20.03.2025 à 13:33
L'Autre Quotidien
Assoukrou Aké, Les perfection-nés et le sacrifice de maturité, 2022, acrylique et crayon graphite sur contreplaqué gravé, 366 x 244 x 6 cm, Courtesy Ellipse Art project © l’artiste et Adagp — Paris, 2025 © Photo Théo Pitout
Comment les défunts insistent-ils, à travers le temps, pour nous tenir en question ? La voix des morts occupe une place centrale dans les réflexions contemporaines, qu’elles soient artistiques, littéraires, dramaturgiques, philosophiques, notamment chez des artistes qui articulent des appartenances diasporiques, transculturelles ou minoritaires. Orienté autour de la notion d’hantologie, pour citer le néologisme du philosophe Jacques Derrida dans son ouvrage Spectres de Marx, ce projet s’attache à présenter des œuvres ou des interventions qui portent en elles des voix du passé.
À travers elles s’expriment les irréconciliables contradictions dont nous héritons : des mirages de la modernité aux cendres du continuum colonial. S’il n’existe qu’un présent trouble et lourd de complexités dans lequel nous naviguons, les pratiques d’ancestralité ou de généalogie nous enseignent comment nous construire des lignées affectives et intellectuelles à travers le temps et entrer en conversation avec les spectres qui nous entourent.
Interpeller le passé au présent de l’art, lutter contre l’abêtissement proféré par Bolloré et consort… A voir pour éviter de se laisser piéger par les diffuseurs de malheur.
Bill Prokosh, le 24/03/2025
Exposition collective - Tactical Specters -> 13/07/2025
La Ferme du Buisson Allée de la Ferme Noisiel 77186 Marne-la-Vallée
Chiara Fumai, I Did Not, 2020 — Installation, CAC Genève Courtesy de l’artiste
Avec les artistes Assoukrou Aké, Nils Alix-Tabeling, Vir Andres Hera, Chiara Fumai, Coco Fusco, Hamedine Kane, Belinda Kazeem-Kamiński, Élise Legal, Joshua Leon, Anne Le Troter, Anouk Maugein et Lorraine de Sagazan, Jota Mombaça, Publik Universal Frxnd, Samir Ramdani et Euridice Zaituna Kala.
20.03.2025 à 13:15
L'Autre Quotidien
Aurich puise son inspiration chez des maîtres tels que Johannes Vermeer et Le Caravage, dont l’attention aux détails, l’utilisation de la lumière et de l’ombre, et la maîtrise de l’anatomie humaine se traduisent magnifiquement en tatouages.
Je voulais capturer l’essence de ces chefs-d’œuvre d’une manière unique et captivante. Avoir l’opportunité de tatouer ces motifs sur d’autres personnes qui apprécient l’art est une expérience enrichissante.
Elle souligne l’importance que les émotions et les récits de chaque portrait résonnent avec le porteur, surtout à cette petite échelle. Actuellement en résidence à l’Atelier Eva, Aurich propose des créneaux pour mars et avril à New York. Bien que les tatouages présentés ici soient des modèles flash, elle réalise également des compositions personnalisées.
(Plus de ses œuvres sur son compte Instagram ici)
Toutes les photos: crédits Ash Aurich alias inkedbyash.
Elliot Naze, le 24/03/2025
Les tattoo timbres d’Ash Aurich
20.03.2025 à 13:00
L'Autre Quotidien
La petite fille est morte, sa mère aussi. Elles ont les joues bleues des corps léchés par la mer et leurs jambes sont couvertes de sel. Sur leurs bras blancs, le cheminement des veines trace un dernier souvenir de vie. Les pompiers arrivent, se précipitent ; les sirènes hurlent. Un homme sort de l’eau. Il a ôté sa chemise et cache son visage dans ses mains. Il ne crie pas, il ne pleure pas. Il sait que c’est trop tard. La petite robe rouge flotte toujours sur l’estuaire de la Dives. Elle semble figée là pour l’éternité, malgré le ressac, malgré les tourbillons.
Deux fillettes se font face, l’une est brune aux yeux noirs, l’autre est rousse aux yeux verts. Elles se tiennent droites, poings serrés, et s’échangent des regards inquiets.
– C’est ta faute !
– Non, c’est la tienne. Je t’ai vue.
