Récemment, les forces israéliennes ont également mené une frappe contre un centre médiatique à Sanaa, au Yémen tuant 31 journalistes et professionnels des médias, selon le Comité pour la protection des journalistes.
Au Liban, Human Rights Watch a documenté une série d'attaques illégales et de crimes de guerre apparents commis par l'armée israélienne pendant les hostilités, y compris d'autres attaques apparemment délibérées contre des journalistes, ainsi que contre des Casques bleus de l’ONU, des secouristes et des structures civiles. La démolition délibérée par Israël de maisons civiles, la destruction de vastes portions d'infrastructures civiles et de services publics essentiels, ainsi que son utilisation d'armes explosives dans des zones peuplées ont empêché de nombreux habitants de retourner dans leurs villages et leurs maisons.
Human Rights Watch a également documenté l'utilisation généralisée par l'armée israélienne de phosphore blanc, y compris de manière illégale au-dessus de zones résidentielles densément peuplées, la destruction et le pillage d'écoles de manière apparemment délibérée, et l'utilisation illégale de dispositifs piégés. Human Rights Watch a également constaté que le Hezbollah n'avait pas pris les précautions nécessaires pour protéger les civils lors de ses attaques contre le nord d'Israël entre septembre et novembre 2024, lançant des armes explosives dans des zones peuplées et omettant d'avertir efficacement les civils des attaques.
Play VideoHuman Rights Watch a constaté que les frappes israéliennes qui ont tué Issam Abdallah et blessé six autres journalistes d'Al-Jazeera, de Reuters et de l'AFP constituaient apparemment une attaque délibérée contre des civils et donc un crime de guerre. Une enquête menée par la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) a conclu qu'un char israélien avait tiré deux obus de 120 mm sur ce groupe de « journalistes clairement identifiables », dont Issam Abdallah, en violation du droit international. Les enquêteurs ont déclaré que le personnel de la FINUL n'avait enregistré aucun échange de tirs à la frontière entre Israël et le Liban pendant plus de 40 minutes avant que le char israélien Merkava n'ouvre le feu.
Les journalistes se trouvaient loin des hostilités en cours, étaient clairement identifiables comme membres des médias et étaient restés immobiles pendant au m oins 75 minutes avant d'être touchés par deux frappes consécutives. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de la présence d'une cible militaire à proximité de l'endroit où se trouvaient les journalistes. Les preuves examinées par Human Rights Watch indiquent en outre que l'armée israélienne savait ou aurait dû savoir que le groupe de personnes sur lequel elle tirait était composé de civils.
En janvier et février 2025, l'armée israélienne s'est retirée de la plupart des villages et villes frontaliers du sud du Liban qu'elle occupait depuis fin 2024, mais ses forces sont restées stationnées sur le territoire libanais dans au moins cinq endroits. La Banque mondiale a évalué le « coût économique » des hostilités au Liban a près de 14 milliards de dollars US, dont 6,8 milliards de dollars de dommages matériels. Plusieurs villes et villages frontaliers ont été réduits en ruines et, en mai 2025, plus de 80 000 personnes étaient déplacées a l’intérieur du pays.
Le Liban n'a pas encore pleinement intégré les crimes internationaux ou les violations du droit de la guerre dans son cadre juridique national. Le 10 octobre, suite à sa visite au Liban, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Morris Tidball-Binz, a appelé les autorités libanaises à « signaler et, le cas échéant, poursuivre les comportements pouvant constituer des crimes internationaux, conformément aux obligations du Liban en vertu du droit international des droits humains et, le cas échéant, du droit international humanitaire ».
Bien qu'un cessez-le-feu soit entré en vigueur entre Israël et le Hezbollah le 27 novembre 2024, au moins 103 civils ont été tués au Liban au cours des dix mois qui ont suivi l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.
En mars 2024, le gouvernement libanais de l'époque avait annoncé sa décision d'accorder à la Cour pénale internationale (CPI) la compétence pour juger les crimes commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023 ; toutefois, le gouvernement est revenu sur cette décision, un peu plus d'un mois plus tard. Les autorités judiciaires libanaises devraient ouvrir des enquêtes nationales sur les attaques illégales ; le gouvernement devrait aussi adhérer au Statut de Rome de la CPI et soumettre une déclaration acceptant la compétence de la Cour avant la date d'adhésion, y compris depuis au moins le 7 octobre 2023, selon Human Rights Watch.
« Le gouvernement libanais peut et doit honorer les demandes de justice des victimes en permettant l'ouverture d'enquêtes sur les attaques illégales et les crimes de guerre qui ont causé des dommages et des souffrances indicibles », a conclu Ramzi Kaiss.
………………..
