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18.03.2025 à 05:00

Pour les droits des travailleurs migrants en Arabie saoudite, que peut faire la solidarité internationale ?

Sara Saidi

Derrière les projets de grande ampleur de l'Arabie saoudite visant à embellir son image aux yeux de la communauté internationale, comme la Coupe d'Asie des nations de football en 2027, les Jeux asiatiques d'hiver en 2029, la Coupe du monde de football en 2034 et le projet de ville futuriste « NEOM », se cache une réalité bien plus sombre : des milliers de travailleurs migrants subissent dans ce pays des violations de leurs droits et sont exposés à des discriminations récurrentes.
« C'est (…)

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Derrière les projets de grande ampleur de l'Arabie saoudite visant à embellir son image aux yeux de la communauté internationale, comme la Coupe d'Asie des nations de football en 2027, les Jeux asiatiques d'hiver en 2029, la Coupe du monde de football en 2034 et le projet de ville futuriste « NEOM », se cache une réalité bien plus sombre : des milliers de travailleurs migrants subissent dans ce pays des violations de leurs droits et sont exposés à des discriminations récurrentes.

« C'est de la responsabilité des travailleurs de s'unir avant qu'il ne soit trop tard. Tant que les travailleurs à l'étranger peuvent se plaindre, écrire des lettres, se syndiquer… Il faut le faire et ne pas se taire », affirme à Equal Times Lina Al Hathloul, chargée de plaidoyer pour l'ONG ALQTS qui défend les droits humains en Arabie saoudite.

Déplacements forcés, expropriations de terres autochtones, conditions de travail mortelles, condamnations à mort des réfractaires, en lien avec ces titanesques projets de construction, sont régulièrement dénoncés, partout dans le monde, par les ONG et les organisations des travailleurs qui critique également une forme de « blanc-seing » accordé au royaume saoudien, par certains dirigeants de la planète.

Discrimination, abus et violations des droits des travailleurs migrants

Plus de 12 millions de travailleurs migrants se trouvent en Arabie saoudite. Ils représentent ainsi plus de 50% de la force de travail du royaume. N., 24 ans, vit et travaille dans un entrepôt en Arabie saoudite depuis 2021. Le salaire de ce Népalais équivaut à la moitié de celui de ses collègues saoudiens : « À poste égal, ils vont payer en fonction de la nationalité, de la couleur et de la religion, c'est de la discrimination », s'indigne-t-il. Ces salaires bas poussent les travailleurs migrants à travailler davantage et « à courir après l'argent » au dépens de leur santé mentale : « On a le droit à 22 jours de vacances tous les deux ans. C'est trop long. Le migrant ne devrait pas sentir qu'il est loin de son pays, qu'il est en train de perdre sa culture », explique-t-il à Equal Times.

Des travailleurs migrants sont également régulièrement arrêtés et expulsés et se voient privés de leurs salaires ou de soins.

Depuis le début du projet NEOM en Arabie saoudite, 21.000 travailleurs migrants seraient ainsi morts selon le documentaire Kingdom Uncovered : Inside Saudi Arabia, diffusé par la chaîne britannique ITV, et 100.000 seraient portés disparus selon Hindustan Times, et une enquête du Guardian affirmait qu'en 2022 « plus de quatre Bangladais mourraient chaque jour en Arabie saoudite ».

Bien qu'une réforme de la loi saoudienne en 2021 a mis fin en partie à la « kefala », un système de parrainage qui lie l'employé à l'employeur, les pratiques perdurent. « Le mot a été retiré de la loi, mais dans les pratiques ça existe toujours », explique Hind Ben Ammar, secrétaire exécutive de la Confédération syndicale arabe, affiliée à la Confédération syndicale internationale (CSI) qui représente plus de 191 millions de travailleurs et de travailleuses à travers le monde.

Et pourtant, la FIFA a confirmé en décembre 2024 l'attribution de la Coupe du monde 2034 à l'Arabie saoudite. Une décision que regrettent de nombreuses organisations dans une déclaration commune avec Amnesty international. « Ils [les dirigeant de la FIFA] n'ont consulté aucune organisation mondiale pour les droits humains, ils n'ont fait état d'aucun des rapports sur les droits humains disponibles sur Internet, ils n'ont par exemple pas mentionné l'Organisation international du travail, ni comment les travailleurs migrants seraient impactés », explique à Equal Times Andrea Florence, directrice de Sport and Rights Alliance, coalition de neuf organisations de défense des droits dans et par le sport.

Faire pression sur la communauté internationale

Dans ce contexte, le rôle de la communauté internationale est primordial pour faire pression sur les autorités saoudiennes, mais aussi sur les entreprises et les institutions occidentales qui participent aux différents projets annoncés par le royaume saoudien : « la CSI est une confédération puissante, elle est présente aux instances des Nations unis, aux sommets du G20, c'est là qu'il faut faire pression. La question c'est ‘comment ?'. Par le dialogue social ou par une campagne comme avec le Qatar [comme en 2011] ? », s'interroge Hind Ben Ammar.

Selon elle, le premier pas doit être entrepris par les syndicats des pays qui envoient leurs ressortissants en Arabie saoudite comme la Somalie, le Bangladesh, l'Inde ou le Pakistan :

« Les Saoudiens ont besoin de ces travailleurs (…) il faudrait que nos syndicats là-bas jouent un rôle au niveau national, qu'il n'acceptent pas les agréments de travail qui n'ont pas les conditions minimum d'un travail décent et qu'ils n'acceptent pas que leurs propres ressortissants partent travailler en Arabie saoudite sans protection », explique-t-elle.

