03.12.2020 à 17:23
Syrie Factuel
Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Mediapart. La version originale de l’enquête est disponible ici. Dans une vidéo publiée sur Youtube en 2019, un groupe d’homme et de femmes tous vêtus du même t-shirt blanc dînent aux côtés de deux ressortissants français et d’un homme en treillis militaire. Ces Français remettent ensuite à […]
The post Comment une organisation humanitaire française s’est liée avec des milices chrétiennes pro-Assad appeared first on Bellingcat.
Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Mediapart. La version originale de l’enquête est disponible ici.
Dans une vidéo publiée sur Youtube en 2019, un groupe d’homme et de femmes tous vêtus du même t-shirt blanc dînent aux côtés de deux ressortissants français et d’un homme en treillis militaire. Ces Français remettent ensuite à l’homme en tenue de camouflage un trophée, le félicitant pour la libération du petit village chrétien de Mhardeh dans l’ouest de la Syrie, contrôlé par le régime. Plus loin dans la vidéo, dans un autre village chrétien situé à 25 km de là, Sqelbiye, un autre soldat souriant reçoit le même prix. Bachar al-Assad, lunettes de soleil vissées sur le nez, regarde la cérémonie depuis une grande photo accrochée au mur à l’arrière-plan.
Les deux Français remettant ces trophées sont Benjamin Blanchard, directeur général de l’association humanitaire SOS Chrétiens d’Orient (SOSCO) et Alexandre Goodarzy, alors chef de mission de l’ONG en Syrie .
Les combattants syriens qui reçoivent ces récompenses, Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah, sont présentés par SOSCO comme des hommes qui « ont lutté depuis les débuts du conflit sans jamais renoncer ! » L’ONG a fait de nombreux appels aux dons pour soutenir les habitants des villages que ces hommes prétendent protéger.
Mais notre enquête révèle qu’al-Wakil et al-Abdullah sont en réalité des chefs de guerre à la tête de milices pro-Assad accusées de crimes de guerre. D’après une chercheuse de Human Rights Watch, le soutien que SOSCO leur apporte viole les principes humanitaires de neutralité et d’impartialité et pourrait rendre l’ONG complice de crimes de guerre.
Créée en 2013, l’association française SOS Chrétiens d’Orient se décrit comme « une association d’intérêt général apolitique » qui œuvre pour soutenir les chrétiens à travers le Moyen-Orient, ainsi qu’en Éthiopie, au Pakistan et en Arménie. Elle a envoyé des centaines de jeunes volontaires français dans la région et facilité des rencontres entre des hommes politiques français et des officiels syriens.
La mission de l’ONG – qu’elle ne présente pas simplement comme un effort humanitaire, mais comme une mission d’importance divine et culturelle – est de renouveler les liens entre les chrétiens d’Occident et ceux de « l’Orient ». Selon ses propres termes, « l’association témoigne de la vocation supérieure de la France ».
Les fondateurs, Charles de Meyer et Benjamin Blanchard, sont des militants de l’extrême droite française. Ils se sont rencontrés en garde à vue après avoir été arrêtés lors d’une manifestation contre le mariage pour tous à Paris en 2013.
Alexandre Goodarzy était le chef de mission en Syrie jusqu’à sa disparition pendant 66 jours en Irak avec trois autres employés de SOSCO dans des circonstances qui n’ont jamais été éclaircies, début 2020.
Les fondateurs disent avoir créé SOSCO en réaction à la bataille de Maaloula, un petit village chrétien situé au nord de Damas attaqué par les rebelles et des djihadistes du Front al-Nosra en 2013. Cet événement est fréquemment instrumentalisé par des figures pro-Assad pour affirmer que le régime protège les minorités contre la menace du terrorisme islamiste.
SOSCO dispose désormais de plusieurs bureaux permanents dans les territoires sous contrôle du régime en Syrie et collecte environ 7 millions d’euros de dons chaque année, selon les comptes financiers annuels examinés par Mediapart.
SOSCO présente le village de Mhardeh et le village voisin de Sqelbiye comme des «symbole(s) de la résistance syrienne au terrorisme international ». Une incarnation moderne de Jeanne d’Arc, qui a répondu « à l’appel du Seigneur et à son devoir pour défendre ses terres et sa patrie », selon l’association.
Les volontaires de l’ONG visitent fréquemment Mhardeh. À Noël dernier, ils ont par exemple emballé des cadeaux au domicile du chef milicien Simon al-Wakil.
Et quand Alexandre Goodarzy s’est marié à une ancienne volontaire de SOSCO, Fimy Hanna, à Maaloula en 2018, Nabel al-Abdullah, le fils de Simon al-Wakil, Fahed – qui combat également dans la milice de son père – et Salem al-Barni, un autre soldat des NDF [ Les Forces de défense nationale (NDF), une milice pro-régime] à Mhardeh, ont assisté à la cérémonie, comme le montrent les photos publiées sur Instagram par Fahed al-Wakil lui-même.
Le sort de Mhardeh occupe une large place sur le site web de SOSCO et dans ses campagnes de financement. Rien qu’en 2019, l’ONG a levé au moins 35 600 € pour le village. 15 600 € ont aussi été collectés via une plateforme chrétienne de financement participatif, et 20 000 € ont été rassemblés lors d’une vente aux enchères organisée avec Marc-Etienne Lansade, maire d’extrême droite de la commune de Cogolin, dans le sud de la France, et le chroniqueur français d’extrême droite Eric Zemmour. Dans une interview accordée en 2019 au média pro-Kremlin Sputnik, Alexandre Goodarzy a déclaré que SOSCO avait « levé 50 000 euros [pour Mhardeh], nous avons dépensé environ 10 000 euros pour le moment ». Dans une réponse à cette enquête publiée sur son site, l’association précise : « à ce jour, nous avons dépensé environ 80 000 euros pour les villages de Mhardeh et Suqaylabiyah ». L’ONG n’a fourni aucun document pour étayer sa déclaration et n’a pas expliqué comment l’argent avait été dépensé.
SOSCO donne peu d’informations sur la manière dont elle utilise l’argent sur le terrain à Mhardeh, mais dans l’interview donnée à Sputnik par Goodarzy, l’ex chef de mission en Syrie assure que son association donne de la nourriture « particulièrement aux familles dont les époux vont au combat ».
Sur la page du financement participatif mentionné plus haut, SOSCO demande de l’argent pour aider « les familles des martyrs lourdement endeuillées » à obtenir de la nourriture, des vêtements, des fournitures médicales et du matériel pour aider à la reconstruction.
Un article de 2019 publié sur le site internet de SOSCO précise même : « Impossible de livrer des médicaments. Nous apportons à Monsieur Simon et à ses hommes ce qui fait le reste du quotidien d’un soldat : du café, du thé, du maté, et un peu de tabac. »
Selon un article publié en 2018 par le site d’information al-Modon au sujet de Mhardeh, « une délégation de l’organisation SOS Chrétiens d’Orient […] s’est rendue dans la région et a fourni au chef de la milice divers équipements et une assistance ».
« S’il s’avère que l’argent collecté est donné au chef de la milice, et que c’est la milice qui distribue cet argent aux familles et qu’elle en bénéficie de manière abusive, alors SOS Chrétiens d’Orient pourrait être accusée de complicité pour les crimes commis par ces mêmes milices », pense Sara Kayyali, chercheuse spécialiste de la Syrie pour Human Rights Watch.
Dans l’une des nombreuses vidéos de Mhardeh publiée sur Youtube par SOSCO en 2016, Alexandre Goodarzy et Benjamin Blanchard, ainsi que d’autres bénévoles, distribuent des fournitures avec l’aide d’hommes en tenue de camouflage. « On est en train de ravitailler en nourriture et en couvertures la Défense nationale de Mhardeh qui subit les assauts répétés de la part d’al-Nosra depuis quelques semaines », dit Goodarzy.
Impossible de savoir quelle partie de ces fournitures est arrivée dans les mains des civils locaux. Salem al-Barni, l’un des miliciens présents au mariage de Goodarzy, figure dans la vidéo. Il porte des vêtements civils mais est présenté comme un lieutenant des NDF.
Ce brouillage des frontières entre opération humanitaire et soutien à des miliciens semble être une caractéristique des activités de SOSCO à Mhardeh. Al-Wakil lui-même était présent lors d’une opération similaire de SOSCO en février 2019.
En distribuant de l’aide de cette manière, en collectant des fonds pour les familles des combattants NDF morts et en se rangeant du côté des forces pro-Assad, SOSCO semble enfreindre les principes humanitaires de neutralité et d’impartialité fixés par l’Union européenne. Selon ces principes, « l’aide humanitaire doit être fournie uniquement en fonction des besoins » et « ne doit favoriser aucun camp dans un conflit armé ». Les représentants de l’association, qui ne semblent guère s’en préoccuper, nous ont simplement répondu qu’ils n’avaient « jamais prétendu rester neutres face à al-Qaïda ».
