24.10.2025 à 18:55
Human Rights Watch
(La Haye) – Israël devrait respecter son obligation de coopérer avec les Nations Unies en garantissant l’acheminement sans entrave d'aide humanitaire essentielle aux Palestiniens dans les territoires palestiniens occupés (TPO), conformément à l’avis consultatif émis par la Cour internationale de justice (CIJ) le 22 octobre, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
La Cour a examiné l’allégation d'Israël selon laquelle l'Office de secours et de travaux des Nations Unies (United Nations Relief and Works Agency, UNRWA) ne serait pas un « organisme impartial », mais a conclu qu’« il n’existe aucune preuve » dans ce sens, et donc qu’en vertu de droit international, Israël doit « s’abstenir d’entraver » le travail « essentiel » de cette agence.
« La Cour internationale de justice a clairement indiqué qu'Israël doit mettre fin à sa campagne visant à démanteler l'UNRWA, et cesser d'utiliser la famine des civils comme arme de guerre », a déclaré Balkees Jarrah, directrice par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Tant qu'Israël n'aura pas levé son blocus illégal de Gaza et rétabli l'accès à l'électricité, à l’eau et aux soins de santé, des Palestiniens continueront de souffrir et de mourir. Les alliés d'Israël devraient faire pression sur le gouvernement pour qu'il autorise immédiatement l’UNRWA à acheminer l’aide humanitaire, sans entrave. »
L'avis consultatif de la CIJ fait suite à une requête urgente formulée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 2024, demandant à la Cour de clarifier les obligations d'Israël en ce qui concerne les activités de l'ONU, des États tiers et d'autres organisations internationales dans les territoires occupés. Cette demande a été soumise dans le contexte de la campagne menée par Israël pour démanteler l'UNRWA, et de la situation humanitaire désastreuse à Gaza due à l'utilisation par Israël de la famine comme arme de guerre, ce qui constitue un crime de guerre, et de la privation intentionnelle d'aide et de services de base. Human Rights Watch conclu que ces politiques israéliennes constituent le crime contre l'humanité d'extermination, et des actes de génocide.
Le 30 janvier, deux projets de loi approuvés par la Knesset – le parlement israélien – sont entrés en vigueur, mettant fin aux opérations de l'UNRWA dans les territoires occupés. Les autorités israéliennes ont bloqué la distribution de l'aide par l'UNRWA à Gaza, empêché son personnel international d'entrer à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et ordonné la fermeture d’écoles gérées par l'UNRWA à Jérusalem-Est.
Dans son avis, la CIJ confirme qu’Israël, en tant que puissance occupante et selon le droit international humanitaire, a l'obligation « inconditionnelle » de garantir la fourniture sans entrave de l'aide humanitaire, telle que la nourriture, les fournitures médicales et les vêtements, à la population civile de Gaza. L’avis précise que cette obligation s'applique aux « actions de secours assurées par l’Organisation des Nations Unies et ses entités, dont l’UNRWA ». La Cour a ajouté que selon son évaluation, le système de distribution d’aide géré par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), avec le soutien États-Unis « n’a pas amélioré la situation de manière significative ».
Les autorités israéliennes ont non seulement violé à plusieurs reprises leurs obligations en matière d'aide aux civils palestiniens, mais elles ont aussi permis aux forces israéliennes de tuer des centaines de Palestiniens qui cherchaient à obtenir de l'aide alimentaire sur les sites de la GHF ou à proximité ; ces actes ont constitué des crimes de guerre, selon Human Rights Watch.
Selon l’avis consultatif de la CIJ, le droit international exige qu’Israël « s’abstienne d’entraver l’exercice des fonctions de l’Organisation [des Nations Unies] et donne à celle-ci pleine assistance dans toute action qu’elle entreprend », notamment par l'intermédiaire de l'UNRWA. La Cour a aussi rappelé que les deux lois adoptées par la Knesset au sujet de cette agence « ont eu pour conséquence directe d’entraver les activités de l’UNRWA dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci ». La Cour a également jugé sans fondement les allégations d'Israël selon lesquelles l'UNRWA manque d'impartialité, et conclu qu’« Israël n’a pas prouvé … [qu’]une partie importante des employés de l’UNRWA sont membres du Hamas … ».
La Cour a en outre rappelé l’obligation d'Israël de coopérer avec les organisations humanitaires impartiales telles que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Malgré les nombreux rapports, y compris ceux de Human Rights Watch, faisant état d'abus subis par des détenus palestiniens, les autorités israéliennes ont refusé au CICR l'accès aux centres de détention depuis octobre 2023.
En limitant ou en bloquant l'aide destinée aux Palestiniens de Gaza, Israël continue d’enfreindre trois ordonnances contraignantes émises par la CIJ (en janvier, en mars et en mai 2024), dans le cadre de l’affaire portée par l'Afrique du Sud en vertu de la Convention des Nations Unies sur le génocide, a déclaré Human Rights Watch.
En juillet 2024, la CIJ avait émis un précédent avis consultatif concluant que l'occupation israélienne, qui dure depuis des décennies, est « illicite », et prive le peuple palestinien du droit à l'autodétermination. Dans cet avis, la Cour avait également estimé qu'Israël était responsable d'apartheid et d'autres violations graves à l'encontre des Palestiniens.
Les gouvernements d’autres pays devraient soutenir publiquement les conclusions de la CIJ, et veiller à ce que les obligations énoncées dans son avis consultatif soient respectées, a déclaré Human Rights Watch. Le Secrétaire général des Nations Unies et le Commissaire général de l'UNRWA ont exprimé leur appréciation de cet avis consultatif.
« Les souffrances de millions de Palestiniens ne seront pas allégées si le cessez-le-feu n'est pas suivi par la fin de l'obstruction par Israël des opérations de l'UNRWA », a conclu Balkees Jarrah. « Les autres pays devraient s'opposer fermement et publiquement aux efforts du gouvernement israélien visant à restreindre l'UNRWA, et ils devraient aider à financer son travail irremplaçable de cette agence. »
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24.10.2025 à 13:45
Human Rights Watch
Dans un rapport accablant publié la semaine dernière, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a conclu que la France était responsable de violations graves et systématiques des droits des enfants migrants non accompagnés. Le comité a conclu qu'en raison de procédures d'évaluation de l'âge défaillantes et arbitraires, de nombreux enfants non accompagnés se retrouvent sans abri, privés de soins de santé et contraints de vivre dans des conditions dégradantes et indignes, au lieu d'être protégés, pris en charge et soutenus.
Les conclusions du Comité concordent à bien des égards avec celles des enquêtes menées ces dernières années par Human Rights Watch à Paris, Calais, Marseille, à la frontière franco-italienne et dans les Hautes-Alpes.
Ces enfants se retrouvent souvent à la rue, sans accès à l'éducation ni aux soins médicaux, pendant qu'ils font appel d’évaluations défectueuses de leur âge, ce qui peut durer des mois, voire des années, les plaçant dans une situation d'extrême précarité et les privant de leurs droits fondamentaux. Entre 50 et 80 % de ces appels invalident les évaluations, mais les décisions peuvent parfois être rendues après que l'enfant a atteint l'âge de la majorité, le privant définitivement des droits qui auraient dû lui être accordés.
En outre, nombre de ces enfants peuvent également être soumis à des traitements dégradants de la part des forces de l’ordre, privés de leur liberté et arbitrairement détenus. Ce problème est particulièrement répandu à la frontière franco-italienne entre Menton et Vintimille, où des enfants migrants sont sommairement expulsés vers l'Italie, en violation du droit européen et international.
Les alertes de Human Rights Watch et de nombreuses organisations non gouvernementales et institutions se sont multipliées ces dernières années, et la France a été condamnée, en janvier 2025, par la Cour européenne des droits de l'homme pour « défaut de protection » d'un enfant guinéen.
Le Comité est clair dans ses recommandations à la France : tout enfant – ou personne se déclarant comme telle – doit bénéficier de la présomption de minorité tout au long du processus d'évaluation et d'appel et se voir garantir ses droits fondamentaux, notamment au logement, à la nourriture, à l’eau et à l’éducation. Les autorités françaises devraient prendre en compte ces alertes et veiller de toute urgence à ce que ces enfants vulnérables bénéficient de la protection et des soins auxquels ils ont droit.
23.10.2025 à 18:36
Human Rights Watch
(Chicago, 23 octobre 2025) – Depuis la mi-septembre 2025, des agents fédéraux des États-Unis ont fait usage d'une force excessive contre des manifestants pacifiques, des observateurs juridiques, des secouristes bénévoles et des journalistes lors de manifestations devant un centre de détention géré par le Service d’immigration et de douane (Immigration and Customs Enforcement, ICE) dans la banlieue de Chicago, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les manifestations devant le centre de l’ICE à Broadview, dans l'Illinois, se sont intensifiées après le lancement de l'opération « Midway Blitz » de l'ICE le 8 septembre, et suite aux nombreuses descentes visant à appréhender des migrants dans toute la région de Chicago.
D'après les témoignages recueillis par Human Rights Watch et l’analyse de plusieurs vidéos, des agents du département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security, DHS) – parfois en présence de la police locale et de l'État d’Illinois, ainsi que d'autres agents fédéraux – ont à plusieurs reprises fait usage d'une force excessive contre de petits groupes de manifestants qui ne semblaient présenter aucune menace pour les agents ou la sécurité publique, ainsi que contre des journalistes, des observateurs juridiques et des secouristes bénévoles clairement identifiables. Ces agents ont arrêté des dizaines de manifestant-e-s, ainsi qu'au moins un journaliste et un secouriste bénévole. Cette réponse violente est comparable à un précédent usage excessif de la force contre des manifestants qui s'opposaient à des descentes visant des personnes migrantes à Los Angeles, en juin dernier.