C'est dans ce sens qu'a agi la branche régionale de la CSI en Afrique (CSI-Afrique) qui représente 18 millions de travailleurs africains en soumettant, en novembre 2024, aux Nations unis contre les pratiques de travail en Arabie saoudite. Ils ont également écrit au président de la Confédération africaine de football, lui demandant de « contraindre la FIFA à respecter son engagement en matière de droits de l'homme tel qu'il est inscrit dans ses statuts ».

Sport and Rights Alliance essaie pour sa part de faire pression sur la Suisse, pays siège de la FIFA : « Nous espérons réussir à mobiliser les citoyens suisses afin d'ajouter dans la loi l'obligation de mise en œuvre du devoir de diligence en matière de droits humains pour les entreprises y compris les institutions sportives qui sont de fait de grosses entreprises presque toutes basées en Suisse », annonce Andrea Florence.

Les entreprises et les investisseurs étrangers ne peuvent fermer les yeux

Avec l'ONG ALQTS, la FIDH fait tout un travail de veille et d'information auprès des entreprises qui sont de potentiels ou futurs investisseurs sur les projets du royaume saoudien. Elle vérifie ainsi que celles-ci ont bien mis en œuvre leurs obligations au regard du devoir de vigilance auxquelles sont soumise notamment les entreprises françaises (La loi française n°2017-399). Cette loi non-contraignante « ne dit pas qu'il est interdit de commettre des violations, elle dit : ‘vous devez faire un rapport dans lequel vous expliciter les mesures que vous prenez pour ne pas participer à des violations' », indique Antoine Madelin, directeur du plaidoyer international à la FIDH.

Selon lui, il est très compliqué pour un travailleur de pouvoir reconnaître la responsabilité d'une entreprise étrangère devant un tribunal français. Ainsi, les plaintes déposées en 2018 notamment par l'association Sherpa et le comité contre l'esclavage moderne contre Vinci au Qatar, sont toujours en cours d'instruction. « Cela vous montre que ce n'est pas la priorité », explique-t-il.

Néanmoins, « compte tenu du risque pénal, quand bien même il est minime, les entreprises sont sensibles. Et nous, on en profite pour faire bouger les lignes et engager des conversations avec elles sur ce qu'elles mettent en place [pour améliorer les conditions de travail, ndlr] pour qu'on puisse regarder si c'est crédible, pertinent ou si c'est de l'esbroufe », ajoute-t-il.

Grâce à ce travail d'alerte, certaines entreprises s'informent avant de signer un contrat avec l'Arabie saoudite.

Solar Water Plc, qui s'était engagé à produire de l'eau douce propre et respectueuse de l'environnement sur le site de NEOM, s'est carrément retiré du projet. Dénonçant le « greenwashing », les violations des droits humains, et le déplacement des autochtones, Malcom Aw, le CEO de l'entreprise britannique, essaie d'alerter depuis d'autres dirigeants d'entreprises sur la situation et espère que des voix connus s'élèveront contre ces pratiques.

La FIDH de son côté appelle à diligenter des enquêtes indépendantes en Arabie saoudite. Or aucune organisation des droits humains n'a accès à l'Arabie saoudite et les contacter depuis le royaume est considéré comme un crime en lien avec le terrorisme.

Les travailleurs occidentaux : un rôle à jouer

De la même manière, il est impossible de faire grève en Arabie saoudite : « Elles [les autorités saoudiennes, ndlr] ne sont même pas ouvertes pour parler de syndicat représentatif, de travailleurs qui s'organisent pour faire grève ou de quelconques revendications… Et c'est ça vraiment qui nous fait peur. Car quand les personnes sont livrées à elles-mêmes, qu'elles ne sont pas organisées. Qu'il n'y ait pas de mouvement syndical représentatif, cela signifie que c'est ‘chacun pour soi' », s'inquiète Hind Ben Ammar.

C'est justement pour tenter de rassembler et porter la voix de sa communauté que Bhim Shrestha a co-fondé en 2020 Shramik Sanjal, une organisation qui informe, éduque et prête main forte aux travailleurs migrants népalais dans les pays du Golfe et en Malaisie. Son organisation basée à Katmandou, a notamment signé la déclaration commune avec Amnesty international.

Bhim Shrestha est convaincue que les travailleurs occidentaux qualifiés qui viennent en Arabie saoudite ont un rôle à jouer : « Je leur demande de ne pas juste se concentrer sur le travail et sur comment profiter de leur bien-être, mais de permettre à d'autres d'avoir de bonnes conditions de travail. Je ne leur demande pas d'être des activistes, mais de supporter les autres travailleurs et d'informer leur manager de la situation réelle des travailleurs migrants ».

Des propos que rejoint R., Népalais de 39 ans, en Arabie saoudite depuis 17 ans : « Les travailleurs étrangers sont les seuls à pouvoir raconter ce qui se passe sur les chantiers des giga-projets de l'Arabie saoudite, comme NEOM. Ils ont à minima la possibilité de faire remonter ces informations », affirme-t-il à Equal Times.

C'est notamment ce qu'on fait certains salariés d'EDF en France. Constatant à l'annonce du projet, les manquements et violations des droits humains, les personnels syndiqués ont essayé « d'imaginer un droit de retrait environnemental et sociétal », explique Jean-Yves Segura, syndicaliste Force Ouvrière (FO) à l'initiative de cette demande. Celle-ci n'a cependant pas abouti : « On nous a dit que c'est la tête de l'entreprise, en lien avec l'État français, qui a décidé qu'on [EDF] doit être partenaire avec l'Arabie saoudite. Qu'on avait fait notre travail d'alerte et qu'il ne fallait pas remuer le couteau dans la plaie, car même les agents [les employés d'EDF-hydro] sont divisés », explique Jean-Yves Segura.