Les NDF sont « de loin le plus grand réseau de milices en Syrie », selon l’analyste Aron Lund. Elles « ont été créées à la suite du changement de nom, de la restructuration et de la fusion de comités populaires locaux et d’autres groupes armés pro-Assad à partir de 2012.»
Comme l’a noté l’ONG d’opposition syrienne Pro-Justice, ces milices loyalistes sont connues pour avoir été financées par Al-Bustan, la soi-disant organisation caritative de Rami Makhlouf, le cousin de Bachar al-Assad, actuellement sous sanctions européennes. Le Guardian a révélé en 2016 que l’UNICEF avait versé à al-Bustan plus de 260 000 dollars.
En octobre 2018, à Sqelbiye, les NDF ont remercié un représentant de l’association caritative al-Bustan, le Dr Yahya Youssef, pour avoir offert un soutien médical aux combattants de la milice locale.
Selon Reuters, les combattants des NDF ont été entraînés et équipés par l’Iran, un allié de longue date d’Assad, en 2013, pour renforcer les forces armées du gouvernement alors en pleine débandade.
Dans son entretien avec Sputnik à propos de Mhardeh, Goodarzy déclare d’ailleurs que «les Iraniens prennent quelques hommes et les forment en Iran à la manipulation des armes, à confectionner des roquettes, etc. »
« C’est d’ailleurs malheureux de voir que c’est la République islamique d’Iran, chiite, qui défend les minorités chrétiennes au Levant », a-t-il ajouté. « Ça devrait être le travail de la France. »
La célèbre et farouchement pro-Assad blogueuse britannique Vanessa Beeley – qui a également visité et rendu hommage à Mhardeh et Sqelbiye – a affirmé sur Twitter début 2020 que Qassem Soleimani, l’ancien général iranien des Gardiens de la révolution islamique, avait aidé à former les NDF dans le nord de Hama, publiant une photo d’al-Wakil aux côtés de Soleimani.
Il semble que les NDF soient passées du soutien des Iraniens à l’encadrement par les Russes après leur intervention militaire en Syrie pour soutenir le régime, en 2015. Les dirigeants de la milice se démènent pour obtenir les faveurs de la Russie.
Nabel al-Abdullah et Simon al-Wakil semblent être eux-mêmes proches d’officiels russes.
Al-Abdullah s’est par exemple rendu à Moscou en 2019. Il y a rencontré les forces spéciales russes et représenté Sqelbiye, Mhardeh et d’autres villages de sa région lors du cinquième Congrès mondial chrétien en Russie.
En 2018, il a même reçu une montre « du président de la Russie » gravée de l’insigne présidentiel officiel.
Les deux commandants des NDF ont été décorés à plusieurs reprises par des haut-gradés russes.
Al-Wakil et al-Abdullah ont également rendu hommage au célèbre brigadier-général Souheil al-Hassan, le commandant des Forces du tigre, avec qui ils ont également été pris en photo. Suheil al-Hassan a probablement supervisé une attaque chimique contre Latamné en mars 2017, selon une enquête de Bellingcat, alors que les forces rebelles essayaient, en vain, de capturer Hama. Les Forces du tigre sont également associées à d’autres attaques au chlore menées par hélicoptères.
Les NDF ont participé à cette même contre-offensive à Hama. Mhardeh est à seulement 10 km au sud de Latamné.
Malgré des preuves accablantes, Goodarzy a rejeté la responsabilité du régime dans les attaques chimiques, y compris celle de Khan Cheikhoun qui s’est déroulée non loin de Mhardeh. Des accusations qu’il qualifie de « salades ».
Nabel al-Abdullah et Simon al-Wakil coopèrent également avec les combattants néo-fasciste du Parti social nationaliste syrien.
SOSCO décrit les deux milices comme des forces d’autodéfense, bien que les troupes d’al-Wakil et d’al-Abdullah semblent en réalité avoir combattu en dehors de leur ville natale. « Nous avons eu l’honneur de participer avec l’armée syrienne à la guerre contre le terrorisme à Hama, Idlib, Khanaser et Alep », a déclaré al-Wakil lui-même en 2019.
Suivant la politique de terre brûlée du régime dans les zones contrôlées par les rebelles, les NDF ont volé des biens et des meubles dans les maisons des habitants, selon Reuters. L’offensive de 2019 dans la province de Hama / Idlib n’a pas fait exception. Selon le Syrian Network for Human Rights (SNHR), les forces loyalistes, dont les NDF, auraient pillé des maisons après s’être emparées de villages, vendant leur butin sur un marché à Sqelbiye. C’est une activité caractérisitque des NDF, dont l’objectif est de s’assurer que les gens ne retournent pas chez eux. La pratique est devenue si courante que les Syriens ont inventé un mot, ta’afeesh, pour la décrire.
Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah ont également été personnellement accusés de crimes de guerre. Selon la liste noire publiée par l’ONG d’opposition Pro-Justice, Simon al-Wakil est responsable du « massacre de Halfaya, le 16 décembre 2012, qui a causé la mort de 25 personnes lorsque des habitations civiles ont été la cible de frappes d’artillerie. La ville de Halfaya, à seulement 1 km de Mhardeh, était alors en territoire rebelle et était la cible des attaques de l’armée de l’air syrienne.
Pro-Justice a également accusé Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah, ainsi que d’autres commandants de milice, d’avoir commis ou participé a au moins sept crimes de guerre dans la région de Hama, y compris le meurtre de centaines d’hommes et de femmes.
En une seule journée, dans le village d’al-Qubeir, ils affirment que « les membres de la milice ont tué 100 femmes et enfants, dont une dizaine ont été tués avec des couteaux et leurs corps brûlés ». À Tremseh, également proche de Mhardeh, « des miliciens ont tué 220 civils ».
Des militants de l’opposition ont publié un enregistrement audio attribué à Nabel al-Abdullah en 2017 dans lequel il appelle ce qui semble être ses hommes à incendier les villages alentour contrôlés par les rebelles après les avoir capturés.
Il a également été aperçu posant à côté des tristement célèbres roquettes IRAM (Improvised Rocket Assisted Munitions), une signature des milices soutenues par l’Iran en Irak et en Syrie, connues pour leur puissance destructrice et leur manque de précision – et pour avoir causé d’énormes pertes civiles.
L’utilisation de ces munitions par les NDF a déjà été documentée par le fondateur de Bellingcat, Eliot Higgins, sur son blog Brown Moses. Les IRAM ont aussi été impliquées dans des attaques au chlore pendant le conflit syrien, comme l’a également documenté Bellingcat.
De son côté, SOSCO s’en tient fermement au narratif du régime. L’ONG fait d’Assad le protecteur des minorités et des milices comme celles d’al-Wakil et d’al-Abdullah leurs champions sur le terrain.
Les vidéos de l’ONG contredisent elles-mêmes d’avantage sa posture apolitique. Dans une vidéo publiée en mars 2019, l’ancien chef de mission en Syrie, Alexandre Goodarzy, s’adresse à la caméra depuis un poste d’artillerie des NDF alors que les miliciens d’al-Wakil font feu. « Les terroristes viennent juste de bombarder », dit-il. « La réplique ne s’est pas faite attendre. La Défense nationale, avec M. Simon, a ordonné de faire feu, et quatre missiles Grad sont partis ».
Sur la base de la description de l’emplacement donné par Goodarzy lui-même (à côté du village de Shaizar et du château du même nom), nous avons pu géolocaliser la position de tir à un endroit au nord-est de Mhardeh, au sommet d’une colline, approximativement ici.
Les forces rebelles et loyalistes échangeaient des tirs au moment où la vidéo a été tournée, selon plusieurs rapports faisant état de frappes touchant Mhardeh et des quartiers résidentiels de Latamné, alors sous contrôle rebelle.
Mais SOSCO semble avoir choisi son camp. « Nous déplorons que ces journalistes consacrent leur énergie à nuire à une association caritative, dont le travail est reconnu et salué sur le terrain, au lieu, par exemple, d’enquêter sur les mouvements terroristes qui menacent des innocents », nous a déclaré la responsable de la communication de l’association.
Dans un monologue de huit minutes, Goodarzy fait le parallèle entre les attentats terroristes qui ont touché la France et l’opposition syrienne, appelant les donateurs de SOSCO à non seulement apporter leur contribution financière, mais aussi à activement, émotionnellement et spirituellement choisir leur camp dans ce que l’organisation décrit comme une bataille divine.