« Il ne s'agit pas d’opérations de maintien de l’ordre mais d'une campagne d'intimidation », a déclaré Belkis Wille, directrice adjointe de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « Les agents fédéraux utilisent des irritants chimiques et tirent des projectiles sur des manifestants pacifiques, des secouristes bénévoles et des journalistes en plein jour. Le message est clair : la dissidence sera punie. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 17 personnes qui étaient présentes lors des manifestations de Broadview : 7 manifestant-e-s, 4 journalistes, 3 secouristes, 2 défenseurs des droits des immigrants et un pasteur. Les chercheurs ont également analysé 17 vidéos enregistrées pendant les manifestations qui ont été publiées sur les réseaux sociaux, ou fournies directement aux chercheurs. Le 17 octobre, Human Rights Watch a transmis à la Ssecrétaire à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, un courrier résumant les conclusions de son enquête et sollicitant ses commentaires , mais n'a pas reçu de réponse.
Les témoignages et les vidéos ont confirmé que les agents du DHS ont utilisé des gaz lacrymogènes et tiré des projectiles directement sur des groupes de manifestants, y compris depuis le toit du centre de détention de l’ICE, souvent sans avertissement et sans que les manifestants ne semblent présenter de danger pour les agents. Selon les témoignages et l’analyse de photos et vidéos vérifiées, le nombre de manifestant-e-s a varié entre une dizaine de personnes et pas plus de 250, lors des divers incidents.
Suite du communiqué en anglais.
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23.10.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(New York) – Les talibans ont fortement affaibli les médias afghans depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays en août 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ils ont soumis les organes de presse encore opérationnels à la surveillance et à la censure, et ont sanctionné les journalistes ainsi que d’autres professionnels des médias pour tout commentaire perçu comme critique. Les journalistes afghans en exil qui ont fui la persécution de la part des talibans sont désormais confrontés à des menaces croissantes de retour forcé en Afghanistan, où ils craignent des représailles.
La liberté des médias a décliné dans tout l’Afghanistan au cours des quatre dernières années, sous le régime des talibans. Des sources médiatiques ont indiqué que l’agence de renseignement des talibans surveille tous les contenus, et que la « police des mœurs » veille à ce que le personnel des organes de presse respecte les codes vestimentaires prescrits et autres réglementations. Les autorités locales appliquent les règles officielles de manière arbitraire, ce qui entraîne des degrés de censure variables selon les provinces. Les restrictions sévères imposées aux femmes par les talibans ont entraîné une forte baisse du nombre de femmes journalistes dans le pays.
« Les autorités talibanes obligent de plus en plus les journalistes en Afghanistan à rédiger des articles “sûrs” et préapprouvés, et punissent celles et ceux qui ne respectent pas les règles par des arrestations arbitraires et des actes de torture », a déclaré Fereshta Abbasi, chercheuse sur l'Afghanistan auprès de la division Asie à Human Rights Watch. « Tous les journalistes afghans ont été touchés et beaucoup ont fui le pays, mais ce sont les femmes journalistes qui ont été parmi les plus durement affectées. »
Human Rights Watch a mené 18 entretiens à distance avec des journalistes afghan-e-s en Afghanistan et 13 entretiens en personne avec des journalistes en exil vivant en Turquie, ainsi qu'avec des organisations afghanes d'aide aux réfugiés. Ces entretiens ont été menés principalement en août 2025. Les journalistes ont décrit les situations difficiles en Afghanistan et les défis croissants auxquels sont confrontées les personnes exilées dans les pays de l'Union européenne, en Turquie et aux États-Unis.
Les journalistes accusés par les talibans de travailler avec des médias en exil ou d’avoir des contacts avec des groupes d’opposition sont exposés au risque de détention, de violents passages à tabac et de menaces de mort. Un journaliste ayant été détenu a indiqué que des responsables talibans lui avaient déclaré : « Nous pouvons vous tuer, et personne ne peut même nous demander pourquoi. »
Le ministère taliban de la Promotion de la vertu et de la prévention du vice (PVPV) inspecte régulièrement les bureaux des médias. Des agents ont arrêté des professionnels des médias pour violation de la loi du ministère sur la séparation des espaces de travail entre hommes et femmes, l'interdiction de diffuser des voix de femmes ainsi que la diffusion de musique à la télévision et à la radio.
Peu après août 2021, le Centre d'information et de médias des talibans a annoncé « 11 règles » pour les médias, notamment l'interdiction de diffuser ou de publier tout contenu « contraire à l'islam », « insultant à l’égard de personnalités nationales » ou « portant atteinte à la vie privée ». Les journalistes sont tenus de fournir des informations « équilibrées » et de « ne publier que la vérité », mais ces règles ne prévoient aucun critère d'interprétation de ces termes. La formulation vague permet des interventions arbitraires de la part des autorités à tous les niveaux.
Les autorités talibanes examinent les rapports avant publication et censurent tout ce qu'elles jugent avoir « un impact négatif sur l'attitude ou… le moral du public ». « Ils nous disent : “Faites attention à ne pas nous nuire avec vos reportages” », a déclaré un journaliste. « Si vous le faites, vous aurez des ennuis. »
Les talibans ont fortement restreint la représentation des femmes dans les programmes diffusés, interdisant aux médias de diffuser des feuilletons et des séries mettant en scène des femmes. Ils ont également exigé le port du hijab pour les femmes employées par des médias.
En vertu de la Loi sur la propagation de la vertu et la prévention du vice, promulguée en août 2024, des inspecteurs vérifient que le contenu des médias est conforme à la charia (loi islamique) et ne contient pas d'images d'êtres vivants.
En raison de ces restrictions, les journalistes s'autocensurent régulièrement et limitent souvent leurs reportages aux événements officiels, tels que les cérémonies de remise de prix, les visites diplomatiques et les projets de développement. Le fait de ne pas couvrir les événements officiels peut entraîner des réprimandes, des menaces et, dans certains cas, la détention. Un journaliste basé à Kaboul a déclaré avoir été arrêté à deux reprises pour ne pas avoir couvert de tels événements.
Un autre journaliste a indiqué que le porte-parole des autorités provinciales l'avait appelé pour lui demander d'assister à une journée de remise des diplômes de la police. « Je n'y suis pas allé, car ce n'était pas digne d'intérêt médiatique », a-t-il expliqué. « Le lendemain, ils m'ont déclaré : “ Vous n’avez plus le droit de faire des reportages”. »
Les professionnels des médias qui ont fui l'Afghanistan vers d'autres pays vivent dans la précarité en exil, dans la crainte d'être renvoyés de force en Afghanistan et d'y être persécutés.
Les pays qui accueillent des réfugiés afghans devraient maintenir leur position selon laquelle l'Afghanistan est un pays dangereux pour les retours et garantir le respect absolu du principe de non-refoulement, qui interdit de renvoyer des personnes vers des situations dangereuses. La situation des droits humains en Afghanistan n'a cessé de se détériorer depuis le retour au pouvoir par les talibans.
« L'oppression des médias par les talibans s'est intensifiée, alors même que le besoin de médias indépendants en Afghanistan ne fait que croître », a conclu Fereshta Abbasi. « Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les autres pays qui s’étaient engagés à faciliter la réinstallation d’Afghans devraient renforcer leur soutien aux journalistes afghans en danger, et cesser toutes les expulsions vers ce pays. »
Suite détaillée en anglais, comprenant des témoignages de journalistes afghan-e-s menacé-e-s.
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22.10.2025 à 22:10
Human Rights Watch
(Nairobi) – Les autorités du Burkina Faso devraient enquêter d’urgence sur le sort de six magistrats et d’un avocat qui auraient subi des disparitions forcées et rendre leurs conclusions publiques, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Les enlèvements de ces magistrats et de cet avocat depuis le 10 octobre 2025 pourraient constituer des disparitions forcées et des enrôlements illégaux dans les forces armées. Leurs cas, ainsi que ceux de quatre journalistes qui ont été détenus puis libérés entre le 13 et le 18 octobre, semblent liés à une vague de répression menée par la junte militaire burkinabè contre le pouvoir judiciaire et les médias.
« La situation des droits humains au Burkina Faso est de plus en plus marquée par des enlèvements, des arrestations arbitraires et des disparitions forcées de détracteurs de la junte et d’activistes, ainsi que par des enrôlements illégaux dans l’armée », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « La junte militaire devrait localiser d’urgence les sept personnes disparues, fournir des informations à leur sujet, et les libérer si elles sont détenues sans avoir été inculpées de manière crédible d'une infraction. »
Plusieurs médias et sources bien informées consultés par Human Rights Watch ont rapporté qu'entre le 10 et le 15 octobre, des hommes en civil ont enlevé les magistrats Urbain Meda, Seydou Sanou, Benoit Zoungrana, Moussa Dianda et Alban Somé à leurs domiciles à Ouagadougou, la capitale. Le 13 octobre, Arnaud Sempebré, un avocat, a également été porté disparu.
Ubrain Meda, Seydou Sanou, Benoit Zoungrana et Moussa Dianda travaillaient tous à la Cour d'appel de Ouagadougou, tandis qu’Alban Somé travaillait au Tribunal de première instance de Ouagadougou.
Tous les magistrats ainsi que l'avocat avaient travaillé sur une affaire qui durait depuis trois ans, dans laquelle des commerçants et des douaniers avaient été accusés de contrebande de carburant au profit de groupes armés islamistes. Un collègue des magistrats ainsi que d'autres sources locales ont déclaré que ces enlèvements ont fait suite à une décision rendue en juillet par la Cour d'appel de Ouagadougou qui avait confirmé le verdict du Tribunal de première instance de ne pas poursuivre la procédure pénale. Arnaud Sempebré, l’avocat, représentait les individus acquittés dans cette affaire.
Le barreau burkinabè a déclaré le 20 octobre avoir officiellement demandé des informations sur le sort d’Arnaud Sempebré, en vain. Le barreau a également appelé à sa libération immédiate.
Les médias et les réseaux sociaux ont rapporté que le 20 octobre, des hommes non identifiés avaient enlevé Jean-Jacques Wendpanga Ouedraogo , ancien procureur général de la Cour d'appel de Ouagadougou. Selon les réseaux sociaux, il aurait été libéré le lendemain. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier cette information de manière indépendante. En août 2023, Jean-Jacques Ouedraogo avait ordonné la mise en détention d'Amsétou Nikiéma, connue sous le nom d'Adja, une guérisseuse traditionnelle qui serait proche de l'armée, et qui avait été inculpée pour coups et blessures, entre autres infractions.
