Pour le diablotin slovène, l'Enfer du Nord a tout du défi ultime. Battre sur leur terrain, les Mathieu van der Poel, double vainqueur sortant, Wout Van Aert, Mads Pedersen ou Filippo Ganna, que des coureurs surpuissants taillés pour encaisser la rudesse sans équivalent de la Reine des Classiques, ressemble même à une mission impossible.
Le parcours, avec ses 55 km de secteurs pavés, est tout simplement trop plat pour le champion du monde et son gabarit relativement modeste (1,76 m, autour de 65 kg).
Qu'un vainqueur du Tour de France, obligatoirement un bon grimpeur, gagne à Roubaix n'est d'ailleurs plus arrivé depuis la victoire de Bernard Hinault en 1981.
La plupart des champions du Tour, comme aujourd'hui Jonas Vingegaard, n'envisagent pas une seconde d'y poser leur roues. Greg LeMond reste le dernier vainqueur sortant du Tour à avoir pris le départ. C'était en 1991.
Pogacar non plus n'avait pas prévu de venir cette année. Mais, joueur, il a fini par sauter le pas, en dépit des réticences de son équipe UAE qui craint les dangers de l'Enfer du Nord. "Avec la forme que j'ai, si je n'essaye pas là, je ne le ferais jamais", a insisté "Pogi" dimanche, après son triomphe dans le Tour des Flandres, l'autre Monument pavé.
"Pas le favori numéro un"
"Avant d'annoncer sa participation, il est venu me demander ce que j'en pensais, raconte son coéquipier allemand Nils Politt, 2e en 2019, dans la presse allemande. Je lui ai répondu: quand on gravit le Vieux Quaremont (mont emblématique du Tour des Flandres, ndlr) aussi vite que toi, on peut gagner Roubaix. Il m'a dit: très bien, je vais essayer alors. Je pense qu'il a reniflé l'odeur du sang."
Champion du monde, triple lauréat du Tour de France, vainqueur de huit Monuments, à 26 ans, Pogacar dit qu'il veut tout gagner.
Mais Paris-Roubaix, vraiment? "Ce sera difficile pour lui, c'est quand même très plat, il aura du mal à lâcher Van der Poel", avance le Norvégien Alexander Kristoff, ancien coéquipier du Slovène, aujourd'hui chez Uno-X.
"Le vrai adversaire pour Pogacar, c'est le parcours", abonde Thierry Gouvenou, 7e en 2002 de Paris-Roubaix dont il est aujourd'hui le directeur. "Les 55 km de pavés sont redoutables. On peut penser qu'ils vont quand même l'éreinter. Et après, il devra encore s'occuper de la concurrence: un Van Der Poel au top, un Ganna au top, un Pedersen au top, un Van Aert qui revient bien."
"Je ne le vois pas battre ces coureurs au sprint donc il faut qu'il arrive tout seul, et ça ce n'est vraiment pas facile. Il peut gagner, mais ce n'est pas le favori numéro un pour moi", ajoute le Belge Oliver Naesen, deux fois 12e à Roubaix.
"Si j'étais parieur, je ne miserais pas sur Pogacar", affirme aussi l'Irlandais Sean Kelly, double vainqueur en 1984 et 1986.
"Il est capable de tout"
"Mais, ajoute "King Kelly" dans sa chronique pour le site cyclingnews, je ne veux pas non plus trop m'avancer car avec lui on ne sait jamais."
Cet argument revient sans cesse: normalement un coureur du profil de Pogacar ne peut pas gagner Paris-Roubaix... mais parce que c'est lui, cela devient possible.
"Il est capable de tout, c'est le meilleure coureur de tous les temps", tranche Mads Pedersen.
"Bien sûr qu'il peut gagner, il est tellement fort", ajoute dans un entretien à l'AFP Greg Lemond, en rappelant que Hinault pesait le même poids lors de sa victoire en 1981.
Le "Blaireau", lui-même, en est persuadé. "Il n'est pas trop léger. Sur les pavés, il faut surtout être adroit et ça Pogacar l'est."
Les qualités techniques de Pogacar, visibles lors de l'étape des pavés sur le Tour de France 2022, devraient lui permettre de ne pas trop subir le parcours, de prendre les bonnes trajectoires et, peut-être, d'échapper aux mille et un pièges de l'Enfer du Nord, entre chutes, cassures et crevaisons, alors que de la pluie est attendue dimanche.
Car c'est une course sur laquelle il faut aussi avoir un peu de chance pour voir la lumière au bout.