04.11.2024 à 12:25
L'Autre Quotidien
Ayant lui-même marché plusieurs fois sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, français ou européens, le dessinateur a commencé à remplir ses carnets de croquis, de portraits, d’anecdotes ou de gags. Il dessine pour d’autres, peint des fresques sur place et continue de dessiner sur les crédentiales —sorte de passeport du marcheur, un carnet à tamponner à chaque étape jusqu’à Compostelle— des marcheur.se.s qui passent par son accueil pèlerin dans l’Hérault.
Il rejoindra l’association SEUIL pour deux missions d’accompagnement pour des « séjours de rupture » où il marchera 3 mois avec des jeunes qui souhaitent tenter cette expérience pour couper avec leur environnement en alternative avec des prises en charge institutionnelles. Ce programme sur le principe de la libre adhésion de l’adolescent.e propose une autonomie et un séjour organisé avec un.e accompagnant.e et sont suivis par un service de l’Aide Sociale à l’Enfance ou de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
De ces expériences, Jérémie Gallegos tirera un récit où se croisent deux tandems, Samia et son accompagnant Ismaël avec en parallèle Kevin et son accompagnante Carine. Deux histoires qui se croisent et se répondent et permettent à l’auteur de raconter le quotidien de ces marcheurs, de raconter leurs relations, leurs galères, leurs moments de grâce et pas mal d’anecdotes surprenantes ou amusantes.
Si les personnages sont fictifs, les situations, certaines phrases ou les anecdotes sont inspirées de ses propres expériences. Et on le ressent en lisant ce livre, l’auteur est proche de ses personnages et il arrive à nous transmettre l’essence de ces expériences sans nous assommer d’infos. Sur une centaine de pages, on découvre ces marches de ruptures et ce qu’elles représentent, on découvre le quotidien de ces binômes qui sillonnent les chemins pour réapprendre à être ensemble et on se familiarise avec les marches autour de Compostelle.
Le dessinateur joue avec le découpage des planches pour installer des saynètes humoristiques, des pastiches, des gags au milieu des planches qui font le portrait de ces quatre marcheur.se.s. il propose des ruptures de rythmes et de style graphique pour enrichir l’histoire de métaphores graphiques ou de respiration qui en font un livre surprenant.
Ni documentaire, ni carnet de route, ni pure fiction, La rue et le chemin est un peu de tout cela à fois et nous immerge dans une routine qui n’est pas la nôtre, mais finit par devenir familière grâce au trait du dessinateur.
Vous pouvez soutenir le projet sur la plateforme kisskissbankbank, votre contribution vous permettra non seulement d’acheter le livre, mais également d’en offrir un à un ado : chaque livre acheté est doublé par un livre offert à un.e jeunes qui s’engagent dans une marche SEUIL.
Thomas Mourier, le 4/11/2024
Jérémie Gallegos - La rue et le chemin - éditions du Seuil
04.11.2024 à 11:46
L'Autre Quotidien
Moffat Takadiwa a installé son studio à Mbare, un quartier populaire de la banlieue d’Harare dont l’économie informelle est en partie basée sur le recyclage d’objets électroniques et la vente de produits de seconde main importés d’Europe. Depuis une dizaine d’années, il collecte des claviers d’ordinateurs, des brosses à dents usagées, des tubes de dentifrice vides, des barillets de stylos, mais aussi des bouchons de bouteilles, des poignées de seaux, des cuillères en plastique, etc. Récemment, des boucles de ceintures ou des fermetures éclair ont fait leur apparition dans des tapisseries géantes exposées dans le cadre du pavillon national du Zimbabwe à la Biennale de Venise 2024.
Moffat Takadiwa donne une nouvelle vie à ces éléments hétéroclites en les transformant en sculptures et tapisseries. Sa démarche s’inscrit dans le sillage de celles d’artistes du continent africain qui ont fait le choix, à partir des années 1980, de créer des œuvres quasi exclusivement à partir de matériaux de récupération, pour se placer en rupture radicale avec l’art académique occidental introduit en Afrique à la fin du XIXe siècle.