Un membre de l’appareil judiciaire burkinabè s'est dit préoccupé par la possibilité que les personnes enlevées l’aient été en guise de punition pour la décision rendue dans l'affaire de contrebande. « Depuis trois ans, les membres des services de renseignement sulfureux enlèvent des détracteurs en toute impunité », a-t-il déclaré.
La junte a déjà pris pour cible des magistrats, selon Human Rights Watch. Dans un discours prononcé en juillet 2024, le chef de la junte, Ibrahim Traoré, a vivement critiqué le secteur judiciaire, attaquant juges et procureurs en accusant certains d’être « corrompus », « vendus » et des « escrocs », et dénonçant les syndicats du secteur judiciaire qui s'étaient publiquement opposés à une modification du Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme, lancée en 2023, confère au Conseil le pouvoir de nommer les procureurs, mais uniquement sur recommandation du ministre de la Justice. Les syndicats s'étaient opposés à cette réforme, affirmant qu'elle porterait atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire et placerait les procureurs sous l'influence du pouvoir exécutif.
« Nous avons un sérieux problème [avec le secteur judiciaire] », avait alors déclaré Ibrahim Traoré. « Nous avons entamé des réformes... certains ont tenté de boycotter tout ce qu’ils peuvent mais... avec ou sans eux nous allons avancer. La bataille [contre les magistrats] sera lancée. »
En août 2024, la junte a illégalement enrôlé sept magistrats dans l'armée, abusant d'une loi d'urgence de 2023. À l'époque, une coalition de trois syndicats du système judiciaire avait réagi avec un communiqué et condamné ces réquisitions comme des « actes d'humiliation et d'intimidation des magistrats ».
Depuis le coup d'État militaire d'octobre 2022, la junte burkinabè a intensifié sa répression contre la dissidence pacifique, l'opposition politique et les médias, réduisant ainsi l'espace civique dans le pays. Les forces de sécurité ont arbitrairement arrêté, détenu, fait disparaître de force et enrôlé illégalement des dizaines de journalistes. Certains d'entre eux ont été libérés, tandis que d'autres sont toujours portés disparus, tel que le journaliste d'investigation Serge Oulon.
Les médias locaux et internationaux ainsi que organisations non gouvernementales ont rapporté qu'entre le 13 et le 16 octobre, des membres des services de renseignement ont arrêté Michel Wendpouiré Nana, rédacteur en chef adjoint du journal Le Pays, Ousséni Ilboudo et Alain Zongo, respectivement directeur des rédactions et rédacteur en chef du journal L' Observateur Paalga, et Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana, directeur de publication du journal Aujourd'hui au Faso.
Les autorités les ont libérés entre le 14 et le 18 octobre. Les raisons de leur arrestation n'ont pas été révélées. Fin septembre, Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana avait participé à une interview avec Ibrahim Traoré. Un activiste burkinabè avait partagé la transcription de l'interview sur les réseaux sociaux avant qu'elle ne soit diffusée à la télévision nationale, ce qui fait craindre que Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana ait été arrêté à la suite de cette fuite.
Le Burkina Faso est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les disparitions forcées sont définies par le droit international comme l'arrestation ou la détention d'une personne par des agents de l'État ou leurs représentants, suivie du refus de reconnaître la privation de liberté ou de révéler le sort ou le lieu où se trouve la personne.
« Des tribunaux indépendants et des médias libres sont essentiels pour contrôler le pouvoir du gouvernement », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les autorités burkinabè devraient immédiatement cesser toute ingérence dans le système judiciaire, veiller à ce que les magistrats puissent exercer leurs fonctions sans crainte et mettre fin au harcèlement des journalistes et des médias. »
22.10.2025 à 15:55
Human Rights Watch
Le 14 octobre, la presse a révélé que les forces russes ont mené une attaque par drones contre un convoi interagence des Nations Unies qui acheminait de l’aide humanitaire à Bilozerka, dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine. Le lendemain, une chaîne Telegram affiliée à l’armée russe a diffusé une vidéo de l’attaque, afin que le monde entier puisse la voir.
Click to expand Image Une colonne de fumée noire s’élevait au-dessus d’un camion du Programme alimentaire mondial (World Food Programme, WFP), frappé par un drone russe près de la ville de Bilozerka située dans la région de Kherson en Ukraine, le 14 octobre 2025. Ce camion faisait partie d’un convoi de quatre véhicules des Nations Unies qui tentait d’acheminer de l'aide humanitaire aux habitants de Bilozerka. © 2025 Oleksandr Prokudin/Administration militaire régionale de KhersonAprès avoir passé la majeure partie de l'année à enquêter sur des attaques similaires menées par des drones russes dans la région de Kherson, à discuter avec des survivants et à analyser des centaines de vidéos comme celle-ci, tournée à Bilozerka, j'ai à nouveau été choqué mais pas surpris.
L'armée russe utilise ces drones quadricoptères équipés de caméras permettant aux opérateurs de voir leurs cibles en temps réel, pour mener une campagne brutale et dévastatrice dans la région de Kherson. Chaque mois, des centaines de civils sont tués ou blessés : des habitants dans leurs foyers, des agriculteurs en plein travail, des équipes médicales en intervention, ou encore des travailleurs humanitaires tentant de venir en aide aux plus démunis.
Dans son dernier rapport mensuel, la Mission de surveillance des droits de l'homme de l’ONU en Ukraine a signalé que les drones à courte portée, similaires à ceux utilisés lors de l'attaque contre le convoi, demeurent la principale cause de pertes civiles dans les zones proches de la ligne de front. En septembre, ils ont fait 54 morts et 272 blessés.
Moins de 24 heures après l'attaque du convoi humanitaire, une vidéo de 4 minutes filmée par l'un des drones a été diffusée sur des chaînes Telegram affiliées à l'armée russe. On y voit en détail comment des opérateurs russes ont piloté au moins trois drones équipés d'explosifs, frappant deux camions d'aide humanitaire clairement identifiés comme appartenant à l'ONU.
Selon une déclaration du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, aucun travailleur n'a été blessé, mais deux des quatre camions ont été endommagés et incendiés.
Click to expand Image Deux images extraites d’une vidéo filmée le 14 octobre 2025 par des drones russes près de la ville de Bilozerka dans la région de Kherson en Ukraine, et diffusée le lendemain par une chaîne Telegram russe. Ces images montrent l’attaque russe contre un convoi de quatre camion des Nations Unies qui tentait d’acheminer de l'aide humanitaire aux habitants de Bilozerka. Les camions de l’ONU étaient clairement identifiables grâce aux initiales UN et WFP (World Food Programme - Programme alimentaire mondial). © 2025 TelegramLes opérateurs russes des drones savaient qu'ils visaient un convoi de l'ONU. Le fait qu'ils aient partagé la vidéo pour que tout le monde puisse la voir indique qu'ils ne pensent pas avoir à en subir les conséquences.
Ils ne devraient pas compter là-dessus. La Cour pénale internationale (CPI), les autorités ukrainiennes et les autorités nationales d'autres pays enquêtent actuellement sur les crimes de guerre et autres atrocités commis en Ukraine. La CPI a émis des mandats d'arrêt contre six hauts responsables russes, dont le président Vladimir Poutine.
Alors que la Russie, les États-Unis et d’autres pays qui craignent que ses dirigeants soient un jour tenus responsables par la Cour tentent d’en saper l’autorité, cette attaque flagrante et illégale devrait rappeler aux gouvernements leur responsabilité de défendre la justice et les institutions qui la garantissent.
21.10.2025 à 18:55
Human Rights Watch
(Washington) – La police et les forces de sécurité équatoriennes ont restreint la liberté de réunion et ont parfois fait usage d'une force excessive dans leur réponse aux manifestations antigouvernementales depuis la mi-septembre, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Depuis le 18 septembre, la principale organisation autochtone du pays organise des manifestations à la suite de la décision du président Daniel Noboa de supprimer les subventions portant sur le diesel. Si certains manifestants ont recouru à la violence, la plupart des rassemblements ont été pacifiques. Le gouvernement a réagi en déployant l'armée, qui a fait usage d'une force excessive à plusieurs reprises contre les manifestants. Le gouvernement a accusé les manifestants de « terrorisme » et a gelé les comptes bancaires de groupes et de dirigeants environnementaux et autochtones.
« Le gouvernement équatorien devrait respecter les droits des manifestants, et répondre aux griefs qui poussent régulièrement les Équatoriens à descendre dans la rue », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les manifestants qui commettent des actes de violence doivent faire l'objet d'enquêtes, mais cela ne justifie pas de stigmatiser les autres manifestants ou de recourir à une force excessive. »
Human Rights Watch a vérifié 15 vidéos de manifestations montrant des soldats ou des policiers dispersant de force des manifestations pacifiques et utilisant sans discernement et de manière imprudente des gaz lacrymogènes et d'autres armes dites « à létalité réduite ». Les chercheurs ont également examiné des documents officiels suspendant un média et ouvrant des enquêtes contre des défenseurs de l'environnement et des personnes autochtones. Ils ont également sollicité les commentaires des ministères de l'Intérieur et de la Défense concernant les allégations de recours excessif à la force et de décès liés aux manifestations.
Le 12 septembre, le président Noboa a supprimé la subvention de longue date sur le diesel, augmentant ainsi le prix du carburant de plus de 50 %. Il a déclaré que cette subvention coûtait près de 1,1 milliard de dollars (monnaie utilisée en Équateur) par an au gouvernement, et compromettait la « viabilité des finances publiques ». À l'instar des mouvements de protestation des années précédentes, diverses organisations et travailleurs ont immédiatement annoncé des manifestations en réponse à cette décision.
Le 16 septembre, le président Noboa a émis un décret présidentiel déclarant l'état d'urgence dans 7 des 24 provinces du pays, invoquant de « graves troubles internes » causés par des manifestants bloquant les routes. Le décret a suspendu le droit à la liberté de réunion, et déclenché le déploiement des forces armées. Le 3 octobre, la Cour constitutionnelle a limité la portée de ce décret à deux provinces ; mais le 4 octobre, le président Noboa a émis un nouveau décret couvrant 10 autres provinces. La Cour n'a pas encore examiné ce décret.