Pour Andrew Daley un responsable de Architectural Workers United une organisation d'architectes aux Etats-Unis, le poids de la lutte ne devraient pas retomber sur les salariés, mais sur leurs employeurs. « Les employeurs ne devraient pas accepter des contrats qui entrainent des violations des droits humains. Cependant, aux Etats-Unis notamment, les employeurs ne parlent pas avec leurs employés et ne sont pas obligés de le faire », explique-t-il. « Les employés risquent juste de devoir partir de l'entreprise s'ils refusent de travailler sur un projet », regrette-t-il.

En attendant la création d'une éventuelle Task Force syndicale qui soutiendrait les travailleurs migrants, les ONG et les organisations syndicales cherchent donc à sensibiliser au maximum les différents acteurs impliqués dans les nombreux projets, et leur gouvernement. « La pression internationale et le tapage fonctionnent », assure Antoine Madelin. « Aujourd'hui, on a une fenêtre d'opportunités ou pas mal de choses peuvent être faites », ajoute-t-il.

Pour Lina Al Hathloul de l'ONG ALQTS l'enjeu principal va au-delà des conditions des travailleurs migrants : « C'est un problème de gouvernance. On accepte inconditionnellement l'argent saoudien, mais aussi l'absence d'État de droit. Si demain Mohammed ben Salmane a assez de pouvoir, il pourra aussi se retourner contre les sociétés étrangères et occidentales. L'État de droit étant inexistant, rien de l'arrêtera. Et ça, c'est problématique pour le monde entier », conclut-elle.

14.03.2025 à 05:21

Longtemps réduits au silence, les travailleurs des plateformes d'Indonésie s'organisent et luttent pour leurs droits

Le 29 août 2024, les rues entourant le palais présidentiel et les sièges de Grab et GoJek à Jakarta, la capitale de l'Indonésie, étaient envahies de milliers de chauffeurs de motos-taxis grévistes (travaillant pour les plateformes) et leurs alliés, vêtus de vestes vertes et de casques, et arborant des pancartes réclamant de meilleures conditions de travail et des protections juridiques.
Il s'agissait de la dernière action en date de ce qui est désormais un phénomène régulier dans tout le (…)

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Le 29 août 2024, les rues entourant le palais présidentiel et les sièges de Grab et GoJek à Jakarta, la capitale de l'Indonésie, étaient envahies de milliers de chauffeurs de motos-taxis grévistes (travaillant pour les plateformes) et leurs alliés, vêtus de vestes vertes et de casques, et arborant des pancartes réclamant de meilleures conditions de travail et des protections juridiques.

Il s'agissait de la dernière action en date de ce qui est désormais un phénomène régulier dans tout le pays : des actions, des grèves et des protestations d'un secteur de mieux en mieux organisé. Les travailleurs des plateformes, longtemps exclus du mouvement syndical, font de plus en plus entendre leur voix et réclament des changements politiques concrets.

« Les travailleurs des plateformes doivent bénéficier d'une sécurité sociale, d'une assurance maladie et, surtout, d'une assurance accident », déclare Mme Prihanani*, vice-présidente chargée des affaires étrangères au sein de la centrale syndicale nationale Konfederasi Serikat Pekerja Indonesia (KSPI). « Ensuite, le gouvernement doit créer des réglementations qui permettent aux travailleurs des plateformes d'être reconnus comme des employés et obliger les opérateurs de plateformes à fournir une sécurité sociale. »

Bien qu'un nombre croissant de travailleurs des plateformes rejoignent la KSPI et d'autres syndicats affiliés, la grande majorité d'entre eux ne le font pas. Ils préfèrent rejoindre des associations informelles de travailleurs des plateformes, comme Garda, une organisation de chauffeurs d'ojek (moto-taxi) et le principal organisateur de la manifestation du mois d'août.

« Nous voulons que le gouvernement établisse un prix ou un tarif équitable pour les motos-taxis commandées en ligne, qu'il applique la réglementation et qu'il impose des sanctions à toute plateforme qui porte préjudice aux chauffeurs de motos-taxis en ligne », déclare Igun Wicaksono, président de Garda, qui représente 400.000 membres.

En Indonésie, on dénombre pas moins de quatre millions de travailleurs des plateformes, qui conduisent des voitures et des motos, effectuent des livraisons de nourriture et de colis, et d'innombrables autres tâches gérées par des plateformes, plus particulièrement par les deux géants régionaux d'Asie du Sud-Est, la singapourienne Grab et l'indonésienne GoJek. Mais plutôt que d'accepter une rémunération qui ne cesse de diminuer et une précarité constante, l'Indonésie est aussi l'endroit où l'on trouve certaines des associations de travailleurs des plateformes et des syndicats les plus innovants et les mieux organisés au monde ; ces derniers organisent régulièrement des manifestations, comme celle qui s'est déroulée en août dernier.