« À un moment donné il faut être cohérent, il faut arrêter de se mentir à soi-même, il faut arrêter d’être idiot», dit-il aux spectateurs. « On a vraiment besoin de vous, on a pas seulement besoin de vos dons, on a besoin de toute votre intelligence, il faut ouvrir les yeux, il faut se réveiller. »
Après avoir reçu une liste de 41 questions de la part de Mediapart, SOSCO a envoyé un long email à ses abonnés (recopié et lisible ici sur Facebook) le 7 septembre, dans lequel l’organisation nie avoir une quelconque connaissance des allégations de crimes de guerre visant Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah. Et ce malgré le fait que l’ONG avait elle-même publié sur son site une interview du leader de la milice de Mhardeh où ce dernier leur montre, « amusé », les accusations des « médias pro-djihadistes » au sujet de « soi-disant massacres ».
Dans sa newsletter, l’ONG alerte ses abonnés sur une prochaine enquête à venir et les invite à « rester vigilants et éventuellement prêts à nous aider en cas de besoin ».
Cette campagne a rapidement reçu le soutien de sites français d’extrême droite comme Breizh Info ou medias-presse.info. La réponse officielle de SOSCO, envoyée le lendemain, soit le 8 septembre, est consultable sur le site de l’association.
Au sujet des accusations le concernant personnellement, l’ancien chef de mission en Syrie Alexandre Goodarzy a répondu, le 8 septembre, « Je sais que vous ne respectez aucune règle déontologique et que chacun doit être à votre disposition, mais il existe encore des lois dans notre pays. Je suis salarié de SOS Chrétiens d’Orient et je ne comprends pas pourquoi vous me posez des questions sur mon employeur. »
Les auteurs tiennent à remercier Historicoblog pour l’aide qu’il nous a apporté en recensant les activités des NDF à Sqelbiye.
Cette enquête a reçu le soutien financier de Money Trail et European Cross-Border Grants, programmes de Journalismfund.eu, une organisation à but non lucratif qui s’est donné l’objectif de promouvoir les projets d’investigations indépendantes à travers toute l’Europe.
Article d’Élie Guckert, Ariane Lavrilleux et Frank Andrews traduit par Syrie Factuel
The post Comment une organisation humanitaire française s’est liée avec des milices chrétiennes pro-Assad appeared first on Bellingcat.
30.04.2020 à 14:48
Syrie Factuel
Au cours du long conflit syrien, Bellingcat a enquêté sur de nombreuses attaques chimiques ainsi que sur la nature des armes déployées au cours de ces attaques, à l’aide de données en sources ouvertes. Des bonbonnes de chlore modifiées aux roquettes sol-sol fabriquées localement et remplies de sarin, Bellingcat a ainsi dévoilé la nature et […]
The post La traque en sources ouvertes de la bombe au sarin préférée du régime syrien appeared first on Bellingcat.
Au cours du long conflit syrien, Bellingcat a enquêté sur de nombreuses attaques chimiques ainsi que sur la nature des armes déployées au cours de ces attaques, à l’aide de données en sources ouvertes. Des bonbonnes de chlore modifiées aux roquettes sol-sol fabriquées localement et remplies de sarin, Bellingcat a ainsi dévoilé la nature et l’origine de ces armes chimiques, confirmant l’implication du gouvernement syrien dans plusieurs attaques chimiques.
Après une série d’attaques au sarin sur Latamné et Khan Cheikhoun en mars et en avril 2017, Bellingcat a utilisé des preuves en sources ouvertes pour reconstituer lentement la nature de la bombe utilisée dans ces attaques. Bellingcat avait d’abord publié ses propres conclusions en novembre 2017 et a continué depuis à amasser les preuves découvertes. Après la publication, le 8 avril, du rapport de l’Équipe d’enquête et d’investigation (IIT) de l’Organisation pour l’interdiction sur les armes chimiques (OIAC) détaillant le type de bombe utilisée les 24 et 30 mars 2017 dans des attaques au sarin à Latamné, nous avons désormais la confirmation qu’il s’agissait de la bombe chimique syrienne M4000.
Dans cet article, nous examinerons les éléments et les processus utilisés par Bellingcat pour identifier cette même munition et ce que cela révèle de l’utilisation du sarin comme arme chimique en Syrie, des années après la destructions supposée de ses stocks d’armes chimiques, au lendemain des attaques au sarin du 21 août 2013.
C’est peu après les attaques au sarin du printemps 2017 que l’équipe d’investigation de Bellingcat a commencé à reconstituer l’identité des bombes utilisées dans ces attaques, en les remontant pour ainsi dire pièce par pièces.
Après l’attaque au sarin du 4 avril 2017 sur Khan Cheikhoun, nous avons tenté d’identifier le type de munition utilisé, mais nous disposions alors de peu d’éléments. Des sources locales décrivaient la bombe comme ayant été larguée par un avion, mais seules quelques pièces métalliques avaient été identifiées sur le site de l’attaque, avec parmi elles un bouchon de remplissage. Ce bouchon correspondait à la manière dont on remplit une bombe au sarin, à travers ce genre de bouchon, mais aucune correspondance avec ce bouchon ne pouvait être trouvée en sources ouvertes à cette époque.
Bien que Bellingcat ait commencé a enquêter sur l’attaque du 4 avril 2017 sur Khan Cheikhoun presque immédiatement, nos investigations sur l’attaque de Latamné survenue le 30 mars 2017 ont commencé plus tard. À ce moment, l’essentiel de notre temps et de nos ressources étaient consacrés à la continuation de notre travail sur le crash du MH17. Les attaques chimiques en Syrie étaient quant à elles devenues quelque chose de quasiment banal, presque chaque semaine apportait son lot de nouveaux témoignages d’attaques chimiques quelque part dans le pays. Mais l’attaque de Khan Cheikhoun, son lourd bilan humain et les images choquantes partagées sur internet juste après ont attiré à nouveau notre attention sur l’utilisation des armes chimiques en Syrie.
Ce qui nous a particulièrement interpellé sur l’attaque du 30 mars à Latamné est la déclaration faite le 4 octobre par Ahmet Uzumcu, le directeur de l’OIAC, à l’AFP, indiquant que des échantillons de sarin avait été prélevés par l’équipe de la Mission d’établissement des faits (MEF) de l’OIAC sur le site de l’attaque du 30 mars.
Notre premier article sur l’attaque de Latamné, publié le 26 octobre 2017, analysait des éléments disponibles en sources ouvertes et d’autres informations au sujet de l’attaque. Quelques organisations, dont la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie des Nations unies et Human Rights Watch, avaient déjà mentionné cette attaque, et les symptômes inhabituels observés sur les victimes, sans pour autant parler explicitement de l’usage du sarin. Des groupes soutenant les cliniques et les hôpitaux locaux ayant reçu des patients après l’attaque, tel que le directorat de la santé d’Hama et l’Union des Organisations de Secours et Soins médicaux (UOSSM) avaient également publié des déclarations juste après l’attaque au sujet des symptômes correspondant à l’exposition au sarin, mais là aussi sans affirmer explicitement que du sarin avait bien été utilisé.
Mais aucune de ces organisations n’a examiné le site de l’impact ou les débris documentés à cet endroit qui allaient se révéler essentiels pour identifier le type de munition qui avait été utilisé. Quelques vidéos sur l’attaque du 30 mars ont été publiées sur internet, montrant les victimes de l’attaque en train de recevoir des traitements et les Casques blancs collectant des preuves sur le site. L’un des objets filmés par SMART TV dans une vidéo tournée près du site de l’impact, supprimée depuis, a fourni un lien crucial avec l’attaque au sarin du 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun :
C’est cet objet métallique circulaire à droite qui a attiré notre attention sur ces débris. À première vue, cet objet semblait identique au bouchon de remplissage aperçu sur le site de l’attaque de Khan Cheikhoun survenue le 4 avril, soit quelques jours à peine après celle de Latamné. Il était impossible de mesurer les dimensions de l’objet sur la base de la vidéo, nous voulions malgré tout vérifier si ces deux bouchons étaient similaires. Nous avons ainsi comparé la distance séparant les deux trous percés au centre du bouchon par rapport à son bord extérieur pour vérifier une éventuelle correspondance :
On voit sur l’image du haut les deux bouchons superposés, ce qui montre que le trou visible se trouvait exactement dans la même position. Il était donc probable que ces deux bouchons soient de la même conception, et donc que la munition utilisée à Khan Cheikhoun soit la même que celle utilisée à Latamné. Un élément significatif puisque le Mécanisme d’enquête conjoint (JIM) de l’OIAC et de l’ONU, qui avait publié un rapport sur l’attaque de Khan Cheikhoun accusant l’armée arabe syrienne d’en être responsable, précisait que ce bouchon de remplissage « ne pouvait correspondre qu’avec une bombe aérienne syrienne ». Mais une question se posait toujours : quelle type de bombe était utilisé dans ces attaques au sarin ?