Articles
OLJ
10.10.2025 à 21:17
Human Rights Watch
(New York, 10 octobre 2025) – Microsoft devrait suspendre les contrats commerciaux qui contribuent à de graves violations des droits humains et à des crimes internationaux commis par l'armée israélienne et d'autres organismes gouvernementaux de ce pays, ont conjointement déclaré Human Rights Watch, Amnesty International, Access Now et trois autres organisations de défense des droits humains dans une lettre précédemment envoyée en privé à Microsoft et rendue publique aujourd'hui.
Début août 2025, une enquête menée conjointement par The Guardian et deux autres autres médias, +972 Magazine et Sikha Mekomit (Local Call), a révélé que l’agence israélienne de renseignement militaire « Unité 8200 » (« Unit 8200 ») utilisait les services cloud Azure de Microsoft pour stocker et traiter de nombreuses interceptions quotidiennes de communications téléphoniques de Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie. Le 25 septembre, Microsoft a annoncé avoir suspendu et désactivé certains abonnements et services précédemment fournis à l’armée israélienne, notamment en matière de technologies de stockage cloud et d'intelligence artificielle (IA), à la suite de son examen des allégations contenues dans l’article du Guardian.
« Microsoft a fait un premier pas important en restreignant la capacité d’une unité de l'armée israélienne à utiliser certaines technologies dans le cadre de sa répression contre les Palestiniens », a déclaré Deborah Brown, directrice adjointe du programme Technologies et droits humains à Human Rights Watch. « Microsoft devrait aussi revoir de manière exhaustive ses relations commerciales avec les autorités israéliennes, et prendre d’autres mesures afin de s'assurer que son infrastructure cloud, sa technologie d'IA, ses logiciels et matériels informatiques, ainsi que ses autres outils et services ne contribuent pas à l'extermination des Palestiniens et à d'autres violations graves commises par Israël. »
Microsoft a fait part de son intention de répondre à la lettre conjointe des six organisations vers la fin du mois d'octobre, après avoir achevé une enquête interne devant aboutir à ses propres recommandations.
Microsoft aurait de nombreuses raisons de renforcer sa diligence raisonnable (« due diligence ») en matière de droits humains dans le cadre de ses activités commerciales avec les autorités israéliennes, compte tenu de la longue durée de l'occupation et de la répression des Palestiniens par Israël ; cela fait plusieurs années que des rapports publiés par des organisations de défense des droits humains, les Nations Unies et des médias évoquent le risque que les entreprises technologiques contribuent aux violations, a observé Human Rights Watch.
Ainsi que l’ont montré de précédentes recherches menées par Human Rights Watch, l'utilisation par les forces israéliennes de systèmes basés sur les données et de technologies d'intelligence artificielle, notamment à des fins de surveillance et pour orienter les décisions militaires à Gaza, soulève de graves préoccupations au regard du droit de la guerre ; ces inquiétudes concernent en particulier le principe de distinction entre les cibles militaires et les civils, et la nécessité de prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils.
Human Rights Watch et cinq organisations partenaires ont transmis leur courrier à Microsoft le 26 septembre. Les six organisations ont indiqué que la décision de Microsoft de désactiver certains abonnements et services précédemment fournis à l’armée israélienne, en réponse à l'article du Guardian, était une mesure positive. Les organisations ont demandé à Microsoft d’aller plus loin en réexaminant tous ses contrats avec l'armée israélienne et d'autres autorités gouvernementales, afin de suspendre tout autre service ou la vente de produits susceptibles de contribuer à des violations des droits humains par ces entités, et, le cas échéant, à mettre fin aux relations commerciales dans de tels contextes.
Human Rights Watch a constaté que les autorités israéliennes ont commis ces dernières années des actes de nettoyage ethnique, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, notamment l'extermination, l'apartheid et la persécution, ainsi que des actes de génocide contre les Palestiniens, et ont bafoué des ordonnances contraignantes émises par la Cour internationale de justice (CIJ).
L'enquête menée par The Guardian et les deux autres médias a révélé que le système de surveillance de masse israélien, s’appuyant sur la technologie d’Azure, contient des millions d'enregistrements d'appels téléphoniques mobiles. Selon des sources anonymes au sein de l'Unité 8200, les autorités israéliennes ont utilisé ces données pour rechercher et identifier des cibles à bombarder à Gaza, en plus des outils basés sur l'intelligence artificielle utilisés pour ce ciblage. Les autorités israéliennes auraient également utilisé ces informations en Cisjordanie occupée pour « faire chanter des personnes, les placer en détention, voire justifier leur meurtre a posteriori ». Microsoft a indiqué que sa propre enquête, toujours en cours, a permis de recueillir « des éléments de preuve qui corroborent certains éléments de l’article du Guardian ».
