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19.05.2025 à 10:20

Entre crises et résistances : la presse féministe en quête de viabilité économique

Lucie Barette

Difficultés économiques.

- Économie des médias
Texte intégral (1530 mots)

Le magazine Causette en liquidation judiciaire en juin 2024 ; l'arrêt de la publication papier de l'expérimental Censored ; le point final de Cheek, verticale [1] féministe des Inrocks, après 10 ans de fonctionnement ; Period, le média féministe de Loopsider, au ralenti ; une cagnotte de soutien pour Nouvelles Questions Féministes… De quoi ces mises à l'arrêt sont-elles le nom ?

Quand Cheek a été racheté par les Inrocks en 2017, après 4 ans d'existence indépendante, le #MeToo n'avait pas encore secoué les plateformes et les médias français. Bonne idée que de s'adosser à un magazine d'une telle envergure, afin d'y creuser les nombreux sujets féministes dans les milieux culturels ? Dès le début pourtant, il faut composer avec l'épineuse question du cas Cantat, en couverture du magazine en octobre, suscitant une vive polémique. La rédaction est divisée, la verticale féministe produit un édito critique – l'édito de la direction de la rédaction des Inrocks sous forme de molles excuses n'apaisant pas grand monde. Les années, les directions générales et rédactions en chef passant, la rédaction de Cheek perd en visibilité : à partir de 2021, l'équipe est drastiquement réduite, et les sujets féministes se font de moins en moins nombreux. Le 9 avril 2025 sur Instagram, l'équipe annonce la fin de l'aventure Cheek, sans explication sur les motifs de cet arrêt inattendu. Malgré les mises en avant de livres et séries féministes dans les Inrocks, malgré le storytelling d'une rédactrice en chef (Carole Boinet) entrée stagiaire dix ans plus tôt, puis à la tête du hors-série Sexe, faut-il en déduire que l'expertise féministe de Cheek n'était plus utile au sein du groupe Combat (Matthieu Pigasse) ? Ou s'agirait-il plutôt d'une banale histoire de restriction budgétaire ? C'est sûrement plus rentable de confier des sujets féministes à des pigistes précarisées et de nourrir son récit de gauche au sein du groupe, notamment depuis l'arrivée de l'équipe Meurice sur Nova, plutôt que de financer une équipe à temps plein et questionner ses hiérarchies internes.

Du côté de Causette, la descente aux enfers est plus documentée, les difficultés économiques se succédant depuis dix ans. Si pour Clémentine Gallot, pigiste régulière puis salariée, la rédaction avait au départ un aspect très agréable, assez alignée avec ses valeurs, au moins entre les employé-es, l'écosystème a fini par rattraper les choix du magazine. En octobre 2023, l'annonce de la fin de l'imprimé est un coup dur. Les journalistes étaient volontaires pour assurer la transition vers un média uniquement digital mais les moyens n'ont pas suivi : pas de formation, pas de matériel, une cadence intenable par l'équipe pour produire de l'information en continu. Les conditions de travail se sont rapidement dégradées. Mise en liquidation judiciaire sans passer par le redressement, la rédaction est licenciée brutalement.

Chez Censored, ce sont aussi les difficultés financières qui expliquent la fin de la version imprimée du magazine [2]. Si la subvention pour les entreprises de presse émergentes accordée par le ministère de la Culture avait permis de financer la newsletter gratuite, les refus du Centre National du Livre et du Centre national des arts plastiques vont mettre en danger l'équilibre financier déjà fragile du semestriel. La fondation d'une maison d'édition (éditions trouble) et la sortie du premier essai (Manifeste pour une démocratie déviante de Constant Spina) ont également questionné les deux créatrices, Apolline et Clémentine Labrosse, sur la manière dont elles voulaient accompagner leurs auteurs et autrices, dans une démarche cohérente avec les valeurs déployées dans le magazine : « Il ne s'agissait pas seulement d'argent, même si ça passait aussi par une rémunération appropriée, précise Clémentine Labrosse, c'était aussi un enjeu de prise en soin, sauf qu'à trente, c'est compliqué. » L'édition de livres permet, selon Clémentine Labrosse, un rapport qualitatif aux auteurs et autrices et une organisation financière différents. Le bouclage du Censored numéro 8 et un problème de santé presque fatal pour l'auteur du Manifeste ont précipité l'équipe en burn-out, aussi provoqué par toute la gestion invisible et le travail de coordination associés à la précarité. Ces épisodes ont suscité une pause et une refondation complète du modèle Censored.

Ces expériences médiatiques qui s'arrêtent posent la question de la viabilité économique de l'information féministe. Œuvre de transmission collective, un projet médiatique n'est pas forcément une entreprise rentable. Les journaux féministes historiques comme La Citoyenne d'Hubertine Auclert ou La Fronde de Marguerite Durand dressent des leçons sur les difficultés à faire financer les initiatives féministes dans l'économie du média. Les milliardaires prêts à investir à perte dans des journaux ne sont pas du côté des progrès queer. Le magazine Gaze démultiplie ses activités rédactionnelles avec une agence de communication spécialisée dans l'inclusivité, la rédaction de La Déferlante a ouvert son capital, autant de tentatives pour ne pas dépendre d'un groupe peu fiable.

C'est encore la question du renouvellement des formats qui est mise en lumière : papier versus numérique, et même de nouvelles pistes qui sont explorées pour répondre aux attentes des publics féministes. Clémentine Gallot, qui vient du podcast féministe « Quoi de meuf », a lancé une newsletter sur la plateforme Substack, « Quoi de Mum ». Il s'agit pour la journaliste de créer un espace d'analyse sérieux et drôle de la parentalité qui ne dénigre pas les enfants. Bénéficiant d'un accompagnement de la structure Médianes, Clémentine Gallot espère pouvoir faire grandir ce média, le structurer, le monétiser et le décliner sur différents supports. Clémentine Labrosse a lancé en mai 2025 Censored online, une plateforme en ligne sur abonnement. Elle explique que, face au climat politique chaotique et aux difficultés des médias engagés à gauche, il lui a semblé nécessaire de prendre ses responsabilités et contribuer au collectif à partir de ses compétences : « On a besoin d'espace, de partage. La plateforme numérique est sûrement un espace à investir et à explorer. »

Ce que les différentes journalistes et directrices de presse interrogées nous apprennent enfin, c'est qu'il n'existe pas d'organisme ni même d'espace de fédération des médias féministes. S'il existait en 1896 un Syndicat de la presse féminine et féministe, peut-être manque-t-il aujourd'hui un espace de mutualisation et de réflexion collective, à l'image des regroupements de l'édition indépendante, sur ce qu'une catégorisation féministe implique pour un média en termes de ligne éditoriale, de régie publicitaire et de gestion des ressources humaines.

Lucie Barette


[1] Une verticale est une section spécialisée d'un média généraliste : elle bénéficie de son propre nom et de sa propre équipe à l'intérieur de la rédaction générale.

[2] « La fin d'un cycle, le début d'un nouveau », Instagram, 16/12/24.

16.05.2025 à 15:29

LFI, censures, Arcom et compagnie : revue de presse de la semaine

Elvis Bruneaux

Du 09/05/2025 au 15/05/2025.

- L'actualité des médias /
Texte intégral (1598 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 09/05/2025 au 15/05/2025.

Critique des médias

« i24News : un rond de serviette sur France Info », Acrimed, 9/05.

« "La Meute" : Goebbels, Jakubowicz, Mélenchon et... Apolline de Malherbe », Arrêt sur images, 10/05.

« Ce que nous dit l'acharnement médiatique contre LFI », Acrimed, 15/05.

« "On n'est pas d'accord !" sur M6 : l'humiliation en guise de show télé », Arrêt sur images, 10/05.

« À la télé : Gaza, une info comme une autre », Arrêt sur images, 12/05.

« Israël-Palestine : "Le plus révoltant, c'est la différence de traitement" », Acrimed, 12/05.

« Macron / TF1 : Gaza, guerre de seconde classe », Arrêt sur images, 14/05.

« Chère Ruth Elkrief », Blast, 10/05.

« Libérez-nous de Le Vaillant », La Part des femmes, 13/05.

« LFI : pourquoi "la meute" des médias se déchaîne contre les insoumis ? », Le Média, 15/05.

« Que penser des "révélations" sur LFI ? », Frustration, 9/05.

Économie des médias

« Entre pertes et dissensions familiales, l'avenir en eaux troubles du quotidien Sud Ouest », La Lettre, 9/05.

« L'Express : Alain Weill envisage une cotation en Bourse », L'Informé, 9/05.

« "60 millions de consommateurs" : la vente "toujours d'actualité", malgré l'avis du conseil d'administration », Le Monde, 13/05.

« Le bras de fer sur la TVA entre Canal+ et le fisc se poursuit », La Lettre, 13/05.

« Intelligence artificielle : "le Monde" signe un accord avec Perplexity pour l'utilisation de ses articles », Libération, 14/05.

Dans les rédactions

« Un ex-journaliste du "Point" condamné pour diffamation contre les ex-LFI Garrido et Corbière », Télérama, 14/05.

« Le dilemme des médias de gauche face à "La Meute" », Arrêt sur images, 14/05.

« Émission antisémitisme : et si on recadrait le débat ? », Arrêt sur images, 9/05.

« Le journaliste Éric Brunet revient sur LCI », Le Figaro, 15/05.

« Jacques Legros a présenté son dernier "13 heures" sur TF1, dont il était le joker depuis vingt-six ans », Le Monde, 9/05.

À signaler, aussi

« BFM TV : le comité d'éthique valide une interférence éditoriale de la direction », La Lettre, 14/05.

« Un sketch de l'humoriste Merwane Benlazar sur Cyril Hanouna en partie censuré sur W9 », Le Monde, 14/05.

« Paris Police 1900 : La série censurée par Bolloré ? », L'Humanité, 11/05.

« "Ne pas laisser passer" : injurié, un journaliste porte plainte contre Hubert Falco », Arrêt sur images, 12/05.

« Delphine Ernotte réélue présidente : à quoi s'attendre à France Télévisions ces cinq prochaines années ? », Télérama, 14/05.

« Ernotte, Capton et Niel reconduits à France Télés », Off Investigation, 14/05.

« Serge Cimino, le journaliste candidat à la présidence de France Télévision recalé par l'Arcom », L'Humanité, 12/05.

« Laurent Vallet reconduit à la tête de l'INA pour un troisième mandat », Le Monde, 15/05.

« RMC Découverte sanctionnée d'une amende de 100 000 euros pour n'avoir pas diffusé assez de documentaires », Le Monde, 11/05.

« Propos de Jean-Michel Aphatie sur les nazis et l'Algérie : l'Arcom pointe un risque de "relativisation du nazisme" », Télérama, 10/05.

« L'Arcom missionne le CRIF », Blast, 12/05.

« Étoiles bleues, mains rouges : les télévisions et radios françaises instrumentalisées par la Russie », La Revue des médias, 12/05.

« RFI, Conflits, Nice-Matin, Franceinfo : le CDJM publie quatre nouveaux avis », CDJM, 9/05.

« "Nous allons vers un désert informationnel" : menacés, les quotidiens d'outre-mer s'allient pour leur survie », Le Figaro, 10/05.

« Médias en Nouvelle-Calédonie : "Il faut une presse solide et respectée pour éviter les pressions" », Libération, 12/05.

« "Les médias russes sanctionnés par l'Union européenne restent tous facilement accessibles en France, et l'Arcom ferme les yeux" », Le Monde, 14/05.

« Volée de reproches pour deux enquêtes sur l'IA : "Cash" répond », Arrêt sur images, 12/05.

« Aux origines de la guerre entre France TV et Canal+ », Off Investigation, 13/05.

Et aussi, dans le monde : Grèce, Inde, Tunisie, Zimbabwe, Chine, Turquie, Grande-Bretagne...

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

15.05.2025 à 18:04

Ce que nous dit l'acharnement médiatique contre LFI

Pauline Perrenot

Une longue campagne de stigmatisation.

- Politique / , ,
Texte intégral (4274 mots)

La principale force de gauche partisane en France est unanimement stigmatisée par les médias dominants, comme ne l'est aucun autre parti dans le champ politique… et de (très) loin. Si LFI ne saurait être au-dessus de toute critique, qui peut prétendre qu'il n'en va pas là d'un dysfonctionnement démocratique de premier plan ?

