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10.11.2025 à 17:25

De la performance comme mystique avec "Ma voix de Dieu"

L'Autre Quotidien

L’expérience d’une redoutable mécanique pour déclencher un voyage immobile, en quête de notre extra-terrestre intérieur. Une somptueuse performance littéraire et artistique.
Texte intégral (3274 mots)

L’expérience d’une redoutable mécanique pour déclencher un voyage immobile, en quête de notre extra-terrestre intérieur. Une somptueuse performance littéraire et artistique.

J’ai reçu le 5 juin un e-mail de Maxence Mathieu, un artiste belge que je ne connaissais pas. Il me priait de venir me prêter à une « expérience » dans son atelier, à Liège. Il proposait de venir voir une pièce en particulier. C’est un ami commun, éditeur, qui lui avait parlé de mon travail, imaginant que nous aurions des choses à nous dire. Maxence avait comme moi lu le Discours de Mountain View lorsqu’il avait été publié, il y a quelques années, dans la revue de l’Observatoire de l’Espace, en France. Comme pour moi à l’époque, cette découverte avait été décisive dans son parcours et ses projections pour l’avenir. Il avait lu par la suite un de mes livres et compris mon intérêt grandissant pour les forces de l’esprit.
Ce genre d’invitation est fréquente dans ma vie d’écrivain, et j’ai trouvé un peu présomptueux en lisant son mail que l’artiste emploie le terme « expérience » pour qualifier une simple visite d’atelier. Maxence disait dans son message que si la chose m’intéressait, je pourrais en faire le récit, ou ce que je voulais d’autre. Je n’ai pas bien compris ce qu’il entendait par là, mais il m’a proposé de l’argent, et j’ai accepté l’invitation, curieuse de revoir la Belgique après tant d’années. J’étais très loin d’imaginer quoi que ce soit.
Dans l’Eurostar, il fait froid et le temps ne passe pas. je lis encore une fois le passage le plus essentiel du Discours de Mountain View dont j’ai apporté la publication avec moi.
[…]
À nouveau, le discours m’impressionne, je ressens dans tout mon corps une excitation très forte, comme un appel.
Ce message interroge encore mon regard sur le monde ; il promet de révolutionner le sens de nos vies. Mais plane toujours au fond de moi, et au-dessus, une sorte de terreur. Je comprends, en arrivant à Liège, en marchant sur le quai, en regardant les rails pour être précise, que c’est le titre de l’oeuvre de Maxence que je viens « essayer » qui m’a glacée : IL Y A MOINS DE CHOSES ENTRE LES CIEUX ET LES ENFERS QU’AUCUN D’ENTRE NOUS NE PEUT L’IMAGINER. Je l’ai vu ce titre, sans vraiment le lire, mais la phrase s’est inscrite en moi, avec ses méandres et sa pénombre, laissant mon esprit divaguer entre ce que l’artiste a pu vouloir dire et ce que moi je comprends.

Publié en mai 2025 aux éditions liégeoises Hématomes, ce nouvel ouvrage d’Amélie Lucas-Gary, « Ma voix de dieu », constitue le magnifique pendant littéraire de la troublante démarche artistique, située à un mi-chemin intraçable entre l’installation et la performance, conduite par l’artiste Maxence Mathieu dans son atelier de la grande agglomération wallonne.

L’opération conjointe (car il s’agit bien d’une opération) à laquelle nous sommes conviés s’enracine dans le « Discours de Mountain View », un texte proposé par Amélie Lucas-Gary en octobre 2019, dans le numéro 18 d’Espace(s), la revue du CNES (Centre National d’Études Spatiales, l’agence spatiale française, dont l’action culturelle globale ne sera sans doute jamais assez soulignée). Par des moyens mystérieux, des entités extra-terrestres installées depuis longtemps sur notre Terre parvenaient enfin à nous communiquer leur présence et, d’une certaine façon, leur programme. Ce discours fictif adressé aux humains forme la base de l’étonnante expérimentation dont nous allons être témoins plus ou moins objectifs dans « Ma voix de dieu », au titre magnifique qui nous tombera véritablement dessus, en toute grâce, à la page 67, presque à l’issue de ce voyage quasi-immobile, ô combien corporel et pourtant profondément extra-sensoriel.