La surveillance étendue et omniprésente de l'ensemble de la population palestinienne par Israël est bien documentée et a joué un rôle déterminant dans les crimes contre l'humanité d'apartheid et de persécution commis à l'encontre des Palestiniens. Les autorités israéliennes ont utilisé la surveillance de masse et l'extraction coercitive des données personnelles des Palestiniens pour permettre, faciliter et même accélérer la commission d'autres crimes internationaux, notamment des actes de génocide, des crimes contre l'humanité, y compris l'extermination, et des crimes de guerre, dont des frappes aériennes menées en violation des lois de la guerre.
Les attaques israéliennes contre Gaza ont entraîné la mort de plus de 67 000 Palestiniens, dont au moins 20 000 enfants, et détruit la majorité des écoles, hôpitaux, maisons et infrastructures civiles de ce territoire.
En vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, que Microsoft approuve publiquement, les entreprises ont la responsabilité d'éviter de causer ou de contribuer à des violations des droits humains et de « prévenir les risques liés aux droits […] que présentent leurs activités et relations commerciales ». Dans les contextes de conflit, le risque de violations graves des droits humains est accru et, par conséquent, la « diligence raisonnable » des entreprises devrait être renforcée à cet égard.
À ce jour, Microsoft n'a pas révélé publiquement si l’entreprise a exercé une « diligence raisonnable » accrue en matière de droits à Gaza ou en Cisjordanie, ou cherché à mettre fin à tout lien éventuel avec des violations. Avant sa déclaration du 25 septembre, Microsoft n'avait fait aucun commentaire public sur sa décision de limiter ses relations commerciales avec les autorités israéliennes, compte tenu du risque d’implication dans des violations des droits humains. En mai 2025, une précédente étude commandée par Microsoft sur l'utilisation de ses produits par l'armée israélienne avait alors conclu qu'il n'y avait « à ce jour aucune preuve que les technologies Azure et IA de Microsoft aient été utilisées pour cibler ou nuire à des personnes dans le conflit à Gaza ».
Dans leur lettre conjointe, les six organisations ont soulevé des questions concernant la portée de l’actuelle étude menée par Microsoft, et l'application de ses propres politiques relatives à l'utilisation responsable des outils d’IA, dans le contexte du conflit qui était alors toujours en cours à Gaza.
« Il n'y a pas de temps à perdre : Microsoft devrait prendre des mesures décisives pour s'assurer que l’entreprise ne tire pas profit des graves violations des droits humains commises à l'encontre des Palestiniens », a conclu Deborah Brown.
………..
10.10.2025 à 21:15
Human Rights Watch
Le 6 octobre, les autorités burkinabè ont libéré Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, deux membres du groupe OR de l’organisation de la société civile Balai Citoyen, qui avaient été enrôlés illégalement dans l’armée après avoir critiqué la junte militaire.
Leur libération est une évolution encourageante, non pas sans précédent, dans un pays où le gouvernement viole de plus en plus les droits humains depuis le coup d'État militaire de 2022. Mais elle rappelle également que d'autres détracteurs sont toujours en détention et que peu de choses empêche les autorités de continuer à abuser du décret de « mobilisation générale », une loi d'urgence extrêmement restrictive.
Ce décret, promulgué en avril 2023 dans le cadre d'un plan plus large de lutte contre les groupes armés islamistes, confère au président des pouvoirs étendus pour combattre l'insurrection, notamment en enrôlant des civils sans procédure régulière. La junte a utilisé cette loi pour réprimer l'opposition politique, les médias et les voix dissidentes, et pour enrôler illégalement des détracteurs, des journalistes, des activistes de la société civile, des procureurs et des juges.
En novembre 2023, les forces de sécurité burkinabè ont notifié Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, parmi une douzaine d'autres journalistes, activistes et membres de partis d'opposition, qu'ils allaient être enrôlés dans l’armée. En décembre 2023, un tribunal de Ouagadougou, la capitale, a jugé que les ordres concernant Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo étaient illégaux et a ordonné aux autorités de suspendre ces ordres.
Les autorités ont néanmoins détenu arbitrairement les deux activistes en février 2024. Balai Citoyen a déposé une plainte auprès de la police, mais aucune suite n'a été donnée. En juin et juillet 2024, Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo sont apparus dans deux vidéos diffusées à la télévision nationale, vêtus d'uniformes militaires, tenant des fusils d'assaut Kalachnikov et faisant l'éloge de l'armée.
Les gouvernements ont le droit de recruter des civils adultes pour la défense nationale, mais la conscription doit être effectuée de manière à informer les conscrits potentiels de la durée du service militaire, et à leur donner la possibilité de contester leur obligation de l’effectuer.