Initialement paru en mars 2023, Les médias contre la gauche démontre le rôle majeur des grands médias dans le processus de radicalisation du projet néolibéral en France. Cette droitisation sans fin du débat public s'est encore accélérée aux cours des deux années qui se sont écoulées. Sociologiquement solidaires des intérêts des classes dirigeantes, les chefferies éditoriales – comme la plupart des commentateurs en vue – alimentent par leurs pratiques le pourrissement démocratique et demeurent évidemment réfractaires à toute critique des médias. Par suivisme, routine, dépendance, aveuglement ou activisme politique, ils participent à la contre-révolution réactionnaire qui gagne du terrain partout dans le monde, quand elle ne tient pas déjà les rênes du pouvoir.

Une existence publique intolérable

Acteurs centraux de la normalisation de l'extrême droite depuis plusieurs décennies, les médias dominants mènent parallèlement campagne contre la gauche sociale et politique qui assume des orientations de rupture avec les politiques de violence sociale, les entraves aux libertés publiques, les « évidences » sécuritaires, l'islamophobie ambiante et prend position contre le génocide en Palestine. Autant de lignes politiques inacceptables aux yeux de l'éditocratie, et qui valent aux organisations partisanes, syndicales et associatives qui les portent d'être disqualifiées comme représentant une gauche « irréaliste », « déraisonnable », « radicale », « extrême », « antirépublicaine » et désormais « antisémite ». Les cabales médiatiques massives et continues contre LFI démontrent que les conditions d'expression et d'existence de cette gauche dans le débat public sont plus entravées que jamais.

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Loin d'être exhaustif – par souci de lisibilité, nous n'avons par exemple pas inclus les couvertures de puissants quotidiens tels que Le Figaro (sauf une), Les Échos ou Le Monde – ce paysage de Unes donne néanmoins un aperçu du climat ambiant : près de 90% d'entre elles (48) sont parues post janvier 2022, et même post octobre 2023 pour plus de la moitié (55%). Il faut en outre se représenter la force de frappe décuplée du paysage audiovisuel, déclinant jour après jour les mêmes mots d'ordre, sur tous les tons et jusqu'à l'acharnement, notamment dans le cas de l'eurodéputée Rima Hassan et de Jean-Luc Mélenchon, ciblé depuis le début des années 2010. Ainsi la principale force de gauche partisane en France est-elle unanimement stigmatisée par les médias dominants – et une partie des indépendants –, comme ne l'est aucun autre parti dans le champ politique… et de (très) loin. Si LFI ne saurait être au-dessus de toute critique, qui peut prétendre qu'il n'en va pas là d'un dysfonctionnement démocratique de premier plan ?

Dernier épisode en date : la vaste promotion du livre La Meute signé Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde), instantanément converti en « macro-événement » médiatique par la grâce d'une heureuse distinction parmi le millier d'essais qui paraissent chaque année [1]. L'effet de masse a amplifié la nuisance du journalisme politique : en l'absence de tout discernement, de tout sens des hiérarchies et parfois, de toute déontologie, les critiques légitimes s'enlisent sous les règlements de compte, les anecdotes insignifiantes, les « on dit », les partis pris et les calomnies. Comment prendre au sérieux des plateaux qui, dissertant joyeusement de ce livre, donnent par exemple à entendre sans la moindre contradiction que « les Insoumis sont des spécialistes de l'enfumage et du maquillage de l'antisémitisme » (Étienne Gernelle, BFM-TV, 6/05), que LFI est « une secte dont Jean-Luc Mélenchon est le gourou » (Alba Ventura, TF1, 6/05), que « même le Front national, même le Rassemblement national sont plus démocratiques que ne l'est La France insoumise »… puis que « Jean-Luc Mélenchon a contribué à dédiaboliser le Rassemblement national » (Jean-Michel Aphatie, « Quotidien », TMC, 6/05) ?

Il est également pour le moins grotesque de lire la co-autrice de La Meute, Charlotte Belaïch, déclarer dans Marianne (6/05) que « LFI est un mouvement dans lequel on parle assez peu de politique », avant de qualifier de vulgaires « répétiteurs » l'ensemble de ses militants et sympathisants – ceux-là mêmes que le journalisme dominant interdit de « stigmatiser » ou de « mépriser » lorsqu'il est question du RN. Venant en outre d'une éminente représentante du journalisme politique, maître d'œuvre en matière de dépolitisation, l'accusation ne manque décidément pas de sel. Elle fait pourtant des émules, comme à La Dépêche, où le directeur de l'information Lionel Laparade se moque de militants « dévots incapables de penser la politique par eux-mêmes, en dehors de la Bible programmatique. […] Ici, penser par soi-même, c'est déjà trahir. Insoumis dehors, soumis dedans. » (11/05)

Rien ne sera épargné. Jusqu'à cette émission de BFM-TV du 8 mai, au cours duquel le président d'honneur de la Licra [2] Alain Jakubowicz qualifie LFI de « mouvement fasciste », avant de déclarer : « Toutes proportions gardées, je vois un parallèle – je sais que je vais me faire rentrer dedans, mais ce n'est pas grave – entre Mélenchon et Goebbels. » Une relativisation du nazisme doublée d'une injure infâmante qui, de fait, ne lui valut aucune remontrance en direct [3]. Et pour cause : loin de constituer un « dérapage », ces propos s'inscrivent pleinement dans le processus de banalisation/diabolisation précédemment décrit. Comment condamner ce qu'on a eu de cesse d'alimenter ? Comment les principaux acteurs de la sphère politico-médiatique peuvent-ils s'affranchir du logiciel orwellien qu'ils auront eux-mêmes inlassablement contribué à construire, dans lequel l'équation « LFI » = « antisémitisme » est devenue une « évidence » et l'extrême droite, lavée de tout soupçon ? Comment prétendre dénoncer des outrances quand ces dernières sont tolérées ad nauseam, depuis l'évocation des « nazis de gauche » (Thierry Keller, « C ce soir », 17/06/2024) et sa variante – « le nazisme est-il passé à l'extrême gauche ? » (CNews, 12/10/2023) –, jusqu'aux refrains incessants sur la « jean-marie-lepénisation » de Jean-Luc Mélenchon, repris en chœur par des éditorialistes politiques de Libération comme Jonathan Bouchet-Petersen, en décembre 2023, et son confrère Thomas Legrand : « Comment Jean-Luc Mélenchon s'est Jeanmarielepenisé ? » (Libération, 26/03) ?

Depuis notre premier article, publié la veille de la parution du livre, les médias poursuivent donc leur matraquage et les deux auteurs leur tournée, investissant les dispositifs les plus indigents qui soient, dans des médias réputés pour leur engagement forcené dans la disqualification de la gauche. « Les Grandes Gueules » (RMC, 8/05), mais aussi « C à vous » (France 5, 9/05), où Anne-Élisabeth Lemoine exulte : « Votre livre s'arrache ! Il est en rupture de stock et il se vend d'ailleurs plus cher sur les sites d'occasion qu'en librairie ! » Tout en remplissant, à peu de frais cette fois-ci, les colonnes de Paris Match – « "Il a tout trahi" : comment Jean-Luc Mélenchon a éteint Les Lumières » (8/05) –, ainsi que de belles doubles pages entièrement à charge jusque dans la PQR.

La Dépêche (11/05)

Comme à de nombreuses reprises au cours des dernières années, Mediapart ne manque pas à l'appel. À titre individuel, Edwy Plenel promeut sur X l'article du Monde et celui de son ancienne maison, lesquels n'avaient visiblement pas dit du livre l'essentiel de ce qu'il fallait en dire : l'ancien directeur agrémente X de ses commentaires personnels en guise de supplément (8/05). Quant à Mediapart, la recension est à peu près la même qu'ailleurs, et le journalisme politique donne sa mesure.

Certes, on peut lire dans les premiers paragraphes que « [le livre] ne s'intéresse pas aux orientations politiques de la principale force de gauche. Il ne porte pas davantage sur la dynamique militante d'un mouvement relativement récent, ou celle de son école de formation avec l'Institut La Boétie (au cœur de la bataille culturelle revendiquée par LFI contre l'extrême droite et la Macronie). » Présentés comme anecdotiques, ces angles morts constituent pourtant un biais de taille dans le tableau d'ensemble ! Et si Mediapart fait mine de se dédouaner ou de s'auto-légitimer en renvoyant à deux de ses articles (sur le programme de LFI et l'institut La Boétie), cette pitance est plutôt maigre (en volume) et loin de l'analyse (de qualité) que le journal sait fournir en d'autres occasions… et qu'on serait en droit d'attendre de la part du média indépendant le plus influent. Par ailleurs, si Mediapart pointe en préambule « les instrumentalisations [du livre], souvent grossières, de la part des opposant·es à La France insoumise », ces dernières n'émaneraient que du champ politique – pas une ligne sur les médias ! –, et sont en outre évoquées de nouveau comme une donnée secondaire, pour ne pas dire insignifiante. À l'image, du reste, de ce que donne à en voir Mediapart, c'est-à-dire à peu près rien : au cours des dix-neuf derniers mois, singulièrement, on ne trouve aucun article à part entière sur la diabolisation médiatique permanente du mouvement de gauche. Comme ailleurs dans les grands médias, cette indifférence à l'égard d'un phénomène pour le moins significatif pose question, a fortiori dans une séquence comme celle-ci.

Le journalisme politique : 1 PB

Le traitement médiatique du livre La Meute est un concentré de ce que le journalisme politique fait de pire : personnaliser et spectaculariser à outrance la vie politique. Ce journalisme politique dépolitise ainsi les enjeux en accentuant les effets du présidentialisme du régime et de la professionnalisation du personnel politique. En réduisant l'ensemble du fonctionnement d'un mouvement politique à des ficelles manipulatoires émanant d'un seul homme, des bruits de couloir, des coups bas et des personnalités autoritaires, le journalisme politique [4] construit des personnages et livre un storytelling – comme ses auteurs aiment régulièrement décrire leur travail, ils « racontent une histoire ». Une histoire que leurs homologues, pétris des mêmes préjugés et faits du même bois – sociologiquement et professionnellement parlant –, lisent et relisent sur le même ton en accentuant les mêmes angles morts et les mêmes cadrages – les pratiques du journalisme politique étant tendanciellement identiques d'un média à l'autre, quelle que soit son orientation éditoriale. Ainsi le débat public s'homogénéise-t-il, a fortiori lorsqu'il est dominé par l'éditorialisme et, disons-le, une tendance à la détestation viscérale de LFI unanimement répartie parmi les chefferies éditoriales. Comme le souligne le politiste Samuel Hayat, « plutôt que d'accuser LFI d'être une meute et Mélenchon d'être un gourou, il faudrait se demander pourquoi ces formes de militantisme sont adaptées tant au présidentialisme de la Ve République qu'aux logiques médiatiques et aux mutations de l'engagement. »

À bien observer la délectation – pour ne pas dire la hargne – de certains commentateurs, comme les mécanismes qui contribuent depuis une décennie à nourrir le climat de diabolisation dans lequel s'inscrit cette parution, on comprend en effet à quel point les grands médias, a fortiori audiovisuels, sont devenus un lieu anti-démocratique par excellence, où les règles qui sont censées encadrer les pratiques du journalisme et garantir un certain pluralisme démocratique n'ont plus cours. Comment, dans de telles conditions, espérer qu'un « débat » équitable et informatif au sujet de LFI – et de la pratique du pouvoir, plus généralement – puisse se tenir sur la place médiatique ? Quant à produire ce que ces journalistes prétendent espérer – une autocritique, dont eux-mêmes sont systématiquement incapables s'agissant de leurs propres pratiques –, le matraquage tel qu'il se donne à voir ne peut évidemment qu'entraîner l'inverse.

A fortiori lorsque le rapport aux questions démocratiques fait l'objet d'un tel deux poids, deux mesures médiatique, que l'on pense au fonctionnement interne d'autres partis, mais aussi plus largement. Aujourd'hui ardents défenseurs de la démocratie, nombre de commentateurs accréditaient hier la communication du RN contre la justice et le « vol » d'une élection (imaginaire), contribuaient à faire oublier les résultats du scrutin législatif (bien réel) ou soutenaient le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites. Désormais convertis en militants anti-autoritaires, gageons également que le chiens de garde cesseront de légitimer et d'encourager la répression systématique des quartiers populaires et du mouvement social [5]

Le sens des hiérarchies… et des indignations

Le Monde et Libération sont les deux titres par lesquels arrive cet énième épisode de diabolisation, auquel les deux auteurs-journalistes participent activement et en toute connaissance de cause, sans être pour autant responsables des pires usages de leur livre sur le plan éditorial. Un phénomène qui en dit long, très long, sur leur aveuglement – et sur celui de leurs chefferies respectives –, incapables de prendre pleinement la mesure de la conjoncture dans laquelle nous sommes. Auto-intoxiqués par leurs propres pratiques au point de ne pas en entrevoir les angles morts, persuadés de faire œuvre démocratique, les deux quotidiens huilent la machine, encore et encore. Et rien ne semble pouvoir perturber les petites routines insignifiantes du journalisme.