Le mois de novembre de 2017 a conduit à de nombreux développements significatifs dans nos recherches et c’est, ironie du sort, grâce aux tentatives de la fédération de Russie de défendre son allié syrien contre les accusations d’utilisation de sarin.
Début novembre, la MEF de l’OIAC venait de sortir son rapport sur plusieurs attaques chimiques, dont celle du 30 mars 2017 sur Latamné, incluant les dimensions de plusieurs débris. L’un de ces débris mesurés et photographié ne comprenait pas un mais bien deux bouchons de remplissage prélevés sur le site de l’attaque du 30 mars :
Or, le bouchon de remplissage de Khan Cheikhoun avait lui aussi été mesuré :
Il était également possible de voir que les deux faces des bouchons étaient d’un design et de dimensions similaires :
Nous pouvions donc affirmer que le design et les dimensions des bouchons de remplissage prélevés à Latamné correspondaient parfaitement à celui présent sur le site d’impact à Khan Cheikhoun, ce dernier étant décrit par l’OIAC-ONU comme « ne pouvant correspondre qu’à une bombe chimique aérienne syrienne ».
L’autre pièce clé de nos recherches a été fournie par la fédération de Russie. Lors d’une conférence de presse, le 2 novembre 2017, censée répondre au rapport du JIM de l’OIAC-ONU sur Khan Cheikhoun, les ministres russes des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Industrie et du commerce ont présenté plusieurs informations pour prétendre que la République arabe syrienne n’était pas responsable de cette attaque. Au cours de cet exposé, ils ont montré un schéma représentant deux types de bombes chimiques syriennes, la M4000 et la MYM6000 :
Étonnamment, la fédération de Russie venait ainsi de fournir les premières informations publiques sur la nature de ces deux bombes, avec des détails sur leurs mécanismes internes, leurs dimensions et leurs poids qui seraient cruciaux pour identifier celles qui avaient utilisées lors des attaques au sarin de 2017 en Syrie. Les deux images en haut du schéma représentaient une bombe chimique MYM6000 avant et après remplissage. Le processus de remplissage avait été décrit par un ancien membre du Centre d’études et de recherches scientifiques (CERS) dans un article de Mediapart, en juin 2017 :
« Et ce qui a impliqué aussi, pour les ingénieurs du CERS, de concevoir des bombes très différentes des munitions classiques. « Extérieurement, explique l’un d’entre eux, elles ressemblent aux bombes conventionnelles de 250 et 500 kg chargées de TNT. Mais à l’intérieur, elles sont totalement différentes, divisées en deux compartiments distincts. Le premier, à l’avant, reçoit le DF [Difluorure de méthylphosphonyle]. Le second, à l’arrière, le mélange d’isopropanol et d’hexamine. Ce mélange est brassé par un agitateur que l’on peut actionner par une sorte de manivelle à l’arrière de la bombe. Lorsque les deux compartiments sont remplis, un technicien actionne la manivelle qui fait avancer l’agitateur jusqu’à briser la paroi de mica. La réaction de synthèse du sarin se déclenche alors dans la bombe, placée sous une “douche froide” et maintenue à une température très précise, contrôlée par un thermomètre laser. Après quoi il ne reste plus qu’à introduire dans le logement prévu, à la pointe de la bombe, la charge explosive et le détonateur, altimétrique, chronométrique ou autre, et à accrocher la bombe sous l’aile de l’avion. La charge doit être très précisément dosée. Si elle est trop importante, la chaleur dégagée risque de provoquer la décomposition du produit, ou la formation du nuage de gaz trop loin du sol, ce qui le rendra inefficace. En principe, une bombe de 250 kg contient 133 litres de sarin, quelques kilos de TNT et un lest destiné à préserver les caractéristiques aérodynamiques de la munition. Une bombe de 500 kg contient 266 litres de sarin. L’altitude idéale d’explosion de la bombe et de formation du nuage est autour de 60 mètres. »
Les deux bouchons de remplissage visibles dans le schéma, ainsi que le mélangeur (en vert) et la paroi séparant les deux sections de la bombe correspondaient bien au processus décrit dans l’article de Mediapart, publié quelques mois seulement avant la conférence de presse de la fédération de Russie. Cette description correspondait également à l’explication du processus de remplissage détaillé dans le récent rapport de l’IIT [équipe d’enquête et d’identification] de l’OIAC sur les attaques au sarin des 24 et 30 mars :
« La M4000, conçue et fabriquée par la République arabe syrienne pour propager des agents chimiques, dont du sarin, est une munition sans guidage larguée depuis les airs pesant 350 kg. Sa conception interne comprend deux compartiments, chacun avec son propre bouchon de remplissage et séparés par une membrane constituée de deux disques rattachés à un anneau. Le bouchon du compartiment avant est utilisé pour charger le difluorure de méthylphosphonyle (DF) dans la munition, alors que l’autre est utilisé pour la remplir d’hexamine et d’isopropanol. Le nez de la bombe est composé d’un cône lourd pour forcer la bombe a tomber le nez en avant. Un adaptateur est présent sur ce nez pour le rattacher à la fusée. À l’intérieur du compartiment avant se trouve un tube de dispersion avec une charge explosive d’environ 3 kg de TNT. Sur le compartiment arrière est attaché un aileron de queue, destiné à stabiliser la munition pendant sa chute. Ce compartiment dispose également d’une manivelle qui perce la membrane séparant les deux compartiments pour mélanger les précurseurs (le DF, l’hexamine et l’isopropanol) pour préparer la munition avant de la charger dans un aéronef. La bombe dispose de deux pattes de suspension sur son corps pour l’attacher à l’aéronef. »
Avec la publication du rapport de la FFM de l’OIAC sur l’attaque de Latamné nous disposons également d’autres débris à examiner. Parmi eux, un deuxième bouchon de remplissage, avec une conception et des dimensions identiques à celui qui avait déjà été retrouvé à Latamné, avec une patte de suspension attachée dessus. Sa conception correspond avec le schéma de la M4000 présenté par la fédération de Russie, montrant les deux bouchons, l’un effectivement proche d’une patte de suspension :
Le rapport mentionne également deux grosses pièces métalliques, une semi-circulaire sur laquelle est attachée une pièce plus petite, et les restes de ce qui semble être un anneau de queue avec des ailerons :
L’assemblage de l’aileron de queue et de l’anneau peut se révéler crucial pour identifier la bombe. Très peu de bombes, si ce n’est aucune parmi celles qui ont été utilisées en Syrie, n’ont une conception identique au niveau de cet assemblage. Par exemple, les images ci-dessous montrent deux types de bombes qui sont parfois confondues entre elles, la bombe à fragmentation hautement explosive OFAB 250-270 (à gauche) et la bombe à sous-munitions RBK-500 (à droite) :
Chacune de ces bombes dispose de huit ailerons de queue, dont certains dépassent l’anneau métallique. L’OFAB 250-270 dispose d’un second anneau de queue intérieur là où les ailerons s’arrêtent, mais sur la RBK-500 les ailerons pointent jusqu’à la base de la bombe. On peut aussi pointer d’autres détails comme les encoches à la base des ailerons de la RBK-500 – là où ils rejoignent la base de la bombe – et d’autres encoches sur les extrémités des ailerons de l’OFAB 250-270.
Concernant les débris de l’attaque du 30 mars à Latamné, nous avons d’abord voulu établir la configuration de l’aileron de queue et de son anneau. Timmi Allen de Bellingcat a créé une modélisation simple des débris en 3D, pour établir les bases de cette configuration :
Cela nous a permis d’établir qu’un deuxième anneau plus petit se trouvait à l’intérieur du grand, avec huit pièces métalliques pour les rattacher. Cependant, une de ces pièces était manquante ; seules sept d’entre elles étaient donc visibles sur ce débris. Quatre de ces pièces ne correspondaient pas à des ailerons, mais à des pièces rectangulaires qui ne s’étendaient pas au delà du diamètre de l’anneau de queue. Trois pièces plus grandes, placées en alternance entre les quatre autres, étaient également visibles, avec un interstice là où aurait du se trouver une quatrième pièce. Il s’agissait bien d’ailerons, et ils ne s’étendaient pas au delà du diamètre de l’anneau.
Alors où se trouvait cette pièce manquante, le quatrième aileron ? Le rapport de la FFM de l’OIAC fournit des explications dans sa description d’une pièce métallique semi-circulaire :
« Une pièce métallique triangulaire est attachée au corps de l’objet. Cette pièce ressemble à un aileron (étiqueté 2). Les restes de trois autres pièces (étiquetés 3) de longueur similaire et approximativement équidistant les uns des autres sont aussi observables. Cela pourrait indiquer la présence de trois autres objets équivalents. »
Ce qui indique que les deux pièces de métal, l’assemblage des ailerons de queue et la pièce semi-circulaire étaient les restes de la queue de la munition. De plus, l’aspect de cette queue, avec des ailerons ne dépassant pas de l’anneau, correspondait au schéma d’une bombe chimique M4000 présenté par la fédération de Russie dans sa conférence de presse.