Depuis janvier 2024, le président Noboa a recouru à plusieurs reprises à l'état d'urgence pour déployer l'armée dans les rues de l'Équateur et dans des prisons, ce qui a entraîné une augmentation des signalements de violations des droits humains. Il a également déclaré que le pays était confronté à un « conflit armé interne », afin de justifier un recours plus large et potentiellement plus létal à la force militaire, ce que la Cour constitutionnelle a remis en question.
Le 18 septembre, la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador, CONAIE) et d'autres mouvements autochtones ont annoncé une grève nationale en réponse à la suppression des subventions sur le diesel, au manque d'accès aux soins de santé et à l'éducation, et à l'extraction pétrolière sur des terres autochtones. Les manifestations se sont étendues à tout le pays, se transformant en mouvement antigouvernemental plus large.
Certains manifestants se sont livrés à des actes de violence, notamment en endommageant des biens publics et privés. En septembre, des personnes autochtones ont apprehendé 17 soldats et les ont détenus pendant trois jours. Le gouvernement a également signalé deux attaques contre des convois officiels transportant le président. Dans un courriel envoyé à Human Rights Watch le 17 octobre, le ministre de la Défense par intérim a fait état d'« agressions mortelles » contre des soldats et de cas d'« enlèvements [et] de torture ».
Au 18 octobre, l'Alliance pour les droits humains en Équateur (Alianza por los Derechos Humanos de Ecuador), une coalition d'organisations de défense des droits humains, avait reçu 377 signalements de violations des droits humains commises pendant les manifestations, qui ont fait au moins 296 blessés et deux morts.
Dans une vidéo vérifiée par Human Rights Watch, on voit des forces de sécurité près de la communauté de Huaycopungo, dans la province d'Imbabura, tirer des grenades lacrymogènes à faible trajectoire sur des maisons où il ne semble y avoir aucune foule. Les grenades lacrymogènes devraient toujours être lancées en arc de cercle vers des zones ouvertes, et la force ne doit être utilisée que lorsque cela est nécessaire pour atteindre un objectif légitime.
Une autre vidéo filmée à Otavalo montre un agent de sécurité tirant à bout portant avec un lance-projectiles directement sur un manifestant qui s'enfuit. Il n'est pas possible d'identifier le type de projectile utilisé. L'utilisation d'armes moins létales de cette manière n'est pas justifiable au regard des normes internationales en matière de droits humains et crée un risque de préjudice grave.
Efraín Fueres est décédé lors des manifestations à Cotacachi, dans la province d'Imbabura, le 28 septembre. Human Rights Watch a vérifié trois vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrant une personne que les organisations de défense des droits humains, les médias et les membres de la communauté ont identifiée comme étant Fueres. Une vidéo, filmée par une caméra de vidéosurveillance fixe et publiée sur X, montre Fueres porté par un groupe de quatre personnes au milieu de dizaines d'autres qui fuient ce qui semble être des gaz lacrymogènes.
Les personnes qui transportaient Fueres l'ont laissé sur le sol et trois d'entre elles ont pris la fuite à l'approche de véhicules blindés. Une personne vêtue d'une chemise bleue est restée auprès de Fueres. Une autre est revenue et semble avoir pratiqué un massage cardiaque, puis a pris la fuite à son tour.
Les véhicules blindés reviennent et cinq personnes en uniforme militaire en sortent et frappent Fueres et l'autre homme pendant plusieurs minutes. Un membre des forces de sécurité tire des gaz lacrymogènes. Les soldats partent ensuite et les manifestants finissent par emporter Fueres.
L'organisation de défense des droits humains Fundación Regional de Asesoría en Derechos Humanos (INREDH), a rapporté que Fueres est décédé des suites d'une blessure par balle dans le dos qui lui a perforé le poumon. Le bureau du procureur général a ouvert une enquête sur l'usage apparemment illégitime de la force qui a causé la mort de Fueres.
L'Alliance pour les droits humains a également signalé qu'au moins 205 personnes avaient été arrêtées. Certains manifestants ont été accusés de terrorisme.
Le gouvernement a également pris des mesures pour porter atteinte à la liberté d'expression et d'association des organisations autochtones et des groupes environnementaux, a déclaré Human Rights Watch.
Le 22 septembre, l'agence de régulation des télécommunications a suspendu pour 15 jours la chaîne UHF Channel 47, exploitée par le média communautaire Mouvement indigène et paysan de Cotopaxi (TV MICC). La décision, que Human Rights Watch a examinée, cite un rapport « secret » indiquant que le média aurait « porté atteinte à la sécurité nationale ». Deux autres médias communautaires ont signalé avoir été temporairement suspendus dans des circonstances similaires.
Depuis le 19 septembre, les autorités ont gelé les comptes bancaires d'organisations et de dirigeants autochtones et environnementaux, apparemment sur la base de rapports de renseignement « secrets ». Le ministère de l'Intérieur a affirmé que ces groupes avaient financé des manifestations violentes. Une nouvelle loi sur la transparence sociale impose une surveillance accrue des organisations non gouvernementales et permet aux autorités de geler leurs comptes bancaires sans décision judiciaire. En vertu de cette loi, le gouvernement peut également dissoudre les organisations qui commettent des infractions « graves », telles que la réalisation de diverses activités non autorisées.
Le 25 septembre, le bureau du procureur général a ouvert une enquête sur « l'enrichissement personnel injustifié » de plus de 50 personnes, dont le président de la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur et des membres d'organisations environnementales telles que Pachamama et Yasunidos.
« Le gouvernement équatorien devrait garantir que les auteurs d'abus rendent des comptes, et reconnaître l'importance des questions soulevées par les manifestants descendus dans la rue », a conclu Juanita Goebertus.
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21.10.2025 à 18:16
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Le 20 octobre, les autorités saoudiennes ont exécuté un homme condamné pour des crimes qu'il aurait commis alors qu'il était mineur, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Abdullah al-Derazi avait été condamné à mort après avoir été accusé de terrorisme, suite à sa participation à des manifestations et à des cortèges funéraires. Il était la 300ème personne exécutée par les autorités saoudiennes à ce jour en 2025.
Les autorités saoudiennes ont procédé à des exécutions à un rythme sans précédent depuis le début de l'année 2025, apparemment sans respecter les normes de procédure régulière ; parmi les personnes exécutées figuraient au moins un journaliste de renom, et au moins 198 individus qui avaient été reconnus coupables d’infractions non violentes liées à la drogue. Le 21 août, les autorités ont procédé a l’exécution de Jalal al-Labbad, qui avait été visé par des chefs d'accusation similaires à celles portées contre Abdullah al-Derazi, suite à sa participation à des manifestations alors qu'il était mineur.
« En procédant à l'exécution d'Abdullah al-Derazi, les autorités saoudiennes ont franchi deux étapes horribles : 300 exécutions au cours des 10 premiers mois de 2025, et la deuxième exécution d'une personne accusée d'avoir commis des crimes en tant qu’enfant », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à Human Rights Watch. « Ces exécutions devraient dissiper tous les doutes qui subsistent encore dans le monde quant au bilan désastreux de l'Arabie saoudite en matière de droits humains. »
Abdullah al-Derazi appartenait à la minorité musulmane chiite du pays, qui souffre depuis longtemps de discrimination et de violence systématiques de la part du gouvernement. La police saoudienne l'a arrêté en août 2014 après l'avoir appréhendé et sévèrement battu dans la rue, selon l'Organisation européenne-saoudienne pour les droits humains (European Saudi Organization for Human Rights, ESOHR). Les autorités saoudiennes l'ont soumis à un isolement cellulaire prolongé, à d'autres formes de torture, notamment des coups et des brûlures au visage et autour des yeux, et l'ont contraint sous la torture à signer des aveux, selon l'ESOHR.
En février 2018, la Cour pénale spécialisée d'Arabie saoudite, de triste notoriété, a condamné Abdullah al-Derazi à mort pour des infractions liées à des manifestations qu'il aurait commises à l'âge de 17 ans ; cette condamnation a été prononcée en vertu de la loi antiterroriste du pays, selon des documents judiciaires. En 2023, ESOHR et MENA Rights Group ont appris que la Cour suprême avait rendu un arrêt secret confirmant la condamnation à mort d'Abdullah al-Derazi.
Le 20 octobre, le ministère de l'Intérieur saoudien a annoncé l'exécution d'Abdullah Al-Derazi, affirmant qu'il avait commis des « crimes terroristes » et « créé une organisation terroriste visant à déstabiliser la sécurité et à tirer sur les quartiers généraux des services de sécurité et ses membres, dans l'intention de les tuer, en collaboration avec un groupe de la même organisation ».
Précédemment, le 21 août 2025, les autorités ont exécuté Jalal al-Labbad, âgé de 15 ans au moment des faits qui lui étaient reprochés. Les autorités saoudiennes l’ont arrêté en 2017 après qu’il eut participé à des manifestations et à des cortèges funéraires, a rapporté l'ESOHR. Sa famille n'a pas été informée de la date de son exécution et aurait appris sa mort par les médias, selon un communiqué publié le 5 septembre par des experts en droits humains des Nations Unies. Ces experts ont appelé le gouvernement saoudien à « restituer immédiatement le corps de M. al-Labbad à ses proches, et à autoriser un examen médico-légal indépendant ».
Les accusations portées contre Abdullah al-Derazi et Jalal al-Labbad, les deux Saoudiens accusés d'infractions commises lorsqu'ils étaient mineurs, reposaient presque exclusivement sur leurs aveux. Or, Human Rights Watch a documenté une série de violations des droits à un procès équitable et à une procédure régulière dans le cadre du système pénal saoudien, y compris l'utilisation d'aveux obtenus sous la contrainte, dans d’autres affaires de mineurs condamnés à mort. Ceci signifie qu’il est peu probable qu' Abdullah al-Derazi ou Jalal al-Labbad aient été jugés lors de procès équitables.