Pour elles, l’enfance est terminée.
Il y a bien des années, un drame a eu lieu en Normandie, à l’embouchure de la Dives. Une fillette s’est noyée. Trois femmes en ont été marquées à jamais, qu’elles le sachent ou non, qu’elles aient conservé une vision claire ou pas de ce qui s’est passé ce jour-là. Aube a longtemps – et peut-être toujours – rêvé de la capitale, mais s’est vue condamnée à rester vivre dans ce bocage qu’elle déteste, au cœur d’une campagne littorale qui l’oppresse et lui rappelle sans cesse toute la vie qu’elle a manqué. Aurore, sa fille, qui adore au contraire ces rivages normands, hérite de la lourde tâche de réaliser les rêves d’émancipation de sa mère, par personne interposée, en partant étudier à Paris. Borée, énigmatique en diable, et qui deviendra au moment opportun la meilleure amie, très exclusive, d’Aurore, semble attendre son heure, et ourdir en secret une possible machination que l’on devine, à bien des signes, effrayante.
Trois femmes aux destins étroitement enchevêtrés, qui ne tiendront néanmoins peut-être pas la place attendue d’abord par la lectrice ou le lecteur sur le diabolique échiquier des sentiments et des souvenirs élaboré par Charlotte Monégier.
À la gare de Caen, sur le quai, mes mains tremblent. J’invente des flocons de neige qui s’ébattent dans un vent trublion ; ils viennent glace mon nez, me pénètrent et se mêlent à ma respiration. Ils sentent la fin de quelque chose. Je ferme les yeux. Au fond, je sais bien que ces flocons n’existent pas. Si je les imagine, c’est pour éviter d’affronter ce qui me fait vraiment peur. Je ne tremble pas parce que j’ai froid. Je tremble parce que je m’apprête à quitter ma mère.
Je l’observe. Elle paraît si calme, si heureuse. D’une main délicate, elle serre son sac contre son ventre. Je me demande un instant si, elle aussi, me cache des choses. Puis j’abandonne l’idée. Je veux me concentrer sur son sourire. Il fait le tour de son crâne et ses lèvres forment un horizon sans fin. Je ne peux pas lui dire que Paris me terrifie. Je ne peux pas la regarder en face et lui avouer : « Je préférerais rester là, maman, auprès de toi, dans ce qui a toujours été ma vie. » Elle ne s’en remettrait pas.
J’ai l’habitude de modifier ma réalité, de la rendre plus chaude ou plus froide selon la température de mon coeur. Je ne sais pas encore très bien s’il s’agit pour moi de voir ce que d’autres ignorent ou alors, de bouleverser mon quotidien pour qu’il m’ennuie moins. Je peux changer des blessures en ravines sauvages. Prendre la lune pour une porte ouverte. Souffler sur un tas de bois pour créer une tornade, haute et silencieuse, et parler aux fleurs tout en jouant avec les galaxies. Je ne suis pas sorcière, non, j’adore seulement la poésie. Grâce à elle, je m’enfuis. Mais dans cette gare, je ne peux rien transformer. Je vais devoir monter dans ce train et partir loin d’ici. D’ailleurs, voilà que les flocons de neige ont cessé leurs mouvements. Voilà que je ne tremble plus.
Publié en octobre 2024 dans la collection Territoires de Calmann-Lévy, « Ne t’inquiète pas des tempêtes » est le premier roman de la jeune poétesse et nouvelliste Charlotte Monégier, dont on avait apprécié le recueil « Voyage(s) » de 2021, après deux de ses nouvelles en anthologie Antidata : « Valise », dans « CapharnaHome », formidable mise en scène d’un voyage immobile, ou « Tout ce que tu fais est merveilleux », dans « Douze cordes », défendant le pouvoir de la musique, à préserver coûte que coûte.).
« Ne t’inquiète pas des tempêtes » nous offre d’abord le choc de deux décors, celui d’une campagne littorale normande qui évoque aussi bien par moments le « Blockhaus » de Mathieu Larnaudie que les échappées bocagières enflammées de « L’île batailleuse » de Nicolas Rozier, et celui d’un Paris à la fois parfaitement anodin et terriblement souterrain, tel qu’on le trouvait par exemple dans le « Sous le ciel vide » de Raphaël Nizan. Mais le choc de ces décors est avant tout un choc de mémoires et, davantage encore, d’interprétations de ces mémoires : c’est par le souvenir et le vécu profondément divergent qu’ont développé trois femmes à partir du même terrible accident, longtemps auparavant, que s’élabore un thriller faussement bucolique et parfaitement machiavélique, tirant du côté du film d’horreur potentiel comme de l’inquiétante étrangeté qui hantait le « Élise et Lise » (2017) de Philippe Annocque.
