
15.10.2025 à 11:38
Les plans de paix qui ont échoué ne manquent pas dans la Palestine occupée, tous comprenant des phases et des calendriers détaillés, depuis la présidence de Jimmy Carter. Ils se terminent tous de la même manière. Israël obtient ce qu'il veut au départ — dans le dernier cas, la libération des captifs israéliens restants — tout en ignorant et en violant toutes les autres phases jusqu'à ce qu'il reprenne ses attaques contre le peuple palestinien.
C'est un jeu sadique. Un manège mortel. Ce (…)
Les plans de paix qui ont échoué ne manquent pas dans la Palestine occupée, tous comprenant des phases et des calendriers détaillés, depuis la présidence de Jimmy Carter. Ils se terminent tous de la même manière. Israël obtient ce qu'il veut au départ — dans le dernier cas, la libération des captifs israéliens restants — tout en ignorant et en violant toutes les autres phases jusqu'à ce qu'il reprenne ses attaques contre le peuple palestinien.
C'est un jeu sadique. Un manège mortel. Ce cessez-le-feu, comme ceux du passé, n'est qu'une pause publicitaire. Un moment où le condamné est autorisé à fumer une cigarette avant d'être abattu sous une pluie de balles. Une fois les captifs israéliens libérés, le génocide continuera. Je ne sais pas dans combien de temps. Espérons que le massacre de masse sera retardé d'au moins quelques semaines. Mais une pause dans le génocide est le mieux que nous puissions espérer. Israël est sur le point de vider Gaza, qui a été pratiquement rayée de la carte après deux ans de bombardements incessants. Il n'est pas question de l'arrêter. C'est l'aboutissement du rêve sioniste.
Les États-Unis, qui ont accordé à Israël une aide militaire colossale de 22 milliards de dollars depuis le 7 octobre 2023, ne fermeront pas leur pipeline, le seul outil susceptible de mettre fin au génocide.
Comme toujours, Israël accusera le Hamas et les Palestiniens de ne pas respecter l'accord, très probablement en refusant – à tort ou à raison – de désarmer, comme l'exige la proposition.
Washington, condamnant la violation présumée du Hamas, donnera le feu vert à Israël pour poursuivre son génocide afin de créer le fantasme de Trump d'une Riviera de Gaza et d'une « zone économique spéciale » avec la réinstallation « volontaire » des Palestiniens en échange de jetons numériques.
Parmi les innombrables plans de paix proposés au fil des décennies, celui qui est actuellement sur la table est le moins sérieux. Hormis l'exigence que le Hamas libère les captifs dans les 72 heures suivant le début du cessez-le-feu [ce qui a été fait le 13 octobre, ndlr], il manque de précisions et de calendriers contraignants. Il est truffé de clauses permettant à Israël de dénoncer l'accord. Et c'est là tout le problème. Il n'est pas conçu pour être une voie viable vers la paix, ce que la plupart des dirigeants israéliens comprennent.
Le journal israélien le plus diffusé, Israel Hayom, fondé par le défunt magnat des casinos Sheldon Adelson pour servir de porte-parole au Premier ministre Benjamin Netanyahu et défendre le sionisme messianique, a conseillé à ses lecteurs de ne pas s'inquiéter du plan Trump, car il ne s'agit que de « rhétorique ». […]
Comment est-il possible qu'une proposition de paix ignore l'avis consultatif rendu en juillet 2024 par la Cour internationale de justice, qui réitérait que l'occupation israélienne est illégale et doit cesser ?
Comment peut-elle omettre de mentionner le droit des Palestiniens à l'autodétermination ? Pourquoi les Palestiniens, qui ont le droit, en vertu du droit international, de mener une lutte armée contre une puissance occupante, devraient-ils déposer les armes alors qu'Israël, la force d'occupation illégale, n'est pas tenu de le faire ?
De quel droit les États-Unis peuvent-ils mettre en place un « gouvernement de transition temporaire » – le soi-disant « Conseil de paix » de Trump et Tony Blair – qui met de côté le droit des Palestiniens à l'autodétermination ? […]
Comment les Palestiniens sont-ils censés se résigner à accepter une « barrière de sécurité » israélienne aux frontières de Gaza, confirmation que l'occupation va se poursuivre ?