Ainsi la parution de La Meute aura-t-elle par exemple fait infiniment plus de bruit médiatique que les déclarations de Netanyahou tenues au même moment. Ce dernier a affirmé publiquement – comme ne cesse de le faire le gouvernement israélien depuis des mois, avec d'autres mots – son intention d'« intensifier l'opération à Gaza » dans un objectif de « conquête » : une occupation militaire et le déplacement forcé de centaines de milliers de Palestiniens, soit l'approfondissement de la guerre génocidaire visant « l'effondrement et l'effacement » et, in fine, l'anéantissement de la question nationale palestinienne.

La comparaison des deux thématiques n'est pas aléatoire puisque les auteurs de La Meute évoquent souvent le positionnement de LFI sur la question palestinienne. D'une manière identique au traitement livré récemment par « Complément d'enquête » (France 2, 24/04), ils redoublent alors la criminalisation médiatique entretenue sans relâche depuis dix-neuf mois contre l'ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine. Jamais aucun intervenant, parmi celles et ceux qui captent encore quotidiennement les micros pour soutenir l'État d'Israël, n'aura été stigmatisé de la sorte ni sommé de rendre un millième des comptes réclamés par les journalistes à LFI et au mouvement de solidarité. Jamais le gouvernement français n'aura eu à affronter ne serait-ce qu'un millième des critiques essuyées par ces derniers pour n'avoir, par exemple, décidé d'aucune sanction concrète contre l'État d'Israël en dix-neuf mois et ce, alors que les leviers d'action sont légion.

Las… Au soir du 6 mai, l'interrogatoire de Manuel Bompard par quatre procureurs de BFM-TV [6] fait office de synthèse. Les journalistes ont alors consacré les 38 premières minutes – sur 50 au total, soit les trois quarts de l'entretien – à disséquer le livre La Meute, pour ensuite, au cours des dix minutes suivantes, polariser l'attention autour des dernières « affaires » Jérôme Guedj [7]. Le coordinateur de LFI eut alors beau tenter de ré-angler la « discussion » autour de la situation à Gaza, cette dernière n'inspira strictement aucune question aux journalistes, tout à leur obsession de « l'électoralisme » de Jean-Luc Mélenchon (Anna Cabana), puis, rebelote, du « cas de Jérôme Guedj » (Perrine Storme), qui « dit que Jean-Luc Mélenchon ne le salue même plus » (Anna Cabana). Critiqué en fin d'émission par Manuel Bompard, le conducteur orwellien de cette interview est une reproduction quasi parfaite du bruit médiatique dominant.

Compte tenu de la gravité de la conjoncture, cet acharnement systématique, asymétrique et unilatéral devrait objectivement interpeller chaque professionnel des médias un tant soit peu attaché aux valeurs démocratiques. D'autant que, sur le plan national, les sujets de préoccupation ne manquent pas, qui devraient mobiliser les « grandes consciences » du journalisme : une extrême droite toujours plus puissante, dont la violence débridée s'accroît (dans la rue) et qui consolide son enracinement (dans les institutions), recueillant pour cela l'appui croissant d'acteurs sociaux extrêmement influents, notamment dans le champ économique ; de nouveaux rouleaux compresseurs programmés contre la Sécurité sociale, les chômeurs et les droits des travailleurs, frappés par des plans de licenciements massifs sur fond d'enrichissement du capital ; une répression accrue des mouvements antiracistes et antifascistes, incluant la dissolution d'organisations de premier plan comme Urgence Palestine et la Jeune Garde ; une surenchère sécuritaire et islamophobe permanente, dont l'incarnation se trouve aujourd'hui au plus haut sommet de l'État à travers la figure de Bruno Retailleau, qui dame le pion au RN sous les hourras ou la complaisance des rédactions.

Mais face à tout cela, la priorité de Libération et du Monde, en alternance avec l'ensemble des médias les plus influents, consiste à s'interroger sur le risque que représenterait la gauche au pouvoir. À (se) poser des « questions vertigineuses […] sur ce que deviendrait la France avec Jean-Luc Mélenchon » (La Dépêche, 11/05), sans doute satisfaits de ce qu'elle est devenue en huit ans de « démocratie » macroniste…

« Quotidien », TMC, 6/05

Ainsi cet entre-soi s'offre-t-il le luxe de « se faire peur » avec des scénarios apparemment vécus comme cauchemardesques, tout en s'interrogeant benoîtement sur le pourquoi du comment LFI ferait aujourd'hui « plus peur » que le RN. Confortant des partis pris assénés depuis au moins trois ans par l'ensemble de l'éditocratie, les commentateurs évitent soigneusement d'interroger le rôle des médias. Bref, ce petit monde se paye le luxe du train-train ordinaire. Il fait ce qu'il a à faire. Il fait ce qu'il a toujours fait. Ce journalisme serait risible s'il n'était devenu, pour reprendre les mots du Monde diplomatique, un véritable « danger public ».

Pauline Perrenot


[1] À titre de comparaison, Pop fascisme : Comment l'extrême droite a gagné la bataille culturelle en ligne (Éditions Divergences, 2024), signé lui aussi par une et même deux plumes de Libération, n'aura jamais suscité un tel engouement médiatique…

[2] La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme.

[3] L'animatrice Apolline de Malherbe se désolidarisera de ces propos quelques heures plus tard sur X et à l'antenne le lendemain. Quant à la SDJ de BFM-TV, elle éditera trois lignes de condamnation sur le même réseau social. Jean-Luc Mélenchon a quant à lui annoncé porter plainte pour injure publique.

[4] Journalisme politique qui ne rechigne pas à user de « méthodes délétères », ainsi que les dénonce le sociologue Didier Eribon.

[5] Lire « Un journalisme de préfecture », Les médias contre la gauche, Agone/Acrimed, 2025, p. 167.

[6] L'animatrice Perrine Storme et les journalistes Bruno Jeudy, Anna Cabana et Yves Thréard.

12.05.2025 à 14:10

Israël-Palestine : « Le plus révoltant, c'est la différence de traitement »

Alain Geneste , Blaise Magnin

Entretien avec Rony Brauman.

- 2010-... La désinformation continue / , ,
Texte intégral (5344 mots)

Entretien avec Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières et auteur (entre autres) de Guerres humanitaires ? Mensonges et intox (Textuel, 2018).

Acrimed : Pour commencer, est-ce que tu pourrais nous dire quelques mots sur la situation actuelle et sa couverture médiatique ?

Rony Brauman : Je peine à trouver les mots pour décrire la situation actuelle, en cette fin du mois d'avril. Israël a rompu la trêve, ce qui était attendu, car habituel, mais l'intensité des bombardements a surpris tout le monde : plus de 500 morts dès les premières heures, 1 500 en quelques jours, des milliers de blessés, c'était effarant. Les bombes d'une tonne que larguent les avions israéliens sont destinés à détruire des bunkers. À Gaza, elles sont lancées contre des habitations et des tentes, leurs éclats blessent et tuent à plus d'un kilomètre à la ronde, leur souffle projette les corps, elles sont terrifiantes, personne ne peut s'en protéger.

Gaza est transformé en charnier, des cadavres sont livrés aux chiens, plus de quinze mille enfants ont été tués, soit plus que dans toutes les guerres de ces dernières années prises dans leur ensemble, selon l'Unicef. L'événement récent le plus marquant, c'est l'embuscade qui a coûté la vie à quatorze secouristes palestiniens du Croissant-Rouge et de la Défense civile, et un membre de l'Unrwa. Ils ont été abattus de sang-froid, hors de tout affrontement, par les Israéliens, l'un d'eux a été retrouvé les mains liées dans le dos, tous ont été ensevelis à la hâte par un bulldozer de l'armée. Fait significatif : c'est la vidéo retrouvée sur un téléphone de l'un des secouristes, exhumé du charnier, qui a permis d'établir les faits et de démentir les allégations de l'armée selon lesquelles le convoi de véhicules roulait tous feux éteints, était menaçant, composé de terroristes du Hamas, etc. Cette tuerie et les bobards israéliens ont marqué les médias, me semble-t-il, et cela d'autant plus que la sauvagerie des attaques israéliennes est de plus en plus évidente, que l'intention de découper et réoccuper Gaza est clairement annoncée, que les tentatives de déporter la population se matérialisent sur le terrain. Il s'agit aujourd'hui clairement de terrifier, épuiser, décourager les Palestiniens, de sorte qu'ils n'envisagent plus du tout de rester. Je ne crois pas que le projet de vider Gaza de la majorité de sa population soit réalisable, mais il est évident qu'ils le tentent. Et par ailleurs, les bombardements continuent au Sud-Liban et en Syrie, le harcèlement des Palestiniens de Cisjordanie ne fait que s'étendre, bref l'hubris israélienne se déploie dans toute la région.

Je ne suis pas en mesure de fournir un avis autorisé sur la couverture médiatique, car je ne lis que quelques journaux, je ne regarde pas systématiquement les informations télévisées et n'ai donc qu'une vue très partielle du traitement de cette guerre par la presse. Mais il me semble qu'une différence doit être faite entre d'une part médias audiovisuels et presse écrite, d'autre part documentaires audiovisuels et plateaux de chaînes infos. Je trouve les reportages de terrain du Monde remarquables de précision, ils sont ma lecture quotidienne, de même que la rubrique CheckNews de Libé, que j'avais d'ailleurs découverte et appréciée au moment du Covid. Je lis également le quotidien Haaretz et +972, un site d'information israélo-palestinien remarquable, ainsi que Yaani et Orient XXI, deux sites francophones que je recommande chaudement.

Mais pourquoi, en dehors des journaux que tu cites, y a-t-il une telle déshumanisation et une telle dépolitisation de l'information ? Et puis une troisième chose qui est sidérante, c'est la déshistoricisation avec, depuis un an et demi, un cadrage médiatique qui fait comme si ce conflit colonial vieux d'un siècle avait commencé le 7 octobre 2023. À ce propos, tu as enseigné à Sciences Po, établissement par lequel sont passés nombre de journalistes, que ce soit à Paris ou en province, et en principe ils y ont reçu des enseignements substantiels sur cette question, sur cette région, sur son histoire, ça fait partie du cursus.

J'ai effectivement longtemps enseigné à Sciences Po, mais je n'y ai pas étudié, et ne suis donc pas en mesure de me prononcer sur la formation de ces journalistes. Notons tout de même que les étudiants de Sciences Po se sont activement mobilisés, notamment à Paris et Strasbourg, mais aussi dans de nombreux autres IEP. Les supporters d'Israël n'ont d'ailleurs pas eu de mots assez durs pour critiquer ces mobilisations étudiantes, répandre sur leurs leaders le soupçon d'antisémitisme, déplorer leur ignorance de l'histoire etc. Ce sont eux, les générations antérieures, qui ont ainsi étalé leur ignorance, en reprenant à leur compte le roman national israélien, celui d'un peuple revenant à l'existence sur sa terre après un long exil, vivant dans le respect du droit, recherchant la paix bien qu'entourée d'ennemis mortels. Combien de fois a-t-on entendu évoquer Israël comme « seule-démocratie-du-Proche-Orient » afin de souligner l'évidence du soutien que lui doivent les démocraties européennes ?

Je suis d'ailleurs frappé par le contraste entre cet Israël rêvé et l'Israël réel d'aujourd'hui. Il faut se rappeler ce qu'était l'image d'Israël dans les années 1970, à l'époque où ces journalistes, qui aujourd'hui dominent professionnellement le monde des médias, étaient étudiants. Israël était le pays des survivants de la Shoah et des kibboutz, un pays de pionniers faisant fleurir le désert, un modèle de socialisme démocratique. J'ai plusieurs copains non-juifs, sans aucune relation directe avec le monde juif, qui ont passé du temps au kibboutz dans les années 1970, attirés par cette image aujourd'hui largement révolue. Une immense sympathie les poussait vers Israël. En gros, à part les Palestiniens, à peu près tout le monde soutenait Israël à cette époque. La guerre des Six Jours de juin 1967 n'avait fait qu'ajouter de l'attraction pour le pays qui avait proprement neutralisé en un temps record les armées arabes coalisées, et personne n'avait prêté attention au déplacement forcé de 300 000 Palestiniens, deuxième « Nakba » cachée derrière cette attaque éclair se faisant passer avec succès pour une guerre de légitime défense. Rendons ici hommage à de Gaulle, qui ne s'était pas laissé berner par le discours israélien, avait décrété un embargo sur les armes, et surtout lucidement prévu les conséquences de l'occupation de la Cisjordanie.