Mais ce n’était pas tout. En utilisant les dimensions des débris d’ailerons de queue fournies par le rapport de la MEF de l’OIAC, il était également possible d’obtenir des dimensions approximatives pour chaque partie de la bombe, laquelle était proche des 460 mm de longueur de la bombe chimique M4000 telle que décrite dans le schéma russe. Après avoir examiné une large variété de munitions connues,on pouvait donc affirmer que la seule bombe connue possédant ce type de queue et ces dimensions était bien la bombe chimique M4000, d’après le schéma publié par la fédération de Russie.
En comparant les images de débris avec celle du schéma de la M4000, il était possible d’indiquer l’emplacement probable des débris, comme démontré ci-dessous :
Plus tard, avec l’aide de Forensic Architecture, nous avons produit une modélisation de la bombe basé sur le schéma russe et des des débris aperçus dans le rapport de la MEF de l’OIAC ; ceux-ci ont été restaurés dans leur état initial et replacés sur le modèle de la bombe, ce qui a montré qu’ils coïncidaient parfaitement avec le schéma de la M4000 :
Alors que nous avions trouvé de nombreuses correspondances entre le schéma de la M4000 et les débris retrouvés sur les lieux de deux attaques chimiques distinctes, nous ne disposions toujours pas de l’image d’une bombe M4000 complète. Près de deux ans après le début de nos recherches, nous avons finalement découvert la dernière pièce du puzzle.
En septembre 2019, nous avons été contacté par un lecteur de Bellingcat qui venait de tomber sur cette vidéo, publiée pour la première fois le 13 avril 2013 :
Cette vidéo semblait montrer une bombe chimique M4000 complète. Mais nous voulions en avoir le cœur net, et nous avons donc commencé à la comparer avec le schéma russe. Les ailerons de queue correspondaient effectivement avec les débris retrouvés à Latamné et les deux bouchons de remplissage étaient présents, tout comme le mélangeur et les deux pattes de suspension. Mais nous devions également mesurer la bombe de la vidéo. Une fois de plus, nous avons donc créé une modélisation en 3D en utilisant les dimensions des bouchons précédemment établies au cours de nos recherche pour définir les dimensions proportionnelles de cette bombe. Elle s’est révélée être large d’environ 460 mm, comme la M4000 du schéma publié par la Russie :
Pour un avoir un deuxième avis, nous avons également demandé à Forensic Architecture de réaliser leurs propres mesures. En utilisant la photogrammétrie, ils ont eux aussi réalisé un modèle 3D qu’ils ont mesuré en partant du postulat que le diamètre des bouchons était de 107 mm, comme constaté lors d’attaques antérieures. Là aussi, la largeur de la bombe ainsi obtenue était de 460 mm :
En plus de la correspondance entre des caractéristiques importantes comme les bouchons, les pattes de suspension et les ailerons, de nouveaux détails concordants et plus petits sont apparus. Dans l’image ci-dessous, on peut voir que l’extrémité la plus fine de la queue ne se termine pas en un point, aligné avec la base de la bombe, mais avec une encoche en angle droit. Un détail mineur mais que l’on retrouve également sur les débris de Latamné et sur la bombe M4000 complète documentée dans la vidéo d’avril 2013 :
Ce détail et bien d’autres caractéristiques confirment que la bombe est une M4000, correspondant aux débris de celle de Latamné, qui eux-mêmes correspondaient au schéma russe de la M4000.
Il existe aussi un lien intéressant avec l’attaque chimique de Khan Cheikhoun du 4 avril 2017. Peu de débris ont été retrouvés sur le site de cette attaque, mais l’un d’entre eux, le bouchon de remplissage correspondait, là encore, exactement à ceux de la M4000. Un autre débris, une pièce métallique tordue (ci-dessous), avait engendré de nombreux débats. Pour certains, il s’agissait en réalité d’un tube métallique, soit un élément d’une roquette, soit un tube rempli de sarin muni d’une charge explosive pour libérer le gaz :
Difficile d’expliquer comment une munition explosive aurait pu créer un débris de cette forme, d’autant plus qu’il apparaît comme replié vers l’intérieur, et non vers l’extérieur, comme on pourrait s’y attendre après une explosion. La bombe de la vidéo d’avril 2013 fournit une explication possible. Dans cette vidéo, on aperçoit clairement une pliure sur la partie de la bombe située à la base du nez. D’après le schéma de la M4000, cette partie de la bombe contient une charge explosive et du lestage lourd, et la pliure semble bien se trouver juste après la base du nez :
En cherchant plus loin, nous avons découvert qu’il ne s’agissait pas de la seule occurence d’un débris de M4000 répertorié avant les attaques de 2017. Une autre vidéo, publiée en 2014, montre les restes d’une M4000, avec le même élément présent à la base du nez de la bombe :
Cela pourrait confirmer que le débris de Khan Cheikhoun n’était pas un tube métallique comme certains l’ont assuré, mais un débris formé pendant l’explosion par la pièce métallique à la base de la tête de la munition.
La vidéo ci-dessus est également intéressante, puisqu’elle semble confirmer au moins l’une des affirmations du gouvernement syrien au sujet des M4000. Le rapport de l’IIT de l’OIAC cite la déclaration du gouvernement syrien selon laquelle certaines de ses bombes chimiques ont été reconditionnées en bombes conventionnelles. Or la vidéo ci-dessus montre qu’il manque une section rectangulaire sur le flanc de la bombe, avec un remplissage solide. Il est donc possible que cette vidéo montre justement l’une de ces bombes chimiques reconditionnée en bombe conventionnelle, chargée d’explosifs solides. Bien que [la bombe] soit brisée, aucune attaque chimique n’a été signalée à l’endroit et à la date où cette vidéo a été tournée. Il paraît donc peu probable que les personnes l’ayant filmé l’aient associée à une attaque chimique.
Certains prétendent que ces vidéos plus anciennes prouvent que les rebelles syriens auraient pu utiliser ces restes de bombes pour simuler les attaques chimiques de Khan Cheikhoun et Latamné. Cette hypothèse est justement examinée par l’IIT de l’OIAC dans son rapport sur l’attaque de Latamné.
« Afin de déterminer la provenance possible du sarin propagé au cours des incidents de mars 2017 à Latamné, l’IIT a suivi un certain nombres d’étapes. Des échantillons ont été prélevés sur les bouchons de remplissages, les débris ont été identifiés comme faisant partie du mélangeur de la bombe d’une munition chimique utilisée le 30 mars, et ils ont été analysés à la demande de l’IIT. Les experts ont décrit les bouchons comme “intacts” et fermés, alors que la partie extérieure du mélangeur était brisée. Ces trois débris n’aurait pu être détruits qu’avec difficulté. La probabilité que du sarin (et/ou un autre composé suggérant la présence de sarin) du même type que celui produit par la République arabe syrienne ait été ajouté sur le site pour « mettre en scène » dans chacun de ces trois débris est donc extrêmement faible. De plus, en ouvrant un morceau du mélangeur, l’IIT a pu observer de la graisse, ce qui, d’après des experts consultés par l’IIT, correspond avec ce qui serait nécessaire pour lubrifier l’axe du mélangeur pour mélanger les composés du sarin. »
Vu les preuves rassemblés sur les attaques au sarin des 24 et 30 mars à Latamné, l’idée que ces attaques auraient pu être simulées – alors même qu’il n’y a eu aucune couverture médiatique de l’attaque du 24 mars par des groupes d’opposition et à peine plus pour celle du 30, sans parler de la préparation complexe et méticuleuse requise pour de telles mises en scènes – est donc complétement absurde.
Les données en sources ouvertes, et désormais le rapport de l’IIT de l’OIAC, démontrent ceci : bien que la République arabe syrienne ait adhéré à la Convention sur les armes chimiques en 2013 et qu’elle ait annoncé avoir déclaré l’ensemble de ses stocks d’armes chimiques à l’OIAC, elle continue à utiliser des armes chimiques, y compris les bombes qu’elle affirme avoir détruites, pour empoisonner sa propre population.
Un article d’Eliot Higgins traduit par Syrie Factuel
The post La traque en sources ouvertes de la bombe au sarin préférée du régime syrien appeared first on Bellingcat.