Comment une proposition peut-elle ignorer le génocide au ralenti et l'annexion de la Cisjordanie ?
Pourquoi Israël, qui a détruit Gaza, n'est-il pas tenu de payer des réparations ?
Que doivent penser les Palestiniens de la demande formulée dans la proposition visant à « déradicaliser » la population de Gaza ? Comment cela pourrait-il être réalisé ? Par des camps de rééducation ? Une censure généralisée ? La réécriture des programmes scolaires ? L'arrestation des imams fautifs dans les mosquées ?
Et qu'en est-il de la rhétorique incendiaire régulièrement employée par les dirigeants israéliens qui décrivent les Palestiniens comme des « animaux humains » et leurs enfants comme des « petits serpents » ?
« Tout Gaza et tous les enfants de Gaza devraient mourir de faim », a déclaré le rabbin israélien Ronen Shaulov. « Je n'ai aucune pitié pour ceux qui, dans quelques années, grandiront et n'auront aucune pitié pour nous. Seule une cinquième colonne stupide, qui déteste Israël, a de la pitié pour les futurs terroristes, même s'ils sont encore jeunes et affamés aujourd'hui. J'espère qu'ils mourront de faim, et si quelqu'un a un problème avec ce que j'ai dit, c'est son problème. »
Les accords de Camp David, signés en 1978 par le président égyptien Anwar Sadat et le Premier ministre israélien Menachem Begin — sans la participation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) — ont conduit au traité de paix égypto-israélien de 1979, qui a normalisé les relations diplomatiques entre Israël et l'Égypte.
Les phases suivantes des accords de Camp David, qui comprenaient la promesse d'Israël de résoudre la question palestinienne avec la Jordanie et l'Égypte, d'autoriser l'autonomie palestinienne en Cisjordanie et à Gaza dans un délai de cinq ans et de mettre fin à la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, n'ont jamais été mises en œuvre.
Les premiers accords d'Oslo, signés en 1993, ont vu l'OLP reconnaître le droit d'Israël à exister et Israël reconnaître l'OLP comme le représentant légitime du peuple palestinien. Cependant, il s'ensuivit une perte de pouvoir de l'OLP et sa transformation en une force de police coloniale.
Oslo II, signé en 1995, détaillait le processus menant à la paix et à la création d'un État palestinien. Mais lui aussi fut mort-né. Il stipulait que toute discussion sur les « colonies » juives illégales devait être reportée jusqu'aux négociations sur le statut « final ».
À cette date, le retrait militaire israélien de la Cisjordanie occupée devait être achevé. Le pouvoir devait être transféré d'Israël à l'Autorité palestinienne, censée être temporaire. Au lieu de cela, la Cisjordanie a été divisée en zones A, B et C. L'Autorité palestinienne avait un pouvoir limité dans les zones A et B, tandis qu'Israël contrôlait l'ensemble de la zone C, soit plus de 60 % de la Cisjordanie.
Le droit des réfugiés palestiniens à retourner sur les terres historiques que les colons juifs leur avaient prises en 1948 lors de la création d'Israël – un droit inscrit dans le droit international – a été abandonné par le premier responsable de l'OLP, Yasser Arafat. Cela a immédiatement aliéné de nombreux Palestiniens, en particulier ceux de Gaza, où 75 % de la population est composée de réfugiés ou de descendants de réfugiés.
En conséquence, de nombreux Palestiniens ont abandonné l'OLP au profit du Hamas. Le philosophe palestinien Edward Said a qualifié les accords d'Oslo d'« instrument de capitulation palestinienne, de Versailles palestinien » et a fustigé Arafat en le qualifiant de « Pétain des Palestiniens ».
Les retraits militaires israéliens prévus dans le cadre des accords d'Oslo n'ont jamais eu lieu. Il y avait environ 250.000 colons juifs en Cisjordanie lorsque les accords d'Oslo ont été signés. Leur nombre est aujourd'hui passé à au moins 700.000.