« La mobilisation qui se produit en Indonésie est tout à fait unique », déclare Suci Lestari Yuana, maîtresse de conférences et chercheuse spécialisée dans l'économie des plateformes à l'Universitas Gadjah Mada, en Indonésie. « Elle a le potentiel de montrer un modèle d'organisation du travail différent pour l'économie des petits boulots, les travailleurs et les plateformes numériques. »

Les manifestations du mois d'août ont été organisées par un réseau d'associations de chauffeurs comme Garda Indonesia, tandis que d'autres groupes, comme le Syndicat indonésien des travailleurs du transport (SPAI), organisent également des grèves, la dernière pas plus tard qu'en février, et en prévoient encore d'autres pour cette année.

« Les travailleurs des plateformes essaient d'organiser de nouvelles manifestations, afin de signaler au gouvernement qu'ils sont toujours là, qu'ils ont toujours des revendications à faire valoir et qu'ils n'iront nulle part tant qu'ils n'auront pas apporté de réponse à ces revendications », explique Mme Yuana.

Les petits boulots, du hors-ligne aux plateformes numériques

Les travailleurs informels rémunérés à la tâche existaient bien avant que les smartphones ne deviennent omniprésents en Indonésie. Les plus visibles étaient les chauffeurs d'ojek, qui ont longtemps joué un rôle clé dans le système de transports des grandes villes indonésiennes, telles que Jakarta, Surabaya, Bandung, Makassar et Medan. Nombre de ces motos-taxis sont conduites par des migrants provenant de plus petites villes ou de zones rurales qui n'ont pas accès à un emploi à temps plein ou à des opportunités en matière d'éducation.

Traditionnellement, les ojeks s'organisaient de manière autonome, les tarifs étant négociés directement entre les chauffeurs et les passagers. Des organisations ou des groupes contrôlaient l'accès aux espaces où se concentraient les passagers, tels que les carrefours ou les zones de transit les plus fréquentés. À Jakarta, les ojeks étaient considérés comme le moyen le plus rapide de se déplacer dans les rues embouteillées, car ils pouvaient se faufiler entre les voitures ou dans des allées étroites, ce qui se traduisait souvent par une rémunération plus élevée que celle des taxis réguliers munis d'un taximètre.

Le lancement de l'application GoJek en 2015 a transposé aux déplacements en ojeks le modèle Uber de transport à la demande, transformant ainsi la relation entre chauffeurs et passagers en une relation négociée par des algorithmes agissant en tant qu'intermédiaire avec une plateforme d'entreprise centralisée.

GoJek a d'abord mis l'accent sur les ojeks, mais s'est rapidement étendu aux voitures de transport avec chauffeur (VTC), à la livraison de nourriture, aux paiements électroniques, et même aux services d'entretien automobile, de massages et de livraison de carburant, parmi plus de 20 services à la demande. Grab, qui s'est implanté en Indonésie fin 2015, propose des services similaires, à l'instar d'autres plateformes, telles que Shopee (e-commerce), Maxim (VTC) et Paxel (livraison de colis).

Nuryani* est une chauffeuse de 48 ans qui travaille à la fois pour Grab et GoJek. Elle se souvient que, lorsqu'elle a commencé à travailler pour les plateformes, elle pouvait gagner 300.000 rupiahs (environ 17 euros ou 19 dollars US) par jour. Aujourd'hui, une journée de 17 heures lui rapporte moins de 100.000 IDR (6 euros ou 7 dollars US), car les tarifs diminuent, les plateformes augmentent leurs commissions et la concurrence croît.

« L'essence n'est pas comprise, la nourriture n'est pas comprise, parfois il faut aussi payer le parking et le client ne veut pas payer le parking », explique Mme Nuryani.

En fait, de nombreux chauffeurs d'ojek ont initialement accueilli avec enthousiasme la possibilité d'obtenir plus de courses, et de gagner des incitants, grâce aux plateformes basées sur des applications.

« Lorsque la plateforme a lancé son activité pionnière, elle proposait des incitants ou des tarifs qui pouvaient améliorer le bien-être des partenaires-chauffeurs », explique M. Wicaksono. « Mais après un certain temps, les pratiques commerciales des plateformes se sont avérées préjudiciables pour les partenaires-chauffeurs de motos-taxis en ligne. »

Rusli*, un chauffeur de GoJek âgé de 55 ans, se souvient qu'au tout début, les chauffeurs pouvaient recevoir une prime de 200.000 IDR (11,5 euros ou 13 dollars) s'ils transportaient 12 passagers par jour, en plus de leurs tarifs habituels, ce qui leur permettait souvent de gagner 700.000 IDR (40 euros ou 43 dollars) par jour. Aujourd'hui, lui et ses collègues peuvent s'estimer heureux de gagner 200.000 IDR par jour pour la même quantité de travail.

« C'est surtout lorsque GoJek a commencé à vendre des actions [en 2022] que le système a changé », explique M. Rusli, qui est aujourd'hui membre de Serikat Pekerja Dirgantara Digital dan Transportasi (SPDT), un syndicat du transport affilié à la KSPI. À mesure que l'entreprise a grandi, il a constaté que l'on cherchait à recruter de nouveaux chauffeurs tout en réduisant les primes et en augmentant la part de la plateforme.

« Les plateformes peuvent gagner beaucoup d'argent, mais nous n'en retirons rien », explique M. Rusli.

Le défi de la syndicalisation

En Indonésie, le taux de syndicalisation est faible et peu de travailleurs des plateformes sont membres de syndicats officiels. Mais les syndicats étudient les moyens d'attirer les travailleurs des plateformes, car, selon Mme Prihanani, c'est le seul moyen d'améliorer les conditions.

« Il est important d'avoir un syndicat parce que le syndicat, lui, connaît les besoins et les plaintes des travailleurs, et sait comment les gérer. Pour les individus, il est impossible de se tourner vers la plateforme », explique Mme Prihanani.