Mais je reviens à la question sur la déshumanisation. Je pense que la raison en est évidente : la colonisation. On ne colonise pas des égaux, mais des inférieurs, et cette différence de statut est entérinée, authentifiée si j'ose dire, par la qualification de démocratie accordée à Israël. Je reviens sur ce point parce qu'il est essentiel : les démocraties doivent se soutenir entre elles, donc soutenir Israël, pointe avancée des démocraties en guerre contre le terrorisme. Exit l'occupation, l'apartheid, les vols de terres, les expulsions arbitraires, la torture légalisée, le blocus de Gaza, les milliers de morts des diverses offensives ! Ce petit pays se défend contre une « menace existentielle », que seule la force brute peut stopper. Une « villa dans la jungle », disait Ehud Barak, alors Premier ministre. Voilà comment on « déshistoricise », on disqualifie, on déshumanise. Ceux qui résistent à l'occupation coloniale sont des terroristes, et pas n'importe lesquels : des tueurs de juifs, des nazis d'aujourd'hui, comme l'indiquent les nombreuses références à la Shoah. Dans ces conditions, de plus, chaque épisode apparaît comme sui generis. Seule continuité, celle de la légitime défense contre des ennemis du genre humain.

Mais ça n'a pas toujours été le cas, pourtant, ou pas à ce point-là. Après l'assassinat de Mohammed Al Dura, un enfant de 12 ans, par l'armée israélienne en 2000, qui avait été filmé en direct par France 2, la polémique avait duré des semaines, des mois.

Des années.

Voilà. On a tous les images en tête. On ne parle « que d'un mort » et il y avait eu des années de polémiques, de discussions, de débats. Donc on a quand même l'impression qu'à l'époque, la vie des Palestiniens avait plus de poids qu'aujourd'hui dans les médias.

Ce n'était pas juste un mort, c'était une scène visuelle dramatique. Une équipe d'Antenne 2 avait filmé la scène en direct, et la propagande ne pouvait rien contre ces images d'un père en train de protéger son enfant contre une rafale de balles. Cet enfant il avait un nom, un visage, personne ne pouvait être indifférent à l'effroi, la panique, au courage du père et à l'angoisse de l'enfant. Cela étant dit, rappelez-vous ce que le père du petit Mohammed Al Dura a enduré. Il a dû prouver qu'il avait été lui-même grièvement blessé. Il a dû se mettre à moitié nu devant des caméras pour montrer ses cicatrices de blessures par balle. Le traitement qui lui a été réservé était ignoble, une longue campagne a suivi, visant à faire croire qu'il s'agissait d'une mise en scène du Hamas. Notons que le principal animateur français de cette campagne de désinformation de l'époque, Philippe Karsenty, est aujourd'hui porte-parole du comité Trump en France.

Mais pour en revenir à la phase actuelle de la guerre, des cas comme celui-ci, et bien pires encore, il y en a des dizaines chaque jour, depuis 18 mois. Et ça dans un silence quasi total des grands médias. Qu'est-ce qui a changé à ce point en 25 ans ?

Je pense que le thème du terrorisme international s'est imposé comme jamais auparavant et qu'Israël a su en tirer le parti maximum. Rappelons-nous Netanyahou déclarant, après le 11 septembre, qu'Israël avait son Ben Laden, sous le nom d'Arafat, puis il y a eu Daesh, les attentats djihadistes en Europe, et notamment en France. La grande réussite de la propagande israélienne est d'être arrivée à transformer la domination et la répression coloniale en légitime défense. Je précise qu'en disant cela, je n'élude pas le caractère criminel de l'attaque du 7 octobre contre les kibboutz et la fête techno, « sans excuse mais pas sans cause » comme l'a bien résumé le député Jean-Louis Bourlanges.

Pour les défenseurs d'Israël, tout commence ce jour-là et c'est ce qui permet d'invoquer la légitime défense pour l'occupant, et de révoquer la légitime résistance pour l'occupé. Tout allait bien, comme une soirée de concert au Bataclan, et voici qu'une bande de sauvages se livre à un carnage, une « mini-Shoah » comme l'ont dit certains. Israël incarne dès lors les forces de la lumière contre les forces des ténèbres, la démocratie contre la terreur et ainsi de suite.

Oui, d'ailleurs, en préparant cet entretien, nous avons retrouvé un débat sur la question palestinienne publié dans Causeur en septembre 2014, donc juste avant le début des attentats, animé par Élisabeth Lévy et qui t'avait opposé à Alain Finkielkraut. Et il y avait une discussion possible, avec un réel échange d'arguments. Or, on a l'impression que quelques mois plus tard, après les attentats de Paris en 2015 et plus encore depuis le 7 octobre 2023, évidemment, ce débat aurait été impossible.

En effet, ce serait impossible aujourd'hui. Je ne pense pas m'être radicalisé entre temps. Ce sont Israël et ses soutiens qui se sont radicalisés à droite, suivant d'ailleurs en cela une tendance observable dans une bonne partie du monde, y compris en Europe. Je pense à Orban, Meloni, Poutine, Trump, Milei et bien d'autres… Cette dérive radicale date du début du millénaire sous le parrainage conjoint d'Al Qaida et des néocons. En tout cas, j'avais en effet été contacté par Élisabeth Lévy, qui était alors une libérale, gardant une certaine distance avec ses propres convictions et ouverte à la contradiction. Elle a bien changé depuis… C'est à son initiative qu'a été fait le livre de conversations avec Alain Finkielkraut, paru sous le titre La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France. La confection de ce livre a pris trois ans, ça n'a pas été un chemin de roses, mais il a été possible. L'air du temps était moins suffocant, semble-t-il.

Il y a un rétrécissement du débat public. Maintenant, on en arriverait presque au point où critiquer Netanyahou, ce serait être antisémite.

C'est vrai pour certains, les plus énervés, pour qui toute critique d'Israël et de ses dirigeants est au minimum suspecte, mais ça n'est pas le cas général. Je constate que la critique de Netanyahou est bien souvent mise au service de la défense d'Israël : les manifs contre « Bibi » et sa réforme de la justice, son mépris de la vie des otages, et même la brutalité excessive de la guerre de Gaza sont mis en avant comme preuves de la vitalité démocratique d'Israël. Dans le même temps, on instruit le procès des défenseurs des Palestiniens, a priori suspects d'antisémitisme, sommés de qualifier le Hamas d'organisation terroriste faute de quoi on en est le complice, on retourne les qualifications d'apartheid et de génocide en indices, voire en preuves d'hostilité anti-juive, et on s'acquitte de son devoir d'humanité en déplorant les morts d'innocents à Gaza.

Le « on », ici ce sont les signataires de tribunes se plaignant de la solitude des juifs de France, d'une explosion des actes antijuifs dans le pays qu'ignoreraient les propalestiniens. Je n'éprouve aucune indulgence pour les imbéciles qui s'en prennent à des rabbins dans la rue ou agressent des supposés juifs au nom de la cause palestinienne. Mais je n'ai pas plus d'indulgence pour tous ceux, ces « on » que je viens d'évoquer, qui font mine d'ignorer que les institutions juives ayant pignon sur rue entretiennent délibérément la confusion entre juifs, sionistes et Israéliens tout en contestant cette confusion lorsqu'elle provient de leurs ennemis. Les horreurs proférées sur le plateau de la télévision i24News ou de Radio J vaudraient à leurs auteurs une condamnation pour apologie de crimes contre l'humanité si elles provenaient de l'autre camp. Exemple caractéristique : on peut appeler à boycotter et sanctionner n'importe quel pays dans le monde – et l'on ne s'en prive pas –, sauf un et un seul, Israël.

Je reviens à la question de la démocratie israélienne, mise en danger par Netanyahou avec sa réforme de la justice. Certes, des centaines de milliers d'Israéliens se sont mobilisés pour protester contre cette réforme, et pour protéger la Cour suprême, garante nous dit-on du caractère démocratique de ce pays. C'est oublier qu'il s'agit de défendre la démocratie pour les juifs israéliens, pas pour les millions de Palestiniens qui vivent sous juridiction israélienne. Bien au contraire, la Cour suprême a validé l'appropriation coloniale des terres en Cisjordanie, et ne donne quasi aucune suite aux plaintes déposées par les Palestiniens. On peut certes trouver plus sympas les Israéliens qui manifestent contre Bibi que leurs opposants pro-Bibi, mais ma sympathie pour eux trouve sa limite dans cette mise à l'écart par les protestataires de la question coloniale, alors que c'est le problème central du pays. D'ailleurs, les 29 Palestiniens morts sous la torture dans les geôles de Sde Teiman et Ofer, sont largement ignorés des manifestants et de la Cour suprême. La brutalisation de la société israélienne induite par la colonisation est, de plus, un poison terrible, dont elle ne se remettra pas, j'en ai la conviction. La société israélienne se condamne à être de plus en plus violente, car les exactions et abus constants de pouvoir commis par les soldats dans les territoires occupés débordent inévitablement sur la société israélienne elle-même.

Tout ce que tu nous expliques là, on ne l'entend quasiment jamais dans les médias dominants. Tu as été invité à t'exprimer au début, juste après le 7 octobre, et puis on a l'impression que c'est de moins en moins fréquent. Comment ça s'est passé ?

J'ai participé à plusieurs émissions dans les 3-4 semaines qui ont suivi le 7 octobre, puis les invitations se sont raréfiées jusqu'à devenir quasi-inexistantes. C'est d'autant plus frappant qu'en septembre 2023, j'ai eu de nombreuses occasions de m'exprimer sur diverses chaînes radio et télé à l'occasion du tremblement de terre de Marrakech et des tensions diplomatiques franco-marocaines que cette catastrophe a révélées. Puis arrive le 7 octobre, je reçois quelques invitations, puis presque plus rien. Je suis sans doute persona non grata sur quelques chaînes, notamment France Inter, mais je ne sais pas trop comment interpréter cela, car après tout, je n'ai jamais eu mon rond de serviette dans les médias. Comment interpréter le fait que « C ce soir » m'a invité 5 ou 6 fois en quelques mois, et « désinvité » à chaque fois ? Il y a pourtant des gens dont je me sens proche qui s'y expriment, on y voit des débats pluralistes, mais je n'y suis pas convié, ou plutôt j'en suis exclu après y avoir été convié.

Cela me rappelle une « désinvitation » ancienne mais éloquente. C'était à « Complément d'enquête », qui venait d'être repris par Nicolas Poincaré. C'était en 2014, si je me souviens bien. L'émission devait comporter trois reportages : l'un sur une famille juive française ayant émigré en Israël, l'autre sur une agression antisémite à Sarcelles et le troisième sur un club de krav-maga où s'entraînaient des fachos sionistes tenant des propos racistes violents. C'est ce reportage que je suis invité à commenter. L'équipe est venue chez moi voir les lieux pour installer les deux fauteuils rouges habituels, le reportage m'avait été communiqué pour que je puisse le visionner auparavant, car je n'étais pas en direct. Mais je reçois la veille de l'enregistrement un appel de la rédaction m'informant que, finalement, l'angle a été changé (c'est la formule consacrée, je peux en témoigner), que c'est finalement un politique qui commentera ce reportage. J'en prends acte, ça m'arrangeait plutôt car j'avais cours à Sciences Po le même jour, et je n'en demande pas plus. Je regarde le soir-même l'émission (je signale en passant que les trois reportages étaient excellents), et découvre que le « politique » qui m'a remplacé n'était autre que Bernard-Henri Lévy… Et un BHL, qui plus est, qui n'a pas eu un mot de critique ou de recul face aux discours d'extrémistes, de racistes violents qui parlaient « cash », sans fard. Je suppose qu'il a appris que j'étais invité et a fait pression pour me sortir et me remplacer. J'ai eu l'occasion de demander à Poincaré, bien plus tard, comment et pourquoi j'avais été décommandé si grossièrement. Il m'a dit que lors d'une réunion de la société de production de l'émission, quelqu'un aurait dit que j'étais trop « controversé ». C'est le mot employé. J'en déduis que pour ces gens-là, critique d'Israël = controversé = suspect.