Le journaliste britannique Robert Fisk a qualifié Oslo de « simulacre, de mensonge, de stratagème visant à piéger Arafat et l'OLP afin qu'ils renoncent à tout ce qu'ils avaient recherché et pour quoi ils s'étaient battus pendant plus d'un quart de siècle, une méthode visant à créer de faux espoirs afin d'émasculer l'aspiration à la création d'un État ».
Israël a rompu unilatéralement le dernier cessez-le-feu de deux mois le 18 mars dernier en lançant des frappes aériennes surprises sur Gaza.
Le bureau de Netanyahu a affirmé que la reprise de la campagne militaire était une réponse au refus du Hamas de libérer les otages, à son rejet des propositions de prolongation du cessez-le-feu et à ses efforts de réarmement. Israël a tué plus de 400 personnes lors de l'assaut initial mené pendant la nuit et en a blessé plus de 500, massacrant et blessant des gens dans leur sommeil.
L'attaque a fait échouer la deuxième phase de l'accord, qui aurait vu le Hamas libérer les captifs masculins encore en vie, civils et soldats, en échange de prisonniers palestiniens et de l'établissement d'un cessez-le-feu permanent, ainsi que de la levée éventuelle du blocus israélien de Gaza.
Israël mène des attaques meurtrières contre Gaza depuis des décennies, qualifiant cyniquement les bombardements de « tonte de la pelouse ». Aucun accord de paix ou de cessez-le-feu n'a jamais fait obstacle à cela. Celui-ci ne fera pas exception.
Cette saga sanglante n'est pas terminée. Les objectifs d'Israël restent inchangés : la dépossession et l'effacement des Palestiniens de leur terre.
La seule paix qu'Israël entend offrir aux Palestiniens est celle de la tombe.
Ceci est une version abrégée d'un article qui a été publié pour la première fois par Chris Hedges sur Substack le 11 octobre 2025.
14.10.2025 à 10:37
À 4h45 du matin, Sandra Moreno est déjà debout. Elle se déplace sans bruit pour ne pas réveiller ses parents, se prépare en vitesse avant d'affronter la circulation de Bogota pour se rendre au centre de soins pour personnes âgées où elle travaille depuis trois ans. Après des études en pédagogie de la petite enfance, son parcours l'a menée vers les soins aux personnes âgées, une tâche qu'elle assume aujourd'hui avec dévouement et patience.
La journée commence par un « tinto » (café) ou une (…)
À 4h45 du matin, Sandra Moreno est déjà debout. Elle se déplace sans bruit pour ne pas réveiller ses parents, se prépare en vitesse avant d'affronter la circulation de Bogota pour se rendre au centre de soins pour personnes âgées où elle travaille depuis trois ans. Après des études en pédagogie de la petite enfance, son parcours l'a menée vers les soins aux personnes âgées, une tâche qu'elle assume aujourd'hui avec dévouement et patience.
La journée commence par un « tinto » (café) ou une « agua aromática » (tisane) servis aux résidents. « Il leur arrive de se disputer rien que pour ça », dit Mme Moreno. Les heures s'écoulent entre routines, exercices physiques et activités récréatives. Une vigilance constante est de mise pour prévenir les chutes ou gérer les crises. Beaucoup sont atteints de la maladie d'Alzheimer, de démence ou de dépression. D'autres cherchent simplement quelqu'un qui les écoute.
Puis, arrive la fin de service, mais toujours pas de repos pour Mme Moreno. De retour à la maison, elle est attendue par ses parents, tous deux âgés et à la santé fragile. Elle s'occupe des rendez-vous médicaux, récupère les médicaments, organise les examens. « Tout repose sur moi », dit-elle. Comme elle n'a pas de voiture, pour emmener son père chez le médecin, il faut souvent payer des taxis. « C'est compliqué », confie-t-elle.
