11.11.2024 à 11:58
L'Autre Quotidien
Ainsi, Firelei Báez explique comment son travail s'efforce de placer les Caraïbes dans un contexte mondial en capturant des traditions telles que le carnaval ou en traduisant parfaitement la façon dont la lumière du soleil filtrait dans le jardin de sa grand-mère en République dominicaine.
De même, Morel Doucet explique comment la mise en avant de son identité haïtienne lui a permis de raconter sa propre histoire, plutôt que de laisser les autres décider de qui ou de quoi parlent ses délicates sculptures en céramique.
April Bey, qui met en lumière la relation entre opulence et avenir prospère, et Sonya Clark, qui démonte la distinction eurocentrique entre l'art et l'artisanat, figurent également dans le livre. Barnett, elle aussi artiste et créatrice, nous donne un aperçu de son atelier et de ses pratiques méticuleuses en matière de céramique.
Dans son ensemble, Crafted Kinship se concentre sur les processus, les considérations et les histoires qui entrent dans la composition d'un large éventail d'œuvres, en établissant des liens entre chaque élément, chaque artisan et leurs liens ancestraux. Bonne synthèse en hard-cover, à choper sur le site de Colossal.
Baron Lundi, le 11/11//2024
Malene Barnett - Crafted Kinship: Inside the Creative Practices of Contemporary Black Caribbean Makers - Artisan Publishers
11.11.2024 à 11:33
L'Autre Quotidien
Au travers d’une scénographie innovante qui donnera les clefs du décryptage de multiples propositions artistiques qui explorent ledit « fait divers », les visiteurs pourront décoder les ressorts du genre. Et comme l’annonce le sous-titre de l’exposition « Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse », chacun d’eux pourra ici laisser libre court à son imagination et son libre arbitre.
Cette exposition collective inaugure l’anniversaire des 20 ans du MAC VAL, célébré tout au long de l’année 2025, et comme le souligne le Président du Département du Val-de-Marne « le label d’intérêt national qui vient de lui être décerné par le ministère de la Culture est indéniablement une marque d’encouragement pour Nicolas Surlapierre, arrivé à la tête de l’institution en octobre 2022, à poursuivre la mise en œuvre de son projet scientifique et culturel visant notamment à l’adhésion des publics les plus larges et variés possible à une histoire de l’art d’aujourd’hui. Son premier opus « L’œil vérité », actuellement à découvrir au musée, donne le « la » d’une programmation décomplexée, mêlant approche scientifique et accessibilité. »
Parce que le fait divers est souvent lié à l’univers de l’enquête, à une certaine forme d’énigme et à la volonté des artistes d’élucider leur part mystérieuse, l’exposition s’articule autour de la poésie des équations à plusieurs inconnues qui sont pensées entre paramètre et registre « d’indicialité ». Chacune des équations sera introduite par « des pièces à conviction » confortant la métaphore bien légitime de l’enquête et du judiciaire et laissant planer l’empreinte de l’erreur judiciaire ou de l’erreur humaine à l’origine de nombreux faits divers.
C’est autant un univers de formes qui sera proposé qu’un vaste champ lexical que s’emploiera à échafauder la présente exposition.
L’abécédaire typologique, non sans faire référence au Dictionnaire amoureux du faits divers (Didier Decoin, Éditions Plon, 2022) entendra ainsi montrer la diversité des artistes et des formes qui se sont intéressés de près à ces évènements singuliers entre indices indicibles et indécidables. Il visera également à mettre en lumière l’impact de la culture visuelle du fait divers sur l’art contemporain. En 26 lettres et 5 équations, l’exposition présentera une hypothèse de ce qu’est le fait divers mais se gardera bien d’imposer une réponse, elle laissera ainsi libre cours à la possibilité, pour toutes et tous, de se faire son avis, d’être aussi saisis d’un doute ou tout simplement de se laisser porter par les délices de l’affabulation ou de la spéculation.
Cinq équations structurent l’exposition En sciences mathématiques, elles sont des variables et correspondent, assez bien, à l’univers des énigmes à résoudre. Elles résument la volonté des artistes à souvent vouloir élucider l’énigme qui, parfois ou souvent, sous-tend un fait-divers et transforment les salles d’exposition temporaire du musée en un vaste jeu de plateau en référence au jeu de société
célèbre. Chaque équation réunit 5 ou 6 lettres de l’abécédaire. Elles rompent avec l’ordre alphabétique afin que visiteuses et visiteurs puissent appréhender le champ lexical fait-diversier, les principales thématiques, la diversité des réponses proposées par les artistes ou les enjeux de réception.
Respectivement, les équations décrivent des grandes catégories ou des archétypes : l’univers judiciaire (équation no1), la catastrophe (équation no2), la violence (équation no3), l’humeur noire (équation no4), la pulsion scopique (équation no5).