L'Arabie saoudite est un État partie à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui interdit strictement le recours à la peine capitale pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans. Human Rights Watch s'oppose à la peine de mort dans tous les pays et en toutes circonstances, la considérant comme un châtiment cruel et inhumain.
Les tribunaux saoudiens ont condamné à mort au moins six autres individus accusés d'infractions lorsqu’ils étaient mineurs : Yousef al-Manasif, Ali al-Mabiouq, Jawad Qureiris, Ali al-Subaiti, Hassan al-Faraj et Mahdi al-Mohsen. Ces cinq derniers risquent d'être exécutés en raison d’accusations similaires à celles portées contre Abdullah al-Derazi et Jalal al-Labbad. Des experts de l'ONU et des organisations de défense des droits humains ont exhorté l’Arabie saoudite à mettre fin aux exécutions d’individus accusés d’infractions commises alors qu'ils étaient mineurs.
En novembre 2024, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire avait publié un avis concernant les cas de cinq détenus saoudiens – Abdullah al-Derazi, Jalal al-Labbad, Yusuf al-Manasif, Jawad Qureiris et Hassan al-Faraj – et conclu qu’il s’agissait de cinq cas de « détention arbitraire ».
Le droit international relatif aux droits humains, y compris la Charte arabe des droits de l'homme, ratifiée par l'Arabie saoudite, souligne que les pays qui appliquent la peine de mort ne peuvent le faire que dans les cas des « crimes les plus graves » et dans des circonstances exceptionnelles. Déjà en novembre 2022, Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme avait publié une déclaration exprimant son inquiétude au sujet du nombre alarmant d'exécutions en Arabie saoudite, suite à la fin d'un moratoire officieux de 21 mois sur l'application de la peine de mort pour des infractions liées à la drogue.
« Alors que le gouvernement saoudien poursuit ses efforts pour blanchir sa réputation désastreuse en matière de droits humains, en offrant des sommes colossales à des vedettes des mondes du spectacle et du sport, ces personnes devraient se demander si elles ne contribuent pas à faire oublier l'exécution d'hommes accusés d'infractions commises lorsqu'ils étaient mineurs », a conclu Joey Shea.
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21.10.2025 à 17:13
Human Rights Watch
(Bangkok) – Les autorités vietnamiennes ont réarrêté un ancien prisonnier politique, Huynh Ngoc Tuan, le 7 octobre, suite à ses commentaires sur les réseaux sociaux, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
La police de la province de Dak Lak a inculpé Huynh Ngoc Tuan de « propagande contre l'État » en vertu de l'article 117 du code pénal vietnamien. Elle devrait le libérer immédiatement. La loi vietnamienne autorise les autorités à refuser à Huynh Ngoc Tuan l'accès à un avocat et à toute visite de sa famille pendant la durée de l'enquête, qui peut prendre des mois, voire des années. S'il est reconnu coupable, il encourt jusqu'à 12 ans de prison.
« Les autorités vietnamiennes persécutent Huynh Ngoc Tuan depuis des décennies parce qu'il dénonce les injustices sociales au Vietnam », a déclaré Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement ne tolère vraiment aucune critique, d’où sa décision de l’emprisonner à nouveau. »
La réarrestation de Huynh Ngoc Tuan s'inscrit dans le cadre d’une nouvelle vague d'arrestations avant la tenue du 14ème Congrès du Parti communiste prévu en janvier 2026, ce qui suscite de vives inquiétudes quant à l'intensification de la répression de la liberté d'expression par le gouvernement. Ce Congrès, tenu tous les cinq ans depuis 1986, rassemblera les responsables chargés de sélectionner le bureau politique du parti, ses principaux dirigeants, le président de l'Assemblée nationale, ainsi que le président et le Premier ministre du pays. Une élection nationale est prévue en mars 2025, mais dans des conditions correspondant à un simulacre d’élection, ni libre ni équitable.
Huynh Ngoc Tuan, âgé de 62 ans, a été arrêté pour la première fois en 1992 et condamné à 10 ans de prison pour des ouvrages de fiction considérés comme politiquement inacceptables par les autorités. Après sa libération en 2002, il a repris ses activités dissidentes, écrivant un mémoire détaillant ses dix années passées dans différentes prisons et commentant les questions sociopolitiques nationales et internationales. Il a milité pour la liberté des médias, la liberté d'expression, les droits civils et politiques fondamentaux et la démocratie, proclamant comme devise : « Je m'exprime, donc je suis ».
Les autorités ont également pris pour cible la famille de Huynh Ngoc Tuan. En 2021, sa fille, Huynh Thuc Vy, a commencé à purger une peine de 30 mois de prison pour « manque de respect envers le drapeau national ». En juin et août 2025, la police a interdit au fils de Huynh Ngoc Tuan, Huynh Trong Hieu, de quitter le Vietnam pour des « raisons de sécurité ». En 2012, Human Rights Watch a décerné à Huynh Ngoc Tuan et à Huynh Thuc Vy le prix Hellman/Hammett pour la liberté d'expression, en reconnaissance de leur « courage et de leur conviction face à la persécution politique ».
Dans un message publié sur les réseaux sociaux en juillet, Huynh Ngoc Tuan a appelé le gouvernement vietnamien à agir en conformité avec ses « engagements juridiques internationaux, en particulier en matière de droits humains ». Il a affirmé : « Abroger les lois répressives, garantir la liberté de la presse et respecter la société civile sont non seulement des mesures nécessaires pour améliorer la situation intérieure, mais aussi une stratégie à long terme pour construire une alliance internationale résiliente. »
Le 7 octobre, la police de la province de Dak Lak a également arrêté Y Nuen Ayun, un pasteur montagnard de l'Église évangélique du Christ des Hauts Plateaux du Centre, et l'a inculpé d’« atteinte à la politique d'unité » en vertu de l'article 116 du code pénal. Les autorités l'ont accusé d'avoir « fourni à plusieurs reprises des informations fabriquées de toutes pièces sur les activités religieuses dans les Hauts Plateaux du Centre ». Elles l’ont aussi accusé d'avoir « calomnié le gouvernement » en soutenait que celui-ci avait arrêté et opprimé des personnes adhérant au « protestantisme chrétien ».
Les 6 et 8 octobre, la police de la province de Gia Lai a arrêté respectivement la militante des droits fonciers Vo Thi Phung, puis Nguyen Van Tong, accusé d’être son complice ; les deux activistes s’étaient opposés à la cérémonie d'inauguration d'un parc industriel, un projet de développement pour lequel les autorités locales avaient confisqué les terres des habitants. Les autorités ont accusé les deux personnes d'« abus des droits à la liberté et à la démocratie pour porter atteinte aux intérêts de l'État », en vertu de l'article 331 du code pénal.
Le 9 octobre, la police de la province de Nghe An a arrêté un blogueur, Nguyen Duy Niem, et l'a inculpé de propagande contre l'État en vertu de l'article 117 du code pénal. Les autorités l'ont poursuivi pour ses liens présumés avec l’Assemblée pour la démocratie et le pluralisme, un collectif fondé en France en 1982 pour militer en faveur des droits civils et politiques au Vietnam. La police a précédemment arrêté deux autres activistes, Tran Khac Duc (en novembre 2024) et Quach Gia Khang (en mars 2025), en raison de leur affiliation présumée à ce collectif.
Au cours des dix premiers mois de 2025, les autorités ont arrêté au moins 40 personnes pour avoir critiqué le gouvernement ou pour leur affiliation présumée à des groupes religieux ou politiques indépendants. Ces personnes ont été accusées d'« usage abusif des droits à la liberté [d’expression] et à la démocratie pour porter atteinte aux intérêts de l'État » (article 331), de « propagande contre l'État » (article 117) ou de « porter atteinte à la politique d'unité » (article 116).
Fin août et début septembre, la police de Hô Chi Minh-Ville a arrêté les activistes démocrates Ho Sy Quyet, Tran Quang Trung, Tran Quang Nam et Nguyen Van Tu. Dans les avis d'arrestation envoyés à leurs familles, la police n'a cité aucune raison concrète pour justifier ces arrestations.
« Le Vietnam vient d'être réélu en tant que pays membre du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à Genève », a déclaré Patricia Gossman. « Le gouvernement vietnamien devrait montrer qu'il a sa place au sein du Conseil en libérant immédiatement toutes les personnes détenues simplement pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. »
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20.10.2025 à 14:19
Human Rights Watch
Lorsque les gouvernements se réuniront à Paris cette semaine pour une conférence sur la diplomatie féministe, les sujets à aborder ne manqueront pas. Dans sa description de l'événement, le gouvernement français déplore que les progrès vers l'égalité des genres « ne soient pas assez rapides ». C'est un énorme euphémisme.
Nous sommes en proie à une crise mondiale qui menace les droits des femmes et des filles. Les droits reproductifs sont remis en cause partout dans le monde. Aux Nations Unies et dans d'autres instances internationales, les gouvernements antiféministes, de plus en plus entraînés par les États-Unis, tentent de saper les droits des femmes, et l'espace pour se faire entendre se réduit. En Afghanistan, l'oppression perpétrée par les talibans pousse à réclamer la création d'un crime international d'apartheid de genre. On assiste même à des débats sur la question de savoir si les femmes devraient être autorisées à voter.
La misogynie est l'un des outils préférés des autocrates. Trop nombreux sont ceux qui leur cèdent du terrain. Les États-Unis et les pays européens, dont la France, ont réduit les montants de leur aide étrangère, ce qui porte préjudice au travail de nombreuses organisations de défense des droits des femmes dans le monde entier.
La diplomatie féministe est un terme inventé en Suède en 2014. Bien que la Suède ait ensuite fait marche arrière, en 2024, une douzaine d'autres pays d'Europe, d'Amérique latine et d'Afrique du Nord se sont engagés à mettre en œuvre une politique étrangère féministe. La France a publié sa propre stratégie en mars.