Ainsi apparaît un roman d’épouvante tranquille, accédant à une puissance encore supérieure grâce à sa langue bien particulière, certainement nourrie du travail poétique de l’autrice, une langue qui semble capable de véhiculer simultanément le diaphane et l’insondable, le mystère et la (fausse) évidence, le prétendument simple et l’effroyablement complexe.
Je suis née en Normandie, entre la mer et la campagne. Ma mère a poussé des cris de souffrance sous le toit de chaume. Mon père lui tenait la main ; il l’a serrée si fort que les marques de ses ongles sont restées longtemps dans sa paume. Chez nous, il y avait toujours le feu qui brûlait dans la cheminée et cette longue table en bois où nous soupions. Par terre, la paille semblait vouloir réchauffer l’atmosphère, sans jamais y parvenir. Je ne ressentais que le froid. Il a fixé mon enfance dans un paysage de sel et de terre ; la mer avalait la campagne entière, les champs étouffaient les marées, et tous ces éléments s’entremêlaient pour former un chaos vaseux et gelé, incapable d’ordre et de beauté. Avec les années, l’eau s’est incrustée dans ma peau. La bourbe a marqué des crevasses et des sillons, encrassant à son passage chaque pore, chaque cavité. J’ai souvent plongé mon visage dans la mer de Normandie et lorsque je revenais chez mes parents, dans les prés noirs du dedans, vers Gacé, je devais mettre à nouveau les mains dans la fange et les pieds dans le fumier.
Personne ne peut imaginer la saleté qu’on garde de ces choses-là.
Parfois je lèche la paume de ma main, alors je suis comme les vaches de mon père. Je sors une langue glutineuse et mouillée, et je parcours avec elle la surface de mon épiderme. Je respire au creux de mon poignet. Je ferme les yeux, mon nez devient naseau. Un instant, je pense retrouver l’effluve de mon existence, l’émanation parfaite de mon enfance, de mon adolescence et de ma vie d’adulte entière ; un air que mes couches de peaux, fermes comme le cuir, auraient su retenir. Je n’ai pas aimé ma jeunesse, encore moins ma vie de femme, et pourtant, j’y suis liée. J’ai sous les ongles et dans le sang des eaux montantes et descendantes. J’ai dans mes larmes la pluie qui trempe les plages, la mer qui noie les plantes. J’ai dans le ventre des bourrasques agressives qui volent jusqu’aux carreaux de ma chambre d’enfant et qui frappent, sans relâche, mes nuits d’insomnies. Mes pieds sont pleins de boue et mon cœur est un peu givré ; les enfances près des bêtes sont froides et solitaires.
Parfois aussi, je sens les traces des baisers de ma mère sur mes cheveux. Elle aimait déposer ses lèvres dans mon cou et me caresser de mots doux. Ma mère s’appelait Ange et c’était un ange. Elle était le seul visage aimé de mes petites années. Mon regard comme le sien, vert d’eau à la forme ronde, il n’a cessé de m’habiter. Un jour, elle m’a prise à part : « Je sais que tu rêves beaucoup, petite Aube. Mais ta vie n’ira pas au-delà de ces champs. Tu es née femme, tu es née à la campagne. C’est ainsi. »
Je l’aimais passionnément, mais son renoncement est devenu ma bataille. Je me suis promis de ne pas grandir au milieu des arbres. Promis d’aller voir ailleurs, plus loin, plus haut, si j’y étais. Je n’ai pas su imposer mes rêves. Me voilà prise dans des racines exsangues, des algues noires qui m’agrippent, et je l’assure : l’enfer a le charme de la mer qui tangue au loin sur Dives-sur-Mer.
Hugues Charybde, le 24/03/2025
Charlotte Monégier - Ne t’inquiète pas des tempêtes - Calmann-Lévy
L’acheter ici