« On se sent des fois comme des machines à soigner. On oublie que nous sommes aussi des personnes, avec nos besoins et nos émotions propres. Parfois, j'ai l'impression d'aligner une double, voire une triple journée de travail. »
Bien qu'elle ait un emploi stable et bénéficie de la sécurité sociale, elle estime que ni le salaire ni la reconnaissance ne sont à la hauteur des efforts qu'elle fournit dans le cadre de son travail. Jour après jour, lorsqu'elle entame sa journée à l'aube, Mme Moreno confirme une vérité inconfortable : en Colombie, les soins aux personnes âgées incombent principalement aux femmes comme elle, qui elles aussi vieillissent, elles aussi se fatiguent et elles aussi ont besoin qu'on s'occupe d'elles.
En Amérique latine et dans les Caraïbes, au moins 8 millions de personnes âgées nécessitent une aide pour des activités aussi élémentaires que manger, s'habiller et se laver, selon une étude de l'Organisation panaméricaine de la santé et de la Banque interaméricaine de développement (BID). Ce chiffre pourrait tripler d'ici à 2050 du fait du vieillissement de la population.
Derrière cette demande croissante, on observe une constante : la majorité des soignants sont des femmes. Ainsi, en Colombie, 6,2 millions de personnes (de tous âges) ont besoin de soins directs, et les femmes assument 76,2 % ces tâches non rémunérées au sein des foyers.
Pour Diana Cecilia Gómez, responsable chargée des questions de genre auprès de la Confederación de Trabajadores de Colombia (CTC), le pays a pris des mesures importantes pour rendre ce travail plus visible. « L'une des étapes importantes a été l'évaluation de la part de cette activité dans l'économie nationale, et donc de sa contribution réelle à l'économie », explique-t-elle.
Le travail non rémunéré représente, à lui seul, environ 20 % du PIB de la Colombie. S'il était rémunéré, il serait le secteur économique le plus important du pays, avant le commerce ou l'administration publique.
Cependant, le problème de l'inégalité reste entier. Alors que les hommes consacrent en moyenne deux à trois heures par jour aux tâches de soins, les femmes y consacrent jusqu'à sept heures par jour. Pour Mme Gómez, cet écart se traduit par un épuisement physique et émotionnel, mais aussi par des parcours de vie marqués par un investissement personnel constant, souvent non reconnu.
Susana Barria, secrétaire sous-régionale de l'Internationale des services publics (ISP) pour la région andine, parle d'une crise structurelle. Pour elle, le problème réside dans le fait que les soins sont considérés comme relevant de la responsabilité des familles et, au sein de celles-ci, des femmes. « Nous ne pouvons pas continuer à en faire une question exclusivement familiale [privée] ; il s'agit d'une question sociétale, et l'État a un rôle essentiel à jouer en ce sens », a-t-elle déclaré.
Cette réalité, Mme Moreno la vit personnellement. « Parfois, on a l'impression de n'exister que pour s'occuper des gens. Mais nous avons nous aussi des familles, et nous les laissons de côté pour faire ce travail. Cela, la société ne le voit pas. »
Un fardeau qui n'est pas individuel, mais culturel. Selon María Yolanda Castaño, secrétaire chargée des questions de genre à la Confederación General del Trabajo (CGT) : « Historiquement, le machisme a assigné la responsabilité des soins aux femmes, avec une très faible participation des hommes. Il s'agit d'un modèle culturel qui a perpétué les inégalités et limité le développement personnel et professionnel des femmes. »
En approuvant, en février 2025, la première politique nationale de soins (CONPES 4143), la Colombie a franchi une étape importante. Le pays a, pour la première fois, reconnu les soins comme un droit, et ce non seulement pour les personnes qui en bénéficient – enfants, personnes âgées ou personnes en situation de handicap – mais aussi pour les personnes qui les dispensent, dont la plupart sont des femmes.
Cette politique prévoit une approche intégrée : redistribution des soins entre l'État, les familles et la société ; renforcement des services publics et communautaires ; et transformation des modèles culturels qui ont historiquement placé cette responsabilité sur les épaules des femmes. Il s'agit d'un engagement ambitieux, avec un investissement projeté jusqu'en 2034.
Mais au-delà de l'annonce, des questions demeurent : comment la politique sera-t-elle mise en œuvre dans les territoires ? Quelles ressources réelles y aura-t-il pour mettre en pratique les changements promis ? Comment garantir que les travailleuses comme Mme Moreno voient des améliorations concrètes dans leurs conditions de travail ?