Les pays qui se réunissent à Paris devraient jouer un rôle de premier plan pour empêcher l'érosion des droits des femmes, en adoptant une approche intersectionnelle centrée sur la voix des femmes marginalisées, notamment celles qui sont en situation de handicap et en première ligne face à la crise climatique. Ils devraient reconnaître que le choix des mots est important, dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et ailleurs. Les « solutions de contournement », telles que le fait d'éviter d'utiliser le terme « genre » dans les résolutions, compromettent les progrès réalisés.
Comme la France l'a également souligné, au rythme actuel, l'ONU prévoit que l'égalité des genres sera atteinte dans... 300 ans. Les pays qui mettent en œuvre une politique étrangère féministe devraient à la fois lutter contre les reculs et continuer à exiger des progrès.
Ils devraient faire pression pour que tous les pays financent la protection contre les violences sexuelles et sexistes et garantissent l'accès à la santé, à l'éducation et au logement.
Ils devraient insister pour que les défenseures des droits des femmes soient entenduess lors des débats du Conseil de sécurité, apporter leur soutien aux femmes soldats de la paix et faire pression pour que les femmes participent de manière équitable aux négociations de paix, à la rédaction des traités et à d'autres forums internationaux. Ils devraient soutenir une affaire devant la Cour internationale de justice concernant les violations de la convention sur les droits des femmes et créer un crime international d'apartheid de genre par le biais d'un traité des Nations unies sur les crimes contre l'humanité.
Espérons que la conférence de Paris suscitera un sentiment d'urgence, d'unité, de détermination et de volonté de lutter.
20.10.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Beyrouth, 20 octobre 2025) – Trois femmes détenues dans la prison de Qarchak, une prison pour femmes située au sud de Téhéran, en Iran, et tristement célèbre pour ses conditions de détention abjectes, sont décédées entre le 16 et le 25 septembre après avoir été privées de soins médicaux, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Les décès en détention de Soudabeh Asadi, de Jamile Azizi et de Somayeh Rashidi, une prisonnière politique âgée de 42 ans, mettent en lumière le problème de la violation par les autorités iraniennes du droit à la vie des personnes incarcérées : leur refus de fournir des soins médicaux est la cause de nombreux décès, ou y contribue. Ces cas reflètent la politique de longue date des autorités iraniennes consistant à refuser des soins médicaux aux prisonnier-ère-s, menée dans le contexte d’autres traitements brutaux qui mettent en danger la vie de ces personnes.
« Les prisons en Iran, en particulier celle de Qarchak, sont devenues des lieux de tourments et de mort où la dignité et les droits fondamentaux des personnes détenues sont systématiquement bafoués », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Depuis des décennies, les autorités ont non seulement refusé d’améliorer les conditions de détention, mais elles ont délibérément utilisé le déni des droits fondamentaux, tels que l'accès aux soins médicaux, comme un outil de répression et de punition à l'encontre des personnes incarcérées. »
Selon les Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (« Règles Nelson Mandela »), chaque État « a la responsabilité d’assurer des soins de santé » adéquats aux personnes détenues.
La prison de Shahr-e Rey, aussi appelée prison de Qarchak, est tristement célèbre pour ses conditions de détention inhumaines, notamment le manque d'hygiène, les cellules surpeuplées et l'accès insuffisant aux services de base et aux soins médicaux. La situation est si désastreuse que de nombreuses prisonnières ont entamé des grèves de la faim, en guise de protestation. La prison de Qarchak est devenue un sombre symbole de la violation continue par le gouvernement iranien des droits humains des personnes détenues.
Depuis des années, des organisations de défense des droits humains, des activistes, des experts et des organes des Nations Unies expriment leur inquiétude quant aux conditions de détention dans cette prison, et au refus des autorités d'y fournir des soins médicaux. En août 2025, Human Rights Watch a de nouveau tiré la sonnette d'alarme sur la situation désastreuse des prisonnières politiques iraniennes, notamment celle des détenues malades qui avaient été transférées de la prison d'Evin vers la section de quarantaine de la prison de Qarchak après l'attaque israélienne contre la prison d'Evin, menée le 23 juin.
Parmi ces prisonnières transférées vers Qarchak fin juin se trouvait Somayeh Rashidi, qui avait été arrêtée en avril 2025 pour avoir écrit des slogans de protestation à Téhéran, selon Human Rights Activists in Iran (HRANA), une organisation de défense des droits humains basée aux États-Unis. Selon HRANA, le 16 septembre, Somayeh Rashidi a subi une crise d'épilepsie dans la prison de Qarchak ; elle a été transportée à l'hôpital Mofatteh de Varamin, ou elle est décédée le 25 septembre. Plus tard le même jour, l'agence de presse officielle du pouvoir judiciaire iranien, Mizan, a confirmé le décès d'une prisonnière identifiée comme « S.R. ».
Des médecins ont indiqué que le retard pris dans l’hospitalisation de Somayeh Rashidi était la cause principale du déclin irréversible de son état de santé, a déclaré une source bien informée à HRANA. Selon HRANA, Somayeh Rashidi était parfois incapable de marcher ou de prendre soin d'elle-même lors de sa détention, en raison de ses problèmes de santé. Les autorités judiciaires et pénitentiaires, ainsi que le personnel médical de la prison de Qarchak, étaient informés du grave état de santé de Somayeh Rashidi, mais lui ont refusé des soins médicaux appropriés en temps opportun ; au lieu de cela, le personnel lui a administré des sédatifs et des médicaments psychiatriques qui ont aggravé ses symptômes, selon HRANA. Les responsables de la prison ont même accusé Somayeh Rashidi de simuler sa maladie lorsqu'elle est tombée si malade que d'autres prisonnières ont dû la porter jusqu'à la clinique de la prison le 15 septembre, ont déclaré des sources à Human Rights Watch.
Conformément à la tendance des autorités iraniennes à nier les faits, à déformer la réalité ou à éluder leur responsabilité dans de tels incidents, l’agence du pouvoir judiciaire iranien Mizan a affirmé quelques jours après la mort de Somayeh Rashidi qu'elle avait des antécédents de toxicomanie et de troubles neurologiques, et qu'elle avait reçu un traitement approprié en prison.
La mort de Somayeh Rashidi est survenue après les décès de deux autres détenues de la prison de Qarchak. Selon HRANA, Soudabeh Asadi, qui y était détenue pour des accusations de fraude financière, est décédée le 16 septembre, après que les autorités lui eurent refusé des soins médicaux et retardé son transfert à l'hôpital. Le 19 septembre, Jamile Azizi, qui était détenue pour des motifs dont Human Rights Watch n’a pas connaissance, a été emmenée à la clinique de la prison avec des symptômes de crise cardiaque. Après l'avoir examinée, les médecins lui ont dit qu'elle ne souffrait d’aucun trouble sérieux et devait retourner dans sa cellule ; elle y est décédée peu après, a déclaré une source à HRANA.
Une défenseure iranienne des droits humains précédemment détenue à Qarchak a déclaré à Human Rights Watch qu'elle y avait souffert d’intenses douleurs thoraciques ; toutefois, les responsables de la clinique de cette prison l'ont renvoyée dans sa cellule sans lui faire passer un examen. Même lorsque sa santé s’est dégradée, ces responsables ont délibérément retardé son transfert vers un hôpital. « Ils nous exposent toutes [les prisonnières] au risque de mort », a-t-elle affirmé.
Les récents décès des trois détenues iraniennes sont les derniers en date d'une longue série de cas documentés dans lesquels les autorités ont refusé à des personnes incarcérées l'accès aux soins de santé, parfois pour punir et réduire au silence des dissident-e-s. Dans un rapport publié en avril 2022, Amnesty International a détaillé les circonstances entourant la mort en détention de dizaines d'hommes et de femmes dans 30 prisons à travers l’Iran depuis 2010, à la suite d'un refus de soins médicaux. De nombreux cas de ce type, en particulier parmi les prisonniers détenus pour des délits mineurs et ceux issus de communautés marginalisées, ne sont même pas signalés. La crainte de représailles de la part des autorités entrave aussi la capacité de nombreuses familles à défendre les intérêts de leurs proches.
Le 9 octobre, les autorités ont transféré plusieurs prisonnières politiques qui étaient détenues à Qarchak vers le quartier 6 de la prison d'Evin. Des activistes et des organisations de défense des droits humains ont signalé qu'elles y étaient détenues dans de mauvaises conditions, sans accès aux produits de première nécessité. La situation des prisonnières renvoyées à la prison d'Evin est préoccupante, étant donné que les frappes aériennes israéliennes du 23 juin ont causé d'importants dégâts aux installations vitales de cette prison, notamment à la clinique et à la salle des visites.
Les autorités iraniennes continuent de refuser aux prisonnières politiques de Qarchak et d'Evin l'accès à des soins médicaux adéquats. Des sources ont indiqué à Human Rights Watch que Maryam Akbari Monfared, une femme âgée de 48 ans détenue à Qarchak, souffre de graves problèmes au niveau du dos et de la colonne vertébrale qui nécessiteraient une opération chirurgicale et un traitement spécialisé, sans lesquels elle risque la paralysie ; toutefois, son transfert provisoire vers un hôpital n’a toujours pas été autorisé. Maryam Akbari Monfared est emprisonnée à Qarchak depuis 15 ans, sur la base d'une accusation vague d'« inimitié envers Dieu » (« moharebeh »), sans avoir bénéficié d'un seul jour de permission.
Warisha Moradi, une activiste kurde détenue à la prison d'Evin et qui a été condamnée à mort, a également besoin de soins médicaux urgents pour plusieurs problèmes de santé, a déclaré une source à Human Rights Watch.
De nombreuses autres détenues souffrant de problèmes de santé dans diverses prisons en Iran, dont des prisonnières politiques telles que l’activiste kurde Zeynab Jalalian, sont également privées de soins médicaux.
En vertu du droit international, les États ont l'obligation de mener des enquêtes indépendantes, impartiales, transparentes, efficaces et approfondies sur les décès survenus dans des circonstances potentiellement illégales, y compris ceux survenus en détention. Toutefois, dans un contexte d'impunité de longue date, les autorités iraniennes ont systématiquement manqué à leur devoir de mener de telles enquêtes sur les décès de personnes détenues. Dans plusieurs cas, les autorités ont simplement nié les allégations selon lesquelles elles auraient intentionnellement privé ces personnes de soins médicaux adéquats, lors de déclarations faites quelques heures après le décès ; dans d’autre cas, les autorités ont qualifié des décès de « suicides », ou de conséquence de la toxicomanie.