Dans sa quête de l’Autre, la science-fiction a longtemps quadrillé par le menu les vastes espaces sidéraux et galactiques, avant qu’au tournant des années 60, avec l’émergence de ce qui s’appellera la New Wave dans ce domaine-là, l’inner space ne vienne provisoirement supplanter l’outer space, laissant James Graham Ballard, Brian Aldiss, Michael Moorcock ou Thomas M. Disch, par exemple, avec la complicité d’un Philip K. Dick ou d’un John Brunner – et même de la future prix Nobel Doris Lessing -, pour ne citer que trois figures majeures de cette aventure intérieure, individuelle ou collective, conduire cette introspection du troisième type. À leur manière joliment insidieuse, et telle qu’en rend compte « Ma voix de Dieu », Maxence Mathieu et Amélie Lucas-Gary en seraient ainsi les dignes et caustiques – ne pourra-t-on s’empêcher de penser – continuateurs.

Crédit photo : Marie-Noêlle Dailly

Je suis pourtant simplement invitée à venir essayer une sculpture, copie customisée du LC4, fameuse « chaise longue à réglage continu » dessinér par l’agence de Le Corbusier en 1928. Maxence a conçu cette chaise après avoir lu le Discours de Mountain View ; après avoir pris connaissance de ce message inédit à notre adresse provenant d’intelligences non-humaines inconnues.
Maxence imagine que sa chaise permet un voyage intérieur au plus près de soi-même, et jusqu’aux confins de l’Univers. Il imagine que sa chaise pourrait déplacer les limites de la pensée. Il a conçu une machine, dit-il, pour « répondre par la force de l’esprit à ces êtres ». Il s’agira dans une heure de m’allonger et de voir venir, peut-être de m’endormir. Je ne me fais pas d’idées. Je prends tout ça au sens figuré. Je ne vois pas ce que Maxence peut concrètement espérer. Je ne vois pas comment un meuble design, même amélioré, pourra agir à ce degré. Et durant le trajet à pied qui mène à son atelier, je pense à autre chose. Je regarde le ciel. De gros nuages flottent au-dessus de la ville.
Quand j’arrive, peu de temps avant l’heure dite, je m’arrête de l’autre côté de la place, sur le trottoir d’en face, et j’attends un peu. Il fait doux et les gens portent des couleurs claires. Durant le laps de temps où je reste postée là, neuf personnes passent devant l’entrée et deux s’engagent dans la cour par le portail entrouvert. Je ne sais pas où vont ces gens. J’imagine qu’ils sont peut-être eux aussi invités à visiter l’atelier de Maxence. Moi, je fume une cigarette et je consulte mes e-mails. Je regarde passer les vélos. Je me rappelle de tout ceci très précisément.
Puis j’entre moi aussi, très exactement à l’heure que j’avais annoncée. Je suis les indications excessivement détaillées données par Maxence. Je me dirige vers le fond de la cour. J’emprunte le grand escalier métallique extérieur. Mes pas font du bruit. La transparence de la passerelle sous mes pieds me donne le vertige et je préfère regarder devant moi. La porte du loft est entrouverte et je m’avance. Je découvre un espace très vaste, traversant, avec de grandes baies vitrées et des murs en briques, assez typiques des bâtiments d’usine dits « américains ». La pièce est lumineuse, mais surtout, une boîte en carton monumentale emplit le volume. Les parois intérieures sont couvertes d’une couche d’aluminium qui réverbère la lumière très forte d’un néon allumé. Dessous, au centre de la boîte, trône le fameux fauteuil. Je savais par avance que cet objet me laisserait indifférente. Ce fauteuil me rappelle la décoration érudite de maisons fréquentées au cours de ma vie -arsenal Travertin-Perriand-Eames qui suscite en moi le même mépris que d’autres panoplies moins socialement valorisées.