Mme Gómez se félicite des progrès accomplis :
« Il est essentiel que le rôle des soins communautaires soit reconnu. Mais la visibilité ne suffit pas : le travail doit être rémunéré, avec des garanties pour les personnes qui l'exercent. C'est un travail qui exige du temps, des formations et des ressources. »
À l'échelle internationale, Mme Barria rappelle que la Cour interaméricaine des droits de l'homme a déjà reconnu les soins comme un droit à part entière. Cela oblige les États à garantir des conditions dignes aux personnes qui les prodiguent.
Pour des travailleuses comme Sandra Moreno, un tel soutien est indispensable : « Il y a énormément de choses à améliorer : les horaires, les salaires et la formation, pour pouvoir continuer à progresser. Parfois, j'ai l'impression que nous sommes considérées uniquement comme des aides-soignantes, et non comme des professionnelles. »
Et Mme Castaño, de la CGT, d'ajouter : « La politique nationale de soins (CONPES 4143) a été approuvée, mais nous ne savons toujours pas comment elle sera mise en œuvre. [Aussi] il est urgent que le mouvement syndical assume un rôle critique vis-à-vis du gouvernement et exige des mécanismes clairs d'articulation avec les organisations syndicales pour en garantir l'application. »
Bien que cette politique représente une avancée importante, sa mise en œuvre ne fait que commencer. Pour qu'elle ne reste pas lettre morte, il faudra une volonté politique, une participation sociale et l'engagement actif de l'État.
Alors que la politique est toujours en cours de mise en œuvre, la réalité des personnes soignantes reste marquée par le surmenage, l'informalité et l'absence de garanties en matière d'emploi. Au niveau régional, une enquête de la BID montre que de nombreuses personnes soignantes travaillent sans formation adéquate, ce qui accentue la précarité et nuit également à la qualité des soins.
Selon Mme Barria, même dans les institutions publiques, jusqu'à 80 % des contrats sont des contrats de prestation de services (OPS), sans stabilité ni sécurité sociale. « Les conditions sont très précaires, et cela a été rendu invisible dans le débat public », avertit-elle.
Cette précarisation est aussi le reflet d'inégalités internes. La responsable syndicale de la CTC l'explique clairement : « Dans une maison de repos semi-privée, il se peut que l'administratrice et l'une ou l'autre infirmière bénéficient de certaines prestations. Par contre, la femme de ménage – qui prodigue elle aussi des soins – ne bénéficiera probablement pas des mêmes conditions. »
En tant que travailleuse du secteur, il s'agit d'une réalité que Mme Moreno connaît bien : nombre de ses collègues travaillent sans contrat stable ni prestations, et elle sait ce que représente la charge des soins. « On est débordé par tout ce que l'on vit [au travail]. Il m'arrive de rentrer chez moi frustrée par des problèmes que je n'ai pas pu résoudre, et il n'y a personne pour nous écouter. Nous devrions bénéficier d'un soutien [psychologique] professionnel, de quelqu'un qui nous soutienne. Parce que ce travail est également épuisant sur le plan émotionnel. »
Leur expérience révèle un aspect passé sous silence : la charge émotionnelle des soins. Au manque de reconnaissance professionnelle s'ajoute le manque d'attention et d'accompagnement pour les aides-soignantes.
Aux yeux de Mme Castaño, il est essentiel de professionnaliser le secteur des soins. « Il ne suffit pas de formaliser. Nous devons avancer dans la certification et la reconnaissance des prestataires de soins. Nous devons identifier les obstacles, concevoir des stratégies durables et comprendre réellement les besoins des personnes qui travaillent dans ce secteur », insiste-elle.