Le SPAI est un jeune syndicat, créé en 2022, qui se concentre spécifiquement sur les travailleurs du secteur des transports et possède des antennes locales à Jakarta, Dumai, Pontianak, Sukabumi, Bandung, Serang et Yogyakarta. Lily Pujiati, présidente du SPAI et chauffeuse de GoJek, qui a également travaillé pour Maxim, estime qu'il est difficile d'éduquer les travailleurs des plateformes et de leur faire comprendre les avantages des syndicats.

L'un des domaines qui préoccupent le plus le SPAI est le bien-être et la sécurité des femmes qui travaillent pour les plateformes, car elles sont souvent ignorées ou ne sont pas représentées dans les espaces syndicaux. Souvent, c'est la précarité économique et sociale qui les contraint à se lancer dans le travail sur les plateformes.

« Les femmes qui rejoignent le SPAI ont pour la plupart plus de 40 ans et, en raison des contraintes économiques et des difficultés d'accès à l'emploi, se voient obligées de devenir chauffeuses », explique Mme Pujiati. « On y trouve des parents célibataires, qui doivent gagner leur vie, et des travailleurs qui ont été licenciés. Les femmes sont également exposées au harcèlement sexuel ».

Le SPAI, qui compte moins de 1.000 membres, et le SPDT, qui n'en compte pas plus de 10.000, seront confrontés à un défi de taille pour se développer. Selon Mme Yuana, le rôle des syndicats en Indonésie a été relativement limité en raison de lois et de préjugés historiques qui ont restreint l'espace politique pour la négociation collective et l'organisation.

« Une connotation négative pèse sur les syndicats en Indonésie depuis 1965, date à laquelle ils ont été présentés comme faisant partie du Parti communiste indonésien (PKI) », explique Mme Yuana.

Cette année-là, le PKI a été accusé d'avoir tenté un coup d'État. L'armée, sous la direction du général Suharto, a utilisé ce prétexte pour prendre le contrôle du pays et entreprendre une purge anticommuniste qui a entraîné l'assassinat d'au moins 500.000 Indonésiens. Suharto est resté au pouvoir en tant que dictateur pendant plus de trois décennies, et le parti communiste reste interdit jusqu'à ce jour.

« Ce souvenir historique est profondément ancré, et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les syndicats de travailleurs des plateformes ont du mal à se développer », estime Mme Yuana.

Elle considère que les nouvelles formes de syndicalisation décentralisées, basées sur les médias sociaux et les applications de chat, telles que celles de Garda et d'autres groupes, comme Koalisi Ojol Nasional et Asosiasi Driver Online, sont prometteuses.

« Les interactions entre les travailleurs sont assez démocratiques », explique Mme Yuana. « Un coordinateur fait office de modérateur pour les groupes et ils discutent beaucoup de la manière de s'organiser, du bon moment pour manifester, de leurs recherches sur les travailleurs des plateformes et ils prennent des décisions collectivement. »

En général, des outils faciles d'accès, comme WhatsApp, Facebook ou Twitter, sont utilisés pour communiquer entre les travailleurs, mais aussi avec le grand public, ajoute Mme Yuana.

Développer la solidarité entre travailleurs des plateformes

De par leur nature même (dispersés, dépendants d'une application et d'un algorithme opaques, et souvent issus des couches les plus marginalisées de la société), les travailleurs des plateformes sont confrontés à d'immenses défis pour obtenir la reconnaissance, des plateformes ou du gouvernement, de leur existence et de leurs préoccupations.

Parfois, les plateformes tentent activement d'empêcher ou de décourager l'action collective. Lorsque le SPAI a tenté d'organiser une manifestation en février, il a constaté que les plateformes s'efforçaient activement de décourager les travailleurs d'y participer. Selon Mme Pujiati, c'est une pratique courante qu'il est difficile de combattre.

« Ceux qui sont venus se sont vus menacés du gel de leurs comptes ou d'une réduction considérable de la demande », explique Mme Pujiati. « C'est en cela que réside le défi. Nous sommes dressés les uns contre les autres par les plateformes. »

M. Rusli a vu d'autres tactiques potentielles, comme la désignation par les plateformes de certains chauffeurs comme lanceurs d'alerte ou espions, qui rendent compte des activités d'organisation depuis l'intérieur des communautés de chauffeurs.

« L'un d'entre eux m'a dit qu'il était payé 300.000 IDR (environ 17 euros ou 19 dollars US) par mois pour photographier les agents provocateurs », raconte M. Rusli.

M. Rusli est convaincu que la syndicalisation est la clé pour améliorer les salaires et les conditions de travail.

« Les chauffeurs doivent se syndiquer, et notre statut doit être une relation de travail, en qualité de travailleurs formels », déclare M. Rusli. « Il faut mettre en place des réglementations qui nous permettent de travailler de manière professionnelle, sûre et confortable ».

De la même manière, le SPAI espère également rassembler davantage de membres et acquérir un pouvoir de négociation en tant que syndicat, un processus qui nécessitera une organisation et des efforts constants.

« Nous leur inculquons, à travers des formations, des informations concernant l'organisation afin qu'ils comprennent qu'il est très différent d'être dans un syndicat ou dans une communauté informelle, et qu'ils comprennent pourquoi nous insistons pour être reconnus en tant que travailleurs », explique Mme Pujiati. « À l'avenir, nous créerons une fédération. »

Elle espère également voir se développer la collaboration transfrontalière, car elle reconnaît que les travailleurs de toute la région sont confrontés aux mêmes défis qu'en Indonésie.