D'autres militants restent détenus sur la base d'accusations fabriquées de toutes pièces, notamment Guy Hervé Kam, éminent avocat et membre fondateur de Balai Citoyen. D'autres sont toujours portés disparus, comme le journaliste d'investigation Serge Oulon.
Les autorités burkinabè devraient libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues arbitrairement, et cesser d'utiliser la conscription pour réprimer les journalistes et les détracteurs de la junte.
10.10.2025 à 18:31
Human Rights Watch
(Jérusalem) – Le gouvernement israélien et le Hamas se sont mis d’accord, le 9 octobre, sur la première phase du « Plan global pour mettre fin au conflit à Gaza » du gouvernement américain. Ce plan prévoit un cessez-le-feu, la libération des otages israéliens et d’autres à Gaza ainsi que des Palestiniens détenus en Israël, une augmentation de l’acheminement de l'aide humanitaire à Gaza et le retrait progressif de l'armée israélienne de certaines zones de Gaza.
Balkees Jarrah, directrice par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, a fait à ce sujet la déclaration suivante :
L'annonce du cessez-le-feu du 9 octobre offre la perspective d'un répit dont ont désespérément besoin les civils palestiniens de Gaza qui depuis deux ans subissent des meurtres illégaux, la famine, les déplacements forcés et la destruction de leurs biens, ainsi que les otages israéliens et les détenus palestiniens et leurs familles.
Cependant, les Palestiniens de Gaza continueront de souffrir et de mourir tant qu’Israël maintiendra son blocus illégal de la bande de Gaza, notamment en restreignant l’accès des Nations Unies et d’autres organisations humanitaires chargées d’acheminer l’aide à grande échelle dont la population a désespérément besoin. Il est également essentiel qu’Israël assure le rétablissement immédiat des services de base tels que l’électricité, l’eau et les soins de santé, faute de quoi les Palestiniens continueront de mourir de malnutrition, de déshydratation et de maladies.
Ce n’est pas le moment de relâcher les efforts. Les gouvernements ne devraient pas attendre l’entrée en vigueur du plan américain pour prendre des mesures urgentes visant à prévenir de nouvelles violations des droits fondamentaux des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie, notamment en imposant un embargo sur les armes au gouvernement israélien et des sanctions ciblées contre les responsables israéliens impliqués de manière crédible dans les abus en cours.
Les gouvernements devraient également réclamer justice pour les atrocités commises en toute impunité au cours des deux dernières années, notamment les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés par le Hamas le 7 octobre et les jours suivants, ainsi que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide commis par les autorités israéliennes à Gaza. De plus, ils devraient soutenir la Cour pénale internationale et s’attaquer aux causes profondes, notamment les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution commis par Israël à l’encontre des Palestiniens.
......................
09.10.2025 à 06:00
Human Rights Watch
UPDATE : Le 13 octobre, Dilnur Reyhan a été condamné pour « dégradation de biens publics » à une amende de 150 €, à verser 1 € de dommages et intérêts et à rembourser les frais de justice.
Le 13 octobre, le tribunal d’Evry, en région parisienne, jugera Dilnur Reyhan, éminente universitaire et militante française ouïghoure, présidente de l'Institut ouïghour d'Europe, pour « dégradation de biens appartenant à autrui ».
Trois employés de l'ambassade de Chine à Paris ont porté plainte contre Dilnur Reyhan pour avoir participé à un acte de protestation contre le gouvernement chinois lors de la Fête de l’Humanité, en septembre 2022. Au cours du festival, elle aurait jeté de la peinture rouge sur un kakémono de l'ambassade, ce qui, selon l'un des plaignants, lui aurait coûté 25 euros pour le nettoyage de ses chaussures.
Le gouvernement chinois a affirmé que Dilnur Reyhan avait causé des « dommages matériels » et qu'il s'agissait d'une « attaque raciste », un chef d’accusation qui a ensuite été abandonné. Dilnur Reyhan protestait publiquement contre les crimes commis par le gouvernement chinois à l'encontre des Ouïghours dans le nord-ouest de la Chine, notamment des détentions et emprisonnements arbitraires de masse, des actes de torture, des disparitions forcées, une surveillance de masse, des persécutions culturelles et religieuses, la séparation des familles et le travail forcé. Human Rights Watch et d'autres organisations ont conclu que certains de ces actes constituaient des crimes contre l'humanité.