Au-delà de l'absence de politiques ou de ressources, une idée profondément ancrée persiste : celle que les soins relèvent de la responsabilité naturelle des femmes. Mme Gómez, de la CTC, le résume ainsi : « Être infirmière, enseignante ou aide-soignante est considéré comme une extension du rôle de mère. Et, de même que le féminin est sous-évalué, les soins sont sous-évalués. »
La remise en cause de cette vision passe par la transformation des pratiques quotidiennes. Mme Gómez souligne que les syndicats peuvent impulser le changement en soutenant, par exemple, le congé de paternité. « Montrer que les hommes ont eux aussi des responsabilités en matière de soins est un moyen concret de construire l'égalité », dit-elle. Et d'ajouter : « Le travail à la maison ne se fait pas tout seul. Le reconnaître, c'est assumer qu'il s'agit d'une responsabilité partagée. »
Mme Moreno parle en connaissance de cause. « J'aimerais pouvoir dire “Je ne veux pas m'occuper de vous aujourd'hui”. J'aimerais sentir que j'ai le droit de me reposer, le droit qu'on s'occupe de moi. Mais ça, personne n'y pense. Alors, quelle est ma place en tant qu'être humain ? »
Avec sa longue expérience de syndicaliste, Mme Castaño reconnaît qu'il n'existe toujours pas de proposition claire pour formaliser le travail de soins non rémunéré au sein des ménages.
Cette omission interpelle même les syndicats, qui ont longtemps laissé les soins en marge de leurs priorités. Rompre avec cette inertie implique, selon la CGT, d'ouvrir le débat, de renforcer l'articulation sociale et d'avancer vers une réelle coresponsabilité. Il s'agit d'éviter de tomber dans des visions qui perpétuent les stéréotypes de genre, tout en exigeant des services publics et des politiques qui reconnaissent les soins comme un axe central de la vie sociale.
Pendant des années, les soignantes – à l'intérieur et à l'extérieur du foyer – ont travaillé en silence, assumant dans la solitude une responsabilité rarement remise en question. Aujourd'hui, les syndicats commencent à ouvrir des espaces pour que leurs voix soient entendues, reconnaissant que les soins sont aussi un terrain de lutte politique.
« En Colombie, un long travail de réflexion doit encore être mené pour dépasser l'assistanat et parvenir à de véritables politiques de qualité de vie pour les personnes âgées et les personnes qui prennent soin d'elles », affirme Mme Gómez.
Pour sa part, Mme Barria, de l'Internationale des services publics, souligne l'importance de l'organisation collective.
« Beaucoup de travailleuses du soin se sentent seules. La solidarité internationale permet de s'assurer que leurs revendications ne se cantonnent pas au niveau local ; lorsqu'un conflit devient visible à l'extérieur, il génère une pression politique », explique-t-elle.
Le défi, insiste María Yolanda Castaño de la CGT, est avant tout politique. Pour que la politique de soins ne reste pas lettre morte, les syndicats doivent jouer un rôle actif vis-à-vis de l'État. Sans cette participation, souligne-t-elle, il sera difficile d'obtenir des changements concrets.
L'avenir de la politique de soins en Colombie est en jeu : elle peut soit se transformer en un outil permettant de rendre des vies dignes, soit être reléguée au rang des promesses non tenues. Enfin, les soins ont fait leur entrée dans l'agenda politique, avec des responsabilités qui ne peuvent plus être reportées.
Pour Susana Barria, de l'ISP, la région andine a une dette historique à la fois envers les personnes âgées et envers celles qui s'occupent d'elles. Selon la syndicaliste, ni le secteur public ni le secteur privé n'offrent actuellement des services suffisants ou des conditions décentes à ces travailleuses essentielles. La pandémie a, par ailleurs, mis en évidence le fait que les soins ne peuvent plus être considérés comme une marchandise.
« Il s'agit de vies humaines, de personnes vulnérables. Cela ne peut être laissé aux mains du marché, mais doit être reconnu comme un bien public et un droit », insiste-elle.
Bien que dans certains pays la prestation des services de soins ait été confiée à des entreprises privées, dans une grande partie du continent américain, les services de soins restent inégaux et limités. C'est pourquoi la Colombie se voit confrontée au défi de reconnaître que garantir les soins relève de la responsabilité de l'État.
Sans un leadership public clair et engagé, avertit la représentante de l'ISP, l'inégalité continuera à déterminer qui reçoit des soins et qui est laissé de côté.