L’expérience intérieure et potentiellement transcendante conduite ici ne serait évidemment pas du tout la même (et Maxence Mathieu ne s’y est sans doute pas trompé, en ciblant ainsi cette invitation) avec un autre médium à la place d’Amélie Lucas-Gary. Au-delà du cheminement personnel et du jeu sérieux pratiqué à l’égard du « Discours de Mountain View », bien entendu, il est aussi question ici de tonalité et d’attitude littéraire comme intellectuelle.

On sait, au moins depuis « Grotte » (2014), « Vierge » (2017) et plus encore « Hic » (2020) à quel point l’autrice maîtrise différents niveaux d’introspection, du plus officiellement mis en place au pratiqué nettement en catimini. Pour parcourir les cavités intérieures dont le fauteuil liégeois force la découverte et l’exploration, sans masquer les ambiguïtés et les risques de la démarche entreprise, il faut cette écriture alliant inextricablement – presque magiquement – le sens d’une observation aussi précise qu’apparemment détachée, une implication que l’on jurerait totale dans l’instant présent raconté ou décrit, et un je-ne-sais-quoi de pince-sans-rire britannique, de possible humour tongue in cheek qui laisse ouvertes bien d’autres possibilités d’interprétation. C’est l’écriture qu’Amélie Lucas-Gary semble remettre en jeu à chaque occasion, de « Trois crimes » (2021) à « qu’avez-vous vu » (2023), en passant même par ses si étranges « Féticheuses » (2023). C’est celle qu’elle pousse ici avec une ruse exacerbée dans ses retranchements, semblant défier avec le sourire la lectrice ou le lecteur de voir clair dans le jeu final de « Ma voix de dieu », et le résultat est une somptueuse performance littéraire et artistique.

Je suis bien installée, mais quelle position est vraiment tenable longtemps ? Toutes les configurations finissent par être douloureuses pour le corps. Je n’ai pour l’instant aucune douleur. Je ne ressens aucune tension dans mes membres. Mes organes sont tranquilles. Maxence m’a parlé d’un état d’existence amplifiée. J’ai imaginé quelque chose de cérébral, mais je ne pense qu’à ma chair et mes os. Je sens une forme de légèreté dans mes jambes, sûrement parce qu’elles sont un peu surélevées. Je sens vivre mon ventre.
En m’allongeant, j’ai immédiatement fermé les yeux parce que je suis gênée d’être allongée. Je faisais la même chose chez le psychanalyste et je croyais que c’était à cause de sa présence inhibante à lui, mais je fais pareil ici dans l’atelier de Maxence alors qu’il a quitté la pièce. Qu’est-ce qui me fait fermer les yeux ? C’est parfois la pénombre, ici c’est plutôt la clarté, et puis la gêne d’être avec moi-même.
De nos jours, au plafond, les moulures et les fresques sont rares, il n’y a souvent rien à voir, parfois des motifs. Évidemment, en pensant à ça, j’ouvre à nouveau les yeux. Il y a effectivement beaucoup trop de lumière. Je n’ai jamais aimé les intérieurs lumineux. Dans ma chambre d’enfant, le soleil entrait durant l’après-midi ; il dessinait sur la moquette verte de larges raies qui m’attristaient. Je me sentais écrasée. J’imaginais que c’était peut-être à cause de mes yeux clairs. Je voulais les fermer ou fermer les volets. J’aimais les pièces à l’ombre. Je préférais le bureau de mon père, ou la chambre de ma sœur, à la mienne baignée de lumière.
Ici, le plafond est beau cependant : l’aluminium froissé dessine des motifs d’ombre et de lumière, des silhouettes en guerre. En les regardant, on perd l’échelle, comme sous les nuages. J’essaie de regarder les murs aussi sans bouger la tête, sans me redresser. C’est un peu l’objectif que je me fixe pour l’instant, et cela me fait mal aux yeux. Au blanc des yeux. Ça tire.  L’image d’un œuf dur apparaît alors que je regarde les murs, et j’ai presque la migraine. L’odeur de ma mère ou celle d’un hôpital. L’odorat est directement connecté au cerveau, plus directement que les autres sens il paraît.
Les yeux ouverts, des images m’assaillent.
C’est stroboscopique si j’y prête trop attention.
Aucun stimulus extérieur n’explique ces pensées-là.
Aucune préoccupation consciente non plus.
Je referme les yeux.
C’est mieux.