« Pour l'ambassade de Chine, l'objectif n'est pas de gagner ou de perdre le procès, mais de m'imposer un coût psychologique et financier [afin de] faire taire [mes] critiques », a déclaré Dilnur Reyhan lors d'une audience en mars. « Je ne devrais pas être poursuivie par les tribunaux français, mais plutôt protégée contre les tentatives de la Chine de me faire taire. »
Le procureur avait initialement rejeté la plainte du gouvernement chinois en 2023. Mais il l'a rouverte en appel peu avant la visite officielle du président chinois Xi Jinping en France en mai 2024 et les manifestations de centaines d'Ouïghours, de Tibétains et d'autres personnes. Une audience prévue en mars 2025 a été reportée au mois d'octobre, les représentants de l'ambassade chinoise et ses employés ne s’étant pas présentés.
Ces dernières années, le gouvernement chinois a intensifié son harcèlement à l'encontre de ses détracteurs à l'étranger et des membres de la diaspora, des abus commis au-delà des frontières chinoises appelés « répression transnationale ». Par exemple, en juillet, les autorités chinoises ont arrêté une étudiante chinoise, Tara Zhang Yadi, pour le crime grave d'« incitation au séparatisme », simplement parce qu'elle défendait les droits des Tibétains pendant ses études à Paris.
Toute personne en France devrait pouvoir manifester pacifiquement contre la Chine et d'autres gouvernements abusifs sans craindre d'être poursuivie pour cela. Les autorités françaises devraient abandonner les poursuites contre Dilnur Reyhan et plutôt se concentrer sur les violations des droits humains de la Chine.
08.10.2025 à 21:55
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Un tribunal tunisien a condamné un homme à mort la semaine dernière pour des publications pacifiques sur Facebook, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Cet homme a bénéficié d’une grâce présidentielle quelques jours plus tard, mais il s’agit-là d’un verdict sans précédent pour l’expression non violente d’opinions en Tunisie. Les autorités tunisiennes devraient cesser d’arrêter et de poursuivre en justice des personnes qui ne font que faire valoir leur droit à la liberté d’expression.
Selon sa famille, Saber Ben Chouchane, 51 ans, a été arrêté le 22 janvier 2024, alors qu’il se rendait à un rendez-vous médical. Le 1er octobre 2025, le Tribunal de première instance de Nabeul l’a condamné à mort à cause de ses publications sur Facebook. Ben Chouchane a été remis en liberté le 7 octobre, à la suite d’une grâce présidentielle accordée après que sa condamnation ait suscité l'indignation publique en Tunisie.
« La répression de la liberté d’expression par les autorités tunisiennes a atteint un niveau sans précédent avec cette condamnation à mort d’un citoyen ayant exprimé son mécontentement sur les réseaux sociaux », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Même suivi d’une grâce présidentielle, ce verdict choquant transmet un message glaçant à tous les Tunisiens selon lequel aucune critique ne sera tolérée de la part de qui que ce soit, sous quelque forme que ce soit. »
Saber Ben Chouchane est père de trois enfants et vit dans le gouvernorat de Nabeul. Il a été maintenu en détention préventive dans l’attente d’un procès pendant une période supérieure aux 14 mois maximum autorisés par la loi tunisienne. Selon sa famille, il s’est vu priver de soins médicaux pendant sa détention, bien que souffrant d’une blessure antérieure à son arrestation qui nécessitait un suivi médical.
Saber Ben Chouchane a été déclaré coupable aux termes de l’article 72 du Code pénal, qui prévoit la peine de mort pour « tentative de changer la forme du gouvernement. » Il a également été reconnu coupable en vertu de l’article 67 pour avoir « offensé le chef de l’État », ainsi que de l'article 24 du Décret-loi 54 sur la cybercriminalité pour avoir « diffusé de fausses nouvelles », ont déclaré à Human Rights Watch ses avocats, Leila Haddad et Oussama Bouthelja. La chambre criminelle du tribunal de Nabeul, composée de cinq juges, a opté pour la sentence la plus sévère possible.
C’est la premier cas connu de peine de mort prononcée pour des faits d’expression pacifique en Tunisie, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch a examiné les publications Facebook de Saber Ben Chouchane qui avaient été mises en ligne quelques jours avant son arrestation et a déterminé qu’elles constituent des formes d’expression pacifique, protégées par le droit international en matière de droits humains. Sur l’un d’eux, Ben Chouchane apparaît sur une photo prise lors d’une manifestation à Tunis, avec une pancarte appelant à la libération des prisonniers politiques. Il avait précédemment republié des messages appelant les Tunisiens à descendre dans la rue pour s’opposer à la « confiscation de la révolution », ainsi qu’un appel à une manifestation pour exiger la remise en liberté des prisonniers politiques à la date anniversaire de la révolution tunisienne de 2011.