Pendant ce temps, des femmes comme Sandra Moreno continuent de se lever avant l'aube. « Je suis une oreille attentive aux histoires, une gardienne de la mémoire et une facilitatrice de moments de paix dans l'étape la plus sage : la vieillesse », dit-elle.
Ses paroles nous ramènent à la question fondamentale : qui est là pour s'occuper des aides-soignantes ?
Valoriser les soins, rémunérés ou non, c'est reconnaître une vérité souvent ignorée mais qui sous-tend tout le reste : sans les personnes soignantes – dans les foyers, les maisons de repos, les hôpitaux et dans tant d'autres espaces où la vie est protégée – c'est simple, rien ne fonctionnerait. Le travail de soin n'a rien d'ordinaire, il permet à la vie de suivre son cours et est « essentiel à tout autre travail ».
13.10.2025 à 09:59
Entre 1948 et 2012, le droit de grève et le droit à la négociation collective étaient considérés comme implicitement protégés par l'ONU (à travers les conventions de l'Organisation internationale du travail, l'OIT).
Pourtant, ces dernières années, la pression qui pèse sur ces deux droits s'est intensifiée partout dans le monde et s'accompagne d'un nombre croissant de violations et d'actes d'intimidation. La montée en puissance des politiques néolibérales incite de nombreux gouvernements à (…)
Entre 1948 et 2012, le droit de grève et le droit à la négociation collective étaient considérés comme implicitement protégés par l'ONU (à travers les conventions de l'Organisation internationale du travail, l'OIT).
Pourtant, ces dernières années, la pression qui pèse sur ces deux droits s'est intensifiée partout dans le monde et s'accompagne d'un nombre croissant de violations et d'actes d'intimidation. La montée en puissance des politiques néolibérales incite de nombreux gouvernements à tenter de les entraver par de nouvelles lois, limitant ainsi les effets perturbateurs des grèves, ce qui les rend pratiquement inopérantes comme outil de pression et de défense des classes populaires.
La reconnaissance unanime de ces droits a commencé à évoluer en 2012, lorsque le syndicaliste britannique Guy Ryder a été nommé directeur général de l'OIT. Ce dernier s'est engagé à réformer cet organisme des Nations unies afin de lui conférer une plus grande autorité pratique dans la protection internationale des droits des travailleurs dans le monde entier.
Le fonctionnement de l'OIT repose sur un système tripartite, articulé autour d'un dialogue social constant entre les représentants des 187 États membres et, au travers d'associations internationales, le patronat (les entreprises) et les syndicats (les travailleurs) du monde entier. En juin de chaque année, l'organisation organise la Conférence internationale du travail et, depuis la session de 2012, le patronat conteste l'idée que la Convention 87 de l'OIT garantit implicitement le droit de grève, ce qui était pourtant le cas depuis 64 ans.
L'organisation fait donc l'objet d'un boycott de la part des employeurs, car le principal mécanisme permettant de veiller au respect des principes normatifs de l'OIT, à savoir la Commission de l'application des normes (CAN), est paralysé : chaque fois que des travailleurs signalent des violations concrètes du droit de grève dans un pays (c.-à-d. une violation implicite de la Convention 87), le patronat nie le principe même (que ce droit est reconnu par l'OIT), et toutes les procédures de plainte sont suspendues. La situation en est arrivée à un point tel que cela fait 13 ans que l'OIT n'est même plus en mesure d'élaborer ses rapports annuels sur la situation mondiale des droits des travailleurs. La Confédération syndicale internationale (CSI) propose le sien depuis 2014, mais sans la reconnaissance tripartite implicite dont bénéficiaient ceux de l'OIT.
Quinze ans d'attaques préméditées ont fini par détériorer le droit de grève partout dans le monde. Selon les données de l'Indice CSI des droits dans le monde de 2025, le droit de grève a été mis à mal dans 131 pays (soit 87 % des 151 pays étudiés dans le rapport), soit 44 pays de plus qu'en 2014, année où l'indice avait étudié 119 nations. Par ailleurs, le droit des travailleurs à négocier collectivement leurs conditions de travail a été gravement restreint ou est inexistant dans 121 pays (soit 80 %, c'est-à-dire 34 pays de plus qu'en 2014).