Hugues Charybde, le 11/11/2025
Amélie Lucas-Gary - Ma voix de Dieu - éditions Hématomes

l’acheter chez Charybde, ici

02.11.2025 à 12:36

“Je me tiens juste devant une page blanche comme si j’avais un flingue sur la tempe”. Interview de Will McPhail pour la sortie de “L’amour et la vermine”

L'Autre Quotidien

Un très beau recueil de dessins de presse parus initialement dans le magazine The New Yorker, sélectionnés et compilés par thématiques qui dévoile toute la palette de l’humour incisif du dessinateur écossais. Également diplômé de zoologie, Will McPhail fait des animaux, et en particulier des rats et pigeons —la vermine— ses personnages de prédilection.
Texte intégral (2394 mots)

Un très beau recueil de dessins de presse parus initialement dans le magazine The New Yorker, sélectionnés et compilés par thématiques qui dévoile toute la palette de l’humour incisif du dessinateur écossais. Également diplômé de zoologie, Will McPhail fait des animaux, et en particulier des rats et pigeons —la vermine— ses personnages de prédilection.

Il publie à 26 ans ses premiers dessins dans The New Yorker, l’un des titres de presse américaine les plus réputés, qui offre une grande place à la bande dessinée et au dessin de presse. Dans L’amour et la vermine, on retrouve un best-of - conçu par l’auteur et l’éditeur français du livre - pour revenir sur 10 ans de dessins. 

Si le nom de Will McPhail ne vous est pas inconnu, c’est que vous avez sûrement vu son album Au-dedans publié l’an dernier [lire notre coup de cœur], qui a raflé tous les prix : prix de la BD Fnac France Inter 2025, Prix Comics de l’ACBD & le prix des le prix des Libraires aux First Print Awards 2024. 

Je vous propose une rencontre à l’occasion de sa venue en France pour en savoir plus sur ce beau livre. 

Comment as-tu préparé la sélection des dessins pour ce recueil ? 

Will McPhail : Nous y avons travaillé avec Nicolas Beaujouan, mon éditeur, et ce sont juste ceux qui me font le plus rire. J’ai essayé de m’amuser avec ceux que j’aime le plus.

Pour ces dessins, comment cherches-tu les thèmes ou les idées ? 

W. McP. : Je ne cherche pas, je suis juste fou [rires], j’écris tout ce qui me passe par la tête.

Je garde ça avec moi, en fond, comme un monologue intérieur [je traduis monologue intérieur, mais il évoque la technique du stream of consciousness si vous voulez creuser] jusqu’à ce que quelque chose de drôle surgisse.

Portrait de l’auteur / photo DR ©404 Éditions

Est-ce que tu continues de dessiner pour le New Yorker

W. McP. : Oui toutes les semaines ! 

Je leur soumets 10 propositions chaque semaine, et la plupart vont à la poubelle. Le rédacteur en chef n’en choisit qu’un pour le magazine. 

Que fais-tu des propositions rejetées ? Tu les retravailles pour les reproposer ? 

W. McP. : Non souvent je les publie sur Instagram, mais ils ne sont pas aussi bon que celui qui a été sélectionné [rires].

Quels sont tes outils ? Tu travailles parfois en numérique pour ces dessins ? 