Pour en revenir à l'après 7 octobre, je suis invité par LCI deux fois au début. Une fois en visio depuis chez moi, qui a été un cauchemar, car je ne pouvais que contempler les élucubrations d'Arno Klarsfeld en train d'expliquer, sans contradicteur, qu'Israël a toujours voulu la paix, sans trouver en face de partenaire. J'ai pu finalement réagir brièvement et de manière décalée, grâce à la technicienne qui mettait en place le duplex depuis mon domicile et qui était outrée de me voir réduit au silence. Peu de temps après, Pujadas m'a invité et j'ai bénéficié d'un créneau de quelque 10 minutes dans un long plateau de 3 heures entièrement pro-israélien. Mais on peut dire des choses en 10 minutes. Pujadas me demande en substance si je qualifie le Hamas de groupe terroriste et si je fais la différence entre les massacres horribles du 7 octobre et le fait de tuer involontairement des innocents, ce qui est certes malheureux mais d'une autre nature. J'ai répondu qu'on était loin de quelques dégâts causés par la difficulté de tirer avec précision, qu'il s'agissait d'une guerre contre les Palestiniens et pas contre le seul Hamas et j'ai refusé de qualifier le Hamas de terroriste, trouvant cela extrêmement réducteur par rapport à ce qu'est le Hamas en tant que mouvement politique. J'ai ajouté que l'attaque du 7 octobre était terroriste, si on définissait le terrorisme par le fait d'attaquer des civils en vue d'un résultat politique. Et j'ai fait remarquer que, dans ce cas, l'armée israélienne devait alors également être qualifiée d'organisation terroriste. Les autres participants étaient offusqués. D'autant plus quand j'ai dit qu'ils étaient la voix d'Israël sur ce plateau, en reproduisant tous les thèmes de la propagande israélienne, à l'exception, je dois dire, d'Antoine Basbous, le seul à rappeler qu'il y avait des êtres humains sous le tapis de bombes israéliennes, ce que les autres semblaient avoir totalement oublié. En tout cas, il semble que j'ai signé mon OQTF médiatique ce soir-là !

Finalement la plupart de ceux qui disent des choses comparables semblent mis sur liste noire… Sylvain Cypel ? Blacklisté. Tsedek ? Blacklisté. Alain Gresh ? Blacklisté, etc.

En effet. Ça ne m'étonne pas pour Tsedek, car la gauche radicale n'a quasiment aucun accès aux médias mainstream. C'est beaucoup plus frappant pour Alain Gresh et Sylvain Cypel, experts reconnus du Proche-Orient et d'Israël. Tous les deux ont été rédacteurs en chef (Monde Diplo et Le Monde), ont écrit des livres – excellents – sur la question et sont en effet blacklistés. C'est scandaleux.

La dernière fois que l'on t'a vu, c'était sur France 24.

France 24, comme RFI d'ailleurs, est bien plus ouvert que le reste des chaînes publiques, du fait de sa vocation internationale. J'ai eu 25 minutes pour m'exprimer, face à une journaliste qui avait sérieusement travaillé le sujet, qui apportait des infos, me laissait le temps de développer mes réponses.

C'est la seule fois où tu as eu à faire à un journaliste bienveillant sur ce sujet-là et dans cette période-là ?

Non, pas tout à fait. J'ai été invité une autre fois par France 24, par une autre journaliste avec laquelle ça s'est très bien passé, pour les mêmes raisons. Et j'ai fait une longue interview sur TV5 Monde le 11 novembre 2023, qui a beaucoup tourné également. J'y ai notamment expliqué pourquoi je n'irais pas à la grande manif' « contre l'antisémitisme » du lendemain.

Est-ce que tu suis les médias étrangers ?

Seulement quelques médias anglophones, notamment Haaretz et +972, qui est un excellent site d'info israélo-palestinien. Ce sont eux, notamment, qui ont dévoilé l'usage de l'IA par les artilleurs israéliens qui ont démultiplié le nombre des cibles à abattre quotidiennement, et, plus marquant encore, les codes de langage imposés par le New York Times à ses journalistes : interdiction d'employer les mots de génocide, nettoyage ethnique, colonisation etc.

Quant aux journalistes palestiniens, qui paient pourtant un tribut extrêmement lourd dans cette guerre, on ne leur donne pas beaucoup la parole ?

Il y a Rami Abou Jamous qui a connu un certain succès par son livre et par ses interviews sur France Inter. Il a été invité deux fois à la matinale, s'exprimant depuis Gaza. Le personnage force le respect, il est extrêmement sympathique, parle très bien français et tous les journalistes français qui sont allés à Gaza le connaissent car il était fixeur pour eux. Et l'histoire de son fils rappelle tellement « La vie est belle » de Benigni que c'en est particulièrement touchant. Je pense qu'une intervention de Rami Abou Jamous vaut dix commentaires. La tranquillité, la force avec laquelle il exprime tout ça en impose. Mais tu as raison de rappeler que la guerre de Gaza bat aussi le record de journalistes tués, parmi bien d'autre sinistres records d'ailleurs (nombre d'enfants, nombre de secouristes etc.).

Et le lendemain, sur la même radio, à la même heure, on peut entendre un général ou un diplomate israélien qui appelle à poursuivre les massacres... C'est démoralisant et c'est incompréhensible en même temps.

Effectivement, et le plus révoltant, c'est la différence de traitement. D'un côté, l'impunité absolue avec laquelle s'exprime les pro-israéliens qui peuvent faire l'apologie des pires horreurs comme Caroline Fourest, Céline Pina, Louis Sarkozy et bien d'autres qui clament en substance qu'Israël ne fait que se défendre et nous défendre, et de l'autre côté, des propalestiniens qui peuvent se retrouver au tribunal pour avoir brandi un drapeau palestinien. Pire encore, car s'exprimant en tant que juif et au nom des juifs, le grand rabbin de France a approuvé sans réserve la campagne meurtrière de Gaza, déclarant que « tout le monde serait bien content qu'Israël finisse le boulot » et qualifié les « massacres à Gaza » de « fait de guerre ». Le parquet a classé sans suite la procédure ouverte contre lui à la demande du député Aymeric Caron, faute d'une infraction suffisamment caractérisée. Tout ceci contribuant à attiser la haine anti-juive.

C'est dans ce contexte que j'ai déclaré, lors du colloque de l'UJFP/Tsedek tenu à l'occasion du 80ème anniversaire de la libération d'Auschwitz, que Gaza était en train de supplanter Auschwitz comme métaphore de la cruauté absolue et que cette commémoration apparaissait comme un crachat dans la figure des Palestiniens. J'ajoutais que je ne m'en réjouissais certainement pas mais que je le constatais et le comprenais. Ceux qui commémoraient étaient en effet les mêmes que ceux qui soutenaient le déluge de bombes et la guerre génocidaire de Gaza. Je me suis fait allumer pour ces propos par une journaliste de Marianne (et de Valeurs actuelles et CNews). À la suite de quoi est parue dans Libération une pétition contre moi me faisant dire que j'assimilais sionisme et nazisme [1]. C'est absurde, je ne l'ai jamais dit, et surtout ne l'ai jamais pensé. Libé m'a élégamment refusé un droit de réponse, et j'ai donc répondu à cet article stupide et malveillant dans un blog de Mediapart [2]. Un peu plus tard, je me faisais alpaguer pour la même raison dans une tribune publiée par Le Monde, signée par des intellectuels se revendiquant « juifs aux sensibilités politiques diverses, mais tous issus de la large famille de la gauche » [3]. Cette fois-ci j'étais en compagnie de l'anthropologue Didier Fassin, auteur du livre Une Étrange défaite. Sur le consentement à l'écrasement de Gaza. Un papier consternant d'ignorance, reprenant les thèmes ordinaires de la propagande israélienne, s'inquiétant de « l'isolement des juifs de France » et de l'explosion de l'antisémitisme. Nous y étions accusés d'alimenter et de nous nourrir de la haine des juifs. Rien que ça. J'ajoute que des juifs progressistes ont publié, dans Le Monde également, une réponse à cette tribune qui remettait les pendules à l'heure [4].

Je m'afflige de constater qu'il est devenu suspect de rappeler que cette guerre n'a pas commencé le 7 octobre mais n'est que le dernier épisode en date, particulièrement violent, d'une longue guerre menée par les divers gouvernements israéliens contre la population palestinienne. À Gaza comme en Cisjordanie. Que cette longue occupation ne puisse que susciter de la résistance, et que cette résistance puisse se fourvoyer en des actes horribles, voilà qui relève de l'évidence. C'est cette évidence qui est désormais mise en soupçon, voire en accusation d'antisémitisme, non seulement par les défenseurs habituels d'Israël, mais aussi par la justice et une bonne partie des médias.

Propos recueillis par Alain Geneste et Blaise Magnin.


09.05.2025 à 10:00

Mélenchon, Stérin, Louis Sarkozy et compagnie : revue de presse de la semaine

Elvis Bruneaux

Du 02/05/2025 au 08/05/2025.

- L'actualité des médias /
Texte intégral (1581 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 02/05/2025 au 08/05/2025.

Critique des médias

« Mélenchon : les journalistes politiques chassent en meute », Acrimed, 06/05.

« Louis Sarkozy sur France 2 : le service public ne devrait pas faire ça », Arrêt sur images, 5/05.

« Stérin : les milliardaires s'organisent pour faire gagner l'extrême droite », Blast, 4/05.

« Comment les associations humanitaires sont devenues d'« affreux gauchistes » aux yeux de certains médias et politiques », StreetPress, 6/05.

« Cher Jordan Florentin », Blast, 3/05.

« Guedj : Castets, Tondelier et Royal dans les filets de l'info », Arrêt sur images, 4/05.

« L'AFP presque seule pour couvrir en français la vague de chaleur en Asie », Arrêt sur images, 2/05.

« Procès de Kim Kardashian : ces mignons "papys braqueurs" qui ont violenté une femme », Arrêt sur images, 2/05.

« Avec la JLC Family, TF1 hisse le voyeurisme au sommet du mauvais goût », Télérama, 2/05.

« Dénatalité : la faute aux féministes (et aux écolos) », Arrêt sur images, 4/05.

« Malaria et paludisme : "Le Monde" fait la promo de la tisane Artemisia », Arrêt sur images, 6/05.

« Les insectes disparaissent, et la télé regarde ailleurs », Arrêt sur images, 7/05.

« Gaza : pourquoi nos grands médias soutiennent un génocide », Le Média, 8/05.

« A-t-on le droit de rire de Sarko devant son fils Louis ? - Retour sur l'affaire "Guedj viré" de manif », Le Média, 7/05.

Économie des médias

« NRJ Group annonce des "négociations exclusives" avec CMA Média pour la vente de sa chaîne Chérie 25 », Le Monde, 7/05.

« "60 millions de consommateurs" : après un conseil d'administration, l'étude d'une cession du magazine est lancée », L'Humanité, 6/05.

« École des métiers de l'information cédée : qui sont les trois repreneurs potentiels ? », L'Humanité, 6/05.

« "La moindre étincelle pourrait raviver le conflit" : à l'imprimerie de la Provence, malgré la suspension des licenciements, le risque de délocalisation plane toujours », L'Humanité, 7/05.

« Soutenue par Vincent Bolloré, l'agence d'influence Progressif Media se lance dans la bataille électorale », La Lettre, 5/05.

Dans les rédactions

« Cyril Hanouna, Sonia Mabrouk, Laurent Ruquier… Télés et radios entament un mercato endiablé », Le Figaro, 6/05.

« "J'occupe sur Europe 1 et CNews une place qui m'est chère" : Sonia Mabrouk n'ira pas chez BFMTV », Le Figaro, 6/05.

« Philippe Rey de retour sur Franceinfo, mais à la télé », L'Informé, 6/05.

« Challenges recrute Emmanuel Botta pour diriger son site web », La Lettre, 7/05.

Audiovisuel public

« Présidence de France télévisions : un candidat écarté réclame des comptes à l'Arcom », La Lettre, 7/05.

« Rachida Dati sur son projet de réforme de l'audiovisuel public : "Je suis déterminée et n'y renoncerai pas", Le Monde, 7/05.

« Rachida Dati met Radio France en ébullition », Le Monde, 7/05.

À signaler, aussi

« France : manifestation du 1er mai à Paris, la liberté de la presse entravée par des violences policières », RSF, 7/05.

« "Frontières" : trois associations déposent une plainte contre le magazine identitaire », Le Monde, 5/05.

« Une sanction pour des propos de Cyril Hanouna sur la chaîne C8 diminuée de moitié », Le Monde, 6/05.

« Jugée pour financement du terrorisme, la journaliste Céline Martelet s'explique », La Revue des médias, 5/05.

« "Gaza : nous refusons le silence" », tribune, 6/05.

« Retailleau n'aime pas l'info », Off Investigation, 6/05.

« Encore un sondage pour conditionner l'opinion à une victoire du RN », Contre Attaque, 6/05.

« Paul de Saint Sernin et Nicolas Bedos : retour sur une séquence polémique », Arrêt sur images, 7/05.