La tendance qui se dessine est claire : examiné par région, en 2025, le droit de grève a été violé dans 95 % des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, 93 % des pays d'Afrique, 91 % des pays d'Asie-Pacifique, 88 % des pays d'Amérique et 73 % des pays d'Europe, région où (même si elle est celle où ce droit est le plus ancré en principe) on observe une tendance croissante à l'obstruction juridique et à la criminalisation des grèves de la part des gouvernements de droite, ainsi qu'à la stigmatisation sociale des grévistes eux-mêmes.
L'Europe, qui, au cours de la dernière décennie, a connu la plus forte détérioration des droits du travail de toutes les régions du monde, tente de plus en plus de limiter juridiquement la portée et les conditions dans lesquelles il est permis de déclencher une grève.
Ces revirements politiques, d'influence néolibérale, visent à établir une définition excessivement large de ce qui est considéré dans chaque pays comme des « services essentiels », de manière à neutraliser, dans la pratique, le recours à la grève dans un nombre croissant de secteurs du travail. L'OIT stipule que les « services essentiels » sont uniquement « les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne ». Pourtant, un nombre croissant de parlements légifèrent pour étendre cette définition à des secteurs tels que les transports, l'éducation et la santé, tout en élargissant la proportion de services minimums à assurer à un point tel que la capacité de perturbation sociale qui sous-tend la force de la grève en tant que moyen de pression est pratiquement éliminée.
« Ce qui fait le succès éventuel d'une grève, c'est sa capacité à perturber le système économique », explique à Equal Times l'historien français Stéphane Sirot, spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales. « Donc, si vous adoptez une législation dont l'objectif est de faire en sorte qu'une grève perturbe le moins possible, c'est un peu comme si vous lui déniez son droit d'existence, au fond, parce que la lettre juridique permet la grève, mais elle a tendance à la tuer dans son esprit », continue-t-il.
Cette situation s'aggrave encore davantage en raison des règles qui donnent le ton de cette offensive conservatrice contre les droits des travailleurs, à l'instar de la Loi sur les grèves (niveaux de service minimum) adoptée au Royaume-Uni en 2023 et sur le point d'être abrogée aujourd'hui. Elle permet d'obliger les travailleurs de certains secteurs stratégiques à ignorer une grève, même s'ils en sont les initiateurs, sous peine de licenciement. Elle permet également de réprimer les protestations et les manifestations syndicales et de remplacer les grévistes par d'autres employés temporaires.
Politiquement, la réponse tient à la capacité des classes travailleuses à prendre conscience de la situation et à voter pour des partis qui défendent leurs droits en tant que travailleurs. Socialement, en n'oubliant pas que l'union fait la force : si les travailleurs n'unissent pas leurs forces et ne se soutiennent pas mutuellement dans un esprit de solidarité, il leur sera impossible de se défendre contre les abus.
D'un point de vue juridique, malgré l'opposition du patronat international, au sein de l'OIT, les représentants des travailleurs et d'une grande partie des 187 États membres (y compris ceux de l'UE et des États-Unis, avant Trump) ont voté pour porter l'affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, sous la forme d'une demande d'avis consultatif, afin qu'elle se prononce (et fasse ainsi jurisprudence) sur la question de savoir si les droits de grève et de négociation collective sont protégés ou non par les conventions de l'OIT. La procédure est en cours.
Un avis négatif aurait pour conséquence de renforcer la volonté du patronat de négocier un protocole spécifique sur la grève (inexistant jusqu'à présent) qui limiterait la protection internationale de ce droit, telle qu'elle était implicitement reconnue par toutes les parties jusqu'en 2012. En cas de réponse positive de la CIJ, le patronat serait à court d'arguments pour continuer à boycotter l'OIT de l'intérieur, même si, sur le plan politique, l'opposition néolibérale continuera son bras de fer avec les droits des travailleurs acquis dans tous les pays.
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- Voir la campagne de la CSI Pour la démocratie.