21.04.2020 à 15:48
Syrie Factuel
Le 8 avril dernier, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a publié le premier rapport de l’Équipe d’enquête et d’identification (IIT). Elle a examiné trois attaques chimiques aux alentours de Latamné : deux au sarin les 24 et 30 mars 2017, et une au chlore le 25 mars 2017. L’attaque du 25 mars a […]
The post Ces généraux syriens ont-ils assisté à une attaque chimique contre un hôpital ? appeared first on Bellingcat.
Le 8 avril dernier, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a publié le premier rapport de l’Équipe d’enquête et d’identification (IIT). Elle a examiné trois attaques chimiques aux alentours de Latamné : deux au sarin les 24 et 30 mars 2017, et une au chlore le 25 mars 2017. L’attaque du 25 mars a frappé un hôpital vers 15 heures, heure locale, tuant un médecin et blessant 30 personnes. L’IIT a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que ces attaques avaient été menées par le gouvernement syrien.
Nous savons qu’une délégation de généraux a visité un poste de commandement de la province de Hama et a assisté à des frappes sur Latamné le 25 mars 2017, le jour même de l’attaque au chlore contre l’hôpital. Parmi cette délégation, Ali Abdallah Ayoub et Souheil al-Hassan. La présence d’al-Hassan est significative : il est le commandant des « Forces du Tigre», qui ont déjà été associées à l’utilisation de munitions au chlore larguées par hélicoptère.
Cette visite a été rapportée à la fois par SANA, une agence de presse de l’État syrien, et le ministère syrien de la Défense. En effet, SANA a réalisé une vidéo de cette visite, qui a été supprimée par la suite, lorsque SANA a purgé son compte YouTube. Cependant, Syrian Archive a réussi à en collecter une copie avant la suppression.
Notre évaluation montre que les généraux en visite étaient probablement présents à ce poste de commandement pour observer des frappes sur Latamné, moins de deux heures avant l’attaque au chlore contre l’hôpital de Latamné :
Il existe deux méthodes grâce auxquelles nous pouvons établir l’heure de cette visite. La première consiste à analyser les ombres. Pour le faire avec précision, nous devons savoir où se trouve l’objet projetant l’ombre.
Les ombres que l’on distingue le mieux sur la vidéo de SANA sont celles projetées par des soldats alignés pour une inspection. En examinant la vidéo, nous pouvons identifier une route allant d’est en ouest, un talus au nord, une jonction en T à l’est et une structure en béton du côté nord de la route. Un seul endroit à proximité du poste de commandement correspond à ces caractéristiques, et c’est un tronçon de route situé aux coordonnées 35.205926, 36.771009.
Malheureusement, il n’y a pas de points de référence clairs que nous pourrions utiliser pour situer les ombres. Le meilleur marqueur que nous avons est la route, avec laquelle les ombres des militaires semblent presque former un angle droit.
Nous pouvons simuler ces ombres en utilisant Suncalc, un outil utilisé pour calculer les emplacements des ombres à des dates et heures particulières. En plaçant l’ombre perpendiculairement à la route, nous obtenons 13h comme heure approximative. Après avoir testé différentes hypothèses, il semble que le passage en revue des troupes a eu lieu entre 12h et 14h.
Pour faciliter l’analyse, la hauteur de l’objet virtuel projetant l’ombre sur Suncalc a été fixée à 100 mètres. Étant donné que cela n’affecte pas l’angle de l’ombre, cela n’a aucun impact sur le calcul de l’horaire, sauf pour faciliter la visualisation de l’ombre simulée.
Une meilleure analyse des ombres peut être effectuée sur ce qui semble être des images d’un appareil de reconnaissance, probablement un drone, comme repéré par @MCantow. Dans ces images, les ombres sont claires, tout comme les points de référence tels que les bâtiments et les routes. Le flux vidéo affiche la latitude et la longitude de sa cible en bas à gauche de l’écran, il est donc facile de trouver son emplacement.
Dans le flux vidéo, les ombres semblent s’aligner presque parfaitement avec une route secondaire, que nous pouvons utiliser pour établir leur angle. Ce point de référence clair nous permet d’être beaucoup plus précis qu’avec la précédente analyse des ombres et nous donne un horaire proche de 14h15. Un changement de quinze minutes par rapport à celui-ci change l’angle de l’ombre et elle n’apparaît alors plus cohérente avec les images de reconnaissance.
En utilisant Suncalc, nous pouvons donc obtenir une évaluation raisonnablement précise de l’heure à laquelle certaines parties de cette visite ont eu lieu. Cependant, en regardant les cadrans des montres des participants présentés dans les images, il est peut-être possible d’obtenir une évaluation encore plus précise.
Bien que la plupart des montres que nous voyons dans la vidéo soient trop floues pour distinguer leur cadran, nous voyons à un moment celle du général Ayoub.
Sa montre semble indiquer l’heure approximative de 13h15.
Nous avons décidé d’utiliser l’outil d’accentuation des contours de Topaz pour obtenir une image plus nette, dont il convient cependant de noter qu’il s’agit de l’interprétation de l’outil. Nous avons placé l’image plus nette à côté d’une montre similaire pour faciliter la comparaison. Les aiguilles semblent indiquer 13h15, ce qui est cohérent avec l’analyse des ombres que nous avons effectuée plus tôt.
Au cours de leur visite, les généraux ont à un moment donné observé Latamné, et le reportage de SANA comprend des images de ce qui semble être des frappes aériennes sur la ville.
En traçant des lignes droites passant par des points fixes sur la carte, nous pouvons établir des zones linéaires là où les frappes montrées à Latamné dans la vidéo de SANA ont eu lieu.
Bien qu’aucune de ces frappes ne corresponde à l’attaque chimique contre l’hôpital sur laquelle l’IIT a enquêté, cela démontre que les visiteurs observaient bien des frappes en cours sur la ville de Latamné.
La présence du général Ayoub et du brigadier-général al-Hassan à un poste de commandement, assistant à des frappes sur Latamné dans les deux heures précédant une attaque au chlore contre cette ville, est un fait potentiellement significatif. Si les images de reconnaissance qui apparaissent dans la vidéo de SANA étaient bel et bien en direct, alors ils étaient présents au poste de commandement environ 30 minutes avant que les hélicoptères ne décollent de la base aérienne de Hama pour attaquer Latamné avec du chlore.
Compte tenu du temps requis pour les vérifications avant le décollage et le chargement des munitions, il semble probable que cette visite ait donc eu lieu alors qu’une attaque chimique était en préparation sur la ville que les généraux étaient justement en train d’observer.
Comme mentionné précédemment, les Forces du Tigre de Souheil al-Hassan ont déjà été associées à l’utilisation de bombes au chlore larguées par les airs. Sa présence dans un poste de commandement le 25 mars 2017, en train d’assister à des attaques contre Latamné, est une donnée potentiellement importante pour établir la responsabilité de l’attaque au chlore qui a eu lieu plus tard dans la journée.
Avec mes remerciements à Timmi Allen pour avoir aidé à affiner l’imagerie
Article de Nick Waters traduit par le collectif Syrie Factuel
The post Ces généraux syriens ont-ils assisté à une attaque chimique contre un hôpital ? appeared first on Bellingcat.
09.03.2020 à 14:10
Syrie Factuel
Des images et des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux suggèrent que les forces de sécurité grecques pourraient utiliser un type de munitions de gaz lacrymogène similaires à celles qui ont causé de graves blessures et la mort de dizaines de manifestants en Irak. Ces images et vidéos publiées par des journalistes, des militants et […]
The post Les forces de sécurité grecques feraient usage de munitions de gaz lacrymogène potentiellement mortelles appeared first on Bellingcat.
Des images et des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux suggèrent que les forces de sécurité grecques pourraient utiliser un type de munitions de gaz lacrymogène similaires à celles qui ont causé de graves blessures et la mort de dizaines de manifestants en Irak.
Ces images et vidéos publiées par des journalistes, des militants et des politiciens turcs montrent des munitions épuisées à proximité de manifestations de réfugiés tentant d’entrer en Grèce depuis la Turquie.
Ces munitions semblent être des grenades de gaz lacrymogène à longue portée, qui ont été identifiées pour la première fois par la Omega Research Foundation. Contrairement aux grenades de gaz lacrymogènes normales, qui ont une portée limitée et sont peu susceptibles de causer des blessures importantes, ces munitions à longue portée sont conçues pour être tirées à des distances beaucoup plus grandes, généralement à 150 m. Elles disposent ainsi généralement de beaucoup plus d’énergie cinétique que les grenades de gaz lacrymogène normales. Dans le cas présent, le projectile a également une tête pointue.
Les inscriptions sur ces projectiles indiquent qu’il s’agit de CS 560 longue portée provenant du fabricant Defence Technology – Federal Laboratories. En bref : des grenades lacrymogènes à longue portée.