W. McP. : Non, mon matériel est un peu old school, j’aime dessiner au crayon, utiliser de l’encre, peindre à l’aquarelle et toutes ces choses. 

Je dessine à la tablette graphique assez rarement, si je suis loin de ma planche à dessin, sinon c’est juste un stylo et de la peinture à l’ancienne.

Pour trouver les idées, est-ce que tu notes sans cesse des choses dans un carnet ou est-ce que pour tenir ce rythme, tu te mets devant ta planche à dessin en cherchant des idées ? 

W. McP. : Oui, il y en a beaucoup qui viennent quand je me promène dans Édimbourg, où je vis, mais la plupart du temps je me tiens juste devant une page blanche comme si j’avais un flingue sur la tempe, en espérant qu’ils apparaissent. Du coup, je passe énormément de temps sur ma planche à dessin.

©Will McPhail / 404 graphic

Est-ce que tu scénarises tous ces gags ou parfois le dessin apparaît en premier ? 

W. McP. : J’écris presque tout avant de dessiner, le dessin arrive finalement juste à la fin. Donc oui, il faut m’imaginer écrivant sur un bloc-notes la plupart du temps. 

Est-ce que tu pratiques le carnet d’observation ? Est-ce que tu dessines dans des carnets sans forcément penser au boulot ? 

W. McP. : Je dessine de manière impulsive ! Je dessinerai tout le temps même si ce n’était pas mon métier, je ne peux absolument pas m’arrêter. Je dessine vraiment tout le temps, je ne me souviens pas d’une époque où je n’avais pas de crayon dans la main. 

Est-ce que tu lis de la bande dessinée ? Pour le plaisir ou t’inspirer ? 

W. McP. : Je lis principalement des romans, des romans classiques la plupart du temps. Mais mon autrice favorite en ce moment est Zoe Thorogood. Une dessinatrice britannique dont je vous recommande It’s Lonely at the Centre of the Earth, c’est incroyable [lisez notre coup de cœur ici]. 

Tu es sur un prochain livre ? J’ai entendu que tu discutais de ça avec Basile Béguerie ton traducteur ? 

W. McP. : Oui, j’ai une idée. C’est encore un peu brut encore, mais ça parle d’amitié et du besoin de demander la permission pour être créatif, ce genre de choses. Enfin, pour l’instant. 

Est-ce qu’avec le succès de Au-Dedans, tu as plus de pression ? 

W. McP. : Non, au contraire je me suis senti accueilli et ne ressens pas de pression pour quoi que ce soit. On parle souvent du syndrome du deuxième album ou quelque chose comme ça, mais non, je suis à l’aise avec ça. 

Je vous invite à découvrir ce recueil de dessin singulier, mais aussi Au-Dedans si ce n’est pas déjà fait, un des albums les plus marquants de ces dernières années. 

Thomas Mourier, le 4/11/2025

Will McPhail - l’Amour et la vermine - 404 Graphic

Traduction de Basile Béguerie 

Toutes les images sont ©Will McPhail / 404 graphic

-> Les liens revoient sur le site Bubble où vous pouvez vous procurer les ouvrages évoqués

02.11.2025 à 12:30

Pour l’incurie politique et architecturale, demandez le programme !

L'Autre Quotidien

Y a-t-il un rapport entre la déliquescence à l’œuvre dans la politique et l’architecture françaises ? Oui : le programme. Il suffit d’observer nos gouvernements successifs et nos parlementaires pour comprendre que la même logique bureaucratique conduit l’une et l’autre à l’impasse. Explications.
Texte intégral (2144 mots)

Y a-t-il un rapport entre la déliquescence à l’œuvre dans la politique et l’architecture françaises ? Oui : le programme. Il suffit d’observer nos gouvernements successifs et nos parlementaires pour comprendre que la même logique bureaucratique conduit l’une et l’autre à l’impasse. Explications.