À la suite du coup de force du président Kais Saied en juillet 2021, les autorités ont fortement accru leur répression de la dissidence. Elles ont restreint de plus en plus la liberté d’expression en poursuivant en justice et en emprisonnant de nombreuses personnes, notamment des utilisateurs de réseaux sociaux, des journalistes, des activistes et des avocats, pour leurs déclarations dans les médias ou en ligne.
Les autorités tunisiennes ont eu systématiquement recours aux détentions arbitraires pour les infractions relatives à la liberté d’expression, et ont en fait la pierre angulaire de leur politique répressive. Elles ont fait usage de chefs d’inculpation sans fondement relatifs à la sûreté de l’État et au terrorisme, y compris certains qui sont passibles de la peine de mort, pour cibler les opposants politiques et activistes, museler les personnes jugées critiques et priver les Tunisiens de leurs droits civils et politiques. Depuis 2022, Saied et son gouvernement ont aussi systématiquement sapé l’indépendance du système judiciaire, l’instrumentalisant pour emprisonner ou réduire au silence les critiques et opposants les plus en vue du président.
Au moins une douzaine de dissidents ont été jugés cette année sur la base d’accusations qui auraient pu leur valoir la peine de mort, et ont été condamnés à de lourdes peines de prison.
Bien que la Tunisie ait observé de facto un moratoire sur les exécutions depuis 1991, les tribunaux continuent de prononcer des peines capitales. Selon Amnesty International, les tribunaux tunisiens ont imposé plus de 12 peines de mort en 2024, portant le nombre total des personnes en Tunisie qui sont notoirement sous le coup d’une condamnation à mort à 148 à la fin de cette année-là.
Human Rights Watch s’oppose par principe à la peine de mort dans tous les pays et en toutes circonstances, car cette forme de punition est inhumaine, unique par sa cruauté et son caractère irréversible, et universellement entachée d’arbitraire, de préjugés et d’erreurs.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) des Nations Unies et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantissent les droits aux libertés d’expression et de réunion, à un procès équitable et à être à l’abri de toute arrestation ou détention arbitraire.
« Une telle sentence totalement injustifiable est une réponse scandaleuse aux critiques pacifiques exprimées en ligne et ne sert qu’à discréditer davantage le système judiciaire tunisien », a conclu Bassam Khawaja. « Le fait que Saber Ben Chouchane ait reçu une grâce présidentielle presque immédiate démontre bien la nature extrême de la sentence, le degré de déconnexion des réalités auquel est parvenu le système judiciaire et combien ce verdict était embarrassant pour la Tunisie. »
08.10.2025 à 18:36
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Les humoristes ayant participé au Festival d’humour de Riyad (« Riyadh Comedy Festival 2025 »), en Arabie saoudite, n'ont pas saisi cette occasion pour appeler les autorités saoudiennes à libérer les dissidents, journalistes et défenseurs des droits humains injustement détenus, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le site web du festival, qui a débuté le 26 septembre et s’achèvera le 9 octobre, souligne la participation de « plus de 50 légendes mondiales du stand-up ».
Peu avant l’ouverture du festival, Human Rights Watch avait appelé les humoristes y participant à demander la libération de Waleed Abu al-Khair, défenseur des droits humains emprisonné, et de Manahel al-Otaibi, professeure de fitness et militante des droits des femmes qui est également en prison. Aucun humoriste ne semble l'avoir fait publiquement.
« Human Rights Watch n'avait pas appelé les humoristes à boycotter le Festival de l'humour de Riyad, mais leur avait simplement demandé d'exprimer leur soutien à la liberté d'expression en appelant à la libération d’activistes saoudiens injustement emprisonnés », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l'Arabie saoudite à Human Rights Watch. « Aziz Ansari et d'autres humoristes ont généreusement proposé de reverser une partie de leurs cachets à des organisations de défense des droits humains comme Human Rights Watch ; nous ne pouvons pas accepter ces fonds, mais il n'est pas trop tard pour eux d'appeler à la libération des activistes saoudiens détenus. »
Le 6 octobre, en tant qu’invité de l'émission Jimmy Kimmel Live, Aziz Ansari a affirmé qu’il partageait les « préoccupations » soulevées par diverses personnes (à 9:01 de la vidéo) et a exprimé son intention de reverser une partie de son cachet à des organisations qui défendent « des causes qui soutiennent la liberté de la presse et les droits humains », citant Reporters sans frontières et Human Rights Watch. De même, l’humoriste Jessica Kirson, qui a également participé au festival de Riyad, a déclaré qu'elle reverserait l'intégralité de ses cachets à une organisation de défense des droits humains.