« Nous disposons d'un réseau de chauffeurs aux Philippines, au Vietnam, en Malaisie et à Singapour », explique Mme Pujiati. « Nous sommes tous confrontés à la même situation, c'est pourquoi nous voulons des réglementations qui couvrent chaque pays. »

Pour sa part, Garda, qui, avec environ 400.000 membres, est bien plus importante que les quelques milliers de membres des syndicats SPAI et SPPD, a également de grands projets.

« Nous tenons à ce que 2025 soit la dernière année où les entreprises de plateforme mènent des actions préjudiciables envers les chauffeurs d'ojek », explique M. Wicaksono. « C'est pourquoi nous devons prendre des mesures plus agressives et répressives à l'encontre du gouvernement ; afin que celui-ci impose des sanctions strictes. »

Leur objectif est d'intensifier le lobbying, mais aussi de multiplier les actions. Cela pourrait même se traduire par une grève nationale, ajoute M. Wicaksono, qui dépasserait le cadre des chauffeurs d'ojek et montrerait l'importance des travailleurs des plateformes pour l'économie indonésienne.

« Qu'il s'agisse de voitures de transport avec chauffeur ou du transport de passagers, de la livraison de marchandises ou de nourriture pour la communauté. Nous arrêterons tout », déclare M. Wicaksono.


Recherches et reportages supplémentaires de Yosepha Pusparisa.
*Tout comme les personnes interviewées, de nombreuses personnes en Indonésie ne portent qu'un seul nom.

11.03.2025 à 09:35

Loin du Bélarus, exilés et opposants peinent à faire pression pour infléchir la mainmise de Loukachenko, malgré quelques succès

Loïc Ramirez

« Désolé, je n'ai pas allumé le chauffage », explique Yauheni Fedarovich en pénétrant dans une salle vide et froide dans laquelle plusieurs chaises sont rangées le long du mur. « C'est ici que nous organisons les réunions lors d'événements ou de visites de personnalités ». À la salle de réunion s'ajoute une petite cabine modulaire de chantier dans laquelle sont entassés de nombreux tracts, documents et du matériel électronique. Installée à quelques centaines de mètres d'Alexanderplatz, au (…)

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« Désolé, je n'ai pas allumé le chauffage », explique Yauheni Fedarovich en pénétrant dans une salle vide et froide dans laquelle plusieurs chaises sont rangées le long du mur. « C'est ici que nous organisons les réunions lors d'événements ou de visites de personnalités ». À la salle de réunion s'ajoute une petite cabine modulaire de chantier dans laquelle sont entassés de nombreux tracts, documents et du matériel électronique. Installée à quelques centaines de mètres d'Alexanderplatz, au centre de Berlin, l'association Razam dispose de ce petit « espace culturel » rudimentaire dont la façade extérieure se confond à la zone de travaux qui l'entoure et ne laisse aucune indication visible sur la nature du lieu. En face, stationnée sur la route, on aperçoit une caravane. « Cela nous est arrivé de l'utiliser pour dépanner des nouveaux arrivants, qu'ils puissent avoir un lieu où dormir », lance-t-il.

Fondée en août 2020, l'organisation se présente comme une structure de soutien aux immigrés bélarussiens présents en Allemagne et regroupe avant tout des opposants au président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994. Ancien trésorier de l'organisation, Yauheni Fedarovich reconnaît que les activités ont diminué ces derniers temps : « Au début, c'était facile de mobiliser les gens, mais à partir de 2022 et la guerre en Ukraine, c'est devenu très compliqué, les gens évitent de s'impliquer par peur de faire subir des répercussions à leur famille restée au pays ».

La réélection de M. Loukachenko, pour un sixième mandat, le 9 août 2020, avait entraîné une importante vague de manifestations, suite aux nombreuses dénonciations de fraudes émanant de différents observateurs et organisations de la société civile. La répression des autorités, à l'époque, marqua un tournant majeur dans la vie politique du pays, obligeant les figures de l'opposition à s'exiler pour éviter la prison, comme ce fut le cas pour la principale candidate d'opposition, Svetlana Tikhanovskaïa. Bien que celle-ci bénéficia à l'époque d'une large couverture médiatique au niveau international, ce qui euphorisa les manifestants anti-gouvernementaux, l'engouement est retombé avec le temps, laissant dans un oubli relatif les détracteurs du pouvoir en place.

Fortement polarisée par les événements de l'époque, la société bélarussienne est aujourd'hui divisée entre opposants et partisans du président Loukachenko. Les premiers composent majoritairement la diaspora, qui se regroupe dans les pays voisins comme la Pologne et la Lituanie, mais aussi dans des Etats européens comme la Suède, l'Allemagne et la France.

Selon les recherches menées par l'équipe de chercheurs du projet Bielexil, financé par l'Institut Convergences Migrations (ICM) et le Centre français de recherches en sciences sociales (CEFRES), les départs de citoyens après 2020 représentent entre 200.000 et 300.000 personnes, pour un pays d'environ 9,3 millions d'habitants.

Néanmoins, tous ne sont pas des réfugiés politiques : « Beaucoup de Bélarussiens qui arrivent en Allemagne le font pour des questions d'opportunités de travail », explique Alexandre Moissenko, responsable de la communication avec la presse pour RAZAM, « ils ont des situations stables et proviennent généralement du secteur des technologies ».