« Comment Sud Radio profite de sa "parole libre" », L'Informé, 7/05.

« Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes : "Les gouvernements s'arrangent pour que les médias s'attaquent à eux-mêmes" », L'Humanité, 7/05.

Et aussi, dans le monde : États-Unis, Russie, Népal, Syrie, Sierra Leone, Pérou, Palestine, Burundi...

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

09.05.2025 à 09:47

i24News : un rond de serviette sur France Info

Pauline Perrenot

Légitimation d'une chaîne de propagande.

- En direct de France Info / ,
Texte intégral (3368 mots)

Trois fois par mois, l'éditorialiste d'i24News Michaël Darmon intervient à l'antenne des « Informés », l'une des (nombreuses) émissions de commentaire diffusées par France Info à la radio et à la télévision. Un choix éditorial qui légitime, de fait, une chaîne de propagande alignée sur le gouvernement d'extrême droite israélien.

Lorsqu'au printemps 2024, nous épinglions « Les Informés » (France Info) en raison de la présence en plateau de l'éditorialiste d'i24News Michaël Darmon [1], nous étions loin d'imaginer que quelques mois plus tard, ce dernier y disposerait d'un véritable rond de serviette : 22 interventions depuis le 1er septembre 2024, soit un fauteuil quasi hebdomadaire.

À croire que ses interventions d'alors, dont la teneur laissait pantois, ont ravi la rédaction de l'émission au point de lui valoir… une accréditation permanente. Cette dernière ne peut pourtant pas ignorer le pedigree de la chaîne qu'il représente : au portrait qu'en dressait Arrêt sur images en novembre 2023 – « antenne calquée sur la propagande de guerre israélienne », « débats et interviews sans retenue, où le "wokisme" et "l'islamogauchisme" sont accusés d'être à l'origine d'un "antijudaïsme" français » –, on pourrait ajouter les fake news qu'aura initiées i24News – dont celle des « quarante bébés décapités » –, et la propagation de discours haineux légitimant la guerre génocidaire à Gaza. Parmi ceux-ci, l'appel de Barbara Lefebvre à « soutenir le plan Trump » et « vider la bande de Gaza » où « les civils […] sont autant responsables que les membres du Hamas et du Jihad islamique » (20/02) ; l'affirmation du commentateur Maurice Ifergan selon laquelle « il n'y a pas d'innocent dans la bande de Gaza » tandis que l'UNRWA « éduque [l]es réfugiés palestiniens à la haine » (12/02/2024) ; la menace de Marilyn Baron – « Nous sommes un pays avec une bombe atomique, […] personne ne doit habiter cette terre si ce n'est pas le peuple juif. » (24/12/2023) – ou les déclarations de David Antonelli : « Moi, je me fiche éperdument des deux millions de Gazaouis. Moi, ce qui m'importe aujourd'hui, […] c'est la vengeance d'abord d'Israël, relever la gloire d'Israël. [...] On ne va pas réoccuper Gaza, on va récupérer Gaza. » (16/10/2023).

Sur i24News, on célèbre aussi l'internationale des extrêmes droites. Le 26 février dernier par exemple, le même David Antonelli décrivait à l'antenne une Europe « submergée par l'islamisation » et saluait la Hongrie de Viktor Orban, Geert Wilders, « un grand ami d'Israël », ou encore l'ancien vice-président de l'UDC suisse, Oskar Freysinger, « fervent défenseur d'Israël » – à propos duquel la RTS et Le Temps rapportaient en 2013 qu'il « expos[ait] un drapeau néonazi chez lui ». « Israël justement est un modèle, un modèle au Moyen-Orient, un modèle occidental, démocratique et qui est en première ligne face à la barbarie islamiste. […] [Ces personnalités politiques] ont très bien compris que si Israël tombe, c'est terminé aussi pour l'Europe ». (David Antonelli, « Les Grandes Gueules Moyen-Orient », i24News, 26/02)

Aucun de ces faits d'arme ne semble pourtant constituer un frein aux yeux de France Info, qui, en toute connaissance de cause, choisit de légitimer l'une des têtes d'affiche d'i24News, travaillant sur la chaîne depuis son lancement en 2013 [2]. La rédaction de service public aurait-elle envisagé un seul instant confier un fauteuil hebdomadaire à un éditorialiste de Russia Today pour commenter l'actualité – a fortiori internationale – si le média n'avait été supprimé aux débuts de l'agression russe contre l'Ukraine ?

« CIJ : conclave de l'inimitié juive ou concile de l'inutilité de justice » (Michaël Darmon)

La labellisation de Michaël Darmon en tant que chroniqueur régulier par une station de service public est révélatrice de la complaisance de certains grands médias – mais également d'une large partie de la classe politique [3] – à l'égard de discours aussi radicaux qu'outranciers.

Les articles qu'il publie sur i24News regorgent d'enseignements à cet égard. En janvier 2024, après que la Cour internationale de justice a rendu son premier verdict concernant un risque plausible de génocide à Gaza, le journaliste évoque un « rendu hypocrite et malfaisant » à la « rhétorique ambiguë et fielleuse » : une « guignolade de justice » faite de « pièces fallacieuses fournies par la CIJ et ses agents traitants répartis dans les médias internationaux » (28/01/2024). Les magistrats n'échappent pas à la vindicte de l'éditorialiste, qualifiés tantôt de « satrapes », tantôt de « pauvres hères », et la Cour internationale de justice est décrite comme une « assemblée de juges stipendiés et aux ordres de leurs gouvernements », une « arène où coule le laid et le fiel ». La créativité de Michaël Darmon ne connait que peu de limite, qui détourne l'acronyme de la CIJ, devenant sous sa plume le « conclave de l'inimitié juive ou concile de l'inutilité de justice », comme celui de l'ONU, rebaptisée « l'Organisation d'un narratif ulcérant ». On ignorait que la rédaction des « Informés » cautionnât de telles opérations de décrédibilisation de la presse et de la justice internationale…

Évidemment, le reste des éditos de Michaël Darmon est à l'avenant. Le soutien à l'État d'Israël, « ses expertises, sa technologie, son pragmatisme, sa passion pour la vie » (20/01/25), s'y exprime de façon inconditionnelle, au point que le journaliste célèbre l'attaque militaire indiscriminée dite « des bipeurs » ayant causé de très nombreux blessés et morts civils au Liban – « un coup d'éclat qui redore le blason des services de renseignements israéliens pour la prochaine décennie » –, jusqu'à s'en amuser : « C'est l'hécatombe. La désormais célèbre opération dite "des bippers" […] aurait pu avoir pour nom de code "from the bipper to the sea". » (15/10/24) L'éditorialiste nous gratifie également d'analyses inspirées sur « l'islamisation de la question palestinienne » depuis le 7 octobre 2023 (11/02/24), « l'émergence d'un hamastan » au sein des marches féministes (10/03/24) ou encore le « nouvel ordre moral » que constituerait « l'islamo-wokisme », Michaël Darmon ne reculant, dans ce registre non plus, devant aucune caricature : « Après sa défaite militaire, Daesh a continué d'injecter son venin de haine dans une partie de la planète, mais en cachette. L'islamo-wokisme, paré des atours militants et alter mondialistes s'exprime, lui, au grand jour. Et pour éradiquer cette nouvelle dictature née dans cette deuxième décennie du XXIe siècle, la seule force militaire sera impuissante. » (26/11/23)

Naturellement, La France insoumise et autres « militants de la discrimination » seraient à compter au rang des « parrains de l'islamo-wokisme » (26/11/23), lesquels polarisent par conséquent toutes les calomnies, complotisme bon teint et islamophobie garantis : « Le leader maximo des Insoumis […] a décidé de ghettoïser la question sociale et veut faire le lien entre les bobos woke des campus et les habitants des quartiers populaires : son ciment est la cause antisioniste et antisémite. Son agent traitant est Rima Hassan, activiste chargée d'échauffer les électeurs d'origine musulmane. » (29/04/24)

« Les informés », la bouillie (réactionnaire) du journalisme de commentaire

Si une telle rhétorique ne disqualifie pas l'intéressé auprès de la rédaction des « Informés », c'est sans doute parce qu'elle ne dépareille pas avec le prêt-à-penser dominant de l'émission. Un seul exemple, en date du 24 mars dernier : les invités du jour, parmi lesquels l'éditorialiste d'i24News, dissertent des prétendues responsabilités de La France insoumise… dans l'agression antisémite du rabbin d'Orléans deux jours plus tôt. Les cadres du mouvement politique ont beau avoir immédiatement condamné les faits, formulé à plusieurs reprises leur soutien inconditionnel au rabbin et à sa famille et revendiqué l'unité pour combattre l'antisémitisme et tous les racismes, l'instrumentalisation de cette affaire par la classe politique – et le tombereau d'accusations qui en émanent – donne son angle à l'émission. Agathe Lambret : « Des voix s'élèvent pour pointer la responsabilité d'un parti dans ce climat : Le France insoumise […]. Les Juifs français ne sont-ils plus en sécurité en France et La France insoumise a-t-elle soufflé sur les braises, ou davantage ? Le Rassemblement national est-il vraiment devenu le bouclier de la communauté juive comme il le prétend ? »

Un cadrage d'emblée biaisé : dans le cas de la gauche, la « question » posée est formulée dans les termes de ses détracteurs, lesquels donnent donc le ton ; s'agissant de l'extrême droite en revanche, c'est la communication du RN sur lui-même qui fait loi… et cadre le « débat » des journalistes. Pire : seule la première de ces deux « questions » sera véritablement discutée au cours de l'émission, les journalistes passant près de 19 minutes à instruire le procès de la gauche pour « antisémitisme » et seulement 1 minute 30 à évoquer l'extrême droite. Et de quelle manière…

S'agissant de la gauche, l'ensemble du plateau est au diapason. Michaël Darmon lance les premières attaques en dénonçant un antisémitisme « qui est tendance […] chez beaucoup, notamment chez certains jeunes très engagés à l'extrême gauche, bien évidemment, on le voit. Et c'est vrai que c'est La France insoumise qui installe cet antisémitisme d'atmosphère » ; mais les autres journalistes s'alignent sans scrupule sur son discours. La directrice adjointe de la rédaction de Libération, Alexandra Schwartzbrod, a beau commencer son intervention en soulignant « qu'on ne peut pas pointer du doigt quelqu'un ou un groupe », elle se joint au concert la phrase d'après : « Alors évidemment, LFI, c'est vrai, depuis le 7 octobre, entre ce qu'ils n'ont pas dit, c'est-à-dire le mot "terroriste" qu'ils n'ont pas voulu accoler au Hamas et ce qu'ils ont dit, les ambiguïtés, etc., LFI, c'est vrai, a mis l'huile sur le feu. Et en plus LFI s'adresse beaucoup aux jeunes et donc c'est très, très grave. » Quelques minutes plus tard, c'est au tour du journaliste François-Xavier Bourmaud (L'Opinion) de dénoncer l'absence de LFI à la marche contre l'antisémitisme du 12 novembre 2023, sans préciser que le parti soutenait alors un appel parallèle, initié par différentes organisations de jeunesse, à se rassembler « contre l'antisémitisme, les racismes et l'extrême droite ». Mais qu'importe au grand enquêteur de L'Opinion, qui n'y voit rien de moins que le point de départ d'« une période de non-dits, de messages subliminaux qui, tous, viennent alimenter cet antisémitisme d'atmosphère. » Et de poursuivre en évoquant le visuel d'appel à la marche antiraciste du 22 mars représentant Cyril Hanouna : « Là, pour le coup, avec cette affiche, il n'y a plus aucun doute qui est possible sur la nature antisémite de La France insoumise. » Excédant de très loin certaines critiques légitimes à l'égard de ce visuel et de la gestion de cette « affaire » par LFI, un qualificatif aussi infamant et définitif mériterait des arguments étayés que le journaliste serait bien en peine d'apporter. Et pour cause, tant il s'agirait alors d'établir que la structure du parti et avec lui, son projet politique, seraient de « nature antisémite »…

Alors que le plateau est totalement déséquilibré, avec quatre journalistes invités jouant le même rôle de procureur contre la gauche, les deux présentateurs ne tentent même pas d'adopter un positionnement plus objectif afin d'introduire un minimum, si ce n'est de pluralisme, du moins de contradiction dans le studio, et préfèrent éditorialiser eux aussi. Le procès à charge du parti de gauche se joue donc à six intervenants… contre zéro, Agathe Lambret s'illustrant notamment par une tirade contre Jean-Luc Mélenchon [4] de plus de 2 minutes 20, soit la durée d'un éditorial plutôt que d'une « question ».