26 hypothèses alphabétiques Au-delà du caractère illustratif de l’abécédaire, le fait divers est également une excellente façon, ainsi que Vincent Lavoie, commissaire associé de l’exposition, a pu le rappeler, de questionner certains protocoles et modes opératoires de l’art contemporain.
La « fictionnalisation » de l’événement dit mineur, la prégnance du modèle indiciaire, la transposition artistique de protocoles d’enquête : reconstitution, inventaire et collecte, le jeu des temporalités dans les représentations événementielles, l’éthique du témoignage et des discours probatoires, le sensationnalisme et les régimes des affects ou enfin les effets d’authenticité et débats d’opinion seront autant de points évoqués dans chacune des cinq équations qui structurent l’exposition.
Malgré un engouement certain, aucune exposition en France jusqu’à aujourd’hui n’a réellement été consacrée à une analyse artistique du fait divers. Puissant catalyseur d’affects (compassion, plaisir, curiosité, identification), le fait divers a une valeur fantasmatique qui participe de la dramaturgie et de l’art contemporain.
Nicolas Surlapierre, Directeur du MAC VAL, commissaire de l’exposition le 11/11/2024
Commissaire associé Vincent Lavoie Coordinateur Julien Blanpied assisté de Marzia Ferri
Faits divers - Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse -> 15 /11/2024 →14/04/2025
MAC VAL Place de la Libération 94400 Vitry-sur-Seine
11.11.2024 à 09:15
L'Autre Quotidien
Tout au long de ces émissions, qui dessinent une esquisse grossière et impressionniste de l'histoire coloniale du Chili, les ondes radio sont envahies par les fantômes des Palestiniens et des cris d'animaux inquiétants. C'est l'histoire du nouveau double album de Nicolás Jaar, qui a commencé par une chanson commandée par le Musée de la mémoire et des droits de l'homme de Santiago pour une exposition sur le régime de Pinochet et qui s'est transformée en une véritable pièce radiophonique diffusée via Telegram et d'autres plateformes en ligne. Jaar a fini par publier l'ensemble sous la forme d'un fichier audio sur Bandcamp, dont les recettes ont été reversées à des associations caritatives soutenant les communautés mapuches et les Palestiniens de Gaza. Aujourd'hui, le projet atteint sa forme finale, estampillé sur deux plaques de cire et réduit à ses points forts musicaux. Cette explication donne à Piedras 1 & 2 un aspect désordonné et tentaculaire - une quête épique secondaire - mais en réalité, il s'agit en quelque sorte de l'opus magnum de Jaar, combinant ses talents pour les sonorités abstraites, la pop pince-sans-rire et l'art de la performance en un tout étourdissant.
Les chansons de l'artiste fictif Hasbún - dont le nom est un portmanteau des noms de famille des grands-mères de Jaar - constituent la majeure partie de Piedras 1. Elles comptent parmi les compositions les plus invitantes et accrocheuses de Jaar, des grooves sulfureux qui s'inspirent du rock indépendant et du reggaeton, avec des paroles qui incitent à la réflexion et qui sont prononcées d'un ton pince-sans-rire. Sur le faussement enjoué "Aquí", Hasbún demande "Qu'est-ce que cela signifie vraiment d'être d'ici ?", définissant "ici" comme un lieu dont la vérité "n'est pas écrite sur le papier". Ce fil conducteur se déroule dans la pièce maîtresse, "El Río de las tumbas", où Jaar/Hasbún décrivent l'histoire du fleuve Magdalena. La prose elliptique fait référence à tout, d'Einstein à la Palestine, soulignant l'impact global du colonialisme et la nature cyclique de la vie et de la mort : Hasbún est présumé mort, jeté dans le fleuve, mais le fleuve est aussi source de vie et de renouveau.
Dans le passage le plus obsédant de l'album, Jaar souligne le lien entre la colonisation du Chili et la Terre sainte. (Le Chili abrite également la plus grande diaspora palestinienne en dehors du Moyen-Orient). Il compare le nom du fleuve Magdalena, donné par le colonisateur espagnol Rodrigo de Bastidas, à l'ancienne ville juive Magdala, puis à un village arabe appelé al-Majdal qui a été détruit et remplacé par la colonie israélienne de Migdal. Jaar souligne l'importance - et la force brute - de la (re)dénomination :
Vous dites que vous êtes près du fleuve Magdalena.
Et je vous parle de la Palestine.
Qui n'est plus la Palestine.
Et le Rio Grande n'est plus Karacalí,
Non, le fleuve n'est plus Karihuaña
Il n'est plus Guacahayo.
Mais c'est toujours Guacahayo ! C'est le fleuve des tombes !