Parmi les objectifs affichés de l'association, il y a le « lobbyisme pour la démocratie » au Bélarus et le « soutien aux prisonniers politiques ». « Nous sommes en contact avec une dizaine d'entre eux », poursuit M. Moissenko. À travers l'appel au don ou à l'organisation d'événements culturels comme des concerts, des fonds sont récoltés pour être ensuite envoyés aux familles de détenus.

« Tout cela se fait clandestinement, même les groupes de musique que nous invitons, cela ne se fait pas officiellement pour leur éviter d'avoir des problèmes lorsqu'ils rentrent au pays, ils ne doivent pas être rattachés à nous », explique M. Fedarovich. Quant au transport des sommes récoltées, le secret est de mise. « Ce sont des personnes qui peuvent faire des aller-retours au Bélarus qui s'en chargent », concède simplement notre interlocuteur.

« Malgré les risques, ils continuent de nous informer »

Depuis quelque temps, le contrôle intérieur s'est accentué dans l'État slave. Depuis le 4 septembre 2023, un décret signé par le dirigeant oblige les citoyens bélarussiens à se rendre dans le pays pour renouveler leur passeport, retirant aux ambassades la possibilité de le faire. « Cela pose une menace supplémentaire pour ceux qui se savent dans le collimateur des autorités », affirme Alexandre Moissenko, « l'une des alternatives temporaires dont disposent les réfugiés est d'obtenir un ‘document pour étrangers', délivré par l'Allemagne, et qui permet de se déplacer au sein de l'espace Schengen, nous apportons un soutien dans les démarches administratives pour ceux qui en ont besoin ».

Exilée en Irlande, où elle poursuit son travail de journalisme, Sasha Romanova se veut optimiste à ce sujet : « Mon passeport est valide encore quelques années, d'ici là peut-être qu'il y aura eu des changements ». La jeune femme est l'ancienne directrice du média numérique kyky.org, qui a été fermé au Bélarus en 2020, mais qui existe aujourd'hui en tant que page Instagram. « Nous recommandons à nos utilisateurs qui vivent encore dans le pays de ne pas ‘aimer' ni commenter nos publications, cela suffirait à leur attirer des ennuis », souligne Mme Romanova. Idem pour les canaux Telegram, sur lesquels l'opposition continue son activisme et dont il est recommandé d'en effacer les messages.

« J'ai moi-même été déclarée ‘extrémiste' par les autorités, cela m'expose à un risque de prison si je me rends dans le pays, le but est également de m'isoler car, bien sûr, qui prendra le risque de partager le contenu d'une extrémiste ? », poursuit la journaliste. Comme les membres de Razam, Sasha Romanova maintient néanmoins un contact avec des personnes au Bélarus, mais de manière « anonyme ». « Je dois dire que je trouve les gens très courageux, car malgré les risques, ils continuent de nous informer de la situation sur place ! »

Un enthousiasme que vient nuancer la faible participation des exilés dans les événements politiques organisés par l'opposition. Du 25 au 27 mai 2024, le Conseil de coordination, organe non-étatique créé en 2020 par Svetlana Tikhanovskaïa et qui se voulait représentatif de la société civile du Bélarus, organisait des élections afin de renouveler sa composition. L'ensemble des Bélarussiens était appelé à voter pour les différentes listes présentées, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays. Au final, la participation a mobilisé 6.723 votants, ce qui est extrêmement bas.

« Ce résultat n'est pas étonnant et s'explique par plusieurs raisons », répond l'analyste politique bélarusse Artyom Shraibman, ancien contributeur pour plusieurs médias d'opposition et aujourd'hui basé en Pologne. « D'abord, le Conseil de coordination n'est pas perçu comme une entité importante par les citoyens, y compris dans la diaspora, car il n'a aucun pouvoir, c'est uniquement un regroupement de dissidents exilés. Ensuite, la procédure pour y participer était compliquée. Il fallait s'inscrire en avance, enregistrer son passeport et ses informations personnelles, beaucoup de gens ne se sentent pas confortables à l'idée de partager leurs données ». Surtout, M. Shraibman voit là le signe d'une forte dépolitisation des Bélarusses, « à l'intérieur comme à l'extérieur du pays ».

Des tentatives de pressions internationales

Selon l'ONG Viasna, fondée en 1996 et membre de la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH), et dont le président Ales Bialiatski a reçu le prix Nobel de la paix en 2022, environ 1.200 personnes considérées comme « prisonniers politiques » sont toujours enfermées au Bélarus. Comme un geste de bonne volonté, à quelques mois de nouvelles élections, Alexandre Loukachenko avait annoncé, le 3 juillet 2024, une série de mesures d'allègement des peines pour plusieurs prisonniers, ainsi que la libération pour d'autres. Les personnes pouvant bénéficier de cette amnistie sont les mineurs, les femmes enceintes, les femmes et les hommes célibataires ayant des enfants de moins de 18 ans, et les personnes souffrant de maladies en phase terminale.

Selon les autorités, cette libération anticipée concernerait environ 1.600 détenus et doit s'étaler sur plusieurs mois. Depuis l'annonce, environ 200 prisonniers ont été libérés, dont 23 au mois de janvier 2025. Bien que beaucoup y ont vu là une manœuvre politique pour réchauffer les liens avec l'Occident, ceci n'a pas empêché le Parlement européen de voter une résolution, le 22 janvier 2025, qui condamne les élections dans le pays - avant même qu'elles ne se déroulent - et qui appelait à ne pas en reconnaître les résultats.