Vient ensuite Jean-Rémi Baudot, qui se charge d'introduire le second pan de la « discussion » :

- Jean-Rémi Baudot : Dans ce contexte, on semble voir un virage à 180 degrés du RN sur cette question [de l'antisémitisme]. Michaël Darmon, vous qui avez longtemps suivi le Front national en tant que journaliste, vous pensez que ce virage, il est sincère ?

- Michaël Darmon : De la part de Marine Le Pen, c'est indéniable. De la part d'autres personnes qui sont autour d'elles, ses principaux lieutenants, par rapport à ce qu'on a pu connaître et par rapport surtout aux conversations qu'on a pu avoir tout au long de ces années, c'est clair que ce changement, il est majeur. […] Il a été acté par des chercheurs, par des politologues, par des historiens, qui d'ailleurs avaient [été] mis à la Une du Monde, s'étaient tous exprimés le lendemain de la manifestation en novembre 2023 à laquelle Marine Le Pen avait participé contre l'antisémitisme et pour la République ; [ils] avaient donc tous titré en disant qu'il s'agissait-là d'une mutation politique et historique de grande ampleur. […] En ce qui concerne effectivement cette évolution, pour la question que vous posez, ça, ça me paraît clair.

De quels chercheurs, publiés à la Une du Monde à cette période, se revendique l'éditorialiste pour avancer de tels propos ? Hormis la politiste Nonna Mayer et l'historien Grégoire Kauffmann (11-13/11/2023), on ne voit pas bien, d'autant que ni l'une, ni l'autre n'accrédite la thèse de Michaël Darmon [5].

Mais peu importe là encore : en plateau, personne ne bronche. Personne pour rappeler, précisément, les positions et les travaux des chercheurs spécialistes de cette question, les rapports de la CNCDH, ou encore les enquêtes journalistiques sur les propos et accointances antisémites d'élus RN. Pas même la directrice adjointe de Libération, dont certains journalistes œuvrent pourtant à documenter le phénomène. Personne, non plus, pour indiquer qu'une semaine avant cette marche de novembre 2023, le président du RN Jordan Bardella déclarait sur BFM-TV (5/11/2023) : « Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite. » Autant de messages pas assez « subliminaux », sans doute, pour nos grands informés…

Bilan des courses : la question de Jean-Rémi Baudot sur le RN s'est soldée par la tirade de Michaël Darmon précédemment citée, sans qu'aucun autre intervenant ne s'exprime à sa suite sur le sujet. Ce qui revient à octroyer à un éditorialiste d'i24News… le monopole du discours sur l'extrême droite en France, et le rapport de cette dernière à l'antisémitisme. CQFD.

***

Insistons-y : si les articles de Michaël Darmon sur i24News ne le disqualifient pas auprès de la rédaction des « Informés », c'est parce qu'ils ne contreviennent en rien au discours dominant, voire en sont le reflet, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de diaboliser la gauche… tout en normalisant l'extrême droite. Reste qu'avec un tel recrutement, « Les Informés » confirment une ligne éditoriale à l'image du bruit médiatique ambiant : éditorialisation permanente au mépris des faits comme du pluralisme… et droitisation sans fin, quitte à légitimer une chaîne ouvertement propagandiste, alignée sur le gouvernement israélien et sur son entreprise génocidaire en Palestine.

Pauline Perrenot


[1] Voir « Quand le journalisme politique touche le fond », Médiacritiques n°51, juillet-septembre 2024, p. 18.

[2] Comme le retrace Wikipédia, Michaël Darmon a aussi travaillé à TF1 (1990-1993), France 2 (1994-2010), iTélé (2011-2016), Sud Radio et Europe 1 (2018-2021).

[3] Sans parler des responsables politiques qui n'hésitent pas à se rendre sur la chaîne, on relèvera par exemple l'énorme malaise de l'écologiste Aurore Lalucq lorsque, sur le plateau de Backseat ici à 2:40:00, Usul lui pose la question suivante : « Au début de la guerre, on a fermé RT France. Aujourd'hui, est-ce que la question ne se pose pas aussi, comme sanction, […] de fermer par exemple i24News ? » (24/03/2024)

[5] Et ce, malgré les interrogations et débats que peuvent par ailleurs susciter leurs interviews respectives.

06.05.2025 à 20:07

Mélenchon : les journalistes politiques chassent en meute

Maxime Friot

Texte intégral (1151 mots)

La Meute. Enquête sur la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (Flammarion) : le livre des journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde) n'avait pas encore paru que la mobilisation médiatique était déjà enclenchée.

Bonnes feuilles dans Le Monde (4/05), recensions dans Le Point, L'Express (5/05), Le Figaro, RTL, L'Indépendant (6/05), en Une de Libération, du Parisien (6/05) et Marianne (7/05), entretiens sur France Inter, dans Marianne, RTL mais aussi « Quotidien » (6/05), où, dès la veille, Jean-Michel Aphatie anticipait l'interview : « [Ils] racontent dans La Meute […] la vraie vie de La France insoumise : une dictature en miniature. Épouvantable ! » (TMC, 5/05) Bref, c'est peu dire que la promo médiatique a démarré en fanfare.

L'enquête occupe de fait le premier plan de l'agenda. Elle fait l'objet du « Brief politique » de France Info (5/05) ; dans la matinale de TF1, Alba Ventura lui consacre un édito, affirmant que le livre « aurait pu tout aussi bien s'appeler La Secte. Une secte dont Jean-Luc Mélenchon est le gourou » (6/05) ; Apolline de Malherbe l'évoque quant à elle pendant le premier quart de son entretien avec Fabien Roussel (BFM-TV, 6/05), dont les « petites phrases » sont ensuite inlassablement recyclées par la chaîne… et l'AFP, elle aussi frénétiquement relayée dans la presse : « Fabien Roussel compare La France insoumise à une "secte" après la publication de "La Meute" sur le parti de Jean-Luc Mélenchon » (Le Monde, 6/05). Sur Franceinfo, la rédaction organise un plateau quelques heures après avoir questionné Alexis Corbière sur le sujet (6/05) ; l'habituée des plateaux Nathalie Mauret signe un papier publié dans plusieurs titres du groupe Ebra, du Dauphiné Libéré aux Dernières nouvelles d'Alsace en passant par Le Bien public (6/05). Et dans la matinale de France Culture (6/05), après un billet de l'éditorialiste Jean Leymarie saluant le livre, Guillaume Erner en remet une couche face à son invité du jour, le sociologue Didier Eribon, enjoint d'acquiescer aux accusations d'antisémitisme portées contre LFI et interrompu pas moins de dix fois par son hôte en à peine deux minutes pour son refus d'obtempérer, laissant le matinalier sur sa faim : « Bon… je vois que je ne vais pas réussir à obtenir autre chose de vous. »

Le livre bénéficie d'un tapage sur-mesure, converti en « événement » de première importance. Le genre, pourtant, est loin d'être nouveau. Si l'émission « Complément d'enquête » (France 2, 24/04) en constitue l'épisode le plus frais, La Meute rejoint la collection d'essais signés par des journalistes sur Jean-Luc Mélenchon et/ou La France insoumise [1].

Mais c'est un genre indéniablement très prisé… et fort rentable : ouvrant un droit automatique à défiler des plateaux de l'audiovisuel aux Unes des journaux, les dénonciations des « ambiguïtés » et « dérives » du « gourou » Mélenchon se succèdent les unes après les autres [2]. Elles sont dans l'air du temps ; celui d'une diabolisation sans fin de la gauche. Dans L'Union (6/05), tout en confessant ne pas l'avoir lu, un journaliste se délecte d'un « livre qui pourrait mettre la meute aux abois » : « Le livre pourrait faire mordre la poussière à LFI, notamment en prévision des prochaines échéances électorales. […] [L]aissons justement la démocratie faire son œuvre et désigner son maillon faible. »

***

« Jean-Luc Mélenchon bénéficie d'une immunité médiatique sidérante » osait récemment Pascal Praud (CNews, 2/05), rejouant un air connu… quoique passablement orwellien.

Maxime Friot, avec Pauline Perrenot


[1] Succédant (notamment) au Moi, Jean-Luc M. de l'illustre Christophe Barbier (2024), lui-même contemporain, à quelques jours près, de La République c'était lui !, du non moins illustre Éric Naulleau, parus eux aussi sous les projecteurs médiatiques.

06.05.2025 à 11:00

« Gaza : nous refusons le silence »

Texte intégral (1652 mots)

Nous relayons cette tribune signée par des centaines d'étudiants en journalisme.

Depuis le 7 octobre 2023, plus de 200 journalistes ont été tué·es par l'armée israélienne en Palestine et au Liban.

Face à ce massacre, nous, étudiant·es en journalisme mobilisé·es, affirmons notre solidarité totale avec le peuple palestinien, de Gaza à la Cisjordanie occupée, et avec les civil·es qui en sont les premières victimes.

Nous exprimons également notre soutien inconditionnel à nos consœurs et confrères journalistes palestinien·nes, qui continuent de témoigner au péril de leur vie.

Ce qui est en train de se passer à Gaza est un génocide.

Nous n'employons pas ce mot à la légère : des enquêtes menées par des organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch et des commissions d'enquête indépendantes de l'ONU affirment le caractère génocidaire de l'horreur déchaînée contre le peuple palestinien à Gaza. Le rapport d'Amnesty, en particulier, documente non seulement des crimes de guerre à grande échelle, mais met aussi en évidence des éléments démontrant une intention génocidaire de la part d'Israël.

Dans ce contexte, nous saluons le courage inouï des journalistes palestinien·nes sur place, qui, malgré les conditions de guerre, les bombardements permanents, les situations de famine, les coupures de courant, la perte de leurs proches et de leurs collègues, continuent de documenter les réalités du génocide en cours.

Leur travail est vital, et leur silence forcé, un crime de plus.

Par ailleurs, nous condamnons l'interdiction faite aux journalistes internationaux d'entrer à Gaza. Ce verrouillage de l'information témoigne d'une volonté claire de contrôle du récit et d'opacité, incompatible avec le droit à l'information et la liberté de la presse.

Le 16 avril 2025, des journalistes se sont mobilisé·es à Paris et Marseille en soutien à leurs consœurs et confrères de Gaza. Nous nous joignons à leurs revendications.

À notre tour, nous faisons entendre nos voix.

Nous soutenons pleinement le mouvement étudiant, en France comme à l'international, qui dénonce les crimes de guerre et crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée israélienne, ainsi que la complicité active de plusieurs gouvernements occidentaux.

À ce titre, nous appelons les établissements d'enseignement supérieur français à rompre leurs partenariats avec les universités israéliennes.

Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les étudiant·es gazaoui·es, dont les universités ont été détruites sous les bombes, et qui se voient privé·es de leur droit fondamental à l'éducation.

Notre soutien s'étend également à Mahmoud Khalil, figure du mouvement étudiant pro-palestinien à l'Université de Columbia, emprisonné depuis un mois et demi pour avoir manifesté contre l'occupation israélienne et aujourd'hui menacé d'expulsion.

Cette répression s'inscrit dans une tendance inquiétante à la criminalisation de la solidarité avec la Palestine, dans le monde universitaire et au-delà.

Dans cette continuité, nous exigeons la libération immédiate de Georges Abdallah, militant communiste libanais emprisonné en France depuis 1984.

Détenu depuis plus de 40 ans malgré sa libération conditionnelle accordée en 2013, Georges Abdallah est un symbole de la répression politique contre les soutiens historiques à la cause palestinienne. Son maintien en détention est un scandale judiciaire et politique que nous refusons d'ignorer.

Dans cette même logique de répression et de silence imposé autour du soutien à la cause palestinienne, en France, le collectif citoyen « Faim de justice pour la Palestine », composé majoritairement de soignant·es, mène depuis plusieurs semaines une grève de la faim pour dénoncer le génocide en cours à Gaza et l'hypocrisie des institutions françaises. Leur mobilisation se heurte à un mur de silence médiatique. Très peu relayée par les grands médias, leur action incarne pourtant une résistance humaine et politique face à l'oubli organisé. Nous leur apportons tout notre soutien. Leur détermination et leur courage forcent le respect

Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et permanent dans la bande de Gaza, seule voie possible pour mettre un terme à la catastrophe humanitaire en cours. Ce cessez-le-feu doit s'inscrire dans une dynamique plus large de lutte contre l'occupation illégale des territoires palestiniens et contre l'expansion continue des colonies israéliennes, en violation du droit international.

Nous réclamons également la libération de tous les otages, qu'ils soient israélien·nes détenu·es par le Hamas ou palestinien·nes incarcéré·es sans charges par Israël.