Est-ce qu'un lieu change quand on le renomme ? Devient-il autre chose ? Ces sentiments de perte et de confusion sont soulignés sur un autre temps fort, "Mi Viejita", une réminiscence de lieux devenus inaccessibles. Ce sont des gens qui quittent leur vie - les uns les autres, leurs fermes, leur bétail - pour aller à la guerre au nom d'une entité coloniale, avant d'être opprimés par une junte militaire et un couvre-feu strict qui ne leur offre aucun remerciement en retour, redéfinissant la terre pour laquelle ils se sont battus comme quelque chose qui ne leur appartient plus. Le bouleversement émotionnel de la chanson est accompagné d'un rythme brisé qui sonne comme celui d'un ivrogne, trop lent et chancelant pour se tenir droit, et les bavardages en arrière-plan ne font que renforcer l'atmosphère chaotique.
La musique qui accompagne les voix sur Piedras 1 est impressionniste et en niveaux de gris, avec des éclats de bruit, des chiens qui aboient et des synthés qui sonnent comme des éléphants en colère, marquant les thèmes de l'aliénation et de l'identité en mouvement. Piedras 2, en revanche, recueille la musique interstitielle de la pièce radiophonique et passe de l'expérimentation cérébrale - comme l'élégant et légèrement jazzy "Radio Chomio", avec l'artiste mapuche Eli Wewentxu - à l'effervescence des clubs, comme la trilogie finale "SSS", qui renvoie aux débuts de Jaar en tant qu'enfant de la rue. Seulement maintenant, la musique est frénétique et claustrophobe, comme si elle essayait de sortir de ses propres structures rythmiques, une forme violente d'affirmation de soi.
Jaar sait créer de l'espace et de la distance dans la musique, ce qui se prête naturellement à la construction de récits. Des éléments tels que les grosses caisses ou les voix semblent souvent provenir de la pièce voisine, jusqu'à ce que les choses se précisent soudainement, brièvement, un procédé que Jaar utilise à plusieurs reprises pour mettre en valeur les parties les plus importantes de Piedras. Cela permet à ce double album d'être un peu plus direct, un contrepoids à l'attitude distante habituelle de Jaar.
On peut écouter l'album et apprécier ses grooves somnolents de loin, mais le sujet est captivant, parfois même dérangeant, comme la phrase sur les vaches dans "Mi Viejita". C'est une caractéristique du style radiophonique qui joue en faveur de Jaar, soulignant les enjeux des crises historiques comme celle du Chili, qui continuent de se dérouler dans le monde entier. C'est ce que beaucoup de gens ne réalisent pas à propos de l'histoire des dictateurs, des despotes et des régimes génocidaires : Les dégâts ne se limitent pas à tuer des gens dans la rue ou à les enfermer ; il s'agit aussi du traumatisme causé par les disparitions sans explication. C'est l'impossibilité de trouver la vérité, ou même la volonté d'essayer. Les gens, les choses, les lieux disparaissent sans explication, comme s'ils n'avaient jamais existé. Parfois, c'est sous le couvert de la nuit, d'autres fois, c'est diffusé dans les journaux télévisés et sur l'internet.
En apprenant à connaître Piedras, je revenais sans cesse à ce couplet obsédant de "Aquí" : "Si c'est écrit sur les murs, ce n'est pas écrit sur le papier". Ce couplet devient un cri de ralliement pour les personnages de la pièce, qui luttent contre un système qui veut les effacer. Mais comme une grande partie de Piedras, cette pièce a également une portée universelle, partant du Chili et s'étendant en spirale, de la Palestine au Soudan en passant par l'Ukraine, où les archives sont conservées dans un bain de sang et où des récits contradictoires se disputent la suprématie, alimentés par la haine et l'animosité raciale.
En mettant en miroir l'histoire coloniale, la brutalité politique et le déni historique du Chili avec le déni quasi séculaire des déplacements et du génocide en Palestine, Jaar souligne des vérités que certains préféreraient ignorer. L'impact du projet est pleinement perceptible dans la pièce radiophonique complète, dans tout son trop-plein désordonné, mais Piedras 1 & 2 offre quelque chose de plus concret, presque insidieux. Ces chansons sulfureuses se frayent un chemin dans votre cerveau, des phrases et des paroles qui jettent les bases d'une véritable réflexion répétée sur des rythmes dansants. Que signifie être d'ici ? Qui décide de ce qu'est ici, et qui a la prétention originelle d'être ici, là ou n'importe où ? Jaar n'a pas les réponses, mais Piedras souligne la nécessité de réfléchir à ces questions, dans un monde où même la vérité est contestée et combattue.
Ernesto Che Simardo le 11/11/2024
Nicoals Jaar - Piedras 1 & 2 - Other People ( sortie vinyle le 31/01/2025)