Le programme, ou l’illusion du contenu

Tous nos hommes et femmes politiques n’ont d’autre volonté que de proposer aux Français un « Programme ». Mais qu’est-ce qu’un programme politique sinon l’équivalent d’un programme télé avec ses créneaux horaires parfaitement bien calibrés :
– entre 14 et 17 heures, c’est le segment dédié à la ménagère de plus de 50 ans ;
– de 17 à 19 heures, c’est le temps des enfants ;
– de 19 à 21 heures, c’est celui des infos anxiogènes pour faire fructifier le business de la peur et de la sécurité ;
– de 21 à 23 heures, c’est le temps des adultes, du sport et des films d’action ;
– la nuit même les noctambules y trouvent leur compte ;
– de 6 à 9 heures du matin, c’est le temps des gens qui se lèvent tôt, ouvriers, employés ou cadres dynamiques ;
– de 9 heures à midi, le temps de ceux qui n’ont rien à faire mais qu’il faut amuser et occuper ;
– de 12 à 14 heures, le temps des infos anxiogènes pour faire fructifier le business de la peur et de la sécurité.

Sinon, tout le temps, H24, sur les chaînes d’infos en continu, des nouvelles anxiogènes pour faire fructifier le business de la peur et de la sécurité.

À chaque horaire ses propres publicités, lesquelles sont comme autant de discours rassurants pour chaque segment de la population, surtout avant les élections quelles qu’elles soient. Autrement dit, un programme est destiné à faire plaisir à tout le monde, « quoi qu’il en coûte ». Une fois au pouvoir, étant donné que le principe de réalité est toujours à l’heure, toutes les promesses ne peuvent évidemment pas être tenues et il y a surtout des déçus, le programme agité par les mécontents comme un chiffon rouge. « Mais c’était dans le programme », pleurnichent-ils avec le désespoir de ceux qui se sentent floués… Depuis vingt ans, la même comédie se rejoue : un menu de promesses, des déçus et, depuis dix ans en particulier, c’est surtout le programme de la ménagère de plus de 50 ans, celui des Brigitte, qui obtient les meilleures audiences.

La politique réduite à un plan marketing

Ceux et celles qui confondent politique et programme sont soit naïfs, soit cyniques. Ceux-ci et ceux-là sont à foison. En effet, une politique s’adresse à tous au nom de l’intérêt général ; un programme, lui, cible des intérêts particuliers.

La preuve : pourquoi faut-il quarante ministres pour gouverner ? Parce qu’il faut contenter chaque communauté, chaque chapelle. Chacun a son portefeuille, sa petite promesse à honorer, son « élément de langage » à répéter. Faire semblant d’honorer les promesses de son programme, c’est tenter de faire plaisir à toutes les parties qui composent le gouvernement.

Résultat : plus personne ne connaît les noms des ministres, sauf une ou deux figures médiatiques. Et quand le Président ou le Premier ministre se plaint des « couacs », il oublie qu’ils sont inévitables : mettez quarante ego dans une même pièce, et tôt ou tard l’un d’eux dira une bêtise.

La parole politique s’est fragmentée : chacun prêche pour sa paroisse, voire même en latin pour certains qui veulent être sûrs que personne n’y comprend rien. La secte des communicants a remplacé l’art de gouverner. C’est la raison pour laquelle, à tout prendre, les puissants de la planète, et les impuissants chez nous, contre la science et contre le bons sens, ne se privent plus désormais de raconter n’importe quoi. Les mêmes qui souhaitent le retour de l’Inquisition en tiennent pourtant encore de leur « Programme ». Là, parmi les imbéciles, on est chez les champions comme dirait Astérix ! Quelle farce ! Et en mondiovision encore !

Le même mal ronge l’architecture

Le parallèle avec l’architecture est évident. Autrefois, un maître d’ouvrage exprimait un besoin et un budget ; l’architecte proposait une vision, un projet. Il y avait des plans, des coupes, des règles mais pas encore de programme castrateur. Beaubourg ou la Grande Arche sont nés d’un concours d’idées, pas d’un cahier des charges épais comme un dossier judiciaire.