Le Festival de l'humour de Riyad s'inscrit dans la stratégie du gouvernement saoudien visant à blanchir son bilan déplorable en matière de droits humains, et les humoristes y participant avaient une certaine responsabilité d'éviter de redorer le blason du gouvernement. Le 19 septembre, Human Rights Watch avait écrit aux agents et manageurs de plusieurs humoristes ayant annoncé leur participation au festival, afin de proposer une réunion au sujet de la crise des droits humains en Arabie saoudite, mais n’avait toutefois reçu aucune réponse.
L’humoriste Louis C.K. a déclaré que les autorités saoudiennes lui avaient indiqué au préalable qu'il n'y avait que deux restrictions sur ce dont il pourrait parler sur scène : « leur religion et leur gouvernement ». Il a ajouté : « Je n'ai pas de blagues sur ces deux sujets. ».
Le 27 septembre, l’humoriste Atsuko Okatsuka a publié des captures d'écran montrant des extraits du contrat proposé pour se produire au festival, ajoutant qu’elle avait décliné cette proposition. D'après les captures d'écran, il était interdit aux artistes d’exprimer « tout contenu considéré comme dégradant, diffamatoire ou susceptible de jeter le discrédit » sur le Royaume d'Arabie saoudite, notamment par le biais de propos « méprisants, scandaleux, embarrassants ou prêtant au ridicule ». Les contenus concernant la famille royale saoudienne ou toute religion étaient également interdits.
Les artistes qui envisagent de se produire en Arabie saoudite devraient refuser toute clause contractuelle explicite ou implicite restreignant leur capacité à s'exprimer en public ou en privé au sujet d’abus, allant au-delà des exigences habituelles en matière de confidentialité, a déclaré Human Rights Watch.
« Il est plus facile de parler ici [en Arabie saoudite] qu'aux États-Unis », a déclaré Dave Chappelle lors de son spectacle à Riyad, le 27 septembre. Il n’a fait aucun commentaire public sur les violations des droits humains commises en Arabie saoudite.
L'humoriste Jessica Kirson a exprimé ses regrets quant à sa participation au festival de Riyad. « Cette décision pèse lourdement sur mon cœur depuis lors. Je tiens à exprimer mes sincères regrets de m’être produite sur scène, sous [la supervision d’]un gouvernement qui continue de violer les droits humains fondamentaux », a-t-elle affirmé. Elle a ajouté : « J'espérais que cela aiderait les personnes LGBTQ+ en Arabie saoudite à se sentir reconnues et valorisées. Je suis reconnaissante d'avoir pu faire cela. À ma connaissance, je suis la première humoriste ouvertement gay à en parler sur scène en Arabie saoudite. »
La création d'une industrie du divertissement par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a été menée parallèlement à certaines avancées à l’égard des droits des femmes et des jeunes. Bien que ces changements soient importants et de grande envergure, ils ont également contribué à masquer les graves restrictions des droits civils et politiques depuis que « MBS » est devenu prince héritier en 2017, a déclaré Human Rights Watch. Alors même que certains médias internationaux saluaient l'émergence de cette industrie des loisirs, les autorités saoudiennes procédaient simultanément à des vagues d'arrestations arbitraires de dissidents, d’activistes, d'intellectuels et même de membres de la famille royale.
Le festival de Riyad s'est déroulé partiellement lors du septième anniversaire du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, commis le 2 octobre 2018 au consulat saoudien d'Istanbul et commandité par l'État saoudien, et quelques mois après l'exécution par les autorités saoudiennes de Turki al-Jasser, éminent écrivain et journaliste saoudien, pour divers « crimes terroristes » le 14 juin. Le gouvernement a divulgué peu de détails sur la détention, le procès et l'exécution d'al-Jasser, et il semble qu'il ait été condamné à la peine capitale en raison de ses discours et commentaires pacifiques.
« Les humoristes qui se sont rendus à Riyad pourraient toujours appeler les autorités saoudiennes à libérer Manahel al-Otaibi et Waleed Abu al-Khair », a observé Joey Shea. « La pression publique exercée par ces célèbres artistes qui disent défendre la liberté d'expression pourrait contribuer à obtenir la remise en liberté de ces deux personnes. »
……...
06.10.2025 à 18:32
Human Rights Watch
(Genève) — Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté le 6 octobre une résolution historique créant un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les violations des droits passées et en cours en Afghanistan, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La résolution avise les talibans et tous les autres auteurs de crimes graves commis dans ce pays que des preuves de ces crimes sont recueillies et traitées, en vue de traduire les responsables en justice.