Une fiche technique de la police datant de 1969 précise que cette munition pèse 284 grammes, que sa vitesse à la bouche (vitesse à laquelle un projectile sort d’une arme) est de 68,58 mètres par seconde et que sa portée est de 150 mètres. Impossible pour l’heure de dire si les versions récentes de cette munition possèdent des caractéristiques différentes.
La combinaison d’une plus grande énergie cinétique et d’une tête pointue rend ce type de munition potentiellement mortelle pour quiconque la reçoit. Selon Amnesty International, des munitions similaires de grenade lacrymogène, étourdissantes ou éclairantes de longue portée ont été largement utilisées lors des récentes manifestations en Irak, entraînant ainsi la mort de dizaines de personnes. Leur sobriquet de « moins létales » a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses moqueries.
Des images prises le 1er mars montrent clairement un membre des forces de sécurité grecques chargeant une grenade 560 CS dans son arme, confirmant ainsi que ce type de munition est actuellement utilisé à la frontière.
Les images et vidéos de cette munition semblent avoir été prises à la frontière gréco-turque. Plusieurs comptes distincts ont publié des images et des vidéos de ces munitions, affirmant tous qu’elles étaient utilisées à la frontière. Katırcıoğlu a ainsi affirmé que les images qu’elle avait publié avaient été prises au poste frontière de Pazarkule, près de la ville d’Edirne. Ces images correspondent aux images taguées de cet emplacement sur Google Earth.
L’utilisation de ce type de munitions pourrait expliquer les nombreuses affirmations, images et vidéos parlant de manifestants grièvement blessés ou morts à la frontière gréco-turque. Ainsi, le 2 mars, un Syrien aurait été tué par un tir à la gorge. Un porte-parole du gouvernement grec a déclaré qu’il s’agissait d’une «fake news».
Article de Nick Waters, traduit par le collectif Syrie Factuel
The post Les forces de sécurité grecques feraient usage de munitions de gaz lacrymogène potentiellement mortelles appeared first on Bellingcat.
09.03.2020 à 13:23
Syrie Factuel
Un simple poste de contrôle situé dans le Nord-Est de la Syrie est récemment devenu un point de grand intérêt. Dans cette nouvelle collaboration de Bellingcat avec Newsy, nous vous expliquons pourquoi. Les troupes américaines patrouillent à la frontière syro-turque depuis 2017. Ces patrouilles ont pour objectif d’essayer de calmer les tensions entre différentes factions […]
The post La fusillade en Syrie qui révèle un environnement précaire pour les forces américaines appeared first on Bellingcat.
Un simple poste de contrôle situé dans le Nord-Est de la Syrie est récemment devenu un point de grand intérêt. Dans cette nouvelle collaboration de Bellingcat avec Newsy, nous vous expliquons pourquoi.
Les troupes américaines patrouillent à la frontière syro-turque depuis 2017. Ces patrouilles ont pour objectif d’essayer de calmer les tensions entre différentes factions locales. Ces tensions ont notamment concerné la Turquie – qui est, et c’est un point crucial, un partenaire de l’OTAN – et les milices kurdes qui ont aidé les États-Unis dans leur combat contre l’État Islamique.
Pourtant, en octobre 2019, le président américain Donald Trump a soudainement annoncé que les troupes américaines allaient se retirer du Nord-Est de la Syrie. Ce qui laissait à la Turquie toute la liberté d’y envoyer ses propres troupes. L’invasion turque a finalement amené à la mise en place de patrouilles russes, et a renforcé la présence des forces du régime syrien dans la zone.
Selon un vieil adage, « trop de cuisiniers gâtent la sauce ». C’est exactement de cela qu’il s’agit ici, d’autant que le retrait total des troupes américaines n’a finalement pas eu lieu.
Regardez la vidéo pour comprendre comment une situation déjà extrêmement tendue et confuse peut finir par déraper.
Note : L’équipe the Newsy + Bellingcat a reçu début mars le prestigieux Scripps Howard Award for Innovation.
The post La fusillade en Syrie qui révèle un environnement précaire pour les forces américaines appeared first on Bellingcat.
17.02.2020 à 00:02
Syrie Factuel
Introduction Au cours de l’année passée, l’OIAC a fait face à une série de fuites liées à l’enquête de la Mission d’établissement des faits (MEF) sur l’attaque chimique de Douma. L’OIAC a désormais publié sa propre enquête sur ces fuites. Celles-ci semblent provenir de deux anciens employés : l’inspecteur A, soit Ian Henderson, et l’inspecteur […]
The post Les fuites de l’enquête de l’OIAC sur Douma, 4ème partie : l’enquête de l’OIAC appeared first on Bellingcat.
Au cours de l’année passée, l’OIAC a fait face à une série de fuites liées à l’enquête de la Mission d’établissement des faits (MEF) sur l’attaque chimique de Douma. L’OIAC a désormais publié sa propre enquête sur ces fuites. Celles-ci semblent provenir de deux anciens employés : l’inspecteur A, soit Ian Henderson, et l’inspecteur B, alias «Alex», qui est très certainement Brendan Whelan.
Dans les épisodes précédents de cette série, nous avons examiné les allégations associées à Whelan et Henderson et consulté des chimistes, des toxicologues et des experts en armes chimiques. Il est devenu clair que les revendications de Henderson et Whelan étaient erronées, surévaluées et parfois totalement trompeuses.
Nous avons également évalué ce qu’il aurait été nécessaire de faire pour réaliser un «false-flag» et pour fabriquer l’énorme quantité de preuves trouvées concernant cet incident. Une fois les informations disponibles prises en compte, il est clair que simuler l’attaque chimique de Douma aurait été effectivement impossible.
En résumé, l’enquête de l’OIAC correspond avec les points clés que nous avons identifiés à l’aide d’informations librement accessibles. Ces deux employés ont non seulement eu un accès limité aux informations relatives à l’enquête de Douma, mais ont aussi activement induit les gens au sujet de leur statut et le travail qu’ils étaient autorisés à effectuer.
Le rapport de l’OIAC indique clairement que Henderson n’était pas membre de la MEF. Il a aidé la MEF en collectant des données sur les sites concernés, notamment au niveau des bonbonnes des deux sites. Il a ensuite été chargé de procéder à un inventaire de ces informations et d’évaluer les autres informations qu’il serait nécessaire de collecter pour de futures études. L’enquête de l’OIAC indique qu’il n’a pas eu davantage de rôle officiel dans l’enquête de la MEF. Il est important de noter que cela signifie que Henderson n’aurait donc pas eu accès à une large partie des informations concernant l’attaque de Douma, y compris les enquêtes supplémentaires menées par la MEF.
« L’inspecteur A n’était pas membre de la MEF et son nom ne figurait pas dans les mandats délivrés pour les déploiements de la MEF. Il a apporté son soutien à l’équipe de la MEF enquêtant sur l’incident de Douma puisqu’il était au poste de commandement à Damas à l’époque des faits. Il est habituel que l’inspecteur en poste au commandement assiste la MEF. L’inspecteur A a joué un rôle secondaire mineur dans l’enquête MEF. Les enquêteurs ont constaté que l’Inspecteur A n’avait pas accès à toutes les informations recueillies par l’équipe de la MEF, y compris les entretiens avec des témoins, les résultats de laboratoire et les évaluations par des experts indépendants concernant les deux bonbonnes qui ont tous été communiqués à l’équipe après que l’inspecteur A ait cessé d’apporter son aide à l’enquête de la MEF. Il a accompagné la MEF sur certains sites d’intérêt identifiés par la République arabe syrienne. Il a aidé à prélever des échantillons environnementaux dans un hôpital et à prendre des mesures sur l’un des sites. Il a également aidé au traitement des bonbonnes. Il a ensuite été chargé de réaliser un inventaire des informations hautement protégées collectées sur ces bonbonnes et de déterminer les informations nécessaires à la poursuite des recherches. »
Il était déjà possible d’établir le statut réel d’Henderson en utilisant à la fois des déclarations de l’OIAC et des documents internes divulgués par WikiLeaks, en particulier un courrier électronique de Sébastien Braha, le chef de cabinet au directeur général de l’OIAC. Dans cet e-mail, Braha, qui avait appris que Henderson avait produit une « évaluation technique », demandait pourquoi quelqu’un qui n’était pas membre de la MEF avait effectué ce travail.
« Chers tous,
Désolé puisque j’étais en réunion pendant toute l’après-midi, j’ai une autre question pour laquelle j’ai besoin d’avoir des réponses, lors d’une prochaine réunion : sous l’autorité de qui ce travail a-t-il été mené, en dehors de l’autorité de la MEF et de son propre réseau hautement sécurisé, par quelqu’un ne faisant pas partie de la MEF ?