Cette initiative vient s'inscrire dans le prolongement d'une série d'actions menées en 2024, entre autres, par des syndicalistes exilés, membres du Congrès biélorusse des syndicats démocratiques (BKDP), dont la centrale syndicale fut bannie du pays en 2022. L'entité fait remonter auprès de l'Organisation internationale du travail (OIT) – dont le Bélarus est membre depuis 1954 – de nombreuses informations au sujet de la violation de la liberté syndicale dans le pays. Depuis une commission d'enquête menée en 2004, l'institution demande au Bélarus de se conformer aux règles internationales en la matière. L'OIT a récemment intensifié ses pressions pour que le pays accepte l'envoi d'une mission humanitaire (auprès des prisonniers), ainsi qu'une nouvelle mission d'évaluation de la situation.

« Nos propositions ont été acceptées », se réjouit Lizaveta Merliak, ancienne secrétaire internationale du Syndicat indépendant biélorusse des mineurs et des travailleurs de la chimie, aujourd'hui exilée en Allemagne. Pour la jeune femme, l'objectif était que les accusations présentées à l'OIT, entraînent une réaction de la part des gouvernements et des partenaires sociaux envers le Bélarus, ce qu'a fait le Parlement européen dans sa résolution. Celle-ci dénonce le rôle joué par la Fédération des syndicats du Belarus (FPB), l'autre centrale syndicale héritière des organisations soviétiques, proche du pouvoir et accusée de ne fournir aucune protection aux travailleurs poursuivis judiciairement pour leur participation aux manifestations et de faire explicitement campagne pour Alexandre Loukachenko. De plus, la résolution affirme prudemment « que l'on pense qu'elle joue un rôle important dans l'organisation de la falsification des résultats des élections ».

« Nous étions en compétition avec eux sur les questions des droits des travailleurs. Aujourd'hui, ses membres ont ouvertement fait la campagne de Loukachenko dans les usines », souligne Mme Merliak.

Les députés européens lancent d'ailleurs un appel aux sanctions en demandant le gel des « avoirs des entités et des personnes qui dirigent la soi-disant campagne électorale de Loukachenko, y compris la Fédération des syndicats du Bélarus, comme Yury Sianko, Hanna Varfalameyeva et Valery Kursevich ».

La peur de l'instabilité et de la répression pousse au statu quo

Tout ceci n'a pas empêché Alexandre Loukachenko de remporter les élections présidentielles du 26 janvier 2025. Avec un score officiel de 86,82% des voix, l'homme d'État entame ainsi son septième mandat. Au total, cinq candidats étaient présents sur les listes électorales, dont le secrétaire général du Parti communiste du Bélarus, Sergeï Sirankov, arrivé second avec seulement 3,21%. Alexandre Loukachenko a déclaré à la presse : « Je me fiche que l'Occident reconnaisse ou non les élections au Belarus, le plus important pour moi est que les Bélarussiens reconnaissent cette élection ».

Loin des grandes mobilisations de 2020, plusieurs centaines d'opposants se sont regroupés le jour du scrutin à Varsovie afin de dénoncer ce qu'ils qualifient de « farce » démocratique. Avec eux, défilaient des figues de l'opposition comme Svetlana Tikhanovskaïa et Pavel Latushka, ancien ministre de la Culture, aujourd'hui exilé. « Ceci n'est pas une élection, mais une ‘opération spéciale électorale' pour maintenir Loukachenko au pouvoir », moquait Mme Tikhanovskaïa en référence au vocabulaire utilisé par le Kremlin pour qualifier l'invasion militaire de l'Ukraine.

Dans le pays, l'annonce des résultats n'a provoqué aucune réaction de l'ampleur de celle qui avait eu lieu cinq ans auparavant.

« Pourquoi protester contre un spectacle ? », analyse M. Shraibman, « il n'est pas évident d'identifier contre quoi se révolter, il n'y avait pas d'opposant, personne à qui on a volé des voix ». Et, surtout, « protester n'est pas sans danger, le risque d'être arrêté est connu de tous », estime-t-il.

Par ailleurs, nombre de citoyens en faveur de la stabilité politique expliquent leur vote par une volonté de garantir une continuité du pouvoir, surtout face au danger de la guerre qui se déroule aux portes du pays. La garantie de la paix est l'un des mantras régulièrement utilisé par les dirigeants du pays et l' « épouvantail ukrainien » joue un rôle majeur dans la vie politique interne.

La séquence électorale vient de montrer que malgré le soutien des capitales européennes, l'opposition bélarussienne semble moins forte qu'avant. « Personne ne croit vraiment dans les figures de l'opposition », souffle Yauheni Fedarovich, de l'association Razam. Tandis que Minsk renforce son assise auprès d'un nouveau monde multipolaire qui s'affirme. La Russie et la Chine ont été parmi les premiers pays à saluer la victoire du président Loukachenko, dont les liens n'ont fait que se resserrer depuis les sanctions européennes, pour les violations des droits humains et le soutien militaire apporté à la Russie.

Sans pouvoir prédire l'avenir, il est peu probable que les opposants au gouvernement de M. Loukachenko puissent retrouver le niveau de mobilisation de 2020, le temps et l'exil jouant en faveur de celui-ci. Un changement majeur ne semble désormais envisageable que par une modification de la conjoncture. Dans ce sens, le dénouement du conflit en Ukraine est intimement lié au devenir du Bélarus, modifiant les rapports de force régionaux et ouvrant peut-être, après trois décennies de règne d'un même homme, une voie à un espoir de changement politique au Bélarus.

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