Aujourd’hui, un PLUi (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal) d’une ville moyenne compte plus de 8 700 pages, dont 266 rien que pour expliquer son propre fonctionnement !** Et il faut autour de l’architecte pas moins d’une vingtaine de personnes parfois pour répondre à un petit projet public. C’est vrai quoi, comment espérer qu’un architecte seul soit capable de répondre au programme d’un bâtiment sobre, frugal, vegétalisé, biosourcé, biotopique, géosourcé, réversible, flexible, labellisé, certifié (au moins cinq fois !), passif, actif, bas carbone, construit avec des matériaux issus du réemploi et en concertation et coconception sous l’égide d’un écologue et d’une sévère maîtresse d’usage, bref un ouvrage bioclimatique, renouvelable, durable et Feng shui. J’en oublie sans doute. Le tout au prix du logement social.

L’architecte aimait à s’imaginer chef d’orchestre, il gère aujourd’hui la cacophonie, avec des gens qui se plaignent de n’être pas assez nombreux pour étudier les 8 700 pages du PLUi qu’ont pondu les fonctionnaires zélés du bureau d’à-côté ! Pour information, le Petit Robert – vous savez, le dictionnaire, pas le fils du voisin – compte 1 300 pages ! Cherchez l’erreur ! Quand il faut presque autant de temps pour construire en campagne une école de quatre classes que de reconstruire Notre-Dame, le problème n’est plus technique, il est systémique.

Un système programmatique à bout de souffle

Notre administration ressemble à une armée mexicaine : plus soucieuse de se nourrir elle-même que d’obtenir des résultats. La politique comme l’architecture sont devenues des machines à programmes, où l’efficacité s’efface devant la conformité.

L’exemple du Louvre est révélateur. Au lieu de se réjouir d’un projet de bon sens, les pouvoirs en place ont préféré lancer un programme complexe baptisé « Renaissance du Louvre », lequel impose une nouvelle entrée à l’est, quand la simplicité – et l’évidence – se trouvent à l’ouest. C’est l’illustration parfaite de ce culte du programme pour le programme, où la réflexion cède le pas à la procédure. Sont mobilisés des comités, des rapports, des concertations, tout cela pour redessiner une porte… Peut-être eût-il été plus avisé de commencer par sécuriser les collections, histoire d’éviter le jour venu le « casse du siècle ». Ironie du sort : on prétend « réinventer » un musée universel sans même protéger ce qu’il contient. Voilà le programme dans toute sa splendeur : bavard, coûteux et oublieux du bon sens.

En réalité, d’évidence, à l’Assemblée nationale comme dans nos campagnes et nos entrées de ville, c’est un système programmatique entier qui s’effondre. Et l’architecture, parfaitement en phase, de plus en plus médiocre, en est le parfait symbole.

Peut-être, comme le suggère un ami architecte, le gouvernement ne devrait-il être composé que de trois ministres : un ministre de l’économie ; un ministre du territoire (de la ville, de la culture, de l’écologie, etc.) ; un ministre de la Défense et de la Santé.

Trois cerveaux qui pensent, plutôt que quarante « éléments de langage ». Les décisions seraient sans doute plus cohérentes, surtout si elles sont fondées non sur un plan de communication mais sur une politique globale qui n’aurait rien d’un programme mais tout d’une volonté incorruptible d’œuvrer au rétablissement du pays. Bref…

Au moins, aujourd’hui, dans leur malheur, les hommes et femmes de l’art, quand l’orchestre disjoncte, peuvent-ils toujours faire appel à un expert en « micro-organisation » qui, à son tour, pourra leur expliquer leur métier.

Christophe Leray (avec J.C.), le 4/11/2025

Pour l’incurie politique et architecturale, demandez le programme !

* Lire notre édito Rachida 5 sur le départ, quel Mickey 6 pour le ministère de la Culture ?
** Lire la chronique 1935 – 2025, 90 ans de dérive administrative…

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