Cordialement
Sb »
Il est ironique que cet échange de courriels ait été divulgué dans le cadre d’une tentative de soutenir le récit de Whelan et Henderson, alors qu’il démontre clairement qu’Henderson n’était pas considéré comme faisant partie de la MEF par l’OIAC.
Bien qu’il ne fasse pas réellement partie de la MEF, et bien qu’on lui ait spécifiquement dit de ne pas le faire, Henderson a malgré tout décidé de procéder à son « évaluation technique ». Ce qui impliquait non seulement d’induire en erreur des membres haut placés de l’OIAC, mais aussi de mentir à l’université qui a effectué sa simulation. Henderson a déclaré à cette université qu’elle était officiellement engagée par l’OIAC pour le faire, ce qui n’était pas le cas. L’OIAC affirme même qu’Henderson était en congé lorsque cette simulation a été effectuée.
« À partir d’août 2018, l’inspecteur A, contre les consignes spécifiques données par le chef d’équipe de la MEF, a engagé des professeurs dans une université pour l’aider à produire son évaluation. Il a induit ces professeurs en erreur en leur disant qu’ils étaient officiellement engagés par l’Organisation pour mener à bien ce travail. En septembre 2018, plus d’un mois après avoir engagé les professeurs, l’inspecteur A a induit en erreur un officiel de haut niveau de l’OIAC, qui ignorait les instructions du chef d’équipe de la MEF à l’inspecteur A de ne pas contacter de tiers en dehors de l’organisation. L’inspecteur A l’a fait afin d’obtenir tardivement une autorisation écrite de travailler avec une université pour produire son évaluation. L’inspecteur A a déclaré au responsable de l’OIAC qu’il ne fournirait que du matériel disponible en open source à l’université. »
Au cours de cette période, Henderson a également mal géré des informations classifiées extrêmement sensibles. En plus de divulguer ces informations à des organisations externes sans autorisation appropriée, il a également demandé que celles-ci lui envoient un e-mail en utilisant son adresse Gmail personnelle. Compte tenu de la sensibilité de ce type d’informations, les mesures prises par Henderson pour les traiter semblent extrêmement imprudentes.
« L’inspecteur A s’est rendu deux fois à l’extérieur des Pays-Bas pour rencontrer les professeurs en personne, et les deux voyages ont été effectués alors que l’inspecteur A était en congé. L’inspecteur A a donné aux professeurs une clé USB qui, selon lui, ne contenait que des informations disponibles en open source. Selon les professeurs, ils n’ont jamais parlé à personne d’autre que l’inspecteur A au sujet de leur travail sur cette question. Les professeurs ont complété un rapport sur la bonbonne trouvée sur l’un des deux sites de Douma. À la demande de l’inspecteur A, les professeurs ont communiqué avec lui via son compte Gmail personnel. L’inspecteur A a utilisé le rapport des professeurs pour rédiger son évaluation, dont une version a finalement été publiée sur le site web du Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias. L’inspecteur A a également partagé plusieurs versions de son évaluation avec les professeurs à l’aide de son compte Gmail personnel. »
En résumé, le rapport de l’OIAC confirme les points clés de notre travail sur Henderson : son « évaluation technique » était un rapport réalisé sans autorisation, effectué avec des informations incomplètes et par quelqu’un qui induisait constamment ses interlocuteurs en erreur afin de réaliser ce qu’il voulait personnellement. Henderson lui-même a agi de façon cavalière avec des informations incroyablement sensibles et a trompé ceux qui l’entouraient, à la fois au sein de l’OIAC et dans des organisations externes, pour atteindre ses propres objectifs.
Nous avons précédemment examiné en détail les déclarations de Whelan. En bref, elles sont approximatives, extrêmement surévaluées et, parfois, totalement trompeuses. Comme pour Henderson, les conclusions de l’enquête de l’OIAC sur Whelan sont très similaires aux nôtres.
Le point le plus important de l’enquête de l’OIAC est que Whelan a quitté l’OIAC en août 2018, soit un mois après la publication du rapport intermédiaire. Whelan n’était pas présent lors de la majorité de l’enquête de la MEF ou n’avait pas accès à la majorité des informations de l’enquête. Bien que nous l’ayons formulé comme une simple hypothèse, l’enquête de l’OIAC le confirme bel et bien.
«À l’expiration de son contrat de travail avec l’Organisation, l’inspecteur B l’a quittée à la fin du mois d’août 2018. C’était peu de temps après la publication du rapport intermédiaire – avec lequel il était d’accord – et six mois avant la publication du rapport final de la MEF sur Douma. Au cours des sept derniers mois de l’enquête, la MEF a entrepris l’essentiel de son travail d’analyse, examiné un grand nombre d’entretiens avec des témoins et reçu les résultats d’échantillonnage et d’analyse. Malgré la séparation de l’inspecteur B de l’Organisation et son accord avec le rapport intermédiaire, il a continué de s’adresser aux membres du Secrétariat pour discuter d’informations confidentielles concernant l’enquête sur Douma qui était classée comme hautement protégée au moment de sa divulgation.»
Il s’agit d’une information absolument cruciale qui n’a précédemment été mentionnée dans aucun article sur les déclarations de Whelan. En excluant ce détail, des organisations telles que WikiLeaks, le Mail on Sunday et CounterPunch ont potentiellement induit leurs lecteurs en erreur sur la capacité réelle de Whelan à contester les conclusions de la MEF.
L’enquête de l’OIAC affirme également que Whelan a confirmé par écrit qu’il était satisfait du rapport intermédiaire qui a finalement été publié. Bien que l’OIAC n’apporte aucune preuve directe de cela, cela n’est pas entièrement surprenant. En effet, la seule conclusion ferme que l’on trouve dans le rapport intermédiaire tel qu’il a été publié à propos de l’attaque de Douma est qu’il n’y a pas eu d’agents innervants utilisés. Comme pour toutes les versions du rapport intermédiaire, il a été noté que des investigations complémentaires étaient requises.
« L’inspecteur B a participé à la rédaction du rapport intermédiaire sur l’incident de Douma. Après avoir fait part de certaines préoccupations initiales au sujet du projet de rapport intermédiaire, il a expressément confirmé par écrit qu’il – ainsi que d’autres membres de la MEF qui ont participé à la rédaction du rapport – était en accord avec le rapport intermédiaire qui a été publié. »
Les conclusions de l’OIAC au sujet de Henderson concernent également Whelan. Whelan a clairement fait des déclarations trompeuses sur le statut réel d’Henderson, peut-être dans le but de donner plus de poids à l’analyse d’Henderson. Il semble possible que le courriel de Whelan du 20 mai 2019, qui critique l’OIAC pour avoir expulsé Henderson et insiste sur le fait qu’il était membre de la MEF, a été écrit avec l’intention de le divulguer plus tard à l’appui de ses propres déclarations. Comme nous le savons désormais, ces affirmations étaient en tout cas fausses.
« L’intégrité personnelle et professionnelle d’Henderson a fait mouche sur le plus public des forums, internet. Un mensonge émis par l’OIAC, qui prétend que Ian ne faisait pas partie de l’équipe de la MEF de Douma, a été décisif pour le discréditer, lui et son travail.
Le démenti est en partie faux. Ian Henderson FAISAIT PARTIE de la MEF et il existe une abondance de documentation officielle, ainsi que d’autres preuves qui en témoignent. »
Même en utilisant des sources ouvertes, il a été possible de démontrer que les allégations d’un complot au sein de l’OIAC étaient trompeuses. Nous l’avons déjà expliqué dans une série d’articles examinant les affirmations de Henderson et Whelan, en consultant des chimistes, des experts en armes chimiques et des toxicologues.
L’enquête de l’OIAC appuie ces conclusions : Whelan et Henderson ont fait des allégations non étayées, trompé leurs collègues et menti à des organisations externes, mal géré des informations confidentielles sensibles et fait des allégations trompeuses sur l’attaque de Douma.
Il convient de laisser le dernier mot à M. Fernando Arias, Directeur général de l’OIAC :
«Les inspecteurs A et B ne sont pas des lanceurs d’alerte. Ce sont des individus qui ne pouvaient accepter que leurs opinions ne soient pas étayées par des preuves. Lorsque leurs points de vue n’ont pas pu gagner du terrain, ils ont pris les choses en main et ont manqué à leurs obligations envers l’Organisation. Leur comportement est d’autant plus flagrant qu’ils avaient des informations manifestement incomplètes sur l’enquête de Douma. Par conséquent, comme on pouvait s’y attendre, leurs conclusions sont erronées, mal informées et fausses. »
Un article de l’équipe d’investigation de Bellingat traduit par Syrie Factuel
The post Les fuites de l’enquête de l’OIAC sur Douma, 4ème partie : l’enquête de l’OIAC appeared first on Bellingcat.