Les autorités iraniennes devraient immédiatement fournir en temps opportun des soins médicaux appropriés – y compris l’autorisation de traitements spécialisés en dehors des prisons – à toutes les personnes détenues en ayant besoin, a déclaré Human Rights Watch.
« La communauté internationale devrait exercer une forte pression sur les autorités iraniennes afin qu'elles remédient aux conditions déplorables auxquelles les prisonnières et prisonniers sont soumises dans tout le pays, y compris à Qarchak, et qu'elles leur fournissent l’accès à des soins médicaux appropriés », a conclu Michael Page.
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CSDHI
16.10.2025 à 22:37
Human Rights Watch
(Séoul, 16 octobre 2025) – Depuis 2024, les autorités chinoises ont renvoyé de force au moins 406 personnes en Corée du Nord, malgré le grave risque de persécution et de mauvais traitements auquel ces retours les ont exposées, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Le renvoi forcé de Nord-Coréens par le gouvernement chinois les expose à un risque élevé de torture, d'emprisonnement abusif, de violences sexuelles, de travail forcé et d'exécution potentielle, en violation du droit international relatif aux droits humains. Les responsables chinois chargés de ces expulsions illégales s'exposent à des poursuites pénales pour avoir facilité des crimes commis sous le régime totalitaire du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un.
« Les autorités chinoises ont renvoyé des centaines de Nord-Coréens vers leur pays, tout en sachant qu’elles risquent d’y être sévèrement persécutées », a déclaré Lina Yoon, chercheuse senior sur la Corée à Human Rights Watch. « Pékin devrait immédiatement autoriser le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à accéder à toutes les personnes menacées de renvoi forcé vers la Corée du Nord, et publier des données sur tous les Nord-Coréens détenus en Chine ou déjà expulsés. »
Les 406 cas sont basés sur des informations fournies par Stephen Kim, pseudonyme d'une personne disposant de nombreux contacts en Corée du Nord et en Chine. Human Rights Watch considère depuis longtemps les rapports de son réseau sur les rapatriements forcés comme crédibles. Ce nouveau chiffre porte à au moins 1 070 le nombre total de retours forcés depuis 2020. Aucune donnée officielle n'est disponible.
En 2014, un rapport publié par la Commission d'enquête des Nations Unies sur les droits humains en Corée du Nord, avait conclu que les Nord-Coréens « rapatriés de force » sont « systématiquement » soumis à des actes constituant des crimes contre l'humanité, notamment la torture, les violences sexuelles, le travail forcé, les disparitions forcées et des conditions de détention inhumaines. La Commission avait alors averti que la coopération de la Chine dans l'identification et le rapatriement des fugitifs nord-coréens pourrait constituer une complicité dans ces crimes.
En mai 2024, des experts des droits humains de l'ONU ont réitéré leurs préoccupations concernant les retours forcés en Corée du Nord. En septembre 2025, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies a publié au sujet de ce pays un rapport constatant que « tout au long de la dernière décennie, les personnes rapatriées ont été victimes de graves violations des droits humains, notamment de détentions arbitraires, de tortures, de mauvais traitements, de disparitions forcées et de violences sexuelles et sexistes ». Le rapport rappelle que tous les États doivent « respecter pleinement le principe de non-refoulement », selon lequel une personne ne peut être renvoyée vers un pays où elle risque d'être maltraitée, et « s'abstenir systématiquement de procéder à des rapatriements forcés, compte tenu du risque réel de violations graves des droits humains ».
En novembre 2024, plusieurs experts des droits humains des Nations Unies ont adressé aux gouvernements de la Corée du Nord et de la Chine un courrier exprimant leur inquiétude concernant les informations selon lesquelles, en août 2024, la Corée du Nord avait exécuté deux femmes qui faisaient partie des personnes rapatriées de force en octobre 2023. Les experts se sont aussi enquis du sort des autres personnes soumises à des rapatriements forcés, mais n’ont reçu aucune réponse.
Déjà en juillet 2023, dans le cadre de l'Examen périodique universel de la Chine au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HRC) avait exhorté ce pays à reconnaître que de nombreux Nord-Coréens ont besoin d'une protection internationale en raison des traitements sévères infligés à ceux qui sont renvoyés vers leur pays. Le HCR avait appelé Pékin à leur garantir l'accès aux procédures d'asile et aux documents qui leur permettraient de résider légalement en Chine.
Human Rights Watch a vérifié de nombreux cas de retours forcés depuis 2024, sans toutefois pouvoir obtenir des informations précises sur la situation actuelle de ces personnes, ni sur le lieu où elles se trouvent.
Parmi ces personnes figurent 108 travailleurs nord-coréens qui résidaient dans la ville de Helong, dans la province de Jilin en Chine ; ils ont été renvoyés en Corée du Nord en janvier 2024, après qu'une manifestation pour réclamer le versement de leurs salaires impayés a dégénéré en violences. Suite à leur retour en Corée du Nord, ils auraient été transférés vers des prisons où sont détenus des prisonniers politiques.
En avril 2024, 60 Nord-Coréens qui vivaient dans les provinces chinoises de Jilin et de Liaoning ont été renvoyés vers leur pays. Au cours de l'année 2024, 212 femmes nord-coréennes qui avaient été victimes du trafic de personnes, puis détenues en Chine dans les villes de Kunming (province du Yunnan), Nanning (province du Guangxi) et Pinxiang (province du Jiangxi) ont été renvoyées vers la Corée du Nord. Début 2025, un Nord-Coréen âgé de 36 ans et accusé de piratage informatique a été expulsé vers son pays. Vers la mi-2025, cinq femmes qui avaient été soumises à des mariages forcés dans les provinces chinoises de Jilin et Heilongjiang ont été renvoyées vers la Corée du Nord.
Entre décembre 2024 et juillet 2025, les autorités chinoises ont également renvoyé de force 20 femmes nord-coréennes, parmi 22 femmes détenues en Mongolie intérieure. Les deux femmes qui n'ont pas été renvoyées de force vers la Corée du Nord avaient été victimes de traite à des fins de mariage forcé en Chine, et étaient enceintes. Elles ont été contraintes de retourner dans les domiciles des deux hommes chinois qui avaient payé des trafiquants afin de les épouser.
Les femmes qui tombent enceintes lors de relations coercitives avec des hommes chinois sont soumises à un traitement particulièrement sévère en cas de retour en Corée du Nord, ont déclaré trois anciens responsables du gouvernement nord-coréen à Human Rights Watch. La Commission d'enquête de 2014 avait constaté que les autorités nord-coréennes soumettaient systématiquement ces femmes à des avortements forcés, voire même des infanticides de nourrissons. Selon le rapport, ces graves abus sont dus à une « attitude raciste à l’égard des enfants coréens d’origine mixte », perçus par le gouvernement comme une menace pour la soi-disant pureté du peuple nord-coréen.
Au mois de juillet 2025, plus d'une centaine de femmes nord-coréennes étaient toujours détenues dans des centres de détention des provinces du sud de la Chine. Elles avaient été victimes de traite à des fins de mariage forcé, avaient eu des enfants et tentaient de rejoindre un pays tiers sûr. Les autorités chinoises prévoyaient de les renvoyer chez les hommes auxquels elles avaient été « vendues », avant la visite du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un à Pékin, début septembre. Human Rights Watch a appris qu'au moins 28 de ces femmes ont en effet été renvoyées auprès de ces hommes, en Chine.
Le gouvernement chinois continue de qualifier de nombreux Nord-Coréens sans papiers de « migrants économiques » illégaux, et de les renvoyer de force vers leur pays, en vertu d'un protocole frontalier de 1986. Sous le président Xi Jinping, la surveillance de masse en Chine, exercée dans un contexte de répression croissante, a facilité le repérage systématique de personnes nord-coréennes et leur renvoi forcé vers leur pays.
Pékin a rejeté les appels internationaux visant à mettre fin à ces retours forcés. En 2024, lors de l'Examen périodique universel de la Chine au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, la délégation chinoise a explicitement rejeté les recommandations appelant à la cessation des expulsions de Nord-Coréens vers leur pays.
En tant qu'État partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967, ainsi qu'à la Convention de 1984 contre la torture, la Chine est légalement tenue de ne renvoyer de force aucune personne vers un pays où elle risque réellement d'être persécutée ou torturée. Cette interdiction, en vertu du principe de non-refoulement, est également contraignante pour la Chine en vertu du droit international coutumier.
En 2010, le ministère nord-coréen de la Sécurité publique a adopté un décret faisant de la défection un crime de « trahison contre la nation », passible de la peine de mort. En vertu du droit international, les Nord-Coréens ayant quitté leur pays sans autorisation et qui risquent d'être rapatriés de force sont considérés comme des « réfugiés sur place », c'est-à-dire des personnes qui deviennent réfugiées, quelles que soient les raisons de leur départ ou les persécutions antérieures.
Le gouvernement chinois devrait immédiatement mettre fin aux renvois forcés de Nord-Coréens, accorder l'asile aux réfugiés nord-coréens et leur permettre de s'intégrer pleinement en Chine s'ils le souhaitent ; ou de manière alternative, il devrait leur permettre de demander la réinstallation dans un pays tiers, ou de traverser en toute sécurité le territoire chinois pour se rendre dans un pays tiers. Les autres gouvernements et les donateurs devraient accroître leur soutien aux organisations qui viennent en aide aux fugitifs, en particulier celles qui offrent une protection tenant compte des spécificités de genre aux femmes et aux enfants exposés au risque de traite ou de rapatriement.