Nous dénonçons fermement l'amalgame systématique entre antisémitisme et antisionisme, un procédé dangereux qui vise à discréditer toute critique de la politique israélienne et à museler les soutiens au peuple palestinien.

En tant que futur·es journalistes, nous sommes préoccupé·es par le traitement médiatique dominant du conflit au Proche-Orient, souvent biaisé en faveur d'Israël. Nous refusons de participer à un système qui déshumanise les Palestinien·nes, ignore leur souffrance et minimise les crimes de guerre qu'ils subissent.

Le travail d'analyse critique réalisé notamment par Arrêt sur images, a mis en évidence une absence de traitement du conflit lors de périodes cruciales, révélant un silence médiatique frappant au moment même où les bombardements s'intensifiaient et où les pertes civiles palestiniennes s'alourdissaient. Dans cette même perspective, Acrimed mène depuis des années un travail méticuleux d'analyse des biais structurels des grands médias français, montrant comment les violences israéliennes sont euphémisées, les responsabilités diluées, et les voix palestiniennes systématiquement marginalisées.

À cela s'ajoute l'enquête publiée en janvier 2025 par L'Humanité, en collaboration avec l'ONG Tech for Palestine, qui a passé au crible plus de 13 000 articles consacrés au conflit, issus de cinq grands journaux français. Cette analyse montre que, malgré l'ampleur des pertes humaines côté palestinien, les morts et souffrances palestiniennes sont très peu mises en avant dans les titres, les choix iconographiques, ou encore les angles éditoriaux.

Ce traitement participe d'une asymétrie profonde dans la manière dont de trop nombreux médias français couvrent la guerre à Gaza : focalisation sur les discours officiels israéliens, quasi-absence des voix palestiniennes, floutage des responsabilités, euphémisation des violences subies.

Ce constat renforce notre volonté de dénoncer un paysage médiatique trop souvent marqué par des récits déséquilibrés et déshumanisants, et de nous engager dans une pratique du journalisme réellement critique, rigoureuse et fidèle aux faits.

Nous regrettons aussi la place laissée à certain·es éditorialistes ou responsables politiques, dont les propos sont diffusés sans aucun contradictoire ni vérification des faits, participant ainsi à la diffusion de discours mensongers et diffamants.

Il ne nous est pas possible de poursuivre nos études dans le silence face à cette réalité. Nous affirmons notre engagement pour un journalisme de terrain, de vérité, de justice.

Nous souhaitons terminer cette tribune avec les mots de Fatima Hassouna, jeune photojournaliste palestinienne tuée à son domicile dans un bombardement israélien à Gaza le 16 avril 2025, avec dix membres de sa famille. Elle avait consacré sa vie, son regard et sa voix à documenter les combats et les souffrances des siens. Quelques jours avant sa mort, elle écrivait :

« Si je meurs, je veux que ce soit une mort bruyante. Je veux que le monde entier entende parler de ma mort. Je veux qu'elle ait un impact qui ne s'estompe pas avec le temps. Je veux des images qui ne peuvent pas être enterrées dans l'espace ou le temps. »

Nous l'entendons. Nous refusons le silence.

Sont signataires à ce jour, le 05 mai 2025, 712 étudiant·es en journalisme mobilisé·es des écoles suivantes :
● Bordeaux : Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA)
● Cannes : École de Journalisme de Cannes (EJC)
● Grenoble : École de Journalisme de Grenoble (EJDG)
● Lannion : Institut Universitaire de Technologie de Lannion (IUT Lannion)
● Lille : Académie de l'École Supérieure de Journalisme (ESJ)
● Lille : École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ Lille)
● Lyon : Centre de Formation des Journalistes – antenne de Lyon (CFJ Lyon)
● Lyon : Master Nouvelles Pratiques du Journalisme – Université Lumière Lyon 2 (NPJ Lyon II)
● Marseille : École de Journalisme et de Communication d'Aix-Marseille (EJCAM)
● Montpellier : École Supérieure de Journalisme Pro de Montpellier (ESJ Pro Montpellier)
● Paris : Centre d'Études Littéraires et Scientifiques Appliquées – Université Paris-Sorbonne (CELSA)
● Paris : Centre de Formation des Journalistes (CFJ)
● Paris : Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ)
● Paris : Institut Pratique de Journalisme – Université Paris Dauphine (IPJ)
● Paris : Sciences Po Paris – École de Journalisme
● Paris : Master Journalisme bilingue anglais-français – Université Sorbonne Nouvelle
● Paris : Institut français de presse (IFP)
● Prépa la Chance, pour la diversité dans les médias
● Rennes : Sciences Po Rennes – Master Journalisme
● Strasbourg : Centre Universitaire d'Enseignement du Journalisme (CUEJ)
● Toulouse : École de Journalisme de Toulouse (EJT)
● Tours : École Publique de Journalisme de Tours (EPJT)
● Valenciennes : Master Design Informationnel et Journalisme Transmédia (DIJT) – Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF)
● Vichy : Institut Universitaire de Technologie de Vichy (IUT Vichy)

02.05.2025 à 11:37

Mouv', pape, liberté de la presse et compagnie : revue de presse de la semaine

Elvis Bruneaux

Du 25/04/2025 au 01/05/2025.

- L'actualité des médias /
Texte intégral (1144 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 25/04/2025 au 01/05/2025.

Critique des médias

« L'hommage de CNews au pape François, "idéologue", "woke", "politiquement désastreux" », Télérama, 25/04.

« Mort du pape : les médias en mode catho-bienveillance », Arrêt sur images, 25/04.

« Attaque en prisons, attaque à Nantes : deux occasions de cibler la gauche », Arrêt sur images, 30/04.

« Propos génocidaires d'un chanteur israélien : l'info qui venait trop tard », Arrêt sur images, 26/04.

« "Des victimes coupables" : comment les journalistes français voient leurs confrères palestiniens ? », Arrêt sur images, 29/04.

« Manif anti-islamophobie : Jérôme Guedj hué, les médias aveuglés ? », Arrêt sur images, 1/05.

« Face au journalisme de classe », Acrimed, 1/05.

« Trump : pourquoi la presse française n'ose pas dire "fascisme" ? », Arrêt sur images, 25/04.

« "Complorama", l'OTAN et les archives », Le Monde diplomatique, mai 2025.

« Écarté de Marianne, ce journaliste jugé trop "anti-Israël" balance sur les médias français », Le Média, 27/04.

« Toxique bouffon », Off Investigation, 30/04.

« Hanouna candidat à la présidentielle 2027 ? Un canular… et un navrant tintamarre médiatique », Télérama, 30/04.

« Arrêt Sur Images & Sionisme : quelle neutralité ? », Paroles d'Honneur, 30/04.

« Polémiques sur Mélenchon, crime islamophobe : ce streamer démonte le mythe des "médias de gauche" », Le Média, 1/05.

Économie des médias

« La radio Mouv' va quitter la FM pour devenir 100 % numérique en septembre, confirme Sibyle Veil », Le Monde, 28/04.

« Le groupe Ouest-France prépare le lancement de sa télévision malgré des doutes en interne », Le Monde, 30/04.

« Le groupe Ebra (Le Progrès, l'Est Républicain…) toujours dans le rouge », L'Informé, 30/04.

« Le CSE de Nice-Matin déclenche un droit d'alerte économique », La Lettre, 28/04.

« Bernard Arnault ajoute L'Opinion et L'Agefi à son empire médiatique », La Lettre, 28/04.

À signaler, aussi

« Delphine Ernotte, candidate à un troisième mandat, et trois autres personnes en lice pour la présidence de France Télévisions », Le Monde, 30/04.

« Une journaliste de Télérama auditionnée par la police avant même la publication de son enquête », L'Humanité, 29/04.

« Attaques contre les journalistes, concentration des médias... Pourquoi la liberté de la presse est en danger en Europe selon l'ONG Liberties ? », L'Humanité, 29/04.

« "Pas de démocratie sans information, pas d'information sans journalistes", alerte Laurent Richard fondateur de Forbidden Stories », L'Humanité, 1/05.

« Transparence Les invités des émissions d'information de France Télévisions sont-ils payés ? », France Info, 25/04.

« France Inter : Claude Askolovitch arrêtera la revue de presse début juillet », Libération, 28/04.

« Classement mondial RSF 2025 : la fragilisation économique des médias constitue l'une des principales menaces pour la liberté de la presse, RSF.

Et aussi, dans le monde : Belgique, Burundi, Turquie, États-Unis...

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

01.05.2025 à 08:00

Face au journalisme de classe (tract)

Acrimed

Un tract pour les manifestations du 1er mai.

- Travail, salaires, emploi, etc.
Texte intégral (831 mots)

Un tract d'Acrimed pour les manifestations du 1er mai. Disponible en pdf ici.

Régulièrement qualifié de « fête du travail » par les médias dominants, le 1er mai fait l'objet d'une dépolitisation massive. Alors que les licenciements se multiplient, les luttes des travailleurs et travailleuses sont passées sous silence, tandis que les attaques du gouvernement contre le système de protection sociale, les droits des salariés et les services publics sont reléguées au second plan.

Dans la droite ligne de la loi de finances 2025 imposant des saignées budgétaires à l'enseignement, la transition écologique, l'AME, la culture, l'audiovisuel public, etc., les politiques austéritaires mériteraient reportages et enquêtes. Mais au lieu d'exercer ce rôle de contre-pouvoir, les médias dominants accompagnent et légitiment la casse sociale.

Préparer les esprits aux « sacrifices » sociaux

Au cours des deux derniers mois, les séquences de matraquage patronal se sont de nouveau multipliées autour de deux mots d'ordre : « travailler plus » et « réduire les dépenses publiques ». Menées avant-hier au nom de « l'équilibre » du système des retraites, hier de « l'effort de guerre », aujourd'hui de la lutte contre le « déficit public » face à la « guerre commerciale », les campagnes médiatiques se suivent et se ressemblent. Alignées sur les positions du gouvernement, elles relaient les intérêts du patronat.

« Pensions ou munitions ? » ; « Les canons ou les allocations ? » Signés Dominique Seux (Les Échos, 10/03) et Étienne Gernelle (RTL, 10/03), les deux slogans résument le cadrage du débat public. « Pas d'échappatoire, il faut réduire les dépenses publiques », prescrit L'Opinion (7/03), à l'image des éditos « éco » de l'audiovisuel, de France Inter à BFM-TV. « Il faut choisir : se reposer… ou être libre », prévenait déjà Olivier Babeau sur Europe 1 (3/03). « Notre sacro-saint modèle social […] ruine consciencieusement le pays », martèle jour après jour Le Figaro (7/03). Le Monde prend toute sa part au matraquage, présentant le « douloureux réveil budgétaire »… comme une fatalité : « Le réarmement du pays […] place l'exécutif dans la situation très délicate d'avoir à remettre à plat les dépenses de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale pour trouver des gisements durables d'économies. » (7/03)

Bref, les éditocrates jouent (presque) partout leur rôle traditionnel de gardiens de l'ordre. Pédagogues de l'orthodoxie néolibérale, ils affirment qu'« il n'y a pas d'alternative » et ménagent les profiteurs de crise pour mieux fabriquer le consentement aux « sacrifices que les Français devraient faire » : « On sait très bien qu'on a une contradiction entre notre modèle social généreux, confortable, solidaire, adapté à la paix, et la nécessité d'aller vers un effort de guerre et une économie de guerre. » (Christophe Barbier, BFM-TV, 5/03)

Diabolisation de la gauche sociale et politique

Les voix contestataires sont d'autant plus inaudibles que la diabolisation médiatique de la gauche sociale et politique se poursuit sur fond de normalisation de l'extrême droite. La condamnation judiciaire du RN est commentée comme un « déni de démocratie » ; une large partie de l'éditocratie fait désormais le procès de la justice, accréditant les pires slogans de l'extrême droite contre l'État de droit ; « insécurité » et « immigration » continuent de polariser l'agenda, pollué par les surenchères des Retailleau, Darmanin, Wauquiez, etc. auxquels les chefferies éditoriales déroulent le tapis rouge.

Dans ce grand bain réactionnaire, les urgences sociales et écologiques sont reléguées aux marges, les syndicats de salariés n'ont pas voix au chapitre et La France insoumise continue d'essuyer les calomnies en série, clouée au pilori pour son engagement contre le génocide en Palestine, largement invisibilisé par les grands médias.

Face à cela, il faut soutenir les médias indépendants, seuls capables d'imposer d'autres préoccupations et d'autres voix ; organiser les solidarités avec les journalistes qui tentent de faire front en interne ; et continuer de porter les propositions visant à libérer l'information de l'emprise des industriels et de la communication.

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