Dans le cas de Moffat Takadiwa, le déclic remonte à 2015, lors des manifestations du mouvement « Rhodes Must Fall »2 qui a remis en question la prédominance d’une vision occidentale du monde dans le curriculum des universités sud-africaines. Il comprend, à ce moment-là, qu’il est temps pour lui également de trouver sa propre voie à travers un langage artistique qui puise sa source dans son contexte socio-culturel local. Au moyen de touches de claviers d’ordinateurs, présentes dans la majorité de ses œuvres, Moffat Takadiwa commence à créer un nouveau vocabulaire « décolonisé »3. À travers ses mosaïques polychromes dont les éléments sont reliés avec des fils de pêche, il construit inlassablement des connections entre le passé et le présent, entre les savoirs ancestraux d’hier et les sociétés urbaines d’aujourd’hui. Chaque nouvelle production est un récit qui nous invite à percevoir l’interdépendance des communautés par-delà les siècles, par-delà les territoires.
Le cercle, omniprésent dans l’œuvre de Moffat Takadiwa, fait référence à une forme que l’on trouve dans de nombreux objets usuels, mais aussi aux contours du Grand Zimbabwe, la légendaire cité médiévale, aujourd’hui en ruines, centre d’un empire qui couvrait le Zimbabwe et le Mozambique actuels. La charge esthétique de ses œuvres — qui empruntent les motifs et les couleurs de différentes cultures de son pays — sous-tendent une critique sévère des rémanences d’un passé colonial encombrant, tout en louant les groupes de résistances qui les ont combattues.
Les œuvres de Moffat Takadiwa s’apparentent à des algorithmes produisant inlassablement des variantes d’un même récit. Elles archivent méthodiquement le trajet de marchandises revenues s’échouer en Afrique. Extraites sur le continent à l’état de matières premières, elles sont exportées vers l’Europe ou la Chine pour y être manufacturées. À l’occasion de leur « retour au pays », Moffat Takadiwa les métamorphose en objets précieux, dont certains feront, à nouveau, le voyage vers l’Occident, à destination des musées et collectionneurs.
N’Goné Fall le 4/11/2024
Moffat Takadiwa - The Reverse Deal → 16 novembre 2024
Galerie Semiose 44, rue Quincampoix 75004 Paris
04.11.2024 à 11:24
L'Autre Quotidien
Drag est le kabuki américain. La forme classique du théâtre japonais et son pendant américain sont tous deux des arts de la scène qui se caractérisent par des costumes exagérés, une narration stylisée et des acteurs qui brouillent les distinctions entre les sexes.
Les "drag queens" sont l'art incarné. Mais elles sont généralement représentées avec des lumières glamour, des arrière-plans chargés et des poses exagérées - des clichés. Au lieu de cela, ce projet en cours Drag/Strip juxtapose plusieurs dizaines d'icônes du monde drag portant leurs costumes burlesques - en couleur - côte à côte avec une autre version de leur personnage, comme vous le voyez ici : des portraits exécutés dans le drame réducteur du noir et blanc pour révéler le moi authentique et souvent vulnérable de chaque drag-queen qui se cache en dessous. D'où le nom Drag/Strip. Les images en couleur et en monochrome présentées sous forme de diptyques constituent une expérience à la fois puissante et intime.
Drag/Strip dépeint un personnage, et avec cette présentation en noir et blanc, les sujets sont dépeints sans caricature. Il s'agit d'une tentative d'humanisation des personnes queer et trans et, comme ils l'espèrent et comme je l'espère aussi, ces portraits encourageront le dialogue avec ceux qui sont plus ou moins naïfs quant à la profondeur des racines de cette culture.
Tom Zimberoff, le 4/11/2024
Drag:Strip Project