« Le gouvernement chinois devrait cesser de renvoyer de force des Nord-Coréens, et demander plutôt à Pyongyang de mettre fin aux conditions oppressives qui poussent les gens à fuir la Corée du Nord », a conclu Lina Yoon. « Les autres gouvernements devraient exhorter la Corée du Nord à permettre à des personnes de partir librement, et ils devraient apporter un soutien durable aux organisations qui protègent les fugitifs nord-coréens. »
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16.10.2025 à 22:00
Human Rights Watch
(Nairobi) – La nouvelle révision de la constitution du Tchad abolissant la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue un grave recul pour l'état de droit et la démocratie, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Cette modification ouvre la voie à un maintien indéfini au pouvoir du président Mahamat Idriss Déby, affaiblissant encore davantage les perspectives d'un changement démocratique significatif du gouvernement, de manière conforme aux normes internationales, notamment en matière de droit de vote et de participation politique.
« En supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels, les autorités tchadiennes ont démantelé un garde-fou important contre l'autoritarisme », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Au lieu de renforcer les normes démocratiques qui permettent une concurrence politique dans le cadre d'élections périodiques, libres et équitables, le gouvernement a consolidé les bases d'un régime dominé par un seul homme. »
Le 3 octobre, le président a finalisé les modifications constitutionnelles, qui avaient été accélérées et approuvées par les deux chambres du Parlement après avoir été votées à la mi-septembre. Le Mouvement patriotique du salut (MPS), qui domine l'Assemblée nationale, a approuvé à une forte majorité des amendements importants à des dispositions constitutionnelles, qui suppriment les limites du mandat présidentiel et prolongent chaque mandat de cinq à sept ans. Certains députés de l'opposition ont toutefois boycotté le vote, qualifiant le processus d'anticonstitutionnel et d'illégitime.
Le gouvernement a défendu cette révision constitutionnelle comme étant « technique », mais ces modifications rendent légal un règne d’une période indéfinie pour Mahamat Idriss Déby, qui est au pouvoir depuis 2021 après la mort de son père, l'ancien président Idriss Déby Itno, qui avait lui-même dirigé le Tchad pendant 30 ans.
L'abolition de la limitation du nombre de mandats supprime également un contrôle constitutionnel essentiel qui garantit le transfert pacifique du pouvoir, a déclaré Human Rights Watch. Sans cette garantie, une seule personne et un seul parti pourraient dominer la présidence. Cette mesure s'inscrit dans une tendance au recul démocratique en Afrique centrale, où les gouvernements ont recours à des amendements constitutionnels pour consolider leur pouvoir, une tendance que certains experts qualifient de « coups d'État constitutionnels ». Et ce, malgré la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, à laquelle le Tchad est un État partie, qui stipule que « tout amendement ou toute révision des Constitutions [...] qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique » est un « moyen [...] pour se maintenir au pouvoir [qui] constitue un changement anticonstitutionnel » qui doit être sanctionné. Au Tchad, où les partis d'opposition et la société civile sont déjà victimes de harcèlement et d'intimidation de la part du gouvernement, ce changement renforce encore davantage le pouvoir du MPS.
À l'approche des élections d'avril 2021, tenues juste avant la mort de feu Idriss Déby Itno, les forces de sécurité avaient violemment dispersé à plusieurs reprises des manifestations pacifiques de l'opposition à N'Djamena, tirant des gaz lacrymogènes, frappant les manifestants et arrêtant arbitrairement des membres de l'opposition et des activistes de la société civile.
Après la mort d’Idriss Déby Itno, l'armée, dirigée par Mahamat Idriss Déby, a pris le contrôle du pays.
Alors que les autorités militaires avaient promis une transition vers la démocratie après la prise de pouvoir, elles ont au contraire suivi un scénario familier de consolidation du pouvoir et de restriction des libertés politiques, a déclaré Human Rights Watch. La transition militaire qui a suivi la mort d’Idriss Déby Itno n'aurait jamais dû avoir lieu. Selon la Constitution tchadienne alors en vigueur, adoptée en 2018, en cas de décès du président, le président de l'Assemblée nationale devrait provisoirement diriger le pays pendant 45 à 90 jours avant d'organiser de nouvelles élections.
Les violences ont atteint leur paroxysme en octobre 2022 lorsque des manifestants ont exigé une transition vers un régime civil. Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant nombre de personnes, et en ont arrêté des centaines d’autres avant de les envoyer à la prison de haute sécurité de Koro Toro, dans le nord du pays.
Après des affrontements intercommunautaires meurtriers dans la province du Logone occidental, le dirigeant de l'opposition et ancien Premier ministre Succès Masra a été arrêté à N'Djamena en mai 2025 sur la base de diverses accusations, notamment incitation à la haine et à la violence. À l'issue d'un procès à motivation politique, il a été condamné à 20 ans de prison et à une amende d'un milliard de francs CFA. Il est toujours en détention aujourd'hui.
Au lieu de tirer les leçons de l'Histoire, les dirigeants tchadiens réécrivent et répètent les mêmes erreurs qui ont maintenu le pays emprisonné dans un cycle d'autoritarisme, a déclaré Human Rights Watch.
Ce n'est pas la première fois que le Tchad supprime la limitation du nombre de mandats. Feu Idriss Déby Itno avait supprimé cette limitation en 2005, lui permettant de rester au pouvoir jusqu'à sa mort. En 2018, la limitation à deux mandats avait été rétablie, mais avec une augmentation de la durée de chaque mandat de cinq à six ans. Le défunt président avait été autorisé à se présenter à ces deux mandats supplémentaires jusqu'à sa mort. La décision de son fils de supprimer à nouveau la limitation, sept ans seulement après son rétablissement, souligne à quel point la manipulation constitutionnelle est devenue un outil de maintien d’emprise sur le pouvoir.
Les autorités tchadiennes devraient envisager de rétablir la limitation du nombre de mandats présidentiels et veiller à ce que tout processus de réforme constitutionnelle soit transparent et inclusif. Les dirigeants de l'opposition qui ont boycotté le vote parlementaire ont demandé la tenue d'un référendum afin de s'assurer du soutien populaire de ces changements. Un référendum similaire avait été organisé en 2023 pour approuver une nouvelle constitution, mettant fin au régime militaire.
Les autorités devraient également mettre immédiatement fin aux poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques, libérer les dirigeants de l'opposition politique tels que Succès Masra et garantir la liberté d'expression et de réunion.
« La répression est devenue monnaie courante au Tchad et aujourd'hui, la Constitution elle-même est en train d'être réécrite afin de restreindre davantage les droits des citoyens », a conclu Lewis Mudge. « En l'absence de mécanisme crédible de passation démocratique du pouvoir, d'autres institutions telles que le Parlement, le pouvoir judiciaire et la presse perdent leur capacité à exercer un contrôle efficace sur le pouvoir exécutif. »
15.10.2025 à 21:18
Human Rights Watch
(Beyrouth) – Le 25 septembre, les autorités houthies au Yémen ont arrêté Abdulmajeed Sabra, un avocat défenseur des droits humains qui avait publié sur les réseaux sociaux un message commémorant une fête nationale d’indépendance à laquelle s'opposent les Houthis ; les autorités devraient le libérer immédiatement, ont déclaré aujourd'hui 17 organisations non gouvernementales, dont Human Rights Watch.
Déclaration conjointe des 17 organisations :
Le 25 septembre, selon un membre de sa famille, plusieurs militaires houthis et d'autres hommes armés en tenue civile ont fait irruption dans le bureau Abdulmajeed Sabra, situé dans le quartier de Shamila dans la capitale, Sanaa ; ils l’ont arrêté et emmené vers une destination inconnue.
Selon un autre proche, ces hommes lui ont présenté un mandat d'arrêt et ont déclaré que son arrestation était due à ses publications sur les réseaux sociaux marquant l'anniversaire de la révolution du 26 septembre 1962 au Yémen, une date que les Houthis refusent de célébrer. Ils estiment que c'est plutôt la date anniversaire du 21 septembre 2014, lorsqu’ils ont pris le contrôle de la capitale, qui devrait être célébrée.
La famille d’Abdulmajeed Sabra n'a pu obtenir aucune information sur le lieu où il est détenu et n'a pas pu communiquer avec lui depuis son arrestation, ce qui est susceptible de constituer le crime de disparition forcée.
L'arrestation d’Abdulmajeed Sabra s'inscrit dans le cadre d'une vague d'arrestations de personnes commémorant publiquement l'anniversaire du 26 septembre 1962. Des sources crédibles ont rapporté que les Houthis ont procédé à une vague d'arrestations et détenu des dizaines de personnes dans les gouvernorats du nord du Yémen, pour avoir célébré pacifiquement ou publié sur les réseaux sociaux des contenus liés à l'anniversaire du 26 septembre.
Abdulmajeed Sabra est l'un des principaux avocats ayant travaillé sans relâche pour défendre les personnes détenues après avoir tenté d’exercer pacifiquement leurs droits au Yémen. Il utilise sa page Facebook pour exprimer ses opinions personnelles, défendre les droits des Yéménites et publier des informations au sujet des affaires sur lesquelles il travaille.
Les organisations non gouvernementales soussignées appellent les autorités houthies au Yémen à :
Libérer immédiatement et sans condition l'avocat défenseur des droits humains Abdulmajeed Sabra, ainsi que toutes les autres personnes détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains, notamment leurs droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association ;Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes qui sont toujours détenues de manière arbitraire, y compris les dizaines de membres du personnel des Nations Unies et de la société civile arrêtés et soumis à des disparitions forcées en 2024 et 2025 ;Respecter et défendre les droits humains de chaque personne, y compris les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique, ainsi que la liberté des médias ; etVeiller à ce que les défenseurs des droits humains, les journalistes, les blogueurs, les universitaires et les activistes utilisant l’Internet puissent travailler et s'exprimer librement, sans crainte de représailles ni de harcèlement judiciaire.Organisations signataires :
Amnesty InternationalCairo Institute for Human Rights StudiesCIVICUSDemocracy for the Arab World Now (DAWN)Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humainsFront Line DefendersGulf Centre for Human Rights (GCHR)Human Rights First (HRF)Human Rights Watch (HRW)HuMENA for Human Rights and Civic EngagementIFEXInternational Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI)International Service for Human Rights (ISHR)MENA Rights GroupMwatana for Human RightsOrganisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humainsYemeni Archive………………..