La résolution, soumise suite à une initiative de l’Union européenne, a été adoptée par consensus. Ce mécanisme devrait mettre l’accent sur les exactions commises par les talibans à l’encontre des femmes et des filles, qui constituent des actes de persécution fondée sur le sexe. Cet organe recueillera et préservera les preuves des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et d’autres violations graves des droits humains, identifiera leurs auteurs et préparera des dossiers qui pourront être utilisés pour étayer les poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux et internationaux. En outre, cette résolution proroge le mandat du rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme en Afghanistan, dont le suivi et les rapports, essentiels, complètent le travail du nouveau mécanisme.
« Les États membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont affirmé avec force leur détermination à faire en sorte que les auteurs des graves crimes internationaux commis en Afghanistan, aujourd’hui ou par le passé, soient un jour traduits en justice », a déclaré Fereshta Abbasi, chercheuse sur l’Afghanistan à Human Rights Watch « Il est essentiel que le nouveau mécanisme soit rapidement opérationnel afin qu’il puisse commencer à recueillir, préparer et préserver les preuves, et constituer des dossiers sur les auteurs de crimes internationaux en Afghanistan. »
La résolution constitue une réponse aux appels d’organisations afghanes et internationales de défense des droits humains à aborder le problème de l’impunité enracinée en Afghanistan. En août 2025, une coalition menée par HRD+, un réseau de défenseurs des droits humains afghan, avec le soutien de 108 organisations afghanes et internationales, a réémis un appel à instaurer le mécanisme d’enquête après quatre années de campagne. L’année précédente, des experts de l’ONU et des pays de diverses régions se sont joints à des groupes de la société civile pour exhorter l’UE à prendre cette mesure.
Le mécanisme d’enquête, conformément à son mandat et à la pratique de deux mécanismes similaires sur la Syrie et le Myanmar, devrait adopter une approche globale pour enquêter sur les crimes internationaux. Tous les individus responsables de l’application des édits et des politiques talibanes portant atteinte aux droits et violant le droit international, comme la loi sur la propagation de la vertu et la prévention du vice, feront l’objet d’une enquête, et les preuves seront recueillies, préservées et préparées en vue de poursuites futures.
Le mécanisme devrait permettre d’enquêter sur les actions des dirigeants talibans, des directeurs provinciaux, des gouverneurs et d’autres fonctionnaires responsables, par exemple, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des personnes en détention. Il visera également les fonctionnaires à l’origine des mesures privatives de droits pour les femmes et les filles, notamment en matière d’éducation, de soins de santé et de liberté de circulation, ce qui constitue une persécution fondée sur le sexe.
Le champ d’application du mécanisme d’enquête ne se limite pas aux abus commis par les talibans, mais couvre également ceux commis par des fonctionnaires de l’ancien gouvernement, des chefs de guerre, des membres des forces internationales, des groupes armés non étatiques et d’autres auteurs d’abus et de violations graves en Afghanistan.
« L’Union européenne a fait preuve d’un leadership de principe en proposant cette résolution en faveur d’un mécanisme d’enquête sur l’Afghanistan », a déclaré Fereshta Abbasi. « En adoptant cette résolution par consensus, les États membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont dénoncé avec force les doubles standards en matière de justice ou de hiérarchie des victimes, et ont démontré la détermination croissante de la communauté internationale à faire en sorte que les auteurs de crimes internationaux rendent compte de leurs actes. »
Le Secrétaire général des Nations Unies a été invité à rendre d’urgence le mécanisme d’enquête opérationnel, en faisant en sorte qu’il puisse commencer à travailler sur son mandat principal malgré la crise financière que traversent actuellement les Nations Unies. La création du mécanisme est particulièrement urgente en ce qui concerne les femmes et les filles, que le régime des talibans soumet à tant de restrictions chaque jour.
La Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de deux hauts responsables talibans accusés de persécution sexiste, un crime contre l’humanité. La résolution demande que le nouveau mécanisme coopère étroitement avec la CPI, notamment à la lumière des sanctions pesant sur les fonctionnaires des États-Unis, ainsi qu’avec les personnes cherchant à obtenir justice devant la Cour. Elle condamne en outre « les attaques et les menaces contre la Cour, les fonctionnaires élus, le personnel et ceux qui coopèrent avec la Cour ».
« Les membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont envoyé un message clair aux victimes, à leurs familles et à tous ceux qui luttent courageusement pour la justice en Afghanistan : leurs voix ont été entendues et leurs souffrances ne sont ni invisibles ni effaçables », a conclu Fereshta Abbasi. « Le Secrétaire général des Nations Unies devrait veiller à ce que le mécanisme d’enquête soit rapidement mis en place, et les États membres des Nations Unies devraient veiller à ce que des fonds soient mis à disposition pour que le mécanisme puisse commencer son travail ».
................
Articles
Le Monde J. de Montréal Mediapart/AFP OLJ
Zonebourse/Reuters